B. UN ANCRAGE INDÉNIABLE, QUOIQUE AMBIGü, DANS L'UNION EUROPÉENNE

La Hongrie a rejoint l'Union européenne le 1 er mai 2004 et l'espace Schengen en 2007, mais n'est pas membre de la zone euro. Elle a présidé le Conseil de l'Union européenne au cours du premier semestre 2011.

Pour autant, son attitude à l'égard de l'Union européenne demeure ambivalente.

1. L'attachement hongrois à l'Union européenne

Les responsables hongrois rencontrés par les rapporteurs ont tous insisté sur l' importance de l'appartenance de leur pays à l'Union européenne, qui a culminé lors de son adhésion, même s'ils ont estimé que l'Union devait avoir une approche équilibrée de tous les États membres.

D'abord , ces responsables ont indiqué que les Hongrois étaient des Européens convaincus et qu'il n'y avait pas de débat sur leur adhésion aux valeurs européennes. Le président de l'Assemblée nationale hongroise a ainsi affirmé que le futur de la Hongrie s'envisageait évidemment en Europe et qu'une autre voie n'était pas pensable pour elle. L'Europe dans laquelle la Hongrie conçoit son avenir est une Europe forte, laquelle requiert des États membres forts conservant leur souveraineté.

C'est même en Hongrie que le sentiment d'appartenance à l'Union européenne serait le plus élevé, même si cette affirmation doit être nuancée, selon les enquêtes d'opinion conduites pour la Commission européenne.

L'opinion publique hongroise selon l'Eurobaromètre 2019

Le sentiment d'être heureux de vivre dans l'Union européenne est majoritaire dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne, avec toutefois des écarts nets : ce sentiment varie de 53 % au Royaume-Uni, où il est le plus faible, à 93 % aux Pays-Bas, où il est le plus élevé. À l'inverse, la part de personnes interrogées en désaccord avec cette idée dépasse les 30 % dans quatre États membres, dont la Hongrie (31 %). Il est vrai que le sentiment d'être heureux de vivre dans son pays, s'il est nettement majoritaire dans l'ensemble des États membres, est aussi le plus faible en Hongrie (69 %). Toutefois, le sentiment d'être heureux de vivre dans l'Union européenne a progressé par rapport à l'année précédente dans de nombreux États membres, notamment en Hongrie (+ 8 points) .

L'année 2019 a également été marquée par une hausse de la confiance à l'égard des institutions européennes dans la totalité des États membres, à l'exception du Royaume-Uni. Ce regain de confiance a été relativement marqué en Hongrie : + 21 points pour la confiance à l'égard du Parlement européen, + 18 points pour la confiance à l'égard de la Commission européenne et + 15 points pour la confiance à l'égard de la Banque centrale européenne. 67 % des Hongrois faisaient confiance au Parlement européen, pour une moyenne européenne de 51 %, 62 % à la Commission européenne (moyenne européenne de 46 %), et 56 % à la Banque centrale européenne (moyenne européenne de 42 %). Sur chacun de ces items, la progression constatée dans l'opinion publique hongroise figure parmi les plus importantes . De même, les Hongrois sont 52 % à avoir confiance dans le Conseil, l'un des taux les plus élevés parmi les États membres.

Quant à la confiance envers l'Union européenne, elle s'établissait à 55 %, contre 40 %, redevenant ainsi majoritaire, mais elle était de 72 % en Lituanie (et de 33 % en France). Pour 63 % des Hongrois, l'Union européenne est protectrice. 53 % d'entre eux estiment que l'Union prend bien en compte les intérêts nationaux (en milieu de classement). La Hongrie compte parmi les pays où le terme protectionnisme est connoté négativement (56 %). Le même pourcentage de Hongrois souhaitent plus d'Europe, soit une hausse conséquente de 11 points.

Par ailleurs, l'attachement témoigné à l'Europe , majoritaire dans 26 États membres, est nettement marqué en Hongrie (79 %) , le taux le plus élevé (86 %) s'observant au Luxembourg. La libre circulation des personnes, des biens et des services au sein de l'Union arrive en tête des résultats les plus positifs de l'Union européenne dans 21 États membres, dont la Hongrie (73 %), dans le haut du classement. Le sentiment d'être Européen est très fort en Hongrie (76 %, pour une moyenne européenne de 65 %). Le sentiment de proximité des États membres en termes de valeurs partagées a progressé dans 20 pays, notamment en Hongrie (+ 10 points, à 61 %). En revanche, dans six États membres, dont la Hongrie (43 % contre 53 %), une majorité de personnes interrogées est en désaccord avec l'idée que le pays devrait aider les réfugiés.

