B. PLUS DE SIMPLIFICATION

Dans le cadre du sondage CSA, la délégation a interrogé les élus sur leurs priorités. Pour les élus municipaux, la simplification des normes applicables aux collectivités apparaît nettement en première place, en particulier pour les élus des communes de moins de 3 500 habitants et pour les plus expérimentés.

La simplification apparaît également à la première place pour les élus départementaux, et à la seconde pour les élus régionaux.

Les priorités pour les élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

Les priorités selon les catégories d'élus

Source : Sondage CSA auprès des élus locaux pour la délégation aux collectivités territoriales, novembre 2020

L'importance de ce thème de la simplification des normes, conjuguée au fait que la délégation a été chargée par le président et le Bureau du Sénat de traquer les normes inutiles, l'a conduit à compléter son analyse dans le cadre de la consultation nationale des élus locaux via la plateforme internet du Sénat. Il s'est agi pour la délégation d'apprécier l'avis des élus locaux à propos de quelques propositions systémiques de simplifications.

Force est de constater que ces propositions de simplification recueillent plus de 90% de réponses positives , comme cela est illustré par les graphiques suivants.

La proposition d'intégrer aux programmes de formation des élèves fonctionnaires (ENA...) des modules en matière de simplification législative, réglementaire et administrative recueille ainsi 93% de réponses positives et seulement 2% de réponses négatives. Cette proposition fait suite aux travaux de la délégation qui, dès juin 2016, dans son rapport Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier 15 ( * ) , recommandait d'enseigner la simplification - sa méthodologie et ses procédures - dans les écoles de la fonction publique (ENA, INET, IRA, ENSP...) et de l'intégrer aux cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques, idée reprise par la proposition n° 6 du Conseil d'État dans son étude de juillet 2016 sur la simplification 16 ( * ) , ainsi libellée : « Former spécifiquement les producteurs de normes à la simplification et à la qualité du droit. Enseigner le principe suivant lequel la prise en charge de la complexité revient à l'administration et non à l'usager (vecteurs : programmes de formation initiale et épreuves spécifiques aux concours des écoles de fonctionnaires ; modules de formation continue des agents des trois fonctions publiques) » .

Cette question de la formation est essentielle, car il serait vain de vouloir toujours courir après la norme pour la simplifier. Il faut, au contraire, l'empêcher d'advenir lorsqu'elle n'est pas utile, ce qui exige une profonde évolution de notre culture administrative. Pleinement conscient de cet enjeu, le CNEN plaide pour « une évolution structurelle de de la culture normative » et préconise notamment la création d'un « réseau de simplification » 17 ( * ) . Le 26 novembre 2020, il a organisé un colloque intitulé « Changer la culture normative » et dont le premier volet était précisément : « Former et informer ». Pour reprendre les propos du président Lambert à cette occasion : « Le CNEN plaide pour un renforcement massif de formation pour les rédacteurs de normes afin qu'ils maîtrisent mieux les préceptes et outils inclus dans les guides, qu'ils proposent d'eux-mêmes des alternatives à la norme. » 18 ( * ) . Lors de ce colloque, Patrick Gérard, directeur de l'ENA, relevait par ailleurs : « Simplifier et améliorer la qualité du droit comporte une dimension culturelle manifeste qu'on ne peut permettre d'ignorer. « Changer de culture normative », pour reprendre le titre du colloque, implique donc d'agir sur la culture administrative elle-même, et c'est bien là que réside l'importance de la formation en tant que transmission de savoirs, et apprentissage de techniques, savoir-faire et savoir agir dans une logique de professionnalisation. Simplifier, c'est enclencher un processus de changement, de transformation, remettre en cause des modes de fonctionnement acquis, auxquels "on" s'est habitué, et qui renvoient à des principes ou valeurs auxquels "on" est partiellement ou complétement attaché pour différentes raisons. Cela revient à bouleverser des jeux d'acteurs et des relations de pouvoir. » 19 ( * )

Intégrer aux programmes de formation des élèves fonctionnaires
des modules en matière de simplification

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

La proposition visant à mettre en ligne une base de données complète et régulièrement actualisée de l'état du droit et des procédures applicables dans les domaines concernés par les projets locaux (urbanisme, commande publique, protection du patrimoine, archéologie, environnement...) recueille 96% de réponses positives et seulement 2% de réponses négatives. Cette proposition correspond à la recommandation n° 20 du rapport de la délégation de juin 2016, Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier.

Mettre en ligne une base de données de l'état du droit et des procédures applicables dans les domaines concernés par les projets locaux

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

La proposition tendant à l'instauration auprès du préfet de département d'une instance de concertation, composée de représentants des services de l'État et des collectivités locales recueille, enfin, 91% de réponses positives et seulement 4% de réponses négatives. Cette instance aurait notamment vocation à être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme, et d'exprimer une position unique de l'État sur des projets complexes (urbanisme...) pour éviter aux élus d'être confrontés à une multitude de services différents aux positions parfois incompatibles et permettre une conciliation éventuelle.

