C. LA RECHERCHE POLAIRE CONTRIBUE DE MANIÈRE DÉCISIVE À L'OBERVATION ET À LA DÉFENSE DE LA BIODIVERSITÉ

Charles Giusti a rappelé que l'Antarctique et le Subantarctique sont des territoires sans population permanente, préservés des impacts directs de l'activité humaine et isolés. Ils constituent des patrimoines naturels exceptionnels qui abritent une biodiversité unique comportant beaucoup d'espèces endémiques qui ont su s'adapter à des conditions extrêmes mais qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique.

Yan Ropert-Coudert a ajouté que si les régions tropicales concentrent la biodiversité la plus riche, c'est au niveau des pôles que la vitesse d'apparition des espèces est la plus forte. À ce titre, ils constituent des zones particulièrement importantes pour la biodiversité au niveau mondial. À l'occasion de l'année internationale polaire de 2007/2008 a été lancé un programme de recherche 16 ( * ) sur cinq ans visant à recenser la biodiversité marine dans l'Antarctique. Plusieurs campagnes océanographiques ont permis de collecter des informations inestimables, puisque 9 000 espèces ont été dénombrées dont 600 espèces ignorées jusqu'alors. Ces informations ont été compilées sous forme de cartes dans l'Atlas biogéographique de l'Antarctique, issu d'une collaboration essentiellement franco-australienne.

Charles Giusti a expliqué qu'afin de protéger ces écosystèmes à la fois uniques mais menacés, la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises a été créée en 2016. Elle est classée au patrimoine de l'humanité depuis 2019 et sera étendue d'ici 2022 à l'intégralité des zones économiques exclusives des trois districts de Kerguelen, Crozet, Amsterdam : elle représentera alors une superficie de 1,6 million de km 2 , soit 20 % de tous les espaces maritimes français.

D. LA RECHERCHE POLAIRE OFFRE DES OUTILS PRÉCIEUX D'AIDE À LA DÉCISION POLITIQUE

Comme l'a fait remarquer Sabine Lavorel, la recherche polaire en sciences juridiques et politiques porte sur des thématiques stratégiques telles que les enjeux géopolitiques ou les enjeux liés à la protection de l'environnement. Ces recherches dépassent souvent les seuls enjeux liés aux régions polaires et offrent aux décideurs politiques une base scientifique utile pour la prise de décision.

• En matière d'enjeux géopolitiques et de relations internationales

Sabine Lavorel a décrit plusieurs thèmes abordés par la recherche polaire :

- l'analyse des coopérations internationales , qui s'effectue à travers des organisations régionales, des forums, des comités spécifiques dans lesquels la France est souvent impliquée. Le positionnement des acteurs dans ces coopérations, leur influence et les jeux d'alliance entre les États mais également avec les organisations non gouvernementales font l'objet d'études. La diplomatie polaire, à l'instar d'autres diplomaties sectorielles comme la diplomatie environnementale ou la diplomatie scientifique, est devenue un instrument privilégié par certains États pour influencer les relations internationales en leur faveur par des moyens autres que coercitifs (politique du « soft power ») et pour renforcer la légitimité de leur action internationale ;

- l'analyse de la gouvernance des pôles : à travers cette question se pose le problème plus général de la gestion des biens communs , c'est-à-dire des espaces non appropriés qu'il faut gérer collectivement dans le but de les préserver et de les pérenniser (forêts, rivières, atmosphère). Ces questions rejoignent celles ayant trait à la gouvernance des espaces, comme l'espace extra-atmosphérique, qui vont constituer de nouvelles frontières ;

- l'analyse des enjeux de puissance autour des pôles : l'ouverture de nouvelles voies maritimes dans l'océan Arctique et un accès facilité aux ressources minérales du Grand Nord entraînent la résurgence de tensions internationales. En Antarctique, de nouvelles puissances telles que la Chine émergent, qui n'étaient pas traditionnellement des puissances polaires et qui pourraient chercher à remettre en cause le fonctionnement multilatéral du Traité sur l'Antarctique ;

- l'analyse des enjeux de défense et de coopérations militaires : le Traité sur l'Antarctique interdit toute présence militaire mais cette région devient une zone stratégique pour les intérêts de défense, notamment à travers la résurgence de la rhétorique sur l'axe indo-pacifique 17 ( * ) .

• En matière de protection de l'environnement

Les recherches sur la protection de l'environnement se sont fortement développées à la fin des années 1980 et au début des années 1990, au moment de l'adoption du Protocole de Madrid. L'apparition de nouveaux risques environnementaux au cours des dernières décennies a entraîné un renouvellement de ces recherches qui concluent à l'insuffisance des dispositifs juridiques actuels face aux nouveaux risques. Ainsi, le risque climatique n'est pas couvert par le Traité sur l'Antarctique, ce qui pose la question de la protection de l'Antarctique contre le réchauffement climatique et du forum pertinent pour soulever ces questions.

Les recherches portent également sur les mécanismes à mettre en place afin de pouvoir engager la responsabilité aussi bien des États que des opérateurs privés à l'origine de graves destructions de l'environnement polaire, sujet particulièrement d'actualité en Arctique. Plus généralement, les juristes s'interrogent sur les possibles voies de régulation des activités humaines en train de se développer dans les pôles et dont l'impact sur l'environnement pourrait être dramatique si elles n'étaient pas réglementées. Les activités touristiques sont particulièrement visées, mais également la bio-prospection ou encore la géo-ingénierie.

Enfin, l'essor des activités d'extraction et le changement climatique ont des répercussions particulièrement néfastes sur des sociétés humaines qui avaient su pendant des millénaires conserver ces environnements fragiles intacts. Alexandra Lavrillier a rappelé qu'environ 100 millions de personnes étaient concernés, en tenant compte de l'Arctique et du Subarctique, dont 110 peuples autochtones. Les chercheurs s'intéressent donc aux mécanismes juridiques nécessaires pour protéger les droits et les modes de vie spécifiques des populations autochtones. Au-delà des peuples de l'Arctique, ces recherches posent la question de principe de la protection des droits des peuples autochtones, quel que soit le continent sur lequel ils vivent.


* 16 The Census of Antarctic Marine Life.

* 17 Cf I. B. sur les enjeux géostratégiques.

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