Source : Eurobaromètre Standard 91 , L'opinion publique dans l'Union européenne et La citoyenneté européenne , juin 2019.

Le gouvernement doit donc tenir compte d'une opinion publique hongroise globalement pro-européenne.

Il est vrai que la Hongrie tire avantage de sa participation aux grandes politiques européennes, en particulier le marché unique et la politique de cohésion.

Le pays est en effet un bénéficiaire important des fonds structurels, à hauteur de plus de 25 milliards d'euros au titre du cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 .

La Hongrie, l'un des principaux bénéficiaires des fonds structurels européens

Sur la programmation 2007-2013, la Hongrie a été l'un des principaux bénéficiaires des fonds européens après la Pologne et la République tchèque. Au titre de la politique de cohésion, elle a reçu 25,3 milliards d'euros, soit 3 % du PIB et 57 % des dépenses publiques en capital. Cela représentait 304 euros par habitant chaque année. Ces crédits ont été principalement alloués aux transports (31 % des fonds), aux infrastructures environnementales (20 %), au soutien aux entreprises et à l'innovation (18 %) et aux infrastructures sociales (15 %). La Hongrie a absorbé 94 % de ces fonds. Les autorités auraient cherché à consommer les fonds européens le plus vite et le plus complètement possible, sans trop se soucier du respect des critères d'utilisation ni de leur justification. Le résultat est un saupoudrage : 60 000 projets auraient ainsi bénéficié de cofinancements européens en Hongrie sur la période 2007-2013, y compris des achats de photocopieurs ou de mobilier.

Pour la période 2014-2020, la Hongrie a bénéficié de 21,9 milliards d'euros au titre de la politique de cohésion. À ceci, il convient d'ajouter 3,45 milliards au titre du FEADER 5 ( * ) et 39 millions au titre du FEAMP 6 ( * ) , soit un montant total de 25,013 milliards d'euros, ce qui situe une fois encore la Hongrie à la troisième place des pays bénéficiaires, après la Pologne et la Roumanie. Cette somme correspond au versement de 422 euros par habitant et par an. Avec un cofinancement national de 4,6 milliards d'euros, le budget total programmé pour la Hongrie atteint le niveau de 29,647 milliards. Au 22 novembre 2019, le taux de consommation de ces crédits s'établissait à 34 %.

Source : Direction générale du Trésor et entretiens sur place.

Ensuite , les responsables hongrois rencontrés à Budapest ont souligné l'attente de leur pays pour une Union européenne forte , « seule solution pour exister face à la Russie, aux États-Unis ou à la Chine », tout en récusant la notion d'États-Unis d'Europe. De même, plusieurs d'entre eux ont considéré que l'Europe n'avait rien à gagner à une guerre commerciale avec les États-Unis et la Chine, et entre ceux-ci.

Plusieurs responsables hongrois, en particulier le président de l'Assemblée nationale et celui de la commission des affaires européennes, ont ainsi souligné l' existence de convergences entre les positions hongroises et les positions de l'Union européenne, et aussi celles de la France, sur de nombreux dossiers :

- la nécessité de parvenir à un accord sur le CFP 2021-2027 et le plan de relance adopté lors du Conseil européen des 17 au 21 juillet 2020 : cet accord a été qualifié de « très bonne chose » et montre que les dirigeants européens peuvent dépasser des intérêts nationaux éventuellement divergents, en dépit des réticences traditionnelles de la Hongrie envers l'endettement du fait des « souvenirs cuisants » laissés par la dette publique contractée à l'époque communiste ;

Les positions hongroises lors du Conseil européen de juillet 2020

Sur le CFP 2021-2027, le Parlement hongrois, dans la perspective du Conseil européen de juillet dernier, avait adopté une résolution fixant plusieurs objectifs au gouvernement 7 ( * ) :

- les États membres dans une situation comparable à celle de la Hongrie devaient être traités équitablement. Viktor Orban a indiqué avoir obtenu 3 milliards d'euros supplémentaires au titre de la politique de cohésion (20 milliards) par rapport à la proposition initiale (17,9 milliards) qui désavantageait la Hongrie. Cependant, si elle obtient effectivement ces 3 milliards, il convient de rappeler que la Hongrie a bénéficié de 25 milliards d'euros au titre du CFP 2014-2020, donc il s'agirait en réalité d'une baisse de 5 milliards par rapport au CFP en cours ;

