III. UN RENFORCEMENT DE LA RÉPONSE EST NÉCESSAIRE, QUI NE PEUT ÊTRE QUE GLOBALE ET MULTIVECTORIELLE

A. UNE POLITIQUE RÉPRESSIVE QUI DOIT VISER LA RECHERCHE D'EFFICACITÉ ET LE DÉMANTÈLEMENT DES RÉSEAUX

1. Intensifier les contrôles et les saisies pour décourager le trafic

Il n'existe pas de solution unique permettant de mettre fin au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Les dispositifs de lutte se doivent d'être multi-vectoriels , combinant tant des actions de contrôles que de dissuasion. Seule la diversité des modes de contrôle et de dissuasion permettra leur efficacité et une perte d'attractivité de la route guyanaise.

À l'heure actuelle, tant les forces de contrôle que le tribunal judiciaire de Cayenne travaillent au maximum de leur capacité, alors même que le nombre de passeurs ne cesse d'augmenter et que les nouveaux outils, notamment le scanner à ondes millimétriques, risquent d'accroître encore davantage le nombre de passeurs à appréhender. Selon une estimation de l'OFAST, la systématisation des contrôles à corps et à bagages pourrait ainsi générer une augmentation de 40 % du flux à traiter , soit un surcroît de 2 800 cas par an. Il n'est donc pas envisageable de renforcer uniquement les actions conduisant à davantage d'interpellations, sans donner aux différents maillons de la chaîne pénale, notamment à l'autorité judiciaire et aux centres pénitentiaires, les moyens de faire face à cette augmentation.

a) Renforcer les contrôles et les saisies à tous les niveaux

Afin de renforcer les contrôles et les saisies à tous les niveaux à effectifs constants, il importe d' employer chaque administration au mieux de ses capacités et de leur attribuer les équipements nécessaires au bon accomplissement de leurs missions .

Les contrôles doivent effectivement être renforcés sur l'ensemble de la route empruntée par les passeurs de cocaïne , depuis le passage de la frontière jusqu'à l'aéroport de Félix Éboué, puis de l'aéroport d'Orly jusqu'à leur destination finale.

En Guyane toutefois, la géographie particulière du territoire, sa superficie ainsi que la densité des forêts rendent les contrôles extrêmement difficiles. Les dispositifs existants, avec des contrôles mobiles sur les principales routes et le poste de contrôle routier d'Iracoubo, permettent déjà de bons résultats. Selon la plupart des acteurs impliqués dans les contrôles, c'est sur l'aéroport que doivent porter l'essentiel des efforts, dans la mesure où il constitue un point de passage obligé des mules 36 ( * ) .

Afin de faciliter la détection des passeurs de cocaïne, mais également de permettre aux acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants de disposer d'éléments leur permettant de suivre le trafic et de remonter les réseaux, les équipements au sein et aux abords de l'aéroport Félix Éboué pourraient donc être renforcés . Ainsi, dans le cadre des travaux de remise aux normes de la plateforme aéroportuaire, la préfecture a demandé à la Chambre de commerce et d'industrie, responsable de l'aéroport, l'installation de nouvelles caméras de vidéo protection. Il serait également utile de disposer d'un équipement LAPI sur la route nationale qui conduit à l'aéroport , afin d'enregistrer les plaques d'immatriculation des véhicules des trafiquants. L'objectif serait de permettre aux forces de sécurité intérieure de suivre le parcours des passeurs de stupéfiants refoulés qui rejoignent souvent les trafiquants sur le parking, ou de repérer les voitures concourant à l'acheminement des passeurs.

