B. RÉSOUDRE LA QUESTION DES ALLÉGATIONS POUR LES PRODUITS À BASE DE PLANTES

1. L'absence d'harmonisation des règles d'utilisation des plantes comme compléments alimentaires à l'échelle de l'Union

La question de savoir quels produits sont susceptibles de porter une allégation s'est posée à plusieurs reprises au cours des auditions que votre rapporteur a organisées, particulièrement concernant les plantes. Selon le règlement (CE) n° 1924/2006, sont visées les denrées alimentaires, définies par l'article 2 du règlement (CE) n° 178/2002 comme « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d'être ingéré par l'être humain ».

Deux questions complémentaires se posent alors : il s'agit de déterminer quelles plantes peuvent être utilisées dans un complément alimentaire et comment distinguer le complément alimentaire du médicament. Ces deux questions relèvent de la compétence des États membres, ce qui crée des distorsions de concurrence sur le marché intérieur.

Lors de leur audition, le Synadiet et l'ANIA ont plaidé pour une liste harmonisée des plantes autorisées comme compléments alimentaires au sein de l'Union européenne. Cela permettrait de faciliter la libre circulation des marchandises au sein du marché unique. Depuis 2014, il existe une liste commune à la France, à la Belgique et à l'Italie, dite liste « BelFrIt » 22 ( * ) . Bien qu'elle n'ait pas de valeur juridique, elle a été établie avec le concours de la DGCCRF. Cette liste non exhaustive de plantes dont l'emploi dans les compléments alimentaires est envisageable sous couvert de respecter certaines restrictions propres à garantir la sécurité des consommateurs doit permettre aux autorités de contrôle de disposer d'un cadre sur lequel s'appuyer.

Autre difficulté, ce sont les autorités de contrôle des États membres qui, s'appuyant sur la réglementation européenne, classent un produit comme médicament ou complément alimentaire. Un médicament doit avoir un effet pharmacologique qui permet de corriger, restaurer ou modifier des fonctions physiologiques chez l'homme alors que le complément alimentaire a pour but de compléter un régime alimentaire normal et d'entretenir des fonctions physiologiques normales par un effet nutritionnel. On parle alors d'effet physiologique. Un médicament doit permettre de restaurer l'homéostasie, entendue comme l'état d'équilibre du corps, alors que le complément alimentaire doit maintenir cette homéostasie. La différence n'est pas évidente tant les effets du complément alimentaire et du médicament se situent dans un continuum. Une même molécule, souvent selon la dose prise et l'intention du prescripteur, peut avoir tantôt un effet physiologique et tantôt un effet pharmacologique, si bien que certains emploient le terme « alicaments ». L'ajout d'une allégation de santé sur ces produits renforce la possibilité de confusion.

Définition du médicament

La directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 définit le médicament. D'une part, on entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales : il s'agit alors d'un médicament par présentation. D'autre part, est également qualifiée de médicament toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l'homme ou chez l'animal ou pouvant leur être administrée, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique : dans ce cas il s'agit d'un médicament par fonction.

La Cour de justice de l'Union européenne fournit une interprétation restrictive de la notion de médicament par fonction et une interprétation extensive de la notion de médicament par présentation dans le but de protéger le consommateur. D'une part, il s'agit respectivement, d'une part, de s'assurer que seuls les produits dont les effets bénéfiques ont été reconnus par une autorité compétente puissent être qualifiés de médicaments, et d'autre part, d'éviter qu'un produit puisse se prévaloir d'un effet bénéfique pour la santé sans avoir été reconnu comme médicament par les autorités compétentes.

L'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 15 novembre 2007 (C319/05) 23 ( * ) fait suite à une action en manquement contre l'Allemagne qui a classé une préparation à base d'ail vendue en capsule comme médicament, alors que cette même préparation est vendue en Italie comme complément alimentaire. La Cour a estimé que, par cette action, l'Allemagne remettait en cause le principe de libre circulation des marchandises, et que si le motif de protection de la santé publique pouvait être invoqué, les moyens mis en oeuvre étaient disproportionnés au regard du caractère strict de la procédure de mise sur le marché des médicaments.