- les citoyens des pays riches ne doivent pas recevoir plus que ceux des pays pauvres. Le Premier ministre a affirmé que la dotation de la Hongrie au titre de la politique de cohésion équivalait à 1,8 % du PIB du pays, soit le 3 e meilleur résultat après la Bulgarie et la Croatie. Néanmoins, même si la Hongrie s'est opposée aux rabais en faveur des pays riches, ils ont été maintenus ;

- la procédure de l'article 7 8 ( * ) doit être arrêtée avant que le CFP et le plan de relance ne soient adoptés. La Hongrie n'aurait reçu qu'une « promesse » allemande selon laquelle cette procédure serait terminée d'ici la fin de l'année, promesse qui ne préjuge toutefois en rien le sens de la décision finale ;

- le versement de financements européens ne saurait être corrélé à la situation de l'État de droit 9 ( * ) . Viktor Orban, se prévalant d'avoir « défendu la fierté nationale hongroise », a indiqué que « des progrès notables ont été obtenus » au Conseil européen, les conclusions de ce dernier ne faisant pas explicitement allusion à des rétorsions financières pour atteinte à l'État de droit. Pour autant, « un régime de conditionnalité » est bien introduit dans le texte qui prévoit une décision du Conseil à la majorité qualifiée, et non à l'unanimité, même si la rédaction reste ambiguë et fait l'objet de négociations en cours. La Hongrie demande le retrait de la proposition de la Commission de 2018 sur la sauvegarde des intérêts financiers de l'Union et la présentation d'un nouveau texte.

Le « retour » de la Hongrie au titre du futur CFP et du plan de relance s'établirait à 40,7 milliards d'euros sur la période - sa contribution s'élèverait à 11 milliards -, auxquels il convient d'ajouter la possibilité de contracter un prêt de 10 milliards, soit, au total, 2,8 % du PIB national. La moitié de ce montant (20,06 milliards d'euros) relève des fonds de cohésion, ce qui, on l'a vu, correspond à une diminution de ces crédits. De même, la Hongrie voit ses crédits au titre de la PAC reculer de 17 %, et de même de 26 % sur le deuxième pilier (FEADER). Elle souhaiterait que le plafond de dépenses consacrées à la protection des frontières au sein du Fonds asile et migration soit relevé de 30 % à 35 %. Elle n'a pas de difficultés particulières avec le compromis de 30 % minimum des dépenses allouées à l'objectif climatique.

- la politique agricole commune , pour laquelle « la parole française est inspirante », alors que les pays d'Europe du Nord ne comprennent pas pourquoi l'agriculture est une question aussi importante ;

- le climat : la Hongrie compte parmi les premiers pays d'Europe à avoir signé l'accord de Paris sur le climat, le 22 avril 2016, puis à l'avoir ratifié, le 5 octobre suivant ; néanmoins, la Hongrie avait, dans un premier temps, soutenu les réserves de pays d'Europe centrale sur le Green Deal et demandé des assurances sur le financement de la transition ;

- l'Europe de la défense : pour la Hongrie, la défense constitue un domaine où demeure un potentiel d'intégration européenne. C'est pourquoi elle est favorable à une capacité militaire de l'Union européenne et soutient les positions françaises sur ce sujet. Le gouvernement hongrois a d'ailleurs adopté un programme de modernisation des forces hongroises, dénommé « Zrinyi 2026 » 10 ( * ) , qui vise à accroître le budget militaire et dont l'objectif est de pouvoir participer plus activement à la construction de l'Europe de la défense ;

- le Brexit : la Hongrie regrette la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne, d'autant plus que le référendum de 2016 a divisé la société britannique. Les dirigeants hongrois ont réitéré leur confiance en Michel Barnier, qualifié de « négociateur très crédible », et estimé que les Britanniques jouaient un jeu tactique très dangereux. Ils ont aussi jugé que la sortie de l'Union devait avoir un prix élevé et qu'il était indispensable de fixer des conditions à l'accès au marché intérieur. La priorité de la Hongrie dans les négociations est de maintenir des liens aussi étroits que possible, en particulier dans le domaine économique, entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, ainsi qu'en bilatéral, avec une attention particulière pour la situation des ressortissants hongrois au Royaume-Uni (de 150 000 à 200 000 personnes, dont beaucoup de médecins et de personnel médical dans le National Health Service ). Bien que le Royaume-Uni ne soit que le 12 e partenaire commercial de la Hongrie, le PIB hongrois pourrait souffrir davantage du Brexit que la moyenne européenne. Par ailleurs, la Hongrie comprend les inquiétudes irlandaises - il existe d'ailleurs un dicton hongrois selon lequel « l'Irlande est la Hongrie de l'Ouest ». Pour les Hongrois, le Brexit va entraîner un nouvel équilibre des forces en Europe, et la coopération franco-allemande devrait gagner en importance ;

