D. DES CONSÉQUENCES SANITAIRES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES RAVAGEUSES

Le phénomène des transporteurs de stupéfiants en provenance de Guyane constitue une préoccupation, tant sur le plan sanitaire, qu'à cause de ses conséquences économiques et sociales.

1. Un problème de santé publique

La quantité annuelle de cocaïne arrivant dans l'Hexagone via la Guyane pourrait s'élever à près de 4 tonnes, soit 15 à 20 % environ du marché français estimé à 20/25 tonnes 21 ( * ) , dans un contexte d'augmentation forte de la demande et de l'offre. Sur le plan qualitatif , la consommation de cocaïne est marquée par une diversification des profils, des motivations et des lieux de consommations. Autrefois cantonné à certains milieux favorisés, l'usage concerne aujourd'hui un public plus varié, sujet aux polyconsommations et se diffuse sur tout le territoire. Il concerne ainsi 2,1 millions d'expérimentateurs, dont 600 000 usagers dans l'année en 2017 22 ( * ) . La consommation de cocaïne « basée », plus dangereuse, se diffuse également.

En Guyane, la consommation de substances psychoactives chez les jeunes est moindre que dans l'Hexagone : les résultats de l'enquête ESPAD ( European School Survey on Alcohol and other Drugs ) menée en 2015 montrent que la consommation de tabac et de cannabis des lycéens guyanais est substantiellement inférieure à celle consommation constatée dans l'Hexagone ; s'agissant de l'alcool, sa consommation est globalement du même ordre que celle observée dans l'Hexagone (à noter que les adultes amérindiens sont particulièrement exposés à des consommations massives d'alcool).

Principaux indicateurs d'usage de produits psychoactifs
en Guyane et dans l'Hexagone

Source : Les usagers de drogues parmi les lycéens de Guyane, résultats de l'enquête ESPAD 2015, juillet 2018.

La cocaïne y serait majoritairement consommée dans des milieux socialement bien insérés : personnes originaires du territoire hexagonal avant tout, et créoles plutôt aisés, comme c'était le cas il y a une dizaine d'années dans l'Hexagone. Les usages seraient apparemment plus limités chez les Bushinengués, qui occupent pourtant une place importante dans le phénomène des « mules ».

2. Des conséquences socio-économiques préoccupantes pour la Guyane

L'impact socio-économique du trafic de stupéfiants sur la Guyane est important et préoccupant . Lors de son audition, la maire de Saint-Laurent-du-Maroni a ainsi indiqué que la pandémie avait révélé que près de 15 000 familles de cette ville vivaient de ces trafics et avaient « une très grande difficulté à vivre en dehors ». Le président de la collectivité territoriale de Guyane a également fait remarquer que des quartiers entiers de Cayenne étaient alimentés financièrement par le trafic de stupéfiants.

Le trafic de cocaïne se développe comme une activité économique à part entière, qui apparaît d'autant plus attractive que les opportunités se font rares par ailleurs. Pour le comprendre, il suffit d'avoir en tête qu'un kilogramme de cocaïne acheté 3 500 euros sur les rives du Maroni peut être revendu 35 000 euros dans l'Hexagone et jusqu'à 60 euros le gramme à Paris.

En outre, le transport de cocaïne se double désormais souvent d'un trafic retour de cannabis (directement ou par un trajet Cayenne-Paris-Antilles), permettant aux transporteurs de rentabiliser au mieux leur trajet. La cocaïne s'échange, dans ce cadre, au même prix que le cannabis, ce qui s'explique notamment par la faiblesse de l'offre de cannabis dans les Antilles, alors que la demande y serait en hausse, et atteste du développement d'un système économique à part entière dont la rentabilité est forte.

Les revenus apportés par le trafic de stupéfiants pénètrent dans le secteur informel, représentant un risque de dérive vers une économie mafieuse. Or, comme l'a fait observer le maire adjoint de Cayenne lors de son audition, cette économie n'est pas génératrice d'activités nouvelles et de développement pour la Guyane, de même qu'elle ne contribue pas au fonctionnement des infrastructures et des services publics, n'étant pas soumise à l'impôt.