Au sein même de l'aéroport, en complément de l'installation des deux scanners à ondes millimétriques dont il importera de tirer le bilan, un scanner à rayon X pour les bagages pourrait être attribué à la douane . Le RX bagages est un moyen de détection rapide des masses suspectes dans les bagages des passagers, qui s'ajouterait aux autres moyens de détection dont dispose la douane - notamment les trois équipes cynophiles dédiées à la recherche de stupéfiants à l'aéroport de Félix Éboué. Ce type de matériel est déjà présent à Orly, à la fois dans la galerie bagages, pour la détection des bagages de soute, mais aussi aux filtres des passagers, pour les bagages à main. L'installation d'un tel dispositif à l'aéroport de Félix Éboué est actuellement à l'étude.

Une réflexion sur les effectifs des acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants au sein de l'aéroport pourrait également être menée.

Afin de faciliter les contrôles, des marges de manoeuvres devraient être trouvées auprès d es compagnies aériennes : aujourd'hui, les deux avions transatlantiques décollent avec seulement deux heures d'écart, ce qui ne permet pas aux services de l'État de mener leurs contrôles dans de bonnes conditions.

Il importe, par ailleurs, de conforter les dispositifs mis en oeuvre par la douane . Lors de son déplacement à l'aéroport d'Orly, la mission d'information s'est vu présenter le dispositif de ciblage utilisé par la douane. Elle en ressort convaincue que le dispositif PNR est un outil utile mais qui ne peut être le seul outil à la disposition des services des douanes. Il est en effet alimenté par les informations transmises par les compagnies aériennes, mais ces informations sont parfois mal renseignées et ne peuvent être réutilisées. De manière complémentaire, il est donc indispensable de permettre aux douanes de garder leur accès aux dossiers de réservation des compagnies.

b) Permettre à l'autorité judiciaire de faire face à une potentielle augmentation des interpellations

L'augmentation des moyens de détection, tout comme celle des moyens de ciblage, provoquera nécessairement davantage d'interpellations. Ainsi, selon l'OFAST, la systématisation des contrôles à corps et des contrôles des bagages pourrait générer un surcroît de 2 800 découvertes par an (40 % du flux total).

Or, la problématique principale dans le traitement du trafic de stupéfiants en provenance de Guyane est la saturation de l'ensemble de la chaîne pénale. Comme le souligne la direction générale des douanes et des droits indirects, le déploiement de tout nouvel outil doit s'accompagner d'une réflexion sur le traitement en aval et sur les moyens à y consacrer .

Les représentants de l'autorité judiciaire en Guyane auditionnés par la mission partagent ce constat, puisqu'ils considèrent que « l'action de l'État est affaiblie par le manque de moyens attribués en bout de chaîne à l'institution judiciaire ». Il importe donc en premier lieu, et à court terme, de permettre à l'autorité judiciaire de faire face à une potentielle augmentation des contrôles .

Des orientations en ce sens ont d'ores et déjà été prises par l'institution judiciaire . Dans le cadre de la nouvelle politique pénale mise en place en 2019, la comparution immédiate est devenue exceptionnelle en Guyane , le parquet lui préférant les convocations avec reconnaissance préalable de culpabilité. En 2018 en effet, sur les 700 comparutions immédiates réalisées, les trois quarts étaient celles de passeurs de cocaïne, au détriment de la délinquance de droit commun. En 2019, cette proportion est tombée à 20 %.

Cette même procédure est suivie par le parquet de Créteil, même si le recours à la convocation avec reconnaissance préalable de culpabilité y est moins systématique. En 2019, entre 11 et 32 % des comparutions immédiates étaient liées au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité sont utilisées par le parquet dès lors que les quantités transportées sont inférieures à 1 kg.

Par ailleurs, il apparait nécessaire de renforcer les effectifs des magistrats du siège et du parquet à Cayenne, mais également ceux des greffiers . Selon les représentants de l'autorité judiciaire en Guyane, un doublement du nombre de personnes interpellées devrait conduire à renforcer les effectifs judiciaires de :

- un magistrat du parquet et un greffier du parquet ;

- un juge des libertés et de la détention (JLD) et un greffier du JLD ;

- un à deux magistrats du siège généraliste, et un greffier correctionnel supplémentaires pour la première instance ;

- un magistrat du siège, un magistrat du parquet et un greffier supplémentaires pour la cour d'appel. En termes de procédures , des aménagements législatifs ne semblent pas nécessaires. Les outils juridiques existent , tant dans le code de procédure pénale que dans le code des douanes. Il revient désormais au parquet d'apprécier l'opportunité de s'en saisir afin d'adapter la politique pénale à la situation locale, afin de trouver un équilibre satisfaisant entre la bonne administration des tribunaux judiciaires, les places dans les maisons d'arrêt, et la nécessaire dissuasion.

