TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 20 janvier 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'enseignement supérieur en arts plastiques.

M. Claude Raynal , président . - Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances en application de l'article 58, paragraphe 2, de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur l'enseignement supérieur en arts plastiques.

L'enseignement supérieur en arts plastiques constitue le principal champ de formation en matière artistique. La définition de cet enseignement a évolué ces dernières années, au point qu'il n'est plus seulement dispensé dans les établissements nationaux et territoriaux placés sous la tutelle du ministère de la culture. Il apparaît aujourd'hui important de faire un point sur cette nouvelle cartographie de l'enseignement supérieur en arts plastiques et d'évaluer les moyens mis en oeuvre pour le rendre attractif et le corréler à de réels débouchés professionnels. Ce dernier point est particulièrement sensible dans le contexte actuel. Cette enquête de la Cour est donc la bienvenue.

Je salue la présence de M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Il est accompagné du président Antoine Durrleman, rapporteur, et de Jacques Tournier, conseiller-maître.

Je souhaite également la bienvenue à MM. Jean de Loisy, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'arts (Ensaama), et Damien Valero, président de l'association des anciens élèves de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad-Alumni Paris). Ils pourront nous apporter les éclairages nécessaires et faire part de leurs réactions sur le travail réalisé par la Cour.

Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, nos collègues Vincent Éblé et Didier Rambaud, nous livreront leur analyse en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Culture », et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ces observations. À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Sans plus attendre, je laisse la parole M. Louis Gautier, pour qu'il nous présente les principales conclusions de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.

M. Louis Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes . - Cette enquête de la Cour des comptes sur l'enseignement supérieur en arts plastiques a été demandée par la commission des finances du Sénat et lancée en décembre 2018. Nous avons d'ailleurs pris un peu de temps pour la cibler précisément, car le domaine était initialement très vaste.

Le travail d'instruction a été très étendu. Nous nous sommes d'abord appuyés sur trois contrôles organiques réalisés antérieurement par la Cour sur l'ENSBA, l'École nationale supérieure de la création industrielle (ENSCI) et l'École nationale supérieure d'art de Limoges (ENSA), ainsi que sur cinq contrôles réalisés par les chambres régionales et territoriales des comptes. Au-delà, nous avons procédé à une enquête auprès d'une soixantaine d'établissements, écoles ou unités de formation et de recherche universitaires (UFR). Les échanges ont été très nourris ; ainsi, l'équipe des rapporteurs a rencontré environ quatre-vingt responsables et experts.

De cette enquête, il ressort que nous avons à faire à un système de formation « en archipel » qui est à la fois l'héritier et, parfois, l'otage du passé. Ainsi, certaines écoles ou académies des beaux-arts sont très anciennes - je pense notamment à Toulouse, Nantes ou Rennes. De manière générale, les collectivités locales sont très attachées aux écoles et établissements sis sur leur territoire.

Il est évidemment nécessaire de prendre en compte cette tradition, mais il faut aussi constater que le système est très éclaté. Il existe ainsi trois tutelles ministérielles : le ministère de la culture, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère de l'éducation nationale. Il existe ensuite quatre réseaux : dix écoles nationales, trente-quatre établissements proches des collectivités locales, environ quatre-vingt écoles d'arts appliqués qui relèvent du ministère de l'éducation nationale et une quinzaine d'UFR qui sont consacrés à l'enseignement supérieur des arts plastiques. On le voit, ce sont des acteurs très divers, nombreux et répartis sur le territoire.

Notre enquête s'est centrée sur les établissements relevant de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire les dix écoles nationales, les trente-quatre écoles territoriales et la quinzaine d'UFR, ce qui représente au total 19 500 étudiants, soit 1 % des effectifs de l'enseignement supérieur en France.

Ce secteur est très dispersé et toutes les logiques qui auraient pu jouer en faveur d'une coordination ou d'une coopération, et qui auraient permis de surmonter les divisions par réseau ou tutelle, ont peu fonctionné et ont même parfois créé de la confusion. La distinction traditionnelle, remontant à l'époque de Malraux, entre, d'un côté, l'enseignement universitaire attaché à la formation et à la connaissance des arts et, de l'autre, les écoles du réseau culturel qui enseignent la pratique artistique n'a plus de sens aujourd'hui.

Le processus de Bologne a été étendu à l'ensemble du réseau afin de faire converger les diplômes vers le système licence-master-doctorat (LMD) et d'accorder une certaine autonomie à ces établissements. Ce processus d'autonomisation donne parfois des moyens plus importants de pilotage, mais les établissements peuvent aussi être plus soucieux de leur personnalité et moins intéressés par des coopérations.

On aurait aussi pu penser que la mise en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ou des communautés d'universités et d'établissements (Comue) permettrait de faire converger le système vers des ensembles plus importants, avec une mutualisation des enseignements pour qu'ils puissent s'enrichir les uns les autres. Prenons l'exemple de l'université Paris, sciences et lettres (PSL) : le ministère de la culture n'a pas été en mesure de traiter de la même manière le Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD), qui est membre de PSL, et d'autres écoles - celles des arts décoratifs ou des beaux-arts - qui ne sont que des partenaires. Les choix qui ont été faits n'apportent pas beaucoup de lisibilité sur la politique menée par les tutelles, notamment en termes de passerelles ou de taille critique.

