II. L'OPÉRATION HARPIE : UNE OPÉRATION DU « HAUT DU SPECTRE »

L'orpaillage illégal constitue un véritable cancer économique et social que les FAG s'attachent à combattre. La surface aurifère est grande comme la Suisse. Un effectif d'environ 400 militaires est en permanence chargé de la contrôler, à pied, en pirogue ou, plus rarement, en hélicoptère. Sauf exception, le matériel des orpailleurs, les Garimpeiros, est détruit sur place, car il est trop couteux de l'extraire de la forêt.

On estime à 120 tonnes le stock d'or primaire à exploiter en Guyane, sans compter l'or secondaire contenu dans les alluvions ou les dépôts fluviaux. La quantité totale d'or présente sur terre est de 250 000 tonnes, dont 160 000 ont déjà été extraites. Compte tenu de l'accélération du rythme d'extraction en raison, notamment, d'une forte demande de la Chine, il pourrait ne plus y avoir d'or à extraire dans 16 ans. En conséquence, le cours de l'or monte, rentabilisant l'extraction clandestine, même si l'action des militaires en augmente le coût par la destruction des matériels.

Chaque année, on estime à une dizaine de tonnes d'or l'exploitation clandestine en Guyane, contre seulement deux tonnes légales. Environ 10 000 travailleurs clandestins, pour l'essentiel d'origine brésilienne (le Brésil ayant quasiment éradiqué l'orpaillage sur son territoire) et surinamaise, opèrent dans la forêt Guyanaise, sur 400 sites . Cette activité illégale génère également une activité très importante d'approvisionnement : il faut 10 000 litres de carburant pour extraire 1 kg d'or. 1 gramme d'or extrait en forêt se paye entre 18 et 27 euros, contre 50 pour le cours officiel, soit une recette de 100 000 euros tous les 20 jours, captée à 60 % par les commanditaires des orpailleurs. Les Garimpeiros sont pour la plupart miséreux, parfois soumis au travail forcé : ils sont donc également des victimes et souffrent généralement d'un état de santé précaire, ce qui susceptible de contribuer à la propagation des maladies.

L'orpaillage clandestin entraîne une augmentation de la criminalité et de la délinquance (drogue, prostitution, trafics d'armes, vols de moteurs de bateaux, voire assassinats) autour des comptoirs logistiques mis en place par la filière minière clandestine sur la rive brésilienne de l'Oyapock ou sur la rive Surinamienne du Maroni . Les communautés amérindiennes de Guyane sont très majoritairement opposées à ces activités illégales qui occupent des terres, dégradent le milieu naturel et exercent des pressions sur les ressources de pêche et de chasse dont ils tirent leur subsistance.

L'État met en oeuvre des moyens importants pour lutter contre ce fléau, à travers l'opération HARPIE, lancée en février 2008 , placée sous l'autorité conjointe du préfet et du procureur de la République. À partir d'octobre 2017, le dispositif a été rénové afin d'aller au-delà de la réponse sécuritaire, vers une approche globale articulée selon trois axes : un axe économique et environnemental, un axe sécuritaire et judiciaire , auquel contribuent les FAG, la police nationale, la gendarmerie nationale, les douanes, la justice, le parc amazonien guyanais (PAG), l'Office National des Forêts ; enfin un axe diplomatique . Un état-major de lutte contre l'orpaillage illégal a été créé autour du préfet de région et du procureur de la République, avec un centre de commandement opérationnel de la Gendarmerie Nationale co-localisé avec l'état-major des FAG.

HARPIE est mise en oeuvre par le 9 ème Régiment d'Infanterie de Marine (RIMa) et le 3 ème Régiment Etranger d'Infanterie (REI), renforcés par des compagnies tournantes en provenance de métropole. Lors du passage de la mission, étaient ainsi présents le 152 e RI de Colmar et le 19 e RG de Besançon. En moyenne, 250 à 300 hommes sont déployés chaque jour. Harpie vise à mettre en place un cordon sanitaire sur le pourtour de la zone aurifère par des points de contrôle sur les rivières et des opérations coup de poing en forêt. Les opérations sont conduites à partir de bases opérationnelles avancées dans la forêt, le long des grands fleuves, à l'Ouest à Maripasula, sur le Maroni, à l'Est à Saint Georges et à Camopi, sur le fleuve Oyapok. Il s'agit d'une opération du « haut du spectre » : une opération de guerre menée en temps de paix sur le territoire national . Le coût humain de l'opération est d'ailleurs élevé : 7 militaires sont morts depuis le lancement de l'opération en 2008 : 3 sapeurs du 19 e RG dans la fouille d'un puits le 17 juillet 2019 et 4 autres militaires entre 2012 et 2018, dont deux tués par des orpailleurs.

