Rapport d'information n° 728 (2020-2021) de M. Guillaume GONTARD , Mme Micheline JACQUES et M. Victorin LUREL , fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 1er juillet 2021

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N° 728

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juillet 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur la politique du logement dans les outre-mer ,

Par M. Guillaume GONTARD, Mme Micheline JACQUES et
M. Victorin LUREL,

Sénateurs

Tome II

Auditions

(1) Cette délégation est composée de : M. Stéphane Artano, président ; M. Maurice Antiste, Mmes Éliane Assassi, Nassimah Dindar, MM. Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Mmes Micheline Jacques, Victoire Jasmin, M. Jean-Louis Lagourgue, Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, MM. Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; M. Mathieu Darnaud, Mmes Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, M. Gérard Poadja, secrétaires ; Mme Viviane Artigalas, M. Philippe Bas, Mme Agnès Canayer, M. Guillaume Chevrollier, Mme Catherine Conconne, M. Michel Dennemont, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Mme Jocelyne Guidez, M. Abdallah Hassani, Mme Gisèle Jourda, MM. Mikaele Kulimoetoke, Dominique De Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Mme Marie Mercier, MM. Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Mme Sophie Primas, MM. Jean-François Rapin, Michel Savin, Mme Lana Tetuanui.

Jeudi 21 janvier 2021

Audition de M. François ADAM, directeur, de Mmes Marie-Christine ROGER, chargée de mission outre-mer, Géraldine SANAUR, adjointe au chef du bureau de la réglementation de la construction outre-mer, de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), ministère de la transition écologique, de Mme Isabelle RICHARD, sous-directrice des politiques publiques et de M. Marc DEMULSANT, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective de l'État à la Direction générale des outre-mer (DGOM), ministère des outre-mer

M. Stéphane Artano , président . - Chers collègues, lors de sa réunion du 10 décembre 2020, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a inscrit à son programme de travail cette année, une étude sur le logement dans les outre-mer. Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel en ont été désignés rapporteurs. Nous engageons donc ce matin une série d'auditions consacrées à ce sujet qui a été au coeur de nombreuses interventions lors du dernier débat budgétaire et qui vient de faire l'objet d'un rapport thématique remarqué de la Cour des comptes. Nous accueillons pour la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la transition écologique, son directeur François Adam, et pour la Direction générale des outre-mer (DGOM), en raison de l'empêchement de sa directrice Sophie Brocas, Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques. Ils sont accompagnés de nombreux collaborateurs que nous remercions également pour leur disponibilité. En dépit des efforts déployés ces dernières années, notamment à travers le premier plan logement outre-mer (PLOM) adopté en 2015, la Cour des comptes pointe dans un rapport de septembre 2020 les difficultés des acteurs privés et publics pour répondre à la demande - notamment de logements locatifs sociaux et très sociaux - et plus généralement pour améliorer les conditions de logement outre-mer. Alors que le nouveau plan couvrant la période 2019-2022 tarde à se déployer, la délégation souhaite mettre en avant ce domaine, prioritaire dans les préoccupations des ultramarins, qui paraît moins souffrir d'un problème de financement que de mise en oeuvre concrète sur le terrain. Interrogé la semaine dernière lors de son audition par la délégation, le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu a affirmé que les choses étaient en train de s'améliorer en particulier au niveau de la consommation des crédits, ce que vous pourrez nous confirmer ou pas.

Selon lui, il faut néanmoins continuer à avancer sur 3 sujets : le premier est l'ingénierie. Dans le cadre du plan de relance, 30 millions d'euros sont octroyés à l'AFD, ce qui devrait permettre de renforcer les moyens des collectivités. Le deuxième est la gouvernance en raison des problèmes d'« alignement » parfois entre régions, départements, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et bailleurs sociaux, nous a-t-il indiqué. Enfin, le troisième, est celui du foncier, les difficultés tenant notamment aux problèmes d'indivision, aux risques naturels, à la logique d'occupation des sols ou encore aux outils.

Le ministre a indiqué aussi qu'il avait bon espoir que ces trois chantiers produiront des effets et que 18 millions d'euros supplémentaires ont été affectés à travers la ligne budgétaire unique (LBU) hors les crédits du plan de relance. Je vous propose donc de faire le point avec nos rapporteurs sur ces différents sujets en vous basant sur la trame qui vous a été adressée.

Nos trois rapporteurs s'étant réparti le champ très large de cette étude, je vais leur donner successivement la parole. Pour la clarté de la discussion et compte tenu des sujets assez techniques qui seront abordés, je vous propose de procéder en trois temps : Victorin Lurel ouvrira la première séquence par une série de questions axées sur les aspects financiers et de pilotage auxquelles nos invités répondront. Puis ce sera le tour de Micheline Jacques qui s'attachera davantage aux problématiques d'adaptation des normes et des techniques de construction, suivi des réponses de la DGOM et de la DHUP. Enfin, Guillaume Gontard se chargera du volet plus prospectif sur l'habitat et les nouveaux défis à relever, comme celui du réchauffement climatique.

Nous avons souhaité vous auditionner ensemble car vous êtes les acteurs pivot de cette politique au niveau national. D'ailleurs, la Cour des comptes, insiste sur la nécessité d'une bonne coordination des administrations centrales et sur ces 14 propositions, la moitié concerne conjointement vos deux directions.

À l'issue de ces trois séquences, nos collègues présents et ceux qui participent en visioconférence, je salue notamment la présidente Sophie Primas et Gérard Poadja en particulier qui pourront évidemment poser des questions à nos invités. Je cède donc la parole à Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - À titre liminaire, j'indique que les conditions de travail des parlementaires d'outre-mer sont actuellement difficiles. Je suis en visioconférence avec vous, bien qu'il soit 4 heures du matin en Guadeloupe ! Une septaine nous est par ailleurs imposée en revenant de Paris. Le poids de ces obligations commence à devenir lourd mais je sais que le président Larcher a été saisi à ce sujet.

Sur notre étude, je poserai tout d'abord trois questions. La première porte sur les PLOM. Dans quelle mesure le PLOM 2019-2022 tire-t-il les leçons de l'échec du plan de logement outre-mer 2015-2019 ? Je pense que nous sommes tous d'accord avec le constat de la Cour des comptes concernant l'échec du plan 2015-2019. Pourquoi le comité de pilotage du nouveau PLOM 2019-2022 ne s'est-t-il toujours pas réuni ? Les objectifs du PLOM 2019-2022 devront-ils être révisés à l'aune de la crise ? La part consacrée au logement ultramarin dans le Plan de relance viendra-t-elle en complément du PLOM ?

Dans son rapport de septembre 2020 sur le logement dans les DROM, la Cour des comptes se montre aussi critique sur la gestion de la politique du logement outre-mer par la DGOM. Elle note que « la DGOM, confrontée à l'ampleur de la crise en même temps qu'à la faiblesse de ses effectifs, n'a guère les moyens d'assumer, malgré le relais de la DHUP et de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) les tâches de conception, d'animation et de suivi-évolution de la politique du logement ».

Ma deuxième question est donc : faut-il envisager un autre type de pilotage, par exemple par le ministère du logement ? Autrement dit, faut-il revoir cette division du travail entre les deux ministères et à défaut comment renforcer le rôle d'animation et d'évaluation de l'État dans les politiques locales du logement ?

Ma troisième question porte sur les incitations fiscales. Les dépenses fiscales ont pris une part prépondérante dans les financements publics au logement en outre-mer. La Cour des comptes appelle à repenser leur articulation avec la ligne budgétaire unique (LBU). Quelle est la position de vos directions sur ce sujet ? Je rappelle, et c'est assez éclairant, que la Cour estimait qu'avant 2010, un million d'euros de financements publics, à cette époque par la LBU, permettait de construire 38 logements outre-mer. Depuis cette date, majoritairement appuyé par des dépenses fiscales, il ne permet plus que de construire 16 logements. Il existe donc un problème d'efficacité de la dépense publique.

M. François Adam, directeur à la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) . - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs. La DGOM et la DHUP répondront de manière conjointe et coordonnée en fonction des sujets suivis plus particulièrement par l'une ou l'autre des directions. Je souligne à cet égard que ce sujet du logement est un sujet de coopération très étroite entre nos deux ministères et ce de longue date. Cela est vrai au niveau des ministres eux-mêmes, et leurs cabinets, mais aussi au niveau des administrations.

En matière de logement, il en est de même que pour d'autres politiques publiques. D'un côté, se trouvent des ministères qui ont une spécialisation, de l'autre la DGOM, qui a un rôle d'animation et de coordination sur l'ensemble des politiques publiques outre-mer. En matière de logement, la DGOM dispose d'outils spécifiques avec la LBU. Il est vrai que l'existence sur une même politique de deux administrations suppose un effort de coordination. Il nous semble que sur le PLOM en particulier, nous avons trouvé un mode de travail efficace.

Il ne faut pas, à notre avis, porter un jugement trop négatif sur le PLOM 2015-2019. S'il n'a certes pas résolu tous les problèmes, le chiffre global de la construction et de l'amélioration de 10 000 logements sociaux sur la période a bien été atteint. L'objectif était cependant trop quantitatif. Par ailleurs, il ne répondait pas suffisamment à la diversité des publics. Surtout, l'approche était insuffisamment différenciée par territoire. C'est la raison pour laquelle le PLOM 2019-2022 a été construit sur une logique de territorialisation en tirant les leçons des imperfections du plan précédent. Il a été élaboré après une longue démarche de concertation, avec une remontée de propositions locales. Une fois que le plan national a été finalisé - c'était à la fin de l'année 2019 - le principe était posé d'une déclinaison territoriale au 1 er semestre 2020.

Il faut souligner que le plan s'est réellement mis en oeuvre et que sa gouvernance locale s'est mise en place. Les administrations centrales se sont vues à intervalles réguliers et un comité technique a eu lieu au milieu de l'année 2020. Il est vrai qu'un comité de pilotage politique au niveau des ministres, et sans doute des élus locaux, était envisagé avant la fin de l'année 2020. Dans le contexte de la crise sanitaire, il a semblé plus pertinent de le reporter. Il est désormais envisagé de réunir à la fin du 1 er trimestre de l'année 2021.

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM) . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre directrice générale qui est retenue par d'autres obligations. Je suis présente avec mon collègue Marc Demulsant, sous-directeur en charge des questions budgétaires.

Comme vous le savez, la ligne budgétaire unique a été constituée à la fin des années 1990. Elle a permis de regrouper beaucoup d'outils budgétaires différents dans une logique de coordination. Cette coordination se retrouve dans la le travail étroit entre la DGOM et la DHUP, ainsi qu'avec d'autres structures comme l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), la Caisse des dépôts (CDC) ou les sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) dans lesquelles nous siégeons en conseils d'administration. Le rôle de la DGOM est d'assurer cette coordination, de permettre l'adaptation des politiques et d'entretenir le lien avec le tissu local.

La mise en oeuvre difficile du premier PLOM a montré que les enjeux de gouvernance locale étaient essentiels. La Cour des comptes a effectivement pointé les manques en matière d'articulation avec le local. Si les objectifs du PLOM 2015-2019 étaient ambitieux, il y a eu d'importantes insuffisances s'agissant de la gouvernance au niveau local, des modalités d'action et du pilotage. Ces difficultés se sont manifestées très concrètement au niveau de la consommation de la LBU.

S'agissant de la consommation de la LBU pour 2020, il ne faut pas oublier que nous étions aussi dans une année difficile pour les opérateurs. Nous avons également eu beaucoup d'échanges avec les porteurs des plans locaux, sur le montage des opérations et sur la consommation effective de la LBU. Le lancement de projets était très difficile en période de confinement puisque les opérateurs sociaux ont vu une partie de leurs équipes confinée et, pour un certain temps, leurs chantiers interrompus.

Nos équipes au sein de la DGOM, en lien avec la DHUP, avec les acteurs locaux, les Directions régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) et les acteurs du logement social se sont mobilisés pour améliorer la consommation de la LBU. C'était le défi de l'année 2020 et cela explique aussi le décalage du comité de pilotage. Nous avons aussi recherché des actions visant à pallier les effets de la crise. Nous avons, à cette fin, dynamisé aussi le PLOM et ajouté notamment un décret qui a permis à l'État de verser des avances plus importantes qu'habituellement aux entreprises et aux acteurs à la fin de l'année 2020.

Je ne peux bien sûr que confirmer ce qu'a dit le directeur de la DHUP : le deuxième PLOM est beaucoup plus territorialisé et se décline à travers des plans locaux qui permettent d'affiner la démarche. Je vous précise par ailleurs que, même si le comité de pilotage a été décalé, le comité technique s'est tenu en juillet 2020. La Cour des comptes insistait également sur l'insuffisante adaptation des outils de financement en matière de logement social. Alors que la majorité de nos concitoyens d'outre-mer relève des logements très sociaux, la part des financements de logements très sociaux dans les financements au logement social en outre-mer reste insuffisante. Les plans territoriaux visent précisément à remédier à ces difficultés, à travers des objectifs beaucoup plus individualisés par territoire et à travers 77 mesures visant à remédier, avec les acteurs locaux, à toute une série de difficultés techniques.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous indiquez que les objectifs ont globalement été atteints pour le premier PLOM, avec 10 000 logements construits par an dans les cinq DROM. 50 000 logements doivent par ailleurs être construits dans le Pacifique. Ces objectifs étant fixés globalement, pourriez-vous nous fournir leur répartition par territoire ? Nous aimerions savoir, territoire par territoire, au cours de la période de 2015 à 2020, quels ont été les objectifs et les résultats obtenus.

Mme Isabelle Richard . - Nous établirons bien sûr un tableau en ce sens, que nous vous transmettrons.

Je vous confirme que le prochain comité de pilotage est prévu pour le premier trimestre 2021, sans doute au mois de février. Nous y ferons un point avec les acteurs de terrain sur l'avancée des 77 mesures et des plans locaux afin de mesurer si les résultats sont en accord avec les objectifs fixés. Nous examinerons également si de nouveaux outils pourraient éventuellement être mis en oeuvre. Comme je l'indiquais précédemment, des outils ont été proposés pour permettre, malgré la crise, la réalisation des opérations et la consommation de la LBU. D'autres propositions émaneront probablement des acteurs.

L'objectif est que ce PLOM soit véritablement vivant. Une Conférence du logement en est à l'origine et avait réuni plus de 400 participants. Le nouveau PLOM doit permettre de traiter la majeure partie des difficultés qui ont été énumérées par ces participants. Ce même esprit participatif sera celui du comité de pilotage. Si des acteurs locaux font des propositions pertinentes qui peuvent être financées sans délai, elles seront mises en oeuvre.

Lors de ce comité de pilotage, nous veillerons également à l'articulation et à la complémentarité du PLOM avec le plan de relance national. Ce dernier prévoit déjà deux volets, avec une partie gérée par l'État et une partie complémentaire via l'action de la CDC. S'agissant de la partie État, des crédits sont prévus au titre de la rénovation lourde thermique des logements sociaux. 15 millions d'euros seront délégués au ministère des outre-mer au titre de la LBU dans ce cadre. Il existe également un programme de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) en faveur de la réhabilitation des centres d'hébergement, qui comportera des financements outre-mer. Des crédits seront également consacrés aux constructions de centres d'hébergement pour faciliter la résorption des bidonvilles. 5 millions d'euros seront délégués à la DGOM dans ce cadre.

La question de la complémentarité sera au coeur de ce comité de pilotage et un point pourra être fait également sur les objectifs de la Caisse des dépôts en matière d'achat sous forme de ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA). 6 000 logements seront achetés en VEFA et portés par la CDC, afin d'accélérer la finalisation de ces logements et la livraison de ces mêmes opérations.

S'agissant des financements publics via la défiscalisation, ceux-ci sont complémentaires des financements budgétaires. Il s'agissait à l'origine de réorienter la défiscalisation - qui était fortement orientée vers le logement privé - vers le logement social. Pour continuer à faire bénéficier les outre-mer de ces financements en défiscalisation, il avait été proposé de nouveaux outils de financement. La défiscalisation des logements sociaux passe aujourd'hui dans les DROM par le crédit d'impôt, ce qui évite des pertes en ligne, c'est-à-dire des financements qui rémunèreraient des intermédiaires à travers les sociétés de montage. Ce financement par crédit d'impôt est beaucoup plus vertueux et beaucoup plus rapide. C'est un point extrêmement positif.

Je rappellerai aussi, puisque nous avons la chance d'avoir le sénateur de la Nouvelle-Calédonie en visioconférence, qu'il existe un autre dispositif de défiscalisation, qui n'est pas un crédit d'impôt et qui permet de financer, à partir de l'impôt sur les sociétés, les logements sociaux dans les collectivités du Pacifique. Le Gouvernement a soutenu un amendement permettant de neutraliser la baisse d'impôt sur les sociétés, parce que cette trajectoire de baisse d'impôt pour l'Hexagone aurait comme conséquence une réduction de la base de la défiscalisation et donc une réduction des financements vers des projets de défiscalisation des collectivités du Pacifique.

La défiscalisation est une souplesse complémentaire au financement par la LBU. Par définition, l'enveloppe n'est pas prédéfinie et n'est pas fermée comme une enveloppe budgétaire. Les projets qui arrivent et qui sont agréés doivent être financés. La montée en puissance du crédit d'impôt permet aussi d'abaisser les coûts de construction.

La Cour des comptes avait indiqué que la baisse des coûts de construction n'était pas prise en compte dans son évaluation. Il s'agissait en fait de données brutes et assez anciennes qui gagneraient à être révisées aujourd'hui. Par ailleurs, il n'y a pas assez de visibilité sur les demandes d'agréments fiscaux. Ces données - nous les avons demandées - relèvent de la DGFIP et permettraient sans doute un pilotage plus fin de cette défiscalisation.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Nous aimerions avoir des précisions sur la défiscalisation et sur la consommation exacte des crédits de la LBU. Il me semble que, de 2014 à aujourd'hui, le montant global de la LBU a diminué.

Si l'on engage des crédits, sur combien d'années  les autorisations d'engagements (AE) et les crédits de paiement (CP) sont-ils consommés ? Pour une opération, j'ai cru comprendre, que c'était à peu près sur sept années. Au bout de ce cycle de consommation, les crédits sont-ils totalement consommés ? Pourrions-nous avoir les statistiques, année par année, des engagements de crédit pour la période entre 2015 et 2021 ?

Dans les collectivités du Pacifique, il y a toujours cette interdiction, résultant il me semble de leur statut fiscal, de bénéficier du crédit d'impôt. Des demandes sont faites chaque année en loi de finances mais elles sont souvent rejetées. Nous souhaitons approfondir cette question dans notre rapport.

Ensuite, s'agissant du crédit d'impôt au titre des investissements productifs outre-mer, le seuil de chiffre d'affaires des entreprises éligibles est passé de 20 millions à 15 millions puis à 10 millions d'euros. Où en est-on aujourd'hui ? Où s'arrêtera le curseur ? Est-ce que cette progression se poursuivra et fera reculer les incitations fiscales ?

Ma quatrième interrogation porte sur le manque d'ingénierie : comment remédier au manque d'ingénierie des collectivités, qui serait apparemment responsable de la sous-consommation récurrente des crédits de la LBU ? Quel bilan peut-on tirer de l'action des plateformes d'aide à l'ingénierie développées en Guyane et à Mayotte ? Est-il envisagé d'étendre rapidement cette plateforme à d'autres territoires ? J'ajouterai que le député Max Mathiasin, dans son rapport pour avis sur la mission outre-mer, s'appuie sur le rapport du contrôleur général financier ministériel et sur le rapport de l'Inspection générale des finances, pour démontrer qu'au-delà de la faiblesse d'ingénierie et d'assistance technique des collectivités, c'est surtout la façon d'engager des crédits, en les concentrant en fin d'année par exemple, qui rendrait leur consommation difficile et expliquerait des restes à payer considérables.

M. François Adam . - Je commencerai sur les questions d'ingénierie, puis la DGOM pourra répondre aux questions budgétaires qui relèvent de sa compétence. Le bilan est globalement positif pour les plateformes d'aide à l'ingénierie développées en Guyane et à Mayotte. Rattachés au préfet, elles permettent un appui de proximité au service des collectivités, notamment pour aider au montage des dossiers de demande de subventions par exemple.

Au-delà de ces deux plateformes, d'autres outils similaires sont déployés. Les établissements publics fonciers et d'aménagement de Mayotte et de Guyane ont un rôle particulièrement important et tous les DROM sont couverts par des établissements publics fonciers. En réponse au besoin de présence des services de l'État pour l'appui en ingénierie dans les collectivités territoriales ultramarines, le choix a été fait d'y préserver les effectifs des DEAL (Direction l'environnement, de l'aménagement et du logement) alors même que notre ministère continue à réduire ses effectifs de l'ordre de 2 % par an dans ses services déconcentrés dans l'Hexagone.

Ces questions d'ingénierie sont tout à fait cruciales pour la bonne exécution des politiques du logement. L'Agence nationale de cohésion des territoires, qui aide les collectivités en matière d'ingénierie, vient de lancer un marché cadre national sur ces questions avec deux lots qui sont d'une part, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane et d'autre part, Mayotte et La Réunion.

Mme Isabelle Richard . - Pour la consommation des crédits 2020, il faut rappeler que l'une des décisions du PLOM consistait à réserver une partie des crédits LBU à l'ingénierie. En effet, mettre à disposition des crédits ne suffit pas si ces derniers sont sous-utilisés, comme cela a pu être le cas pour la période 2014-2018. Ainsi, dès 2020 une part de crédit LBU a été réservée à l'ingénierie afin que les acteurs locaux puissent mieux monter leur projet et anticiper les difficultés. Sept millions d'euros ont été délégués pour des projets d'ingénierie, des études ainsi que pour une aide aux acteurs locaux. Ces crédits sont complétés par le fonds 5.0, une mesure transverse qui peut englober aussi le logement, et qui consiste à renforcer le fonds d'assistance à maîtrise d'ouvrage de l'AFD. Le plan de relance dotera l'AFD de deux fois 15 millions d'euros, en 2021 et 2022, pour des assistances à maîtrise d'ouvrage qui peuvent aussi comprendre des projets globaux incluant le logement.

Concernant les syndicats mixtes d'aménagement de Guyane et de Mayotte, prévu au sein du PLOM, ils sont financés sur la LBU par le ministère des outre-mer afin de renforcer les capacités des acteurs locaux. Ces avancées assez importantes viennent s'ajouter aux deux plateformes d'ingénierie de Mayotte et de Guyane, évoquées précédemment. Pour information, la plateforme d'ingénierie de Mayotte regroupe cinq agents et celle de Guyane trois agents. Ces forces sont entièrement dédiées à cette mission et mènent de nombreuses actions concrètes. La CDC met elle aussi ses capacités à disposition des acteurs locaux. Le renforcement de ces projets d'ingénierie est prévu ultérieurement. Quant à la trajectoire fiscale nous pourrons vous donner des éléments de réponses écrites.

M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État à la Direction générale des outre-mer (DGOM) . - Il est possible de résumer les grands traits de l'aspect budgétaire des dix dernières années en se basant sur le détail des crédits qui ont été votés en loi de finances initiale et sur ce qui a finalement été consommé.

On peut distinguer trois périodes. Une première de 2010 à 2014 se traduit par une enveloppe en autorisations d'engagement positionnée à environ 270 millions d'euros et qui n'a jamais pu être totalement consommée, à la seule exception de l'année 2010. On peut faire la présentation clinique d'une décroissance des engagements à peu près sur un rythme de 10 millions par an.

À partir de 2015, pour faire face à cette situation, il y a un repositionnement de l'enveloppe autour de 247 millions d'euros tout en conservant un volontarisme sur les réalisations. La décroissance s'est poursuivie mais est à modérer puisqu'en 2016 il y a une petite progression.

En 2018, la LBU a été repositionnée à 225 millions d'euros avec des engagements qui, jusqu'à 2019, n'ont pas dépassé 200 millions. En 2020 en revanche, on observe clairement un sursaut. Les sommes engagées sont allées au-delà de ce qui était prévu en loi de finances initiale : 118 millions d'euros ont ainsi pu être redéployés. Le fait que ce résultat ait été obtenu dans le contexte particulier de l'année 2020 doit être regardé, nous semble-t-il, comme un élément particulièrement positif. Par ailleurs, le constat plus large sur les crédits du ministère des outre-mer est aussi positif : pour la première fois depuis 2015, ils ont été mandatés de façon totale.

Les crédits de paiement profitent de l'« effet miroir » de cette situation sur les engagements. En 2020, le résultat est très positif puisque là aussi on a atteint et même dépassé l'objectif fixé en loi de finances initiale.

Pour rappel, les restes à payer ne sont pas exactement à proprement parler une dette de l'État mais plutôt des factures susceptibles d'être présentées à un moment donné. Sur la même période 2010-2020, il y a une décroissance dans la dynamique, ce qui est aussi une bonne nouvelle. En 2020, en valeur absolue, on est à 736 millions d'euros sur la LBU, soit une augmentation de 3 millions d'euros, un chiffre quasiment stable par rapport à l'année précédente. Cette décroissance tient à la réalisation des opérations et à l'évincement des autorisations d'engagements caducs, conformément aux règles budgétaires. Les restes à payer ne peuvent jamais être nuls, leur montant est quasiment incompressible en fonction de la durée des réalisations des opérations pour lesquelles l'ordre de grandeur observé en moyenne est de 7 ans. Toutefois, l'évolution des restes à payer n'est pas tout à fait homogène sur les cinq DROM. Il y a diminution à peu près partout, sauf dans deux territoires : Guyane et Mayotte. Cela s'explique surtout par la progression au cours des dernières années de l'effort budgétaire de l'État qui, tenant compte des besoins considérables sur ces deux territoires, a augmenté les dotations.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Pour résumer, la période 2010-2015 était globalement meilleure que les années plus récentes et la sous-consommation relève, selon vous, uniquement du déficit d'expertise, d'une déficience de l'assistance technique et d'un manque d'ingénierie. Or, vous n'avez pas évoqué le diagnostic fait par l'Inspection générale des finances et par le contrôleur financier, pointé par le député Max Mathiasin. Il nous amène à constater une consommation plus faible des crédits qui diminuent au motif précisément qu'on ne les consomme pas assez.

Aujourd'hui, l'argument du déficit technique est très mal vécu par les élus, les collectivités, les services déconcentrés de l'État et par les opérateurs. Comment comprendre que ces services n'ont plus la capacité technique de monter des dossiers, alors que la consommation des crédits était satisfaisante jusqu'en 2015 ? Il serait utile que vous nous donniez des explications sur les motifs véritables de cette sous-consommation. Le manque d'explications en amont est d'ailleurs une insuffisance pointée par la Cour des comptes.

La cinquième série de questions porte sur le niveau très élevé des loyers outre-mer. Une étude du ministère de la transition écologique en décembre 2020 en fait état. Comment agir pour développer une offre diversifiée de logements et obtenir une modération des loyers dans les DROM ? S'agissant du foncier, comment remédier aux difficultés posées par la multiplication des indivisions et dynamiser les Fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) qui soutiennent la production de foncier aménagé ?

Monsieur François Adam . - Il nous semble important d'améliorer le dispositif d'observation du niveau des loyers outre-mer. Je souligne à cet égard que des observatoires des loyers sont en cours de déploiement par les ADIL (Agences départementales pour l'information sur le logement) dans tous les DROM, alors que jusqu'à présent, seule La Réunion en était dotée. Le sujet n'est pas spécifique aux outre-mer et il renvoie à la question du développement d'une offre à loyers abordables de logements sociaux et très sociaux.

D'autre part, le développement du parc n'est pas suffisant et la réduction de la vacance des logements est nécessaire. La ministre déléguée au logement, Emmanuelle Wargon, a lancé récemment un plan national de lutte contre ce phénomène de logements vacants. Notre ministère travaille de manière globale sur ces sujets et une mesure prévue par le PLOM va être lancée : une mission du CGEDD (Conseil général de l'environnement et du développement) dégagera une étude précise de la vacance dans les cinq DROM, tout en différenciant la situation particulière de ceux-ci. Une évaluation de la loi SRU sera aussi effectuée en parallèle car, comme le relève la Cour des comptes, compte tenu de la géographie des DROM, des dispositions peuvent conduire à imposer la construction de logements sociaux dans des espaces semi-ruraux, avec des coûts d'aménagement élevés. Au cours de cette mission, une réflexion sur les leviers qui permettraient d'agir sur le niveau des loyers pourra être amorcée. Toutefois, il n'existe pas de réponse unique puisque le niveau des loyers est un prix de marché résultant de la situation globale du marché du logement, territoire par territoire.

Mme Isabelle Richard . - Ce que nous pouvons rajouter, c'est que le PLOM fixe un objectif ambitieux de 30 % de logements à loyers très sociaux, qui peut être difficile à réaliser car il faut également garder une mixité.

Une mesure très particulière du plan de relance sur les rénovations lourdes de logements sociaux est accompagnée d'une exigence de maintien du niveau des loyers. La signature de conventions d'utilité sociale entre l'État et les bailleurs encourage également ces derniers à limiter la progression des loyers, c'est ce qui a été fait par exemple à La Réunion.

Enfin, des réponses très spécifiques et expérimentales, comme le LLTSA (logement à loyers très sociaux adaptés), sont en cours de création et viseront à participer à la résorption des bidonvilles avec des logements très sociaux adaptés et des loyers de sortie très bas.

S'agissant du foncier et de la multiplication des indivisions, nos outils de suivi actuels ne permettent pas encore d'appréhender correctement ce phénomène qui est assurément très présent et de manière endémique. La loi dite Letchimy a été un progrès puisque la majorité des indivisaires peut décider de travaux sur un fond dit indivis. Cependant, cette disposition se heurte à la nécessité de prouver que la totalité des indivisaires ont été sollicités et les difficultés d'identification de ces derniers réapparaissent alors.

S'agissant de la mobilisation du FRAFU, nous essayons de la porter à son maximum, grâce à la LBU et grâce au FEDER. Des augmentations de la LBU ont permis de soutenir le FRAFU en Guyane et à Mayotte. L'EPFAG (Établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane) a reçu à ce titre 7 millions d'euros et l'EPFAM (Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte) 3 millions d'euros au titre du FRAFU et 3 millions d'euros au titre de l'amorçage de ces travaux. Des financements sont également prévus au titre de 2021.

Enfin, le PLOM 2019-2022 préconise la création de GIP de titrement pour aider les occupants sans droit de foncier public à se voir attribuer des titres. Une mesure en ce sens est en cours à Mayotte avec le soutien de la commission d'urgence foncière. Les acteurs de Guadeloupe et de Martinique essayent également de trouver des solutions.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'ai une dernière question sur la restructuration (ou réorganisation) des opérateurs de logement social. Dans certains départements, il en existe plusieurs quand il n'y en a qu'un seul à Mayotte. La loi ELAN (Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) a permis de donner quelques éléments d'évolution avec des déclinaisons particulières en outre-mer. Comment envisagez-vous une possible restructuration des opérateurs de logement social dans les outre-mer ?

Pour illustrer ma question, je prendrais l'exemple de la ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. 3 000 logements sont détenus par la ville qui a une situation financière difficile. Or, il serait question de céder une partie de ces logements. Il faudrait que la mixité joue dans l'autre sens, 75 % des logements sociaux de l'île étant concentrés dans cette ville. Certains appréhendent une restructuration par l'intermédiaire d'une société foncière pour introduire des logements intermédiaires qui auraient, après un certain temps, des loyers déplafonnés. Comment appréciez-vous cette stratégie nouvelle des opérateurs, leur possible restructuration et l'introduction de davantage de logements intermédiaires avec des loyers déplafonnés ? Plus généralement, comment réagissez-vous aux stratégies actuelles de CDC Habitat et d'Action Logement ?

M. François Adam . - S'agissant du logement social, il faut souligner que la loi ELAN a engagé au niveau national un processus de restructuration du secteur, qui n'emporte cependant pas d'obligations en outre-mer. Mais la loi crée un certain nombre d'outils, dont les bailleurs sociaux présents outre-mer peuvent, le cas échéant, se saisir. Une évolution importante est que les anciennes SIDOM (Sociétés immobilières d'outre-mer) sont désormais intégrées au sein du groupe CDC Habitat et qu'Action Logement est également présent en outre-mer. Il nous semble que ce sont là des évolutions positives.

CDC Habitat et Action Logement ne doivent pas être vues comme une menace. Ces deux groupes sont de grands groupes de logement social qui produisent aussi du logement intermédiaire, mais qui restent d'abord des opérateurs de logement social. L'implication de CDC Habitat dans les outre-mer est un élément extrêmement positif et qui est à soutenir. Ces deux grands groupes permettent de renforcer le tissu des opérateurs du logement social en outre-mer.

S'agissant de l'évolution du parc, le patrimoine social restera social dans la mesure où les possibilités de cession - même si la loi ELAN les a un peu étendues - restent aujourd'hui particulièrement encadrées. Les chiffres nationaux montrent qu'il y a, ces dernières années, une légère progression du nombre de logements sociaux qui sont cédés. Il y en a environ 10 000 par an pour un parc total au niveau national de 5 millions de logements. Même si le chiffre de 10 000 n'est pas négligeable, il n'est pas extrêmement significatif à l'échelle du parc.

Par ailleurs, plusieurs principes doivent être respectés. Ainsi, un logement social occupé doit être en priorité cédé à ses occupants. Pour les logements sociaux installés dans des communes qui n'ont pas encore atteint leurs objectifs au titre de la loi SRU, la cession n'est possible qu'après l'accord de la collectivité (ce principe résulte d'ailleurs d'une évolution de la loi ELAN lors des débats parlementaires). Il n'y a donc pas d'inquiétude particulière à avoir sur le risque de cessions importantes, voire de disparition d'une partie du parc social outre-mer. Cela n'est évidemment en aucun cas la stratégie de l'État. Ce n'est pas non plus la stratégie globale de ces opérateurs. Néanmoins, il peut se trouver des situations locales où il est utile et pertinent de procéder à des cessions. Ce sont alors des projets qui doivent être abordés dans un dialogue entre un bailleur social, une collectivité et bien sûr souvent des locataires qui sont évidemment fortement concernés.

Monsieur le sénateur, s'il y a des situations locales qui méritent un examen particulier des services de l'État, je vous invite à nous les signaler. Je veux vraiment souligner que la stratégie de l'État n'est pas de donner une importance excessive aux cessions de logement social, puisque l'objectif prioritaire reste de produire du logement abordable en métropole et évidemment en outre-mer. Il n'y a pas de concurrence particulière entre le logement social et le logement intermédiaire. Notre ministère soutient aussi la création de logements intermédiaires, sachant que le logement intermédiaire bénéficie d'avantages fiscaux et de moyens budgétaires considérablement plus faibles que le logement social. Il n'y a pas d'éviction dans un sens ou dans l'autre. Il y a des territoires où il est pertinent de produire du logement intermédiaire, avec un loyer un peu plus élevé que le logement social. Mais le coeur des politiques que nous mettons en oeuvre reste bien de produire du logement social et c'est une orientation particulièrement forte de la ministre chargée du logement.

Mme Isabelle Richard . - La principale restructuration récente est en effet celle de la cession des parts de l'État dans les SIDOM à CDC Habitat. Cette cession n'avait pas pour objet de disposer de ressources complémentaires, bien que celles-ci aient pu être recyclées au profit du logement social. Le principal objectif était de permettre un appui technique de la part de la Caisse des dépôts.

Le rôle de la DGOM est d'assurer le suivi des aspects budgétaires ainsi que le suivi technique avec nos collègues de la DHUP. Mais l'appui très concret aux SIDOM est hors du champ de compétence de la DGOM. Nous avons donc fait preuve de subsidiarité en estimant que la Caisse des dépôts était l'entité la plus pertinente pour pouvoir appuyer la stratégie de ces SIDOM. D'ores et déjà, on peut constater qu'avec l'appui de CDC Habitat, l'objectif de 30 % de LLTS (logements à loyers très sociaux) a été atteint. Cela s'est fait sans pour autant négliger les objectifs de logements intermédiaires qui sont évidemment pertinents outre-mer, qui peuvent être aussi financés aussi par la défiscalisation.

Je tiens également à mentionner qu'à Mayotte, nous essayons aussi d'appuyer l'arrivée d'un deuxième opérateur de logement social. C'est un objectif important que nous poursuivons.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous propose maintenant de passer au deuxième temps de cette audition. Micheline Jacques abordera l'enjeu de l'adaptation des normes et des techniques de construction pour mieux couvrir les besoins locaux.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Ma première question concerne le rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur le BTP de 2017 qui avait formulé des recommandations sur l'adaptation des règles d'urbanisme et des normes de construction. Quel bilan pouvez-vous dresser des modifications réglementaires entreprises depuis 2017 (dérogation pour tenir compte de la rareté et de l'exiguïté du foncier, révision de la réglementation thermique, acoustique et aération, dérogation aux règles d'accessibilité au logement, réglementation sur la sécurité incendie) ?

Ma deuxième question porte sur les textes réglementaires liés au logement dont la modification est prévue à moyen terme pour permettre leur adaptation aux contextes ultramarins. Quelle adaptation locale des documents techniques unifiée au sein des territoires ? Autrement dit les ministères travaillent-ils en collaboration avec les organismes professionnels, producteurs de DTU, afin de favoriser cette démarche d'adaptation de leur part ?

Je terminerai cette série de questions en vous demandant d'expliciter avec des exemples précis le rôle des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour soutenir la création de commissions locales de normalisation sur le modèle de celle existant à La Réunion et en Martinique.

M. François Adam . - Sur les modifications règlementaires, il faut notamment citer un décret qui a été pris en décembre 2019 et qui a adapté un décret de 2002 sur la définition du logement décent, afin de permettre un cadre dérogatoire pour Mayotte.

Nous avons également largement engagé la réécriture de la Réglementation thermique, acoustique et aération propre aux DOM (RTAA DOM). Des travaux sur cette réécriture ont été menés en 2018 et 2019, avec l'appui d'un groupe de travail, composé de professionnels des différents services (DEAL, DGOM, DHUP, CEREMA). Il a permis d'aboutir à un projet de réécriture des articles réglementaires qui composent aujourd'hui la RTAA en introduisant notamment un indice de confort thermique afin d'évaluer la performance des logements neufs en outre-mer. Ce travail de réécriture devrait déboucher au 1 er semestre 2021 sur un décret dans le cadre de la réécriture de tout le livre I er du code de la construction et l'habitation sur les règles de la construction.

Par ailleurs, à un niveau plus technique, nous sommes en train d'élaborer en lien avec le CSTB et le CEREMA le moteur de calcul qui permet à partir des caractéristiques d'un bâtiment de calculer un certain nombre d'indicateurs de performance conventionnel, comme cela existe d'ailleurs aussi pour la réglementation du neuf en métropole. L'objectif de mise en service de ces outils est fixé pour la fin de l'année 2021.

Sur les évolutions prévues, j'ai déjà évoqué le décret qui sera pris au 1er semestre 2021 et qui inclura la réécriture de la RTAA DOM. Par ailleurs, il existe désormais une démarche pour élaborer une réglementation para-cyclonique dans les DOM. C'est un sujet sur lequel nous venons d'engager un travail en associant le ministère des outre-mer et qui, dans le calendrier actuel, doit s'étaler sur au moins deux ans (2021 et 2022). Il y aura plusieurs niveaux de textes réglementaires et le décret pourrait être pris en 2021 et les arrêtés d'application en 2022. Cela constituerait un pan tout à fait nouveau du droit de la construction outre-mer mais qui paraît nécessaire et dont le principe est acquis entre nos deux ministères. Étant nouveau, ce sujet demandera un travail technique important, d'autant que les situations sont très différentes entre les territoires (c'est le cas notamment pour les régimes des vents). Cela conduira en réalité à des réglementations territoire par territoire. C'est un énorme chantier réglementaire tout à fait nouveau qui va être mené.

Mme Géraldine Sanaur, adjointe au chef du bureau de la règlementation de la construction outre-mer à la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) . - Concernant la thématique de l'adaptation locale des normes pour les départements et régions d'outre-mer, une structuration du réseau des acteurs de la construction outre-mer a été engagée, notamment dans le cadre du programme Pacte (Programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique). Ce programme a été lancé en 2015 et a permis notamment la constitution dans le cadre d'une convention entre la DHUP et les porteurs de projets de la commission locale de normalisation de La Réunion qui travaille encore actuellement à l'adaptation des documents techniques unifiés, des normes relatives à l'utilisation des couvertures métalliques notamment et des parpaings de type bloc américain pour le territoire de La Réunion.

Le programme Pacte a également permis de soutenir la constitution d'une cellule économique régionale de la construction à la Martinique. Cette cellule économique régionale a également vocation à s'investir dans la question des règles de l'art, notamment sur la question para-cyclonique. Enfin, plus récemment, ce programme a permis de constituer une troisième cellule économique régionale en Guadeloupe, qui est en train de voir le jour.

Ainsi, en soutenant la constitution de ces structures et en permettant de fédérer l'expertise des professionnels de la construction, on entend soutenir ces projets communs d'adaptation des normes DTU, qui est un sujet prioritaire pour ces structures. Ce programme a permis la constitution de ces structures, avec l'appui notamment des DEAL qui ont été particulièrement mobilisées à travers les réseaux des professionnels ultramarins de la construction ou en élaborant également les fameux dossiers de candidature pour obtenir le soutien du programme Pacte. Elles ont assuré le relai entre les professionnels de la construction, la DHUP et l'Agence pour la qualité de la construction qui assure le secrétariat technique de ce programme. Par ailleurs, les DEAL, après le montage de ces commissions, sont partie prenante des cellules économiques régionales de la construction et poursuivent leur action d'animation et de relai entre ces structures et l'administration centrale.

Le soutien à ces programmes fait l'objet aussi de mesures dans le cadre du PLOM. Il est prévu d'accorder un soutien à ces commissions locales pour permettre la poursuite de leur fonctionnement, à travers une aide annuelle qui serait attribuée par la DGOM, dans le cadre de la LBU.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques de la Direction générale des outre-mer (DGOM) . - Les commissions locales de normalisation sont en effet un outil qu'il convient de promouvoir. Il faut parfois susciter leur création. Les DEAL jouent un rôle moteur dans cette création et dans cette animation. La LBU peut être mobilisé s'il y a nécessité de trouver des compléments, étant donné que la création, l'animation et le fonctionnement de ces commissions locales sont une des mesures prévues par le PLOM. Les financements en question sont évalués à environ 50 000 euros par an. La LBU pourra parfaitement contribuer à leur fonctionnement.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - J'ai d'autres questions que je souhaite poser. Quelles sont les mesures pour soutenir financièrement et techniquement le développement de filières de produits de construction locaux ? L'adaptation des normes ne permettrait-elle pas la diminution des coûts de construction qui sont en moyenne en outre-mer de 20 à 30 % supérieurs à ceux de l'Hexagone ? Quelles actions sont prévues pour développer des tableaux d'équivalence entre matériaux locaux et européens, pour promouvoir l'installation d'organismes certificateurs outre-mer et pour autoriser des dérogations à l'emploi de matériaux marqués conformité européenne ? Quels sont les principaux leviers du desserrement des contraintes normatives que vous avez identifié et qui vous semble constituer une priorité en vue de faciliter la construction ?

Je veux réagir à la remarque de Victorin Lurel concernant l'ingénierie. Ce déficit d'ingénierie s'explique-t-il, selon vous, par un défaut de compétence dans les collectivités ? Dans l'affirmative, l'État a-t-il envisagé une réflexion et une action de collaboration avec les collectivités en vue de combler ce défaut de compétences ou considère-t-il que c'est la responsabilité des collectivités ?

Enfin, il a été fait état des 30 % de logements très sociaux pour développer les quartiers populaires. Cette contrainte n'empêche-t-elle pas le développement de projets mixtes ? Ne bloque-t-elle pas un certain nombre de projets liant des logements très sociaux et des logements sociaux voire des logements intermédiaires, dans le cadre notamment de réhabilitation de certains quartiers ?

M. François Adam . - Sur l'incitation au développement de filières de produits de construction locaux, il faut rappeler à titre liminaire qu'il s'agit là du développement économique d'une filière privée. L'État, malgré quelques outils incitatifs, ne peut pas en être un acteur direct.

Mme Géraldine Sanaur . - Concernant le développement des filières des produits de construction locaux, plusieurs études ont pu être conduites durant les années récentes sur le potentiel de développement des produits biosourcés dans les départements et régions d'outre-mer, certaines conduites par la DHUP d'autre par l'Ademe. Dans le cadre du plan logement outre-mer, une mesure spécifique est inscrite de manière à capitaliser sur les résultats de ses réflexions pour pouvoir élaborer un référentiel général sur les outre-mer afin de promouvoir le développement de ce type de produits. L'Ademe, la DGOM et la DHUP travailleront de concert sur cette thématique.

Concernant l'adaptation des normes et la diminution qui pourrait être attendue des coûts de construction, les travaux normatifs qui ont été engagés, notamment par la commission locale de normalisation de La Réunion, sont encore en cours. Ils n'ont pas encore totalement abouti. Nous ne disposons donc pas du retour d'expérience de ce type de mesure, On peut cependant, bien entendu, attendre de cette meilleure adaptation des règles de l'art au contexte ultramarin une diminution des coûts de construction.

S'agissant de la notion d'utilisation de produits marqués CE, il s'agit d'une des préconisations du rapport sénatorial de 2017. Une étude a été confiée au CSTB par la DHUP afin d'établir pour une gamme de produits, qui est celle qui était proposée dans le rapport, et pour un certain nombre de pays de provenance proche des départements et régions d'outre-mer, des tables d'équivalence pour vérifier la conformité technique et la sécurité d'emploi de ces produits. Cette analyse a permis d'obtenir des premiers résultats, mais qui n'aboutissent pas forcément à des équivalences totales. Le CSTB poursuit ses travaux actuellement pour permettre de mieux appréhender, par exemple, les essais supplémentaires nécessaires pour l'utilisation de ces produits, les conditions déclaratives à examiner lors de la réception de ces produits venant de pays hors Union européenne et éventuellement des dispositions en matière de dimensionnement de ces produits, pour garantir leur bon emploi dans des conditions de sécurité qui soient parfaitement vérifiées.

Parallèlement à ces travaux, et comme l'a également préconisé à la fois la Délégation sénatoriale aux outre-mer mais également l'Autorité de la concurrence, une mesure a été inscrite dans le deuxième PLOM visant à proposer à la Commission européenne d'inscrire dans la révision à venir du règlement des produits de construction la possibilité d'introduire des dispositions spécifiques pour les régions ultrapériphériques (RUP) des outre-mer.

Dans le cadre d'une note aux autorités françaises, les spécificités des régions ultrapériphériques françaises ont été portées à la connaissance de la Commission qui s'est montrée attentive aux enjeux qui ont été soulevés. La Commission européenne a proposé à la France de commencer à élaborer le processus à la fois technique et réglementaire qui pourrait permettre de déroger à l'emploi de marques de produits marqués CE pour les outre-mer. Ce travail est en cours. L'idée est de pouvoir faciliter à la fois l'usage des produits élaborés localement qui pourrait bénéficier d'une procédure mieux adaptée et simplifiée de reconnaissance de leur produits. Cela se ferait avec l'appui d'une commission locale d'experts qui associerait à la fois les services de l'État (les ministères économiques et les douanes) mais également des professionnels de la construction, des architectes, des représentants du secteur assurantiel, les chambres de commerce, pour examiner la pertinence de l'utilisation de ces produits sur les territoires.