Autre élément, les distinctions par discipline ne font plus vraiment sens aujourd'hui. Beaucoup de ces écoles ont été pensées avec une orientation très forte vers une spécialité particulière, alors que tout se mêle de nos jours : quand on étudie aux beaux-arts, on ne se désintéresse évidemment pas de la vidéo, de la photographie, du design, etc.

Notre premier constat est que les différentes évolutions du système de l'enseignement artistique n'ont pas créé davantage de convergences, contrairement à ce que l'on aurait peut-être pu penser de prime abord. Les particularismes, les traditions, les spécialités l'ont emporté, au risque de maintenir les cloisonnements entre les écoles relevant du ministère de la culture, celles dont le principal financeur et donneur d'ordre est une collectivité locale, et le milieu universitaire. Je prendrai un exemple : moins de 2 % des élèves ayant été scolarisés dans des lycées ou établissements du secondaire formant aux métiers d'art ont eu finalement accès à l'enseignement supérieur.

D'ailleurs, de manière générale, les formations préalables qui préparent aux concours d'entrée des écoles renforcent parfois les particularismes et la Cour constate une absence de diversité sociale et culturelle dans certains de ces établissements - j'y reviendrai.

Outre l'absence de rationalisation de l'offre au niveau national, la Cour a constaté une série de problèmes.

Il s'agit d'abord d'une question de soutenabilité : certains établissements sont d'une taille sous-critique. L'exemple de Perpignan est marquant : on ne peut nier l'intérêt territorial de son école d'art, mais il faut aussi constater que son avenir est remis en question à chaque changement de majorité...

Ensuite, le rapport entre le budget et les effectifs ne révèle pas une gestion optimale. Les financements de ces écoles et établissements sont étales : le ministère de la culture dépense environ 62 millions d'euros par an, dont 25 millions pour la rémunération des enseignants ; le budget de l'ensemble des écoles d'art territoriales atteint environ 110 millions d'euros.

Ainsi, nombre d'écoles ont un passé prestigieux et occupent une place centrale, mais leur situation est fragile. En outre, certains réseaux d'écoles se concurrencent. La concurrence vient aussi de l'étranger - je pense notamment à l'école d'art de La Cambre à Bruxelles - et d'établissements privés.

On peut relever le coût élevé de certaines formations : dans une école nationale, un élève coûte en moyenne 22 000 euros contre 10 500 en moyenne pour un étudiant à l'université, 14 000 dans une école d'art ou encore autour de 18 000 euros dans une école d'ingénieur, où les dépenses d'investissement sont également importantes.

L'un des enjeux que le système d'enseignement supérieur en arts plastiques a du mal à relever, c'est la diversité sociale. Ainsi, les classes préparatoires sont souvent coûteuses pour les étudiants - je pense notamment à Prep'Art ou aux écoles du groupe Galiléo, où l'étudiant doit payer entre 6 000 et 10 000 euros. Mais certaines expériences positives doivent aussi être relevées, par exemple la classe préparatoire Via Ferrata de l'École nationale supérieure des beaux-arts, qui compte 80 % d'élèves boursiers. Enfin, de nombreuses écoles d'art réfléchissent à revoir leurs conditions d'accès.

La lisibilité de l'ensemble du système d'enseignement supérieur en arts plastiques reste imparfaite. Ainsi, seules sept écoles sur quarante-quatre sont insérées dans Parcoursup. Les diplômes et l'accès au troisième cycle restent également peu lisibles. Surtout, l'insertion professionnelle est très inégale.

L'activité internationale des écoles peut paraître déficiente au regard d'établissements étrangers comparables, qu'ils soient allemands, italiens, anglais ou américains. Or, sur ce sujet comme sur d'autres, nous savons bien que l'union fait la force.

En conclusion, notre enquête met en avant la nécessité d'une profonde mutation pour surmonter les clivages. La nécessité de mieux faire partager une certaine vision entre tous les établissements suppose l'élaboration d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur en arts plastiques avec l'ensemble des acteurs. Aujourd'hui, presque aucun acteur n'a une vision d'ensemble de notre système. C'est pourquoi nous avons besoin d'une cartographie des formations, d'un fonctionnement en réseau et d'un pilotage plus affirmé.

La Cour a ainsi émis une série de recommandations sur la gouvernance, le fonctionnement et l'organisation du réseau ou encore la mutualisation des concours d'entrée. Nous évoquons aussi la problématique des boursiers, en proposant l'introduction, dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de ces écoles, d'un indicateur dédié. Nous recommandons de finaliser le système LMD, en particulier pour la mise en place d'un troisième cycle doctoral. Il nous semble aussi que des critères liés à l'insertion professionnelle et au référencement artistique devraient être intégrés dans les missions des écoles. Enfin, il faut qu'elles développent une stratégie de rayonnement et d'attractivité internationale.

M. Vincent Éblé , rapporteur spécial - Lorsqu'en décembre 2018 j'avais demandé l'ouverture d'une enquête sur l'enseignement supérieur artistique, finalement limitée à l'enseignement supérieur en arts plastiques, nous avions cerné, avec la Cour des comptes, plusieurs axes de réflexion : l'insertion professionnelle des étudiants ; la diversité sociale et l'accès aux enseignements supérieurs culturels ; la politique immobilière de ces établissements ; les partenariats avec les autres écoles ; leur rayonnement international et leur intégration dans le processus de Bologne, via la réforme LMD. Le rapport rend fidèlement compte de ces orientations, et j'en remercie ses auteurs.