- l'avenir de l'Europe : plusieurs responsables hongrois ont affirmé très clairement vouloir que leur pays participe aux travaux de la conférence sur l'avenir de l'Europe, qui constitue une opportunité importante pour faire progresser la construction européenne. Ils ont également approuvé nombre d'orientations fixées dans l'article que le nouveau secrétaire d'État français chargé des affaires européennes, Clément Beaune, a publié dans la revue Politique étrangère 11 ( * ) . Par ailleurs, ils se sont dits attentifs à la place des parlements nationaux : leur voix doit être entendue à Bruxelles, ne serait-ce que pour veiller au respect du principe de subsidiarité et au bon fonctionnement de la procédure du « carton jaune ».

Naturellement, la Hongrie a forgé des positions qui lui sont propres sur certains sujets européens tels que : l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans occidentaux , dont elle est un fervent partisan, en particulier à la Serbie - dont le président Aleksandar Vucic est un proche de Viktor Orban et où vit une importante minorité hongroise - et au Monténégro 12 ( * ) ; la directive relative aux travailleurs détachés , contre la révision de laquelle elle avait voté, avec de nombreux autres États membres d'Europe centrale et du Nord, estimant que cette révision portait préjudice à la compétitivité de son économie ; la concertation informelle au niveau infra-européen au sein du groupe de Visegrád (V4) , dont la Hongrie est membre avec la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque.

Toutefois, comme l'a relevé à juste titre le président de l'Assemblée nationale hongroise, sur bien des sujets européens, des compromis peuvent être trouvés, dans l e respect des valeurs de chacun.

2. Mais des positions souvent hétérodoxes

Au niveau symbolique, les rapporteurs ont pu relever qu'à l'exception du palais présidentiel, aucun bâtiment officiel de Budapest n'était pavoisé aux couleurs européennes . Le drapeau européen n'était pas davantage déployé dans les salles de réunion où ont eu lieu les différents entretiens.

De manière générale - et ce constat a été flagrant au cours du déplacement de la délégation -, les autorités hongroises sont critiques à l'égard des évolutions que l'Union européenne a connues, selon elles, depuis l'adhésion du pays en 2004 .

Ainsi, plusieurs responsables hongrois ont estimé que l'Europe n'était plus la même que celle à laquelle leur pays avait adhéré. Alors que la Hongrie est attachée au respect des souverainetés nationales et s'abstient de commenter les affaires intérieures des autres États membres, les institutions de l'Union européenne et plusieurs États membres cherchent à intervenir dans les affaires intérieures hongroises. La ministre de la justice et des affaires européennes, Judit Varga, a ainsi noté que les institutions de l'Union européenne essayaient d'obtenir des pouvoirs que les traités ne leur donnaient pas dans le but d'accroître leurs compétences. Selon elle, les conflits entre Budapest et Bruxelles sur l'État de droit 13 ( * ) sont nés de cette divergence d'interprétation.

Ce fort attachement hongrois à la souveraineté nationale s'illustre par exemple en matière économique, avec le concept d' « économie patriote » qui conduit la Hongrie à privilégier ses intérêts nationaux dans la recherche de marchés, et donc à ne pas donner nécessairement la priorité à l'Europe. Les dirigeants hongrois ont d'ailleurs expliqué que la préservation de sa souveraineté économique avait permis à leur pays de connaître de réels succès au cours des dernières années, à commencer par une croissance soutenue et le plein emploi, alors qu'à l'époque de la crise financière de 2008, la Hongrie avait fait faillite avant la Grèce, ce que l'on oublie souvent.

Il a été rapporté à la délégation que certains secteurs de l'économie étaient volontairement « magyarisés » , en particulier l'énergie et la grande distribution. L'économie serait souvent gérée selon le principe « la famille et les amis ». Des propriétaires hongrois d'hôtels et de restaurants subiraient même parfois de fortes pressions pour vendre leurs commerces à bas prix. Cette pression serait toutefois bien moindre dans le secteur manufacturier car l'Allemagne veillerait à assurer ses parts de marché. L'industrie automobile bavaroise, notamment, est très présente et influente en Hongrie et auprès du Fidesz 14 ( * ) .