Cette commission serait également chargée d'examiner les demandes de dérogations à l'importation de produits marqués CE au sein des régions ultrapériphériques françaises. La DHUP a engagé un travail avec les différents ministères concernés (Direction des douanes, Direction de la répression des fraudes, DGOM). Un groupe de travail a été constitué, la Fédération des entreprises des outre-mer a été auditionnée dans ce cadre. Nous sommes sur le point d'aboutir à une proposition de rédaction réglementaire, qui pourrait permettre la mise en oeuvre de ce dispositif.

Enfin, concernant l'intervention des organismes certificateurs en outre-mer, il est vrai que la plupart des organismes certificateurs sont implantés actuellement en France hexagonale. Néanmoins, la plupart d'entre eux développent actuellement des labels ou des dispositifs qui sont adaptés aux outre-mer. C'est le cas notamment de Cerqual, qui est une filiale de l'Association Qualitel qui élabore et délivre des certifications garantissant la qualité des logements neufs, notamment sur le volet énergétique et environnementale.

Dans ce cadre, Cerqual a lancé à La Réunion la certification NF Habitat HQE, qui permet d'y transposer le référentiel national NF Habitat HQE. Dans la continuité de ce travail, Cerqual a lancé depuis mai 2019 un nouveau référentiel NF Habitat HQE sur le territoire de la Guyane et travaille actuellement à la publication d'un nouveau référentiel qui sera applicable en Guadeloupe à horizon mi-2021. Cerqual consulte également systématiquement les directions d'administration centrale sur ses projets de déploiement de nouvelles certifications pour notamment veiller à la cohérence de ces certifications avec la réglementation.

Mme Isabelle Richard . - Monsieur le président, les actions en faveur du développement des filières de produits de construction locaux sont davantage du ressort des acteurs privés que de celui du ministère. Cependant, de nombreux outils peuvent être mobilisés dans le cadre du plan de relance avec, par exemple, une baisse très importante des impôts de production qui viennent s'ajouter à une trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. Par ailleurs, le PLOM prévoyait d'étudier la mobilisation des fonds FEDER au profit du financement de ces filières. C'est une excellente opportunité puisque les fonds européens REACT-EU , très orientés vers le développement des filières de transformation, s'ajoutent aux fonds FEDER. Nous sommes mobilisés pour qu'un peu plus d'1,1 milliard de fonds REACT-EU viennent s'ajouter aux programmes en cours 2014-2020.

Il est vrai que nous avons peut-être quelques difficultés pour appréhender la question de l'ingénierie. Les remontées que nous avons des collectivités locales portent surtout sur une demande d'appui. Je rappelais précédemment que la LBU et le fonds 5.0 pouvaient venir en appui. Il y a peu d'éléments objectifs, si ce n'est d'anciens rapports de la Cour des comptes qui estiment qu'il y a une proportion plus élevée de cadres B dans les collectivités locales d'outre-mer que dans l'Hexagone. Les collectivités tentent bien sûr de remédier à ces difficultés en matière de ressources humaines. La révision des plans d'investissement dans les compétences permettra peut-être aux collectivités locales - et aux régions en premier lieu - de réorienter leur plan de compétences et les formations locales pour répondre davantage aux préoccupations exprimées. L'addition du plan de compétence et du Parcours Emploi Compétences Jeunes (PEC Jeunes) pourrait permettre aux jeunes de trouver des formations et de les attirer sur ce type d'emploi.

L'articulation des projets de logements intermédiaires et des logements très sociaux est un enjeu d'équilibre très complexe. Avec les s ociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) , nous essayons de promouvoir cet équilibre qui n'est pas toujours effectivement facile à atteindre. L'un des objectifs du PLOM et des SIDOM est de parvenir à 30 % de logements très sociaux, ce qui laisse de la place aux logements intermédiaires.

Mais tout l'enjeu est d'y parvenir sur les mêmes opérations, au sein de mêmes programmes, pour éviter l'apparition de ce qui pourrait s'apparenter à une forme de ségrégation sociale.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous propose de passer maintenant à la dernière partie du questionnaire, relative au rôle de l'innovation comme facteur d'amélioration de la « performance » des logements et moyen de répondre aux défis des territoires. Je donne la parole à Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Cette partie aborde en effet la problématique du logement de demain et, plus particulièrement dans les outre-mer. Si, par certains aspects, mes questions recoupent certains thèmes précédemment abordés, elles permettront à nos interlocuteurs de nous apporter d'utiles précisions.

Quelles innovations promouvoir pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire ? Je pense notamment aux séismes, aux ouragans,... Quelles seront les prochaines initiatives prises en la matière avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ? Comment accélérer les régularisations des occupations dans la zone des cinquante pas géométriques tout en assurant la protection de ces logements face aux risques ?

Comment renforcer la performance énergétique des logements ? Des mesures en ce sens sont-elles prévues au sein du Plan France Relance, par exemple en matière de climatisation ?

Le recours à l'auto-construction encadrée (ACE) et à l'auto-réhabilitation encadrée (ARE) pourrait participer à la résorption de l'habitat insalubre et informel. Quel est le bilan des expérimentations de ce type de réalisations à Mayotte et en Guyane ? Ces expérimentations seront-elles généralisées ?

Quelles initiatives proposez-vous pour améliorer la qualité de la construction et valoriser davantage des styles architecturaux et des modes de construction traditionnels ?

Quelles sont les avancées récentes en termes de coopération avec les pays des environnements régionaux des outre-mer en matière de certification et de diffusion de l'expertise ultramarine sur l'architecture tropicale et bioclimatique ? Des Assises de la construction ultramarine valorisant ces initiatives et expériences ne vous paraîtraient-elles pas opportunes ?

Y-a-t-il des expérimentations en outre-mer et d'éventuelles réglementations en termes d' « habitat léger » ? Je pense notamment à l'habitat sans fondation, aux tiny houses. Cette question se pose également sur l'ensemble du territoire national, or nous avons peu de retours.

M. François Adam . - La prise en compte des risques naturels de chaque territoire est une préoccupation récurrente. Un important travail a été réalisé en 2020 sur le risque sismique pour actualiser le guide de construction parasismique des maisons individuelles qui était obsolète. Il s'applique à la zone des Antilles et concerne les maisons individuelles dont la surface est de moins de 200 mètres carrés qui sont situées en zone de sismicité 5. C'est le résultat d'un travail mené avec les professionnels de la construction antillais, en collaboration avec le CSTB et le CEREMA. En ce qui concerne la question du risque cyclonique, je rappelle que nous avons engagé des travaux techniques et qu'une concertation locale est prévue dans les prochains mois en vue d'une parution échelonnée des textes réglementaires en 2021 et en 2022.

Vous avez abordé la question du rôle du CSTB, faisant l'objet d'actions identifiées dans le PLOM. Le CSTB est pour la DHUP un opérateur technique qui nous accompagne notamment sur tous les sujets d'évolution du droit de la construction. Il est donc important que le CSTB soit impliqué sur les sujets ultramarins, aussi difficiles que les sujets globaux que nous avons à traiter, avec en plus une approche qui prenne en compte les spécificités territoriales de chaque DROM. Le CSTB nous accompagne notamment sur les questions de risques cycloniques ou parasismiques. Nous avons élaboré avec la DGOM un programme de travail du CSTB. Cette élaboration a été menée courant 2020 et le programme de travail qui débute en 2021 porte sur le volet des risques naturels. Le CSTB va nous accompagner pour l'élaboration de la réglementation para-cyclonique. Il rédigera aussi des guides et fiches pratiques pour la construction parasismique et para-cyclonique et sera notamment amené à étudier les questions de l'adaptation aux territoires, avec ce qu'on appelle les coefficients de site afin de dimensionner le niveau de protection cyclonique attendu en fonction du site de construction. Le CSTB va jouer un rôle important pour nous accompagner, et cela mérite d'être souligné.

Nos deux ministères suivent de très près la question de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG). Il y a deux sujets : le cadre législatif de cette zone des 50 pas et l'avenir des agences des deux territoires concernés, qui jouent un rôle important dans la régularisation foncière et le traitement des risques. Au cours de l'année 2020, la durée de vie de ces agences a été prolongée d'une année, jusqu'à la fin de 2021. Comme vous le savez évidemment, ce sujet ne sera pas réglé d'ici-là. Ces agences étant indispensables, il sera donc nécessaire de prendre de nouvelles dispositions législatives auparavant. Il faudrait sans doute une prolongation de l'ordre de 10 ans.

Il faudra aussi, nous semble-t-il, faire évoluer de manière importante le droit applicable aux ZPG. Il faudra notamment redéfinir plus clairement les zones à risques, dans lesquels on interdira en fait la cession aux occupants en raison du risque réel pour la vie humaine. C'est un sujet évidemment très sensible, mais cela nous paraît une nécessité. Il sera également sans doute nécessaire de faire évoluer les outils juridiques pour favoriser les régularisations foncières dans les territoires où elles sont possibles et souhaitables. Il faudra enfin faire évoluer un certain nombre de dispositions sur les agences elles-mêmes, probablement sur leur gouvernance, peut-être d'élargir certaines de leurs missions pour qu'elles puissent contribuer, dans certaines circonstances, à des missions d'aménagement.

Des travaux approfondis ont été menés, des propositions législatives ont été rédigées. Il reste à déterminer, en fonction des arbitrages du Gouvernement sur ces propositions, dans quel vecteur elles pourront trouver une place au cours de l'année 2021. C'est clairement, pour nous, un enjeu important. Mais vous voyez bien qu'il y a un risque calendaire que nous ne maîtrisons pas à l'heure actuelle.

Je vous propose de laisser la parole à Marie-Christine Roger pour lui permettre de compléter ma réponse, notamment sur les questions d'auto-construction et d'auto-réhabilitation.

M. Stéphane Artano , président . - Stéphane Lecornu, ministre des outre-mer, nous a indiqué que la question des 50 pas géométriques était inscrite dans le pré-projet ou la pré-maquette de la loi 4D. Nous l'avions interrogé à ce sujet car il y avait à l'origine l'idée d'un mouvement de transfert des agences vers les collectivités locales, ce qui peut être joint à la problématique que vous soulevez sur la gouvernance des agences et l'implication des acteurs des territoires vis-à-vis des deux agences concernées.

Mme Marie-Christine Roger, chargée de mission outre-mer auprès du directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages à la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) . - Le recours à l'auto-construction encadrée et à l'auto-réhabilitation encadrée comme levier pour participer à la résorption de l'habitat insalubre et informel a été identifié dans le cadre du PLOM comme faisant partie du panel des solutions à apporter. À la fin des années 80 et dans les années 90 beaucoup d'opérations d'habitat individuel ont été menées avec succès à Mayotte et à La Réunion, mais également aux Antilles après le passage du cyclone Hugo. En revanche, au fil des ans, ce type d'opérations est tombé en désuétude. Aujourd'hui, nous nous interrogeons sur le degré d'assouplissement des normes qui pourrait être nécessaire pour mettre en place une auto-construction encadrée, sur le niveau de l'encadrement et la part d'intervention qui doit être laissée à l'occupant. Ces mesures ont une grande influence sur la réussite des opérations et leur tenue dans le temps. Les expérimentations en cours tentent de répondre à ces contraintes, mais elles sont pour l'instant peu nombreuses. Aujourd'hui, on peut signaler qu'en Guyane, l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane (EPFA Guyane - ex EPAG ) a annoncé récemment un appel à compétences pour recruter des opérateurs qui accompagneraient des habitants dans la construction de modules simples. L'objectif affiché, pour donner un ordre de grandeur, serait une centaine de logements par an, à mettre en relation avec la réalisation de 2 000 à 3 000 logements sociaux par an, qui est le régime de croisière en Guyane. À Mayotte, une réalisation plus significative peut être relevée : à Majicavo 30 logements sont en cours de réalisation sur un terrain appartenant à l'État. Ce n'est pas à proprement parler de l'auto-construction totale mais plutôt un principe d'auto-finition encadrée. Nous essayons d'introduire cette nouvelle notion dans la mesure où les constructions arrivent sous forme de modules pré-industrialisés qui sont montés par des artisans locaux formés à cette occasion. Les fondations sont réalisées également par ces artisans. L'habitant intervient par la suite, avec un encadrement, pour finir son logement. Nous nous sommes rendu compte qu'il est préférable de faire réaliser le gros oeuvre et la toiture, ainsi que les éléments qui sont soumis à des contraintes fortes comme le risque cyclonique ou sismique, par une entreprise. Cette façon de procéder fait suite également à la prise en compte du fait que l'auto-construction totale est un processus très long.

Plus récemment, au Vieux-Pont, en Martinique, 2 ou 3 maisons ont été réalisées en auto-construction encadrée mais la procédure a également été relativement longue.

À l'inverse, les expériences d'auto-réhabilitation sont plus nombreuses. Elles se pratiquent dans le cadre des opérations groupée d'amélioration légère (OGRAL) qui ont été introduites par la loi Letchimy qui pose le principe de réhabilitations légères avec un encadrement. L'association des Compagnons bâtisseurs encadre l'OGRAL de Maripasoula en Guyane que nous avons eu récemment l'occasion de visiter. Plusieurs communes sont engagées dans ces OGRAL, notamment à La Réunion dans des zones rurales sur la commune de Saint-Paul, ou sur la commune de Petite-Île.

Pour poursuivre sur les initiatives qui permettraient de développer une architecture s'appuyant sur l'habitat vernaculaire et les styles architecturaux locaux, on peut citer un programme du Plan urbanisme construction architecture (PUCA) qui s'intitule « opération d'habitat renouvelé en outre-mer » et qui est expérimenté en Martinique sur la commune du Prêcheur. Ce programme vise à démontrer la possibilité d'innover durablement en renouant avec le mode de vie locale et les fondamentaux de l'architecture locale. L'objectif est de privilégier des habitats qui offrent une grande perméabilité entre l'intérieur et l'extérieur du domicile et de protéger les occupants lors d'événements extrêmes comme les cyclones ou les séismes. Pour la commune du Prêcheur il y a aussi le phénomène des lahars à prendre en compte. Cet habitat doit répondre à une exigence de résilience. L'expérimentation va commencer cette année. Il y a d'abord eu une phase de sélection de candidatures dans le cas d'un partenariat étroit associant la ville du Prêcheur, l'Agence des cinquante pas et le PUCA. Un prototype en bambou a été sélectionné parmi les prototypes. Le bambou constitue un matériau biosourcé, facilement renouvelable avec une excellente empreinte environnementale. Un autre prototype va être réalisé en gabions.

Sur la question des tiny houses et d'un habitat plus léger, nous travaillons également avec le PUCA sur un 2 ème appel à projets plus large - appelé « un toit pour les plus démunis en outre-mer » - puisqu'il devrait concerner l'ensemble des cinq DROM. Il vise à développer une offre de petits logements à coût abordable et, potentiellement, des logements plus légers en termes de conception architecturale, beaucoup moins coûteux grâce aux techniques employées. Ces logements auraient vocation à accueillir soit des structures d'hébergement, du logement locatif social classique ou du logement locatif très social adapté. Il sera demandé de proposer soit des constructions pré-industrialisées sur le modèle de ce que j'ai présenté sur Majicavo à Mayotte, soit d'autres projets qui peuvent être mis en place relativement facilement. Pour cela, vous avez raison, Monsieur le sénateur, il faudra revoir certaines normes. Si des logements plus petits que les standards actuels sont développés pour le logement social, des règles seront peut-être à revoir. Ainsi, pour ces logements, et à titre expérimental en matière d'accessibilité, si les bâtiments ont peu d'étages, il pourrait être envisagé de revoir l'obligation d'ascenseur à partir du R+2. Il faudra peut-être également revoir et simplifier les règles en matière d'acoustique et de thermique.

Les architectes qui travaillent sur l'opération de Mayotte sont aussi des chercheurs. Ils sont en train de concevoir des solutions techniques de type « vélum », utilisées dans la marine, qui seraient tenues par des filins en acier pour tenir au vent. Ces structures seraient plutôt destinées à des structures d'hébergement.

Vous avez évoqué la nécessité de mettre en place des Assises de la construction ultramarine. Cette remarque nous semble tout à fait pertinente et nous la retenons. Nous serions effectivement favorables au développement d'un échange sur les initiatives et expériences à l'échelle des régions ultramarines au sens large, pour la construction en secteur tropical.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je vous remercie pour ces réponses très complètes. Pourriez-vous nous adresser de la documentation sur les différentes initiatives que vous avez évoquées ?

Mme Marie-Christine Roger . - Tout à fait, Monsieur le sénateur.

M. Stéphane Artano , président . - Après nos collègues rapporteurs, je donne la parole aux membres de la délégation qui souhaitent intervenir.

Mme Annick Petrus . - Dans le contexte spécifique de Saint-Martin, pour faire face aux différentes crises - ouragan, PPRN, Covid-19 - un investissement massif doit être consenti au profit du logement. Nous devons dégager des priorités d'intervention avec des moyens associés. À Saint-Martin, les priorités d'action sont des mesures qui permettent d'accompagner les efforts en matière de résorption de l'habitat indigne, avec un soutien particulier en matière de régularisation des constructions informelles dans le cadre des opérations de réhabilitation de l'habitat insalubre (RHI). Les ménages salariés doivent pouvoir bénéficier d'une aide financière pour s'engager dans cette démarche, et cette orientation devra être complétée par des mesures permettant de mieux répondre aux besoins des jeunes à travers une diversité de leviers, un développement de structures collectives, une mise en place d'un dispositif de financement de la réhabilitation de logements en contrepartie de droits de réservation pour les jeunes, à l'instar de la Martinique. L'intervention d'Action Logement devra permettre également d'accompagner le développement de la construction via principalement l'accession sociale et ou très sociale à la propriété, ce qui impliquera un travail étroit avec la collectivité et les opérateurs locaux pour le déploiement d'une aide foncière aménagée. Or, il semblerait que le territoire de Saint-Martin ne bénéficie pas de ce dispositif et qu'Action Logement ne puisse pas intervenir. Pouvez-vous m'éclairer sur ce point ?

M. Stéphane Artano , président . - Il me semble que l'impossibilité de bénéficier du dispositif est liée au statut de la collectivité. De par la loi organique, le logement relève de sa compétence.

M. François Adam . - Absolument, monsieur le président. La loi organique de 2012 qui définit les spécificités législatives et la répartition des compétences entre l'État et Saint-Martin précise bien qu'en matière d'urbanisme et de logements, c'est la collectivité de Saint-Martin qui est compétente. En ce qui concerne précisément Action Logement, si vous le souhaitiez, nous pourrions demander à cet organisme s'il dispose d'un programme qui pourrait être décliné en matière de RHI sur cette collectivité.

M. Stéphane Artano , président . - Nous entendrons Action Logement la semaine prochaine et la question sera posée.

Je cède la parole à notre collègue Gérard Poadja qui est en visioconférence depuis la Nouvelle-Calédonie.

M. Gérard Poadja . - Merci monsieur le président, mes chers collègues, mesdames et messieurs les directeurs, je vous adresse mes meilleurs voeux à 20 000 kilomètres de distance.

Je voudrais évoquer les problèmes que rencontrent nos étudiants. De nombreux Calédoniens venus suivre des études supérieures dans l'Hexagone rencontrent des difficultés pour trouver un logement. L'une des difficultés tient à la domiciliation bancaire de leurs parents dans les outre-mer. Il arrive aussi qu'on leur demande une caution supérieure au montant légal. Ces pratiques illégales sont connues mais elles subsistent. Beaucoup sont obligés de se retourner vers le dispositif qui permet aux étudiants de bénéficier d'un service dédié mais il ne s'agit que d'une solution de repli.

Les problématiques liées au logement se sont aggravées avec la crise sanitaire. Il y a des retards importants dans le versement des aides au logement par l'État et les étudiants se retrouvent dans une situation de détresse économique et psychologique. Ils sont en situation d'échec et un grand nombre d'entre eux veulent rentrer en Nouvelle-Calédonie. Je n'ignore pas que de nombreux étudiants vivent cette même situation mais quels moyens pourraient mis en place pour mettre fin à cette situation ?

Mme Isabelle Richard . - Dans la réponse que nous vous ferons par écrit, je pourrais ajouter des éléments sur ce point, après avoir consulté en interne le délégué Maël Disa. En effet, ces questions relèvent aussi de la Délégation interministérielle à l'égalité des chances des Français d'outre-mer et à la visibilité des outre-mer. On ne peut que partager le constat qui a été fait des inégalités sur le terrain, mais il y a des outils concrets pour y remédier, et il y a peut-être des réponses complémentaires à chercher du côté du logement.

M. François Adam . - Monsieur le sénateur, je relie vos interrogations à la thématique générale de l'accès au logement des étudiants. Vous pointez la question de relation locative entre les propriétaires et les locataires qui conduisent des propriétaires à se montrer exagérément prudents. Or, la Nouvelle-Calédonie faisant partie de la République, il n'y a aucune raison de traiter ses étudiants de manière différente, voire discriminatoire. Ces comportements sont regrettables. Il s'agit de relations de droit privé qui sont extrêmement diverses et ne sont pas soumises à autorisation ou déclaration. Nous pouvons essayer d'agir sur ces comportements via l'incitation. Mais il faut être réaliste sur la capacité à surveiller ou piloter dans le détail. Même si les moyens d'intervention de la puissance publique sont limités, chacun conserve la possibilité de saisir la juridiction compétente s'il l'estime nécessaire.

La garantie Visale vise à apporter une protection supplémentaire à un locataire qui est face à un propriétaire qui exige énormément de garanties, parfois à l'excès et pas toujours justifiées. Cette garantie se montre également efficace et sécurisante pour les propriétaires. Financée par Action Logement dans le cadre de l'utilisation de l'aide à l'embauche d'un jeune en Parcours Emploi Compétences Jeunes (PEC Jeunes) et dans un cadre contractuel avec l'État, ce dispositif a maintenant 3 ans et continue à monter en puissance. Face à son succès nous réfléchissons en ce moment avec Action Logement à d'éventuelles adaptations. Si vous avez connaissance de cas individuels problématiques, il faut les orienter vers ce dispositif.

Par ailleurs, il y a dans le logement étudiant une dimension offre qu'il faut poursuivre, notamment dans les zones universitaires et avec un sujet particulier en Île-de-France. Le logement étudiant est une part de la production de logements sociaux et nous en avons, depuis 2 ans, fait une sous-priorité importante de l'effort de production de logements sociaux. Il est vrai cependant que l'objectif de produire à peu près 10 000 logements sociaux pour les étudiants chaque année n'est pas encore atteint.

M. Gérard Poadja . - Je veux préciser que durant ces derniers mois, un certain nombre d'étudiants se sont véritablement retrouvés à la rue et ont été aidés par les associations. Je tire la sonnette d'alarme parce qu'on est dans une situation très compliquée. Sur le plan social nous avons toujours eu des difficultés, certainement en raison du statut sui generis de la Nouvelle-Calédonie. L'obtention de la carte Vitale par exemple est souvent compliquée pour les étudiants. En complément de la Maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris, je souhaiterais que soit mise en place une cellule sociale au ministère des outre-mer qui permettrait un suivi permanent de ces sujets.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'aimerais revenir sur un certain nombre de questions, notamment sur le bureau des agréments à Bercy. Est-ce que vous pourriez faire un point sur ses procédures, ses lenteurs, et évoquer des simplifications aux démarches ? Est-ce que le ministre des outre-mer a un droit de regard sur les lenteurs qui pourraient être imputables à ce bureau ?

Nous souhaitons obtenir l'évolution sur 10 ans du nombre des constructions liées à la défiscalisation et au crédit d'impôt, et sur les montages entre LBU et défiscalisation. Pourrait-on disposer d'un document retraçant toutes les évolutions fiscales dans le domaine du logement depuis 10 ans en matière législative et leurs incidences ?

Enfin sur le redéploiement interne des crédits de la LBU, je suis assez perplexe. Un redéploiement est opéré par le Gouvernement en faveur de la Guyane et de Mayotte mais cette nouvelle répartition se décide au sein du ministère et le Parlement n'est pas forcément informé. J'ai vu par exemple l'enveloppe affectée à la Guadeloupe et à la Martinique diminuer de moitié sur les dix dernières années. En 2021, je crois qu'elle tourne autour de 30 millions pour la Guadeloupe alors qu'à une certaine époque on atteignait pratiquement à 60 millions. Pourriez-vous nous donner les critères de répartition de cette enveloppe, au-delà de l'évolution démographique de la Guyane et de Mayotte ?

Enfin, je partage ce que dit mon collègue Gérard Poadja sur la nécessaire amélioration des conditions d'accueil et d'accès au logement des ressortissants d'outre-mer. Cela est particulièrement vrai pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, au sujet notamment des obligations de domiciliation bancaire qui sont imposées au garant et au locataire.

Mme Isabelle Richard . - Nous récapitulerons les principales évolutions de la défiscalisation sur ces dix dernières années en vous transmettant le maximum d'éléments.

Concernant les logements financés par la LBU en matière de défiscalisation, les éléments statistiques relèvent de la DGFIP. Nous vous fournirons le maximum d'informations et nous expliciterons, de manière qualitative, l'articulation entre la LBU et la défiscalisation.

En matière de simplification ou d'accélération de la procédure d'agrément fiscal de nombreux progrès ont été faits. Pour l'instant, les informations que nous possédons concernent la partie d'agrément qui se base sur un avis de la DGOM. La procédure est encore trop longue mais les délais se sont tout de même fortement réduits. Il n'y a plus vraiment d'éléments de blocage remontés par les acteurs. Bien sûr, cela n'épuise pas toutes les possibilités de simplification et nous continuons à les recenser. Même si beaucoup d'éléments sont entre les mains de nos collègues de Bercy du bureau des agréments, nous sommes en contact régulièrement et nous les incitons à poursuivre ces chantiers de simplification ou de dématérialisation de certaines procédures.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Avez-vous une idée du stock des dossiers déposés et des dossiers aujourd'hui en instance ?

Mme Isabelle Richard . - Nous pourrons vous fournir ces éléments ultérieurement.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Et sur le redéploiement interne des crédits ?

M. François Adam . - En 2021 les crédits qui seront consacrées à la LBU sont en nette hausse, de l'ordre de 20 % par rapport à l'année précédente, cela donnera évidemment un peu plus de moyens sur l'ensemble du territoire.

S'agissant de la mobilisation optimale de la LBU, comme pour l'ensemble des crédits, nous tenons compte des années précédentes. Puis, il faut répondre aux besoins objectivement constatés. Il y a alors des discussions de gestion avec les acteurs territoriaux. La programmation ne se fait pas « hors sol ». Sont prises en compte les opérations matures, prêtes à démarrer et dont la réalisation dans l'année est objectivement réalisable. La répartition des crédits se fait par territoire et jamais de manière punitive. En 2020 par exemple, nous avons engagé davantage que ce qui était prévu en loi de finances initiale en cherchant des ressources sur d'autres lignes budgétaires qui n'ont pas pu être consommées en intégralité. Je pourrais bien entendu vous communiquer tous les chiffres par la suite.

M. Stanislas Alfonsi . - Concernant le crédit d'impôt en matière de simplification, depuis 2017 l'agrément fiscal sur les demandes de crédit d'impôt a été supprimé pour les investissements dans le logement social. Il s'agit d'une mesure de simplification considérable qui était demandée par les acteurs. L'article 244 quater X en fixe les conditions. Concernant la répartition territoriale des crédits de la LBU, le dialogue avec les territoires nous permet de définir un prévisionnel de ce qui peut être demandé et ensuite de ce qui peut être consommé de manière réaliste sur chacun des territoires.

Nous nous efforçons de donner aux trajectoires de la LBU, à la fois au plan national et sur les territoires une crédibilité qui parfois a pu occasionner un certain nombre de reproches à la fois de la part du Parlement, mais également de nos collègues du ministère des Finances et du ministère du Budget. En 2020, grâce à cette approche de crédibilisation, la LBU a été non seulement entièrement consommée mais on est même allé au-delà du prévisionnel puisque son niveau de consommation tourne aux alentours de 108 %.

Le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, a pris des engagements très nets devant la représentation nationale dans le cadre du débat budgétaire, en affirmant que la LBU non seulement augmenterait mais qu'elle pourrait encore être élevée davantage en cours d'année. La LBU pourvoira aux besoins de tous les territoires, à partir du moment où ses besoins sont fondés. Par souci de crédibilité, nous n'en demandons pas trop pour éviter de s'apercevoir que par la suite on ne consomme pas tout. D'ailleurs le Parlement qui vote la loi de finances pourrait être le premier à nous le reprocher.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous me permettrez de m'étonner sur les montants qui ont été répartis sur les cinq dernières années. La LBU a baissé en autorisation d'engagement et par ailleurs un déficit d'ingénierie est pointé : il y a moins de dossiers, donc on construit moins de logements. Les crédits de LBU diminuent sur certains territoires alors que ceux sur la Guyane et sur Mayotte augmentent. En mettant en rapport les constructions, j'ai quelques interrogations. Peut-être faut-il fixer des critères plus transparents pour obtenir un accord global et consensuel sur ces répartitions ?

Pour le moment, on voit une baisse des enveloppes pour la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, et peut-être un maintien pour La Réunion. S'il y a une augmentation pour 2021, après une bonne consommation en 2020, il faudra s'en réjouir. Mais pour le moment, il y a des interrogations sur cette baisse, qui se fait depuis quelques années à la suite de répartitions internes que nous apprenons après coup.

En tout cas, merci pour la qualité de vos réponses et pour votre disponibilité.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je voulais aussi vous remercier pour la qualité de vos réponses. Les Assises de la construction ultramarine sont une très bonne idée et je souhaite qu'on puisse les mettre en oeuvre. Elles permettraient des retours d'expériences. À Saint-Barthélemy par exemple, suite à l'ouragan Irma, des études ont été faites avec les architectes locaux, des initiatives intéressantes ont été mises en oeuvre et pourraient être partagées.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous propose de clôturer cette audition. Il me reste à remercier évidemment Monsieur le Directeur de la DHUP, les sous-directeurs de la DGOM ainsi que l'ensemble de vos collaborateurs. Cette audition a démontré tout l'intérêt de vous auditionner conjointement.

Jeudi 28 janvier 2021

Audition de Mmes Emmanuelle COSSE, présidente, Marianne Louis, directrice générale, et M. Mahieddine HEDLI, directeur à l'outre-mer, de l'Union sociale de l'habitat (USH)

M. Stéphane Artano , président . - Chers collègues, la Délégation sénatoriale aux outre-mer poursuit ce matin, dans le cadre de son programme de travail de l'année 2021, ses auditions sur le logement dans les outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

En ouverture de cette matinée d'entretiens, nous accueillons  Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable entre 2016 et 2017 et qui est depuis novembre 2020 présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), organisation qui fédère toutes les familles de bailleurs sociaux, soit environ 700 organismes.

Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes accompagnée de  Marianne Louis, directrice générale, et de M. Mahieddine Hedli, directeur à l'outre-mer.

L'étude que nous engageons comporte plusieurs volets sur lesquels nos trois rapporteurs attendent vos éclairages sur la base de la trame qui vous a été transmise.

À titre liminaire, je rappellerai que notre réflexion s'inscrit dans une problématique d'adaptation et de prise en compte des spécificités ultramarines, en vue de parvenir à des politiques du logement plus efficaces au niveau local.

En dépit des efforts déployés ces dernières années et de l'adoption de deux plans logement outre-mer (PLOM) en 2015 et 2019, la Cour des comptes a pointé dans un récent rapport les difficultés des acteurs privés et publics à répondre à la demande, notamment de logements locatifs sociaux et très sociaux, et, plus généralement, à améliorer les conditions de logement outre-mer. J'indique d'ores et déjà à nos collègues que nous entendrons les auteurs de ce rapport la semaine prochaine, le 4 février, audition qui sera retransmise en direct et en VOD sur le site du Sénat.

À l'heure où la perspective du projet de loi « 4D » semble s'éloigner, il nous paraît indispensable d'insister sur la nécessité de renforcer les experts et acteurs de terrain, qui oeuvrent déjà dans le sens de la différenciation et de la territorialisation, face à des besoins qui sont immenses.

Parmi les nombreux défis de 2021 figure l'adaptation à la nouvelle réglementation environnementale qui va profondément modifier les modes de construction.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'aimerais que vous nous expliquiez comment sont représentés les OLS (organismes de logement social) en France et en particulier ceux des outre-mer.

Concernant le conflit qui vous oppose à l'USHOM (Union sociale pour l'habitat en outre-mer), dans une lettre du 4 décembre 2020, vous précisez que le « sujet est le fonctionnement actuel de l'USHOM qui entretient depuis trois ans et sans fondement une relation conflictuelle avec l'USH » . Quel est l'état du contentieux avec cet organisme ? Quelles sont les activités de la mission outre-mer de l'USH et en quoi se distinguent-elles de celles de l'USHOM ?

Pourriez-vous nous expliquer l'écart, si tant est qu'il soit fondé, entre la dotation des associations régionales de l'Hexagone, à hauteur de près de 406 000 euros, et celle de l'USHOM qui s'établit à 170 000 euros ? Comment pouvez-vous expliquer que l'USHOM ait supporté 57 % de l'économie à réaliser sur l'action professionnelle ?

Sur le sujet de la construction de logements sociaux en outre-mer, comment combler le retard et accroître l'offre de logements locatifs très sociaux (LLTS) ? Pourriez-vous nous donner votre vision de la crise du logement en outre-mer ?

S'agissant de vos activités de gestion des logements sociaux, comment faites-vous face aux problèmes d'impayés de loyer ? Que préconisez-vous pour maintenir la mixité à travers une offre diversifiée de logements ?

Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous globalement sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ? Et comment voyez-vous l'engagement du deuxième PLOM depuis 2019 ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Malgré les recommandations du rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation ? Quelles seraient les simplifications susceptibles d'amplifier vos activités ? L'obligation de quotas en matière de LLTS (logements locatifs très sociaux) ne freine-t-elle pas les programmes de construction d'autres types de logements ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et à 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et préciser les postes de dépenses où des diminutions de coûts seraient possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer (bois, bambous, gabions) ?

Par ailleurs, avez-vous connaissance d'adaptations de normes réussies dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie qui pourraient être transposées dans les autres territoires d'outre-mer ?

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ?

Quelles initiatives proposez-vous pour développer l'habitat vernaculaire et encourager des modes nouveaux de construction tels que l'autoconstruction ou l'autofinition ? Seriez-vous prêts à participer à des Assises de la construction ultramarine ?

Certains territoires ultramarins font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte dans vos actions ces évolutions démographiques et notamment la problématique de la dépendance ?

Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale de l'habitat (USH) . - Je vous remercie de nous donner la possibilité d'aborder ces sujets. La question du logement dans l'ensemble des territoires d'outre-mer est extrêmement complexe et les besoins sont immenses.

L'USH est une confédération de cinq fédérations d'HLM : la fédération des entreprises sociales pour l'habitat, la fédération des offices HLM, la fédération des coopératives HLM, la fédération des associations régionales et le réseau Procivis. Cette confédération réunit 630 organismes HLM, 12 000 administrateurs bénévoles et 82 000 salariés. Cela représente un patrimoine de 5 millions de logements, dont 4,3 millions de logements locatifs et 0,3 million de logements-foyers. Une partie des logements HLM est gérée par les EPL (Entreprises Publiques Locales). On estime que ces 5 millions de logements hébergent un peu plus de 10 millions de personnes.

L'ensemble des organismes HLM adhère à une fédération qui elle-même est membre de la confédération de l'USH. Les fédérations apportent des services particuliers liés aux différentes familles d'HLM. L'USH porte tous les sujets qui ont trait à l'ensemble du secteur HLM, dont la relation avec les pouvoirs publics, les questions réglementaires et législatives, les enjeux professionnels et l'accompagnement des réformes. Nous essayons de faire comprendre aux pouvoirs publics qu'il est nécessaire d'associer les territoires dans la mise en oeuvre des attributions de logements sociaux.

Depuis la création de l'USH, il y a toujours eu une représentation outre-mer un peu différente. Pour des questions d'éloignement et de nécessité de pouvoir interagir facilement localement, l'impossibilité d'une association régionale a été actée. La représentation est donc un peu plus déconcentrée.

Jusqu'à il y a quelques années, les relations entre l'USH et l'USHOM étaient très bonnes. Aujourd'hui, en effet, il existe un conflit interne à notre confédération. Par volonté de transparence, je me suis sentie dans l'obligation de vous informer de mon point de vue, ayant été par ailleurs personnellement mise en cause. Un conflit pénal à l'initiative de l'USHOM contre l'USH est en cours. Ce conflit tient au fait que depuis trois ans, nous n'avons pas obtenu les comptes rendus d'activité nécessaires au versement des subventions entre l'USH et l'USHOM. Or, nous avons l'obligation d'entretenir des relations extrêmement claires avec l'USHOM puisque l'USH a signé une convention avec l'État et la Caisse de garantie du logement locatif social qui nous soumet à des contrôles importants, notamment celui de la Cour des comptes.

Chaque association régionale bénéficie d'une dotation de l'USH établie en fonction du nombre total de logements (1,16 euro par logement). La subvention est doublée pour l'association régionale : il y a beaucoup moins de logements, mais cela s'explique par la nécessité de pouvoir aider cette structure.

Aujourd'hui, nous sommes face à un dissensus que je déplore. J'ai proposé à plusieurs reprises de dialoguer pour que l'USH puisse continuer à porter une politique et une action outre-mer. Une des grandes actions de notre union concerne la formation professionnelle auprès de nos organismes. La réforme extrêmement complexe des attributions nécessitera par exemple un nombre important de formations au sein de nos organismes.

Nous devons également pouvoir porter l'ensemble des sujets des AMI (Appel à manifestation d'intérêt), des projets à l'innovation et les autres points sur lesquels les territoires nous demandent de l'aide.

Lorsque je discute avec les différents ministères du Plan de relance ou avec la Caisse des Dépôts de nouvelles possibilités de financement, j'aborde toujours le sujet du territoire métropolitain et des outre-mer. Ce n'est pas toujours le cas de mes interlocuteurs et je le regrette. Il y a certes des actions ciblées, mais les enveloppes prévues devraient être suffisantes pour traiter tous les dossiers prévus sur 2021-2022.

Une des actions très fortes portées par l'USH s'incarne dans notre présence au Conseil d'administration de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) où nous défendons le point de vue des bailleurs. Nous avons ainsi demandé un renforcement du budget de l'ANRU à hauteur de 2 milliards d'euros pour financer l'ensemble des projets.

J'espère trouver une solution à ce conflit préjudiciable pour les organismes HLM. Pour cela, il faudrait arrêter les conflits judiciaires qui n'ont pas lieu d'être.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Concernant le financement de l'USHOM, nous confirmez-vous qu'il est proportionnel au nombre de logements ? Ce n'est pourtant pas ce qui a été porté à notre connaissance. Le financement comprendrait un forfait de 135 000 euros, plus une somme liée au nombre de logements. Leur nombre total serait non pas de 57 000 logements, ce que conteste l'USHOM, mais de 166 000 logements. En outre, la dotation a été diminuée dans de plus grandes proportions pour l'USHOM que pour d'autres associations ; cette dernière aurait supporté 57 % de la baisse.

Nous confirmez-vous le mode de calcul de la dotation, à savoir une base forfaitaire et une part variable liée au nombre de logements, soit environ 1,16 euro par logement ? Le coeur du conflit réside en effet dans le financement de l'USHOM qui aurait subi une baisse plus que proportionnelle à sa dotation.

Mme Emmanuelle Cosse . - Je vais laisser la directrice régionale répondre. Je suis ravie que vous examiniez avec autant de précision l'organisation de notre compte professionnel au niveau de la fédération et j'espère que vous le ferez également pour l'ensemble des structures sur le logement et notamment les EPL.

Mme Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale de l'habitat (USH) . - Ce sujet s'étend sur plusieurs années et doit être replacé dans son contexte. Vous nous demandez si la dotation aux associations régionales est systématiquement de 1,16 euro. Or l'USHOM n'est pas adhérente à la Fédération nationale des associations régionales, car elle ne l'a pas souhaité. M. Denis Rambaud, président de la Fédération nationale des associations régionales, a pourtant entrepris plusieurs démarches en direction de l'USHOM qui a exprimé son souhait de rester dans un dispositif spécifique. Par ailleurs, l'USH ne finance pas directement les associations régionales, elle verse une dotation à l'action régionale. Cette dotation est de l'ordre de 5 millions d'euros, ce qui, proratisé, revient à 1,16 euro par logement.

Dans cette fédération des associations régionales, chaque association définit ses propres règles. Cela peut amener certains territoires à bénéficier de plus de 1,16 euro par logement et d'autres moins. Je ne peux pas m'engager précisément sur les pondérations effectuées.

L'USH verse à la Fédération nationale des associations régionales 5 millions d'euros pour environ 4,3 millions de logements locatifs sociaux. Compte tenu de leur nombre en outre-mer, ce montant s'établit pour ces territoires autour de 70 000 euros.

Par ailleurs, le sujet des SEM (sociétés d'économie mixte) est très clairement tranché. La fédération des SEM n'est pas adhérente à l'USH. Il n'y a donc aucune raison que nous cotisions auprès de nos associations régionales ou des représentations territoriales pour assurer la représentation des SEM. Elles bénéficient de leurs propres dispositifs de financement, associations et modes de représentation.

Vous évoquez la question de la baisse de la dotation à l'USHOM ces dernières années. Mahieddine Hedli était salarié de l'USH et de l'USHOM et mis à disposition de cette dernière en tant que directeur, sur un peu moins d'un mi-temps. Il est parti en mission en Polynésie pour trois ans et l'USHOM a recruté une directrice pour le remplacer. Nous sommes alors convenus avec l'USHOM que nous augmenterions la dotation pour couvrir le salaire de la directrice pour la part que nous ne couvrions plus par le système précédemment adopté.

Deux autres salariées de l'USH étaient également mises à disposition de l'USHOM avec un système de refacturation. Elles se sont retrouvées en risque psychosocial. J'ai reçu des courriers de la médecine du travail me demandant de les changer de direction, ce que j'ai fait. J'ai considéré dès lors que je n'avais plus vocation à compenser la rémunération de ces collaboratrices : la dotation a donc baissé.

Concernant la CGLLS (Caisse de Garantie du Logement Locatif Social), l'USH bénéficie d'une convention avec l'État pour un montant annuel d'environ 10 millions d'euros. Il n'y a rien de fléché dans cette convention en direction des outre-mer. Cette convention couvre l'ensemble des champs d'action professionnelle. La possibilité pour la CGLLS de financer l'accompagnement professionnel des organismes via les fédérations professionnelles est reconnue dans le Code de la construction et de l'habitation. La fédération des EPL bénéficie également d'un financement de la CGLLS, ce qui justifie encore davantage que nous ne prenions pas en compte les logements des EPL.

Mme Emmanuelle Cosse . - Je me permets de rappeler que l'ensemble des organismes HLM cotise à la CGLLS et que la cotisation est basée sur le nombre de logements. Ce ne sont pas les structures HLM qui cotisent, mais bien les entreprises. Cela nous permet aujourd'hui de suivre les organismes en difficulté, d'établir des plans de suivi de ces difficultés et d'obtenir des accompagnements pour la mise en oeuvre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN.

Le retard de construction outre-mer concerne tout à la fois les logements locatifs sociaux que les opérations d'accession sociale à la propriété. Nous n'avons, effectivement, pas une offre suffisante au regard des besoins exprimés. 80 % des habitants de ces territoires seraient éligibles au logement social, voire très social. Aujourd'hui, nous produisons des logements sociaux beaucoup trop chers par rapport aux capacités financières des locataires.

Le premier et le deuxième PLOM portaient des objectifs de production (10 000 logements dans le premier PLOM). La loi sur l'égalité réelle outre-mer évoquait 15 000 logements par an. En 2019, nous avons toutefois produit seulement 4 279 logements locatifs.

Les opérateurs font face à des difficultés pour produire massivement et à des prix de sortie plus faibles. Je souhaite que les aides à la pierre soient augmentées et les critères d'attribution révisés. Par ailleurs, les financements des opérations spécifiques (logements pour les jeunes, résidences « autonomie » pour les personnes âgées, etc.) ne sont pas suffisants.

Grâce au travail des parlementaires depuis plusieurs années, la LBU (ligne budgétaire unique) est dotée. Pourtant, nous n'arrivons pas à la consommer intégralement. L'utilisation des crédits de l'ANAH (Agence nationale de l'habitat) pourrait également être simplifiée dans les opérations d'outre-mer : nous faisons face à beaucoup d'opérations de lutte contre l'habitat insalubre en favorisant sa résorption et sa transformation en logement social.

Les retards de construction constituent par ailleurs un vrai sujet. Nous avons par exemple dû livrer des logements sociaux où les raccordements aux réseaux n'avaient pas été faits.

Des établissements publics d'aménagement sont présents sur l'ensemble de ces territoires ou presque, mais doivent s'investir davantage dans la construction. Le portage foncier effectué par les établissements publics d'aménagement devrait être renforcé.

Sur le maintien de la mixité sociale, vous avez évoqué les questions des impayés et de la disponibilité des fonciers aménagés. Nous pensons que la programmation d'opérations d'aménagements fonciers urbains au titre du Fonds Régional d'Aménagement Foncier et Urbain (FRAFU) devrait être relancée et sa gouvernance renforcée. C'est le cas dans certains territoires, mais pas dans tous.

Nous-mêmes sommes sollicités par l'État pour aider à l'implantation de plus d'opérateurs HLM.

Il nous a été demandé, avec Action Logement, de soutenir la création d'opérateurs à Mayotte, ce que nous faisons tous les jours. Nos salariés doivent par ailleurs pouvoir bénéficier de formations sur l'ensemble des évolutions réglementaires et l'innovation sociale.

Avec la crise du Covid, nous faisons face à une difficulté importante sur les impayés. Leur augmentation à l'échelle métropolitaine n'est pas encore massive, car une partie de nos publics est déjà très soutenue. Cette question se pose toutefois à plus long terme. Nous avons engagé une première charte de travail et nous avons demandé aux organismes HLM de la décliner localement. À chaque début d'impayés, les organismes HLM rencontrent le public concerné. Avec la crise apparaissent de nouveaux publics qui ne connaissent pas les systèmes d'aides.

Concernant mon appréciation de la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM, la sauvegarde dans le budget de l'État de la LBU me semble essentielle. Comme cette ligne budgétaire est portée par le ministère des outre-mer, je trouve dommage que le ministère du Logement et ses administrations soient de fait moins présents sur la question du logement en outre-mer.

Sur la question des enjeux de réglementation environnementale, nous sommes en pleine négociation avec le ministère de la transition écologique sur la RE2020. Pour l'instant, je n'ai pas entendu un seul mot sur l'adaptation aux outre-mer. Cette réglementation ne me semble pour le moment pas du tout en adéquation avec l'ambition portée. Des objectifs sont fixés sans connaissance des capacités réelles. Par exemple nous ignorons si les équipements de chauffage permettront de répondre à cette réglementation.

Cette réglementation ne peut pas, à mon sens, être dupliquée telle quelle dans les outre-mer : les besoins pour répondre aux enjeux des dérèglements climatiques ne sont pas les mêmes.

Je trouve très bien que le PLOM existe, mais le manque de dynamisme est réel. La programmation ACV (Action coeur de ville) a permis certes d'aider beaucoup de territoires, mais les projets ANRU ont pris du retard, notamment pour des questions techniques d'ingénierie.

S'agissant des normes de construction, l'utilisation des matériaux biosourcés n'est pas envisageable de la même manière sur tous les territoires. Nous devons également trouver un juste milieu entre le respect des normes et les savoir-faire locaux : la réglementation doit leur faire une place.

