N° 434

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mars 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur l' impact économique de la règlementation environnementale 2020 (RE2020),

Par M. Daniel GREMILLET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

L'ESSENTIEL

Le 20 janvier dernier, la commission des affaires économiques du Sénat a confié au sénateur Daniel GREMILLET (Les Républicains - Vosges) une mission d'information flash sur l'impact économique de la RE2020 , c'est-à-dire des nouvelles normes de performance énergétique des bâtiments neufs, individuels et collectifs, à usage d'habitation 1 ( * ) .

Constatant le manque d'association des professionnels à cette réforme majeure, le rapporteur a rencontré quelque 60 intervenants à l'occasion de 25 auditions (professionnels de la construction, bailleurs privés et sociaux, grands énergéticiens, filières du gaz, de l'électricité, du fioul, de la chaleur, du bois et des énergies renouvelables, administrations de l'énergie et de la construction).

Observant les insuffisances de l'évaluation réalisée par le Gouvernement, la commission a souhaité commander une étude d'impact indépendante , à l'issue d'une procédure de mise en concurrence, auprès de la société d'avocats TAJ et du cabinet de consultants Deloitte 2 ( * ) .

Au terme de ses travaux, le rapporteur a formulé 20 propositions, réunies en 5 axes : elles visent à offrir aux ménages et aux professionnels un cadre règlementaire adapté et proportionné, gage de sa bonne application, à niveau d'exigences énergétiques inchangé.

I. DES OUTILS NÉCESSAIRES, UNE MÉTHODE CONTESTABLE

A. UNE RÉDUCTION NÉCESSAIRE DE LA CONSOMMATION D'ÉNERGIE ET DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DU SECTEUR DU BÂTIMENT

Parce que les émissions de gaz à effet de serre (GES) des secteurs tertiaire et résidentiel représentent 90 MtCO 2 eq 3 ( * ) en 2017 4 ( * ) , soit 19 % de nos émissions de GES nationales , la diminution de la consommation d'énergie des bâtiments est une nécessité pour atteindre l'objectif de « neutralité carbone » à l'horizon 2050.

B. UN MANQUE DE CONCERTATION ET D'INFORMATION PRÉJUDICIABLE À LA QUALITÉ DE LA RÈGLEMENTATION

Si aucun professionnel n'est opposé à la RE2020 en tant que telle , bien au contraire, la plupart d'entre eux demandent l'adaptation de cette règlementation , de ses délais et de ses seuils, aux réalités locales et à la conjoncture économique.

À cet égard, la quasi-totalité des professionnels regrettent le manque d'association, et même d'information, dans laquelle intervient cette réforme.

C. UNE ABSENCE D'ÉVALUATION GLOBALE REGRETTABLE, DANS UN CONTEXTE DE CRISE SANS PRÉCÉDENT

Dans le même esprit, la quasi-totalité des professionnels estiment que l'étude d'impact du Gouvernement, réalisée selon une méthode  « en silo », ne permet pas d'apprécier l'impact global de la réglementation sur les secteurs de l'énergie et de la construction.

II. UN BOULEVERSEMENT QUI SUSCITE L'INQUIÉTUDE DES PROFESSIONNELS

A. UNE MUTATION DES FILIÈRES GAZ ET FIOUL ET DE CERTAINS RÉSEAUX DE CHALEUR DANS LE SECTEUR DE L'ÉNERGIE

Dans sa version initiale, la RE2020 va conduire à un bouleversement de la compétitivité relative des différentes filières dans le secteur de l'énergie.

Tout d'abord, cette règlementation est peu favorable à la filière du gaz.

D'une part, elle conduit à l'exclusion de facto des chaudières à gaz des logements neufs . Or, 100 000 chaudières à gaz sont installées chaque année, dont 60 000 en logements collectifs et 40 000 en logements individuels 5 ( * ) . Par ailleurs, les chaudières à gaz représentent les trois quarts du marché collectif 6 ( * ) . Enfin, on dénombre environ 36 usines intervenant dans la fabrication des chaudières à gaz et 15 000 entreprises dans leur installation.

L'étude commandée par le Sénat identifie une perte de 2,95 milliards d'euros de chiffre d'affaires et de 8 280 ETP 7 ( * ) pour cette filière d'ici 2024.

D'autre part, cette règlementation ne tient pas compte de la filière du biogaz.

Plus encore, la RE2020 a des répercussions importantes sur les réseaux de chaleur.

En effet, les deux tiers de ces réseaux 8 ( * ) nécessitent des travaux de décarbonation , lourds et coûteux, pour se conformer à la nouvelle règlementation, que les gestionnaires des réseaux et les collectivités territoriales concédantes auront du mal à réaliser dans des délais si contraints.