De même, la gestion de la crise sanitaire aurait, selon plusieurs interlocuteurs hongrois, démontré que les États membres réagissaient plus vite que les institutions européennes.

Plusieurs responsables hongrois ont également souligné la constance de leurs valeurs sociales, la famille en premier lieu , alors qu'ils constatent une évolution sociétale en Europe occidentale qu'ils déplorent. La politique nataliste conduite par les autorités hongroises prend la forme de diverses mesures incitatives, financières en particulier. Il existerait toutefois des discriminations, par exemple à l'encontre des couples non mariés et des couples de même sexe, voire des mères célibataires. Plus généralement, les incitations financières ne suffisent pas toujours, par exemple si les droits des femmes sont insuffisamment protégés.

Enfin, ils ont également regretté l'existence de « doubles standards » et noté que, en dépit des « leçons » faites à la Hongrie, certaines décisions européennes paraissent dictées davantage par l'intérêt de certains « grands » États membres que par le respect des valeurs européennes ; la révision de la directive relative au détachement des travailleurs en constitue un exemple.

En matière de relations extérieures, la Hongrie adopte parfois des positions éloignées des positions européennes.

Le ministère hongrois des affaires étrangères et du commerce extérieur consacre une part importante de son activité à la diplomatie économique, ainsi qu'aux relations avec certains pays émergents - ce que le gouvernement appelle la politique d'« ouverture vers l'Est » .

La Hongrie affiche une certaine proximité avec la Russie . La coopération entre les deux pays est particulièrement développée dans le secteur énergétique, dans un contexte de dépendance aux hydrocarbures russes - même si les dirigeants rencontrés par la délégation ont insisté sur leurs efforts de diversification de l'approvisionnement en énergie. Le contrat d'extension de la centrale nucléaire de Paks a été attribué en 2014 à la société russe Rosatom. Ce partenariat est un irritant avec ses partenaires du groupe de Visegrad.

Certains dirigeants hongrois ont également souligné l' importance de la Turquie qui, pour des raisons historiques, connaît bien leur pays. Selon eux, la Turquie doit être considérée comme « un pays allié » , en tant que membre de l'OTAN et acteur primordial à la fois dans les relations avec les pays du Proche-Orient et sur le dossier migratoire. Même si le retour au culte de la basilique Sainte-Sophie a été qualifié de « provocation », de nombreuses positions turques hostiles à l'Union européenne n'ont pas été mentionnées ni commentées.

La Hongrie se veut également proche de la Chine 15 ( * ) . Elle appartient au format de coopération dit « 17 + 1 » entre la Chine et les pays d'Europe centrale et orientale. Cette structure ne saurait toutefois fonctionner que dans le respect de la législation et des valeurs de l'Union européenne. En décembre 2014, les gouvernements chinois, serbe et hongrois ont signé un accord pour un projet de liaison ferroviaire entre Belgrade et Budapest, financée par des capitaux chinois 16 ( * ) . De même, les résultats des enchères de la 5G ont validé le recours aux équipementiers chinois. Un « pont aérien » avait été mis en place avec la Chine au printemps dernier, lors de la crise sanitaire ; il a désormais cessé, mais avait fait l'objet d'une intense communication de la part des autorités hongroises. Il aurait permis de livrer 90 millions de masques et 40 millions de vêtements de protection au pays, les dons occupant une portion congrue 17 ( * ) . Par ailleurs, de nombreux Chinois ont bénéficié du programme hongrois d'obligations de résidence, dit Residency Bonds , supprimé fin mars 2017, pour s'installer dans l'espace Schengen en échange de 300 000 euros. Enfin, la Hongrie a bloqué l'adoption de plusieurs positions communes de l'Union européenne sur la situation des droits de l'Homme en Chine, dans le cadre du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, à Genève.