Derrière ces axes, nous souhaitions savoir si l'enseignement supérieur artistique français était à la hauteur de la réputation de ses grandes écoles. Vous nous confirmerez sans doute, monsieur de Loisy, que l'école nationale supérieure des Beaux-Arts dispose encore et toujours d'une certaine renommée à l'international, en raison tant de son passé que de sa situation au coeur du quartier latin. Je m'interroge cependant, à la lecture du rapport de la Cour des comptes, sur l'adéquation entre cette image et la réalité, dans un univers fortement évolutif et de plus en plus concurrentiel.

De fait, l'enseignement supérieur en arts plastiques français est-il à la hauteur de la réputation de notre pays en matière culturelle ? La réponse est nécessairement nuancée, mais il apparaît que l'exception culturelle que notre pays s'attache à défendre et à incarner peine à s'appuyer sur une architecture cohérente. La multiplicité des acteurs dans le domaine de l'enseignement des arts plastiques fragilise la cohérence des formations dispensées. Elle rend illusoires les objectifs d'insertion professionnelle affichés et affecte l'attractivité de l'enseignement à l'international, qui se retrouve concurrencé par des établissements belges, hollandais ou britanniques.

La concurrence est aussi nationale. C'est à ce titre que nous avons souhaité, avec Didier Rambaud, inviter M. Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'Ensaama, établissement placé, comme les autres écoles d'arts appliquées - quatre-vingt au total -, sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale. Si cette école n'est pas concernée par l'enquête de la Cour des comptes, son enseignement peut sembler concurrencer celui des écoles supérieures en arts plastiques.

La Cour insiste d'ailleurs avec raison sur la question des arts visuels, ces derniers fragilisant la distinction traditionnelle entre arts plastiques et arts appliqués. Les arts visuels intègrent les beaux-arts, les arts décoratifs, les métiers d'art, les arts appliqués à l'industrie, le design, le cinéma et la photographie, les jeux vidéo, les images animées et les supports numériques.

Il s'agit via cette enquête, non pas de nous interroger sur la pédagogie ou l'évolution des enseignements en tant que tels, mais plutôt de réfléchir à leurs incidences sur le fonctionnement des écoles, ainsi que sur la tutelle actuellement mise en oeuvre. Le rapprochement entre écoles supérieures d'arts plastiques et écoles d'arts appliqués peut apparaître indispensable en vue d'un renforcement de leur attractivité. Il induit une nouvelle gestion administrative et budgétaire et, concomitamment, une nouvelle tutelle. Cet objectif de rationalisation nous semble indispensable en vue de rendre plus efficiente la dépense publique.

Je parle des écoles supérieures d'arts appliqués, mais je pourrais également cibler les universités : quinze d'entre elles, soit le double du nombre des écoles supérieures en arts plastiques, proposent aujourd'hui des formations dont les contenus sont de plus en plus similaires à ceux dispensés dans les établissements nationaux supérieurs. Là encore, la question du pilotage national est posée. Il ne s'agit pas de dénier aux universités le droit de proposer ce type de formation. Nous nous interrogeons simplement sur les opportunités professionnelles qu'elles peuvent offrir, alors même que l'insertion sur le marché du travail pose aujourd'hui de véritables difficultés pour les diplômés.

La question de la rationalisation de l'enseignement supérieur en arts plastiques passe également par une réflexion sur la politique immobilière des grands établissements. L'évolution des enseignements et leur ouverture à de nouveaux publics supposent souvent une adaptation de leurs locaux. Nous nous interrogeons à la fois sur les financements publics apportés et sur la logique qui préside à ces travaux.

Le cas de l'école nationale supérieure de création industrielle est assez parlant : aucun rapprochement géographique avec le pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay n'a en effet été envisagé, alors que des travaux d'ampleur sont prévus. Là encore, la question du pilotage est posée. Il nous semble que toute dépense d'investissement dans ces établissements doit s'intégrer dans une logique territoriale et participer d'une meilleure complémentarité entre les enseignements. Tel semble être le cas des travaux prévus pour l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy, appelée à être relocalisée au sein du campus international Paris-Seine. Le ministère de la culture financerait ainsi douze des trente-deux millions d'euros déployés pour la réalisation de ces travaux.

Le plan de relance prévoit un renforcement de l'accompagnement financier des établissements dans leurs projets immobiliers ; M. de Loisy nous indiquera certainement s'il est concerné par cette aide complémentaire. Je sais que le mécénat - 725 600 euros en 2018, mais 1,2 million d'euros en 2016 - lui a permis jusqu'ici de financer un certain nombre de travaux, au risque de bloquer la tenue de certains enseignements. Or l'accès au mécénat, dans un contexte économique délicat qui vient renforcer les incertitudes liées à la révision du régime fiscal dans la loi de finances pour 2020, va sans doute être plus difficile...

M. Didier Rambaud , rapporteur spécial. - À la lecture de ce rapport, on peut être frappé par la multiplicité des acteurs en matière d'enseignement supérieur en arts plastiques : il y a dix écoles nationales supérieures d'art plastiques, trente-quatre écoles territoriales et quinze universités pour le seul secteur public, auxquelles viennent s'ajouter entre 15 000 à 20 000 étudiants disséminés au sein des écoles privées, sans parler des quatre-vingt écoles d'arts appliqués, qui dépendent du ministère de l'éducation nationale. Je me demande, finalement, si abondance de biens ne finit pas par nuire.

