III. LA FRANCE, UNE GRANDE NATION POLAIRE EN TRAIN DE SE FAIRE DISTANCER

A. LA FRANCE A LONGTEMPS FAIT PARTIE DES GRANDES NATIONS POLAIRES SCIENTIFIQUES

La France dispose d'atouts considérables pour faire partie des grandes nations polaires.

• Une longue tradition d'exploration

Forte d'une tradition d'exploration 18 ( * ) et d'expédition dans les régions de hautes latitudes, la France s'est affirmée au cours des trois derniers siècles comme une nation polaire guidée par un idéal universaliste de la connaissance scientifique.

Olivier Poivre d'Arvor a rappelé le nom de quelques explorateurs français célèbres : Yves Joseph de Kerguelen, qui découvrit en 1772 ce qui sera appelé plus tard l'archipel des Kerguelen ; Jules Dumont d'Urville, qui fut le premier à aborder le continent antarctique en janvier 1840 et donna le nom de sa femme à la terre qu'il découvre, la Terre Adélie ; Jean-Baptiste Charcot, qui monta la première expédition scientifique française en Antarctique en 1904, mais explora également l'Arctique, notamment la côte orientale du Groenland.

• Une présence scientifique permanente dans les deux hémisphères

Jérôme Chappellaz a rappelé que la France dispose d'implantations scientifiques dans les deux hémisphères , même si ses moyens sont essentiellement concentrés dans l'océan Austral et en Antarctique.

En Arctique, elle partage avec l'Allemagne une station de recherche scientifique dans l'archipel du Svalbard sous souveraineté norvégienne, qui lui permet de participer en tant qu'observateur au Conseil de l'Arctique. Elle dispose également de la station Jean Corbel.

Dans l'océan Austral, la France s'appuie sur les îles subantarctiques australes françaises sous administration des TAAF (archipel Crozet, archipel des Kerguelen, îles Amsterdam et Saint-Paul). L'IPEV dispose d'une quarantaine de refuges dans lesquels les chercheurs peuvent se déployer, mais également de laboratoires dans les stations de recherche gérées par les TAAF.

En Antarctique, la France dispose de deux stations scientifiques : la station Dumont d'Urville située sur l'île des Pétrels et, depuis 2005, la station Concordia installée à 3233 mètres d'altitude et opérée conjointement avec l'Italie. Comme l'a fait remarquer Roberta Mecozzi, la France et l'Italie font partie des quatre nations, avec la Russie et les États-Unis, à disposer d'une station permanente sur le plateau antarctique.

• Une recherche d'excellence impliquée dans de nombreux partenariats

La recherche française se place parmi les premières au niveau mondial , comme en témoignent les chiffres avancés par Charles Giusti : premier rang pour la production d'articles scientifiques sur le Subantarctique, cinquième rang pour la production d'articles scientifiques sur l'Antarctique et deuxième rang pour les index de citation des articles.

Alexandra Lavrillier a expliqué que la recherche française en sciences sociales et humaines subarctiques et arctiques a une très longue tradition en anthropologie, en linguistique, en littérature, en géographie humaine, en histoire, en archéologie, et cela depuis le 19 e siècle 19 ( * ) . Elle a dressé une liste non exhaustive des nombreux domaines de recherche dans lesquels la recherche française se distingue au niveau international :

- les aspects socio-culturels de l'urbanisation, des pollutions, des micro/macroéconomies, des paysages, du tourisme, des risques, de la santé ;

- les langues, les religions, les sociétés anciennes, les changements culturels, les technologies autochtones, les arts, la littérature, l'éducation, la jeunesse ;

- les adaptations au changement climatique, les savoirs écologiques autochtones, la géopolitique, le droit environnemental et les droits autochtones.

Olivier Poivre d'Arvor a rappelé le rôle pionnier de la France dans la recherche sur la cryosphère : dès les années 80, le glaciologue Claude Lorius, en coopération avec des scientifiques à l'époque soviétiques, a mesuré les effets du changement climatique grâce à des opérations de carottage autour de la base soviétique de Vostok.

La recherche française peut s'appuyer sur des bases de données anciennes inestimables. Comme l'a souligné Yan Ropert-Coudert, la France peut s'enorgueillir de disposer depuis 1952 d'un suivi de la population de manchots empereurs de la Terre Adélie qui permet à la fois de visualiser les changements drastiques qui affectent cette population, mais également de faire des simulations en croisant cette base de données avec les scénarios du GIEC.

Marie-Noëlle Houssais s'est félicitée qu'à travers le programme SURVOSTRAL 20 ( * ) , la France dispose de la plus longue série temporelle des variations saisonnières et interannuelles de certains paramètres physiques dans l'océan Austral.

L'excellence de la recherche française s'exprime également par son implication dans de nombreux partenariats internationaux dont Jérôme Chappellaz a dressé une liste non exhaustive :

- en Arctique : outre la station du Svalbard, unité mixte internationale de recherche TAKUVIK gérée par le CNRS avec le Canada ; accords bilatéraux, essentiellement signés à l'échelle des laboratoires de recherche, impliquant la Fédération de Russie, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Canada et les États-Unis ;

- en Antarctique : partenariats historiques avec l'Italie à travers la station de recherche Concordia et avec l'Agence spatiale européenne ; étroite collaboration avec l'Australie pour des échanges de services.

La coopération internationale scientifique est promue expressément par le Traité sur l'Antarctique. Elle permet également de partager les frais considérables liés à la construction et l'entretien des infrastructures entre plusieurs partenaires (logique de « transnational access »).


* 18 Le nom de l'actuel brise-glace français, L'Astrolabe , témoigne de la revendication par la France de cet héritage. Plusieurs navires d'exploration mythiques ont porté le nom « Astrolabe » : l'une des deux frégates du comte de La Pérouse disparues en 1788 dans le Pacifique au cours de la première grande expédition française à but uniquement scientifique ; l'une des deux corvettes de Jules Dumont d'Urville avec laquelle il débarqua en Antarctique en 1840.

* 19 Joseph Martin, géologue et explorateur, a été l'un des premiers à traverser la Sibérie orientale et sa chaîne de montagne du sud-est à la fin du 19 e siècle. Paul-Émile Victor, explorateur et spécialiste des Inuits, a créé et dirigé pendant près de trente ans les Expéditions polaires françaises. Jean Malaurie, géographe spécialisé dans la géomorphologie, a réalisé plusieurs missions au Groenland entre 1948 et 1950, et a été le premier homme avec l'Inuit Kutsikitsoq à atteindre en 1951 le pôle Nord géomagnétique.

* 20 SURVeillance de l'Océan auSTRAL : programme de surveillance depuis 1992 de différents paramètres physiques dans l'océan Austral sur une ligne répétée (6 à 19 fois par an) entre Hobart et la station Dumont d'Urville à l'occasion des rotations de L'Astrolabe .

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