Parallèlement, on observe le développement de phénomènes inquiétants de violence liés au trafic de stupéfiants sur le territoire guyanais . Lors de leur audition, la police et la gendarmerie ont fait état de violences et de séquestrations. Les passeurs qui se font interpeller et saisir la cocaïne qu'ils transportaient sont exposés à des mesures de rétorsion. La procureure de la République de Créteil a, quant à elle, rapporté l'exemple récent d'un passeur non interpellé, mais dépossédé de sa drogue, s'étant présenté au commissariat pour indiquer qu'il était victime de menaces de la part de réseaux locaux à la suite de la perte de la marchandise. Si de tels phénomènes demeurent encore sporadiques, la progressive structuration des réseaux fait craindre leur multiplication .

3. Des implications pour l'ensemble du territoire national

Les saisies effectuées par les douanes à la gare Montparnasse (environ 27 % des saisies dans l'Hexagone des produits en provenance de Guyane) mettent en évidence trois destinations principales : Rennes, la Rochelle (en passant par Niort) et Poitiers. D'autres destinations émergent. Des foyers se dessinent dans l'Est autour de Reims, Troyes, Nancy ; dans le Nord autour de Lille ; mais également dans le Centre, l'Est et Sud-Est avec Saint-Etienne, Valence, Clermont-Ferrand ou Marseille par exemple.

Source : OFAST

Dans l'Hexagone, en effet, les groupes guyanais ont choisi de ne pas faire concurrence aux acteurs traditionnels. Ils interviennent non dans les grands centres urbains, mais plutôt dans les villes secondaires de province, où ils se sont implantés en cassant les prix et en fournissant de la cocaïne de meilleure qualité .

Une partie de la revente s'effectue d'ailleurs, désormais, en dehors de la communauté guyanaise, les passeurs guyanais se contentant d'approvisionner des réseaux de revente. Comme l'a indiqué M. David Weinberger lors de son audition « Ils sont ainsi devenus les fournisseurs d'organisations criminelles plus anciennes, qui se fournissaient auparavant auprès des mafias italiennes ou avaient leurs propres filières d'approvisionnement depuis l'Amérique latine. » 23 ( * )

Des démantèlements récents témoignent tant de la structuration des réseaux guyanais que de leur positionnement sur le marché hexagonal . En février 2020, une structure d'importation de la cocaïne en provenance de Guyane a été démantelée par la police judiciaire de Lille. Vingt-et-une personnes ont été interpelées. Les passeurs arrivaient de Guyane, étaient récupérés à Orly et amenés jusqu'à Roubaix. Dix « mules » arrivaient chaque semaine en moyenne. En 2019, ce réseau aurait réalisé 534 voyages et permis d'acheminer près d'une tonne de cocaïne à Roubaix. Autre exemple : en janvier 2020, une organisation livrant de la cocaïne en Ille-et-Vilaine et dans les Hauts de France a été démantelée. Selon les estimations policières, trois à cinq kilos étaient livrés chaque semaine depuis un an. Seize personnes ont été mises en examen, qu'il s'agisse des commanditaires, des recruteurs, mais également des logisticiens conditionnant la drogue, assurant le transport des passeurs ou les réceptionnant le temps que les ovules de cocaïne soient expulsées.

Il importe de souligner que le trafic de cocaïne en provenance de Guyane a largement contribué à transformer le positionnement de ce produit sur le marché français . Les prix de vente ont baissé, tandis que la pureté a augmenté considérablement, passant de 30 % en moyenne au début des années 2010 à 60 % aujourd'hui, preuve de l'abondance de cette drogue sur le territoire.


* 21 Audition de M. Nicolas Prisse, président de la MILDECA.

* 22 Observatoire français des drogues et toxicomanies, Drogues, chiffres clés, 8 e édition, juin 2018.

* 23 Audition de M. David Weinberger, chercheur à l'INHESJ.

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