À moyen terme, la construction d'une cité judiciaire et d'un centre pénitentiaire à Saint-Laurent-du-Maroni, attendue depuis des années, devrait améliorer la situation. La livraison est désormais prévue pour 2025, alors que l'échéance envisagée était initialement 2024. L'explosion du phénomène montre cependant qu'il y a urgence. L'État ne peut se permettre un retard sur ce chantier, qui devrait même être accéléré.

De la même manière, la construction de la cité judiciaire de Cayenne permettra aux magistrats de mieux faire face aux très nombreuses auditions liées aux passeurs de stupéfiants. Il serait nécessaire d'intégrer un dépôt à ces nouveaux bâtiments, afin de réduire les temps de garde des officiers de police judiciaire dans l'attente des audiences. La livraison de ces nouvelles structures était également prévue pour 2023, et est malheureusement progressivement repoussée.

c) Poursuivre la stratégie de dissuasion

Les interpellations ne peuvent cependant suffire pour faire face à la massification du trafic. Les procédures douanières, judiciaires ainsi que la réponse pénale sont individuelles et pas collectives. Un traitement de masse semble nécessaire, qui ne peut passer que par un renforcement de la politique de dissuasion .

Comme le démontre l'exemple des Pays-Bas, le renforcement des contrôles est fortement dissuasif . La liaison aérienne entre Paramaribo, au Suriname, et Amsterdam a été, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, confrontée au même phénomène avec des passeurs de cocaïne en provenance du Suriname. Face à l'ampleur du trafic, les autorités néerlandaises ont mis en place des contrôles renforcés sur les avions en provenance du Suriname ( politique dites de « contrôle à 100 % » , car l'ensemble des segments du vol sont contrôlés) ainsi qu'une « blacklist » permettant de refuser l'embarquement à toute personne déjà interpelée avec de la cocaïne. Selon l'OFAST, ce dispositif aurait permis de diminuer significativement le nombre de passeurs en provenance de Paramaribo interpellés à l'aéroport d'Amsterdam entre 2012 et 2017 (de 404 interpellations à 156). L'aéroport d'Orly, qui accueille la quasi-totalité des vols directs de Cayenne vers l'Europe (à l'exception, en haute saison, de quelques vols opérés par Air France qui arrivent ponctuellement à Roissy-Charles de Gaulle), devrait à terme s'aligner sur le processus mis en place entre Paramaribo et Amsterdam. La mission considère que l'effet dissuasif d'un contrôle de tous les passagers sur un moins un des vols hebdomadaires, qui changerait chaque semaine, complété par une communication appuyée à ce sujet en Guyane, serait réel . Certes, il s'agit d'un défi au regard des infrastructures aéroportuaires actuelles. Mais l'absence de contrôle systématique des passagers constitue un véritable « trou dans la raquette ».

L'installation des scanners à ondes millimétriques à l'aéroport de Cayenne devrait renforcer cette dissuasion . De même, la mise en place d' opérations de contrôle hebdomadaires aux abords de l'aéroport avec des équipes cynophiles mutualisées entre la police et la gendarmerie s'avère particulièrement dissuasive. En complément, des appels téléphoniques sont passés en amont du vol aux supposés passeurs de cocaïne, sur la base des ciblages préalables effectués par les services des douanes. Ce type d'opérations pourrait être intensifié.