Les moyens aériens dont disposent les forces sont 3 avions de transport Casa, 5 hélicoptères Puma, 4 hélicoptères Fennec, deux radars de contrôle aériens qui sont les seuls disponibles dans la sous-région. HARPIE dispose également de plusieurs « moyens spécialisés ». D'abord la compagnie cynophile, d'une grande utilité, qui aide à repérer les caches de carburant, d'explosifs et de mercure : 280 000 litres de carburant ont été saisis cette année. Une compagnie de réservistes, composée de personnes nées dans la région, constitue par ailleurs une aide très précieuse par leur connaissance du milieu équatorial. En outre, les conducteurs de pirogues, qui sont en fait de véritables guides, ont le statut de personnels civils de la défense. Leur connaissance du fleuve conditionne la possibilité d'y naviguer. Des unités d'action renforcées sont capables de mener des opérations commando et des plongeurs de combat du génie permettent des pénétrations fluviales en toute discrétion.

En 2019, HARPIE a réalisé 1 500 patrouilles et le bilan est similaire à celui de 2018 : 1 824 grammes d'or ont été saisis, 3 135 « carbets », c'est-à-dire huttes, ont été détruites, 45 concasseurs, 427 moteurs, 319 motopompes, 320 groupes électrogènes, 2 barges fluviales ont été saisis, ainsi que 555 tables de levées qui servent à orpailler, 58 tonnes de vivres, 46 kilos de mercure...

Les difficultés dont les forces ont fait part à la mission sont les suivantes : les distances à couvrir sont immenses et induisent une forte dépendance aux vecteurs aériens ; les transmissions sont difficiles ; la nécessité d'être accompagnés en patrouille par des gendarmes et des médecins dimensionne, c'est-à-dire limite, ces patrouilles . A cet égard, le renfort récent de six nouveaux officiers de police judiciaire a levé un frein. Toutefois, les moyens du Parquet ne sont pas dimensionnés pour permettre une réactivité suffisante, notamment en matière de réutilisation après saisie. Enfin, les actions sur la frontière sont limitées par l'incertitude du tracé.

Le point noir majeur est la disponibilité insuffisante des hélicoptères . L'âge moyen de la flotte est de 44 ans 2 ( * ) . Pour les Puma, il faut 18 heures de maintenance pour une heure de vol, et la disponibilité était de 46 % en 2019, 47 % en 2020. L'absence de disponibilité des pièces de rechange et vétusté des matériels en sont les premières causes. En revanche, la disponibilité des Casa est meilleure (entre 50 et 70 %). S'ajoute le poids des évacuations sanitaires vers les Antilles ou la métropole, qui sont prioritaires car il n'y a ni service de cardiologie, ni service de neurologie, ni service de néo-natalité en Guyane.

L'opération, dont le coût annuel est de 55 millions d'euros, permet de maintenir l'orpaillage à bas niveau, mais pas de l'éradiquer. Il s'agit toutefois d'un résultat déjà important : sans HARPIE, la forêt amazonienne guyanaise serait littéralement détruite .

Enfin, le système de rémunération des militaires est défavorable en Guyane où le taux de majoration des soldes n'est que de 25 %, contre 40 % pour les autres outre-mer, alors que le coût de la vie y est élevé, un surcoût de plus de 40 % par rapport à la métropole étant évoqué. Les indemnités de service en campagne sont fiscalisées alors que celles de Sentinelle, autre mission intérieure, ne le sont pas. L'absence de structures de garde d'enfants est également pénalisante.


* 2 Cependant, les Puma devraient être remplacés par des H225 Caracal entre 2023 et 2025 et les Fennec par des HIL à compter de 2030.

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