La RE2020 entraîne également l'extinction de l'utilisation des chaudières au fioul et des chaudières au charbon dans les logements, neufs et existants.

Toutefois, cette règlementation constitue une opportunité pour la filière de l'électricité, nucléaire comme renouvelable.

L'étude commandée par le Sénat évalue un gain de 2,95 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les pompes à chaleur (PAC) 9 ( * ) , 504 millions d'euros pour l'électricité décentralisée et 145 millions d'euros pour la biomasse d'ici 2024 ; 6 014 ETP seront nécessaires pour les PAC et 313 pour la biomasse.

B. UNE DÉSTABILISATION DES FILIÈRES DES MINÉRAUX ET DES MÉTAUX DANS LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION

Tout comme le secteur de l'énergie, celui de la construction va être très affecté par la RE2020.

Les professionnels de la construction craignent ainsi que cette nouvelle règlementation ne pénalise les matériaux de construction traditionnels compte tenu du critère de l'analyse selon le cycle de vie (ACV) dite « dynamique » 10 ( * ) des bâtiments : en l'espèce, les filières du béton, de l'aluminium, des tuiles et briques et des laines minérales notamment.

À l'inverse, ils estiment que les modes de construction moins émissifs , tels que le bois-construction, les matériaux bio-sourcés ou le béton « bas-carbone », peuvent en tirer profit.

III. DES RÉPERCUSSIONS SOCIOÉCONOMIQUES LOURDES POUR DES BÉNÉFICES ÉNERGÉTIQUES ET CLIMATIQUES ENCORE INCERTAINS

A. UNE ÉVOLUTION SENSIBLE DES COMPORTEMENTS DES CONSOMMATEURS D'ÉNERGIE, EN PARTICULIER DES MÉNAGES

La RE2020 va faire évoluer le recours aux différents équipements de chauffage dans les bâtiments neufs , résidentiels comme tertiaires.

L'étude commandée par le Sénat estime que la proportion de chaudières à gaz passera de 29 % à un taux nul, dans les logements individuels, de 69 à 10 %, dans les logements collectifs, et de 31 % à un taux nul, dans le secteur tertiaire. A contrario , les PAC évolueront de respectivement 47 à 71 %, 6 à 56 % et 24 à 39 % et l'électricité décentralisée de 12 à 7 %, 12 à 27 % et 27 à 40 %.

Cette règlementation aura des répercussions sur le pouvoir d'achat des ménages , à travers le prix des équipements de chauffage mais aussi de la consommation d'énergie.

Les représentants de la filière gaz ont ainsi évalué le surcoût induit par le remplacement des chaudières au gaz par des systèmes hydrides ou des PAC , entre 3000 11 ( * ) et 6 000 12 ( * ) euros, en logements individuels , et entre 2 500 13 ( * ) et 5 000 14 ( * ) euros, en logements collectifs.

Dans le même ordre d'idées, les bailleurs privés et sociaux 15 ( * ) ont précisé que « l'installation de PAC en comparaison des solutions standards a mis en évidence une baisse de la consommation énergétique mais qui n'est pas amortie en 50 ans en raison des surcoûts liés à l'installation, la maintenance et le remplacement ».

De son côté, EDF a indiqué qu' « en maison individuelle comme en logement collectif, l'analyse en coûts complets montre l'intérêt d'une solution PAC sur la durée de vie : c'est une solution plus chère à l'achat mais moins chère à l'usage ».

L'étude commandée par le Sénat estime que le prix annuel du chauffage au gaz est de 669 euros, en logements collectifs, et de 1 231 euros, en logements individuels, contre 304 et 560 euros pour les PAC et 548 et 1007 euros pour le bois. Si le coût d'acquisition d'une chaudière à gaz est équivalent à celui d'une PAC aérothermique 16 ( * ) , il est 2 à 3 fois moins élevé que celui d'une PAC géothermique 17 ( * ) ou d'une chaudière au bois.

Au total, selon cette étude, le coût global (prix d'acquisition et prix du chauffage) pour les consommateurs de la RE2020 pourrait se traduire par :

- un prix d'acquisition comparable et un prix de chauffage divisé par 2 en cas de remplacement d'une chaudière à gaz par une PAC aérothermique ;

- un prix d'acquisition 2 à 3 fois supérieur et un prix de chauffage divisé par 2 en cas de remplacement d'une chaudière à gaz par une PAC géothermique.

B. UN IMPACT SIGNIFICATIF SUR LES LOGEMENTS NEUFS, AVEC UNE HAUSSE DE LEUR COÛT ET UNE BAISSE DE LEUR NOMBRE

La RE2020 va entraîner une hausse des coûts de construction des bâtiments neufs, résidentiels comme tertiaires.