Par ailleurs, lors du déplacement de la mission à l'aéroport d'Orly, les douanes ont indiqué que l'ensemble des segments des vols étaient contrôlés lors des arrivées en provenance de Cayenne . L'ensemble des bagages est ainsi passé au scanner et devant les équipes cynophiles. Des actions de communication gagneraient à être réalisées afin que ces actions soient mieux connues, notamment en Guyane.

Enfin, les arrêtés préfectoraux de refoulement ont démontré leur efficacité et doivent être maintenus . Ils participent de la pression qu'il faut mettre sur les organisations criminelles. Ils sont toutefois aujourd'hui pris sur le fondement de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit que « la police municipale est assurée par le maire, toutefois : [...] 3° Le représentant de l'État dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ».

Si cette appréciation a été validée par le tribunal administratif de Cayenne, la base législative de ces arrêtés reste fragile . Il pourrait donc être envisagé de permettre explicitement au préfet de prendre de tels arrêtés.

2. Viser l'allègement des procédures et la recherche d'efficacité
a) Employer chaque administration « au mieux de ses capacités »

Si la détection des mules n'est pas la principale difficulté, les suites à donner à leur interpellation en aval de la procédure douanière constituent un enjeu majeur . Le coeur de métier de la douane est la recherche des marchandises litigieuses, par la fouille des personnes et de leurs bagages. Un schéma relativement simple de ce qui devrait être peut être ébauché :

- dans les cas simples , la procédure douanière a pu permettre de mettre en lumière l'ensemble des éléments de l'enquête. La personne doit donc pouvoir être remise à la justice sans que cela nécessite une poursuite de l'enquête administrative.

- dans les cas plus complexes ( in corpore , mineurs ou soupçon d'éléments permettant de remonter un réseau), les passeurs de cocaïne doivent être remis à un OPJ afin que l'enquête puisse se poursuivre. Deux cas pourraient là encore être distingués : un premier niveau d'OPJ pourrait traiter les flux , tandis qu' un second niveau d'OPJ traiterait les cas plus complexes (les personnes impliquées dans les réseaux, voire les têtes de réseaux, ou les personnes accompagnant d'autres passeurs de cocaïne).

Il importe pour ce faire d'utiliser l'ensemble des possibilités offertes par le dispositif législatif, afin d'utiliser la procédure la plus adaptée. Aujourd'hui, lorsqu'un passeur de cocaïne est appréhendé par la douane, la retenue douanière est suivie d'une garde à vue lorsque le passeur est remis à un officier de police judiciaire, alors même que la procédure douanière a pu permettre de mettre en lumière l'ensemble des éléments intéressants du dossier. Le séquençage entre procédure douanière et procédure judiciaire n'est actuellement pas adapté au traitement d'un phénomène de masse comme celui des passeurs guyanais .

Deux possibilités existantes devraient être davantage utilisées :

- la réalisation de la procédure douanière sur le seul fondement de l'article 60 du code des douanes . Cet article prévoit un droit de visite général, qui permettrait aux agents des douanes de notifier aux passeurs de cocaïne des délits d'importation en contrebande de produits stupéfiants 37 ( * ) avec saisie des marchandises, sans placement en retenue douanière.

L'utilisation d'une telle procédure simplifiée, qui implique de poursuivre le passeur sur la seule base de l'infraction douanière, devra cependant se faire dans les limites posées par la Cour de cassation à l'occasion de son arrêt du 18 mars 2020 : l'audition libre de l'article 67 F du code des douanes ne peut avoir lieu au cours de l'exercice du droit de visite de l'article 60 lorsqu'il s'accompagne d'une mesure de contrainte 38 ( * ) ;

- la procédure de convocation par agent des douanes introduite par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui n'a pas encore été pleinement saisie par le ministère public. Le parquet de Cayenne envisage de recourir à ce dispositif à court terme. Cela permettrait d'alléger la procédure, en évitant la saisine systématique des services de police, avec autant de placement en garde à vue et de déferrements.

Ces deux procédures pourraient, dans les cas les plus simples, être combinées .