L'Ordre national des pharmaciens a dénoncé le fait que des compléments alimentaires soient composés de la même teneur en substances actives que des médicaments traditionnels à base de plantes, comme l'harpagophytum ou le séné.

La situation en France

En France, en principe, la vente des plantes médicinales inscrites à la Pharmacopée est réservée aux seuls pharmaciens, en vertu de l'article L. 4211-1 5° du code de la santé publique.

Deux textes dérogent à ce principe et permettent ainsi la mise sur le marché de compléments alimentaires :

- l'article D. 4211-11 du code de la santé publique (décret n° 2008-841 du 22 août 2008) qui « libère » certaines plantes ;

- l'arrêté du 24 juin 2014 établissant la liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires et les conditions de leur emploi, pris en application de l'article D. 4211-12 du code de la santé publique précité.

Ces deux textes prennent le soin de préciser quelle partie de la plante peut être utilisée dans un complément alimentaire, ce qui n'est cependant pas toujours respecté en pratique, selon l'Ordre national des pharmaciens.

Toutefois, l'article 11-3 de l'arrêté du 24 juin 2014 précise que « l'utilisation de préparations issues des parties de plantes figurant sur la liste de l'annexe I dans la fabrication d'un complément alimentaire ne doit pas conduire à ce que celui-ci constitue un médicament par fonction tel que défini par l'article L. 5111-1 du code de la santé publique, notamment en exerçant une activité pharmacologique. À ce titre, ne peuvent notamment pas entrer, dans la fabrication des compléments alimentaires, les préparations de plantes pour lesquelles un usage médical traditionnel bien établi a été identifié par le comité des médicaments à base de plantes de l'Agence européenne des médicaments 24 ( * ) , dans les conditions de cet usage ».

2. Un usage traditionnel dont l'invocation ne peut se faire au détriment de la sécurité

La notion d'usage médical traditionnel est utilisée pour permettre la mise sur le marché de médicaments à base de plantes. La procédure d'autorisation est alors simplifiée. Aujourd'hui, compte tenu des règles d'évaluation en vigueur mises en place dans le cadre du règlement (CE) n° 1924/2006, aucune allégation n'est expressément autorisée pour les plantes. Les produits à base de plantes continuent donc d'afficher des allégations sans aucun contrôle.

Le Synpa, le Synadiet et l'ANIA sont favorables à la prise en compte d'un usage médical traditionnel des plantes comme critère pour l'évaluation des allégations de santé concernant celles-ci. Il leur semble intéressant de tirer profit de l'expérience acquise pour les médicaments à base de plantes, pour lesquels des données sur l'usage traditionnel et la sécurité d'usage sont le plus souvent déjà disponibles, pour autoriser des allégations de santé sur des produits contenant ces mêmes plantes. Ces données sont synthétisées dans des monographies réalisées par le comité des médicaments à base de plantes au sein de l'Agence européenne du médicament, comme le prévoit la directive 2004/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 25 ( * ) .

Pour l'ordre national des pharmaciens, l'usage traditionnel concerne l'usage médical, ce dernier étant documenté de données bibliographiques qui ne concernent en rien le cadre alimentaire. Il importe de raisonner davantage en considérant la dangerosité pour la santé des personnes et la compétence acquise et reconnue de la personne qui délivre les produits plutôt que l'usage établi, aussi ancien soit-il.

Pour l'AESA, un usage traditionnel doit impliquer une caractérisation précise de la plante utilisée, quelle partie de celle-ci est utilisée et comment la plante est préparée. Si l'usage traditionnel est reconnu pour l'évaluation des plantes à usage médical, cela s'accompagne d'une évaluation de la sécurité de cet usage que l'on ne retrouve pas lors de l'évaluation d'une allégation de santé.