La question des écoles territoriales doit être posée : la Cour relève un maillage géographique resserré mais une grande disparité entre écoles sur un même territoire. Ainsi, l'École supérieure d'art Pays Basque (ESAPB) accueille cinquante-quatre étudiants, et peine à rivaliser avec ses voisines toulousaine - trois cent dix-huit étudiants -, ou bordelaise - deux cent dix-huit étudiants. Le soutien de l'État à ces établissements, même s'il est modeste - 9 % du financement desdites écoles, soit 13,6 millions d'euros - mériterait sans doute d'être repensé, en vue d'être un appui à une révision du maillage en faveur d'une plus grande complémentarité.

Cette rationalisation, combinée à une réflexion sur le rôle et la place des écoles nationales supérieures, pourrait conduire à répondre à deux défis mis en évidence par le rapport de la Cour des comptes.

Le premier concerne la lisibilité des parcours de formation. Il convient de ne pas oublier que cette dernière est rendue pour partie aléatoire par un degré inégal d'implication dans le processus de Bologne. M. de Loisy nous indiquera sans doute quelle est la stratégie de l'ENSBA s'agissant du développement d'un doctorat. La Cour des comptes indique en effet que cet établissement, comme l'ENSCI, semble être en retrait face au développement de la filière doctorale. Je relève également que les diplômes supérieurs de recherche en art (DSRA) décernés par certains établissements, dont l'École nationale supérieure d'art de Bourges, ne s'intègrent pas dans le processus LMD.

Le deuxième défi a trait à l'ouverture à l'international. La réputation de certains de nos fleurons peine à se traduire par une ouverture aux étudiants étrangers : ainsi, l'Europe centrale et orientale est faiblement représentée dans nos établissements. Quelque 373 étudiants étrangers sont répartis au sein des dix écoles nationales. On y constate, comme dans les écoles territoriales, une surreprésentation des étudiants asiatiques, sud-coréens et chinois principalement.

La rationalisation nécessaire du paysage des écoles d'arts plastiques implique une réflexion sur la spécialisation et l'adéquation de celles-ci au marché du travail. Il ne s'agit pas là d'instaurer une opposition entre création et activité professionnelle, tant la première vient nourrir la seconde. Sur ce sujet, comme sur les autres d'ailleurs, il sera intéressant d'entendre Damien Valero.

Nous avons relevé lors de l'examen des crédits de la mission « Culture », dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, que le taux d'insertion professionnelle des jeunes diplômés en arts plastiques demeurait très faible. En 2018, le taux d'insertion dans les trois ans suivant l'obtention du diplôme s'établissait à 58 %, loin de la moyenne observée pour l'ensemble des établissements supérieurs d'enseignement culturel, soit 80 %. Je serais par ailleurs tenté de partager les observations de la Cour des comptes concernant la validité de ces chiffres, tant l'insertion professionnelle ne peut avoir qu'un lien ténu avec le diplôme. Le Gouvernement a fixé, de manière volontariste, un objectif de 66 % en 2021 pour les diplômés en arts plastiques. Cette ambition pourra-t-elle être tenue dans le contexte économique que l'on connaît ? Quels leviers actionner pour y parvenir ? Le suivi des étudiants par le ministère de la culture apparaît aujourd'hui insuffisant, à la différence de ce qui se pratique au sein des établissements privés ou des universités.

La question de l'insertion pose implicitement celle du sacrifice financier que peut représenter l'intégration dans ces écoles. On peut noter la relative modicité des droits de scolarité dans les écoles nationales et territoriales, soit respectivement 432 euros et 520 euros. Reste que ces montants n'illustrent qu'imparfaitement le coût lié à la préparation aux concours, la Cour relevant que 11 700 étudiants sont inscrits chaque année en classes préparatoires privées, dont les frais de scolarité s'élèvent pour les meilleures à 6 200 euros. Seulement 245 élèves suivent une préparation au sein de classes situées dans des établissements publics.

Il n'est pas étonnant de constater que le taux d'élèves boursiers soit très faible dans les établissements les plus prisés - à l'image de l'ENSBA -, même si une initiative comme celle de la Via Ferrata, menée par cette même école, doit être soulignée. Il n'en reste pas moins que, comme le constate la Cour des comptes, la diversité sociale semble assez limitée au sein de ces établissements, et la nouvelle voie que représente Parcoursup insuffisamment utilisée - cela concerne huit établissements sur quarante-quatre.

Il n'est pas étonnant non plus de constater, dans ces conditions, que le taux de sélection pour les écoles nationales supérieures soit plus relevé que celui de l'École nationale d'administration (ENA).

M. Jean de Loisy, directeur de l'École nationale supérieure des beaux-arts. - Il se trouve que la situation de l'ENSBA est très particulière, en tant qu'il s'agit d'un établissement qui n'enseigne ni le design ni les arts appliqués, et se restreint aux seuls arts plastiques : photographie, vidéo, art numérique, entre autres. Les étudiants qui y sont inscrits se lancent dans une aventure qui est d'abord intérieure, et ne les destinera pas nécessairement à trouver un métier facilement. On le sait, 45 % des artistes sortis des écoles d'art perçoivent, au bout de plusieurs années, moins de 5 000 euros par an au titre de leurs revenus artistiques.

Celui qui choisit le risque d'une formation à l'ENSBA - bien supérieur à celui d'une formation en marketing - accepte de se livrer à une exploration intérieure très incertaine, à l'invention difficile de formes, et à une activité culturelle qui ne semble pas nécessaire dans la vie réelle.