Lors des auditions a été évoquée à plusieurs reprises la possibilité de dissocier la saisie des stupéfiants et la poursuite des mis en cause . Un tel régime s'applique déjà en haute-mer en cas de découverte de produits stupéfiants. Aussi l'idée serait de permettre, dans certaines hypothèses, de saisir la cocaïne trouvée dans les bagages, sans déclencher la conduite immédiate de son propriétaire aux officiers de police judiciaire. Une telle évolution constituerait toutefois un signal très négatif vis-à-vis de la population , pour qui les questions de sécurité restent très sensibles, et vis-à-vis des passeurs , qui feraient sans doute davantage l'objet de mesures de rétorsion. Une réflexion sur l'échelle des peines devrait également être menée.

b) Améliorer la coordination entre les services

Les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants assurent , service par service, une coordination entre leurs implantations en Guyane et celles dans l'Hexagone .

Au sein de la gendarmerie, les informations sont échangées directement entre les services d'investigation, dans le cadre de simples demandes ou dans le cadre de co-saisines, qui permettent la réalisation d'actions simultanées en Guyane et dans l'Hexagone. La structure intégrée de la gendarmerie est en cela un atout.

Les services douaniers de Guyane transmettent, quant à eux, quotidiennement les ciblages réalisés sur place aux services situés dans l'Hexagone. Ces derniers sont ainsi en mesure de mener des contrôles à l'encontre des passagers ciblés ayant embarqué sans avoir subi de contrôles au départ de Cayenne. Ces contrôles sont alors assurés à Orly, lors de l'arrivée du vol. Toutefois, compte tenu du nombre de passeurs présents dans les vols, il arrive parfois que certains passagers ciblés puissent franchir les filtres sans subir de contrôle. Les douanes ont donc mis en place une cellule nationale spécialisée sur le vecteur terrestre et ferroviaire, qui a pour ambition de suivre le trajet des passeurs et de déterminer le moyen de transport emprunté (train, bus, co-voiturage, etc.). Ce même travail est réalisé lors du voyage retour, les passeurs étant alors susceptibles de convoyer de l'argent issu du trafic.

Outre cette coordination entre la Guyane et l'Hexagone, gagner en efficacité nécessite d'améliorer la coordination entre les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment à l'aéroport Félix Éboué .

Le groupe local de traitement de la délinquance, mis en place par le préfet et le procureur de Guyane, travaille ainsi à l'établissement d'un nouveau contrat opérationnel visant à améliorer la coordination locale des services afin de renforcer leur complémentarité.

Les différents services ont également tous évoqué la possibilité de créer, au sein du détachement de l'OFAST, une cellule de coordination de la lutte contre le trafic de stupéfiants au sein de l'aéroport .

Les rapporteurs adhèrent pleinement à la nécessité de mieux coordonner les actions des différents services. Avant de multiplier les structures, ils considèrent toutefois que les nouvelles structures, notamment la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS) qui a été mise en place au début de l'été 2020, devront être évaluées pour voir s'il est nécessaire de créer une nouvelle instance ou s'il peut être envisagé d'élargir les missions des structures existantes. Au sein de la CROS en effet, l'amélioration de la coordination opérationnelle repose sur une instance de pilotage renforcé associant, au niveau territorial, l'ensemble des services de police, de gendarmerie et de la douane et permettant un partage de l'information entre tous les acteurs et une meilleure prise en compte des dossiers d'enquête. Cette cellule a une vocation large, puisqu'elle suivra l'ensemble du trafic de stupéfiants en Guyane et non pas uniquement le phénomène des passeurs transportant de la cocaïne à destination de l'Hexagone. Il pourrait donc être envisagé de créer en son sein une structure spécifiquement chargée de coordonner l'action des différents services à l'aéroport. Cela nécessiterait un abondement en personnel estimée par la police à trois effectifs (un policier, un douanier et un gendarme).