Même si les prix de l'immobilier dépendent de paramètres exogènes, tels que le coût du foncier ou l'offre et la demande de logements, on peut craindre que la RE2020 ne renchérisse les coûts des matériaux de construction et des systèmes de chauffage, et se répercute en définitive sur les prix de l'immobilier et l'accès à la propriété.

Dans son évaluation préalable à la RE2020, le Gouvernement reconnaît lui-même des surcoûts entre 3 et 5 % en 2021, 5 et 8 % de 2024 à 2030 et 15 % à compter de 2030.

À l'occasion de leur audition, les professionnels de la construction ont indiqué anticiper une hausse à court terme jusqu'à 10 % 18 ( * ) des coûts de construction .

L'étude commandée par le Sénat prévoit une hausse des prix de construction de 3,4 % pour les logements individuels, 4,2 % pour les logements collectifs et 2,7 % pour les logements tertiaires d'ici 2024. À elle seule, l'évolution de la règlementation liée au gaz génère des augmentations de respectivement 1,9, 2,5 et 1,0 %.

Cette hausse des prix de construction se traduira par une baisse de la demande de logements.

Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), la RE2020 emporte un risque de diminution de 300 000 mises en chantier de logements par an.

De son côté, l'étude commandée par le Sénat confirme un ralentissement de la croissance du nombre de logements neufs, avec des évolutions de - 2,8 %, + 1,2 % et - 3,6 % d'ici 2024 pour ceux individuels, collectifs et tertiaires ; sans la RE2020, ces évolutions auraient été de respectivement - 1,2, + 2,8 et - 2,2 %.

C. UNE VIGILANCE PARTICULIÈRE SUR L'ÉVOLUTION DE LA CONSOMMATION D'ÉNERGIE ET DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DES BÂTIMENTS

La RE2020 va faire évoluer la consommation d'énergie et les émissions de GES du secteur du bâtiment.

Dans son évaluation préalable à la RE2020, le Gouvernement a prévu une baisse de 7,4 TWh 19 ( * ) du gaz et une hausse de 1,5 TWh de l'électricité d'ici 2030, les émissions de GES diminuant de 1,6 MtCO 2 eq.

L'étude commandée par le Sénat prévoit une diminution de 1,2 % de la consommation de gaz ainsi qu'une hausse de 0,4 % de celle d'électricité et de 1,1 % de celle de bois d'ici 2024. De leur côté, les émissions de GES diminueront de 0,2 %.

Si cette évolution est utile et nécessaire, il faut rappeler que :

- la RE2020 s'applique à 1 % du parc immobilier , contre 37 M de logements existants ;

- la diminution porte sur 7,4 TWh de gaz d'ici 2030 , contre une consommation totale de 427 TWh, soit 1,6 % ;

- la diminution de GES porte sur 1,6 MtCO 2 eq d'ici 2020 , contre des émissions totales de 48,3 MtCO 2 eq pour le secteur résidentiel, soit 3,3 %.

Au total, les véritables enjeux, en matière de réduction de la consommation d'énergie et d'émissions de GES, résident sans doute moins dans la production que dans la rénovation des logements.


* 1 Ainsi que des bureaux et locaux d'enseignement.

* 2 Cette étude est consultable .

* 3 Mégatonnes d'équivalents en dioxyde de carbone.

* 4 Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), mars 2020.

* 5 Uniclima

* 6 Union sociale pour l'habitat (USH).

* 7 Équivalents temps plein.

* 8 Fédération nationale des services énergie environnement (FEDENE).

* 9 Les pompes à chaleur (PAC), fonctionnant ici à partir de l'électricité, sont des dispositifs thermiques permettant de transférer l'énergie thermique d'un milieu à basse température vers un milieu à haute température.

* 10 Dans l'ACV « dynamique », il est tenu compte du moment de l'émission des GES dans le cycle de vie du bâtiment, au contraire de l'ACV statique dite « normée ».

* 11 Les Professionnels du gaz.

* 12 Gaz réseau distribution France (GrDF).

* 13 Les Professionnels du gaz.

* 14 Gaz réseau distribution France (GrDF).

* 15 Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) et Union sociale pour l'habitat (USH).

* 16 Une pompe à chaleur (PAC) aérothermique utilise l'énergie thermique de l'air ambiant.

* 17 Une pompe à chaleur (PAC) géothermique utilise l'énergie thermique du sol.

* 18 Fédération française du bâtiment (FFB) et Confédération de l'artisanat et des professionnels du bâtiment (CAPEB).

* 19 Térawattheures.

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