Il faut comprendre cette motivation et concevoir que des personnes aient envie de faire un travail spirituel, intellectuel et culturel sur eux-mêmes et sur l'invention des formes. Cela ne nous empêche pas d'avoir le désir que ces jeunes entrent dans la vie professionnelle, mais l'objectivité commande de considérer que seuls 4 à 5 % des étudiants deviendront des artistes importants pour notre vie collective. Il est vrai que la Nation fait des sacrifices financiers pour avoir des artistes, mais c'est un choix magnifique.

L'ENSBA connaît d'autres difficultés. Il y a notamment un problème de déficit d'étudiants étrangers, lesquels représentent 20 % de l'effectif total. Cela révèle non pas une absence d'attractivité, mais des problèmes linguistiques ou de notoriété à l'international. Notre système, unique, propose un enseignement par ateliers : un étudiant peut suivre pendant plusieurs années un professeur, passer éventuellement d'un atelier à l'autre ou en cumuler plusieurs, puis enseigner à des étudiants plus jeunes. Cette forme de compagnonnage est une particularité propre à la France ; on ne trouve l'équivalent qu'à Düsseldorf.

L'ENSBA est une très petite école : elle ne compte que 630 étudiants, ce qui est très peu comparé aux 11 000 étudiants du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, par exemple. Les grandes écoles internationales enseignent non seulement les arts plastiques mais aussi la musique, la scénographie, etc.

Des artistes sortent-ils de l'ENSBA ? On peut dire que sur les dix dernières années, sans qu'il y ait de fléchissement - au contraire -, 60 % des artistes apparus sur la scène française et ayant une existence institutionnelle, c'est-à-dire une présence dans les centres d'arts et dans les collections nationales ou régionales, sont des anciens étudiants de notre école. Cela s'explique certainement par le fait qu'ils sont formés à Paris, et se trouvent donc à portée de vue et de main des professionnels de l'art : c'est une chance, mais également un déséquilibre qu'il faut peut-être corriger.

À l'ENSBA, la diversité sociale fait défaut : il n'y a que 23 % d'étudiants boursiers environ, ce qui est très peu. Parcoursup sera sûrement l'occasion d'une ouverture beaucoup plus large. Via Ferrata est une opération fantastique puisque 100 % de ces jeunes issus de la diversité suivent des études supérieures dans une école des beaux-arts européenne ; j'ai obtenu le doublement de ce projet.

Il faut faire évoluer la formation. Une fois encore, seuls 5 % des étudiants qui sortent de l'ENSBA auront une vie d'artiste. Qu'en est-il des 95 % d'étudiants restants, dont plus de la moitié seront au RSA pendant les trois ans qui suivent leur fin d'études ? Telle est forcément la première responsabilité d'un directeur. La solution au problème de formation ne se situe pas dans le doctorat ou dans une tutelle nationale plus dirigiste. Ce qui fait l'univers d'un artiste est le caractère exceptionnel de ses centres d'intérêts, dont l'ampleur est sans commune mesure avec ceux d'un ingénieur très spécialisé, par exemple. Les entreprises, pour peu que leurs habitudes évoluent, devraient donc considérer les artistes comme des personnes très intéressantes et utiles. À l'ENSBA, j'ai commencé à créer un club d'entreprises pour en discuter avec elles. Disney, Facebook et Renault commencent à s'y intéresser, car elles ont besoin de cette capacité de disruption, d'autonomie et d'invention des signes nouveaux. L'État devrait donc faire oeuvre de pédagogie à l'endroit des entreprises.

Pour y préparer les étudiants, il faut élargir l'enseignement. Les jeunes qui sortent de nos écoles doivent avoir une vague idée de ce qu'est le monde au présent. Afin de les familiariser à ce qu'il y a de plus pointu en sciences, en économie, en politique internationale, en philosophie, en littérature, nous avons construit un ensemble de cours avec Sciences Po, l'Université Dauphine-Paris, Centrale, entre autres, et cela s'est très bien passé. Nous avons demandé à l'université Paris Sciences & Lettres (PSL) d'y participer, sans succès.

Le troisième cycle, tel qu'il est prévu, vise à former des doctorants qui deviendront des enseignants. Cela fonctionne assez faiblement à l'ENSBA et je ne l'encourage pas particulièrement, car j'ai l'intention de monter un troisième cycle d'un autre ordre. Notre priorité est en effet d'installer les artistes dans un réseau international, via un dispositif qui se situerait entre la résidence et le troisième cycle et qui me paraît très utile pour l'avenir.

M. Laurent Scordino-Mazanec, directeur de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'arts. - Les quatre écoles supérieures parisiennes en arts appliqués - Boulle, Duperré, Estienne, Ensaama - sont organisées en association, ce qui est inédit en France. Par ailleurs, il existe une concentration des formations post-bac professionnalisantes, qui accueillent 50 % des effectifs nationaux en arts appliqués.

La sémantique qui a été employée me gêne. On a entendu parler de « culture », d'« artistes », d'« arts plastiques », mais jamais d'« arts appliqués ». Nos écoles proposant des formations professionnalisantes, pour ce qui nous concerne, l'emploi n'est pas pour nous un souci. Le design et les métiers d'art ont aujourd'hui le vent en poupe et représentent une manne importante. C'est pourquoi, à chaque déplacement présidentiel, des designers ou des maîtres d'art accompagnent le président de la République : ils représentent notre patrimoine, notre culture et notre histoire. Il y a une spécificité française dans ce domaine et la France sait exporter ses savoir-faire. Les propos qui ont été tenus manquent donc de nuances.