Nous faisons également face à de grosses difficultés d'importation de matériaux. Ne pourrait-on pas restructurer les filières des territoires par rapport à leurs environnements géographiques ?

Concernant l'incidence des quotas des LLTS sur la production de logements sociaux, nous rencontrons aujourd'hui des difficultés à atteindre l'équilibre entre les recettes et les dépenses induites. J'attire votre attention sur le fait que la réforme fiscale aura un impact, notamment la TFPB (Taxe foncière sur les propriétés bâties). Les territoires qui acceptent du logement social ne sont pas soutenus fiscalement alors même que beaucoup de ces collectivités ont très peu de ressources. La faiblesse de la ressource fiscale attendue est réellement un frein à la construction de logements sociaux.

Sur la question du prix de revient d'un logement, nous estimons que dans les DROM, le surcoût pour la construction neuve par rapport à l'Hexagone est de l'ordre de 15 à 20 %. De très fortes disparités existent entre les territoires, y compris selon la manière dont le foncier a été acquis. Dans les territoires où le foncier fait l'objet de surenchère, le surcoût est bien plus élevé. De très fortes disparités sur le montant des prestations et des honoraires existent également. Nous estimons que le coût de la construction représente 65 % du prix total.

Sur ce point, nous pourrions améliorer la maîtrise foncière, peut-être grâce à des conventions plus audacieuses de la part des EPA (Établissements Publics d'Aménagement) présents sur les territoires. La question du coût des matériaux est un sujet récurrent, notamment celui du ciment à La Réunion. Développer par exemple des filières de construction basées davantage sur les savoir-faire locaux ne permettra pas de répondre à tout, mais permettrait de baisser la pression financière et de revaloriser les métiers locaux.

Sur la question du recours à des matériaux locaux, parmi les initiatives existantes, le pin des Caraïbes a récemment été utilisé en Polynésie française. Ce projet intéressant a été soutenu par le PACTE (Programme d'action pour la qualité de la construction et de la transition énergétique). Pour mener à bien ce projet, il convient de s'appuyer sur une filière bois industrielle, qui n'est pas toujours présente, et d'obtenir le suivi de la certification.

Le sujet de l'adaptation de l'architecture aux risques naturels est évident. Il s'agit de retrouver des modes constructifs qui s'appuient davantage sur la mémoire et permettent également de répondre aux risques climatiques. Pour la prévention des risques, nous pouvons nous appuyer sur les savoir-faire locaux. Ces prestations engendrent cependant des surcoûts et nous manquons d'opérateurs pour conduire ces opérations.

Concernant l'accompagnement de la rénovation énergétique, nous relayons les besoins de financement et accompagnons les opérateurs pour répondre aux AMI (Appel à manifestation d'intérêt). C'est le cas actuellement avec les 500 millions d'euros du Plan de relance qui sont prévus pour les logements sociaux, avec cependant de nombreuses exceptions. L'objectif du Plan de relance est d'accélérer les opérations de logements sociaux. Cette subvention permettra de baisser l'enveloppe financière globale, de réduire nos prêts, mais surtout d'éviter d'augmenter les loyers. Nous déplorons cependant que le Plan de relance ne prévoie pas d'aide à la production. La démolition de parcelles peut s'avérer nécessaire mais leur coût carbone doit être pris en compte.

Si elles se tiennent, nous sommes prêts à participer aux Assises de la construction ultramarine.

Vous avez évoqué les habitats légers et vernaculaires. Des expérimentations ont été menées. Je ne suis pas en mesure de vous dire si elles pourraient être massifiées.

La question du vieillissement est une problématique pour l'ensemble des bailleurs sociaux. Nous estimons que plus de 25 % de nos locataires ont plus de 70 ans. Nous devons développer des résidences autonomie pour personnes âgées avec des loyers minorés dans certains secteurs. Des financements spécifiques, comme le PIV (Plan d'investissement volontaire) d'Action Logement, pourraient être utilisés pour financer des foyers seniors.

Par ailleurs, une partie des locataires ne séjourneront jamais dans des établissements spécialisés. L'enjeu est donc de développer des services internalisés ou des services d'aide à domicile extérieurs pour mettre en oeuvre un accompagnement particulier des locataires âgés.

Mme Marianne Louis . - Nous bénéficions d'une convention avec la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse) pour accompagner les bailleurs dans l'adaptation au vieillissement. La convention a malheureusement été négociée dans un contexte difficile et la CNAV n'a pas décliné la convention outre-mer. Cela fait partie des priorités du travail de Mahieddine Hedli.

Mme Emmanuelle Cosse . - Nous profitons parfois des financements de programmes innovants grâce à des accords avec des caisses de retraite spécifiques et nous voulons développer ces programmes dans les territoires d'outre-mer.

Mme Marianne Louis . - Nous souhaiterions vous faire parvenir une réponse écrite. Nous n'avons pas eu le temps d'évoquer certains sujets qui nous semblent intéressants comme l'ACV, l'ANRU et les Assises de la construction. Nous sommes persuadés par exemple que nous pourrions importer en métropole le savoir-faire des outre-mer concernant le confort d'été qui nous permettrait de faire face aux enjeux de la RE2020.

M. Mahieddine Hedli, directeur à l'outre-mer de l'Union sociale de l'habitat (USH) . - Tous les sujets abordés par Emmanuelle Cosse ont été étudiés et capitalisés du point de vue de la remontée d'expériences. Nous sommes disponibles pour vous fournir une note relevant toutes les expériences sur les différents sujets que vous avez notés, leurs enjeux et des propositions afin que votre rapport puisse nous aider collectivement à faire avancer la question du logement en outre-mer.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous invite à nous transmettre les contributions que vous jugeriez utiles.

M. Maurice Antiste . - J'aimerais que vous nous disiez, madame la ministre, si le conflit qui oppose l'USHOM à l'USH n'est pas un facteur handicapant. Comment voyez-vous une sortie à cette crise ?

Mme Emmanuelle Cosse . - Ce n'est pas handicapant, car je suis en contact régulier avec les organismes HLM. J'ai remis en place une direction outre-mer à l'USH. Je vais par ailleurs me rendre dans tous les territoires outre-mer afin d'échanger avec les élus locaux.

Je ne peux pas en dire plus sur ce conflit aujourd'hui puisque cette structure a décidé d'intenter une action judiciaire envers ma personne et mes salariés.

Nous sommes à votre service pour revenir sur d'autres sujets. Le débat doit se poursuivre pour parvenir à des solutions qui viendront, il me semble, davantage des territoires et des professionnels que des discussions à Paris.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous propose de clôturer cette première heure d'audition.

Jeudi 28 janvier 2021

Audition de MM. Nicolas BONNET, directeur gouvernance et territoires d'Action Logement

M. Stéphane Artano , président . - Nous poursuivons nos auditions sur le logement dans les outre-mer en accueillant à présent Nicolas Bonnet, directeur gouvernance et territoires d'Action Logement, organisme important du logement social et intermédiaire en France. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

À travers ses activités d'aides financières facilitant l'accès au logement et de financement de logements sociaux et intermédiaires, votre organisme contribue aux enjeux de mise en oeuvre de la politique du logement et d'adaptation de l'habitat, sur lesquels nos rapporteurs souhaitent notamment vous interroger.

Lors de votre audition par notre délégation en mai 2020, dans le cadre de la préparation de son rapport sur l'urgence économique outre-mer, vous nous aviez indiqué qu'Action Logement était extrêmement attentive à sa présence et à sa représentation dans l'ensemble des territoires. C'est la raison pour laquelle vous disposez de relais dans les cinq départements ultramarins au travers de comités territoriaux qui signalent les difficultés ou les forces et faiblesses des territoires.

Par ailleurs, vous avez engagé, avant la crise sanitaire, une démarche volontariste d'investissements dans les outre-mer.

Notre étude s'inscrit dans une problématique de prise en compte des spécificités ultramarines, en vue de parvenir à des politiques de logement plus efficaces au niveau local. Votre diagnostic et votre expérience dans ce domaine nous intéressent tout particulièrement.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Dans le cadre de son Plan d'investissement volontaire (PIV), Action Logement a prévu une enveloppe de 1,5 milliard d'euros pour les outre-mer. Pourriez-vous nous présenter votre diagnostic sur chaque territoire, les priorités retenues et l'état d'avancement du plan ? Vous avez prévu 250 millions d'euros de subventions à la démolition de logements sociaux en zone B2 et dans les programmes d'Action Coeur de Ville (ACV). Il semblerait que la Guadeloupe, pourtant en zone B, n'en soit pas bénéficiaire. Pouvez-vous, si cela est vrai, nous expliquer pourquoi ? Je souhaiterais des précisions également concernant la liste des subventions du PIV en métropole et dans les outre-mer. Nous ne serions éligibles que pour les douches pour lesquelles nous serions limités à 200 par an en outre-mer. Est-ce exact et comment justifier ce chiffre ? Enfin, pourquoi la problématique de l'amiante n'a-t-elle pas été prise en compte dans vos subventions ?

Vous connaissez le conflit qui oppose l'USH et l'USHOM. Quelle est votre position et soutenez-vous une représentation spécifique pour les outre-mer ?

Comment peut-on, selon vous, combler le retard dans l'offre de logements sociaux en outre-mer (80 % d'ayants droit au logement social en outre-mer mais seulement 15 % des ménages hébergés dans des logements sociaux) ? Comment accroître l'offre de logements locatifs très sociaux (LLTS), qui ne représente actuellement en outre-mer que le tiers des logements locatifs sociaux ?

Globalement, quelle appréciation portez-vous sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ?

Comment contribuez-vous à la résorption de l'habitat indigne, notamment dans le cadre des opérations de réhabilitation de l'habitat insalubre (RHI) ?

Vous êtes un financeur important du programme Action Coeur de Ville (ACV). Comment permettre la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs pour lutter contre le dépeuplement des centres ? Quel équilibre trouvez-vous entre réhabilitation du parc existant et construction de nouveaux logements ? Que préconisez-vous pour maintenir la mixité à travers une offre diversifiée de logements ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Malgré les recommandations du rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation ? L'obligation de quotas en matière de LLTS ne freine-t-elle pas dans certains territoires les programmes de construction d'autres types de logement ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et à 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et les postes de dépenses où des diminutions de coûts seraient possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer (bois, bambous, gabions) ?

Quels sont les freins à lever, notamment en matière de réglementation européenne, pour permettre des équivalences entre les produits de construction locaux ou régionaux et les produits certifiés « Conformité Européenne » (CE) ?

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ? Comment promouvoir le développement de l'habitat vernaculaire ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ? Développez-vous des expérimentations sur l'habitat léger ?

Pensez-vous que des Assises de la construction ultramarines seraient utiles ? Quels pourraient en être le format, les participants et les objectifs ?

Si Mayotte et la Guyane figurent parmi les territoires les plus jeunes de France, d'autres font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte ces évolutions démographiques et notamment la progression du vieillissement et de la dépendance dans vos actions ?

M. Nicolas Bonnet, directeur gouvernance et territoire d'Action Logement . - Merci de votre invitation, je suis très sensible à cette intervention devant la Chambre Haute qui est aussi celle des collectivités locales. Notre volonté réaffirmée est de travailler très étroitement avec les territoires ultramarins et avec leurs élus.

Pour répondre sur la façon dont nous allons déployer de façon encore plus volontariste le PIV outre-mer, je rappellerai d'abord que les partenaires sociaux ont décidé de porter un plan d'investissement de long terme de 9 milliards d'euros. Il comprend des mesures qui s'appliquent à tous les territoires hexagonaux et ultramarins avec une enveloppe spécifique supplémentaire de 1,5 milliard d'euros pour les cinq départements ultramarins sur lesquels nous intervenons. Il n'y a pas de mesure applicable sur l'Hexagone qui ne le soit en outre-mer. Les seules limites sont des contraintes techniques. La situation actuelle ne nous a pas permis pour l'instant de déployer les aides aux personnes physiques sur les territoires de la Guyane et de Mayotte. Il s'agit notamment des mesures d'accompagnement au prêt à taux zéro, afin d'aider les ménages à régulariser leurs constructions et finir leurs logements.

Concernant le sujet de la démolition des logements sociaux, nous disposons d'une enveloppe substantielle pour l'accompagner. Elle concerne les territoires sur lesquels l'offre serait surabondante par rapport à la demande et/ou insuffisamment adaptée, et où le coût de réhabilitation des logements serait beaucoup plus lourd que celui de la construction neuve. Nous avons financé des opérations de démolition sur les territoires ultramarins pour un peu plus de 1 milliard d'euros. Nous allons lancer un deuxième appel à manifestation d'intérêt (AMI) auprès des bailleurs sociaux afin de continuer à les accompagner sur la démolition.

L'important pour nous était de nous rendre sur chacun des territoires et de constater l'état des besoins afin de déployer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros.

En Guyane, l'économie est essentiellement liée à la fonction publique et dans une faible proportion au tertiaire avec la forte prédominance du Centre spatial de Kourou. L'agriculture reste à structurer. Les besoins en logements sont très forts : autour de 4 500 à 5 500 logements à construire par an. Beaucoup d'habitats informels se sont développés, faute d'offre de logements. L'enjeu est donc d'accélérer la construction de logements, notamment très sociaux, sur tout le territoire de la Guyane et avec une attention particulière pour accompagner la rénovation des centres-villes et centres-bourgs. Le déploiement dans quelques semaines d'une offre de prêt à taux zéro pour les propriétaires constitue un deuxième axe fort.

En Guadeloupe, on estime à plus de 15 000 le nombre de logements manquants. La production de logements sociaux et très sociaux doit être accélérée. Il faut par ailleurs porter un effort de réhabilitation majeur sur les habitats insalubres. Les contraintes climatiques entraînent une moindre durabilité des logements avec des réhabilitations moyennes tous les cinq et huit ans sur les territoires ultramarins.

À la Martinique, la réhabilitation des centres-villes et centres-bourgs est un sujet majeur. De nombreux bâtiments sont désertés. Cette réhabilitation doit également permettre aux jeunes d'être à proximité des lieux de travail et de faciliter leur accès à l'emploi.

À La Réunion, l'effort de réhabilitation doit être porté sur la résorption de l'habitat insalubre. Nous devons également développer une offre en logements intermédiaires.

À Mayotte, les besoins en logements sociaux sont colossaux. L'évolution des logements informels se poursuit avec une problématique de gestion du foncier. Nous avons discuté avec le préfet, Jean-François Colombet, des problématiques d'adduction d'eau et des capacités à éviter la pollution de l'île sur un écosystème fragile. Les Mahorais aspirent à la propriété. Nous souhaitons les accompagner grâce à une offre en accession très sociale à la propriété. Notre offre doit correspondre à un besoin du territoire.

Le PIV spécifique outre-mer a permis, en cette première année de déploiement, d'investir 320 millions d'euros, avec un effet de levier multiplié par trois, correspondant à 950 millions d'euros d'investissements. Cela concerne 185 opérations financées, soit plus de 10 000 logements et plus de 15 fois notre financement habituel sur les territoires ultramarins. L'investissement a été plus poussé sur les territoires de la Guadeloupe et de la Guyane. Nous l'avions lancé sur l'arc Antilles et Guyane et devions l'inaugurer sur les territoires de La Réunion et de Mayotte. Avec la crise du Covid, cela a dû être repoussé.

Ce déploiement doit être effectué en lien étroit avec les collectivités locales. Nous souhaitons travailler de plus en plus dans le cadre de conventions-cadres de territoire avec les grands bassins d'emploi et les grands élus des territoires. Le logement doit s'intégrer dans un processus global d'aménagement du territoire intégrant notamment les problématiques du centre-ville. Sur les 320 millions d'euros d'investissements, 180 millions d'euros ont concerné des centres-villes et des centres-bourgs et notamment les quinze communes labellisées Action Coeur de Ville.

S'agissant des problématiques de coûts de construction et de normes, celle des normes est récurrente. La Fédération régionale du bâtiment de La Réunion porte d'ailleurs actuellement un projet d'évolution des normes. La loi devrait nous laisser les moyens de les adapter localement pour construire mieux et plus vite en tenant compte des coûts de construction et de la capacité à obtenir des produits de construction plus en lien avec les besoins. Les territoires de l'océan Indien par exemple sont plutôt un bassin de construction anglo-saxon. Nous pourrions très bien imaginer utiliser des produits venant d'Australie ou d'Afrique du Sud qui sont certainement d'aussi bonne qualité que les produits certifiés Communauté européenne (CE) ou Afnor (Association française de normalisation). Le sujet de la réglementation est lié à celui des assurances. Elles doivent pouvoir valider la capacité de maintenir les assurances dommages-ouvrage liées à l'utilisation de produits qui ne seraient pas forcément certifiés Afnor et pour lesquels nous aurions une dérogation.

Une enveloppe de 50 millions d'euros sur le montant de 1,5 milliard d'euros est dédiée à l'expérimentation et l'innovation. Nous sommes volontaires pour tester sur un territoire de nouvelles normes ou de nouveaux procédés constructifs. Au lieu de grandes annonces, je préfère que l'on agisse. Si cela ne fonctionne pas, nous réfléchirons alors à restructurer et adapter ces actions.

L'inflation du coût des matières premières a fait grimper les coûts de construction. À La Réunion, le prix de revient moyen d'un logement social frôle les 185 000 euros en raison du coût du foncier. Le travail étroit avec les collectivités locales doit nous permettre de nous projeter dans une vision d'un foncier aménagé sur les territoires.

Par ailleurs, les normes ne sont pas toujours adaptées à la réalité des territoires. À La Réunion, les terrains sont extrêmement pentus. La pente progressive demandée par la réglementation relative aux personnes à mobilité réduite n'est pas toujours compatible avec la pente naturelle du terrain, ce qui renchérit le coût de construction.

La fragilité de l'écosystème local de la construction peut également venir peser sur le coût de construction. Les entrepreneurs majeurs répondent sur les grandes opérations de plus de cinquante logements. Les petites entreprises n'ont pas forcément les moyens financiers et humains pour prendre en charge les chantiers de moindre importance. Beaucoup d'appels d'offres restent infructueux sur ces territoires. L'enveloppe de 50 millions d'euros doit donc concourir à structurer des filières de formation.

Sur les questions des filières locales de production, nous sommes tout à fait prêts à recourir à des matériaux locaux. Nous savons néanmoins qu'il existe un certain nombre de territoires où les matériaux biosourcés ne sont pas suffisamment disponibles pour y avoir massivement recours. Un travail de structuration de filière de production doit être initié, qui permettra de créer des emplois locaux et de développer un habitat plus en lien avec les territoires. Je souhaiterais que nous puissions être force de proposition sur ce type de procédé, comme la construction en brique en terre crue à Mayotte.

Concernant l'habitat vernaculaire, il n'est plus vraiment présent. Les habitats sont plutôt classiques. Je n'identifie pas vraiment sur ces territoires d'habitats spécifiques. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas travailler sur ces sujets. Ce qui me semble important, c'est que l'habitat s'adapte aux conditions et modes de vie des habitants qui sont différents d'un territoire à l'autre.

Concernant les Assises de l'Habitat, nous aurions besoin, à mon sens, de poser les constats de façon collective pour définir des projections sur un échéancier d'aménagement du territoire accompagnant le logement sur cinq, dix et quinze ans. Cela permettrait d'accélérer la production de logements avec une prise en compte des territoires avec leurs spécificités.

Vous m'avez posé des questions sur le deuxième PLOM et sa différence par rapport au premier PLOM. Le deuxième PLOM est certainement beaucoup plus ancré dans la réalité de chacun des territoires. Peut-être doit-il l'être encore davantage avec plus d'interactions avec les élus locaux et un dispositif de pilotage renforcé et séquencé qui intègre bien l'ensemble des sujets évoqués précédemment. Le risque serait de ne pas parvenir à dépenser suffisamment pour intervenir sur ces territoires.

Concernant l'évolution sociologique des territoires, la problématique des jeunes se pose notamment à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe, ainsi que celle d'un vieillissement accéléré sur certains territoires comme La Réunion, mais plus spécialement la Martinique. Nos filiales immobilières intègrent de plus en plus ces sujets d'adaptation du logement au vieillissement. Je souhaite que, dans le cadre d'un avenant au PIV outre-mer, l'axe réhabilitation soit beaucoup plus fortement ancré. Il doit intégrer l'adaptation du logement au vieillissement, mais également porter des engagements de maîtrise de l'évolution des loyers. Nous avons beaucoup discuté de ce sujet avec les élus à La Réunion où nous connaissons l'effet d'exclusion de la réhabilitation.

Sur la problématique du vieillissement, nous avons constitué la filiale Énéal pour porter la réhabilitation et la rénovation d'EHPAD y compris sur des territoires ultramarins. Ces EHPAD peuvent être portés par des communes ou par des structures privées à but non lucratif. Notre objectif est d'injecter les fonds pour réhabiliter ou construire du neuf, mais surtout d'apporter suffisamment de fonds propres pour que l'évolution du prix de la journée soit le plus minime possible.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je souhaiterais avoir des précisions sur la question des zones B2. Les territoires ultramarins y sont-ils éligibles, ou simplement les zones labellisées ACV ? Si cela se fait en métropole, pourquoi pas dans les outre-mer ? Votre action peut-elle s'étendre à l'ensemble des zones classées B2 ?

Concernant votre offre de prêt, pourquoi n'avoir pas plutôt fait une offre complémentaire à l'offre de prêt de la CDC Habitat, notamment sur le désamiantage ?

Vous n'avez pas répondu à la question sur le conflit qui oppose l'USH et l'USHOM : pouvez-vous nous donner des précisions ?

Puisque nous appartenons aux régions parmi les plus vieillissantes de France, êtes-vous favorable à ce que le forfait autonomie, qui n'est pas applicable actuellement dans les DOM, le devienne ? Que comptez-vous faire pour cette extension ?

M. Nicolas Bonnet . - Sur l'axe démolition des territoires Coeur de Ville, B2 et C, les territoires ultramarins sont éligibles, tout comme les territoires hexagonaux. Nous avons financé un peu plus de 1 million d'euros de démolition de logements sociaux l'année dernière. Nous lancerons certainement un deuxième appel à manifestation d'intérêt en début d'année.

Concernant les douches, les territoires ultramarins sont évidemment éligibles à l'adaptation du logement au vieillissement. Par ailleurs, environ 30 millions d'euros seront spécifiquement fléchés pour l'adaptation énergétique des logements ultramarins. Les niveaux de capacité énergétique des logements sont différents et ne sont pas applicables sur les territoires ultramarins. Il existe une difficulté à identifier quelles normes appliquer sur ces territoires.

Quant à votre question sur nos prêts qui viendraient concurrencer ceux accordés par la CDC Habitat, ce n'est pas l'objectif. Nous souhaitons accélérer la production de logements. Le prêt d'Action Logement est souvent relativement faible, mais pour autant il fait effet de levier. Aujourd'hui, nous prêtons à des taux de 0,25 % sur 40 ans là où CDC Habitat prête en moyenne à des taux de 0,40 % à 0,50 %. Avec l'évolution de cette enveloppe sur les territoires ultramarins, on atteint désormais entre 35 et 45 % d'un plan de financement. Les principaux bénéficiaires de ce financement sont d'ailleurs à 40 % les propres filiales de la Caisse des Dépôts, ce qui prouve bien l'existence d'un travail conjoint et l'absence de concurrence.

La question du désamiantage est intégrée dans les sujets de réhabilitation de bâtiments. L'accompagnement d'Action Logement peut créer un effet de levier sur des opérations de désamiantage qui peuvent être extrêmement onéreuses, notamment sur les monuments classés « Monuments historiques ». Si des besoins complémentaires se font jour, je suis prêt à les étudier.

L'USHOM, aujourd'hui, ne représente que 58 000 logements sur les 160 000 logements sociaux ultramarins. Une part extrêmement importante des logements sociaux est portée par des sociétés publiques locales (SPL). Or les SPL ne sont pas membres de l'USH. Ne sont membres de l'USHOM que les structures qui sont elles-mêmes membres de l'USH.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur le constat. L'USHOM représente l'ensemble des bailleurs sociaux des outre-mer. Ces bailleurs cotisent comme les autres à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Des subventions à hauteur de 10 millions d'euros sont accordées à l'USH, et au total 18 millions d'euros pour toutes les fédérations. Sur cette enveloppe, 5 millions d'euros sont versés à la Fédération nationale des associations régionales, soit en moyenne 403 000 euros par fédération. L'USHOM reçoit pourtant 170 000 euros alors qu'elle cotise comme toutes les autres. Je ne comprends toujours pas la démonstration. Nous aurons l'occasion de poursuivre cet échange par écrit afin d'obtenir des réponses plus précises.

M. Nicolas Bonnet . - Il n'y avait aucune volonté polémique de ma part. Je souhaitais simplement rappeler que les sociétés immobilières d'outre-mer n'adhéraient pas à l'USHOM. Je pense qu'une représentation des territoires ultramarins est effectivement nécessaire, avec une réelle spécificité sur les besoins en logement. Le travail actuellement effectué doit être maintenu, quelle que soit l'évolution de l'USHOM et de ses liens avec l'USH. Toutes nos filiales immobilières sont elles-mêmes adhérentes de l'USHOM. Il s'agit d'un outil bien connu que nous finançons. Une représentation des outre-mer est indispensable. Mon seul intérêt est de faire avancer le sujet. Le reste, je le laisse aux élus.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Une solution d'apaisement doit être trouvée. Je pense qu'Action Logement pourrait jouer le rôle de médiateur afin de parvenir à un accord entre les deux institutions. Nous assistons pour l'instant à une montée vers des extrêmes qui est incompréhensible. Nous allons préciser tout cela par écrit, sans pour autant nous transformer en tribunal. La représentation nationale souhaite que les intérêts généraux des outre-mer en matière de logement soient défendus, ce qui n'est pas tout à fait le cas.

Mme Viviane Artigalas . - Je suis l'un des rapporteurs de la mission flash de la commission des affaires économiques sur Action Logement et je trouve cette audition très enrichissante.

Dans le cadre du Plan de relance, le PIV doit être abondé avec des actions plus spécifiques. Cet abondement concerne-t-il également les outre-mer ?

Dans la synthèse du rapport de la Cour des comptes paru en septembre 2020, Action Logement n'est pas citée. Comment l'expliquez-vous ? Avez-vous été auditionnés par la Cour des comptes ?

Mme Nassimah Dindar . - Vous avez eu raison de rappeler la convention que vous avez signée avec la Ville de Saint-Denis où l'opération Coeur de ville a besoin d'un accompagnement financier et d'ingénierie.

Le territoire réunionnais accueille une population vieillissante de plus en plus nombreuse. Comment Action Logement pourrait-elle mettre en place des actions d'accompagnement et décliner en outre-mer l'accompagnement des plus vulnérables en matière de logement ?

Concernant l'USHOM, je partage ce qui a été dit par l'ensemble de mes collègues. Victorin Lurel a bien résumé le positionnement des élus du Sénat sur le sujet.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Vous connaissez le besoin de logements en outre-mer et en particulier à Mayotte. Je sais que depuis quelques années vous émettez le souhait qu'Action Logement soit fortement présente à Mayotte. Où en est aujourd'hui cette volonté ? Quels en sont les obstacles, s'il y en a ? Quelles solutions pourraient être dégagées pour permettre de renforcer votre action dans ce département ? La Société Immobilière de Mayotte (SIM) est seule à produire des logements sociaux actuellement. C'est loin d'être suffisant.

M. Nicolas Bonnet . - Nous souhaitons intervenir sur Mayotte, car les besoins sont très importants et répondent à notre objet social. Nous conduisons plusieurs actions que je souhaite finaliser assez rapidement. Nous menons une étude sur les besoins éventuels d'un deuxième opérateur sur place. Nous étudions également, en lien avec les collectivités locales, la possibilité de financer une coopérative et de financer la SIM.

Nous déploierons des moyens pour accompagner la dynamique de création de logements sociaux sur Mayotte.

Le sujet du foncier disponible avec les problématiques d'adduction d'eau et de respect du biotope est très important à Mayotte. Sur ces points, nous travaillons avec l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) pour identifier comment flécher du foncier assez rapidement pour y créer des logements. Un organisme foncier solidaire pourrait être développé pour disposer d'une offre en Bail réel solidaire (BRS) permettant de répondre au souhait légitime des Mahorais d'accéder à la propriété.

Concernant le logement des jeunes à Mayotte, quelques projets devraient voir le jour d'ici un à deux ans, notamment le lycée des métiers du bâtiment. Dans quelques semaines sera par ailleurs déployée l'offre de prêt à taux zéro pour les salariés mahorais afin de financer leur logement.

Au sujet de l'accompagnement des publics vulnérables et sur le vieillissement, la fameuse offre « salle de bain » sera poursuivie. Nous souhaitons également que le PIV soit fortement axé sur la réhabilitation, pour notamment adapter les logements au vieillissement. Nous avons par ailleurs discuté il y a quelques semaines avec le Conseil départemental réunionnais pour identifier la manière de travailler ensemble pour le soutien de maisons médicalisées.

Sur la question relative au Plan de relance et au PIV, un des points les plus importants dans le cadre de nos discussions avec l'État concerne le maintien des 1,5 milliard d'euros pour les outre-mer.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Nous confirmez-vous que les ponctions opérées par le Gouvernement lors du projet de loi de finances pour 2021 n'auront pas d'incidence sur les outre-mer ?

M. Nicolas Bonnet . - Pour le moment, le souhait du groupe est de maintenir ces 1,5 milliard d'euros. Au cas où d'autres ponctions interviendraient, ce montant ne pourrait cependant pas être conservé.

Mme Viviane Artigalas . -. La mission de la commission des affaires économiques assure un suivi de la question de la ponction sur les réserves d'Action Logement ou de sa réforme. Je serai très vigilante à ce qu'il n'y ait pas de ponctions supplémentaires.

M. Nicolas Bonnet . - Nous souhaitons que ces 1,5 milliard d'euros en faveur des outre-mer soient beaucoup plus ciblés, afin d'accompagner la relance sur ces territoires. L'axe réhabilitation notamment était assez peu ou mal intégré dans le cadre de la convention-cadre signée avec le ministère des outre-mer.

Davantage de moyens doivent être dédiés à la réhabilitation, y compris dans le parc privé. Cela permettrait d'aller plus vite, puisque le temps de réhabilitation peut être plus rapide que celui de la construction. Ces opérations de réhabilitation constituent un accélérateur assez formidable pour améliorer les conditions d'hébergement des territoires et soutenir l'économie locale.

Concernant la synthèse du rapport de la Cour des comptes, nous sommes étonnamment cités de façon marginale, alors que nous représentons un peu plus de 45 000 logements sociaux sur les 160 000 logements ultramarins. Cela montre une certaine méconnaissance de notre rôle sur ces territoires. Notre volonté d'accompagner ces territoires, affichée avec force devant vous, n'était sans doute pas suffisamment affirmée.

Mme Viviane Malet . - Vous n'avez pas répondu à la question de Victorin Lurel sur le forfait autonomie. Qu'en est-il puisqu'il n'est pas applicable outre-mer ?

Vous dites avoir échangé avec le Conseil départemental réunionnais au sujet des maisons médicalisées, mais les résidences autonomie ne sont pas des résidences médicalisées.

Qu'en est-il par ailleurs des rénovations des blocs sanitaires chez les particuliers étant donné que nos propriétaires particuliers ne bénéficient pas des aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) ?

Mme Annick Petrus . - Le territoire de Saint-Martin nécessite un investissement massif au profit du logement. La priorité devrait être accordée à la lutte contre l'habitat indigne et insalubre et l'accession à la propriété. Cette action doit être complétée par des mesures pour mieux répondre aux besoins de nos jeunes, notamment en développant des structures collectives et en mettant en place un dispositif de financement de la réhabilitation de logements en contrepartie d'un droit de réservation pour les jeunes.

Action Logement pourrait intervenir pour accompagner le développement de la construction grâce à l'accession sociale ou très sociale à la propriété. J'aimerais vous entendre sur les éventuels freins à une pleine collaboration avec la collectivité de Saint-Martin, tout en gardant à l'esprit que la collectivité possède la compétence urbanisme, construction habitation et logement.

M. Nicolas Bonnet . - Nous intervenons uniquement dans les DROM, malheureusement, c'est-à-dire dans les territoires où les entreprises employeurs cotisent et contribuent à l'effort de construction.

Pourtant, il y a quelques mois, lors de cette crise liée aux risques naturels à Saint-Martin, nous avons octroyé à titre de secours des moyens pour accompagner et financer un certain nombre d'opérations.

Quant au sujet des forfaits autonomie, il est très technique. Je ne le connais pas suffisamment pour savoir si ce forfait sera déployé sur les territoires ultramarins.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je crois que le forfait autonomie a été voté dans la loi de finances pour 2021 mais c'est à vérifier.

M. Nicolas Bonnet . - La volonté des partenaires sociaux est de garantir que les salariés qui partent à la retraite vivent dans les meilleures conditions possibles en fonction de leur état de santé. Nous déployons des moyens pour que leurs conditions d'hébergement soient compatibles avec leurs revenus. Les structures Énéal doivent aider à produire des logements compatibles avec les niveaux de loyers que peuvent payer les retraités. Sur le territoire hexagonal, nous avons imaginé des résidences mixtes jeunes et personnes âgées dans lesquelles le niveau de loyer des jeunes est réduit contre un engagement de visites et de services auprès des résidents âgés. Les sujets d'innovation sont nombreux. Nous poursuivons également le financement et l'adaptation des salles de bain.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie d'avoir répondu aussi clairement à l'ensemble des questions. Je ne doute pas que les rapporteurs vous adresseront si nécessaire des questions complémentaires par écrit qui nous permettront d'approfondir ces sujets.

Jeudi 28 janvier 2021

Audition de M. François CAILLÉ, président, et Mme Sabrina MATHIOT, directrice, de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM)

M. Stéphane Artano , président . - En conclusion de nos auditions de la matinée, la Délégation sénatoriale aux outre-mer reçoit François Caillé, président, et Sabrina Mathiot, directrice, de l'USHOM dans le cadre de son étude sur le logement dans les outre-mer.

Lors d'une table ronde consacrée au BTP et au logement social, le 28 mai 2020 et de notre étude sur l'urgence économique outre-mer, vous nous aviez livré un panorama de la situation du logement social dans les outre-mer. Vous aviez insisté sur le rôle des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et sur certaines difficultés de mobilisation de la LBU. Vous aviez également abordé la délicate question du foncier en évoquant la « position dogmatique » qui consiste à ne pas construire de logements dans les zones de l'ANRU.

Nous avons donc beaucoup de questions à soulever et sommes preneurs de vos propositions. Je cède la parole aux rapporteurs Victorin Lurel et Micheline Jacques. Dans la mesure où Guillaume Gontard a dû s'absenter, je poserai moi-même ses questions.

Nous avons entendu ce matin l'USH et nous aimerions bien sûr avoir votre éclairage sur le contentieux actuel qui vous oppose et ses perspectives de règlement.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'aimerais avoir votre sentiment sur la représentation des organismes de logements sociaux (OLS) outre-mer au plan national. Quelle est la mission de votre fédération ?

Je souhaiterais entendre votre point de vue sur le différend qui vous oppose à l'USH. Pouvez-vous en retracer l'historique et nous présenter vos propositions de résolutions ? Chacun d'entre vous se dit prêt à un partenariat intelligent, pérenne et serein dans l'intérêt du logement dans les outre-mer. Nous venons d'interroger Action Logement pour une éventuelle médiation entre vous.

Je n'ai pas compris le fonctionnement du financement du logement outre-mer et notamment des cotisations versées à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Vous annoncez le chiffre de 166 000 logements sociaux outre-mer quand d'autres sources avancent celui de 56 000. Quelle est la réalité ? Précisez-nous en quoi votre mission est absolument indispensable pour la défense des intérêts du logement outre-mer.

Pourriez-vous, par ailleurs, nous préciser vos moyens de fonctionnement ? S'agit-il bien de 60 % en cotisation et 40 % en provenance de la CGLLS ?

Quelle appréciation portez-vous sur la politique de l'État en matière de logement social depuis le premier PLOM ? Participerez-vous au comité de pilotage en février 2021 ?

Selon vous, le manque d'ingénierie des collectivités peut-il véritablement à lui seul expliquer les difficultés de consommation des crédits de LBU ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Malgré les recommandations du rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Quelles dispositions juridiques faudrait-il, selon vous, modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation et de simplification ? L'obligation de quotas en matière de LLTS ne freine-t-elle pas dans certains territoires les programmes de construction d'autres types de logement ?

Le prix de revient moyen d'un logement social en construction directe est estimé à 163 000 euros dans les DROM et 145 000 euros dans l'Hexagone. Pouvez-vous décomposer les prix de construction et les postes de dépenses où des diminutions de coûts sont possibles ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre, selon vous, pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer ?

Quels sont les freins à lever, notamment en matière de réglementation européenne, pour permettre des équivalences entre produits de construction locaux ou régionaux et les produits certifiés CE ?

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Les outre-mer peuvent se révéler un laboratoire d'innovations pour adapter l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire et au réchauffement climatique. Quelles sont vos propositions en ce domaine ?

Quelles initiatives proposez-vous pour valoriser davantage des styles architecturaux traditionnels ou des modes nouveaux de construction tels que l'autoconstruction ou l'autofinition ?

Quelles sont vos actions en matière d'accompagnement à la rénovation énergétique des logements sociaux en outre-mer ?

Pensez-vous que des Assises de la construction ultramarine seraient utiles ? Quels pourraient en être le format, les participants et les objectifs ?

Si Mayotte et la Guyane figurent parmi les territoires les plus jeunes de France, d'autres font face à un vieillissement de leur population, voire à un dépeuplement (Martinique). Comment prenez-vous en compte ces évolutions démographiques, et notamment la progression du vieillissement et de la dépendance, dans vos actions ?

M. François Caillé, président de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM) . - Je souhaite ouvrir cet échange par notre différend avec l'USH. Je suis devenu président de l'USHOM en septembre 2019 et lors de ma rencontre avec le président de l'USH en décembre 2019, il m'a invité, à mon grand étonnement, à me séparer de toute urgence de notre directrice générale, Sabrina Mathiot. Il m'a indiqué que l'USH devait réintégrer l'un de ses salariés, Mahieddine Hedli, parti en mission en Polynésie pendant trois ans et auparavant directeur de l'USHOM. Mahieddine Hedli faisait valoir son droit au retour et l'USH souhaitait lui redonner son poste. Le président de l'USH m'a précisé qu'ils étaient prêts à prendre en charge les coûts inhérents au départ de Sabrina Mathiot.

Suite à cet échange, j'ai interrogé tous les membres de l'USHOM, qui, de façon unanime, m'ont indiqué qu'il n'en était pas question.

J'ai remonté cette information au président de l'USH et les relations ont commencé à se dégrader. L'USH refusait d'envisager une rupture conventionnelle avec Mahieddine Hedli, même avec l'aide financière de l'USHOM. Nous étions en mars 2020 et la situation était bloquée.

Nous avons ensuite découvert, dans un courrier que l'USH avait adressé à l'ensemble des opérateurs et partenaires, que celle-ci mettait en place une mission outre-mer dirigée par Mahieddine Hedli. Cette mission devait représenter désormais l'outre-mer au niveau de l'habitat social. Il nous a semblé pourtant hors de question de céder notre place : les ultramarins souhaitent continuer à être représentés par l'USHOM.

La situation a continué de se dégrader. J'ai demandé l'arbitrage de Valérie Fournier, directrice générale d'Immobilière 3F (groupe Action Logement ) . Début juillet, nous nous sommes retrouvés tous à Paris : la mise en place d'une trêve a été actée. Rendez-vous a ensuite été pris en septembre pour un règlement à l'amiable.

En septembre, nous avons reçu un courrier comminatoire de Marianne Louis nous indiquant que la convention qui nous liait avait été rompue fin juin du fait de l'USHOM et que nous devions quitter les locaux, nous séparer du nom « USHOM » et du logo. Nous étions interloqués. Le 30 septembre 2020, un huissier a fait irruption dans nos locaux et demandé aux personnels de l'USHOM de quitter immédiatement les lieux. Comment ne pas réagir ? Je suis quelqu'un de responsable. Nous avons alors lancé deux procédures : une procédure en référé contre expulsion manu militari des locaux et une procédure au sujet de la convention. Outre une action en justice pour entrave au fonctionnement de notre structure, nous avons demandé en référé l'accès à nos locaux.

Le tribunal s'est prononcé très rapidement en obligeant l'USH à nous restituer les locaux jusqu'à fin décembre. En octobre 2020, Emmanuelle Cosse a été nommée présidente. J'ai demandé immédiatement, et à plusieurs reprises, audience par tous les intermédiaires possibles. L'USH a refusé de nous recevoir tant que nous n'aurions pas enlevé nos plaintes au pénal contre la directrice de l'USH. Emmanuelle Cosse a adressé un courrier à l'USHOM, évoqué par Victorin Lurel. La situation est depuis bloquée. Nous travaillons depuis le 1 er janvier 2021 dans de nouveaux locaux. Nous avons dû batailler pour récupérer nos boîtes mail, l'accès à l'informatique et son historique. Nous sommes dans une situation ubuesque : nous estimons que pour remettre une personne en place, on ne détruit pas une organisation qui fonctionne.

Jusqu'en août 2017, Mahieddine Hedli était directeur de l'USHOM, détaché par l'USH. Il est parti en 2017 en Polynésie à sa demande. Nous avons procédé au recrutement de Sabrina Mathiot. L'USH n'ayant pas validé sa candidature, l'USHOM a donc intégré Sabrina Mathiot en tant que salariée.

Nous supposons que l'USH voulait reprendre la main sur l'USHOM, car pendant trois ans, la directrice n'était plus leur représentante. L'ensemble des ultramarins le vit de façon insupportable, considérant cela comme une ingérence de Paris.

M. Victorin Lurel , sénateur . - Concernant les inégalités financières et de traitement entre l'USH et l'USHOM, pourriez-vous nous résumer la situation ?

M. François Caillé . - Je suis président de la société des HLM de La Réunion. Cette société est membre de l'USHOM. Comme tous les opérateurs, nous versons une cotisation annuelle importante de l'ordre de 75 000 euros à l'USH qui reverse une partie de ces sommes à l'USHOM afin que celle-ci puisse fonctionner. La convention et la subvention attachée lient les deux structures depuis toujours. L'ancien président avait refusé de signer la convention en 2019, car le montant de la subvention avait été baissée par l'USH sans justification. Cette convention a été arrêtée au 30 juin par l'USH. Nous nous attendions au versement au moins de la moitié du budget 2020, mais nous n'avons rien reçu.

Mme Sabrina Mathiot, directrice de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM) . - Notre budget s'établit normalement autour de 420 000 euros. Nous sommes trois salariés : une cheffe de projet, un assistant et moi-même. Sur ce budget, 170 000 euros proviennent de l'USH au titre des cotisations des organismes ultramarins aux fédérations de l'USH et également à travers la subvention de la CGLLS que perçoit l'USH.

En supposant que l'USH ne soit pas responsable de la répartition des sommes dans les associations régionales métropolitaines, mais la Fédération nationale des associations régionales (FNAR), l'USH a tout de même décidé de réduire notre dotation de 265 000 euros à 170 000 euros. Elle nous a fait supporter 57 % de l'économie qu'elle devait réaliser sur l'action professionnelle. Nous mettrons à votre disposition, grâce à nos partenaires, l'ensemble des chiffres.

Nous avons dû licencier notre assistante. Pour justifier la baisse de dotation, l'USH fait valoir que les effectifs que j'encadre auraient rencontré des difficultés. Je tiens à préciser que les deux salariés de l'USH mis à disposition de l'USHOM avaient déjà des récriminations contre leur ancien directeur, Mahieddine Hedli. Par ailleurs, l'USH, en recréant la mission outre-mer en son sein, n'a pas réintégré de cheffe de projet, ni d'assistante.

Je souhaite que l'on puisse saisir l'importance de notre représentation en matière de logement. Notre politique de logement social ne se fait pas seulement à travers la LBU ou la défiscalisation, mais grâce à l'ensemble des outils de la politique de la ville. Certes, vous nous savez actifs lors des projets de loi de finances et des propositions de loi qui touchent au logement. Les textes de loi font la jonction, mais tous les décrets d'application sont importants. Ils sont rédigés de concert avec les organisations socio-professionnelles. Cela explique en partie l'existence du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP) et les incohérences par exemple des cotisations CGLLS. En 2016, l'USH a déjà tenté une première fois de contrôler l'USHOM en proposant d'imposer un directeur venant de l'USH. Les ultramarins ont refusé. On leur a alors proposé d'être mis sous le contrôle de la FNAR. Nous sommes une association interrégionale, donc statutairement, nous ne pouvions pas accepter.

L'USHOM a été créée en 1998 suite au constat que les spécificités ultramarines n'étaient pas suffisamment prises en compte. Je rappelle que nous représentons 170 000 logements sur 5 millions de logements sociaux en France.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Ce chiffre est contesté par vos interlocuteurs. Dites-nous comment est calculée la dotation. On nous a dit qu'elle s'élève à 1,16 euro par logement. Existe-t-il vraiment des discriminations ou des inégalités de traitement qu'il faudrait corriger ?

Mme Sabrina Mathiot . - Nous avons précisé les modalités de calcul de cette dotation. La FNAR est indissociable de l'USH qui lui attribue ses ressources.

Effectivement, dans le calcul, il entre bien une part fixe et une part variable. La part fixe était de 135 000 euros. Elle tendra à 210 000 euros à horizon 2022. L'objectif de cette réforme au sein de la FNAR est de mieux doter les petites associations.

La part variable est, quant à elle, calculée en fonction du nombre de permis de construire, de la surface géographique et du nombre de logements. Dans l'Hexagone, l'ensemble des logements soumis au RPLS (Répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux) est pris en compte, soit l'ensemble des logements sociaux, qu'ils appartiennent ou pas au mouvement HLM. En outre-mer, il est souvent dit qu'il n'y a que 55 000 logements sociaux. Effectivement, le parc appartenant aux structures relevant du mouvement HLM est bien de 55 000 logements, le reste étant des SEM. Les mesures doivent concerner l'ensemble des logements sociaux et non pas uniquement les logements sociaux du mouvement HLM.

Par exemple, dans le projet ECCO DOM porté par le CSTB et l'USHOM, une clause intègre dans l'espace d'intervention de ce programme l'ensemble des adhérents et des non-adhérents. Cet argument est donc fallacieux et je transmettrai les éléments qui le prouvent.

Effectivement, en investissement, nous représentons bien moins que l'Hexagone. Pour l'Hexagone, nous sommes une variable d'ajustement. Notre existence en tant qu'instance dédiée pour défendre le logement social prend alors tout son sens.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Pour ne pas être accusé de ne pas avoir la même rigueur et la même exigence avec l'USHOM qu'avec l'USH, je souhaiterais vous interroger sur votre utilité même. En quoi permettez-vous de corriger les discriminations que nous subissons encore, par exemple, sur le supplément de loyer solidaire, sur les zones B2, sur les niveaux de revenus, sur le forfait autonomie et sur l'habitat inclusif ?

Mme Sabrina Mathiot . - Sur les aspects techniques, nous travaillons de concert avec le ministère des outre-mer et l'ensemble des partenaires. Nous voulons porter les voix des outre-mer, éclairer et informer l'administration centrale et l'État décentralisé sur les différences qui existent entre l'Hexagone et nos territoires. Notre premier travail est d'accompagner le déploiement des politiques publiques de l'habitat en outre-mer.