Récemment, dans le cadre de la négociation sur la mise en oeuvre du CFP 2021-2027 et du plan de relance, le gouvernement hongrois a exprimé son opposition ferme à toute conditionnalité liant les financements européens au respect de l'État de droit . Réagissant à une proposition de la Présidence allemande du Conseil de l'Union européenne sur une telle conditionnalité, Judit Varga a estimé que cette proposition consistait en une modification unilatérale des traités, s'assimilait à un chantage - « des exigences politiques et idéologiques » a-t-elle déclaré lors de la réunion du Conseil Affaires générales du 13 octobre dernier - et n'était pas conforme aux conclusions du Conseil européen de juillet 2020, qui s'était mis d'accord sur un mécanisme de protection du budget européen et non sur un mécanisme relatif à l'État de droit. La Hongrie , rejointe par la Pologne sur ce dossier, menace de bloquer ces négociations, et donc la mise en oeuvre du plan de relance , si le texte sur l'État de droit ne lui convient pas, alors que les pays scandinaves, ainsi que la Belgique et les Pays-Bas, mais aussi le Parlement européen, demandent un mécanisme fort de conditionnalité.

On le sait, la question de l'État de droit est, plus généralement, le principal point d'achoppement entre la Hongrie et l'Union européenne.


* 5 Fonds européen agricole pour le développement rural (2 e pilier de la politique agricole commune).

* 6 Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.

* 7 Cette résolution n'avait été adoptée qu'avec les seules voix du Fidesz. L'opposition a ensuite demandé la réunion du parlement en session extraordinaire pour faire le bilan de ce Conseil européen. Mais tant le gouvernement que la majorité ont refusé, ce qui a empêché une telle séance (absence de quorum).

* 8 Procédure relative au respect de l'État de droit ( cf . infra ).

* 9 Cf . infra sur ce point.

* 10 Ce programme décennal de modernisation des forces armées hongroises a été présenté en décembre 2016 par le ministère de la défense. Son objectif est de positionner la Hongrie comme allié fiable et engagé au sein de l'OTAN et partie prenante du renforcement de la défense européenne. L'armée hongroise s'approvisionne d'ailleurs principalement auprès des constructeurs européens, notamment français et allemands. Ce programme se fixe pour objectif d'atteindre un budget de la défense équivalent à 2 % du PIB en 2024, selon une hausse graduelle qui lui permettra d'atteindre l'équivalent de 11,4 milliards d'euros en fin de période. Il accorde une importance particulière à l'augmentation des effectifs et au développement d'une réserve opérationnelle, ainsi qu'à la promotion de l'attractivité de l'armée. La hausse du budget militaire devrait permettre le développement capacitaire des forces terrestres et aériennes. Ce programme vise aussi à reconstruire l'industrie de défense hongroise, à moderniser le matériel militaire et à renforcer les capacités logistiques.

* 11 L'Europe, par-delà le Covid-19 , revue Politique étrangère , automne 2020, pages 9 à 29.

* 12 La Hongrie a aussi joué un rôle dans la fuite de l'ancien Premier ministre de Macédoine du Nord, Nikola Gruevski, à qui Budapest a donné l'asile politique.

* 13 Cf . infra sur ce point.

* 14 Sur les liens entre le gouvernement hongrois et l'industrie automobile allemande, on pourra se reporter à l'article de Panyi Szabolcs, How Orban played Germany, Europe's great power , publié le 18 septembre 2020 sur le site www.direkt36.hu.

* 15 Cette tendance est d'ailleurs antérieure à la victoire électorale du Fidesz en 2010, comme l'explique Tamas Matura dans l'article Hungary and China : Hopes and reality , publié dans le rapport Mapping Europe-China Relations - A Bottom-Up Approach de European Think tank Network on China , en avril 2015.

* 16 L'objectif des autorités hongroises est d'achever la reconstruction d'ici à 2025. Le tronçon hongrois de 150 kms doit être construit par le consortium CRE qui comprend la société holding Opus Global , contrôlée par Lõrinc Mészáros, ainsi que deux entreprises chinoises, China Tiejiuju Engineering & Construction Kft. et China Railway Electrification Engineering Group Kft., représentant la compagnie des chemins de fer chinois. La signature de l'accord de prêt a été annoncée en avril 2020. 85 % du projet, dont le montant est estimé à 2,1 milliards de dollars, seront financés par des prêts chinois, et 15 % directement par le budget de l'État hongrois. Selon la presse économique hongroise, le taux obtenu se situerait autour de 2,5 % à 2,8 %, pour une durée de 18 à 20 ans.

* 17 Le 24 août, le ministre hongrois des affaires étrangères a effectué une visite officielle en Chine, où il a rencontré son homologue chinois - pour la 11 e fois en cinq ans. Le thème de cette visite a porté uniquement sur la relance de la relation économique bilatérale, dans un contexte de déficit commercial hongrois croissant.

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