Nous appliquons le processus de Bologne depuis trois ans et nous préparons nos étudiants à un diplôme valant grade de master, qui leur permet de poursuivre des études à l'étranger dans des écoles, que je ne considère pas comme des concurrentes, offrant des formations complémentaires. Il faut encourager cette dynamique, car c'est un passeport pour l'emploi.

Cela a été dit, on ne peut pas raisonnablement comparer les écoles françaises et les écoles internationales. Alors que je représente la plus grande école publique en arts appliqués relevant du ministère de l'éducation nationale, je ne dispose que de 13 000 mètres carrés de superficie et mon effectif est de 1 000 étudiants...

L'union fait la force, notamment pour communiquer à l'international. Le regroupement de nos quatre écoles, qui n'a en aucun cas entamé leur identité, a permis l'élaboration d'un master commun, qui est porté par le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et la mise en place du LMD. Le fait de se fédérer donne davantage de visibilité à nos formations d'excellence.

La question du rapprochement avec les arts plastiques est intéressante, mais pour quoi faire ? Nous avons en commun l'histoire de l'art, le dessin, la perspective... ; nous pourrions même susciter des vocations de designers chez des étudiants des beaux-arts. Mais tout cela se construit, car c'est une question de compétences et de formation professionnelle.

Les étudiants internationaux ne viennent pas dans les écoles françaises parce que celles-ci ne sont pas assez chères. La notion d'école supérieure gratuite ne leur est pas familière. Par ailleurs, l'enseignement n'y est pas dispensé en anglais.

Nous avons besoin de recruter non pas d'excellents élèves mais des personnes qui ont une forte personnalité, un univers, quelque chose à raconter. Notre mode de recrutement, sans entretien, uniquement sur dossier, peut être critiqué et il est en réalité assez élitiste, mais il repose sur un principe d'équité auquel le ministère de l'éducation nationale est attaché.

Nous devons impérativement accueillir davantage d'étudiants étrangers, ne serait-ce que pour respecter la réciprocité qu'implique le programme Erasmus.

Aujourd'hui, dans Paris, le premier des campus des métiers et des qualifications est celui relatif aux métiers d'art et au design - j'en suis le directeur, puisque l'Ensaama est tête de réseau. Font partie de ce campus implanté aux Gobelins, trente établissements de formation, dont l'École nationale supérieure des arts décoratifs et l'école Camondo, un centre de formation d'apprentis (CFA) privé - la Bonne graine -, des mécènes et des institutions - Hermès, le Comité Colbert, etc.

Votre rapport arrive à point nommé, au moment où nous menons des actions communes dans le but de valoriser les filières et d'accompagner les jeunes vers l'emploi.

M. Damien Valero, président de l'association des anciens élèves de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad-Alumni Paris ) . - Notre association est née en 1867 et son premier trésorier fut Auguste Rodin. Le parcours des étudiants de l'Ensad est pluridisciplinaire, ce qui évite le cloisonnement. Cette association, dont l'objet est notamment d'aider les jeunes à s'insérer professionnellement, a une antenne à Chypre dédiée aux relations internationales. Elle est présente dans 42 pays et notre réseau compte plus de 20 000 adhérents. Nous échangeons régulièrement avec l'Ensad et siégeons au sein de la fédération PSL-Alumni aux côtés de Mines ParisTech, de l'École normale supérieure, etc. À ce titre, il conviendrait de créer une adresse mail reprenant le nom de ces écoles affectée à chaque étudiant, afin de pouvoir les suivre une fois leur scolarité terminée.

Le monde industriel est prêt à accueillir les artistes et designers, lesquels font partie intégrante de la société. Notre association vise donc à développer les réseaux interprofessionnels.

M. Claude Raynal , président . - Nous aimerions aussi connaître le point de vue des intervenants sur les écoles installées dans les territoires.

Je donne la parole à notre collègue Sylvie Robert, membre de la commission de la culture.

Mme Sylvie Robert . - Ce rapport très intéressant révèle un état des lieux confus et une organisation en archipel - cela peut constituer une richesse - mais aussi des fragilités. Peu de chantiers ont avancé depuis la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), ce qui pose le problème du pilotage par le ministère de la culture.

Les jeunes ont une appétence de plus en plus forte pour les écoles d'art. Or les capacités d'accueil n'ont pas beaucoup augmenté, ce qui entraîne une sélectivité très importante. La formation supérieure en arts plastiques doit s'intégrer dans l'ensemble de la politique culturelle. Nous savons que les artistes et designers ne sont pas hors-sol ; Ronan et Erwan Bouroullec, par exemple, travaillent avec une filière industrielle. Cela suppose de la part des ministères une action transversale, laquelle fait défaut dans notre pays, ce qui a des conséquences à l'international et en termes de formation. La question du statut des artistes-auteurs est également en panne. Les arts plastiques sont le parent pauvre s'agissant de l'accompagnement financier.

Les collectivités locales sont attachées à leurs écoles d'art, mais le passage de celles-ci au statut d'établissement public de coopération culturelle (EPCC) a été compliqué. Des regroupements ont alors eu lieu. Les questions du financement par les collectivités et du pilotage par le ministère de la culture doivent être posées si l'on veut résoudre les difficultés de certaines écoles. Il faut une véritable ambition.