Concernant le forfait autonomie, nous avons insisté, aussi bien au niveau des ministères qu'auprès des parlementaires, pour le faire voter. Le forfait autonomie était opérationnel dans l'Hexagone depuis 2015. C'était une aberration législative qu'il ne soit pas disponible sur nos territoires. La Martinique et la Guadeloupe présentent les populations les plus âgées de France.

S'agissant des forfaits inclusifs, ces forfaits ne sont pas cohérents au niveau des décrets et des répartitions. Le forfait du montant inclusif en Corse est de 168 000 euros pour 94 000 habitants, alors que le forfait de la Martinique s'établit à 110 000 euros pour 363 000 habitants.

Sur la question de nos actions, je ne suis pas capable de vous dire ce qui a été fait avant moi faute de rapports d'activité annuels. Ce rapport a été instauré à mon arrivée afin de créer un historique.

Concernant la sensibilisation, depuis mon arrivée en 2017, nous avons participé à la conférence Logement, à la loi ELAN, au nouveau Plan logement outre-mer ou encore au Plan de relance outre-mer.

Sur le plan technique, nous avons participé aux groupes de travail avec les services centraux pour améliorer l'ingénierie des collectivités, au programme ACV et à la réflexion sur l'opportunité de la création de la filière de désamiantage outre-mer.

Concernant l'animation et l'action professionnelles, nous organisons des séminaires sur la gouvernance, sur le vieillissement de la population et la nécessité d'accompagner ce vieillissement.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Quel est donc l'apport de l'USH dans la défense des intérêts des outre-mer au regard de l'ensemble de vos actions, par exemple sur le dossier CEE (certificats d'économie d'énergie) que vous avez présenté ou ceux de la CGLLS et de l'ANRU ?

Mme Sabrina Mathiot . - L'USH a une expertise technique qu'elle peut mettre à disposition de l'USHOM. Cependant à la différence de ce qui a cours dans l'Hexagone, nous devons prendre en charge notamment les déplacements. Nos moyens sont déjà réduits, cela diminue encore davantage notre capacité d'intervention.

L'USH nous a plutôt bien accompagnés sur le séminaire vieillissement par exemple. J'ai organisé une formation à La Réunion, pour apporter un éclairage sur les nouvelles modalités issues de la loi ELAN. Afin qu'une experte de l'USH intervienne, j'ai dû payer son billet d'avion. Nous devions répondre ensemble sur ECCO DOM, l'USHOM en tant que partenaire et l'USH en tant que porteur du dossier. Nous avons construit une offre commune. Dès que la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat) a annoncé que ce programme était dédié à 90 % à l'outre-mer, l'USH a renoncé, sans me demander mon avis, à présenter une offre. J'ai alors fait en sorte de présenter une autre offre avec un autre partenaire, ce qui m'a été reproché, car s'il n'y avait pas eu de réponse, ces fonds auraient été fléchés autrement.

Concernant le dossier amiante, l'USH m'a clairement signifié qu'elle ne me soutiendrait pas. Pourtant, l'objectif était de former nos bailleurs à ce problème de santé publique.

M. Stéphane Artano , président . - Nous n'avons pas encore abordé la partie relative aux normes techniques de construction évoquées par Micheline Jacques et les nouveaux défis en matière d'habitat de Guillaume Gontard.

M. François Caillé . - Victorin Lurel a-t-il bien compris l'intérêt de l'USHOM pour l'outre-mer ?

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Absolument, nous poursuivrons par écrit.

Mme Sabrina Mathiot . - Sur l'adaptation des normes du BTP, il reste effectivement un vrai travail à mener pour minimiser les surcoûts. La réglementation relative aux personnes à mobilité réduite est ahurissante, notamment sur certains territoires. Par ailleurs, on nous impose de mettre des prises RJ45 dans toutes les pièces à vivre, alors que nous avons tous à la maison un modem et que la connexion se fait en Wifi. Le corpus normatif doit être adapté.

La Nouvelle-Calédonie est en train de rédiger un corpus normatif adapté à son territoire. La certification CE pose problème : elle coûte cher et prend du temps. Nous devrions faciliter le recours à des matériaux issus de l'environnement régional de nos territoires.

Je tiens à souligner que le marquage CE est important : il assure une continuité dans les caractéristiques techniques. Toutefois, il me semble primordial de conserver une certification ou une équivalence. Le règlement européen doit être ajusté pour engager un changement, mais sans perte de qualité.

L'inexistence de laboratoires au plan local pose également problème. Pour qu'un produit ou une nouvelle technique soit adopté, il faut qu'une filière solide puisse fixer les normes et les conditions dans lesquelles utiliser le produit.

Concernant l'obligation en matière de logements locatifs très sociaux (LLTS) et l'hypothèse qu'elle constitue un frein pour les programmes, notre opinion est que les outre-mer ont besoin de LLTS et que cette obligation a du sens. Nous l'avons portée au niveau du nouveau Plan logement. Cependant, sur nos territoires, les DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) bloquent certains projets de logements, faute de logements LLTS. Mais certaines communes ne veulent pas de ces logements. Il faudrait une procédure de nature à ne pas bloquer l'ensemble de l'opération.

Vous connaissez la difficulté à monter des opérations sur nos territoires. Si un document technique confirmait que c'est la volonté du politique et non celle du bailleur, nous devrions pouvoir débloquer le projet.

M. François Caillé . - Concernant le prix de construction, nos territoires souffrent d'un manque de foncier. Il est rare, donc cher. La Réunion par exemple ne peut être habitée que sur son pourtour. Nous sommes aujourd'hui obligés de conquérir les pentes. Les coûts d'aménagement de ce foncier sont très importants, surtout avec les normes PMR (Personnes à mobilité réduite). Le caractère tropical de nos territoires implique également des surcoûts d'aménagements considérables.

Les normes sismiques, qui sont infiniment plus importantes qu'en métropole, nous obligent à construire plus solide. Par ailleurs, les matériaux sont tous importés, essentiellement d'Europe. Or les coûts d'achat et d'acheminement sont élevés. En dépit de la LBU et du crédit d'impôt, nous devons, par exemple avec Action Logement, injecter de plus en plus de fonds propres dans nos opérations si nous voulons que nos loyers demeurent abordables. Ce phénomène s'accroît chaque année. Nous pourrons vous communiquer par écrit le détail de la décomposition des prix des logements.

Mme Sabrina Mathiot . - Pour compléter sur le coût des matériaux, une étude de l'Autorité de la concurrence a été réalisée à La Réunion, dont je ne partage pas les conclusions. Il n'est pas possible d'obtenir une décomposition juste en distinguant les aspects compressibles de ceux qui ne le sont pas. Vous négociez le prix d'un produit selon le volume du marché. Nos marchés sont étroits et les marges de négociations faibles. Les études existantes sont incomplètes. Les variables sont trop importantes pour permettre des généralisations. Un regard d'économiste de la construction serait nécessaire pour étudier le sujet des surcoûts en outre-mer.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Une centralisation des achats pour lutter contre les oligopoles ou une mutualisation des moyens seraient-elles pertinentes pour abaisser les coûts ?

Mme Sabrina Mathiot . - Les marchés restent étroits : vous ne pouvez pas vraiment baisser les prix de manière significative. Et quand bien même, cela n'enlèvera pas les difficultés de stockage et les frais de fonctionnement. Cela diminuera peut-être de 2 à 3 % le prix du matériau, mais cela me paraît complexe.

M. Stéphane Artano , président . - Nous sommes preneurs de vos contributions écrites. Je voudrais céder la parole à Thani Mohamed Soilihi qui a sollicité une prise de parole.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Les propos tenus au début de votre audition m'ont scandalisé. Emmanuelle Cosse a déclaré tout à l'heure que cette situation n'était pas handicapante. Je ne sais pas ce dont elle aurait besoin pour qu'elle le soit. Elle a aussi déclaré que tant qu'il y aurait une plainte, la situation n'avancerait pas. Une fois que la plainte est déposée entre les mains du procureur, le justiciable ne peut de toute façon plus rien faire.

Je tiens ici à apporter mon soutien à Sabrina Mathiot. La situation actuelle est préjudiciable pour les outre-mer.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je partage tout à fait cet avis.

M. François Caillé . - Je vous remercie de votre position et je suis rassuré d'entendre que vous êtes prêts à nous accompagner dans ce combat légitime.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie pour votre contribution et vous invite à nous transmettre tous les documents qui permettront de répondre plus précisément aux questions évoquées par les rapporteurs.

Jeudi 4 février 2021

Audition de MM. Gérard TERRIEN, président de la 5e chambre, Francis SAUDUBRAY, conseiller maître, rapporteur général chargé de la synthèse sur le logement outre-mer, Denis BERTHOMIER, conseiller maître, contre-rapporteur de ce rapport et Bertrand BEAUVICHE, conseiller référendaire, à la Cour des comptes

M. Stéphane Artano , président . - Chers collègues, lors de sa réunion de programmation du 10 décembre 2020, notre délégation a inscrit dans son programme de travail une étude sur le logement outre-mer, sujet qu'elle n'avait pour l'instant abordé qu'à travers l'enjeu des normes techniques dans le bâtiment.

Or, lors des débats budgétaires annuels, le constat de la sous-consommation récurrente des crédits dans ce domaine nous interpelle régulièrement. Le quasi-échec du Plan logement outre-mer (PLOM) 2015-2019 ainsi que le retard pris dans la mise en oeuvre du PLOM 2019-2022 suscitent de nouvelles inquiétudes.

Pour nourrir leurs travaux, nos rapporteurs pour cette étude - Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel - ont souhaité entendre la Cour des comptes qui a publié en septembre 2020 un rapport remarqué sur le logement dans les département et régions d'outre-mer (DROM) qui pointe un certain nombre de défaillances, lesquelles sont autant de pistes d'améliorations possibles.

Nous accueillons donc ce matin, en les remerciant pour leur disponibilité,  Gérard Terrien, président de la 5 e chambre, Francis Saudubray, conseiller maître, rapporteur général chargé de la synthèse sur le logement outre-mer, Denis Berthomier, conseiller maître, contre-rapporteur de ce rapport et Bertrand Beauviche, conseiller référendaire à la Cour des comptes.

Nous savons tous que les départements et les régions d'outre-mer (DROM) font face à des contraintes spécifiques en matière de logement : un foncier constructible rare et cher du fait de leur géographie, des coûts de construction supérieurs à ceux de la métropole et des évolutions démographiques rapides et hétérogènes complexifiant la planification.

Or, en dépit des efforts déployés au cours des dernières années, les acteurs privés et publics apparaissent toujours en difficulté pour répondre à la demande - notamment de logements locatifs sociaux et très sociaux - et pour améliorer les conditions de logement des habitants ultramarins.

Dans son rapport, la Cour appelle ainsi à repenser profondément les dispositifs d'intervention dont dispose la puissance publique et à les recentrer sur la réalité des situations locales et des besoins des populations.

La présente audition s'articulera donc autour de la présentation de la méthode suivie par la Cour, de son diagnostic et de ses propositions visant à mieux allouer les ressources mobilisables et à cibler les efforts.

Je laisserai d'abord la parole au président Gérard Terrien pour nous présenter ce rapport, puis aux rapporteurs afin qu'ils vous précisent les points qu'ils souhaiteraient voir approfondis. Enfin, nos collègues pourront vous poser des questions complémentaires.

M. Gérard Terrien, président de la 5 e chambre à la Cour des comptes . - Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est avec grand plaisir que nous venons ce matin au Sénat pour commenter le rapport que nous avons engagé début 2019 avec nos collègues des chambres régionales concernées. Se trouvent à mes côtés Francis Saudubrey, rapporteur général du dossier, Denis Berthomier, contre-rapporteur, et Bertrand Beauviche, qui connaît bien les outre-mer du fait de ses fonctions antérieures et qui a travaillé sur ce sujet dans un précédent rapport.

L'enquête que nous avons menée a été assez lourde. Notre périmètre a couvert la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion.

Pour rappel, le premier président de la Cour des comptes adresse tous les semestres aux présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale une liste de rapports qui sont communicables. La dernière communication de Pierre Moscovici mentionne les six rapports transversaux antérieurs portant sur le logement dans les outre-mer délibérés par la Formation inter-juridictions (FIJ) au cours de l'année 2019. Ces rapports portent sur : les besoins, les acteurs, les contraintes, les financements, la lutte contre l'habitat insalubre (LHI) et le bilan du Programme national de rénovation urbaine (PNRU) et du Plan pour le logement outre-mer (PLOM).

Il est à noter que des rapports concomitants sur l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et Action logement ont complété cette enquête. Les chambres régionales des comptes nous ont également aidés en contrôlant cinq organismes de logements sociaux, ainsi qu'un établissement public foncier de Guyane.

Les rapporteurs se sont rendus en outre-mer et ont adressé des questionnaires et/ou rencontré une grande variété d'interlocuteurs, nationaux (dont la direction générale du budget, la direction générale des finances publiques, la caisse générale de garantie du logement locatif social, l'Insee, la Caisse des Dépôts et consignations, et en particulier CDC Habitat et la Banque des Territoires) et locaux auprès des services extérieurs de l'État (Préfets, SGAR, DEAL, DRFIP), des élus locaux, des responsables de l'Agence française de développement (AFD), de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), de la Caisse des Dépôts et consignations, d'Action logement, des entrepreneurs de BTP, des représentants de chambres de commerce, de chambres des métiers et d'associations de résidents des organismes de logements sociaux.

Au total, 14 documents ont été produits et ont alimenté notre synthèse. Ce rapport était prêt début 2020 et n'intègre pas les effets de la crise sanitaire. Il a été approuvé par la Cour en mai 2020 et n'a été rendu public qu'en septembre 2020, car il a été soumis à la procédure contradictoire de la Cour des comptes qui a été ralentie pendant le confinement.

Le rapport aboutit au diagnostic qui vient d'être rappelé par le président Stéphane Artano. Sur une population de 2 152 000 habitants ultramarins, on décompte 775 000 habitations dont 155 000 logements sociaux, alors que ces territoires abritent 1 721 000 ayant-droits potentiels à un logement social.

Les subventions et dépenses fiscales y sont importantes : 3,6 millions d'euros sur 15 ans. On y relève des compétences partagées entre des services centraux et déconcentrés de l'État, des collectivités territoriales, un grand nombre d'agences nationales en charge du logement (ANRU, ANAH, Action Logement...), et une vingtaine d'organismes spécialisés dans les logements sociaux.

Nos travaux ont notamment porté sur les normes qui apparaissent comme un enjeu majeur pour ces territoires. Dans ce domaine, il nous est apparu qu'il fallait retenir une approche beaucoup plus ancrée dans les réalités des territoires. Souvent, les logiques de normes sont pensées pour le territoire métropolitain et ne sont pas toujours transposées de manière satisfaisante en termes de planification ou de programmation foncière. Les références sont trop nombreuses et il a été identifié une saturation des capacités des collectivités locales et, lorsqu'ils existent, un défaut de précisions et d'actualité des documents de planification et d'urbanisme. Il est également relevé que les normes peuvent entraver les projets d'investissements des opérateurs économiques.

Force est de reconnaître qu'il existe plusieurs outre-mer. Je pense que la délégation sénatoriale en est encore plus consciente que nous. Ces environnements spécifiques doivent être pris en compte, avec des réalités géographiques et climatiques très variables et une situation démographique contrastée (dynamisme à Mayotte ou en Guyane et vieillissement aux Antilles). En outre, les systèmes d'information sur le logement et l'habitat, qui peuvent déjà manquer de performance en métropole, doivent être adaptés dans les outre-mer.

Notre rapport revient également sur les acteurs en présence. Nous y notons que la Direction générale des outre-mer (DGOM), en charge de nombreuses dimensions des politiques publiques relatives aux outre-mer, peine à leur donner un cap, car elle ne dispose pas des compétences nécessaires en interne et souffre d'équipes réduites. Les services extérieurs de l'État sont souvent partagés entre leur mission d'ordre public, le contrôle de légalité et la distribution de financements publics, et la nécessité d'appui aux collectivités territoriales. Enfin, ces dernières ne prennent pas toujours la mesure de leurs responsabilités dans ce domaine et n'ont pas toujours les moyens financiers et les équipes d'ingénierie pour piloter les projets.

Les organismes de logement social, pour leur part, sont entrés dans une nouvelle dynamique avec l'entrée dans leur capital de la filiale logement de la Caisse des Dépôts et consignations, avec une restructuration en cours. Malgré tout, ces organismes sont en nombre insuffisant à Mayotte et trop nombreux à La Réunion.

Pour compléter, il faut souligner que la demande sociale croît de manière extrêmement rapide en raison de la croissance démographique ou du vieillissement qui transforment les besoins de logement. C'est particulièrement vrai dans les territoires des Antilles où les défis sont de parvenir à loger les personnes âgées alors que la part de l'habitat vétuste et informel y est très présente.

Fort de ce constat, il nous apparaît nécessaire de repenser les interventions publiques outre-mer pour recentrer les dispositifs d'intervention sur la réalité des situations locales et des besoins des populations. Il ne faut pas essayer d'appliquer le même modèle à l'ensemble des territoires. Il convient aussi de prendre en compte l'importance du secteur privé qui loge 85 % de la population.

Il nous paraît nécessaire de préserver les aides aux ménages, en les ciblant selon les objectifs des décideurs publics, mais aussi de mieux mobiliser les moyens publics pour résorber l'habitat insalubre, reconquérir des centres villes en déshérence et assurer un logement ou un hébergement décent à tous ceux qui peuvent y prétendre.

Les besoins des populations et les ressources foncières et d'aménagement doivent être aussi mieux appréhendés. Il nous semble nécessaire de réhabiliter du bâti existant afin d'éviter l'étalement urbain.

Nous préconisons de recourir davantage aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) et aux documents d'aménagement et d'urbanisme à caractère générique, tels les schémas d'aménagement régional (SAR) ou les schémas de cohérence territoriale (SCOT).

Nous constatons que l'équilibre n'est pas toujours trouvé entre la construction neuve, la réhabilitation d'habitats anciens mais aussi entre l'accession sociale à la propriété et le logement locatif très social ou encore entre l'habitat individuel autoconstruit et les ensembles collectifs. Nos travaux nous ont conduits à relever que le logement locatif très social était assez rare sur ces territoires.

Il nous paraît également essentiel de respecter les habitudes locales et les paysages, mais aussi les règles d'urbanisme et de prendre en compte les risques naturels, notamment sismiques.

Comme la Cour des comptes le met souvent en avant dans ses rapports, nous appelons - là encore - à un réexamen de l'utilité réelle des incitations fiscales outre-mer. D'après nos analyses, celles-ci sont beaucoup moins efficaces que les interventions budgétaires. Les incitations fiscales en outre-mer ont un effet secondaire, particulièrement dans la construction de logements sociaux, et elles engendrent des surcoûts sans parfois répondre aux besoins de la population, car ces mesures profitent d'abord aux intermédiaires.

Enfin, il nous apparaît très important d'adapter les normes métropolitaines aux réalités locales en matière d'aménagement, de construction et d'habitat. Plus qu'une régularité stricte de la construction, il nous semblerait préférable de tendre vers la performance raisonnée des constructions.

Les orientations du PLOM 2019-2022 rejoignent les recommandations de la Cour. Il devait être mis en oeuvre début 2020 mais a rencontré des difficultés comme les autres politiques publiques. Il apporte des réponses concrètes et adaptées aux particularités de chaque DROM. Le PLOM a été précédé par un énorme travail de concertation et nous paraît conjuguer la constance, le pragmatisme et le suivi pour répondre aux besoins des populations. D'ailleurs, le Premier ministre a indiqué être globalement d'accord avec les constats de la Cour et que l'État prévoyait d'y apporter des réponses dans le nouveau PLOM. Cependant, nous n'avons pas encore pu examiner les prémices de la mise en oeuvre de ce plan.

À la suite de nos travaux, nous avons élaboré 12 recommandations.

La première série vise à mieux connaître pour mieux planifier. Il s'agit de mettre en place un dispositif de connaissance du parc privé et de donner au secteur privé une meilleure visibilité de la programmation des bailleurs et des investisseurs publics.

La deuxième série de recommandations vise à mieux allouer la ressource. Il est proposé de privilégier la ligne budgétaire unique (LBU) dans le financement du logement, d'encourager la mutualisation des achats de matériaux de construction et de stabiliser les objectifs et les moyens de la politique du logement outre-mer.

La troisième série de recommandations tend à mieux cibler les efforts, à savoir : distinguer les objectifs en matière de constructions neuves et de rénovations et de mises aux normes pour que ces mises aux normes soient plus simples et plus adaptables, donner systématiquement priorité au logement locatif très social, adapter la réglementation de l'urbanisme, de l'habitat et des normes de construction aux réalités des outre-mer et de prendre en compte le vieillissement et la dépendance des populations en y adaptant les logements.

Après cette présentation succincte de nos travaux, nous sommes prêts à répondre à vos questions.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie monsieur le président. Je vous propose de donner la parole à nos trois rapporteurs.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous venez d'exposer les conclusions de votre rapport ainsi que vos recommandations.

J'observe que ces dernières s'adressent à l'État et à ses services (DGOM, DHUP, DGFiP etc.) et finalement très peu aux collectivités, même si vous faites le constat de leur inertie, de leur incapacité ou de leur absence d'ingénierie. Votre rapport préconise une meilleure territorialisation des politiques. Cependant, une recommandation ne pourrait-elle pas s'appuyer sur une meilleure décentralisation plutôt qu'une meilleure territorialisation ? Autrement dit, pouvons-nous davantage ou mieux décentraliser ces politiques ?

Par ailleurs, quelles leçons tirez-vous du semi-échec du premier PLOM 2015-2019 ?

Comment repenser le double système de financement public (subventions budgétaires versus incitations fiscales) à destination du logement dans les outre-mer ? Votre rapport précise que la sous-consommation récurrente des crédits de la LBU tend à montrer que, si l'État assume ses responsabilités pour financer le logement en outre-mer, les collectivités territoriales et les acteurs du logement social ne sont guère en mesure de mobiliser cette aide. Cette assertion nous interpelle, car un rapport de l'Assemblée nationale sur la sous-consommation chronique de la LBU pointe d'autres causes à cette sous-consommation. Ce rapport cite notamment le résultat de la concentration en fin d'exercice d'une part substantielle de l'exécution des dépenses, ce qui empêche d'effectuer des redéploiements significatifs en cours d'exercice. Ce rapport appelle aussi au développement du contrôle interne, à la simplification de la cartographie BOP (Budget Opérationnel de Programme) et UO (Unité Opérationnelle), à l'anticipation de la mise à disposition des crédits en gestion 2020 et à l'avancement des dialogues de gestion pour mieux consommer les crédits. Il recommande aussi que des plans d'action soient définis pour mettre en oeuvre le rapport de l'Inspection générale de l'administration et du contrôleur général économique et financier. Ces éléments expliqueraient aussi le retard ou l'insuffisance dans l'exécution des crédits, sans pointer exclusivement l'insuffisance d'ingénierie des collectivités.

Je souhaiterais également obtenir quelques éclairages sur la répartition de la LBU par territoire ultramarin. Cette répartition vous semble-t-elle correspondre à des critères suffisamment transparents et objectifs ? Je constate que la LBU diminue depuis 2010 et que les enveloppes affectées à certains territoires ont diminué en faveur de la Guyane et de Mayotte. Nous pouvons comprendre les raisons démographiques de ces choix, mais la baisse intrinsèque de la LBU et le redéploiement interne des crédits entre les territoires ne sont pas justifiés par la seule pression démographique et migratoire.

Les opérateurs sociaux qui ont été auditionnés donnent trois facteurs explicatifs à la sous-consommation des crédits. La première explication est que l'État aurait restreint la période de dépôt des dossiers de mars à septembre, ce qui implique que les dossiers incomplets sont reportés l'année suivante. La deuxième explication résiderait dans les permis de construire pour lesquels tous les recours doivent être purgés avant de déposer des dossiers. Le troisième facteur explicatif tiendrait au rôle de l'architecte-conseil qui peut remettre en cause l'ensemble du processus. Au-delà des éléments que vous avez pointés dans votre rapport et relatifs à l'insuffisance d'ingénierie, pouvez-vous revenir sur ces trois éléments ? Ces opérateurs ont indiqué qu'ils avaient l'impression que l'État ne voulait pas engager tous les crédits afin de pouvoir les redéployer vers les territoires en forte demande.

Par ailleurs, pensez-vous que le pilotage de la politique du logement par la DGOM est à revoir ? Le rapport indique que la DGOM n'a guère les moyens d'assumer les tâches de conception, d'animation et de suivi-évaluation de la politique du logement outre-mer. Comment remédier à cette situation ? Malgré l'apport de la DHUP, il y perdure des problèmes de pilotage, d'encadrement, de formation et de coordination.

Le manque d'ingénierie des collectivités n'est-il pas un prétexte pour justifier le décalage entre les crédits disponibles et les réalisations effectives ? Pourriez-vous préciser le type de compétences qui seraient déficientes et les territoires concernés ? Comment expliquer que les services n'ont subitement plus la capacité technique de monter des dossiers alors qu'ils l'avaient entre 2010 et 2015 ? L'expérience des plateformes d'ingénierie en Guyane et à Mayotte doit-elle être généralisée ? À mon sens, les collectivités ont pour responsabilité de mettre du terrain à disposition, de financer le FRAFU, d'élaborer des documents d'urbanisme et de les actualiser mais, pour le reste, ce sont les opérateurs qui sont à la manoeuvre et qui déposent les dossiers. Je connais peu de collectivités qui conduisent directement des opérations de logement.

Par ailleurs, quel équilibre peut être trouvé entre la production de logements locatifs très sociaux et celle d'une offre de qualité pour le logement intermédiaire ? Quelles sont les opérations de diversification qui méritent d'être connues et développées ?

Enfin, pour ce qui concerne les contraintes de foncier, que pensez-vous de l'application des lois SRU et de la Commission Départementale de la Préservation des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers (CEDEPNAF) ? En outre-mer, il n'est plus possible de déclasser des terrains, notamment agricoles, et un principe de compensation s'applique, ce qui constitue un frein. Avez-vous examiné ces questions ?

M. Gérard Terrien . - Je ne répondrai qu'à la première question relative au dualisme entre territorialisation et décentralisation. Sur la question de la territorialisation, la Cour a travaillé à droit constant. Nous ne nous sommes pas posé la question de la décentralisation de cette politique publique. La Cour n'a pas pour compétence de faire des simulations législatives ; nous travaillons sur l'existant. C'est la raison pour laquelle nous préconisons la territorialisation en restant dans le cadre budgétaire existant.

Sur le cadre budgétaire, je vous informe que nous avons reçu une commande de l'Assemblée nationale pour le début de l'année prochaine en vue d'examiner dans le détail la prévision et l'exécution des dépenses budgétaires de l'État à destination des outre-mer.

Concernant la sous-consommation des crédits, nous n'avons pas mis uniquement en avant les difficultés de gestion des collectivités locales, mais nous avons souligné aussi les aléas conjoncturels, les mesures de régulation budgétaire et la suppression de l'allocation logement par la loi de finances pour 2018 qui a limité la consommation des crédits de la LBU.

M. Francis Saudubray, conseiller maître, rapporteur général chargé de la synthèse sur le logement outre-mer à la Cour des comptes . - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, effectivement le PLOM 2020-2022 appelle à une plus grande territorialisation des politiques du logement dans les outre-mer. Ce faisant, il tire les leçons de la vision un peu trop quantitative et uniformisée des objectifs du premier PLOM. Il y a plusieurs façons d'aborder la question d'une meilleure territorialisation de l'exécution du PLOM et de la conception de la politique du logement dans les outre-mer. Je prendrai trois exemples qui nous paraissent assez pertinents.

Tout d'abord, les conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement (CDHH) ont été instaurés par l'article 33 de la loi ALUR. Ces conseils ont pour compétence la concertation très large en matière d'habitat, d'hébergement et de cohérence des politiques de l'urbanisme et du logement. Ce rôle a même été conforté par la loi Egalité et Citoyenneté : ils sont dorénavant aussi consultés sur l'activité des établissements publics fonciers et sur les politiques foncières à l'échelon départemental. Cet organe existe et les élus locaux doivent veiller à ce qu'il ait la plénitude de l'information, de la consultation et des avis. C'est un instrument qu'il faut faire vivre.

Ensuite, les projections démographiques sont imprécises territoire par territoire, comme l'a souligné aussi le président Gérard Terrien. La DHUP et l'Insee ont indiqué que les instruments actuels disponibles - le modèle Omphale et le progiciel Otelo - ne sont pas strictement adaptés ni taillés sur-mesure aux besoins des outre-mer. La DHUP collabore avec l'Insee sur l'amélioration de ces instruments, mais c'est un processus qui va prendre du temps. L'adaptation de l'outil Otelo à moyen terme est aussi un objectif mentionné dans le PLOM 2020-2022.

Enfin, sur la nécessité d'appuyer les capacités d'ingénierie locale par des plateformes d'ingénierie, suivant le modèle de ce qui a été fait en Guyane et à Mayotte, nous l'évoquons dans le rapport mais nous n'avons pas été en mesure d'en dresser un bilan puisque leur création est récente. Cependant, une mise en commun des moyens via une plateforme semble une option possible comme le PLOM le propose sur des crédits de la LBU.

En effet, le rapport peut sembler un peu sévère à l'égard d'un manque de compétences ou de l'absence de décisions des collectivités territoriales mais c'est malheureusement l'écho recueilli à la fois auprès des DEAL et dans le cadre des nombreux rapports des chambres régionales des comptes sur le fonctionnement et la mise en oeuvre des budgets des collectivités territoriales. Ce constat est partagé sur le manque de compétences en matière de conception, de pilotage, de suivi-évaluation des projets fonciers, d'aménagement et de construction. Les DEAL rédigent des rapports de même nature sur ces difficultés récurrentes en soulignant le défaut de documents de planification ou leur caractère parcellaire voire dépassé, la faiblesse de la maîtrise d'ouvrage et des bureaux d'études locaux peu coutumiers des documents publics d'urbanisme. Pourtant, ce sont des bureaux d'études auxquels les collectivités territoriales font appel à grand prix. Les DEAL pointent aussi le faible recours aux permis de construire et aux documents de planification souvent relégués au second plan, au détriment d'un urbanisme informel largement répandu.

Concernant votre question sur le double système de financements publics (mesures fiscales et subventions budgétaires), je ne dispose pas de données pour 2020, car le rapport est en préparation, mais la sous-consommation en crédits de paiement, mais aussi en autorisations d'engagement, sur la LBU est incontestable. Cette consommation a été de 85,90 % en 2017, 71,54 % en 2018 et 78,20 % en 2019. Elle est encore plus forte en autorisations d'engagement (78,3 %, 70,6 % et 66,6 %). Ce constat tient à diverses raisons : les mesures de régulation budgétaire , les aléas conjoncturels, des causes structurelles liées à la gestion des collectivités locales (inadéquation du foncier, retards de programmes immobiliers, etc.) et la suppression de l'allocation logement accession (ALA) par la loi de finances pour 2018 - alors que c'était un élément substantiel du montage du plan de financement de projets - a compromis de nombreux projets en 2018. Depuis, la loi de finances pour 2019 a réinstauré à titre provisoire l'ALA, et la loi de finances pour 2020 l'a stabilisée.

Certains écarts sont dus à des retraits d'autorisations d'engagement, car des projets montés trop vite n'ont pas pu prospérer. Ces arrêts tiennent parfois à l'instruction des dossiers. En effet, il y a une pluralité d'avis et d'autorisations à obtenir, notamment les permis de construire. Il peut arriver que des projets soient lancés sur des fondements non stabilisés, en particulier les titres fonciers. Dans les outre-mer, la loi Letchimy nous le rappelle, la problématique des titres fonciers est tout à fait prégnante et elle compromet souvent le succès d'une opération. Comme c'est souvent le cas pour les politiques partagées entre plusieurs opérateurs, c'est un faisceau de problématiques à régler et c'est toute la difficulté du sujet.

Quant aux dépenses fiscales, notre rapport rappelle que, de 2002 à 2009, avant l'introduction en 2010 d'un dispositif de dépense fiscale outre-mer, la dépense budgétaire s'est élevée à 860 millions d'euros pour 32 650 logements construits, soit 26 340 euros par logement en moyenne, ce qui signifie qu'un million d'euros de financements publics a permis de financer 38 logements. De 2010 à 2017, le cumul des dépenses budgétaire et fiscale a atteint 2,8 millions d'euros pour 44 700 logements construits, soit 62 640 euros par logement en moyenne, ce qui signifie qu'un million d'euros de financements publics n'a permis de financer que 16 logements.

Il y a donc là des évidences mathématiques qui montrent, non seulement, qu'il n'y a pas eu d'accélération mais il y a même eu, avec la dépense fiscale, un effet de renchérissement. La Cour invite donc à reconsidérer l'efficacité de cette dépense. Plutôt que d'externaliser ce mode de financement, il faudrait le réintégrer dans le budget de l'État et réserver une enveloppe budgétaire disponible dont les reliquats pourraient éventuellement être alloués au FRAFU, par exemple, pour renforcer les réserves foncières, soutenir les capacités d'ingénierie, etc., autant de thèmes qui sont abordés dans le PLOM 2020-2022.

Nous nous demandons également si le pilotage de la politique du logement par la DGOM est à revoir. Sans trahir de secret, je peux dire que nous étudions les conditions de fonctionnement et de pilotage des politiques publiques par la DGOM et son dialogue avec le cabinet du ministre. Nous espérons que ce chantier pourra aboutir rapidement et permettra d'apporter un certain nombre de réponses aux questions que le rapporteur Victorin Lurel vient de poser. En tout cas, ce qui ressort d'ores et déjà, c'est que la DGOM est en charge d'un ensemble de politiques publiques complexes et à forte dimension interministérielle. Or, elle dispose pour y faire face d'un budget de fonctionnement (un million d'euros annuel) et d'un effectif (137 agents) particulièrement limités. Les effectifs de la DGOM ont même baissé jusqu'à 116 agents. Certes, tout ne se résume pas aux moyens que l'on donne à une administration mais, lorsque l'étiage est aussi bas, il lui est difficile de faire face à ses missions. Reste le poids politique du ministre et des élus des outre-mer, mais l'impulsion politique nécessite, à un moment donné, une traduction dans les services de l'État. Je ne peux pas aller plus avant dès lors que les deux rapports sont en cours d'instruction mais, avec un budget annuel d'un million d'euros et 137 agents, nous ne pouvons que faire le constat des limites de capacité d'action de la DGOM.

Sur l'ingénierie supposée insuffisante des collectivités, nous nous sommes basés sur des documents existants pour poser ce constat, notamment les rapports des chambres régionales des comptes qui décrivent des collectivités territoriales impécunieuses, avec la persistance de difficultés budgétaires. Leurs charges progressent tendanciellement plus vite que leurs produits de gestion. Leur épargne est extrêmement limitée. Leurs dépenses d'investissement ont baissé fortement depuis 2016. Leur dette est en progression de 2 % par an (+ 250 millions d'euros), soit neuf années d'autofinancement. Leur fonds de roulement net global diminue chaque année. Avec un tableau budgétaire et financier de cette nature, il est difficile de faire face à des politiques coûteuses.

Les DEAL évoquent toutes les mêmes difficultés récurrentes : la faible connaissance du territoire et des documents de planification parcellaires ou dépassés ; la rapidité d'évolution de la situation démographique, insuffisamment prise en compte ; la faiblesse de la maîtrise d'ouvrage, etc.

Le PLOM prévoit un appui en ingénierie locale, et cette expérience de plateformes en Guyane et à Mayotte devra être évaluée, afin de redresser les situations là où cela s'impose.

Enfin, s'agissant de l'équilibre à trouver entre logement locatif très social et offre de qualité, vous avez souligné la référence pertinente : la loi SRU. Comme en métropole, la mixité des opérations de construction de logements est un gage d'équilibre économique et social de ce type d'opération pour éviter la constitution de « ghettos » concentrant les difficultés sociales, économiques, culturelles, éducatives, en des points précis des territoires communaux. Au surplus, l'économie d'un projet mixte est plus facile à assurer dans la mesure où des logements de catégorie intermédiaire ne sont pas beaucoup plus chers à produire que des logements locatifs très sociaux et génèrent nécessairement des recettes, en accession à la propriété ou en location, supérieures à celles des premiers. Les DEAL évoquent régulièrement les réticences de certaines collectivités territoriales d'outre-mer à accorder des permis de construire pour des ensembles très sociaux afin de prévenir la création d'une poche où se concentreront toutes les difficultés. De ce point de vue, la mixité sociale permet d'éviter la ghettoïsation et de viser un urbanisme de qualité, j'y suis très sensible. Ainsi, Mayotte est une île merveilleusement belle avec des paysages très bien protégés qu'il ne faut pas saccager. Les outre-mer ne peuvent pas se permettre d'installer des grands ensembles, comme en banlieue parisienne. La mixité des approches urbanistiques et de construction permet en ce sens de proposer des opérations mieux intégrées et plus esthétiques. Aussi, l'esprit de la loi SRU nous paraît une très bonne approche pour réussir cette mixité à tous égards.

M. Stéphane Artano , président . - À présent, je propose de passer au second volet du rapport qui porte sur l'accélération de la simplification et l'adaptation des normes. Je cède la parole à notre collègue Micheline Jacques.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Une des recommandations du rapport appelle à « mieux articuler à l'échelle des EPCI les schémas d'aménagement régional, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux ». Comment simplifier les instruments de planification urbaine et foncière en outre-mer (sachant la rareté et les particularités du foncier sur ces territoires) ? Quels sont selon vous les principaux freins réglementaires qui entravent actuellement les projets d'investissements des opérateurs en matière de logement en outre-mer ?

Malgré les recommandations du rapport de la délégation sénatoriale sur ce sujet, l'adaptation des normes du BTP aux contextes ultramarins reste insuffisante. Votre recommandation n° 10 insiste sur la nécessité d'adapter les « normes de construction aux réalités des outre-mer en les simplifiant ». Quelles dispositions juridiques faudrait-il modifier pour poursuivre ce travail d'adaptation ?

Quelles mesures incitatives faudrait-il prendre pour faciliter davantage le recours à des matériaux locaux dans les constructions de logements outre-mer (bois, bambou, gabion, brique de terre compressée ...) ? Ces matériaux n'étant souvent pas disponibles en nombre suffisant, comment aider à la structuration des filières de matériaux locaux permettant une baisse des coûts de production ?

Comment remédier à la fragilité de l'écosystème du BTP en outre-mer, constitué pour une grande partie d'entreprises de petite taille ? Comment développer les structures de formation pour permettre une montée en gamme des compétences en matière de construction ?

Quels outils doivent être développés pour améliorer la résorption de l'habitat indigne (RHI) ? L'action des agences des 50 pas géométriques est-elle aujourd'hui efficace pour permettre une régularisation encadrée des habitats illégaux ?

Je souhaite terminer par une dernière question sur les LLTS. La mise en place du quota de 30 % ne risque-t-il pas d'être un frein à la mixité entre les personnes âgées et les étudiants ?

M. Gérard Terrien . - La Cour n'a pas examiné la question de la simplification des instruments de planification urbaine et foncière en outre-mer, car elle a raisonné à cadre légal constant. Les outre-mer ont les mêmes règles en matière de planification urbaine et foncière que la métropole et la simplification de ces instruments n'a pas été examinée. En outre, nous n'avons pas tellement vu de corrélation entre les instruments de planification et les particularités foncières qui existent par ailleurs dans d'autres territoires qu'en outre-mer.

Nous faisons le constat que, malgré l'existence d'un schéma d'aménagement régional (SAR) dans chacun des DROM, l'action des communes ou de leurs EPCI ne relève pas d'une stratégie globale et de long terme. Le même phénomène s'observe en métropole avec des stratégies qui s'inscrivent dans la durée d'un mandat alors que les opérations en matière d'acquisitions et d'aménagements fonciers sont très lourdes et très longues et seraient plutôt à décliner sur deux, trois ou quatre mandats. Il est vrai, de surcroît, que les documents d'urbanisme sont imprécis et peu actualisés et que la situation financière de ces collectivités demeure, dans l'ensemble, tendue alors que la pression fiscale sur le non bâti reste faible. Ces faiblesses ont pour effet une grande difficulté à produire et à livrer aux organismes de logements sociaux un foncier en quantité suffisante et avec la qualité attendue. Comme le soulignait précédemment le rapporteur Victorin Lurel, les collectivités locales ne sont pas en charge de la construction mais elles ont des responsabilités au début et à la fin de la chaîne, particulièrement en matière de foncier. En mettant en oeuvre les dispositifs actuels, il est possible de libérer des terrains, mais le coût reste élevé et progresse rapidement.

C'est pour cela que nous recommandons de soutenir l'élaboration des documents locaux de planification urbaine et de renforcer la politique foncière locale en procédant à la création de zones d'aménagement différé et en créant un observatoire local du foncier destiné à accompagner les collectivités locales dans leurs projets d'aménagement.

Vous évoquez aussi les principaux freins réglementaires entravant actuellement les projets d'investissements des opérateurs en matière de logement en outre-mer. Pour la Cour, les principaux freins ne sont pas réglementaires. Il existe certes une complexité réglementaire mais elle s'applique en métropole comme en outre-mer. C'est plutôt la bonne utilisation des différents dispositifs destinés à mobiliser du foncier et à éviter la spéculation qui doit être invoquée. La lecture des documents du CEREMA (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) en matière d'aménagement et d'urbanisme exige certes d'être attentif mais, on y arrive relativement bien en utilisant ces instruments (droit de préemption urbain, expropriation pour cause d'utilité publique, pourcentage minimum de logements sociaux dans les règlements d'urbanisme, amélioration des relations avec les établissements publics fonciers, etc.).

Comme indiqué précédemment, la Cour recommande donc d'instituer, dans chaque DROM, un observatoire local du foncier pour apporter la connaissance mais aussi pour accompagner.

M. Francis Saudubray . - Nous sommes d'accord sur la nécessité de simplifier les normes de construction en les adaptant aux réalités des outre-mer. Les Assises des outre-mer, lancées par Annick Girardin, ont abouti au Livre Bleu outre-mer qui a été remis le 28 juin 2018 au Président de la République. Dans la partie « Relever le défi du mal-logement outre-mer », le Livre Bleu, appelle à des « simplifications en matière de construction et de certification outre-mer ». C'est un travail essentiellement à caractère réglementaire et c'est aussi un sujet très technique. Cet exercice a déjà été entrepris lors de l'adaptation des normes d'aération, d'acoustique et thermiques aux outre-mer avec la RTAA-DOM de 2010 et s'est appuyé sur un travail d'adaptation et de consultation des opérateurs, des organismes certificateurs, etc. La RTAA sera remplacée par la RE2020. Cependant, l'exercice qui a été mené à bien pour l'adaptation de la RTAA aux DOM devrait être également conduit pour la RE2020, non seulement pour l'adapter mais aussi pour la simplifier, ce qui implique une action concertée des acteurs publics et privés de la construction dans les DROM.

Concernant l'utilisation des matériaux locaux, je souhaite revenir sur la mission que nous avons réalisée à Mayotte et au cours de laquelle nous avons vu qu'il y existait autrefois une industrie florissante de la brique compressée. 20 000 cases SIM y furent construites après le tremblement de terre des années 70. La brique compressée ne servait pas uniquement pour le petit habitat, l'aéroport de Mayotte et la nouvelle préfecture sont également construits en briques compressées. À l'époque, ce matériau était fabriqué par une dizaine de PME, mais tout ce tissu a disparu après l'introduction des normes métropolitaines qui ignoraient totalement la construction en terre crue. En quelques années, ce réseau de construction s'est effondré et l'on ne construit plus à Mayotte qu'en ciment. C'est une catastrophe, car l'utilisation du ciment n'est pas esthétique alors que la brique de terre compressée se fond dans le paysage. De plus, le ciment est un matériau cristallin qui n'a pas les mêmes caractéristiques thermiques. En outre, pour normer les caractéristiques de la brique de terre compressée, il a fallu attendre dix ans. Dorénavant, on peut de nouveau construire en brique de terre compressée à Mayotte, mais les PME qui existaient sur ce créneau ont disparu. Cet exemple illustre aussi les difficultés liées aux agréments car, si un matériau n'est pas agréé, aucun maître d'oeuvre ne prendra le risque de l'utiliser, du fait de la garantie décennale. Il convient donc de rechercher l'appui du CEREMA mais aussi celui des services techniques du bâtiment.

La loi ELAN et la RE2020 préconisent le recours aux matériaux renouvelables et l'analyse de la performance environnementale dans la construction neuve et la rénovation. Avec leurs qualités environnementales, les matériaux biosourcés des outre-mer (palme, bambou, raphia, fibre de coco, etc.) peuvent devenir incontournables dans la construction. Toutes ces filières peuvent bénéficier aux économies locales, en maintenant une valeur ajoutée locale mais aussi en évitant l'importation de matériaux. De plus, ces matériaux, du fait de leurs qualités hygrothermiques, permettent de construire des bâtiments dont les performances énergétiques sont plus élevées.

Les initiatives réglementaires découlant de la RE2020 et de la loi ELAN sont donc potentiellement favorables aux matériaux biosourcés des outre-mer mais leur contenu reste à préciser et ces matériaux doivent être normés. Pour autant, la prochaine réglementation prévoit la disparition des maisons à ossature bois alors que les maisons en outre-mer sont souvent en bois, car c'est un matériau disponible et stable du point de vue thermique. Une fois ces normes acquises, les filières de production devront être structurées et appuyées (fiscalité, normes, commande publique, etc.) par les politiques locales d'urbanisme et de construction. Les collectivités, quand elles construisent des écoles, des maisons de quartier, etc. doivent penser en matériaux locaux. Dans ce domaine, la décision n'est pas que celle des pouvoirs publics à Paris.

M. Gérard Terrien . - La Cour a relevé la fragilité de l'écosystème du BTP en perte de compétence professionnelle, mais nous ne disposons pas de données récentes. Il est certain que la crise de 2008 a fortement aggravé les difficultés de cette économie. Le BTP constitue l'un des secteurs dits « traditionnels » de l'économie des DROM. Ce secteur emploie un peu plus de 10 % des salariés et compte entre 13 et 17 % des entreprises du territoire.

À la suite de la réforme des systèmes de financement du logement, il a été constaté un ralentissement dans la dynamique de construction de logements. Le principal facteur de fragilité est lié aux délais anormaux de paiement qui entraînent de graves problèmes de trésorerie pour les entreprises. La ministre des outre-mer a demandé un rapport sur les délais de paiement des collectivités locales remis en octobre 2019 et qui analyse l'origine et les conséquences des retards de paiements constatés.

Dans ce domaine, la Cour recommande de favoriser l'implication des professionnels du BTP dans des travaux de normalisation technique, dans le cadre de cellules économiques régionales, afin de parvenir à des travaux de normalisation qui correspondent à ce qu'ils savent produire. Il est aussi recommandé d'inviter les professionnels du BTP et les bailleurs sociaux, sous l'impulsion des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), à développer des structures de mutualisation des achats de matériaux de construction, d'équipements (grues, pelleteuses, etc.) et d'investissements.

La question du développement des structures de formation, pour permettre une montée en gamme des compétences en matière de construction, n'a pas été examinée car elle relève d'une autre section de la chambre. Toutefois, une des mesures inscrites au PLOM vise à soutenir les programmes de formation des entrepreneurs locaux et à structurer les filières de réhabilitation autour de l'usage des nouveaux matériaux. Cet axe renvoie à la formation de conducteurs d'opérations, de chefs de chantier, c'est-à-dire à toute l'ingénierie que nous avons déjà évoquée. De même, en matière de transition énergétique et écologique, la montée en compétences des acteurs de la chaîne de réhabilitation est tout aussi nécessaire.