Dès 2013, dans leur rapport sur la lutte contre l'inflation normative 20 ( * ) , Alain Lambert et Jean-Claude Boulard avaient recommandé l'instauration auprès du préfet d'une instance composée de représentants de collectivités locales pouvant être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme. Cette proposition avait été étoffée et précisée dans le cadre du rapport de la délégation de juin 2016, Droit de l'urbanisme et de la construction : l'urgence de simplifier. Au travers de la consultation des élus qu'ils avaient organisée, les rapporteurs avaient en effet constaté la très forte défiance des élus locaux à l'égard de services de l'État, jugés peu disponibles et plus répressifs que facilitateurs. De nombreux élus et professionnels regrettaient régulièrement un déficit de dialogue entre services de l'État, porteurs de projets et collectivités territoriales. Était également critiquée la trop fréquente incapacité des services de l'État à se coordonner et à donner rapidement aux porteurs de projets un avis global. L'instance projetée avait donc pour objet d'améliorer la qualité du dialogue entre État et collectivités sur la mise en oeuvre des normes applicables aux collectivités territoriales. Il s'agissait aussi de faciliter la tâche du préfet quant à l'expression d'un point de vue unique de l'État. La création de cette instance avait été intégrée à l'article 7 de la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement, adoptée par le Sénat à l'unanimité le 2 novembre 2016.

L'institution d'une instance de concertation auprès du préfet, à nouveau recommandée par le rapport Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes 21 ( * ) , signé de Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, en juin 2019, a ensuite fait l'objet d'un amendement au projet de loi engagement et proximité, déposé par Jean-Marie Bockel au nom de la délégation. Il a été adopté en commission des Lois, puis par le Sénat en séance publique le 22 octobre 2019.

Cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale, mais au seul motif que : « Les dispositions relèvent davantage du projet de loi décentralisation, différenciation, déconcentration, dit "3D", qui devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du printemps 2021 et qui traitera en particulier des relations entre les collectivités territoriales et l'État » 22 ( * ) .

Les élus consultés favorables à plus de 90% à la proposition de création
d'une instance de dialogue auprès du préfet

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Toujours dans le domaine de la simplification des normes, la délégation a souhaité présenter aux élus la proposition visant à renforcer les pouvoirs du CNEN issue des 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales . Actuellement, conformément à l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales, lorsque le Conseil national émet un avis défavorable sur tout ou partie d'un projet de texte règlementaire, le Gouvernement est tenu de lui transmettre un projet modifié ou des informations complémentaires en vue d'une seconde délibération. Il est proposé d'en faire de même avec les projets de loi. Les élus interrogés souscrivent massivement à cette idée (79%), avec 9% de réponses négatives.

Les élus favorables au renforcement des pouvoirs du CNEN

Source : Consultation nationale des élus via la plateforme internet du Sénat, mars 2021

Il convient enfin de noter que certains élus, notamment dans les communes rurales, sont assez désabusés à l'égard des grandes annonces relatives à la simplification.

S'exprimant sur le projet de loi 4D, Michel Fournier, président de l'AMRF, faisait ainsi valoir devant la délégation : « S'agissant du quatrième D, la « décomplexification », je peux témoigner, pour être maire depuis plus de trente ans, qu'à chaque fois qu'on nous a annoncé qu'on allait simplifier, cela s'est traduit par davantage de complexité, avec création de véritables "usines à gaz" pour prouver le bien-fondé de la simplification recherchée. » 23 ( * ) .


* 15 Rapport d'information de MM. François Calvet et Marc Daunis, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 720, tome I (2015-2016), 23 juin 2016.

* 16 Conseil d'État, Simplification et qualité du droit, Étude annuelle 2016.

* 17 CNEN, Rapport relatif à l'intelligibilité et à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales au service de la transformation de l'action publique, 17 février 2021, p. 28-29.

* 18 CNEN et Lexis-Nexis, Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques, Actes du e-colloque du 26 novembre 2020, La Semaine juridique, édition générale, supplément au n° 3, 18 janvier 2021, p. 10.

* 19 CNEN et Lexis-Nexis, Améliorer la qualité du droit par la généralisation des bonnes pratiques, Actes du e-colloque du 26 novembre 2020, La Semaine juridique, édition générale, supplément au n° 3, 18 janvier 2021, p. 21.

* 20 Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, Rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative, Premier ministre - Ministère de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, 26 mars 2013, p. 15.

* 21 Sénat, Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes, Rapport d'information de MM. Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, n° 560 (2018-2019), 11 juin 2019.

* 22 Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l'Administration générale de la République sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (n° 2357) par M. Bruno Questel, pp. 187-188.

* 23 Audition du 28 janvier 2021.

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