L'algorithme de Parcoursup n'est pas adapté à la diversité des offres proposées par les écoles d'art. Enfin, les jeunes sont trop souvent livrés à eux-mêmes à la sortie de leur cursus, sans réseau ni carnet d'adresses. Les accompagner relève de notre responsabilité collective.

M. Michel Canevet . - La gouvernance des établissements publics, qui foisonnent, n'est pas toujours identifiable. Une organisation par pôles serait préférable et permettrait à ces écoles de trouver leur place à l'international. Le taux de boursier est de 25 %. Ne faudrait-il pas favoriser l'accès aux bourses ? Le recours au mécénat ne devrait-il pas être développé ?

Mme Sylvie Vermeillet . - L'insertion professionnelle des étudiants est insuffisante et hétérogène. Quels sont les facteurs favorisant cette insertion : la notoriété de l'école, sa localisation, le degré d'implication des professionnels et des réseaux dédiés ?

M. Louis Gautier . - Les questions institutionnelles se posent forcément en matière de politiques publiques. Leur enjeu, très actuel, est celui de la participation des écoles d'art au rayonnement mondial de la création artistique.

Pour ce qui concerne les échanges internationaux, 10 700 étudiants français étudient en Chine. La raison linguistique, la particularité, n'est donc pas prégnante dans ce domaine ; c'est vrai aussi pour les écoles françaises.

Nous avons fait la part des choses dans les réseaux, en nous concentrant sur les écoles placées sous la tutelle du ministère de la culture et en saluant les bons niveaux d'insertion professionnelle. En province, des écoles se sont regroupées, à l'instar de l'École européenne supérieure de l'image d'Angoulême et de Poitiers, ou de l'École européenne supérieure d'art de Bretagne (EESAB) qui regroupe les écoles des villes de Brest, Lorient, Quimper et Rennes.

Pour ce qui concerne l'insertion professionnelle, on peut citer l'école de Nîmes, qui a créé un troisième cycle à visée professionnalisante pour former les étudiants à la régie et au développement des oeuvres d'exposition, ce qui permet aux étudiants de trouver des débouchés. Le Montpellier Contemporain (MOCO) a mis en place une formation allant de l'école jusqu'aux lieux d'exposition, dans une logique d'intégration globale. Ce sont des exemples innovants. Il faut rompre les cadres pour créer davantage d'ensemencement, d'hybridation et de réussite : tel est le message principal de notre rapport. Par ailleurs, on observe de grands développements économiques en matière de design, notamment numérique, de mode, de bande dessinée, entre autres.

Pour favoriser l'insertion professionnelle de leurs étudiants, les écoles doivent avoir une certaine taille, un service spécialisé, travailler en réseau et disposer de bases de données sur les carrières.

M. Antoine Durrleman, rapporteur . - Nous avons délibérément choisi un périmètre d'enquête très large : non pas seulement les arts plastiques - acception que la France ne partage qu'avec Taïwan - mais l'ensemble des arts visuels. Aujourd'hui, les formes d'expression se diversifient et s'hybrident, rejoignant même le champ du spectacle vivant. Nous avons voulu dresser un état des lieux le plus clinique possible, en prenant en compte les importantes transformations des écoles d'art intervenues à la suite du processus de Bologne, mais également les changements apparus dans les universités, lesquelles se sont inspirées des savoir-faire et des méthodes pédagogiques de ces écoles : l'idée est que l'art résulte aussi d'une pratique et d'un compagnonnage.

Les établissements d'enseignement supérieur d'arts appliqués relevant du ministère de l'éducation nationale sont des exemples de transformation réussie, d'une montée en puissance à bas bruit grâce à une plus grande ambition pédagogique. Le niveau des diplômes y est passé du BTS à la licence, les cursus ont été révisés. Une stratégie de groupe a été mise en oeuvre. Leur recrutement, très sélectif - 2 % pour les écoles parisiennes -, se concentre sur les « tempéraments ». Nous nous sommes également intéressés aux grands établissements d'enseignement supérieur privés et aux écoles internationales. Le nombre d'étudiants français qui se tournent d'emblée vers les établissements étrangers est important. À Bruxelles, l'école d'art de La Cambre a dû limiter à 53 % le nombre d'étudiants français.

Les expressions artistiques évoluent, de même que les systèmes de formation. Les étudiants sont de plus en plus attirés par les écoles françaises, mais les difficultés sont considérables, parmi lesquelles le passage obligé par une classe préparatoire : dans le privé, qui compte 11 000 élèves, ces classes sont très onéreuses ; dans le public, il y a moins de 250 places. Les cursus aussi posent problème. Pourquoi toute école, même de petite taille, devrait-elle proposer un doctorat ? Mieux vaudrait préparer ce diplôme en lien avec une université, comme c'est le cas à Valenciennes.

L'internationalisation suppose une stratégie de groupe. Les grandes écoles parisiennes ne sont pas assez attractives collectivement. Elles pourraient concevoir ensemble une offre de formation leur permettant d'associer le meilleur de leurs cursus. Pour que la place de Paris rayonne, elles ne doivent pas se présenter les unes à côté des autres. Le sujet de la taille des établissements serait ainsi moins problématique.

La question de l'insertion professionnelle doit aussi être abordée de manière coopérative. Selon Emmanuel Tibloux, directeur de l'Ensad, le temps des créateurs est enfin venu. Notre économie et notre société exigent précisément de savoir penser différemment, d'être singulier. Les capacités d'invention, de création et de construction que développent les écoles d'art sont des atouts considérables pour l'insertion professionnelle.