Enfin, il est à souligner que certains aménagements opérés au sein de l'aéroport Félix Eboué par la CCI Guyane, gestionnaire du site, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants mobilise financièrement la chambre. Considérant la part importante que représente le trafic de drogue en provenance de Guyane au niveau de la France, la mission considère qu'un soutien financier substantiel devrait être apporté à l'aéroport de Cayenne au titre du plan national de lutte anti-drogue.

c) Réduire les délais de traitement

Les acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants l'ont tous souligné, la principale difficulté est la saturation de leurs forces du fait des personnels nécessaires au traitement d'un seul passeur . Les transfèrements représentent à cet égard une proportion non négligeable du « temps fonctionnaire » consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela s'explique par les distances à parcourir, de Saint-Laurent-du-Maroni jusqu'à Cayenne, ou de l'aéroport jusqu'aux chambres médicalisées ou aux tribunaux.

Les transfèrements sont ainsi à l'origine de tensions entre les services , tant en Guyane que dans l'Hexagone. Les douaniers considèrent que cela ne relève pas de leur coeur de métier, tandis que les services de police et de gendarmerie estiment que cette mission obère leur capacité à traiter leurs autres missions (sécurité publique et orpaillage illégal à Saint-Laurent-du-Maroni, par exemple). Le temps dédié aux transfèrements est en effet conséquent, et ce pour l'ensemble des services. Comme le souligne Gil Lorenzo, sous-directeur des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude, jusqu'à la création de l'antenne de l'OFAST à Orly, les douaniers devaient convoyer les personnes interpellées jusqu'à Roissy, ce qui est encore le cas lorsque l'antenne de l'OFAST est saturée. Les douaniers réalisent également le convoyage jusqu'à l'Hôtel Dieu lorsque les passeurs ont de la drogue in corpore . L'ensemble de ces remises a nécessité le parcours de 22 000 km et un temps de transport des escouades douanières de l'ordre de 1 800 heures en 2019.

Réduire ces temps de transport est donc une priorité . S'ils peuvent être limités pour certaines procédures, ils sont incompressibles dans d'autres cas. Les réduire nécessite donc de rapprocher les différents lieux de traitement des passeurs de stupéfiants.

Le plus efficace consisterait sans doute à suivre le modèle mis en place autour de l'aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, où un véritable complexe dédié au traitement des « mules » a été construit . Là, les chambres carcérales médicalisées et le tribunal sont présents sur place, réduisant d'autant les délais de traitement et l'embolisation progressive des services. Cette stratégie est fortement dissuasive, en ce qu'elle permet un traitement des affaires quasi en temps réel. C'est elle qui explique en partie les phénomènes de report du trafic depuis l'aéroport de Paramaribo vers celui de Félix Éboué.

Plusieurs évolutions pourraient être ainsi envisagées en France :

En Guyane, outre la con struction d'une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni qui permettra d'éviter aux acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants d'amener les passeurs jusqu'à Cayenne, la construction de chambres carcérales médicalisées plus proches de l'aéroport constituerait un gain de temps certain. Une localisation proche du centre de rétention administrative, situé sur la route allant vers l'aéroport, a ainsi été évoquée. Cela nécessiterait toutefois l'installation d'équipes médicales sur place. À court terme, quatre nouvelles chambres de ce type, prévues dans les accords de Guyane de 2017, devraient finalement être livrées au second semestre de l'année 2020 au centre hospitalier de Cayenne.

La création d'un véritable complexe médico-judiciaire devrait être envisagée à l'aéroport d'Orly . La mise en place de chambres carcérales médicalisées, en particulier, pourrait être réfléchie. Les gains nets en temps fonctionnaire devraient toutefois être évalués, car le temps gagné sur les transfèrements seraient peut être perdus par des temps de garde supplémentaires 39 ( * ) .

Par ailleurs, les transfèrements sont aujourd'hui réalisés dans les véhicules des services de police ou de la douane, y compris lorsque les passeurs transportent de la cocaïne in corpore . Dans ce dernier cas, il pourrait toutefois être envisagé que ces personnes soient transportés en véhicule médicalisé.