M. Bertrand Beauviche, conseiller référendaire à la Cour des comptes . - S'agissant de la lutte contre l'habitat indigne (LHI), cette politique publique mobilise tant l'État que les acteurs locaux. Les schémas de mobilisation sont déjà très complexes du fait de leur intrication très forte. En définitive, l'un ne peut pas faire sans l'autre. Concernant les outre-mer, il faut aussi souligner qu'il y a eu un énorme effort d'adaptation des dispositifs coercitifs qui sont utilisés en matière d'habitat indigne, notamment avec la loi Letchimy. Il faut aussi relever des mesures spécifiques plus récentes concernant les indivisions. Par ailleurs, existent aussi des dispositifs coercitifs importants, notamment à Mayotte et en Guyane, pour lutter contre l'habitat informel, tout du moins des occupations illégales de terrain.

Il existe une dynamique nationale pour simplifier et optimiser la mise en oeuvre de la politique de LHI. Cette mise en oeuvre nationale vise essentiellement à recentrer toute la lutte contre l'habitat indigne à l'échelon de l'intercommunalité, en tant que compétence pour déterminer les politiques d'incitation et les dispositifs opérationnels, mais aussi en tant qu'organe exécutif puisque la LHI a une dimension coercitive forte. Cependant, en outre-mer comme en métropole, cette dynamique n'a pas rencontré un franc succès et l'éclatement de la politique de l'habitat indigne en compromet l'efficacité.

Le nombre d'opérations qui sont menées en termes de résorption de l'habitat indigne (RHI) est en baisse en outre-mer. Ces opérations, très longues, peinent à se terminer. Il a donc été décidé de les auditer. Ces audits ont été réalisés entre 2017 et 2019 et ont permis d'identifier plusieurs contraintes. La première de ces contraintes tient au foncier dont il faut disposer pour reconstruire ailleurs. D'autres tiennent au désamiantage, contrainte particulièrement forte dans les outre-mer car le fibrociment est souvent utilisé dans les habitats précaires. Par ailleurs, en outre-mer, la dimension coercitive de la LHI, pour protéger les habitants ou pour contraindre les propriétaires à rénover le logement, est moins affirmée. Il existe toujours une tendance à la négociation et à la recherche d'adhésion qui complexifie et allonge les opérations. La LHI est fortement soutenue mais nécessite aussi une contribution des collectivités qui n'ont pas toujours eu les moyens de contribuer à cette politique en raison de leur situation financière.

Face à ces contraintes, il apparaît nécessaire de promouvoir les maîtrises d'oeuvre urbaines et sociales, outils qui facilitent l'adhésion et les concertations et qui permettent également d'achever les opérations. Il est suggéré également d'optimiser l'action coercitive, quand bien même cela s'avère difficile. La construction encadrée, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure, fait aussi partie des dispositifs qui peuvent aider à améliorer les situations.

La lutte contre l'habitat indigne est souvent perçue comme une action ponctuelle alors que c'est une action d'urbanisme et d'aménagement qui nécessite de la technicité et du temps. En définitive, elle nécessite un cocktail de mesures (incitatives, coercitives, répressives, opérationnelles). Il existe une multitude de solutions, ce qui complexifie grandement la mise en oeuvre, et pas spécifiquement en outre-mer.

Les agences des 50 pas géométriques permettent une régularisation encadrée des habitats illégaux et sont actuellement des acteurs clés de la LHI, notamment en Guadeloupe et à la Martinique. Elles ont une excellente connaissance de leur territoire d'intervention et de ses occupants mais connaissent une incertitude quant à leur devenir. Le rapport a été rédigé en 2019 et il était annoncé à cette époque une échéance de transfert de ces structures fin 2021.

M. Stéphane Artano , président . - Concernant l'agence des 50 pas géométriques, nous avons appris depuis la publication de votre rapport que le projet de loi 4D prévoit la prolongation de leur durée de vie. À ce titre, la question du rapporteur Victorin Lurel sur la décentralisation n'était pas anodine, ces agences devant être transférées aux collectivités locales ou, pour le moins, que les acteurs locaux y soient davantage impliqués. La question d'une gestion plus territorialisée de ces agences reste donc pendante.

M. Bertrand Beauviche . - En tout cas, le constat que nous dressons est celui d'une réelle technicité. Les représentants de ces agences connaissent extrêmement bien leur sujet.

M. Stéphane Artano , président . - Merci pour ces précisions. Je propose maintenant de passer au troisième volet du rapport sur le logement. Je cède la parole au rapporteur Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Merci monsieur le président, mes questions porteront sur les réflexions en matière d'innovation en matière d'habitat.

Quelles mesures doivent être prises pour adapter encore mieux l'architecture des logements aux risques naturels de chaque territoire (séismes, ouragans, etc.) ?

Alors que la réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020) est en cours d'élaboration et ne semble pas prendre en compte les spécificités des outre-mer, comment améliorer la performance énergétique des logements outre-mer ?

S'agissant des techniques innovantes de construction, quels peuvent être les avantages attendus des expérimentations d'autoconstruction et d'autofinition encadrées ? À quelles conditions et avec quels critères ces nouvelles techniques sont-elles viables ?

Le rapport de la Cour des comptes souligne « les taux de vacance élevés et la déshérence des centres-villes qui auraient pourtant une valeur patrimoniale » mais aussi touristique. Dès lors, comment amplifier les opérations de réhabilitation de l'habitat ancien ? Comment développer une architecture qui permette d'éviter l'uniformisation de l'habitat en évitant l'utilisation du ciment et en ayant davantage recours aux matériaux locaux ?

Comment adapter les logements de demain à l'accroissement des populations âgées et dépendantes dans des territoires comme les Antilles ? Plus généralement, comment améliorer la prise en compte des données démographiques différenciées par territoire dans les systèmes d'information sur le logement en outre-mer ?

M. Gérard Terrien . - Les outre-mer font partie des territoires les plus exposés aux aléas, car ils cumulent la quasi-intégralité des risques naturels, dont certains particulièrement violents, tels que les cyclones et les séismes. De plus, ces risques pourraient s'accroître avec le réchauffement climatique. Les départements et régions d'outre-mer bénéficient d'une réglementation thermique, acoustique et aération depuis mai 2010, dite RTAA-DOM, adaptée au climat tropical humide et basée sur la ventilation naturelle, la production d'eau chaude solaire et sur la protection contre les rayonnements solaires.

Pour la partie thermique uniquement, la Guadeloupe et la Martinique disposent en outre de réglementations régionales spécifiques en vertu de leur habilitation à légiférer dans le domaine de l'énergie. La méthodologie de contrôle des règles de construction (CRC) pour les rubriques thermique, acoustique et aération a été consolidée en 2016, permettant à l'ensemble des DEAL d'effectuer des contrôles sur les logements neufs.

Les risques sismiques encourus aux Antilles se traduisent au niveau réglementaire par des niveaux d'exigence spécifique. Le Plan Séisme Antilles, visant à réduire la vulnérabilité du bâti, est entré dans sa deuxième phase en 2016. Il s'agit de renforcer de façon prioritaire les bâtiments et infrastructures de gestion de crise, les établissements d'enseignement et de santé et les logements sociaux, mais également de réduire la vulnérabilité des autres bâtiments publics et du bâti privé. Les DEAL sont chargées du contrôle des règles de construction parasismique.

En matière de dispositions pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite, la réglementation ne diffère pas des dispositions applicables en métropole.

La Cour a relevé que les caractéristiques climatiques (température, humidité, vents cycloniques, etc.), topographiques (nombreuses zones montagneuses), sismiques soumettent les bâtiments en outre-mer à des contraintes spécifiques. L'application de certains textes réglementaires ou normatifs, conçus dans le contexte métropolitain, peut donc s'avérer inadaptée aux conditions réelles de mise en oeuvre ou de la vie des ouvrages. On peut citer les conditions de réalisation des bétons puisqu'il est établi que la température du béton, au moment de sa mise en oeuvre, ne doit pas dépasser 32°C. Cette remarque renvoie aussi à l'intérêt d'utiliser le béton lorsque les matériaux locaux sont beaucoup plus efficaces. Il faut donc établir des normes pour que ces règles de l'art s'inscrivent dans les pratiques. Les matériaux conformes aux exigences réglementaires élaborées dans un contexte métropolitain, peuvent se dégrader rapidement compte tenu des conditions climatiques (humidité, salinité de l'air, etc.) ou de la présence de termites par exemple. Les références de pentes de toit sont également souvent inadaptées au regard des importants débits d'eau à évacuer lors des pluies tropicales. Tout cela impose des changements de normes et de règles.

De même, la réglementation relative à l'accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées peut entraîner des conséquences imprévues avec des hauteurs maximales pour les seuils des portes palières. Cette norme n'est pas opérante lorsque ces portes palières donnent sur l'extérieur ni lorsque les pluies tropicales entraînent des entrées d'eau, et donc des sinistres dans les logements.

Tout cela suppose d'associer les acteurs du BTP et de faire évoluer la réglementation au plan local.

M. Francis Saudubray . - La question de la réglementation environnementale a déjà été examinée lors des questions précédentes. Comme indiqué, les logements neufs des départements d'outre-mer ont été soumis à une réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM) adaptée au milieu tropical. Cette adaptation a été nourrie par les retours d'expérience des professionnels qui ont été pris en compte par le CEREMA qui a fourni un soutien technique et organisé des groupes de travail à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique. Ces travaux d'adaptation de la RTAA devraient inspirer la révision de la RE2020 pour son application en outre-mer. Il faut noter que le ministère des outre-mer a déjà saisi le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique et le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour poursuivre et adapter ces évolutions normatives dans leur dimension outre-mer.

La RE2020 doit répondre au cahier des charges suivant : donner la priorité à la sobriété énergétique et à la décarbonation de l'énergie ; diminuer l'impact carbone de la construction des bâtiments ; en garantir la fraîcheur en cas de forte chaleur.

Le CEREMA est à nouveau partie prenante dans l'élaboration de la RE2020 aux côtés du ministère de la transition écologique, de l'ADEME et du Plan Bâtiment Durable. Des groupes d'expertises sont constitués sur les sujets techniques. Des groupes de concertation sont également en place et il est prévu des relectures des textes réglementaires ainsi que l'accompagnement et la formation des acteurs locaux (collectivités territoriales, DREAL, directions départementales des territoires (DDT), bureaux d'étude, promoteurs, architectes...) et la production de guides d'application de la RE2020 à l'intention des professionnels de la construction. Il existe donc manifestement une fenêtre d'opportunité que les outre-mer doivent saisir et ces territoires doivent être partie prenante pleinement à tous ces travaux.

M. Bertrand Beauviche . - Parmi les techniques innovantes, l'autoconstruction est souvent évoquée. Appréhendée de manière assez simpliste, elle est pourtant une réponse et est aussi la base dans les quartiers informels. Elle peut cependant poser des problèmes de sécurité, car elle ne répond pas aux normes ou parce qu'elle se développe sur des sols qui ne sont pas adaptés à ce type de construction.

En outre, la transmission à titre gratuit (par succession ou donation) de ce patrimoine immobilier est plus répandue dans les DROM qu'en métropole et les ménages, même à très bas revenus, y sont plus fréquemment propriétaires d'un bien immobilier.

L'autoconstruction est une bonne idée à envisager de manière encadrée sans refaire les erreurs commises par le passé. Dans notre rapport final, nous indiquons que le ministère a, pour l'instant, une approche expérimentale de ce mode de construction qui va permettre de lever toutes les complexités qui s'attachent à l'autoconstruction : normes, assurance, matériaux, etc. Cette approche expérimentale doit permettre d'identifier en amont tous les points faibles de l'autoconstruction pour mieux la généraliser. À Mayotte, l'association Les compagnons bâtisseurs , qui a conventionné avec le ministère des outre-mer, mène, à ce titre, une initiative intéressante.

L'autoconstruction peut aussi se mixer à d'autres approches, notamment celle des offices fonciers solidaires pour atténuer les charges foncières. Le potentiel de ces outils est très important en matière de LHI, notamment en outre-mer. Par contre, il convient de les appréhender avec le minimum de sécurité et d'encadrement, car l'auto-construction pose de nombreuses questions.

M. Denis Berthomier, conseiller maître, contre-rapporteur de la synthèse sur le logement outre-mer à la Cour des comptes . - Sur le taux de vacance élevé et la déshérence des centres-villes, je peux vous préciser que dans les DROM la vacance est estimée à plus de 100 000 logements. Elle concerne tant l'habitat privé que l'habitat social, est plus importante outre-mer qu'en métropole et croît beaucoup plus vite. C'est aux Antilles qu'elle est la plus marquée (15,4 % du parc en 2015). La majeure partie de ces logements vacants sont situés dans le parc privé alors que le taux de vacance dans le logement social se situe à des niveaux plus faibles, autour de 4 %.

Cette situation présente un risque important de prolifération de l'habitat indigne avec le phénomène des squats, mais les dispositifs de lutte contre cet habitat ne sont pas adaptés pour traiter ces sujets dans des délais raisonnables. De plus, il n'existe pas ou pas encore d'opérateur susceptible de traiter les situations de vacance, tel qu'en métropole avec la SIFAE (Société Immobilière et Foncière d'Action Logement Immobilier) qui rachète ces biens pour les rénover. Il faut relever que le PLOM 2019-2022 envisage la création d'un tel acteur.

La Cour avait recommandé, dans l'un de ses rapports qui a nourri la synthèse, d'intégrer la résorption de la vacance dans le cadre de la stratégie de lutte contre le logement indigne.

Il y a des exemples de réhabilitations réussies dans l'arc caribéen, à Saint-Domingue notamment ou à l'Ile Maurice, synonymes de nettes améliorations des conditions de vie, pour des résultats esthétiques permettant de valoriser un patrimoine bâti.

Pour la Cour, il n'y a aucune raison que les centres-villes historiques des départements et régions d'outre-mer, notamment des Antilles françaises, fassent exception à la réhabilitation. Le patrimoine existe, leur histoire longue et complexe mérite d'être valorisée, les architectures du passé sont riches d'enseignements pour les constructeurs d'aujourd'hui.

Pour ce faire, il existe des opérateurs nationaux qui peuvent se déployer dans les outre-mer : l'ANRU et ses opérations « Action coeur de ville (ACV) » notamment et des financements nombreux à la disposition des décideurs locaux. L'État, la Banque des territoires (CDC), Action Logement, l'ANAH, le CEREMA ont tous des programmes, des financements, des expertises à mettre à la disposition des élus à cette fin.

Pour aller dans cette direction, il faut de la détermination, une volonté. Les outils existent et peuvent être mobilisés, même s'ils sont parfois complexes. Cependant, pour la Cour, il n'y a pas de raison qu'ils ne puissent pas être déployés plus efficacement dans les DROM.

M. Francis Saudubray . - La part des seniors en perte d'autonomie à leur domicile est de 6,3 % pour la moyenne nationale, de 8,20 % en Guyane, de 10,9 % à La Réunion et de 11,3 % en Martinique. La pyramide des âges en Martinique montre un creux pour les générations comprises entre 20 et 40 ans et présente une forme en champignon qui montre nettement le vieillissement de la population. Enfin, le taux d'équipement en places d'hébergement pour 1 000 personnes de 75 ans et plus est de 122 places en France métropolitaine et de 45,4 places pour 1 000 personnes dans les DROM (35,6 pour la Guadeloupe, moins de 10 à Mayotte).

Cette situation pose problème mais n'est pas aisée à analyser, car les attitudes socioculturelles vis-à-vis du grand âge ne sont pas les mêmes dans les outre-mer, avec une plus grande proximité vis-à-vis des anciens, qu'en France hexagonale. Accueillir les anciens chez soi est une réalité, une pratique voire un devoir. Il n'empêche que la collectivité ne peut pas s'appuyer uniquement sur des pratiques socioculturelles.

La question de l'adaptation des logements au vieillissement des populations de l'arc antillais dépasse le champ du rapport de la Cour. La question de l'hébergement en EHPAD, dont le déficit en nombre est notoire, n'est qu'effleurée mais elle appelle évidemment des réponses adaptées aux caractéristiques socio-culturelles locales.

La Cour recommande que les opérations de construction prennent en compte ces éléments de dépendance mais il est clair que c'est un thème qui dépasse, par sa spécificité, la seule question de la construction de logement.

Nous butons ici, encore une fois, sur la question des capacités financières et d'ingénierie des collectivités locales dans la mesure où l'hébergement des populations vulnérables dans les EHPAD repose en partie sur la contribution financière à leur fonctionnement des municipalités et des départements.

La Cour recommande la possibilité d'utiliser le parc locatif social pour proposer une réponse adaptée aux besoins de cette population. D'autres pistes sont à examiner, dont le développement de l'habitat inclusif et de la cohabitation intergénérationnelle solidaire évoquées par le Premier ministre dans sa réponse à la Cour.

S'ajoute également un problème de systèmes d'information. On le voit très clairement à Mayotte avec une sous-évaluation importante du phénomène de la dépendance, en particulier chez les femmes âgées. L'outil de prévision des besoins en logement Otelo doit être affiné pour mieux cerner les besoins des populations vulnérables sur la base d'un maillage plus fin, ce que reconnaît le Premier ministre dans sa réponse.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie. Je vous propose à présent de passer à quelques échanges avec nos collègues.

Mme Victoire Jasmin . - Merci monsieur le président. Je souhaiterais établir un lien entre vos travaux et le rapport du Sénat rédigé il y a deux ans sur les risques naturels majeurs. Dans ce rapport, sur la situation du logement, nous avions déjà souligné que les normes ne sont pas suffisamment adaptées. Il faut résolument mieux tenir compte de la possibilité de faire autrement en tenant davantage compte de l'existant. En 1989, l'ouragan Hugo a mis à terre beaucoup de logements récents alors que des logements plus anciens ont résisté. Il faut donc aussi prendre en compte la capacité des anciens à faire mieux ainsi que de notre façon d'habiter. Lorsque j'étais enfant, rares étaient les maisons équipées d'une climatisation, aujourd'hui elles le sont quasiment toutes.

Pour ce qui concerne le logement pour les personnes âgées, je serais plutôt favorable à l'adaptation du logement à toutes les séquences de la vie, y compris le vieillissement. Selon moi, construire des logements spécifiques pour les personnes âgées n'est pas pertinent. Construire des logements adaptés à tous les âges de la vie serait aussi un moyen de maîtriser les dépenses.

En outre, dans les outre-mer, beaucoup de personnes âgées demeurent à leur domicile ou habitent avec leurs proches. Dans le contexte de la pandémie, il a été noté que les personnes âgées maintenues à leur domicile étaient moins touchées par le Covid-19 que les personnes logées en institution.

Je souhaite ajouter un mot sur les matériaux utilisés dans la construction. Dans les Caraïbes, certains utilisent les algues sargasses, qui envahissent les côtes, pour fabriquer des parpaings. Par ailleurs, comme vous l'avez noté, il est essentiel de revoir la construction des toits qui, s'ils sont trop plats, conduisent à stocker de l'eau. Ces poches d'eau permettent alors le développement des larves à l'origine de la diffusion de la dengue, du chikungunya ou du zika.

La question de la formation devrait aussi être approfondie. En effet, les représentants des DEAL méconnaissent parfois le terrain. Des modules spécifiques de formation devraient donc être proposés pour mieux connaître ces territoires.

Enfin, concernant la lutte contre l'habitat indigne, afin faciliter l'intervention des maires, les procédures de destruction parfois très longues pourraient être simplifiées.

M. Stéphane Artano , président . - Souhaitez-vous réagir à cette prise de parole ?

M. Francis Saudubray . - J'abonde dans votre sens, madame la sénatrice. J'ai eu à superviser la construction de l'hôpital pédiatrique de Ouagadougou, qui avait été voulu par Jacques Chirac. Le budget de fonctionnement de l'hôpital ne permettait pas d'y installer des systèmes de climatisation. L'architecte a alors construit des pavillons sur un vide sanitaire, puis installé des varangues autour pour éviter que le soleil porte directement sur les murs pour les réchauffer. Il a imaginé aussi des toits en pagode avec des vantelles pour créer une thermodynamique permettant d'évacuer la chaleur en excédent. Grâce à ces techniques traditionnelles, les pavillons accueillant les enfants malades présentaient une température de 5 ou 6°C en dessous de la température extérieure. Appliquer les solutions des anciens est à privilégier, mais c'est aux décideurs locaux de l'imposer. La politique des permis de construire et les règlements d'urbanisme doivent, avec pédagogie, inciter les personnes à construire de cette façon. Les solutions traditionnelles doivent ainsi être intégrées dans les règlements d'urbanisme afin qu'elles ne soient pas perdues.

M. Stéphane Artano , président . - J'ai encore deux autres demandes de parole : Victorin Lurel et Mathieu Darnaud.

M. Victorin Lurel, rapporteur . - En Guadeloupe, nous avons une réglementation thermique. C'est parce que nous avons mis en place cette réglementation (la RTG) que l'État et ses services centraux ont accéléré les travaux autour de la RTAA-DOM. Cette réglementation thermique fait sens dans la région à tel point que la République d'Haïti a demandé à en avoir connaissance pour s'en inspirer, ainsi que l'État de Trinidad et Tobago. En procédant par habilitation, le coût de cette mesure s'est élevé à 5 millions d'euros alors qu'il aurait été plus facile d'utiliser la voie législative. La Guadeloupe a procédé de la même manière sur d'autres thématiques : la formation, la consommation d'énergie, etc.

En prenant mes fonctions ministérielles en 2013, j'ai hérité de la réforme mise en place par mon prédécesseur, Yves Jego. C'est à cette époque que la délégation générale des outre-mer est devenue la direction générale des outre-mer (DGOM). Puis, après d'âpres discussions avec Bercy, nous sommes parvenus à stabiliser les effectifs, autour de 130-140 agents. En 2009-2010, le ministère employait plus de 300 personnes. Il y a manifestement un problème de poids politique, de représentation et de moyens affectés à ce ministère pour remplir ses missions.

Pouvez-vous répondre précisément à la question que j'ai posée concernant la répartition de la LBU par territoire ? Quels sont les motifs du redéploiement de la LBU ? Quels sont les critères qui président à ce redéploiement ?

Ce rapport de la Cour affirme par ailleurs que la LBU est plus efficace que la dépense fiscale (défiscalisation ou crédit d'impôt). J'aimerais en être convaincu. En effet, un rapport de décembre 2017 de Quadrant Conseil affirme le contraire et indique que la dépense fiscale a donné la preuve de son efficacité et qu'elle représente quasiment un tiers du financement. Par ailleurs, force est de reconnaître que la LBU n'est pas sanctuarisée et que le financement n'est plus pluriannualisé, c'est-à-dire qu'aucune garantie ne peut être donnée sur la pérennité de l'engagement.

Enfin, sans le mécanisme de la défiscalisation accompagnant la LBU, l'intensité de l'aide serait plus faible puisque les règles européennes stipulent que l'on ne peut pas dépasser 27,5 % pour les LLS et 32,5 % pour les LLTS. Avec un seul type d'aide comme vous le souhaitez, nous prenons le risque que l'Europe refuse que l'aide soit aussi importante.

M. Gérard Terrien . - Nous n'avons pas un a priori défavorable sur la dépense fiscale mais nous constatons que, antérieurement à la mise en place de ce dispositif, la production de logements était plus importante et à un coût moindre. Nous avons rédigé un autre rapport pour l'Assemblée nationale portant sur les dépenses fiscales en matière de logement. Le cabinet Quadrant Conseil que vous citez n'est pas complètement indépendant.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Ce rapport avait été commandé par le ministère et singulièrement par la DGOM.

M. Gérard Terrien . - Une des motivations de la dépense fiscale est qu'elle diminue les crédits budgétaires, choix clair et voulu par le législateur et le Gouvernement. Sur ce point, nous n'avons pas à nous prononcer.

M. Francis Saudubray . - Dans l'édition Documentation Française, le rapport précise la répartition des financements publics entre 2011 et aujourd'hui. Il en ressort que le taux moyen de financement sur la LBU a été de 1,24 euro par habitant et par an dans les DROM, soit 1,23 euro pour la Guadeloupe, 1,64 euro pour La Réunion, 0,81 euro pour la Martinique, 1,56 euro pour la Guyane et 0,24 euro pour Mayotte. Ces chiffres démontrent que certains territoires sont proches de la moyenne tandis que d'autres en sont éloignés, soit par excès soit par défaut. À Mayotte, le déficit en logement locatif social et très social est considérable. Le nombre total de logements financés rapportés à la population montre où se situent les déficits. En Martinique, il a été considéré que la production de logements sociaux était suffisante, sans prendre en compte la réhabilitation des centres-villes et les logements insalubres qui auraient nécessités des financements significatifs. La DGOM nous dit cependant que des rééquilibrages sont en cours et qu'ils seront opérés au vu des besoins objectifs qui remontent par la voie des préfets et des services qui mettent en oeuvre les budgets opérationnels de programme (BOP) et des réalités démographiques. Nous n'avons pas de raison de penser que ces lignes seront accordées au détriment des besoins objectifs des populations.

Par ailleurs, les chiffres que nous avons étudiés montrent que les mesures fiscales n'ont pas d'effet accélérateur, peut-être même au contraire. Le crédit d'impôt repose sur l'initiative des opérateurs alors que la LBU repose sur la vision de la puissance publique. Si les opérateurs agissent pour répondre aux besoins du marché, il n'en demeure pas moins que le financement du logement locatif social est compliqué. Par conséquent, on ne peut pas s'en remettre aux opérateurs privés pour financer un segment de logement non aisément autofinançable.

Enfin, la DGOM revient en permanence sur la défiscalisation et la LBU par crainte de voir ses crédits atteints par la régulation budgétaire. C'est la raison pour laquelle la Cour préconise un réexamen largement en faveur de la LBU, modulo un contrat ou une pluriannualisation, au minimum sur l'exécution du PLOM afin de sécuriser les crédits. La DGOM s'accroche à la défiscalisation puisqu'elle sait qu'elle est en faiblesse, que les taux d'exécution de la LBU sont insuffisants et que Bercy tire toujours avantage de l'insuffisance de l'exécution pour venir pressurer la dotation budgétaire en cours d'exercice.

M. Mathieu Darnaud . - Je souhaite revenir sur un thème que vous avez abordé en début d'audition et qui couvre la problématique de l'urbanisme et de la disponibilité foncière. La délégation a publié il y a environ 3 ans un rapport sur le foncier à Mayotte dont j'étais un des rapporteurs et dans lequel nous appelions de nos voeux la mise en place d'une commission d'urgence foncière. Pour moi, cette question est le premier des freins. Des mesures ont été prises en 2015 mais celles-ci n'ont pas permis de noter de réelles évolutions. Il reste difficile d'identifier les terrains prêts à accueillir des constructions. Aussi, je souhaiterais vous entendre sur le dossier du foncier, car force est de reconnaître qu'il est difficile de passer des recommandations à la réalité.

M. Gérard Terrien . - Le rapport de la Cour ne fait que 98 pages pour être synthétique. Les questions foncières sont développées dans un autre rapport. Vous nous questionnez sur les voies et moyens de passer de la recommandation aux mesures concrètes, mais on en revient à la question de la volonté politique et de celle des opérateurs. S'ajoute une autre difficulté - bien française - qui est l'incapacité à construire sur l'existant, en prenant le temps de détruire ou de réhabiliter avant de reloger. Ce point rejoint celui sur l'artificialisation des sols que vous avez examiné également.

L'an dernier, nous avons rédigé un rapport sur le plan d'urgence en Guyane et nous y avons relevé le problème de l'indivision, de la connaissance du foncier, etc. Le rôle de la Cour n'est pas d'intervenir sur la mise en oeuvre. Cela étant dit, le rapport que nous avons préparé sur l'établissement public foncier de Guyane montre bien que des actions sont possibles.

Nous ne mettons pas en oeuvre les politiques publiques mais nous proposons des recommandations.

M. Francis Saudubray . - Le conseil départemental de Mayotte est l'un des plus importants propriétaires de terrains mais il ne débloque pas ses terrains pour des opérations foncières. Certes, nous faisons des recommandations mais nous ne pouvons pas aller plus loin et nous immiscer dans les décisions. De même, la SIM qui cherche à installer du logement social et très social se heurte à la réalité foncière de l'île, car les terrains ne sont pas mis à sa disposition.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous rappelle mes chers collègues que nous organiserons prochainement une table ronde consacrée à Mayotte. Ces sujets seront évoqués avec les acteurs du territoire, notamment le Conseil départemental.

Je ne vois pas d'autres demandes de prise de parole. Je vous propose par conséquent de conclure cette audition. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges et pour vos contributions qui permettront de nourrir le rapport de notre délégation.

Jeudi 11 février 2021

Audition de M. Charles TROTTMANN, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), et MM. Hervé TONNAIRE, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique, et Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, de la
Banque des territoires

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Le président Stéphane Artano, qui suit notre réunion en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, m'a chargée de l'excuser auprès de vous et de bien vouloir le remplacer pour présider la présente audition.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, nous entendons les représentants de deux grandes institutions financières publiques très engagées dans ces territoires : Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), et Hervé Tonnaire, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique, et Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, de la Banque des territoires.

Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en matière de logement en outre-mer, tant au niveau de la construction que de la réhabilitation.

Lors de ses précédents travaux, la délégation a déjà eu l'occasion d'auditionner l'AFD et la Banque des territoires à plusieurs reprises, et encore récemment pour son étude sur l'urgence économique outre-mer dont les rapporteurs étaient Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar. Nous apprécions que vous abordiez vos interventions avec une approche régionale, un souci d'adaptation et des mécanismes concrets. Nous savons également le rôle que vous jouez en matière de soutien aux finances des collectivités pour leur donner des marges de manoeuvre supplémentaires aux politiques locales.

Nous avons déjà entendu, dans le cadre de notre étude, la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), l'Union sociale pour l'habitat (USH), l'Union sociale pour l'habitat en outre-mer (Ushom), Action Logement, ainsi que la Cour des comptes qui a produit un rapport très complet en septembre dernier sur la situation fort insatisfaisante du logement dans les départements et régions d'outre-mer (DROM).

En effet, en dépit des annonces faites ces dernières années, en particulier dans le cadre de deux plans logement successifs, les acteurs privés et publics paraissent toujours en difficulté pour répondre à la très forte demande - notamment en logements locatifs sociaux et très sociaux - et pour améliorer les conditions d'habitat dans ces territoires. Nous attendons donc que vous nous aidiez à faire des propositions pour construire plus et mieux en outre-mer. Ce thème en débat en séance publique au Sénat le mardi 2 mars après-midi concernera l'ensemble du territoire français.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Mes questions portent sur le développement de l'offre de logement social et sur la résorption de l'habitat indigne. Pourriez-vous nous citer des projets emblématiques financés grâce au concours de vos organismes en matière de dynamisation des centres-villes et de développement d'offres de logements mixtes - logements sociaux et très sociaux associés à des logements intermédiaires ?

En matière de logements à loyers très sociaux (LLTS), constatez-vous des difficultés pour respecter les quotas de 30 % ? S'agissant de l'accession sociale à la propriété, quel a été, selon vous, l'impact de la suppression de l'aide personnalisée au logement (APL) accession en outre-mer ?

Les dispositions de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, dite loi Letchimy, sont-elles selon vous suffisantes en matière de résorption de l'habitat indigne (RHI) ? La Cour de comptes indique que les opérations de RHI se sont fortement réduites dans les années récentes. Comment l'expliquer et quels blocages faudrait-il lever ?

Enfin, faut-il, selon vous, prolonger la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques ? Pour permettre la réhabilitation de logements informels, avez-vous des exemples d'expériences réussies en termes d'autoconstruction et d'autoréhabilitation encadrées ?

M. Hervé Tonnaire, directeur des outre-mer et directeur régional Pacifique de la Banque des territoires . - Les territoires ultramarins présentent des thématiques et des problématiques différentes auxquelles il convient d'adapter les réponses que nous apportons.

Parmi les projets emblématiques auxquels la Banque des territoires a contribué, je peux citer l'opération innovante menée par la société Pointoise d'HLM dans le centre-ville de Pointe-à-Pitre, rue Achille-René Boisneuf, avec le programme Action coeur de ville et le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) : treize logements sociaux, six en accession à la propriété et quatre locaux commerciaux. Au Lamentin, nous avons également participé à la construction de trente et un logements en prêt locatif social (PLS) et, aux Abymes, à la réhabilitation, via un éco-prêt outre-mer de 4,9 millions d'euros, d'une résidence de 360 habitations, comprenant notamment des travaux d'isolation des murs et de réalisation d'un système d'eau chaude à l'énergie solaire.

À La Réunion, avec le programme Action coeur de ville et le NPNRU, nous avons participé à une opération de dynamisation du centre-ville de Saint-André, miné par la précarité économique et sociale - 46 % de chômeurs et 78 % des habitants non imposables -, par le déclin des commerces et l'insécurité. Le projet, d'envergure, comprend le renouvellement du bâti, la restauration de la voirie, la transformation de l'école en un espace de restauration et de commerces de bouche et la création d'un cinéma pour renforcer l'offre culturelle. Sur cette dernière opération, les prêts d'intérêts généraux ne pouvant intervenir, nous avons participé au montage comme investisseurs.

Je ne puis, en revanche, vous répondre sur les quotas de LLTS qui ne relèvent pas de notre compétence. Nous observons cependant, en outre-mer comme ailleurs, une mobilisation variable des collectivités territoriales sur le sujet. L'accession à la propriété n'entre pas non plus dans nos missions, limitées au logement social. Elle joue toutefois un rôle majeur dans les problématiques de l'habitat, notamment dans des territoires où la demande est importante, à l'instar de Mayotte.

La Banque des territoires n'est qu'un acteur de deuxième ligne s'agissant du financement des opérations de RHI. Nous constatons leur recul, notamment aux Antilles et à La Réunion, en raison de la réduction - heureuse - du stock de logements concernés. À Mayotte et en Guyane, la situation demeure toutefois préoccupante du fait de la pression démographique et migratoire.

Nous disposons d'une expertise limitée sur les agences des cinquante pas géométriques. Le projet de l'extinction du dispositif semble faire l'objet d'une analyse partagée en faveur, au contraire, d'une prolongation, en raison de la complexité des opérations menées qui nécessitent des financements adaptés. Le projet de loi dit 4D - décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification - prévoit d'ailleurs de prolonger de dix ans leur durée de vie. Il apparaît toujours nécessaire de disposer d'un temps minimum pour mettre en oeuvre des travaux qui font intervenir des financements structurants, comme l'installation de réseaux.

Enfin, l'autoconstruction représente un enjeu important dans les territoires à forte pression démographique comme Mayotte ou la Guyane. Le NPNRU a engagé des opérations à Mayotte et des projets sont à l'étude en Guyane. Nous n'avons pas encore été sollicités, mais pourrons intervenir en soutien aux filières.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Ma première question concerne les deux plans logement outre-mer (PLOM), l'efficacité du plan de relance que vous avez initié, ainsi que vos nouvelles offres de prêts, notamment à taux fixe.

Quel partenariat avez-vous passé, notamment avec Action Logement, l'Ushom ou CDC Habitat ? Comment faire face à la pénurie de logements neufs en outre-mer, en particulier dans le logement social ? Que proposez-vous pour construire plus et mieux ? Peut-on construire outre-mer sans fonds propres ? Comment réhabiliter davantage, notamment aux Antilles ? Comment financer les structures d'hébergement, laissées depuis trop longtemps en déshérence ? Comment voyez-vous la restructuration du secteur du logement social, notamment à la Réunion et à Mayotte ? Y a-t-il un risque de conflit d'intérêts entre vous et CDC Habitat ?

M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD). - En tant que banque de développement au service des territoires d'outre-mer, l'Agence française de développement dispose, pour financer l'ensemble des collectivités locales des outre-mer, essentiellement de prêts. Depuis peu, nous intervenons également en appui d'ingénierie par des crédits d'études et des assistances en maîtrise d'ouvrage, tout comme nous a été confié le Fonds outre-mer 5.0 l'année dernière. Dans le cadre du plan de relance, nous disposons cette année d'une nouvelle enveloppe de 15 millions d'euros, ce qui renforce notre palette d'interventions. Nous apportons aussi des financements au secteur privé et aux sociétés d'économie mixte.

Il y a des enjeux importants de production et de réhabilitation du logement en outre-mer, notamment de réduction de l'habitat insalubre, qui nous amènent à travailler sur les friches urbaines et les territoires délaissés. Par ailleurs, du fait des enjeux climatiques spécifiques de ces territoires, la qualité environnementale et l'efficacité énergétique sont primordiales pour l'AFD.

Nous étions associés au Plan logement outre-mer de 2015 qui, il est vrai, a eu une activité décroissante avec le temps. Néanmoins, depuis plusieurs années, notre positionnement sur le secteur du logement a évolué, en particulier suite à la vente, en 2017, de nos participations au sein des sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM). Entre 2010 et 2019, nous avons financé 840 millions d'euros de logements outre-mer, de manière décroissante du fait de notre désengagement dans ce secteur.

À titre d'exemple, nous avons participé au financement, via des programmes d'aménagement, de la zone d'aménagement concerté (ZAC) Sans-Souci à La Réunion, territoire fortement marqué par l'habitat insalubre et informel.

Le soutien à l'autoconstruction nous paraît très intéressant. Nous disposons d'une certaine expérience à l'étranger, que nous pouvons partager. Dans cette veine, nous avons lancé une étude sur le renouvellement des modes de traitement de l'habitat informel à Mayotte.

M. Victorin Lurel , rapporteur. - Pourquoi l'AFD ne fait-elle pas de prêts sur 40 ans en Polynésie française ?

M. Charles Trottmann . - Nous ne proposons pas ce produit, car il ne correspond pas à notre modèle économique et nous ne pouvons pas apporter de financement de cette maturité.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Avez-vous, avec vos partenaires, un plan de réaménagement de la dette des sociétés d'économie mixte (SEM) ?

M. Charles Trottmann . - Nous n'avons pas de plan concerté, toutefois, pour répondre à la demande d'une SEM, nous pouvons nous associer avec les autres co-financiers pour trouver un plan de réaménagement.

M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles de la Banque des territoires . - L'action de la Banque des territoires en outre-mer s'inscrit, dans le cadre du plan de relance, par des modalités et des maturités nouvelles en direction du secteur public local. Sur les 26 milliards d'euros affectés, 11,1 sont consacrés au logement : sur les 42 000 ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA) réalisées par notre filiale CDC Habitat, 8 200 ont lieu outre-mer. En ce qui concerne le risque de conflit d'intérêts en outre-mer, nous nous exprimons - non comme opérateur - mais en tant que financeur universel du logement social, aux côtés de l'AFD avec laquelle nous avons un partenariat stratégique. Sur le territoire hexagonal comme en outre-mer, nous tenons à garder une muraille de Chine entre notre rôle de financeur et le rôle d'opérateur de CDC Habitat.

M. Hervé Tonnaire . - La Caisse des dépôts est un groupe avec des actions spécifiques et des modes d'interventions particuliers définis par le législateur. En matière de logement social, nous intervenons de plusieurs façons, leur financement étant ultra-prioritaire. Nous pouvons également nous trouver en position d'investisseurs en soutenant des projets classiques de logement social ou de commerces de pied d'immeuble. Nous pouvons aussi intervenir avec BpiFrance.

Notre modèle étant très solide - la Caisse des dépôts intervient depuis plus de cent ans dans ce secteur -, nous disposons d'une ressource particulière et immédiate avec le livret A. Ingénierie financière aidant, nous pouvons prêter, uniquement pour le logement social, jusqu'à 80 ans. L'usage du livret A est conditionné par la réglementation qui en définit l'emploi et il nous faut négocier avec l'État ses propositions d'utilisation.

S'agissant du risque de conflit d'intérêts, nous avons souhaité la double intervention pour bien distinguer l'action de la Caisse des dépôts, à travers un de ses opérateurs, de l'action de financeur d'intérêt général. Il en va de même pour Action Logement qui doit distribuer ses produits à tous les opérateurs sans discrimination. Il n'y a donc aucun risque de conflit d'intérêts de ce point de vue et notre gouvernance est organisée de manière à en prévenir toute forme.

En matière de travaux communs avec nos partenaires, nous avons décidé d'initier, avec Action Logement, une pré-réflexion technique sur nos financements, notamment en outre-mer. Nous souhaitons cependant l'élargir, par exemple aux fédérations de HLM. Pour améliorer le dispositif, l'idéal est que les préconisations partent du terrain, sachant que les opérations en outre-mer sont plus coûteuses du fait de la distance, des coûts d'acheminement, de la cherté du foncier ou des difficultés juridiques parfois multiples.

Concernant le PLOM, toutes les ambitions n'ont pu être atteintes. Les conditions, notamment en Guyane, et même avec un plan bien programmé, sont difficiles en raison du foncier disponible, des financements ou de la concertation. Si la bonne volonté est partagée par tous les acteurs du domaine, on se voit rattrapé par toutes ces contraintes.

Le foncier étant effectivement rare et cher, même dans les territoires de grande dimension, les dispositifs de portage foncier nous paraissent intéressants et nous soutenons la création d'offices fonciers solidaires. Nous proposons d'identifier le sujet de la production, notamment pour les territoires à la démographie jeune, comme la Guyane et Mayotte. En l'occurrence, il s'agit spécifiquement de logement très social et de l'équilibre d'opérations à destination de populations très fragiles. Nous nous posons la question d'aller plus loin, à l'instar de notre activité en Nouvelle-Calédonie où nous avons lancé un dispositif inspiré du 1 % logement, le fonds social de l'habitat, pour répondre aux besoins des bailleurs. Aux Antilles, l'enjeu est de rebâtir de la ville dans la ville. La Réunion a une démographie différente, mais commence à se poser la question de la décohabitation. Nous souhaitons donc travailler la question de la production de logements neufs et celle de la réhabilitation, qui coûte de plus en plus cher.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Appliquez-vous le dispositif d'offre PAM (prêts à l'amélioration de l'habitat) pour la réhabilitation ?

M. Hervé Tonnaire . - N'ayant pas le détail de tous les dossiers, nous vous répondrons plus précisément, par écrit, si vous le souhaitez. Il est important de savoir si ces produits sont efficaces et adaptés aux outre-mer.

En ce qui concerne exclusivement le logement social, nous avons prêté, cette année, 820 millions d'euros pour des opérations dans les outre-mer. Le logement social, en termes de prêts nouveaux, qu'il s'agisse de constructions neuves ou de réhabilitations, a représenté 602 millions d'euros. Dans l'ensemble, depuis 2017, nous avons octroyé 2,6 milliards de prêts d'intérêt général pour les outre-mer, avec un total de 30 000 logements, dont 16 000 neufs. En 2020, nous avons financé 4 500 logements neufs et 5 100 en rénovation.

Outre nos prêts traditionnels à la rénovation et à la construction, nous avons mis en place de nouveaux produits pour aider les opérateurs, en quasi-fonds propres. De surcroît, nous sommes en train de développer tout ce qui est lié à la rénovation thermique ou classique.

En ce qui concerne le lien avec la ligne budgétaire unique (LBU), le positionnement de la Banque des territoires dans la politique du logement fait que nous recevons une demande de logement quand le dossier est crédité d'une subvention et qu'il dispose d'un permis. Nos dossiers ont donc un plan de financement déjà prêt.

Nous avons deux dispositifs fiscaux sur les outre-mer : celui des sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) ainsi qu'une défiscalisation classique sur la zone Pacifique. Nous avons donc surtout besoin que l'opération soit équilibrée, du fait, notamment, de notre position de garant du livret A.

Nous intervenons très régulièrement sur des réaménagements de dette, notamment pour des sociétés d'économie mixte.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - S'agissant des garanties et du financement de la programmation mixte, comment financez-vous ces montages qui peuvent être compliqués ? Faut-il revoir le régime des garanties ?

M. Hervé Tonnaire . - Je sais que la garantie pose parfois des questionnements aux collectivités. Cette obligation est une contrepartie du modèle économique des fonds d'épargne. Ce modèle doit être touché avec la plus grande prudence, étant donné son extrême utilité. Il s'agit certes d'une question complexe pour les collectivités, mais c'est le meilleur système actuellement en vigueur. Sans garantie, on ne peut pas mobiliser les fonds d'épargne ; perdre ce dispositif s'avèrerait dangereux.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Mes questions portent sur l'habitat de demain. Vous avez parlé de l'initiative de l'AFD « Outre-mer en commun ». Quels projets d'urbanisme respectueux de l'environnement comptez-vous financer ? Soutenez-vous des projets d'habitat innovant en outre-mer ? Quels territoires vous paraissent particulièrement dynamiques dans ce domaine ? Quelle synergie sera encouragée avec les initiatives développées en métropole ?

En matière de normes de réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA), adaptées aux outre-mer, quelles seraient vos propositions d'adaptation et de simplification de la réglementation environnementale RE2020 pour les outre-mer ? Quelles sont vos actions en faveur de la filière de matériaux locaux, tels que le secteur de la brique de terre compressée à Mayotte ? Comment recourir davantage à la construction sur du bâti détruit, pour éviter l'étalement urbain et l'artificialisation des sols ? Intégrez-vous la préservation des paysages et l'intégration des patrimoines locaux dans les projets d'aménagements ?

M. Charles Trottmann . - L'initiative « Outre-mer en commun », réponse de l'AFD à la crise du Covid-19, compte trois volets. Le premier, sur l'urgence sanitaire, nous amène à travailler de concert avec les acteurs de la surveillance épidémiologique. Le deuxième volet, davantage centré sur une intervention économique, porte sur notre soutien à la trésorerie et sur la capacité financière des acteurs publics comme privés. Enfin, le troisième aspect est celui de la relance durable. Il comporte trois actions spécifiques : une contribution à la réflexion sur la définition de cette relance durable, un accompagnement en matière d'ingénierie, et une formation appelée « Mouv'outremer », pour soutenir les porteurs de projet locaux.

En matière de relance durable, le sujet du bâtiment est effectivement ressorti, étant donné que ce dernier représente, à l'échelle mondiale, 35 % de la consommation énergétique et 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous travaillons en partenariat avec l'Agence de la transition écologique (Ademe) via un programme pour l'efficacité énergétique des bâtiments (PEEB), qui nous permet d'apporter des études et des financements. Dans le cadre des crédits du plan de relance, nous répliquons ce dispositif aux outre-mer avec un lancement prévu fin mars 2021.

Sur la réglementation thermique outre-mer, la mise en application a été repoussée en juillet 2021. Les indicateurs de consommation, de carbone et de cycle de vie doivent être adaptés à la réalité des territoires, pour tenir compte des moindres besoins de chauffage, des climats plus venteux, qui facilitent la ventilation naturelle et les constructions bioclimatiques, ainsi que du rayonnement solaire.

S'agissant des filières de matériaux locaux, nous n'avons, actuellement, pas beaucoup d'actions spécifiques à ce sujet. La brique de terre compressée de Mayotte, matériau prometteur qui compte de nombreuses qualités, pâtit néanmoins d'une difficulté d'homologation et d'une image assez défavorable. Nous travaillons néanmoins à trouver des voies pour redynamiser cette filière qui dispose de nombreuses capacités d'utilisation, notamment dans l'habitat.

M. Hervé Tonnaire . - Nous soutenons tous les programmes neufs reposant sur la conception bioclimatique avec les éco-prêts. En matière de normes, l'analyse faite par l'AFD est pertinente et l'enjeu est essentiellement l'adaptation utile à ces territoires.