Les difficultés dont souffre notre système de formation sont liées au manque d'une stratégie de groupe. Il s'agit d'avoir non pas un Gosplan mais un cadre de référence qui permette d'agir collectivement. Avoir une pensée globale et laisser chacun agir au plan local, voilà ce que nous préconisons dans ce rapport.

M. Jérôme Bascher . - Je salue le travail effectué par les écoles d'art depuis quinze ans pour se conformer aux standards internationaux. Vaut-il mieux avoir de grandes écoles favorisant l'hybridation et la fertilisation croisée, ou des écoles plus spécialisées ?

M. Damien Valero. - Auparavant, la classe préparatoire était le passage obligé pour intégrer une école d'art et il n'y avait pratiquement que des prépas privées, le ministère de la culture n'ayant pas mis en place de parcours public. Nous sommes aujourd'hui très heureux de voir émerger l'Association nationale des classes préparatoires publiques aux écoles supérieures d'art (Appéa). Les prépas privées ont fait du tort à nos écoles en imposant un formatage des dossiers.

Pourquoi être docteur d'État ? C'est un long parcours ; or il faut bien trouver un travail, même si l'art est davantage une façon de vivre qu'un métier... La mise en place d'un doctorat d'État est cependant importante en termes de reconnaissance des formations française. Mais qui formera ces doctorants, si l'on manque de titulaires d'habilitations à diriger des recherches (HDR) ? Les universités anglo-saxonnes, notamment américaines, intègrent quant à elles largement les doctorants en art...

S'agissant de la mutualisation des moyens, nous nous efforçons, en tant qu'anciens élèves, d'échanger nos réseaux, nos carnets d'adresses et nos plateformes. C'est un vaste chantier, puisque cela n'avait jamais été fait. Certaines écoles expriment des réticences, mais nous pouvons y arriver.

M. Laurent Scordino-Mazanec . - M. Durrleman l'a dit, l'éducation nationale a su faire un saut sans précédent en accompagnant la réforme des diplômes de l'enseignement supérieur. L'obsession de la diplomation est assez française. En Grande-Bretagne, avec un bachelor , on peut travailler ; pourtant, les Anglais viennent chercher les étudiants français pour les préparer au master : il y a des paradoxes. La notoriété des écoles oriente les choix.

J'insiste, les campus ont fait un gros travail de mutualisation et de spécialisation, sur l'initiative des régions et de l'éducation nationale.

J'en viens au mécénat. Tout d'abord, il ne peut y avoir de formation professionnalisante sans le soutien des partenaires professionnels, notamment dans l'accompagnement vers l'emploi. Pour ce qui concerne le mécénat, la réforme de la réduction d'impôt a été très préjudiciable aux établissements de formation, lesquels doivent faire de la collecte de fonds, à l'instar du fundraising pratiqué par les établissements anglo-saxons.

Les offres de formation existent en région mais sont isolées, tandis que Paris concentre les établissements. Il faut certes assurer la proximité, mais le contexte économique ne permet pas de déployer tous les champs d'enseignement sur le territoire.

M. Jean de Loisy . - Il faut mettre en perspective les 18 000 étudiants en écoles d'art en France, et les 2 millions en Chine : l'enjeu n'est pas le même...

La mutualisation est souhaitable du point de vue de la professionnalisation. Un étudiant doit avoir plus d'une corde à son arc, ce qui va au-delà de la culture générale ou du doctorat. Une filière professionnalisante proposée en cours de cursus par des établissements partenaires permet à des élèves d'enrichir leur parcours. À cet égard, je précise que je ne crois pas à l'identité entre artiste et designer.

À l'École nationale supérieure des beaux-arts, des espaces sont loués environ 50 jours par an au titre du mécénat, ce qui est assez mal reçu par les étudiants. Je m'intéresse davantage à la formation des pratiques « amateurs », qui est très rémunératrice puisqu'elle rapporte à peu près 650 000 euros par an. Nous espérons atteindre l'objectif de 1,2 ou 1,5 million d'euros.

Pour que la France existe à l'international, il faut que les artistes internationaux viennent en France. Un moyen d'y parvenir est de proposer des troisièmes cycles, auxquels il faut associer les résidences : on invite des artistes naissants à travailler avec des artistes français et des professeurs de différents pays. Une belle réussite à cet égard est le troisième cycle proposé par Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, à Tourcoing.

Il est incompréhensible que les travaux des étudiants d'écoles régionales ou nationales installées dans les territoires, même retirés, soient moins vus que ceux des étudiants des grandes villes. Les écoles de Paris ou de Marseille, par exemple, doivent accueillir ces travaux dans leurs espaces de présentation à destination des professionnels.

M. Claude Raynal , président . - Je remercie nos invités. Ce débat nous fait réfléchir sur les enjeux de la créativité, qui ne se limitent pas à l'art. Cette question se rencontre aussi dans les métiers de l'ingénierie : certains ingénieurs sont créatifs, d'autres moins. C'est pourquoi l'art a été introduit dans les écoles d'ingénieurs.

Je remercie M. le président de la troisième chambre de la Cour des comptes et ses collègues pour la qualité de leur rapport et de leurs exposés. M. le président Éblé vous avait confié une mission compliquée - regarder l'art par le prisme budgétaire -, mais vous y êtes parvenus avec talent.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication de l'enquête, en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), en annexe à un rapport d'information de MM. Vincent Éblé et Didier Rambaud, rapporteurs spéciaux.

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