3. Renforcer l'action structurelle contre les réseaux et les filières
a) Renforcer les échanges d'informations entre les services

Dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre le trafic de stupéfiants présenté en septembre 2019, des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROS) devraient être mises en place dans tous les départements avant fin 2020. Celle de Guyane a vu le jour le 1 er juillet 2020.

La création de ces structures devrait permettre de favoriser l'identification et le démantèlement des réseaux guyanais, ainsi que la prévention de la résurgence des trafics. Pour ce faire, les échanges d'information entre les services devront être améliorés. Ces cellules auront aussi pour rôle de définir le choix du traitement des cas (administratif ou judiciaire), ce qui permettra une meilleure coordination de l'action des acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants.

b) Renforcer l'action des différents services dans la lutte contre les réseaux et le blanchiment

Les différents acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants doivent concentrer leur action sur le démantèlement des réseaux, seul à même de mettre un frein au trafic .

La gendarmerie , qui dispose d'une brigade de recherche à effectifs renforcés dans l'ouest guyanais, mène des investigations sur cette zone particulièrement impactée par le trafic de stupéfiants - mais également par d'autres problématiques, comme la logistique de l'orpaillage illégal par exemple. La structure intégrée est en cela un avantage, car elle permet de mener des enquêtes sur l'ensemble de la structure du réseau, de Saint-Laurent-du-Maroni aux villes province de l'Hexagone.

Les douanes disposent également d'un service de renseignement à compétence nationale, qui se concentre notamment sur les flux financiers issus du trafic de cocaïne en lien avec les filières guyanaises . Les schémas de blanchiment sont bien structurés : des réseaux spécialisés ont pris en main ce type de trafic. La douane mène donc des opérations visant à comprendre le fonctionnement des réseaux de fraude, à détecter les complicités, et à appréhender les flux financiers illicites. La douane dispose en effet d'une expertise unique sur le transport de capitaux, par le prisme du blanchiment douanier.

À titre d'exemple, lors des deux opérations interministérielles de renforcement des contrôles conduites sur deux fois trois mois, 20 affaires portant sur des flux financiers illicites ont été mises à jour, pour un montant total de 404 242 euros. Six de ces vingt affaires ont été relevées en Guyane, pour un montant de 87 800 euros. Ainsi, en Guyane, les opérations portant sur les flux financiers illicites relatifs au trafic de stupéfiants ont donné les résultats suivants :

Blanchiment

2017

2018

2019

Nombre de contentieux

6

14

7

Montants saisis ou retenus

83 275 €

223 136 €

125 880 €

Source : direction régionale des douanes de Guyane

La douane n'a toutefois pour l'instant pas relevé de lien entre trafic de stupéfiants et orpaillage illégal, alors qu'il pourrait s'agir d'un moyen de blanchir l'argent de la drogue.

Les actions de lutte contre le blanchiment et de saisie des avoirs criminels doivent constituer une priorité de la lutte contre le trafic de stupéfiants. La fragilisation des réseaux passe par la multiplication des saisies et l'affaiblissement des circuits logistiques de blanchiment.

c) Réorienter l'OFAST sur le démantèlement des réseaux

L'OFAST, service qui devrait être centré sur le démantèlement des réseaux, est aujourd'hui trop centré sur le traitement quantitatif des passeurs de cocaïne . À titre d'exemple, le détachement de l'OFAST en Guyane traite plus de 80 % du volume total des remises des passeurs découverts par la douane et la police aux frontières sur le territoire guyanais, ainsi que l'ensemble du contentieux relatif au trafic de stupéfiants. En 2019, le détachement a assuré 455 déferrements, soit près de la moitié de l'ensemble des déferrements effectués au tribunal judiciaire de Cayenne. Faute de dépôt au sein de ce tribunal, les escortes représentent en 2019 plus de 2 300 heures, soit 290 journées de travail. Ce service, du fait du nombre de personnes qui lui est remis, se trouve rapidement engorgé. Cela impose parfois aux services de la douane soit de garder les personnes interpellées au-delà de la procédure douanière, soit de lever temporairement leur dispositif de contrôle.