S'agissant des filières locales, nous avons l'expérience de dispositifs parfois expérimentaux, notamment en Guyane où nous avons été sollicités sur le projet local de béton fibré. Nous sommes prêts à aider des projets qui disposent d'un modèle économique et d'une acceptation sociale. Nous soutenons les entreprises du secteur par des modes d'action divers, mais surtout complémentaires au sein du groupe, le logement étant l'amortisseur social principal.

Les sujets du bâti détruit et de l'étalement urbain doivent être portés de manière collective car ils nécessitent une programmation, voire une politique coercitive, notamment dans le cas de logements très dégradés et insalubres.

Pour lutter contre les dents creuses, nous agissons dans le cadre des programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » et nous réfléchissons à une action avec les foncières. Il faut également recréer de l'attractivité économique dans les centres historiques pour reconstruire de la ville dans la ville. Ce chantier, nécessairement partenarial, s'inscrit sur le long terme et ces dispositifs ne sont pas applicables dans les collectivités du Pacifique. Nous essayons donc de construire des réponses adaptées à chaque collectivité - j'ai notamment rencontré le maire de Papeete pour aborder ce problème.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - L'enjeu est aussi l'acceptabilité. Souvent, des opérations très spécifiques sont interrompues, puis réorientées. Les filières doivent bénéficier d'une véritable stratégie de soutien.

M. Hervé Tonnaire . - L'enjeu de légitimité est bel et bien essentiel, d'autant que la Banque des territoires peut intervenir sur des sujets dits « privés », comme la création d'une filière forestière dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie. De tels chantiers prennent du temps.

Au titre de la transition énergétique, d'autres actions de portage sont menées à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme le sait le président Artano. Leur modèle économique exige des financements longs et une acceptation de rentabilité qui soit celle d'un investisseur d'intérêt général.

M. Stéphane Artano . - Je rejoins tout à fait les propos de M. Guillaume Gontard, au sujet de l'acceptabilité, et ceux de M. Hervé Tonnaire, au sujet du temps long. Les modèles économiques propres aux outre-mer exigent le soutien de financeurs et un portage politique fort, pour convaincre l'ensemble des acteurs.

Je vous remercie par avance de nous adresser, par écrit, les éléments de nature à alimenter nos réflexions.

Mme Nassimah Dindar . - L'AFD dispose de plusieurs SEM aux Antilles, en Nouvelle-Calédonie, mais pas à La Réunion. Un tel actionnariat pourrait-il être envisagé pour soutenir des sociétés en grande difficulté, comme la société de développement et de gestion d'immobilier social (Sodegis) ? Aujourd'hui, les bailleurs n'ont pas la capacité de lever les fonds : ne pourraient-ils pas être associés ? Je pense notamment au pôle CDC - Action Logement qui est en train de se constituer à La Réunion.

Au sujet de l'autoconstruction, j'ajoute, pour La Réunion, l'enjeu de l'accession à la propriété. Des familles louent, depuis parfois trente ans, des logements qui ont besoin d'être réhabilités. L'AFD ne pourrait-elle pas engager une étude sur ce sujet ?

Enfin, la Banque des territoires a signé deux conventions avec la société immobilière du département de La Réunion (SIDR) et je souhaiterais avoir des précisions sur ce sujet.

M. Charles Trottmann . - Nous gérons un portefeuille historique de participations au sein de SEM, mais il est en extinction ; ce métier spécifique, qui pourrait nous placer en situation de conflit d'intérêts, est plutôt celui de la CDC. De notre côté, nous intervenons en qualité de financeurs et, a priori , nous n'envisageons pas de nouvelle participation.

L'accession à la propriété est un sujet important. Il renvoie aux questions du parcours résidentiel, des mobilités sur le territoire et de la politique de la ville. Dans une perspective d'investissement, le Fonds outre-mer nous permet de financer des actions auprès des collectivités et des acteurs publics ; les études de l'AFD sont orientées vers l'investissement. Si une collectivité de La Réunion souhaite nous solliciter, notre agence sur place sera tout à fait en mesure d'examiner son dossier.

M. Hervé Tonnaire . - Je le confirme : l'économie mixte est un pilier majeur de notre intervention, notamment en matière d'investissement. C'est un choix très clair de notre gouvernance. Cette crise révèle d'ailleurs la nécessité de disposer d'opérateurs semi-publics, menant des projets économiques dans une logique d'intérêt général, tout en prévenant les conflits d'intérêts. Ainsi, à Wallis-et-Futuna, nous devrions créer prochainement une SEM en lien avec la collectivité et la chambre interconsulaire. Il s'agit d'aménager un bâtiment d'accueil d'entreprises. De manière prudentielle et volontaire, ce portage est un bon outil pour développer les filières locales de ce territoire.

Malgré une forte pression démographique, La Réunion est également un territoire de taille limitée. Sans une régulation au sens large, il risque de subir les effets pervers que l'on observe, par exemple, en Polynésie, en matière d'aménagement : les chargés d'opérations restent deux ans dans une société, puis la quittent pour une autre qui leur offre un meilleur salaire. Ce n'est pas très sain.

Les collectivités ne sont pas nécessairement en mesure de financer ou de mener de grandes opérations. De plus, toutes les SEM n'ont pas vocation à conduire les mêmes types de projets : il faut une forme de spécialisation. Ainsi, l'existence de trois SEM n'aurait aucun sens à Wallis-et-Futuna ; il en faut une et une seule. Pour éviter l'épuisement des acteurs, Saint-Pierre-et-Miquelon a, de manière volontaire, simplifié le paysage de ses SEM. C'est une question de cohérence et de bon sens.

La Banque des territoires est à la disposition des territoires : elle est dans la concertation ; nous ne sommes pas dans le régalien, mais dans l'accompagnement.

Mme Nassimah Dindar . - Je vous remercie par avance de nous faire parvenir, par écrit, un point d'étape au sujet de la Société immobilière du département de La Réunion (SIDR).

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - J'ai été maire de Cayenne pendant dix ans ; je reste conseillère municipale et j'estime que je dois défendre mon territoire, notamment en ce qui concerne le logement. Dans quelle mesure l'AFD et la Banque des territoires peuvent-elles appuyer les réhabilitations de logements en Guyane ? Vous rappelez la mauvaise répartition des logements sociaux. Avec un taux de 35 %, Cayenne a atteint son quota, mais d'autres communes, comme Remire-Montjoly, préfèrent payer l'amende.

Quels sont vos liens avec l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane (EPFAG), qui s'efforce de trouver des solutions pour créer des logements, notamment dans le cadre des écoquartiers ?

M. Hervé Tonnaire . - J'ai une affection particulière pour la Guyane. J'ai vécu cinq ans et demi dans ce département qui, avec Mayotte, est un des territoires de la République qui mérite le plus d'être accompagné.

Les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) et le bâti privé ne relèvent pas de notre champ d'intervention, mais plutôt de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et de l'Ademe. Nous pouvons agir en complément en portant le bâti économique.

L'EPFAG est un acteur essentiel pour nous. Il peut porter directement nos différents prêts, notamment le prêt Gaïa qui, en panachant les court et moyen termes, peut couvrir de trois à quatre-vingts ans et permet ainsi des opérations complexes de portage foncier, avec des différés d'amortissement.

Le directeur régional Antilles-Guyane porte une attention spécifique à la Guyane, où la pression démographique et les enjeux sont tels que nous devons nous investir tout particulièrement. Je pense notamment aux projets d'habitat adapté.

En 2020, nous avons créé notre représentation à Mayotte et, en 2021, nous en ouvrirons une en Polynésie : la Banque des territoires sera ainsi présente dans sept territoires ultramarins. Les outre-mer ne subissent aucune discrimination négative, bien au contraire. Notre taux d'ingénierie est plus élevé pour les collectivités ultramarines. Nos fonds Covid résistance suivent un ratio de 2 euros par habitant en métropole contre 5 euros outre-mer. Tous nos produits sont applicables outre-mer et, généralement, ils sont adaptés en conséquence.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je comprends parfaitement les inquiétudes qu'inspire le logement social à Mayotte, en Guyane et dans les autres territoires ultramarins. J'espère que nous pourrons poursuivre ces échanges sur d'autres projets de développement économique outre-mer.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je salue à mon tour la qualité de nos échanges, en vous remerciant par avance des précisions que vous nous apporterez par écrit.

M. Stéphane Artano . - À mon tour, je remercie l'ensemble des participants, en attendant la table ronde que nous consacrerons, la semaine prochaine, à Mayotte.

Mme Viviane Artigalas . - Je suis membre du conseil de surveillance de la CDC et, au Sénat, j'ai beaucoup travaillé sur les questions de logement et la politique de la ville. Lors de notre débat du 2 mars prochain en séance publique, je poserai une question sur sujet du logement outre-mer afin de mettre l'accent sur les travaux de nos trois rapporteurs.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Au nom du président, au nom de la délégation et en mon nom propre, je vous adresse à tous mes plus sincères remerciements.

Jeudi 18 février 2021

Table ronde sur la situation du logement à Mayotte

Mme Victoire Jasmin , vice-présidente . - Chers collègues, le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, monsieur Stéphane Artano, qui se trouve à Saint-Pierre-et-Miquelon, vous prie de bien vouloir l'excuser, et il me revient de présider ce jour une table ronde consacrée à la situation du logement à Mayotte. Ce département apparaît comme un territoire emblématique de tous les défis que les outre-mer ont à relever dans ce domaine.

Grâce à la visioconférence, nous allons pouvoir échanger avec nos interlocuteurs à Mamoudzou, particulièrement au fait du sujet qui nous intéresse. Mesdames et Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation afin de nourrir la réflexion de nos rapporteurs Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Je rappelle que cette table ronde se tient dans le cadre de l'étude initiée en janvier par la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur le logement dans les outre-mer. Nous avons, à ce titre, déjà auditionné plusieurs services de l'État, la Cour des comptes, des acteurs du logement social à l'instar d'Action Logement ainsi que deux institutions financières : l'Agence française de développement (AFD) et la Banque des territoires.

Nous comptons aujourd'hui sur votre expertise pour nous aider à appréhender la situation du logement à Mayotte, au plus près des réalités observées sur le terrain et en tenant compte des spécificités propres à votre collectivité. Avant de donner la parole aux rapporteurs qui préciseront leurs questions, je vais demander dans un premier temps aux participants à Mayotte de bien vouloir se présenter. Je cède d'abord la parole au représentant de la Communauté d'agglomération Dembéni - Mamoudzou (CADEMA).

M. Rachadi Saindou, président de la Communauté d'agglomération Dembéni - Mamoudzou (CADEMA) . - En tant que président de la Communauté d'agglomération Dembéni - Mamoudzou, je tiens à vous remercier pour l'invitation à cette table ronde faite auprès de la CADEMA.

M. Olivier Kremer, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Mayotte . - Mesdames et messieurs les sénateurs, en qualité de directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de Mayotte, je suis amené à travailler sur les questions liées au logement, à l'environnement, à la construction, mais aussi à la gestion des risques et au domaine routier.

Mme Raissa Andhum, vice-présidente du conseil départemental, en charge de l'aménagement et du développement durable . - Bonjour à tous, je suis vice-présidente du conseil départemental, en charge de l'aménagement et du développement durable et suis accompagnée de deux agents du département.

M. Yves-Michel Daunar, directeur général de l'établissement public foncier de Mayotte (EPFAM) . - Directeur général de l'établissement public foncier de Mayotte (EPFAM), je précise que cet établissement a débuté son activité en 2017 sur trois champs spécifiques, notamment l'aménagement du territoire et la maîtrise foncière, je suis accompagné ce jour de Clément Guillermin, qui est le directeur de la stratégie et des opérations de l'EPFAM.

M. Ahmed Ali Mondroha, directeur général de la Société immobilière de Mayotte (SIM) . - Je suis depuis six ans le directeur de la SIM qui est aujourd'hui l'unique bailleur social à Mayotte et dispose d'un parc immobilier de 2 100 logements, dont 523 logements sociaux.

M. Nizar Assani Hanaffi, président du comité territorial Action Logement de Mayotte . - Avec mon vice-président, Ahmed Fadhul Mohamed Soilihi, nous assurons la représentation du groupe Action Logement à Mayotte.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Ces présentations étant faites, je vais céder la parole à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard. Outre le sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, sont présents à mes côtés : Nassimah Dindar, Bernard Fournier, Viviane Malet, Serge Mérillou et Guillaume Gontard.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je salue mon homologue, le sénateur Abdallah Hassani, qui est en visioconférence.

Mme Nassimah Dindar . - Je salue également mon collègue, le sénateur Abdallah Hassani. En tant que sénatrice de La Réunion, je suis concernée et impliquée, de même que mes collègues, dans la construction de logements sociaux à Mayotte.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - En raison de problèmes techniques pour joindre Victorin Lurel et Micheline Jacques, je cède la parole au rapporteur ici présent, Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Merci, madame la présidente. Je tiens à intervenir en particulier sur la thématique de l'innovation en matière d'habitat et notamment au sujet de la réflexion sur l'habitat de demain en outre-mer. J'ai plusieurs questions à ce propos, particulièrement s'agissant des initiatives prises à Mayotte.

La politique des cases SIM en dur ayant été abandonnée, comment pensez-vous relancer une filière brique de terre compressée à Mayotte ? Selon vous, quels avantages peut-on attendre de ce type de construction ? Quelles sont les actions à mener pour favoriser la diversification des produits de construction ? Comment utiliser les matériaux locaux pour construire ?

À Mayotte, quatre logements sur dix sont constitués de tôle, ceux-ci se concentrant essentiellement sur la commune de Mamoudzou. Comment permettre la reconstruction de ces zones ? Compte tenu de l'ampleur des constructions illégales à Mayotte, comment percevez-vous la mise en oeuvre de la réglementation thermique et de la nouvelle réglementation environnementale décidée en 2020 et qui sera mise en application à partir de juillet 2021 ?

Quelles sont à Mayotte les expérimentations réussies en matière d'autoconstruction ou d'autoréhabilitation encadrées ? Ces techniques peuvent-elles être, selon vous, appliquées au-delà de la question de l'habitat informel ? Pouvez-vous présenter des exemples de réalisations immobilières conciliant modernité et tradition, en vue notamment de préserver le mode de vie mahorais ?

M. Olivier Kremer . - La filière brique de terre compressée était en effet active sur Mayotte avant d'être abandonnée depuis un certain temps. Nous sommes en train de travailler sur de nouvelles expérimentations qui sont en cours de validation afin de répondre aux critères d'exposition aux aléas présents sur le territoire, à l'instar des cyclones et des tremblements de terre, mais aussi aux critères de décence du logement. L'objectif est de valoriser un produit local avec un prix de revient pour l'heure plus élevé que le parpaing, mais qui présente de bonnes performances thermiques et énergétiques. Les expérimentations ont produit de bons résultats en termes de durabilité. Elles ont lieu dans le cadre du lancement d'un nouveau produit appelé « logement au prix social adapté » qui est en cours de validation, à la suite d'une expérimentation réalisée à l'occasion d'un programme de renouvellement urbain.

La reconquête des zones de bidonvilles fait partie des priorités de l'État sur le territoire en raison des atteintes à la dignité humaine et des problématiques de sécurité qu'elles engendrent. La gestion de cette problématique est prise en compte dans les nouveaux modèles d'intervention, que je viens de détailler, pour lutter notamment contre les logements insalubres. Une trentaine de logements de ce type seront livrés cette année. L'une des priorités reste en outre le relogement des populations sur les sites, ce qui nécessite une coordination soutenue de nombreux acteurs. Comme vous l'avez évoqué, les bidonvilles sont concentrés autour de zones d'habitat et de services, d'où la nécessité de travailler sur la densification à l'est du territoire.

L'entrée en vigueur des réglementations thermiques a été repoussée à 2025 pour l'ensemble des constructions à Mayotte à l'exception des logements sociaux. Pour autant, nous avons travaillé depuis 2009 à l'élaboration d'une charte « Mayénergie» qui a été revue en 2013. Cette dernière tend à encadrer les orientations en vue d'obtenir une performance énergétique satisfaisante au sein des bâtiments.

Je reste disponible pour compléter ces réponses apportées aux premières questions de la Délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Je vous remercie. Je donne à présent la parole au rapporteur Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je vous remercie tous et toutes pour votre présence. Je souhaiterais tout d'abord poser une question quelque peu historique aux élus du conseil départemental et au directeur de la DEAL. Après la réforme du logement et la disparition en 2005 des cases SIM qui avaient vocation à être remplacées par les « LATS », logements en accession très sociale, quels sont aujourd'hui les résultats constatés en termes d'accession sociale au logement ? Ces résultats sont-ils satisfaisants à vos yeux ? Les cases SIM comportaient peut-être des défauts, mais avaient l'avantage de faire des attributaires des propriétaires. Le mode de sélection pouvait prêter à critique, mais lorsque l'État a imposé cette réforme en 2005, les élus locaux étaient particulièrement mécontents. Je souhaiterais savoir ce qu'il en est aujourd'hui et quel bilan vous tirez de cette réforme. Quelles sont vos appréciations sur le financement de l'accession sociale ?

Ma deuxième question concerne le mode de financement des opérations immobilières. Connaissez-vous toujours à Mayotte des différences par rapport aux autres départements et régions d'outre-mer (DROM)  pour l'accession à l'allocation de logement sociale (ALS) et l'allocation de logement familiale (ALF). Le cas échéant, quelles sont ces différences ? Quels sont les éventuels problèmes de montage financier que ces différences entraînent ? Lorsqu'existaient encore les cases SIM, l'État finançait jusqu'à 90 % de leur coût. La réforme de 2005 a induit une diminution de ce financement, qui ne représente plus qu'environ 75 % du coût, entraînant un important reste à charge. Quels sont aujourd'hui les problèmes que vous rencontrez à Mayotte en tant qu'élus et opérateurs SIM concernant le montage financier des opérations?

Par ailleurs, qu'en est-il de l'utilisation de la Ligne budgétaire unique (LBU) à Mayotte ? Au 31 juillet 2020, les taux de consommation de la LBU étaient très faibles, à savoir 25 % pour les autorisations d'engagement (AE) et 46 % pour les crédits de paiement (CP). Disposez-vous de chiffres pour la fin de l'année 2020 ? Comment expliquer cette sous-consommation récurrente alors que les besoins sont très importants ? Je souhaiterais recueillir l'appréciation des élus et des opérateurs concernant les montants octroyés au titre de la LBU en AE et en CP. Un redéploiement est opéré, entre les départements d'outre-mer en raison de l'ampleur des besoins à Mayotte. Êtes-vous satisfaits des montants octroyés à votre département ? Quelle est l'efficacité de la plateforme d'ingénierie mise en place auprès de la préfecture de Mayotte ? Quelles aides concrètes permet-elle d'apporter ? Quels autres obstacles rencontrez-vous dans l'utilisation des crédits de la LBU ?

En mai 2018, le Gouvernement a présenté un plan de rattrapage intitulé « L'action de l'État pour votre quotidien » pour Mayotte, chiffré à 1,3 milliard d'euros. Cinq mesures concernaient le logement, l'aménagement urbain et la lutte contre l'habitat illégal. Trois ans après, quel bilan peut-on tirer de ce plan ? Quelles propositions formuleriez-vous pour le compléter ? En êtes-vous insatisfaits ?

Le nombre de logements sociaux financés est en augmentation à Mayotte (de 281 en 2016 à 480 en 2020). Cependant, le nombre de logements sociaux livrés est en baisse (116 en 2018 contre 64 en 2019). Comment remédier à cette baisse préoccupante alors que les besoins en logements sociaux sont estimés à 1 200 logements par an ? Faut-il privilégier le développement des logements en accession sociale ou très sociale (LAS ou LTAS) ou des logements locatifs sociaux ou très sociaux (LLS ou LLTS) ? Quelle est leur efficacité ? Comment fonctionne le fonds de garantie de Mayotte pour l'habitat social avec l'AFD pour le logement intermédiaire ? Et comment s'applique le dispositif de logement intermédiaire à Mayotte ?

Faut-il mettre en place un deuxième opérateur de logement social à Mayotte ? Si oui, comment et à quelle échéance ?

Enfin, quelles solutions pourraient permettre de remédier à la pénurie de foncier à Mayotte ? À cet égard, les problèmes de dévolution, de succession et de délivrance des titres de propriété sont-ils réglés ? Les problématiques de statut personnel perdurent-elles à Mayotte ?

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Je cède la parole à Raissa Andhum, vice-présidente du conseil départemental, en charge de l'aménagement et du développement durable. Le président de la SIM prendra par la suite la parole, de même que le sénateur de Mayotte, Abdallah Hassani.

Mme Raissa Andhum . - Je tiens à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer de nous donner la possibilité de nous exprimer sur cette problématique du logement à Mayotte.

Notre appréciation à l'échelle du département de cette question préoccupante du logement est que des réajustements doivent être opérés. Bien que Mayotte soit une île formidable dotée de nombreux atouts, nous constatons chaque jour que cette dernière perd une partie de son identité. En moins d'une dizaine d'années, l'île de Mayotte s'est trouvée confrontée à l'insalubrité, l'insécurité, la destruction de la faune et la flore et à des appropriations illégales de terrains et propriétés publics ou privés. L'inadéquation entre l'offre et la demande de logements a une part non négligeable de responsabilité dans cette situation.

Depuis 2017, la densité de population a fortement augmenté à Mayotte, entraînant la construction de maisons en tôle et en bois. Ces dernières représentent quatre logements sur dix. Nous avons cependant de grands espoirs grâce aux efforts actuellement fournis par de nombreux acteurs, notamment étatiques. La mobilisation de ces outils est indispensable pour parvenir à construire les logements sociaux en accession à la propriété et en location.

Un travail de recensement des besoins en termes de logement reste toutefois à réaliser pour faire émerger une stratégie opérationnelle de relance du logement adaptée aux réalités locales et mobiliser les moyens nécessaires. Le Conseil départemental est en train de mobiliser des structures et des moyens pour mettre en oeuvre cette stratégie. Il est, pour ce faire, nécessaire de prendre en considération les contraintes qui constituent aujourd'hui de véritables freins, à l'instar du nombre insuffisant d'entreprises locales en mesure de répondre à la demande. Une attention particulière devra être portée à cette problématique qui perdure depuis de nombreuses années. Parmi les nombreux freins, les problèmes de trésorerie pour les opérateurs et les difficultés à monter les projets de financement sont considérables. L'organisme financier désigné pour gérer ces projets de financement, Mayotte Habitat, ne répond pas à l'ensemble des sollicitations.

Le département de Mayotte participe activement aux programmes communaux et/ou intercommunaux de Résorption de l'Habitat Insalubre (RHI) par la cession gratuite ou le transfert de gestion aux communes et/ou intercommunalités du foncier départemental concerné. Parmi ces programmes, nous pouvons notamment citer : les deux RHI de Bajoni et Mroni Moila sur le territoire de la commune de Tsingoni, la RHI Bandrajou sur la commune de Koungou et la RHI Mbarazi portée par la CADEMA. D'autres projets sont également menés par les différentes collectivités territoriales.

Le département participe également activement au programme de renouvellement urbain (PDRU) par la cession gratuite ou le transfert de gestion aux communes et/ou intercommunalités du foncier départemental concerné.

Ainsi, bien que des efforts soient fournis à l'échelle de Mayotte, la situation reste insatisfaisante. C'est pourquoi le département exhorte l'ensemble des acteurs à agir aux côtés du conseil départemental pour inverser la tendance.

Nous pourrons par la suite revenir sur ces propos introductifs que je tenais absolument à formuler.

M. Ahmed Ali Mondroha . - Je tiens à apporter une précision au sujet de l'utilisation de la brique de terre afin de compléter la réponse donnée par Olivier Kremer. À Mayotte, l'emploi de la brique de terre en tant que matériau de construction est lié à une longue histoire puisque les cases SIM ont été essentiellement construites durant une trentaine d'années à l'aide de ce type de briques. La réglementation a quelque peu évolué ces dernières années avec notamment la mise en place de la garantie décennale en 2012. La SIM a de fait été contrainte de réduire son utilisation de briques de terre.

Outre l'arrêt du programme des cases SIM en 2006 pour le remplacer par les programmes « LAS » et « LATS », nous avons considérablement revu à la baisse notre utilisation de la brique de terre dans la mesure où nous avions pour obligation de souscrire une assurance. La SIM a également suivi avec attention les différents travaux présentés en la matière par des associations.

Par ailleurs, s'agissant des questions du rapporteur Victorin Lurel au sujet de la Ligne budgétaire unique (LBU), il convient de garder à l'esprit que la SIM a la chance d'être pour l'heure le seul opérateur sur l'île. Par conséquent, aucun problème particulier n'est à relever dans ce domaine du fait des relations très étroites entretenues avec la DEAL, avec qui des réunions bilatérales sont régulièrement organisées.

Concernant les faibles taux de consommation de la LBU en 2019, il faut préciser qu'il s'agissait d'une année exceptionnelle ayant vu de nombreuses défaillances d'entreprises. Il ne me semble donc pas pertinent de la considérer comme étant une année de référence. Il faut savoir qu'entre 2013 et 2015, la SIM a connu des problèmes de trésorerie entraînant une baisse de la production de logements locatifs sociaux. En 2018, une centaine de logements avaient été livrés puis entre 100 et 120 logements en 2019 alors qu'en 2020, la défaillance des entreprises a provoqué une réduction de moitié du nombre de logements livrés, celui-ci avoisinant la cinquantaine.

En raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, 135 logements ont été livrés en 2020 sur les 200 initialement prévus. Toutefois, nous devrions livrer 400 logements en 2021, puis 550 l'année suivante afin d'atteindre à terme un rythme de croisière de 550 logements livrés par an durant les dix années à venir. Tel est en tout cas notre objectif.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous affirmez ne rencontrer aucun problème de financement en matière de LBU. Quelles sont les autres modalités de montage financier auxquelles vous avez recours ? Vous appuyez-vous également sur des crédits d'impôt, des prêts ou l'autofinancement ?

M. Ahmed Ali Mondroha . - La LBU constitue le socle de notre financement auquel s'ajoutent les crédits d'impôt puis, dans une moindre mesure, les prêts. En fonction des projets, la SIM a en outre la possibilité d'ajouter des fonds propres.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Concernant les prêts octroyés par la Caisse des Dépôts (CDC), quelle est leur maturité et quel est leur taux ?

M. Ahmed Ali Mondroha . - Il s'agit des prêts classiques de la Caisse des dépôts prévus pour le logement social. Ainsi, les prêts peuvent s'étaler sur cinquante ans et être adossés au livret A. Il me semble que ces prêts correspondent aux produits classiques de la CDC.

Mme Emmanuelle Martin, directrice générale adjointe en charge de l'aménagement de la Communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) . - Je vais apporter plusieurs éléments de réponses, principalement au sujet de l'autoréhabilitation encadrée (ARE).

À ce jour, la CADEMA mène différentes actions en vue de mettre en oeuvre cette autoréhabilitation et d'accompagner les porteurs de projets. 39 dossiers de ce type se sont montés sur le territoire Dembéni - Mamoudzou. Parmi ces dossiers, aucun n'est pour l'heure parvenu au terme de l'instruction, principalement en raison de difficultés administratives qui persistent. Il est à cet égard nécessaire de préciser que monter un dossier administratif sur Mayotte peut prendre beaucoup de temps et être relativement complexe. Dès lors, il est notamment nécessaire d'accompagner les familles qui en font la demande, sachant que certaines d'entre elles attendent déjà depuis deux ans. C'est pourquoi nous travaillons désormais en coordination avec la DEAL pour clarifier les procédures. Le problème ne relève donc pas d'un manque de volonté, mais d'une lourdeur administrative, cette dernière s'expliquant par l'absence de maîtrise des divers détails techniques qui alourdissent les procédures.

À ma connaissance, l'autoconstruction encadrée (ACE) n'a pas cours au sein du département de Mayotte. Néanmoins, d'autres acteurs sont peut-être plus renseignés que moi en la matière.

Enfin, je souhaitais également intervenir sur l'intermédiation locative car nous travaillons sur cette question. Il faut savoir que ce dispositif apporte une solution aux personnes concernées pendant une période limitée à 18 mois, au cours de laquelle nous devons apprendre aux familles à gérer le paiement des loyers. Je précise que les allocations familiales ne sont pas systématiquement versées à temps et que les familles ne maîtrisent pas toujours la gestion budgétaire du foyer, dont le versement du loyer.

Dans ces conditions, nous devons mobiliser d'importants moyens humains, d'où notamment notre souhait de disposer de travailleurs sociaux supplémentaires, même si nous saluons les efforts fournis par l'État pour nous soutenir. Les moyens mobilisés par l'État doivent pour autant être renforcés, en particulier dans le domaine de l'ingénierie.

M. Olivier Kremer . - Je souhaite compléter les propos du directeur de la SIM au sujet de la LBU. En effet, les faibles taux de consommation de la LBU ne traduisent pas une sous-consommation pérenne, mais s'inscrivent dans un contexte particulier. Les chiffres relevés au 31 juillet 2020 reflètent les nombreuses difficultés et coups d'arrêt liés au confinement dû à la crise sanitaire et à la prolongation de l'état d'urgence jusqu'au 17 septembre 2020 à Mayotte (contre le 10 juillet en métropole).

Entre 2016 et 2020, Mayotte a bénéficié d'un triplement de la dotation de la LBU. Nous espérons toutefois que cette dotation poursuivra son augmentation pour l'année à venir, dans la mesure où 95 % de la dernière enveloppe engagée ont été consommés et 100 % des crédits de paiement (CP). Nous disposons en outre d'un portefeuille de projets potentiels relativement important. Fin 2020, 30 millions d'euros de l'enveloppe qui nous était dédiée avaient été utilisés.

Concernant le plan de rattrapage, 1,3 milliard d'euros avaient été mobilisés pour le département de Mayotte et cinq mesures pour le logement avaient été prises. Une de ces mesures portait sur la création d'une opération d'intérêt national (OIN). Je souligne à cet égard que le volume des autorisations d'engagement s'élevait dernièrement à 30 millions d'euros. D'autres mesures portaient sur la réhabilitation des centres-villes ou encore le financement via l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Pour les trois premiers renouvellements urbains, près de 50 millions d'euros ont été contractualisés. Cependant, il convient de reconnaître que le volet opérationnel a nécessité plus de temps que prévu, ce qui a néanmoins permis l'augmentation significative de la LBU.

En outre, je rappelle que les pouvoirs conférés aux polices ont été renforcés, permettant une multiplication des opérations de délogement, de « décasement » et de relogement des populations.

Pour terminer en évoquant l'accession sociale, je rejoins le constat établi par la directrice générale adjointe de la CADEMA : les procédures sont relativement lourdes à mettre en place. Des difficultés ont également été rapportées par Mayotte Habitat et par les banques pour finaliser ces projets, d'où la nécessité d'évaluer l'ensemble des produits financiers actuellement accessibles sur le territoire compte tenu de la forte diversité des populations concernées (des populations à très faibles niveaux de revenus, mais aussi des populations souhaitant accéder au logement ou à la propriété à différents degrés).

Mme Victoire Jasmin , présidente . - La parole revient à Clément Guillermin, directeur de la stratégie et des opérations de l'établissement public foncier de Mayotte (EPFAM).

M. Clément Guillermin, directeur de la stratégie et des opérations de l'établissement public foncier de Mayotte (EPFAM) . - Je souhaite compléter les interventions sur la relance de la filière de la brique de terre compressée. L'EPFAM appuie cette initiative puisque celle-ci permet de soutenir l'économie locale et la qualité environnementale de la construction à Mayotte. Dans ce cadre, l'EPFAM a identifié plusieurs pistes d'intervention qui relèvent de son champ de compétences pour participer à ce plan de relance.

Premièrement, un circuit d'économie circulaire a été développé en lien avec les coopératives de briquetiers pour mettre à disposition de ces dernières les terres en excédent dans nos chantiers d'aménagement. Ces terres devraient en effet avoir vocation à servir de matière première à la brique de terre compressée plutôt qu'à être mises à la décharge.

Deuxièmement, dans le cadre de nos opérations d'aménagement du territoire, nous souhaitons intégrer de nouvelles contraintes qui s'appliqueront aux futurs constructeurs et ainsi imposer à ces derniers l'utilisation dans leurs constructions d'une partie de matériaux locaux, notamment la brique de terre compressée.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je souhaite, à ce stade, recadrer le déroulement des échanges dans la mesure où la Délégation sénatoriale aux outre-mer doit être en mesure de percevoir clairement les problèmes de logement à Mayotte, qui sont d'ailleurs propres à ce département et ne se retrouvent dans aucun autre territoire.

En tant que législateurs, nous devons prendre connaissance des problèmes remontant directement du terrain. Les acteurs du logement à Mayotte, à l'instar d'Action Logement, doivent donc s'exprimer pour nous éclairer sur les problématiques du logement propres à Mayotte. Leurs appréciations doivent par la suite être complétées par celles des opérateurs comme la SIM qui ne rencontrent apparemment pas de problème majeur. Je rappelle que les interventions effectuées lors de cette table ronde ont vocation à alimenter un rapport sur le logement qui se veut au service des Mahoraises et des Mahorais et qui pourrait nous permettre de légiférer en la matière.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Parmi les intervenants de la table ronde à Mayotte, qui souhaite répondre aux questions du rapporteur Victorin Lurel en prenant en compte les propos du sénateur Thani Mohamed Soilihi ?

M. Nizar Assani Hanaffi . - Je vous remercie monsieur le sénateur pour votre franchise.

Depuis le début de cette table ronde, seuls des problèmes de moyens ont été soulevés alors que la véritable problématique n'est pas là. À partir des réalités du terrain, il faut en effet se demander en premier lieu si la problématique du logement constitue une priorité pour les élus locaux de Mayotte. Aujourd'hui, nous avons la chance d'avoir réunis autour de cette table ronde de nombreux acteurs du logement et décideurs politiques, ce qui est particulièrement rare à Mayotte.

Je rappelle qu'Action Logement assure des missions d'accompagnement lors du parcours résidentiel et de financement de politiques publiques. Or, en dépit des chiffres évoqués, aucune concertation n'est aujourd'hui mise en place pour permettre l'utilisation de ces fonds sur le terrain. Il est ainsi difficile d'estimer les besoins en logements à Mayotte dans la mesure où nous ne connaissons pas les orientations en matière de politique du logement des autorités locales.

Nous nous réjouissons du travail fourni par la SIM et l'EPFAM. Toutefois, malgré l'arrivée à Mayotte en 2015 d'Action Logement, nous constatons à ce jour un manque crucial de coopération et de concertation entre les différents acteurs du logement sur l'île. Si nous continuons à agir de la sorte, chacun des acteurs accomplira ce qu'il souhaite, mais nous ne parviendrons pas à répondre à la question du logement.

M. Rachadi Saindou . - La CADEMA, en tant que première communauté d'agglomération du département, a comme compétence l'habitat. Dans ce domaine, nos services travaillent depuis quelques années selon plusieurs axes, à la fois sur les problématiques de résorption de l'habitat insalubre avec la mise en oeuvre du premier Plan de lutte contre l'habitat insalubre, sur l'amélioration de l'habitat à travers le Plan logement d'abord, sur la construction de logements avec le projet en cours de création d'une coopérative HLM portée par la CADEMA, la Communauté de communes du Sud (CCSud) et les services de l'État et sur la redynamisation des centralités à travers le programme « Action Coeur de ville » de Mamoudzou.

À travers ces différents programmes, nous avons été confrontés à des difficultés et des retards inhérents aux spécificités de notre territoire ainsi qu'à la nécessité d'adapter la réglementation à nos besoins urgents, voire vitaux. Les principaux freins sont pour nous au nombre de huit et comprennent les difficultés de maîtrise du foncier liées aux spécificités locales dans un espace de plus en plus contraint ; la lourdeur administrative dans le processus de projets ; le retard pris durant la phase opérationnelle par manque de structuration de la filière BTP ; le manque d'ingénierie locale tant au niveau des collectivités locales que de l'État qui entraîne des vacances de postes longues et récurrentes sur des postes techniques et administratifs ; l'occupation illégale des sites ; les évolutions réglementaires qui contraignent à revoir les projets d'aménagement ; la difficulté de coordination des parties prenantes d'un même projet ; l'évolution rapide du territoire et de ses habitants.

Pour lever ces freins, nos principales propositions sont, entre autres, de multiplier les outils de maîtrise du foncier en renforçant le pôle foncier de l'EPFAM ; mieux adapter le portage foncier au profil des communes ; de mettre en oeuvre la déclaration d'utilité publique (DUP) ; de geler les fonciers publics sur le périmètre d'aménagement (ZAC, RHI), de passer de la RHI-réseau à la RHI-quartier ; d'adapter la procédure de transfert de compétences de police sur la compétence intercommunale ; de développer un cahier de prescriptions techniques et architecturales de futurs collectifs à usages d'habitation garantissant la mixité sociale, la mixité d'usage, la valorisation des filières locales et le maintien de la qualité des paysages.

Je suis à votre disposition pour développer certains des points évoqués à l'instant.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Merci beaucoup. Je vous rappelle que vous avez la possibilité de transmettre à la délégation sénatoriale des documents afin de détailler vos interventions. Je cède à présent la parole au sénateur Abdallah Hassani.

M. Abdallah Hassani . - La construction à Mayotte est très difficile à cause du foncier. Depuis l'installation de Mayotte Habitat, quelle est la situation aujourd'hui ? Le département, qui est en général le propriétaire du foncier à Mayotte, a-t-il pu libérer le foncier occupé par des occupants qui ne devraient pas s'y trouver?

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Qui souhaite répondre à la question du sénateur Abdallah Hassani ?

M. Yves-Michel Daunar . - En mentionnant Mayotte Habitat, je pense que le sénateur Abdallah Hassani souhaitait faire référence à l'EPFAM. L'EPFAM a été instauré à Mayotte en 2017 afin de permettre de mettre à disposition du foncier aménagé. Ce foncier répond à des projets d'aménagement urbains, qui répondent eux-mêmes à des besoins de logements, mais aussi, par voie de conséquence, d'équipements. À ce jour, du foncier est bel et bien disponible sur le territoire pour créer des logements, mais en raison de la densification grandissante, cette situation pourrait rapidement évoluer. En effet, d'après plusieurs études menées en collaboration avec les services de l'État, les besoins en logements à l'horizon 2050 supposeraient la construction de plus de 80 000 logements supplémentaires par rapport à aujourd'hui.

Pour revenir sur la question de la construction des cases en tôle, ces dernières ne pourront pas s'imposer systématiquement comme une solution à la problématique du logement en raison de leur forte vulnérabilité aux différents aléas et risques naturels. Il est par conséquent nécessaire de reconquérir du foncier afin de développer des formes d'habitat urbaines qui ne peuvent toutes s'apparenter à des formes d'habitat individuel. La densification impose en réalité le recours à des formes d'habitat collectif. Il faudra inévitablement reconquérir du foncier sur les habitats individuels pour produire du logement collectif.

Concernant la mobilisation de ce foncier, l'EPFAM conduit un certain nombre de projets, notamment grâce à la LBU et au financement du département, ce qui lui permet d'envisager la construction de 6 000 logements. Notre objectif est d'évaluer la faisabilité opérationnelle de ces projets en les intégrant dans notre plan stratégique de développement, qui devrait paraître prochainement. Néanmoins, le passage de l'élaboration du projet à sa phase opérationnelle implique de répondre à un certain nombre de procédures. C'est pourquoi plusieurs de nos projets sont aujourd'hui bloqués.

Par ailleurs, le processus d'expropriation contre des propriétaires inconnus, évoqué par le rapporteur Victorin Lurel, pourrait en effet nous permettre de tester de manière de plus en plus précise notre capacité à assurer la réalisation opérationnelle des projets. En tout état de cause, il est nécessaire de simplifier les procédures à Mayotte pour accélérer la réalisation des projets et résoudre la problématique du logement. Il convient à cet égard de noter que l'EPFAM est aménageur avant d'être en charge du foncier.

S'agissant de l'autoconstruction, l'EPFAM travaille sur des solutions de relogement car le délogement des populations ne peut pas être entrepris sans préparer ce type de solutions. Nous avons donc travaillé sur un projet de construction allant dans ce sens. J'insiste enfin sur la nécessité d'oeuvrer collectivement pour appréhender de manière satisfaisante les besoins en termes d'aménagement du territoire et de logement qui sont spécifiques à Mayotte.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Au sujet du foncier, il convient de préciser qu'à Mayotte comme ailleurs, l'expropriation est possible, mais ne peut pas être engagée contre des inconnus. Une régularisation foncière est engagée depuis 1986 et aurait dû entrer en vigueur en parallèle de la départementalisation. Il n'en demeure pas moins que l'expropriation sans propriétaires n'est pas possible, particulièrement depuis que Mayotte est devenue un département.

M. Yves-Michel Daunar . - L'expropriation contre inconnus existe en droit français et a notamment permis en métropole la construction de routes ou de voies ferrées. Je vous transférerai les documents relatifs à cette législation.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je me suis mal exprimé car, en l'occurrence, les propriétaires sont connus et sont coutumiers.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Je rappelle que le sénateur Thani Mohamed Soilihi a été co-rapporteur d'un rapport sur le foncier à Mayotte. Je donne à présent la parole à Micheline Jacques, co-rapporteure pour le logement à Mayotte.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Mes chers collègues, le sujet est passionnant et au vu de la progression des débats, je vous prie de m'excuser pour la potentielle redondance de mes questions qui ont pour objectif de nous aider à avancer sur la question du logement à Mayotte et dans les territoires ultramarins. J'ai pour ma part cinq questions à poser.

Premièrement, comment faciliter les conditions financières des prêts pour permettre de développer l'accession sociale à la propriété à Mayotte ?

Deuxièmement, le conseil départemental de Mayotte pourrait-il mobiliser les terres coutumières qu'il détient pour contribuer à remédier à la rareté et à la cherté du foncier sur l'île ?

Troisièmement, alors que le nombre de logements insalubres est estimé à environ 38 000 à Mayotte et que six logements sur dix sont dépourvus du confort de base, comment accélérer les opérations de résorption de l'habitat indigne (RHI) ? Que peut-on attendre dans ce domaine de la création d'un office foncier solidaire à Mayotte ?

Quatrièmement, les solutions de relogement proposées après des démolitions dans le cadre d'opérations RHI sont-elles satisfaisantes ? Au-delà des solutions d'urgence des centres d'hébergement, quelles solutions pérennes pourraient être trouvées ?

Cinquièmement, disposez-vous d'exemples d'actions menées avec des associations de quartiers pour oeuvrer à l'adhésion sociale aux projets de construction et de réhabilitation ? Comment renforcer la formation et permettre une montée en gamme des compétences des entreprises du BTP à Mayotte ?

M. Ahmed Ali Mondroha . - En tant qu'opérateur, je tiens d'abord à revenir sur la question du foncier car nous manquons cruellement de terrains fonciers aménagés et cela bloque la production en masse.

Les montages financiers s'apparentent à une véritable usine à gaz, comme l'a expliqué précédemment Olivier Kremer. De même, l'interface mise en place par Mayotte Habitat, qui est d'ailleurs situé à La Réunion et non à Mayotte, est complexe. À titre d'exemple, l'argent destiné à aider la construction est mis à disposition seulement en fin de projet, ce qui constitue une véritable aberration. Il est nécessaire pour les opérateurs (notamment au-delà de la SIM) de bénéficier d'un dispositif plus simple. À l'époque de la case SIM, la prise en charge par les subventions de l'État pouvait s'élever à 90 %.

S'agissant du relogement, la SIM tente de mettre certains logements à disposition des personnes à reloger. Elle étudie les profils des familles pouvant bénéficier de solutions de relogement en logement social classique. Au-delà de la problématique de la gestion des personnes qui ne disposent pas d'une autorisation de séjour sur le territoire, de nombreuses familles, qui ne sont pas considérées comme étant en situation illégale, sont affectées par les opérations de « décasement » et doivent être relogées. À ce sujet, je pense que la DEAL a été en mesure d'apporter un certain nombre de réponses.

Je souhaiterais en outre apporter des éléments de réponse aux questions posées par le rapporteur Victorin Lurel. Je tiens à insister sur les besoins en termes de logement social à Mayotte. Sur le plan opérationnel, il faut rappeler que le délai de construction dans notre département est supérieur à celui des territoires voisins. En moyenne, six à douze mois supplémentaires sont ainsi nécessaires par rapport au délai enregistré ailleurs en France, notamment en raison du manque d'entreprises structurées et des difficultés d'approvisionnement du fait de notre insularité. Par conséquent, les opérations financées entre 2016 et 2018 ne produiront leurs résultats qu'en 2021.

Cette année, pour la première fois, la SIM approchera les 400 logements livrés si les conséquences de la crise sanitaire le permettent. L'année suivante, la livraison de 550 à 600 logements est attendue. L'absence de corrélation immédiate entre le financement et les livraisons constatées n'est donc pas anormale. En 2018, la SIM n'avait quasiment rien produit car elle avait connu une grave crise financière.

Encore une fois, l'un des principaux problèmes à Mayotte tient au manque cruel d'entreprises, de type PME, organisées et structurées. De ce fait, il s'avère plus difficile de mener à bien les appels d'offres. Certes, nous collaborons avec une centaine de structures qui font partie du tissu local d'artisans. Cependant, la construction neuve nécessite par exemple la maîtrise de procédés structurés qui peuvent uniquement être assurés par des entreprises organisées. La faible présence de ces dernières à Mayotte expose les opérateurs à une perte de temps importante.

Enfin, la problématique des coûts de construction doit être prise en compte. À Mayotte, les coûts de construction sont supérieurs de 10 % à 20 % par rapport à La Réunion ou à la métropole. Or, comme vous le savez, dans le domaine du logement social, les coûts de construction doivent être maîtrisés puisque les loyers sont encadrés. Afin de produire en masse pour satisfaire la demande en logement social qui est particulièrement soutenue, nous devons trouver des solutions.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je me réjouis des différentes réponses apportées par les intervenants, tant sur le fond que sur les aspects plus techniques.

Je souhaiterais demander au directeur de la SIM quel est le taux de prise en charge, en termes d'accession sociale et de financement des « LATS », assuré par l'État. Précédemment, dans les départements d'outre-mer (DOM), il s'agissait des « LES » ou logements évolutifs sociaux et leur taux de prise en charge était de 50 %. À Mayotte, ce taux s'est élevé à 75 %. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Par ailleurs, quelle est l'effectivité de la politique d'Action Logement dans les outre-mer et à Mayotte en particulier ? Je souhaiterais comprendre comment les 1,5 milliard d'euros versés par Action Logement dans les territoires d'outre-mer sont utilisés. Le département de Mayotte a-t-il les capacités d'utiliser ces fonds ? Mayotte Habitat étant il me semble une filiale de La Réunion Habitat, quel est lien entre Action Logement et Mayotte Habitat ? Ce lien existe-t-il uniquement via le rattachement des salariés ? Est-ce imputé sur le 1 % logement ?

Je crois qu'à Mayotte, les projets portent majoritairement sur la création de logements locatifs sociaux plutôt que sur l'accession sociale. Quelle est la part du locatif intermédiaire, notamment en ce qui concerne la SIM ?

Enfin, je souhaiterais savoir si des différences persistent entre Mayotte et les autres DOM en termes d'allocation logement (familiale et sociale). L'Agence française de développement (AFD) finance-t-elle le logement locatif intermédiaire ?

M. Ahmed Fadhul Mohamed Soilihi, vice-président du comité territorial d'Action Logement à Mayotte . - Le premier constat que nous dressons renvoie au fait que le manque de concertation entrave la conduite des projets à Mayotte. À l'inverse, lorsque des concertations sont engagées entre les acteurs locaux et les décideurs politiques, la situation est encourageante.