En effet, dans le cadre de l'évaluation d'une allégation de santé, l'AESA doit s'assurer que celle-ci est vraie. L'évaluation ne concerne pas la sécurité des denrées alimentaires. Toutefois, l'article 8 du règlement (CE) n° 1925/2006 26 ( * ) du Parlement européen et du Conseil concernant l'adjonction de vitamines, de minéraux et de certaines autres substances aux denrées alimentaires prévoit que la Commission peut remettre en cause, après avis de l'AESA, la sécurité d'une substance ou d'un ingrédient autre que des vitamines ou des minéraux qui pourrait être consommée dans des quantités supérieures à celles qui sont raisonnablement susceptibles d'être ingérées dans des conditions normales de consommation. Pour le Synadiet, cela renforce encore l'insécurité juridique à laquelle est exposé l'exploitant du secteur alimentaire qui dépose une demande d'autorisation pour une allégation de santé, impliquant des plantes.

C'est toutefois dans ce cadre que la catéchine contenue dans le thé vert sous forme de compléments alimentaires a été évaluée par l'AESA à la suite des préoccupations concernant des effets nocifs possibles sur le foie. L'AESA a conclu que la catéchine présente dans le thé vert et d'autres boissons similaires est généralement sans danger. Cependant, lorsqu'elles sont consommées sous forme de poudre contenue dans un complément alimentaire, des doses de catéchines supérieures ou égales à 800 mg/jour pourraient susciter des problèmes de santé 27 ( * ) .

Pour l'AESA, sans un nouveau cadre réglementaire, il ne lui est pas possible d'appliquer une méthode différente d'évaluation des allégations de santé portées sur les plantes. De plus, elle juge nécessaire pour les plantes à évaluer dans le cadre de l'article 13.1 du règlement (CE) n° 1924/2006, que soient renvoyées l'ensemble des données bibliographiques fournies en 2007 et 2008 car elles ne sont plus à jour.

Pour le professeur Ambroise Martin, il est également nécessaire de réviser la législation pour ouvrir la voie à l'autorisation d'allégations portant sur les produits à base de plantes. Il s'agit ainsi de définir de nouveaux critères pour permettre à l'AESA de tenir compte d'un usage traditionnel. Toutefois, cela ne doit pas se faire au détriment de la sécurité du consommateur. Des contraintes en matière de sécurité et de traçabilité devront être imposées pour la mise sur le marché du produit alors qu'aujourd'hui la décision de mettre un complément alimentaire sur le marché repose seulement sur l'exploitant.

La Commission européenne doit décider si elle envisage ou non de faire des propositions sur ce sujet.

Pour le rapporteur, il est nécessaire que soit établie à l'échelle de l'Union une liste commune des plantes autorisées pour être vendues comme denrée alimentaire au sein de l'Union européenne. Cette liste devra préciser la partie de la plante utilisée, le mode de préparation et le dosage maximal autorisé pour un usage alimentaire.

De plus, les allégations aujourd'hui portées sur les produits à base de plantes doivent faire l'objet d'une évaluation pour garantir au consommateur une information fiable. Celle-ci doit se faire dans le cadre d'une procédure particulière, qui permette de prendre en compte l'usage traditionnel mais qui, en contrepartie, doit inclure une évaluation permettant de garantir la sécurité du consommateur.


* 22 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/imgs/breve/2014/documents/harmonized_list_Section_A.pdf

* 23 http://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf;jsessionid=854C766E30C469591AA5E308CFF8F6F6?text=&docid=69867&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=20614764

* 24 https://www.ema.europa.eu/en/medicines/field_ema_web_categories%253Aname_field/Herbal/field_ema_herb_outcome/european-union-herbal-monograph-254

* 25 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32004L0024&from=EN

* 26 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2006:404:0026:0038:FR:PDF

* 27 https://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/180418

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