Dans l'Hexagone, l'OFAST est également le service de remise le plus sollicité. Le protocole interministériel du 27 mars 2019 fait en effet de l'OFAST le service de remise désigné pour les affaires au-delà de 2 kg de cocaïne, pour toutes les affaires de stupéfiants in corpore et en cas d'éléments d'extranéité. La remise de tous les infracteurs à un service unique provoque cependant parfois un engorgement du service, préjudiciable au traitement des flagrances. Par ailleurs, l'organisation de l'antenne de l'OFAST à Orly interdit les remises entre 22 heures et 8 heures, ce qui conduit parfois les services douaniers à devoir prolonger la retenue douanière sans justification procédurale.

Cette situation pénalise les capacités d'initiative de ces structures spécialisées dans le démantèlement des réseaux de stupéfiants.

Au niveau guyanais, plusieurs solutions alternatives peuvent être proposées afin de ne remettre à l'OFAST que les personnes pour lesquelles des éléments permettent de suspecter la possibilité de démanteler un réseau :

- à court terme, le groupe local de traitement de la délinquance travaille actuellement à un nouveau contrat opérationnel qui devrait être établi avec les services de police et de gendarmerie, visant notamment à orienter l'action des services spécialisés comme l'OFAST sur le traitement des commanditaires et non celui des passeurs. Cela conduira potentiellement à permettre la remise de certains passeurs à des policiers ;

- dans la même veine, l'antenne de l'OFAST n'a pas été rattachée à la direction territoriale de la police nationale lors de sa création en janvier dernier. Le directeur territorial a regretté cette situation, indiquant que le rattachement précédent de l'antenne de l'OFAST à la police judiciaire permettait une mutualisation des moyens matériels et humains. La mission considère qu'à l'issue d'un premier bilan du fonctionnement de la direction territoriale de la police nationale, il pourrait être envisagé d'y rattacher l'OFAST afin de permettre au détachement de se concentrer sur les enquêtes en déléguant les transfèrements à d'autres personnels de la police.

- plus structurellement, il pourrait être envisagé de créer au sein de l'OFAST une équipe de quelques personnes dédiée au flagrant délit mules au sein de l'aéroport, les OPJ de l'OFAST ne s'occupant que des cas plus complexes .

Par ailleurs, le recours à des procédures simplifiées, notamment les procédures exclusivement douanières, permettra également de libérer du temps d'enquête pour les antennes de l'OFAST sur le territoire, alors même qu'elles sont aujourd'hui, comme le regrette Stéphanie Cherbonnier, responsable de l'OFAST, « quasiment exclusivement mobilisées sur le traitement des suites de procédures douanières, sans développement procédural ultérieur ».

Afin de favoriser la coordination entre les différents services ainsi que la conduite des enquêtes par l'antenne locale de Guyane de l'OFAST, il pourrait être envisagé d' intégrer un douanier à cette structure , actuellement composée exclusivement de policiers et de gendarmes.

Dans l'Hexagone, les remises à l'OFAST sont moins systématiques, mais conduisent tout de même à un volume de traitement de flagrance non négligeable. La responsable de l'OFAST a indiqué à l'occasion de son audition qu' un nouveau groupe devrait être créé à Orly en 2022 afin de prendre en compte le contentieux .


* 36 L'image de l'entonnoir a été utilisée à plusieurs reprises.

* 37 Article 414 du code des douanes.

* 38 Cour de cassation, chambre criminelle, 18 mars 2020, 19-84372.

* 39 Le gardiennage des chambres médicalisées au sein de l'unité Cuzco, à l'hôtel Dieu, étant réalisé par la préfecture de police de Paris.

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