Je rappelle que sur les 9 milliards d'euros versés par l'État pour Action Logement dans le cadre du Plan d'investissement volontaire (PIV), 1,5 milliard d'euros sont destinés aux départements et régions d'outre-mer. Or, cet investissement n'a pour l'heure pas débuté à Mayotte. Depuis un an, le PIV en outre-mer, décidé par les partenaires sociaux et déployé par Action Logement, a permis d'engager une dynamique positive sur les cinq DROM en faisant émerger une véritable stratégie d'intervention du groupe en outre-mer, déclinée autour de trois objectifs :

À Mayotte, l'enjeu pour Action Logement consiste à accompagner le développement d'un territoire en pleine mutation économique et sociale, qui voit l'émergence de nouveaux besoins en termes de logement tout en faisant face à d'importantes fragilités (poids de l'habitat informel en extension urbaine, accès à l'eau et risques environnementaux, politique d'aménagement et de régulation foncière en construction, faible structuration du secteur du BTP).

Nous avons besoin pour ce faire de mobiliser les élus locaux, en particulier les maires. Nous avons dans ce sens envoyé un courrier au préfet et au président du conseil départemental pour leur demander de considérer le Conseil de l'habitat comme une véritable instance de dialogue et de pilotage des opérations. Si nous parvenons à travailler en collaboration avec l'EPFAM et la DEAL, avec qui nous trouvons des solutions, nous devons pouvoir dialoguer avec l'ensemble des acteurs dans la mesure où Action Logement est capable de s'adapter aux exigences des projets. Par exemple, Action Logement dispose d'une ligne « Innovation » lui permettant d'intégrer certains projets, à l'instar de ceux ayant recours à la brique de terre.

Par ailleurs, je rappelle que Mayotte Habitat représente une interface technique assurant le lien entre les demandeurs et les financeurs, mais qu'elle ne possède pas de pouvoir décisionnel. Elle s'adapte à ce qu'Action Logement et les acteurs locaux décident d'entreprendre. Mayotte Habitat est effectivement implanté à La Réunion et nous avons demandé que cette structure soit relocalisée à Mayotte. Néanmoins, nous rencontrons des difficultés pour faire valoir notre avis à ce sujet.

Toutefois, je tiens à préciser à nouveau que le coeur du sujet ne se situe pas à ce niveau. La principale problématique réside dans le manque de concertation entre les acteurs locaux.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Le comité départemental de l'habitat (CDH) ne se réunit-il pas et n'a-t-il pas fixé d'objectifs récemment ?

M. Ahmed Fadhul Mohamed Soilihi . - Le comité départemental de l'habitat se réunit, mais fait office de chambre d'enregistrement. Seuls des constats y sont formulés, sans un réel échange entre les différents acteurs. Action Logement en a fait état dans le courrier adressé au préfet et au président du conseil départemental. Si le comité départemental de l'habitat ne nous permet pas d'avancer, nous proposons la création d'une autre instance, voire l'organisation d'assises du logement. Il me semble que le problème ne tient pas aux moyens disponibles, mais plutôt à notre capacité à travailler ensemble.

M. Olivier Kremer . - Il faut insister sur les problèmes structurels de logement à Mayotte. Il existe en effet plusieurs freins aux opérations de construction, notamment en termes d'approvisionnement, de coûts et d'expertise. En raison de la forte demande de logement social, nous travaillons sur des projets de financement pouvant être pris en charge à 100 % par les services de l'État. Ces derniers appellent en outre à ce que d'autres opérateurs que la SIM puissent intervenir à Mayotte afin de répondre aux besoins grandissants du territoire. Même si la SIM fournit un travail efficace, l'arrivée d'autres opérateurs répondrait à une nécessité de complémentarité. Je rappelle que nous disposons en effet des moyens financiers, mais qu'il sera nécessaire d'organiser une mobilisation concertée et structurée des acteurs locaux.

Pour répondre brièvement aux questions de Micheline Jacques, je tenais à préciser que la DEAL souhaiterait la création d'un organisme foncier solidaire au niveau départemental qui permettrait de baisser les coûts pour l'accession. Ces derniers sont en effet significativement plus élevés à Mayotte que dans les autres DOM. Les autres objectifs assignés à cet organisme consisteraient à conforter la représentation locale au sein de Mayotte Habitat et à redéfinir les conditions de prêt pour les adapter au contexte local.

Enfin, s'agissant des programmes communaux et intercommunaux de Résorption de l'habitat insalubre (RHI), la CADEMA a énuméré plusieurs projets en cours. Je tiens à souligner à ce sujet que les opérations de RHI diffèrent considérablement en fonction de leur lieu de réalisation. Des spécificités locales, notamment géographiques ou sociales, sont à prendre en compte. Je conclurai en mettant en avant l'un des grands enjeux du territoire, à savoir la nécessité de structurer le secteur du BTP en assurant aux acteurs de ce dernier une montée en compétences et un accompagnement dédié.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Étant également enseignante de formation, j'attache une grande importance à la formation, notamment professionnelle. Effectivement, le logement pourrait être un levier du développement économique à Mayotte et constituer une solution pour de nombreux jeunes se trouvant en situation de précarité sociale, comme dans beaucoup de territoires ultramarins. Il serait ainsi nécessaire que ces nouvelles entreprises du BTP puissent former les jeunes dans l'ensemble de leurs corps de métiers, qui sont particulièrement riches. Cet effort de formation pourrait pallier les difficultés rencontrées par les entreprises pour livrer les logements dans les temps.

M. Olivier Kremer . - À ce sujet, un projet de construction sur Koungou d'une maison des métiers du bâtiment est actuellement à l'étude. Ce projet pourrait en effet apporter des solutions. Je pourrai vous préciser cet élément via une réponse écrite qui vous sera adressée.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Merci, monsieur le directeur. La parole revient maintenant au président de l'EPFAM.

M. Yves-Michel Daunar . - J'apporterai un complément sur la question du portage foncier pour faire écho aux interventions du président de la CADEMA et du sénateur Abdallah Hassani et pour préciser le rôle de l'EPFAM en la matière.

Nos dotations proviennent directement du ministère des outre-mer via la LBU, à hauteur de trois millions d'euros par an depuis la mise en place de l'établissement, ainsi que de subventions. En raison du prix particulièrement élevé du foncier à Mayotte, l'EPFAM ne dispose pas des capacités financières pour assurer le nombre souhaité de transactions foncières. À l'heure actuelle, l'EPFAM est propriétaire de 25 hectares, dont 5 hectares dans le secteur agricole et une vingtaine d'autres en zone urbaine dans la ville de Mamoudzou.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Merci, je cède la parole à Nassimah Dindar, sénatrice de La Réunion.

Mme Nassimah Dindar . - Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants pour leurs précisions sur ce sujet extrêmement important et intéressant. L'acquisition d'un toit constitue un droit fondamental, sans qu'il soit nécessaire de faire référence à la loi sur le droit au logement opposable (DALO). Le rapport de la délégation sénatoriale devra apporter des pistes concrètes.

Aujourd'hui, il manque des logements à Mayotte et les Mahorais, citoyens français, ne vivent pas dans de bonnes conditions. Aucun foyer logement ni foyer de jeunes travailleurs n'existent à Mayotte alors qu'un public très vulnérable est présent sur l'île. Pour la France d'aujourd'hui dans laquelle nous vivons, répondre à ce besoin de logement constitue un défi et une obligation.

Comment construire ? J'ai bien pris acte des difficultés et des lenteurs administratives que chacun des acteurs locaux rencontre. En raison de l'existence d'un habitat vernaculaire, il convient de construire différemment à Mayotte sans reproduire les mêmes erreurs, mais il faut aussi prendre dès maintenant en considération la future entrée en vigueur de la réglementation thermique et de l'autoréhabilitation encadrée. La production de briques est particulièrement soutenue à Madagascar et pourrait être utile à nos territoires, tant à Mayotte qu'à La Réunion.

Je rappelle que l'État souhaite avancer sur la question du logement à Mayotte, comme l'a rappelé la DEAL. Si le comité départemental de l'habitat, une instance que j'ai présidée durant plusieurs années à La Réunion, ne dresse que des constats, pourquoi ne pas nommer un sous-préfet à Mayotte ? Ce dernier pourrait être chargé de mettre en coordination les politiques publiques.

Construire pour qui ? Je crois que la réponse à cette question sera très importante dans la mesure où les Mahorais recouvrent un spectre très large de populations aux besoins différents : certaines personnes doivent être relogées, d'autres doivent bénéficier de logements sociaux et d'autres encore souhaitent accéder à la propriété. Je pense qu'il sera en outre nécessaire de répondre à la question du rapporteur Victorin Lurel : qu'en est-il de l'ALS et des aides apportées aux Mahorais ? Sont-elles différentes de celles octroyées dans les autres DROM ?

Construire avec qui ? L'idée a été émise d'introduire un autre bailleur. Je pense en effet que nous devons nous doter des outils nécessaires pour assurer la coordination des moyens déployés. Comme il a été évoqué, ces derniers doivent être mutualisés plutôt que d'être utilisés en silos. Je tiens par ailleurs à souligner que la SIM produit un excellent travail, mais il ne peut exister de maîtrise du foncier sans aménagement du territoire.

J'en ai terminé avec ces questions. Je ne demande pas de réponse immédiate, chacun pouvant communiquer à la délégation ses réponses par écrit.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Merci, madame la sénatrice. Je donne la parole à la vice-présidente du conseil départemental.

Mme Raissa Andhum . - Je souhaitais réagir à la proposition de la sénatrice Nassimah Dindar visant à nommer un sous-préfet à Mayotte pour assurer la concertation qui nous fait défaut. Pour ma part, je reste dubitative. Je pense que Mayotte a besoin d'un certain nombre d'actions, à l'instar d'évaluations annuelles pour faire état des besoins et des avancées. Concernant le foncier, la majorité des terres appartient au département, qui possède environ 15 000 hectares. Nous poursuivons à cet égard les opérations de régularisation du foncier malgré les difficultés rencontrées, notamment en matière de bornage du fait des occupations illégales.

Parmi les nombreuses propositions formulées au cours de cette table ronde, je retiens et confirme l'importance des problèmes liés au manque de concertation. En outre, je pense qu'il sera primordial d'étendre les allocations logement à l'échelle locale puis d'encourager l'interaction avec les bailleurs sociaux privés. À mon sens, il sera également essentiel de privilégier l'essor de la filière des matériaux locaux, à l'exemple de la brique de terre.

Bien que certains acteurs locaux considèrent que nous ne manquons pas de moyens, la ligne budgétaire octroyée à l'échelle du département n'est à mon avis pas suffisante par rapport aux ambitions de développement du territoire. Je rappelle à cet égard que l'enveloppe allouée aux outre-mer est relativement importante, mais que la part dédiée à Mayotte n'est, à mon sens, pas assez élevée pour le 101 e département qui est aussi le plus pauvre de France.

Enfin, j'attire votre attention sur les urgences qui apparaissent en termes de respect de la biodiversité. Cette dernière se trouve en effet menacée en raison de notre incapacité à fournir le nombre de logements nécessaires aux Mahorais.

M. Ahmed Ali Mondroha . - Je souhaitais revenir sur la question de Victorin Lurel concernant le logement intermédiaire. Il faut savoir que la SIM produit de tels logements. Parmi les 2 100 logements construits par la SIM et que j'ai précédemment évoqués, 523 sont des logements sociaux. La demande en logement social ayant aujourd'hui augmenté, 80 % de nos programmes de construction visent à créer des logements sociaux. Pour autant, nous continuons de construire, pour une part assez importante, des logements intermédiaires libres. De même, sur les 6 000 logements que nous projetons de construire dans les années à venir, 15 % à 20 % d'entre eux seront des logements intermédiaires libres.

Pour répondre à la question sur l'introduction d'un deuxième opérateur dans l'objectif de répondre à la demande grandissante et au besoin de produire en masse, j'attire votre attention sur la nécessité de résoudre en premier lieu les problèmes en amont. Si nous ne réglons pas, par exemple, la problématique du manque d'entreprises structurées dans le BTP, l'introduction d'un second opérateur n'apportera pas de solutions. Ce dernier se heurtera, comme la SIM, aux problèmes d'assainissement, du foncier aménagé et du manque de ressources humaines.

À Mayotte, la SIM ne parvient pas à recruter des personnes détenant les compétences nécessaires à la réalisation de ses projets. Il faut soit recruter dans les écoles de la métropole, soit faire appel à des cabinets de chasseurs de têtes. L'introduction d'un nouvel opérateur n'est pas une mauvaise idée, mais ce n'est à mon sens pas la priorité car, dans l'immédiat, le nouvel opérateur risque d'être confronté aux mêmes problèmes que la SIM.

Au sujet des questions environnementales, je précise que la SIM répond aux exigences d'un guide technique et suit les protocoles indiqués par le support « Mayénergie» de la DEAL. Je rappelle qu'à Mayotte, les normes environnementales sont pour l'heure définies à l'échelle locale pour répondre aux spécificités du terrain.

M. Nizar Assani Hanaffi . - Je souhaite revenir sur la question posée par le sénateur Thani Mohamed Soilihi puis reprise par le rapporteur Victorin Lurel, à savoir : est-il nécessaire de disposer d'un deuxième opérateur social à Mayotte ?

Je répondrai avec instance par l'affirmative, principalement parce que nous devons nous adresser à une nouvelle cible, le jeune actif cherchant à devenir propriétaire, à laquelle nous n'avons pour l'heure pas apporté de réponse. Ce nouvel opérateur pourrait ainsi avoir vocation à encourager l'accession sociale à la propriété. Il me semble nécessaire de préciser ainsi que la création d'un nouvel opérateur ne viserait pas à concurrencer la SIM, mais à apporter une offre complémentaire.

Il est indispensable, comme le soulignait Nassimah Dindar, de traiter la problématique liée à la formation. Encourager cette dernière est en effet l'unique moyen de régler durablement le problème lié au manque d'entreprises structurées. Je tiens à répéter au nom du groupe Action Logement que le problème ne relève pas du manque de moyens, mais d'une concertation et d'une programmation insuffisantes.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Je donne la parole au rapporteur Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je m'adresse au président du Comité territorial d'Action Logement (CTAL) qui vient de s'exprimer en évoquant un manque de concertation et non de moyens. Je suis préoccupé par le travail d'Action Logement, non seulement à Mayotte, mais aussi dans les outre-mer, et je souhaiterais ainsi savoir si l'enveloppe qui lui a été allouée se traduit par la mise en oeuvre d'axes décisionnels qui donneront lieu à des actions concrètes. Comment seront réellement dépensés les 1,5 milliard d'euros prévus pour Action Logement en outre-mer ? Existe-t-il un conflit d'intérêts entre Action Logement et CDC Habitat ? Action Logement devrait proposer les mêmes offres dans les outre-mer que dans l'Hexagone.

Par ailleurs, que fait la Banque des territoires à Mayotte ? Quelles sont les solutions prévues pour loger les étudiants, les jeunes actifs, les retraités, les pensionnaires d'EHPAD ?

Je crois qu'il est nécessaire de répondre à de nombreuses questions qui pourraient enrichir le rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer en vue de porter une éventuelle proposition de loi.

Mme Nassimah Dindar . - En complément de la dernière intervention de la vice-présidente du conseil départemental, est-il envisageable que le département de Mayotte devienne actionnaire d'un bailleur social ?

M. Ahmed Fadhul Mohamed Soilihi . - Je souhaitais répondre aux questions du rapporteur Victorin Lurel concernant Action Logement. À notre niveau, nous n'hésitons pas à nous remettre en question, et l'État devrait également le faire. Le Comité territorial cherche à faire valoir tous les jours les intérêts qu'il défend. Le Plan d'investissement volontaire Outre-Mer répond à l'objectif de développement de l'accession sociale à la propriété à Mayotte. Il s'agit de prêts à taux zéro ouverts aux populations à revenus modestes, quel que soit leur statut d'emploi. Le lancement est en cours depuis le début 2021.

L'enjeu est ainsi de déployer le PIV à court terme, en s'appuyant sur le savoir-faire de Mayotte Habitat, interface sociale et financière unique, tout en veillant à la complémentarité des dispositifs de financements (LBU, Aide au logement de la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte (CSSM) afin de minimiser le reste à charge pour les familles.

Plus largement, une réflexion sur l'adéquation « offre-produits à l'accession » devra être menée pour s'assurer que le dispositif d'accession sociale atteint sa cible à Mayotte au regard notamment de la solvabilité des ménages et de leur capacité d'emprunt.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je suggère à cet égard au président du CTAL de nous faire part par écrit de ses appréciations sur les processus de démolition.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Le mot de conclusion est au président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano . - Je tiens à remercier l'ensemble des participants à cette table ronde. J'ai suivi avec attention les débats qui étaient constructifs et très importants pour le rapport que nous allons produire. La délégation tient à prendre en compte les spécificités propres à chaque territoire. J'ai pris acte des difficultés que vous connaissez pour vous rencontrer sur vos territoires respectifs. Je vous remercie une nouvelle fois de la qualité de vos échanges.

Mme Victoire Jasmin , présidente . - Je tiens à remercier particulièrement les sénateurs de Mayotte pour leur présence. Je vous rappelle que vous avez la possibilité d'adresser par écrit vos réponses aux questions des rapporteurs ainsi que tout complément d'information. Je vous remercie pour votre participation à ces échanges particulièrement riches.

Jeudi 4 mars 2021

Audition de Mmes Valérie MANCRET-TAYLOR, directrice générale, et Céline CASSOURRET, conseillère en stratégie territoriale pour l'outre-mer de
l'Agence nationale de l'habitat (ANAH)

Mme Annick Petrus , présidente . - Le président Stéphane Artano, qui suit notre réunion en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, m'a chargée de l'excuser auprès de vous et de bien vouloir le remplacer pour présider cette réunion.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin deux représentantes d'un établissement public très important pour la politique du logement, l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) : Valérie Mancret-Taylor, directrice générale, et Céline Cassourret, conseillère en stratégies territoriales. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en direction des outre-mer.

En effet, nous connaissons la mission de l'ANAH au niveau national, laquelle consiste à améliorer l'état du parc de logements privés existants pour lutter contre la fracture sociale et territoriale. Nous comptons sur votre éclairage pour mesurer plus précisément votre action dans les outre-mer, en particulier dans le cadre du nouveau plan Logement outre-mer 2019-2022, pour la lutte contre l'habitat indigne ou en faveur de l'émergence de projets innovants.

Pour votre information, je vous précise que nous avons déjà auditionné, dans le cadre de notre étude, la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), la Cour des comptes, l'Union sociale pour l'habitat (USH), l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM), Action Logement, l'Agence française de développement (AFD) et la Banque des territoires. Une table ronde organisée en février nous a permis d'appréhender les problématiques propres à Mayotte. Mardi dernier, lors du débat en séance publique sur le thème « Construire plus et mieux en France », deux de nos collègues, Marie-Laure Phinera-Horth et Viviane Artigalas, sont aussi intervenues pour rappeler l'acuité des réalités ultramarines.

Je laisse la parole aux représentantes de l'ANAH pour une présentation générale sur la base de la trame qui leur a été transmise. Puis je donnerai la parole aux rapporteurs pour des précisions complémentaires, et nous aurons un tour de table pour les questions des autres collègues.

Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) . - Je vous remercie de votre accueil. Je suis accompagnée par Cécile Cassouret : conseillère en stratégies territoriales, elle s'occupe en particulier des départements ultramarins et complétera utilement mon propos.

En propos liminaire, puisque vous avez déjà auditionné la DGOM et la DHUP, je rappellerai brièvement que l'ANAH est un établissement public administratif ayant pour mission depuis cinquante ans d'améliorer le parc privé de l'habitat détenu par des propriétaires occupants et des propriétaires bailleurs, de plus en plus concernés par la rénovation énergétique, laquelle passe par des travaux d'amélioration de l'habitat dans son ensemble.

Le régime des aides de l'Agence est différent en métropole et dans les départements ultramarins. Il a été décidé voilà plusieurs années de créer une ligne budgétaire unique (LBU), gérée par le ministère des outre-mer, pour financer un certain nombre d'actions complémentaires de celles de l'Agence. Par conséquent, nous ne finançons dans les départements ultramarins que les travaux des propriétaires bailleurs - à l'exclusion de ceux des propriétaires occupants - et nous accompagnons les collectivités territoriales dans l'ingénierie, notamment les études préopérationnelles, le suivi-animation et la direction de projet.

Une petite nuance a été introduite dans ce distinguo entre propriétaires bailleurs et propriétaires occupants le 1 er janvier 2020 lorsqu'a été créée une aide nouvelle distribuée par l'Agence : MaPrimeRénov'. Cette aide à la rénovation énergétique a été ouverte à l'origine aux propriétaires occupants modestes et très modestes, et sur l'ensemble du territoire français, c'est-à-dire à la fois en métropole et dans les départements d'outre-mer. Les travaux des propriétaires occupants ultramarins sont donc financés, non sur les programmes « historiques », mais au travers de cette nouvelle aide.

Le décor est campé concernant les règles qui régissent notre intervention outre-mer. Je répondrai donc maintenant aux questions dans l'ordre où elles nous ont été transmises.

Vous avez cité le nouveau plan Logement outre-mer 2019-2022. Nous sommes engagés dans ce plan qui concerne un certain nombre d'établissements publics nationaux, dont l'ANAH. Nous avons notamment, dans une mesure dite « 2.2.2 », établi un programme d'objectifs faisant l'objet d'une convention pluriannuelle entre l'ANAH, le ministère des outre-mer et le ministère de la ville et du logement. Les derniers points de cette convention viennent d'être finalisés, et elle devrait être signée sous peu. Il s'agit d'améliorer l'investissement dans le parc privé, de dynamiser les programmes nationaux à l'instar du programme Action coeur de ville, qui s'est beaucoup développé dans les départements d'outre-mer, du plan « Initiative copropriétés » ou du plan national « Logement d'abord » pour aider les plus démunis à trouver un logement après la rue, sans passer nécessairement par des structures d'hébergement. Des adaptations sont nécessaires pour une bonne articulation entre les financements du ministère des outre-mer via la LBU et les aides de l'ANAH. Elles sont également en cours de réflexion et figurent dans la convention.

Dernier élément très important de ce plan Logement outre-mer 2019-2022, MaPrimeRénov' a donc été ouverte en 2020 aux propriétaires occupants modestes et très modestes - les quatre premiers déciles de la population française -, et depuis le 1 er janvier 2021 à tous les propriétaires occupants, y compris dans les départements d'outre-mer (DOM). Les propriétaires bailleurs pourront en bénéficier à compter du mois de juillet 2021.

Vous nous avez interrogés sur le financement et la coordination, en particulier sur les résultats exceptionnels de l'Agence en 2019 et en 2020, ainsi que sur le déploiement dans les départements d'outre-mer. Trois facteurs principaux expliquent cette situation, à commencer par le fait que l'intervention sur le bâti existant est en constante augmentation et de plus en plus portée par la puissance publique, l'État et les collectivités territoriales. L'incitation à ouvrir moins de terres à l'urbanisation se fait toujours plus insistante dans les documents programmatiques de l'habitat et dans ceux qui sont relatifs à l'urbanisme.

Deuxième facteur, les programmes nationaux lancés par le Gouvernement dès le début du quinquennat : le programme Action coeur de ville, prolongé par le programme Petites villes de demain, le plan Logement d'abord qui permet pour partie d'intervenir sur le parc privé et le plan « Initiative copropriétés » en faveur des copropriétés les plus dégradées.

Troisième facteur, une certaine stabilité budgétaire. Le budget de l'ANAH n'a subi aucune tension budgétaire ces dernières années. Il a même été augmenté par le Gouvernement. En conséquence, les éléments votés par le conseil d'administration de l'Agence en fin d'année pour l'année n+1 sont tenus sur toute l'année. Les programmes impliquent fortement les collectivités territoriales, les opérateurs qui oeuvrent sur le terrain et les habitants. A travers cette implication, nous envoyons vers les territoires des signaux de cette stabilité et d'une capacité à s'engager dans des démarches d'intervention sur l'habitat privé.

Qu'entend-on par « résultats exceptionnels » ? Cela signifie que les objectifs fixés chaque année par le Gouvernement à l'Agence sont complètement atteints, y compris pour 2020, année exceptionnelle de crise sanitaire. Néanmoins, durant le confinement, qui a affecté tous les opérateurs, les services de l'Agence, à Paris et dans tous les territoires, ont réussi à engager les dossiers ; à la sortie de cette période à la fin du printemps de 2020, les entreprises sont retournées sur le terrain et les services ont continué leur action en faveur des propriétaires, y compris le paiement des subventions lorsque les travaux sont réalisés, qu'il s'agisse des aides historiques de l'ANAH ou de MaPrimeRénov'. Nous avons ainsi atteint les objectifs ambitieux qui nous avaient été fixés.

La dynamique est également positive dans les DOM. En effet, en 2021, le montant d'aide qui leur est réservé est en augmentation de 3,3 millions d'euros, dont 700 000 euros sont dédiés à la rénovation énergétique des copropriétés dans le cadre du plan de relance. Outre ces aides, l'enveloppe prévue pour MaPrimeRénov' est quasiment de 1,5 milliard d'euros sur l'ensemble du territoire national. Les propriétaires occupants dans les DOM peuvent en bénéficier s'ils répondent aux conditions d'attribution de l'aide. Aucune limite n'a été fixée entre la métropole et les départements ultramarins.

La deuxième question portait sur le premier bilan du dispositif MaPrimeRénov', lancé en 2020. Les résultats dans les DOM sont un peu en deçà de ceux de la métropole, car c'est une aide nouvelle en outre-mer, alors qu'elle s'inscrivait dans la continuité d'une aide existante en métropole. Lorsque l'ANAH aide des propriétaires bailleurs à réaliser des travaux, elle s'adresse à des personnes qui ne sont pas forcément des professionnels du bâtiment, ce qui requiert de leur part un temps d'adaptation et d'appropriation de l'aide. Nous avons été particulièrement concernés par ce phénomène en 2020, première année où les propriétaires occupants dans les outre-mer ont pu en profiter.

MaPrimeRénov' s'intègre dans un écosystème d'aides spécifiques dans la mesure où une aide de l'ANAH est toujours assortie d'autres enveloppes. Elle est complétée par les certificats d'économie d'énergie en métropole, et par les aides de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans les DOM. Le temps de montage des dispositifs financiers pour accompagner les propriétaires prend du temps. Près de 700 dossiers ont été engagés en 2020 pour bénéficier de MaPrimeRénov'. Entre le 11 janvier dernier, date où cette aide a été plus largement ouverte aux propriétaires occupants, et la fin du mois de février, 500 dossiers ont été déposés. En deux mois, les demandes ont représenté 70 % du volume de 2020. Par ailleurs, quatre cinquièmes des aides de 2020 ont été engagées à La Réunion, département particulièrement dynamique. En revanche, aucune ne l'a été en Guyane et à Mayotte. C'est dire si les différences entre les départements sont réelles.

Le volume de ces aides, qui monte progressivement en puissance, s'explique par la nouveauté du dispositif et le temps nécessaire d'appropriation. Par ailleurs, les aides du programme MaPrimeRénov' ne sont distribuées aux propriétaires que s'ils répondent aux critères d'éligibilité et font appel à une entreprise reconnue garante de l'environnement (RGE), dont le nombre est moindre dans les DOM. Enfin, autre élément important : les besoins en matière de rénovation énergétique sont différents entre les DOM et la métropole ; il convient d'ajuster les aides en fonction des besoins réels. Afin d'adapter les critères techniques aux spécificités ultramarines, un groupe de travail, piloté par la DHUP, a été mis en place, auquel participent la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), la DGOM et l'ANAH.

Concernant MaPrimeRénov', l'ANAH distribue cette aide de l'État mais ne communique pas directement sur ce dispositif. Les actions de communication sont portées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et pilotées par le ministère chargé du Logement. À l'ANAH, nous effectuons un travail d'information et de formation des agents qui oeuvrent pour le compte de l'Agence dans ces départements et nous permettent de communiquer en direction des collectivités territoriales et des opérateurs instruisant ces aides.

Une autre question portait sur le plan Logement outre-mer (PLOM). Une part importante de ce plan concerne l'articulation des aides de l'ANAH et celles portées par le ministère des outre-mer, notamment dans le cadre de la LBU. Cette coordination doit être plus lisible pour les acteurs. Une convention pluriannuelle va être signée par l'ANAH, le ministère chargé du logement et le ministère des outre-mer, dans laquelle on retrouve des dispositions qui n'étaient pas prévues dans le PLOM.

Ce plan met tout d'abord l'accent sur la nécessité de consolider les connaissances. Le parc privé est peu connu, il requiert beaucoup d'études, et nous nous sommes fixés un objectif commun de consolidation des connaissances avec le ministère chargé du logement et le ministère des outre-mer.

Deuxièmement, les actions pour intervenir sur un parc privé sont tout à fait spécifiques. Dans les DOM, on trouve des habitats informels, sans titre de propriété, sur lesquels il est compliqué pour l'ANAH d'intervenir. Une stratégie d'action est donc nécessaire, cela rejoint à la fois la question de la connaissance et les possibilités d'intervention.

Autre axe important, celui de la formation et de l'information. Les modalités d'intervention sur du bâti appellent des compétences spécifiques et complexes. Nous avons besoin de former et d'informer sur les dispositifs existants et les bonnes pratiques.

Dernier axe enfin : le suivi de l'évaluation et du contrôle, afin de dresser des bilans des actions, de lutter contre les phénomènes de fraude et, si nécessaire, de faire évoluer les aides à la lumière des retours d'expérience.

L'impact du programme Action coeur de ville est très positif. Il rejoint notamment un des points évoqués dans le PLOM, avec la mise en place de véritables stratégies d'intervention en concertation avec les collectivités territoriales. Ces interventions relèvent d'une volonté globale de revitalisation territoriale qui concerne la rénovation de l'habitat mais aussi l'amélioration de l'espace public, le développement des mobilités, le traitement des équipements... Céline Cassourret peut vous citer quelques exemples intéressants.

Mme Céline Cassourret, conseillère en stratégies territoriales pour l'outre-mer de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) . - Le déploiement du programme Action coeur de ville est aujourd'hui effectif. Le décalage par rapport à la métropole est lié à l'antériorité des actions de l'ANAH en centre ancien. Ce décalage existe aussi selon les départements. Les Antilles et la Guyane sont allées plus vite dans la mise en place opérationnelle ; La Réunion et Mayotte sont en train de lancer les opérations.

À la Martinique, on peut noter la rénovation du bâtiment emblématique La Nationale, classé monument historique. L'ANAH et Action Logement sont intervenus conjointement, avec un volet rénovation énergétique notable. Des actions ont été menées aussi avec la Fondation du patrimoine.

En Guadeloupe, la rénovation de l'habitat est très dynamique. Par ailleurs, nous venons de lancer l'opération de Cayenne, avec trois dossiers cofinancés par l'ANAH et la direction des affaires culturelles (DAC). Nous pouvons aussi évoquer l'opération lancée à Mayotte, où il faudra attendre quelques années avant d'observer les premiers résultats. Et à La Réunion, plusieurs opérations sont également prévues.

Avec le programme Action coeur de ville, nous sommes passés de 2 à 12 opérations programmées et 5 déjà signées.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - Une question portait ensuite sur l'accompagnement et les financements en ingénierie. Ce terme d'ingénierie recouvre des études de diagnostic, financées par l'ANAH en lien avec les collectivités territoriales, qui permettent de connaître le patrimoine d'habitat privé d'un territoire et aussi son occupation, c'est-à-dire le statut et les revenus des propriétaires, éléments déterminants dans l'orientation des aides.

Céline Cassourret a évoqué certaines opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH). Une étude, au préalable, décide de ces opérations, et ensuite l'ANAH et la collectivité territoriale s'engagent à financer directement les travaux ou à aider les propriétaires pour le financement. De même, l'ANAH et la collectivité territoriale financent ce que nous appelons le suivi-animation, c'est-à-dire la présence sur le territoire d'un opérateur choisi par appel d'offres. Son rôle consiste à engager des actions auprès des propriétaires, en les informant des aides publiques auxquelles ils peuvent prétendre.

Dernier axe de financement de l'agence : la direction de projet. Nous avons constaté, notamment dans le cadre du programme Action coeur de ville, que sur des sujets aussi complexes que l'habitat privé, il est nécessaire d'avoir, au sein de la collectivité territoriale, un chef de projet capable d'animer ces opérations de revitalisation.

Ces trois types d'aides sont déployés dans les DOM. De manière générale, nous observons des insuffisances en ingénierie. Nous constatons une nouvelle montée en puissance des souhaits d'intervention sur le parc privé dans ces territoires. La répartition des financements entre l'ANAH et le ministère des outre-mer n'était, jusqu'à ce jour, ni forcément connue ni bien coordonnée ; c'est l'un des axes d'action du PLOM notamment.

Enfin, je souhaiterais évoquer le cas des opérateurs. Ce sont des structures privées ou associatives qui répondent à des marchés publics, interviennent aussi bien pour réaliser des études que pour assurer le suivi-animation. Leur nombre, dans les DOM, est encore insuffisant. Mais les collectivités territoriales s'engagent de plus en plus en faveur de la revitalisation des centres anciens, et cette dynamique favorise l'activation des financements de l'ANAH en matière d'ingénierie.

Mme Céline Cassourret . - Avec le démarrage, l'an dernier, du programme Action coeur de ville, nous avons augmenté de 50 % nos dépenses en ingénierie en outre-mer. Ce chiffre témoigne d'un changement radical. Une réflexion nouvelle s'est également engagée afin d'avoir des opérateurs habilités à la fois pour la LBU et l'ANAH.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - Le développement de l'offre de logement social n'entre pas du tout dans le champ d'intervention de l'ANAH. Sur le traitement de l'habitat indigne, le financement est pris en charge par la LBU du ministère des outre-mer.

Depuis l'été 2020, le conseil d'administration de l'Agence a délibéré en faveur de deux dispositifs nouveaux : la vente d'immeubles à rénover (VIR) et le dispositif d'intervention immobilière et foncière (DIIF). Ces dispositifs assez complexes, suivis par les services déconcentrés de l'État au niveau local et par les services de l'ANAH au niveau national, permettent d'intervenir sur des ensembles immobiliers complets et uniques, et donc de solliciter des opérateurs de logements sociaux qui peuvent acquérir ces biens, les traiter et ensuite bénéficier des aides de l'agence.

Sur la question des logements informels, et notamment sur ce que l'on peut observer en Guyane et à Mayotte, l'ANAH n'est pas légitime pour intervenir dans ce domaine qui relève de l'urbanisme. L'habitat informel ne permet pas de désigner le propriétaire, on ne sait pas à qui appartient le foncier et l'immobilier. Cette connaissance n'étant pas établie, les aides de l'agence ne peuvent pas être déployées. C'est la raison pour laquelle j'évoquais précédemment la nécessaire connaissance du parc privé, donc de la propriété, et donc du statut du propriétaire.

Céline Cassourret va maintenant vous citer quelques exemples de travaux de rénovation.

Mme Céline Cassourret . - J'évoquerai d'abord les dispositifs, puis les travaux. Particulièrement adaptés au tissu urbain de l'outre-mer, où nous trouvons beaucoup de monopropriétés vacantes et dégradées en centre ancien, des dispositifs comme le VIR et le DIIF permettent aujourd'hui d'intervenir sur ces immeubles via des acteurs parapublics et privés, en les rénovant en intégralité, en les « portant » pendant neuf ans avec des loyers conventionnés, ou en favorisant l'accession sociale à la propriété. Ces dispositifs ont vocation à se développer dans les années à venir.

Les travaux sont adaptés aux conditions locales : les chauffe-eau solaires, les systèmes de protection des toitures, des murs, des parois vitrées, les brasseurs d'air et les menuiseries extérieures « ventilantes ». Une partie de ces travaux est financée par MaPrimeRénov', dont le déploiement est inégal selon les départements et aussi selon les travaux. Le groupe de travail avec la DHUP, la DGEC, la DGOM et l'ANAH a été mis en place pour revaloriser le montant des primes dédiées en fonction des postes de travaux et mieux les promouvoir en outre-mer. Il existe également la prime « Habiter mieux » pour toute rénovation réalisée en outre-mer.

Nous travaillons actuellement sur des adaptations de « MaPrimeRénov' Copropriété », qui correspond à des travaux de ce type à l'échelle des copropriétés. L'opération La Nationale en Martinique est un bon exemple de la rénovation énergétique, ainsi que d'autres opérations récentes en Guadeloupe.

Les associations de quartiers mènent également des actions pour renforcer l'adhésion sociale au projet de reconstruction et de réhabilitation. Nous pouvons citer le travail effectué avec les Compagnons bâtisseurs, notamment en Guyane. Nous avons mis en place des bricothèques-outilthèques qui, en parallèle des rénovations formelles de l'ANAH, mettent à disposition des habitants du quartier concerné des outils, des manières de faire, des formations, de l'information, dans le but de développer une culture de l'amélioration de l'habitat.

On peut citer un autre exemple à Pointe-à-Pitre, avec l'association Atelier Odyssée qui porte le projet « Pli Bel Lari » qui met en valeur le quartier en parallèle des opérations programmées sur le territoire.

Il n'est pas rare, y compris en métropole, que l'on travaille avec des filières et que l'on noue des partenariats avec des associations. La construction et l'animation de ces partenariats, parfois avec des écoles d'architecture, parfois avec des filières d'insertion, peuvent entrer dans les missions de l'opérateur cofinancé par l'ANAH.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - Pour bien préciser les choses, nous ne finançons pas de constructions nouvelles, mais uniquement l'amélioration de l'habitat existant. Tout ce qui relève de l'autoconstruction est financé par la LBU, de même que l'autoréhabilitation. En métropole, ce type d'opération est souvent accompagné par les établissements publics fonciers, qui apportent leur expertise.

Les DOM sont des territoires d'expérimentation et d'innovation. Nous travaillons dans ce sens avec eux, comme en témoigne la convention évoquée précédemment. Pour rappel, c'est sur proposition des collectivités territoriales que l'ANAH examine ces éléments d'expérimentation. L'Agence accompagne les collectivités qui, après avoir délibéré, s'engagent dans ce type d'intervention et mettent à disposition des fonds publics.

La réglementation environnementale 2020, dite RE2020, s'applique exclusivement aux constructions neuves et ne concerne pas les réhabilitations financées par l'ANAH. Notre agence demande une performance énergétique, avec des pourcentages de gains obtenus. La rénovation énergétique en outre-mer fait l'objet d'un examen précis, adapté aux besoins des territoires. Trois types de travaux sont obligatoires à réaliser pour atteindre ce gain énergétique : l'isolation des parois ; le changement de système de chauffage afin d'émettre moins de gaz à effets de serre ; et la question de la ventilation, de l'aération du logement.

L'ANAH, bien entendu, accompagne les filières de matériaux locaux et biosourcés, qui, pour être financés, doivent bénéficier d'un label minimum.

L'une des vocations de l'ANAH est également d'améliorer les patrimoines locaux en finançant les travaux, souvent onéreux, de rénovation. Cela demande une intervention de la puissance publique, notamment des collectivités territoriales.

Enfin, dans les DOM, les travaux liés à la perte d'autonomie des personnes sont pris en charge par la LBU, alors qu'en métropole, l'ANAH apporte une aide spécifique sur ces sujets. Nous finançons actuellement 20 000 logements par an, avec une montée en puissance au fil des ans. Nous avons, sur ce sujet, une ingénierie compétente, et nous essayons d'accompagner les services déconcentrés de l'État et les collectivités territoriales dans les DOM pour améliorer la connaissance et le traitement de ce phénomène de perte d'autonomie.

Mme Annick Petrus , présidente . - Je vous remercie pour la clarté de vos réponses. Je laisse maintenant la parole à nos rapporteurs.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Il y a deux ans, devant l'une des commissions du Sénat, je vous ai interpellé sur l'action de l'ANAH dans les territoires d'outre-mer. Après vous avoir entendu, je suis un peu déçu. On a l'impression que l'ANAH n'a pas une action très dynamique en outre-mer. Je souhaite vous interroger sur vos trois types de travaux.

Le premier type de travaux concerne la rénovation énergétique, avec deux sortes d'aides : « Habiter mieux sérénité » et MaPrimeRénov'. L'aide « Habiter mieux sérénité » a-t-elle une réalité en outre-mer ? Apparemment, non. Concernant MaPrimeRénov', vous avancez le nombre de 700 dossiers. Pour quels montants ? Et pour combien d'années ?

Votre prédécesseur, à l'époque, m'avait répondu qu'il intervenait sur l'amélioration de l'habitat. En métropole, on connaît deux types d'aides : « Habiter sain » et « Habiter serein ». Là encore, est-ce une réalité en outre-mer ? Pour quels montants, quels territoires, quelle durée ?

Enfin, vous réalisez des travaux afin d'adapter le logement, notamment pour les personnes en situation de perte d'autonomie, avec l'opération « Habiter facile » en métropole. Quelle est la réalité, encore une fois, de ces interventions en outre-mer ?

Je n'ai pas trouvé de distinction juridique sur l'exclusivité de la LBU d'outre-mer, écartant l'intervention de l'ANAH, notamment sur l'adaptation de l'autonomie. En quoi cela interdit-il à l'ANAH d'intervenir ? Pourquoi ne serait-ce pas complémentaire ?

Enfin, comment s'organisent vos services et combien de personnes sont dédiées aux outre-mer ? Dans chaque territoire, quel est le dispositif d'information déployé pour une effectivité plus importante ?

Nous aimerions voir l'ANAH intervenir beaucoup plus dynamiquement dans nos territoires !

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Les études pré-opérationnelles permettent-elles d'apporter une aide aux collectivités, et ainsi identifier les habitations informelles pour les accompagner vers la régularisation ?

Je suis déçue que les associations de quartier ne soient pas plus impliquées dans les opérations, alors que ces habitants sont les plus à même d'apporter des informations intéressantes sur les réalités du quotidien.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Quel est votre avis sur la mise en place d'Assises de la construction ultramarine ? Seriez-vous prête à y participer ?

La RE2020 a encore été repoussée. Quelles sont vos propositions sur son adaptation aux territoires d'outre-mer ?

Je pense aussi que vous pourriez renforcer votre lien avec les entreprises, en termes de formation.

Vous avez répondu de façon satisfaisante sur la question de l'utilisation des matériaux locaux, mais vous mériteriez de prendre un rôle d'initiative pour pousser les filières du bois et de la terre compressée.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - La répartition entre le ministère des outre-mer et le ministère du logement sur le financement de l'habitat privé est fixée par le code de la construction et de l'habitation. La LBU portée par le ministère des outre-mer et le budget de l'ANAH, votée annuellement par son conseil d'administration, font bien évidemment l'objet d'une répartition interministérielle, arbitrée par Matignon.

Nous allons vous préparer les éléments financiers sur 2020, voire 2019, en ce qui concerne les différents types de propriétaires - propriétaires bailleurs et propriétaires occupants -, selon les territoires. Je l'ai dit dans mon propos liminaire, l'intervention de l'ANAH est beaucoup plus faible dans les départements ultramarins qu'en métropole, compte tenu de la répartition précédemment évoquée. Nous n'accompagnons pas les propriétaires occupants dans les départements d'outre-mer, sauf pour MaPrimeRénov' depuis janvier 2020. Seuls les propriétaires bailleurs sont concernés par notre aide.

À chaque étude préopérationnelle impliquant la mise en oeuvre d'une direction de projet et du suivi-animation, les financements de l'ANAH en ingénierie ne font pas de distinguo entre propriétaires occupants et propriétaires bailleurs. L'ingénierie est cofinancée par l'ANAH à hauteur de 50 % des montants engagés par les collectivités, quel que soit le type de propriétaire et de propriété.

Sur la rénovation énergétique, deux dispositifs d'aide sont déployés : MaPrimeRénov' et « Habiter mieux sérénité ». Concernant MaPrimeRénov', je l'ai dit, 700 dossiers ont été déposés en 2020, et 500 dossiers depuis le début de l'année 2021. Cette aide relève bien de la fusion du crédit d'impôt transition énergétique (CITE) et d'un ancien dispositif de l'ANAH, « Habiter mieux agilité ».

Quant à l'aide « Habiter mieux sérénité », elle permet de faire des rénovations globales. Elle a fait depuis plus de deux ans l'objet d'une expérimentation spécifique pour les départements d'outre-mer, notamment à destination des propriétaires occupants. Mais aucun dossier n'a été déposé...

Sur l'amélioration de l'habitat, les dispositifs « Habiter sain » et « Habiter serein » permettent de réaliser des travaux d'intervention lourds. Ils sont parfois mobilisés par les propriétaires bailleurs, mais jamais par les propriétaires occupants puisque nous ne les aidons pas dans les territoires ultramarins. Ces dispositifs sont compensés par la LBU portée par le ministère des outre-mer.

En ce qui concerne l'autonomie, le dispositif « Habiter facile » est mis en place avec des règles similaires, quoique plus draconiennes en ce qu'il ne s'applique pas dans les départements d'outre-mer - tout est traité par le ministère des outre-mer.

La situation est encadrée d'un point de vue législatif et réglementaire. C'est ainsi que, dans la convention qui nous lie au ministère des outre-mer et au ministère du logement, nous souhaitons rechercher les meilleures articulations possibles entre la LBU et les aides de l'ANAH, afin d'éviter la sous-exécution collective. La solution se trouve dans l'intervention stratégique des collectivités territoriales sur les champs d'intervention de l'habitat privé, la définition de la politique à mener sur ces territoires et des financements en ingénierie qui permettent d'accompagner cette intervention.

S'agissant de la communication, un certain nombre de dispositions sont prévues par le code. C'est l'Ademe qui en a la charge. L'information que fait l'ANAH vis-à-vis des services déconcentrés de l'État ou des collectivités territoriales est absolument indifférenciée. L'ensemble des départements d'outre-mer et de métropole sont conviés à nos réunions bitrimestrielles avec les services déconcentrés.

Concernant les équipes dont nous disposons dans les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), la DHUP sera en mesure de vous répondre puisque c'est sous son autorité et celle des préfets, que sont placés les services déconcentrés de l'État. Pour sa part, l'ANAH se contente d'animer ces services avec les équipes de tous les départements pour les informer et les former. Mais je n'ai pas autorité sur elles, et n'en connais pas précisément les effectifs. Ces équipes sont simplement mises à disposition pour traiter la politique de l'habitat privé dans le champ des politiques de l'habitat portées au niveau national.

La résorption de l'habitation indigne s'effectue grâce à la LBU. Concernant l'ingénierie, notre aide apportée aux collectivités territoriales se fait indépendamment des champs d'aide aux travaux. Nous les accompagnons dès lors qu'elles souhaitent mener une étude sur un territoire donné, y compris lorsqu'elles découvrent de l'habitat informel. Nous en finançons le diagnostic, mais les actions de régularisation ne relèvent pas de notre compétence.

Mme Céline Cassourret . - L'opération programmée d'amélioration de l'habitat à Maripasoula, en Guyane, est déployée dans les territoires à fort taux de logements informels. L'opérateur, avant régularisation, fait le repérage et se met en lien avec l'établissement public foncier et d'aménagement (EPFA).

Notre politique permet la mise en place de cette animation et de ces partenariats locaux, mais tout dépend de la volonté des élus, des associations et des habitants de s'intégrer dans cette dynamique.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - Nous faisons au mieux, avec une attention toute particulière portée à ces départements.

Il y a un an, Céline Cassourret et moi-même avons fait un tour des départements d'outre-mer, par conférences dématérialisées. À cette occasion, nous avions réalisé un travail avec l'ensemble des DEAL afin d'entendre toutes les difficultés auxquelles les services déconcentrés sont confrontés, et pour alimenter la convention qui nous lie aux ministères des outre-mer et du logement. Les champs d'interventions demeurent limités par le cadre législatif et réglementaire.

Un décret nous autorise à faire de l'expérimentation, mais elle doit être proposée par les collectivités. Toute proposition qui nous est soumise sera examinée et pourra faire l'objet d'une délibération ad hoc en conseil d'administration, ou simplement d'une instruction spécifique.

Quant à l'adaptation de la RE2020 aux territoires d'outre-mer, il me semble qu'elle est examinée par la DHUP dans le cadre du groupe de travail qui est en place.

Mme Céline Cassourret . - La RE2020 s'applique aux constructions neuves. L'Agence est uniquement chargée de l'amélioration des habitations existantes. En revanche, nous participons à la discussion sur la réhabilitation de l'habitat. Tous nos régimes d'aide sont soumis à une performance énergétique en sortie. Nous travaillons donc sur ces sujets, mais pas forcément sur l'adaptation de la RE2020.

Mme Valérie Mancret-Taylor . - S'agissant des Assises de la construction ultramarine, nous sommes favorables à toute disposition mettant en partenariat différents corps de métiers, de structures de fabrication de matériaux, pour permettre de déployer la connaissance. En cas de sollicitation, nous expliquerons la façon dont les aides de l'ANAH peuvent être mobilisées dans ces territoires.

M. Stéphane Artano . - Je vous remercie pour la clarté de vos propos qui permettent de mieux connaître le niveau d'intervention de l'ANAH en outre-mer dans les différents territoires.

Jeudi 4 mars 2021

Audition de MM. Nicolas GRIVEL, directeur général, et Benoît ZELLER, directeur opérationnel, de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU)

Mme Annick Petrus , présidente . - Le président Stéphane Artano, qui suit notre réunion en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, vous prie de bien vouloir l'excuser et il me revient de le remplacer pour présider cette réunion.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer nous avons le plaisir d'accueillir ce matin deux représentants d'un établissement public très important pour la politique de la rénovation urbaine, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) :

Nicolas Grivel, directeur général et Benoît Zeller, directeur opérationnel. Nous vous remercions messieurs d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en direction des outre-mer.

En effet, nous connaissons la mission de l'ANRU au niveau national, laquelle consiste à accompagner les collectivités et les bailleurs sociaux pour mettre en oeuvre de vastes projets de rénovation dans des quartiers vulnérables. Nous comptons sur votre éclairage pour mesurer plus précisément votre action dans les outre-mer, en particulier dans le cadre du nouveau plan logement outre-mer 2019-2022, pour la réhabilitation des centres-villes anciens ou encore en faveur de l'émergence de projets innovants.

Pour votre information, je vous précise que nous avons déjà auditionné, dans le cadre de notre étude, la direction générale des outre-mer (DGOM), la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), la Cour des comptes, l'Union sociale pour l'habitat (USH), l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (Ushom), Action Logement, l'Agence française de développement (AFD), la Banque des territoires et que nous venons d'auditionner l'Agence nationale de l'habitat (ANAH).

Je laisse la parole aux représentants de l'ANRU pour une présentation générale sur la base de la trame qui leur a été transmise. Puis je donnerai la parole aux rapporteurs pour des précisions complémentaires, et nous aurons un tour de table pour les questions des autres collègues.

M. Nicolas Grivel, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) . - Je vous remercie Madame la présidente et suis ravi d'être parmi vous pour évoquer ce sujet important et essentiel pour nous qu'est l'outre-mer. En effet, l'outre-mer occupe une place particulière pour l'ANRU qui est très attachée à la réussite des projets menés dans les cinq départements et régions d'outre-mer (DROM) sur lesquels nous intervenons.

Je rappellerai brièvement que l'ANRU été créée par Jean-Louis Borloo en 2004 à l'occasion du lancement d'un premier programme, le programme national de rénovation urbaine, dit PNRU, qui s'achève cette année. Pour la plupart des territoires les opérations sont désormais terminées, mais elles se poursuivent encore cette année pour d'autres territoires, dont plusieurs sites outre-mer. L'ANRU poursuit son action à travers un second programme, dit Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), démarré dans ses bases législatives et ses intentions financières et réglementaires en 2014. Une première phase de conception des projets nous a permis, au niveau national, de valider entre 2018 et début 2020 les projets de 400 quartiers sur les 450 concernés et d'allouer plus de 10 milliards d'euros de concours financiers, comprenant des prêts et des subventions. Le dernier Comité interministériel des villes (CIV) a abondé le nouveau programme national de rénovation urbaine de deux milliards d'euros supplémentaires pour les quartiers. Aussi, nous opérons sur certains sites une jonction entre le PNRU et le NPNRU au sens où certaines opérations commencées dans le premier programme se termineront dans le second programme.

L'ANRU intervient outre-mer dans chacun des départements et régions d'outre-mer (DROM) - mais elle n'intervient pas dans les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie. Le PNRU nous a permis d'intervenir fortement en mobilisant plus de 400 millions auxquels il faut ajouter, étant donné les spécificités d'intervention de l'ANRU outre-mer, plus de 300 millions d'euros au titre de la ligne budgétaire unique (LBU) du ministère des outre-mer. Sur ce sujet, il n'existe pas de difficultés opérationnelles étant donné que la gestion de ces crédits s'effectue en articulation avec les préfets et les DEAL, délégués territoriaux de l'agence qui gèrent par ailleurs la ligne budgétaire unique.

Le NPNRU est conçu en continuité avec le premier programme du PNRU et ses déclinaisons locales (Projets départementaux de rénovation urbaine - PDRU). Pour certains sites, déjà inscrits au PDRU, les périmètres d'interventions du NPNRU peuvent englober des secteurs d'intervention différents que ceux du premier programme. Par ailleurs, de nouvelles villes ont intégré le NPNRU après une phase de préfiguration qui nous a permis de valider une part substantielle des projets d'outre-mer. Ainsi, ont d'ores et déjà été validés, les six projets de La Réunion, trois projets à Mayotte, le projet de Fort-de-France en Martinique et celui de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, ce qui représente plus de 300 millions d'euros d'engagements financiers validés. Cet engagement financier est amené à progresser puisqu'il reste encore à valider les projets de Cayenne et de Matoury en Guyane ainsi que les sites de Cap Excellence, des Abîmes et de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. L'Agence statuera sur ces projets dans le courant du mois de mai 2021. Enfin, nous allons positionner une clause de revoyure sur certains projets en concertation avec les élus.

J'aborderai désormais les points communs et les spécificités que l'on rencontre dans la conduite des projets que l'on soit en métropole ou en outre-mer.

J'insisterai en premier lieu sur les points communs. Tout d`abord, l'ANRU mène, tant en métropole qu'en outre-mer, une même logique de transformation des quartiers sensibles. De ce fait, il n'existe pas d'un côté un programme spécifique au territoire métropolitain et de l'autre côté un programme dédié aux outre-mer. Nous encourageons sur l'ensemble des projets tous les moyens qui permettent d'améliorer l'aménagement des quartiers, de renforcer les équipements publics et de renforcer le développement du commerce qui améliore la qualité de vie et donne l'envie d'y résider et d'y rester.

Le deuxième point commun est que nous suivons une même logique de gouvernance globale de nos programmes. Les élus locaux sont à la manoeuvre, entourés d'équipes techniques et d'une ingénierie que l'ANRU soutient financièrement. L'Agence s'adapte aux temporalités et aux capacités d'intervention locales pour concevoir et mettre en oeuvre ces projets en tenant compte des spécificités de portage que l'on rencontre en outre-mer

Enfin, le troisième point commun tient à fonctionnement qui opère à travers les délégations territoriales, via le préfet qui s'appuie sur les services de la DEAL qui sont les interlocuteurs privilégiés des acteurs locaux et suivre le développement du programme. L'ensemble de ces éléments témoigne d'une même finalité d'objectifs visant à la transformation des quartiers tant en métropole que dans les territoires ultramarins.

Des spécificités existent cependant en outre-mer et c'est notre devoir de les prendre en compte, comme on le ferait pour la métropole.

En premier lieu, il existe une spécificité législative qui tient à la loi de nouvelle géographie prioritaire, dite loi Lamy, de 2014. Cette loi a, en métropole, porté au niveau intercommunal la gouvernance de la politique de la ville alors qu'elle l'a laissée dans les outre-mer au niveau communal, malgré une forte incitation, à recourir à un portage des EPCI. L'Agence a appuyé cette incitation de portage au niveau intercommunal afin de traiter et de réfléchir aux dysfonctionnements des quartiers. La recherche d'une stratégie d'habitat à l'échelle d'un territoire doit permettre d'intégrer diverses dimensions tels que la politique de mobilité et de déplacement ou le développement économique. De façon évidence, l'échelle d'un quartier, ou celle d'une commune, ne sont pas adaptées pour porter une telle stratégie.

L'agence a pu porter l'idée que les intercommunalités s'associent davantage aux projets de l'ANRU en outre-mer, avec des succès relatifs selon la dynamique des intercommunalités et la capacité coopérative locale. En raison des difficultés financières de certaines communes, les intercommunalités peuvent porter les projets pour permettre une capacité de déploiement sur le NPNRU probablement plus forte comme c'est le cas pour Cap Excellence en Guadeloupe.

D'autres modèles que l'on retrouve à La Réunion ou en Martinique, sont caractérisés par l'association entre une commune, qui assure le portage politique et la maîtrise d'ouvrage des opérations, et son intercommunalité qui vient appuyer le financement des projets. Il s'agit là d'un premier élément de spécificité outre-mer.

Deuxièmement, d'autres spécificités ont trait à la diversité des situations d'habitat dans ces territoires. Comme en métropole, on retrouve dans les quartiers ultramarins des concentrations de logements sociaux qui se sont dégradés au fil des années. Cependant, en métropole, les logements sociaux ont été construits dans les années 1960 et 1970 alors qu'en outre-mer le parc social s'est constitué plus tardivement, remontant aux années 1980 voire aux années 1990. Les interlocuteurs de l'ANRU dans ce domaine sont les bailleurs sociaux, ainsi que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et sa filiale de la Caisse des dépôts-Habitat (CDC-Habitat) qui interviennent en termes de participation et de structuration du secteur des bailleurs sociaux, ainsi que le groupe Action Logement qui intervient sur un certain nombre d'opérations.

Dans les DROM, l'ANRU est intervenue dans le cadre du PDRU dans les quartiers de Pointe-à-Pitre, Les Abymes, à Fort-de-France et à Cayenne ainsi qu'à La Réunion où l'on retrouve des conditions d'habitat ancien dégradé que dans les centres-ville ou à proximité. Les bailleurs sociaux sont les interlocuteurs les mieux positionnés pour répondre aux problématiques d'habitat privé. Par ailleurs, la résorption des habitats informels et spontanés suppose des besoins en ingénierie plus marqués, ce qui constitue là aussi une spécificité des outre-mer où ce type d'habitat est très répandu. Ces constructions, similaires à des bidonvilles, se sont établies depuis longtemps sur des bases fragiles, y compris au niveau juridique, principalement à Mayotte et en Guyane. Il nous faut ainsi être en capacité de traiter toutes ces situations en recherchant évidemment des solutions qui s'ajustent le mieux au terrain. Il faut une forte capacité de portage des dossiers sur ces projets structurants et complexes. C'est tout l'enjeu de l'ingénierie qui doit permettre un portage efficace de ces projets structurants, dont la mise en oeuvre est parfois complexe. Ce sujet de l'ingénierie revient fréquemment en outre-mer. L'Agence propose plusieurs formes d'accompagnement aux collectivités : le co-financement des postes de chefs de projets, le financement d'études (notamment pré-opérationnelles) et la mise en oeuvre de missions d'appui complémentaires permettant d'apporter une expertise de pointe. Ces dispositifs sont généralement très utiles et fortement sollicités en outre-mer, où certains départements se trouvent confrontés à des vacances de postes significatives pour les chefs de projets, pouvant retarder la mise en oeuvre des projets.

L'Agence est mobilisée tant au siège national que dans les missions territoriales, formant l'équipe de Benoît Zeller, avec deux chargées de mission spécialisées pour les DROM : une pour les Antilles-Guyane, et l'autre sur l'océan Indien. Nous échangeons avec elles très fréquemment, bien que la période actuelle ne permette pas de se rendre sur place, et avons acquis depuis longtemps une véritable habitude de travail pour soutenir et accompagner ces territoires. En dépit des difficultés que nous pouvons rencontrer, des initiatives très intéressantes se mettent en place notamment avec le nouveau programme de rénovation urbaine.

M. Benoît Zeller, directeur des opérations de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) . - Je veux dire que l'ensemble des collectivités porteuses de projets, sont aujourd'hui très mobilisées sur la finalisation des opérations du PDRU. Comme pour l'ensemble des sites en métropole, l'Agence a pu procéder en outre-mer à des prolongements, des reports d'échéance, des clôtures ou des reports d'opérations dans le nouveau programme (NPNRU). Ces actions ont permis de sécuriser l'ensemble des projets de manière à ce qu'ils soient menés à leur terme. Aujourd'hui, de nombreux chantiers liés à la finalisation du programme PDRU sont en cours sur la plupart des sites ce qui permettra de bien démarrer le programme suivant, le NPNRU.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'ai pour nos invités deux demandes d'informations.

Premièrement, quel est aujourd'hui le montant du financement de l'ANRU ? Quelle est la part d'Action Logement dans ce financement ? Quelle est la participation des bailleurs sociaux et plus particulièrement celle de la cotisation de la Caisse générale du logement locatif social (CGLLS) ? Quelle est la participation des outre-mer dans ce financement étant donné que nos fédérations de logements participent à cette cotisation ? Par ailleurs, nous avons des interrogations sur la saisie de la CGLLS et sur son effectivité dans nos territoires étant donné que les garanties sont données par les collectivités, en particulier les régions et départements. De plus, le fonds national d'aide à la pierre n'intervient pas dans nos territoires.

Deuxièmement, êtes-vous informés de l'opération de rénovation menée par la Société immobilière de Guadeloupe (SIG), filiale du groupe CDC-Habitat, qui aura lieu à Pointe-à-Pitre ? Cette opération sera-t-elle incluse dans la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et fera-t-elle l'objet d'une attention particulière dans l'examen que vous porterez bientôt sur les projets de Pointe-à-Pitre et des Abîmes ? Quelle part tient l'ANRU dans cette opération, si toutefois elle y participe ?

M. Nicolas Grivel . - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. Je répondrai à la première question, puis Benoît Zeller complétera pour la deuxième.

D'abord, concernant le financement de l'ANRU, la loi de nouvelle géographie prioritaire (Loi Lamy) de 2014 a permis le financement de l'ANRU à hauteur de 5 milliards d'euros, financés à l'époque à 93 % par Action logement. En faisant un coup de rétroviseur sur le premier programme, PDRU, le financement initial prévu en 2004 était répartis entre 50 % pour l'État et 50 % pour Action Logement. Le désengagement de l'État en 2009 fait que la grande majorité des 12 milliards du programme national de rénovation urbaine ( PNRU) a été financé par Action Logement.

Sur le nouveau programme, NPNRU, fin 2016, un milliard supplémentaire a été promis par l'État, même s'il fallait évidemment le confirmer dans la nouvelle configuration post-2017. Cette configuration nous a permis d'avoir à partir des 5 premiers milliards un doublement du programme avec un milliard de l'État, qui était effectivement confirmé, 2 milliards supplémentaires d'Action Logement et 2 milliards apportés par les bailleurs sociaux qui ont choisi de mutualiser une partie de leurs moyens via la CGLLS afin de contribuer à ce doublement financier. Ce sont eux, les bailleurs sociaux, les grands bénéficiaires du financement de l'ANRU, en ayant fait le choix de ce passage à 10 milliards d'euros. La mutualisation engendrée par la cotisation de l'ensemble des bailleurs sociaux permet ainsi d'aider davantage de population en difficulté et ayant d'importants besoins dans les quartiers au patrimoine très dégradé. Cette situation demeure encore inscrite dans la loi.

Par ailleurs, lors du Comité interministériel aux villes (CIV) du 29 janvier, 2 milliards supplémentaires ont été programmés pour abonder le budget de l'Agence. Ces 2 milliards d'euros sont répartis à hauteur d' 1,4 milliard par Action Logement, à hauteur de 200 millions par l'État, et d'un peu moins de 400 millions d'euros par la prolongation de la cotisation de la CGLLS. Je ne saurais pas répondre à votre question concernant la part de la contribution des bailleurs sociaux d'outre-mer à la CGLLS, mais à ma connaissance il n'existe pas de spécificité pour les outre-mer.

M. Benoît Zeller . - L'un des principaux sites sur lequel nous intervenons est le site de Cap Excellence qui implique deux communes et les bailleurs notamment dans le quartier de Bergevin. C'est un quartier d'une très grande taille qui connait plusieurs problématiques et nécessite une réelle intervention sur la qualité du bâti du fait notamment de l'exposition aux risques sismiques. Cela comprend la réhabilitation et la reprise du bâti existant, deux opérations relativement complexes. Des études sont en train d'être consolidées pour savoir quelle option est la plus adaptée pour permettre de conserver une partie du bâti en fonction des pierres de construction. La plupart des hypothèses se fondent cependant sur la nécessité d'un renouvellement quasi intégral afin de reconstruire des logements qui respectent parfaitement les normes en vigueur. Ces enjeux interrogent sur le sujet majeur du relogement tant sur le site de Bergevin que sur l'ensemble des sites de renouvellement urbain de Pointe-à-Pitre et les Abîmes. En effet, le processus de renouvellement urbain implique d'abord le relogement des ménages dans des conditions correctes. C'est à ce stade que les collectivités et les bailleurs travaillent sur la mise au point de jauges et engagent les étapes de renouvellement urbain qui passent par une planification à long terme. Une première étape peut être de contractualiser rapidement la mise en oeuvre des opérations. Comme vous l'évoquiez, Monsieur le sénateur, la connaissance du maître d'ouvrage de l'opération est fondamentale puisque ce bâti est propriété de la ville de Pointe-à-Pitre tout en étant géré par la SIG. Des discussions sont actuellement en cours pour connaître le porteur de projet qui sera accompagné par l'Agence à hauteur de 80 % du déficit de l'opération sur la partie démolition. Un certain nombre d'arbitrages restent à prendre localement de manière à pouvoir le présenter au comité d'engagement et passer rapidement en phase opérationnelle.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'ajoute une dernière demande d'information concernant les programmes de réhabilitation, de démolition, et de réhabilitation. J'ai bien compris que vous n'intervenez, en termes de réhabilitation, que dans les quartiers de la politique de la ville, les QPV. En dehors des QPV, comment finance-t-on ces programmes de rénovation urbaine ?

M. Nicolas Grivel . - Ce sont les financements de la LBU classique sur la réhabilitation. Il se trouve que même dans un quartier de l'ANRU c'est la LBU qui finance également la réalisation dans le cas d'un projet global d'intervention. L'ANRU n'intervient pas pour les projets de réhabilitation situés en dehors des quartiers. Cependant, il s'agit de la même origine financière en termes de circuits financiers.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je me focaliserai principalement sur la résorption de l'habitat indigne.

Selon vous, quel modèle faut-il privilégier selon les territoires : accession sociale à la propriété ou logement locatif social, propriétaire des murs ou propriétaire du foncier ? Quelles solutions trouver pour les populations ne pouvant pas accéder aux aides au logement et prétendre au logement social ? Que prévoit le NPNRU en matière de diversification d'habitat et de développement de l'habitat privé ?

Quelle opération l'ANRU peut-elle mener pour remédier à la vacance importante des logements aux Antilles ? Quelles actions concrètes sont mises en place par l'ANRU pour concourir à la redynamisation de l'activité économique et à la création de pôles d'activité dans les territoires ?

Comment les habitants, partenaires indispensables pour la réussite des projets sont-ils associés aux opérations de renouvellement urbain ? Rencontrez-vous des difficultés locales pour assurer l'adhésion des populations aux projets ?

Enfin, quelles sont les actions de l'ANRU pour la résorption de l'habitat indigne ? Comment assurer le relogement des populations ?

M. Nicolas Grivel . - Ce sont là des questions centrales. Les problématiques sont différentes suivant les territoires et les difficultés ne sont bien sûr pas les mêmes à La Réunion et à Mayotte, qui se trouve dans une situation un peu extrême. J'ai eu la chance de visiter les quartiers de La Réunion avec des élus de Mayotte, à l'occasion d'un forum interrégional. Une partie des logements sociaux sur lesquels nous intervenons aujourd'hui à La Réunion ont été construits pour résorber des bidonvilles, qui ressemblaient fortement à ceux qui existent aujourd'hui à Mayotte.

La construction de logements sociaux ne peut pas se réaliser de manière univoque et uniforme sur tous les territoires. Nous devons trouver des solutions sur mesure, territoire par territoire, quartier par quartier. Nous nous adaptons également aux formes d'habitat qui sont souhaitées par les habitants. On le voit à Mayotte ou en Guyane, où l'habitat collectif n'est pas forcément recherché par les habitants et dans lesquels il faudrait réintervenir dans 20 ou 30 ans. S'agissant de l'habitat individuel, nous aidons au développement d'autoréhabilitation et d'autoconstruction.

S'agissant de la diversification, nous savons à l'ANRU que ne construire que du logement social, a fortiori concentré dans les mêmes quartiers, crée des difficultés.

M. Benoît Zeller . - L'enjeu de la diversification est très important alors même que ces territoires concentrent aujourd'hui l'essentiel des ménages en grande précarité.

Les outils d'aide d'accession sociale sont cruciaux et nous avons des difficultés avec les opérateurs pour trouver des produits bien dimensionnés, notamment en termes de coûts et de capacités d'investissement des ménages. Action Logement travaille beaucoup sur ces sujets et nous recensons actuellement les bonnes initiatives en la matière. Il y a bien un déficit d'outils et de dispositifs.

S'agissant de l'aide à la régularisation de logements, je prendrai des exemples sur Mayotte où nous travaillons en collaboration avec la DEAL et l'EPF sur des modèles de construction rapides avec des coûts d'investissements limités. Existe également l'enjeu de l'achèvement des maisons, avec notamment le travail sur l'extension des bâtiments et l'importance des normes en matière de sécurité (accès incendie, sécurité sanitaire...).

M. Nicolas Grivel . - Ce travail se fait en s'adaptant aux besoins des territoires, aux aspirations des populations et aux réalités démographiques spécifiques. L'importante pression démographique à Mayotte et en Guyane impose ainsi d'augmenter l'offre de logements disponibles. La situation est très différente aux Antilles, où existent des problématiques de vieillissement de la population, qui exige d'adapter les logements en conséquence. Il faut adapter l'offre aux réalités d'aujourd'hui mais également aux projections démographiques.

S'agissant de la participation des habitants, elle est souhaitée et promue globalement sur l'ensemble des projets. Dans les cas de projets de très long terme, la consultation arrive souvent très tôt, ce qui peut générer une forme d'impatience et d'incompréhension. Si l'on n'arrive pas à associer suffisamment les habitants, nous échouons dans la mise en oeuvre du projet. Cependant, ces consultations sont indispensables et peuvent s'appuyer sur les conseils citoyens, qui ont été promus par la loi ainsi que sur les associations de locataires.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je voudrais vous interroger sur la qualité de vos relations avec les décideurs et notamment avec les élus locaux. Est-ce que des élus vous sollicitent pour un accompagnement dans le développement de quartier ? La demande et la volonté sont là mais les dispositifs restent compliqués à mettre en place s'il existe des divergences au sein des intercommunalités.

M. Nicolas Grivel . - C'est un sujet en effet permanent. Cela renvoie à la question du soutien en ingénierie que nous finançons, par les études que l'on peut diligenter et par les missions que nous pouvons également mener au cas par cas. L'accompagnement de projet, de gouvernance et de travail auprès des populations sont cruciales, et pas seulement en outre-mer.

Globalement il existe des convergences de vues sur ces sujets, qui restent assez consensuels. Il peut cependant y avoir des « grains de sable dans les rouages », pour être euphémique. La force de notre action est de s'inscrire sur un temps assez long, ce qui est assez rare en matière de politiques publiques. Nous apportons une crédibilité pour permettre aux élus de s'engagent sur des projets lourds et complexes à porter, notamment auprès des populations.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je voudrais intervenir sur la question de l'innovation dans l'habitat de demain. Vous avez déjà répondu en partie à certains éléments mais je voulais notamment avoir des précisions sur la démarche « ANRU+ », qui permet d'accompagner les porteurs de projets pour soutenir certaines expérimentations et diffuser les pratiques les plus innovantes. Quelle est son application outre-mer ? Quels sont vos actions en termes d'auto-construction et d'auto-réhabilitation encadrées ?

Par ailleurs, comment les opérations de renouvellement urbain intègrent-elles les contraintes climatiques et les enjeux environnementaux, que ce soit en lien avec la réglementation thermique, l'acoustique, l'aération des bâtiments, la création d'îlots de fraîcheur, ou le recours à des solutions innovantes en termes de gestion des eaux pluviales ? Comment intégrez-vous l'ensemble de ces éléments dans vos opérations ?

Outre celui de Bon Air à Fort-de-France, d'autres projets d'éco-quartiers ont-ils été programmées en outre-mer et pouvez-vous nous donner des exemples ? Comment améliorer la performance énergétique des logements neufs et des logements anciens outre-mer ? Comment la réglementation RE2020 devrait-elle être adaptée en outre-mer ?

La réglementation RE2020 actuellement en cours de réflexion prévue en juillet, va être repoussée. Comment peut-on mieux l'adapter aux territoires d'outre-mer et avez-vous des propositions à effectuer à ce sujet ? Comment assurer l'adaptation des logements aux contraintes démographiques, notamment le vieillissement des populations et quelles sont les actions menées par l'ANRU sur le Patrimoine bâti remarquable, notamment sur les centres historiques ? Comment répondre aux besoins en construction de logements tout en évitant l'étalement urbain à l'articulation des sols ? Enfin, bien qu'elle n'intervienne pas dans ces territoires du fait de leur statut, l'ANRU a-t-elle développé des initiatives réussies avec la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française qui pourraient servir de modèle dans les DROM ?

M. Nicolas Grivel . - Ces questions sont là aussi passionnantes. Nous avons effectivement quelques programmes d'innovation que nous gérons dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir (PIA) que l'ANRU gère pour le compte de l'État, en complément des financements évoqués précédemment. Nous avons fonctionné par appels à projets et à manifestations d'intérêt. On aurait pu craindre que les outre-mer soient très peu représentées, du fait de la complexité des dossiers à monter et de leur capacité limitée en ingénierie. Mais ce n'a pas été le cas et les acteurs locaux se sont fortement mobilisés. La thématique mise en avant cette année est celle de l'agriculture urbaine, qui permet un changement d'image des quartiers, d'attractivité et de participation à la transition écologique. Les départements d'outre-mer sont d'ores et déjà très présents dans ces projets, mais encore plus dans leur deuxième tranche. Il est très positif que ces départements aient participé à ces expérimentations.

Concernant les habitats, nous avons avancé à Mayotte et en Guyane, notamment sur le « village chinois », à Cayenne, avec une intervention sur une centaine de maisons. Cela nous a permis aussi d'avancer sur notre propre conception globale sur ce sujet d'autoconstruction et d'autoréhabilitation ainsi que sur la prise en compte des risques. Nous essayons d'aider les territoires à structurer des filières et des savoirs pour renforcer cette prise en compte. Concernant la gestion de l'amiante, les chantiers connaissent de nombreuses difficultés, du fait de l'absence de gestion locale de ce matériau et de son coût d'acheminement vers l'Hexagone. Nous intervenons parfois pour des démolitions d'immeubles construits dans les années 1980 ou 1990, ce qui pose bien sûr la question de la durabilité des constructions.

En termes d'éco quartier, nous intervenons à la Ravine blanche à Saint-Pierre à La Réunion, qui a été pendant longtemps le seul éco-quartier dans l'océan Indien. Dans celui de Bon Air à Fort-de-France, des interventions ont permis de résorber des habitats de copropriété très dégradés.

Nous essayons aussi d'agir sur les friches urbaines, en créant des habitats qui soient plus adaptés aux besoins des populations. Nous ne sommes compétents que sur les départements d'outre-mer, mais nous avons cependant développé des formes de partenariat et de coopération avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Il y a des partages d'expertise, des transferts d'expérience. La sénatrice de Guyane se souvient surement de Nancy Chenu, qui était notre chargée de mission historique et qui a accepté après sa retraite de faire une mission en Nouvelle-Calédonie puis en Polynésie, pour transmettre ses compétences. Mais ces partenariats ne se sont pas véritablement formalisés dans des projets concrets et nous sommes limités dans notre capacité d'intervention. Nous n'avons pas réussi à stabiliser dans le temps des projets durables.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Je n'ai pas de questions, je souhaiterais simplement partager ma joie quant à l'existence de l'ANRU. J'ai été maire de Cayenne et nous avons réussi, grâce au soutien de l'ANRU, à changer véritablement nos quartiers, qui se transformaient en bidonvilles et qui se paupérisaient. Aujourd'hui, nos citoyens vivent mieux. J'appelle tous les élus à solliciter l'ANRU, qui est un acteur très efficace pour nos communes. Je ne peux que vous féliciter et vous encourager à impulser vos actions dans le plus grand nombre de nos communes !

M. Nicolas Grivel . - Je prends vos remerciements, bien que nous ne le méritions qu'en partie puisqu'il s'agit avant tout de projets locaux, portés par les acteurs locaux. L'ANRU intervient évidemment pour appuyer et aider le développement de projets. Mais rien n'est possible sans une réelle capacité et volonté locale d'avancer. Le mérite est plus que partagé. Nous sommes ravis de voir les effets que nos actions peuvent produire localement et resterons à vos côtés pour poursuivre ce qui a été entrepris.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - J'aurais juste une question sur votre expérience quant à l'utilisation de matériaux locaux, la mise en place de filières locales et sur l'organisation des compétences des entreprises. Il nous est en effet apparu au cours des précédentes auditions, qu'il y avait souvent une problématique en termes de compétences et de structuration des entreprises. J'aimerais connaître votre avis sur la mise en place de filières de matériaux locaux, à l'exemple du bois, de la terre, etc.

M. Nicolas Grivel . - Nous n'avons pas de spécificités sur ces sujets qui nous feraient dire des choses différentes de ce que vous avez déjà entendu. Les financements que l'ANRU apporte peuvent selon moi aider à structurer ces filières et à structurer un marché sur l'utilisation des ressources locales. Je citais le sujet de l'amiante, qui est dans la cible de ce que vous évoquez. Nous n'avons actuellement aucune filière locale de gestion et de stockage de l'amiante dans les DROM et devons l'acheminer dans l'Hexagone, ce qui implique d'importants surcoûts. C'est pour ces raisons que nous avons mené avec le ministère une réflexion sur ce sujet dont les débouchés ne sont pas opérationnels.

M. Benoît Zeller . - Le recours par les collectivités territoriales à des bureaux d'études dont les pratiques ne sont pas forcément spécifiques aux DROM conduit souvent à déconnections avec les réalités locales. On nous a ainsi proposé du béton désactivé pour Mayotte, qui est lourd de conséquences en termes d'import et de bilan carbone alors que des solutions locales existent. Nous incitons les architectes locaux et les bureaux d'études à une vigilance pour le recours à des matériaux locaux.

M. Stéphane Artano . - Je vous remercie messieurs de votre disponibilité et je vous prie de m'excuser de ne pas être parmi vous aujourd'hui. Je pense que nous avons eu, lors de ces échanges avec l'ANAH et l'ANRU, un large champ d'horizon qui permettra d'alimenter les réflexions de la délégation Je remercie tout particulièrement Annick Petrus de m'avoir suppléé à la présidence pour animer ces deux auditions.

Mme Annick Petrus , présidente . - Je vous remercie et je vous propose de clore la réunion.

Jeudi 11 mars 2021

Audition de MM. Nawfal BOUTAHIR, directeur, Valéry LAURENT, conseiller du président, et Stéphane BROSSARD, en charge de l'antenne de La Réunion du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction de bâtiment (BNTEC)

Mme Annick Petrus , présidente . - Le président Stéphane Artano m'a chargée de l'excuser auprès de vous et de bien vouloir le remplacer pour présider cette réunion.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, nous avons le plaisir d'accueillir trois représentants du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) : Nawfal Boutahir, directeur, Valéry Laurent, conseiller du président, et Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du BTP, en charge de l'antenne BNTEC de La Réunion. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et de permettre ainsi à nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, de vous interroger sur vos actions en direction des outre-mer.

Chers collègues, cette séquence est consacrée aux enjeux de production de normes et de certification des matériaux ou techniques du BTP dans les outre-mer. Elle sera suivie de l'audition de deux autres organismes incontournables dans ce domaine : le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ces organismes ont été auditionnés par notre délégation en 2017 lors de la préparation du rapport d'information, publié cette même année, sur les normes techniques dans le secteur du bâtiment et des travaux publics dans les outre-mer. Quatre ans plus tard, la présente étude est l'occasion d'actualiser l'état des lieux de la situation du logement outre-mer et de mesurer les évolutions afin de savoir si elles sont allées dans le sens des 35 recommandations faites par notre délégation.

Je laisse la parole aux représentants du BNTEC pour une intervention liminaire synthétique sur la base de la trame qui leur a été transmise. Puis je donnerai la parole aux rapporteurs pour des précisions complémentaires, et nous ferons un tour de table pour les questions des autres collègues. Nous vous invitons également à nous faire parvenir par écrit tous les éléments d'information utiles à nos travaux.

M. Nawfal Boutahir, directeur du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC) . - Je tiens tout d'abord à remercier la délégation sénatoriale pour son invitation. Nous avons effectivement déjà eu l'occasion de travailler ensemble en 2017 pour le rapport « le BTP outre-mer au pied du mur normatif ». À cette occasion, vos collègues sénateurs Michel Magras et Vivette Lopez ont pu s'exprimer, lors de nos rencontres du BNTEC, un évènement réunissant les acteurs de la normalisation des bâtiments. Leurs interventions, durant ces rencontres, sont par ailleurs disponibles dans un compte-rendu accessible sur le site internet du BNTEC.

Nous recommandions de pérenniser l'initiative de normalisation ultramarine menée à La Réunion, avec l'appui du BNTEC, pour l'adaptation des documents techniques unifiés (DTU). Ces DTU, initiés par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) dans les années 1950 en France métropolitaine, décrivent les techniques traditionnelles utilisées dans le secteur du bâtiment. Ces documents qui précisent les règles de l'art de la construction des ouvrages - sans avoir recours à des essais, ou à une qualification et une innovation pointues - ont rejoint en 1990 le corpus normatif français, ce qui leur permet d'afficher le logo « NF DTU » et de suivre le processus de normalisation français régis par l'AFNOR (Association française de NORmalisation).

En tant que bureau de normalisation sectoriel, le BNTEC est spécialisé dans les techniques et équipements de la construction et a, depuis sa fondation, le statut d'association sans but lucratif régi par la loi du 1 er juillet 1901. Le bureau a été fondé en 1990 par la Fédération Française du Bâtiment (FFB), un de nos membres fondateurs avec l'Institut technique de la FFB. Sa mission première est de codifier le savoir-faire des métiers du bâtiment et notamment des NF DTU. Notre bureau de normalisation agit par délégation de l'AFNOR dans le cadre du décret du 16 juin 2009 et de la norme NF X50-088 relative à l'activité des bureaux de normalisation. Nous sommes également agrées par le ministère chargé de l'industrie qui nous confère le droit d'exercer le métier de normalisateur. Notre bureau est composé de vingt-trois membres actifs, représentant les unions et syndicats de métiers de la FFB, chargés d'animer 94 commissions de normalisation et de mettre à disposition des ingénieurs de métiers, selon le principe d'une association de moyens. Ainsi, chaque métier propose un ou plusieurs ingénieurs métier qui vont travailler sur la technique et actualiser ou rédiger de nouveaux textes DTU. Nous avons également un membre associé, le Syndicat des automatismes, du génie climatique et de la régulation (ACR), non membre de la FFB, qui est chargé de suivre les sujets de normalisation sur la régulation du bâtiment. Notre association est ouverte à tous les acteurs de la FFB et aux autres acteurs de la construction. Le BNTEC dispose également d'une direction de coordination, que je représente, en charge d'effectuer le suivi de la réglementation et de vérifier le respect des règles de la normalisation. Cette direction s'assure que les commissions de normalisation, gérées par les syndicats de métier, respectent les règles de rédaction et le processus de normalisation.

La production de normes destinées aux outre-mer, est un point régulièrement abordé lors de nos réunions de travail, pour inscrire de nouveaux projets dans l'optique d'associer au maximum les départements et régions d'outre-mer. Je laisserai Stéphane Brossard, qui représente notre organisation à la Fédération Française du Bâtiment (FFB), expliquer le fonctionnement de la commission BNTEC à La Réunion.

M. Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du BTP (FRBTP) . - Je suis le président de la commission technique de la FRBTP. Grâce au programme PACTE (Programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique) piloté par l'Agence Qualité Construction (AQC), nous avons en 2015 bénéficié d'une subvention pour animer à La Réunion une commission miroir du BNTEC national. Il nous semblait que les travaux effectués dans de nombreux cas d'expertise ou de sinistre majeur étaient conformes au DTU mais inadaptés aux contraintes locales. Par exemple, le climat tropical de La Réunion est caractérisé par une pluviométrie très importante ne se reflétant pas dans le DTU. La Réunion connaît en effet des conditions de vents cycloniques et une très forte humidité qui font la singularité de nos climats tropicaux. La commission miroir du BNTEC, mise en place sur l'île, n'a pas l'ambition de reprendre tous les DTU, mais a pour objectif premier de focaliser nos efforts sur certains aspects. Cela nous a permis d'identifier que 70 % des gros sinistres sont liés à des problèmes de toitures, de murs et de menuiseries. Nous avons amendé les DTU nationaux afin d'améliorer et de « tropicaliser » leur contenu. Cette situation nous a permis de proposer un plan d'action. D'abord, nous avons travaillé sur l'adaptation du NF DTU 20.1. Ce DTU englobe les blocs de construction, dits « américains », produits à La Réunion qui participent à la création des façades. Ensuite, nous avons travaillé sur les DTU 40.35 et DTU 40.36 qui englobent les couvertures métalliques, tout en sachant que le DTU 40.32 sur la tôle ondulée a été supprimé par l'AFNOR en 2003 alors que 30 % des résidences de logement sont encore construites à La Réunion avec ce matériau.

L'amendement de ces DTU requiert d'importantes ressources humaines puisqu'il nous faut des ingénieurs possédant une connaissance du terrain, des entreprises locales et de leur savoir-faire, pour pouvoir animer correctement les réunions de travail. Par ailleurs, pour pouvoir être agréé BNTEC, nous avons reçu une formation sur la certification. Nous devons dorénavant pérenniser ce travail entrepris dans les règles de l'art, ce qui permettra de prévenir 70 % des sinistres sous nos climats tropicaux.

M. Nawfal Boutahir . - La commission existante à La Réunion a atteint son régime de croisière. Par ailleurs, je tiens à rappeler que le DTU 20.1 a été validé hier pour passer à l'enquête publique et nous espérons qu'il puisse, dans les six prochains mois, être publié et mis à disposition des acteurs locaux.

De nombreuses préoccupations existent concernant l'étanchéité des murs, l'ouverture, les façades en béton, l'isolation par l'extérieur et la menuiserie extérieure. Il en est de même pour les équipements, notamment ceux de plomberie et d'eau chaude sanitaire qui constituent un véritable sujet d'actualité à La Réunion.

Concernant la deuxième question posée, un travail considérable est réalisé à La Réunion. Pour d'autres territoires, comme la Martinique, nous ne disposons pas d'informations claires sur l'avancée des réflexions, malgré des contacts avec les acteurs du bâtiment locaux afin de profiter de l'élan créé par La Réunion. Au BNTEC, nous avons l'idée d'associer les DOM sur les problématiques qui leurs sont communes afin d'être plus performant. En effet, le respect des normes requiert un travail de longue haleine. Je passe la parole à Valéry Laurent pour évoquer le sujet de l'adaptation des normes au réchauffement climatique.

M. Valéry Laurent, conseiller du président du Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction de bâtiment , BNTEC . - Du point de vue de la normalisation, on conçoit différemment l'adaptation des constructions au réchauffement climatique et l'amélioration des performances énergétiques des habitats neufs et anciens. Des travaux de normalisation ont été menés sur certains de ces aspects, tant au niveau international, afin de fixer les grands principes et méthodes générales, qu'au niveau européen, où nous sommes régis par le règlement sur les produits de construction. Ce règlement intègre un certain nombre de caractéristiques sur les matériaux de construction et le dimensionnement des ouvrages. Cependant, les règles de l'art de la construction sont très peu intégrées et dépendent des écosystèmes, technico-réglementaires et assurantiels, propres à chaque pays.

Concernant l'adaptation des constructions au changement climatique, les règles de l'art s'adaptent en fonction des besoins de l'ensemble des acteurs de la construction et sous l'effet de l'évolution des réglementations techniques issues des législations nationales. Je peux prendre quelques exemples : nous avons échangé récemment avec la Fédération Française du Bâtiment en Martinique, ce qui nous a permis de comprendre que les règles de l'art, telles qu'elles existent, bien que nécessitant une adaptation locale propre à chaque territoire, permettent de construire des ouvrages résistants et résilients. La problématique se pose davantage du côté du cadre réglementaire. Nous avons échangé hier avec le Groupe de coordination des normes du bâtiment (GcNorBât-DTU), une enceinte de concertation de l'AFNOR, sur l'absence de certains textes réglementaires, prévus par la législation. S'agissant des vents cycloniques, il manquerait un décret d'application, ce qui rend compliqué la prise en compte de nombreuses dimensions.

Concernant les règles de l'art, je précise que les normes AFNOR sont des normes d'utilisation volontaire. Cela signifie que l'on peut appliquer les bonnes pratiques de construction sans avoir à attendre la réglementation pour le faire. Un certain nombre de territoires restent très dépendants des contextes géographiques et économiques.

Par ailleurs, selon le témoignage des professionnels de ces commissions, la diminution de l'activité économique des entreprises de la construction est corrélée à la hausse des constructions informelles. Dans les endroits sans activité économique, il est très difficile de travailler suivant les règles de l'art de la construction. Nous avons pu constater une tendance générale d'une perte de compétences, à partir de la crise économique et financière de 2007, ce qui peut entraîner, du fait du rétrécissement du secteur, une hausse accrue de sinistralités.

M. Stéphane Brossard . - La RTAA-DOM, en tant que réglementation différente du cadre national, propose une ventilation traversante des logements qui permet de s'exonérer de climatisation. Cela a permis de réduire les coûts carbone émis en phase d'exploitation. En phase de construction, le PACTE a permis de financer un bureau d'étude réunionnais pour créer un logiciel dénommé TEC-Tec (Tropical Energie Carbone Réduction). Développé localement à La Réunion, il permet de faire l'analyse des cycles de vie d'un ouvrage en fonction des systèmes productifs et des matériaux utilisés. Sans aucun avantage fiscal, ni sollicitation par les pouvoirs publics, ce logiciel est donc resté entre experts de la construction.

M. Nawfal Boutahir . - Il faut préciser également que le BNTEC est un opérateur qui répond aux besoins du terrain. L'exemple le plus complet est celui du DTU 20.1, sur la maçonnerie en petits éléments, où nous attendons que les opérateurs, parties prenantes et intéressées d'un sujet, identifient un besoin. Ensuite, ils nous font une demande d'accompagnement dans la rédaction du document conformément aux règles de normalisation. Le BNTEC accompagne, aide et soutient éventuellement les idées d'adaptation qui peuvent concerner les outre-mer.

M. Valéry Laurent . - En matière de normalisation, l'un des grands principes est d'associer l'ensemble, comme l'a précisé le directeur du BNTEC. Par ailleurs, dès 2017 nous avons décidé de donner la main directement aux outre-mer pour écrire les règles de l'art et proposer les adaptations à mettre en oeuvre dans ces territoires, avec l'aide des commissions nationales. Nous sommes heureux de voir que la communauté de la normalisation nous a suivis dans ce projet pour faire ce qui n'avait pas eu lieu depuis une quinzaine d'années, lorsqu'une première tentative d'adaptation des normes du bâtiment avait échouée.

Les experts métropolitains n'ont pas nécessairement une bonne connaissance des territoires et ne peuvent donc pas écrire toutes les règles de l'art pour les outre-mer. À l'image de celle qui existe, il faut développer des commissions locales de normalisation.

Je reviens maintenant sur la question de la reconnaissance des normes étrangères. Au BNTEC, les DTU représentent, d'une part, des techniques de construction ne provoquant pas de sinistres largement maîtrisées et diffusées, au plan national, par la maîtrise d'oeuvre et les entreprises de travaux et, d'autre part, des techniques dites traditionnelles. Par ailleurs, les normes volontaires, ou moins volontaires, de la construction sont aujourd'hui essentiellement élaborées au plan européen et en anglais. Ceci génère un travail de traduction qui n'est pas forcément accessible aux experts ultramarins. Le marquage CE (Conformité Européenne), conçu pour la libre circulation des produits de construction à l'intérieur du marché européen, n'est pas adapté aux outre-mer. Sans expertise ultramarine présente lors de la rédaction des normes applicables, certains aspects n'ont pas été suffisamment pris en compte pour permettre l'adaptation du règlement européen qui s'applique dans tous les pays de l'Union européenne, y compris dans nos territoires.

Concernant la reconnaissance des normes étrangères, il faut rappeler que nous sommes régis en matière d'assurance par le régime de la loi relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, dite loi Spinetta. Ainsi, un ouvrage bien conçu, selon la réglementation française ou la RTAA-DOM, utilise des produits pour lesquels nous avons suffisamment de retours d'expériences afin d'éviter les sinistres. Cela implique de caractériser les produits afin que les professionnels puissent se les approprier et construire selon les techniques qu'ils maîtrisent. Nous avons ainsi travaillé avec la Nouvelle-Calédonie, même s'il n'existe pas encore de commission locale de normalisation. À l'exemple de La Réunion nous constatons que, dans les départements d'outre-mer, la production locale n'est pas toujours suffisante pour combler les importations de matériaux de construction tels que le bois.

En Martinique, avec l'importation de bois brésiliens, la problématique est de savoir si l'utilisation de ces produits est possible pour construire des ouvrages répondant aux règles de l'art définis au niveau national. Pour ce faire, il faut d'abord pouvoir caractériser les produits pour savoir si les techniques de production sont bien adaptées. Les normes européennes, conçues essentiellement pour le continent, peuvent ne pas suffisamment décrire ces produits d'importation provenant d'autres régions du monde. Le CSTB a été chargé par le ministère du logement d'établir des correspondances - ou des propositions - entre les normes nationales et certaines normes étrangères adaptées en fonction du territoire. Cet organisme sera plus à même de vous en parler.

Le marquage CE est un règlement qui impose au fabricant la présentation de la performance du produit qu'il a mis sur le marché. Le fabricant s'engage à respecter ces performances mais le marquage n'implique pas de notion de qualité.

Les informations relatives à la sécurité du produit figurent dans la déclaration de performance. Des produits comme des câbles électriques, des portes coupe-feu affichent ainsi leur performance en matière de sécurité incendie.

M. Nawfal Boutahir . - Il s'agit de la notion d'aptitude à l'emploi. Je prends l'exemple d'un morceau de bois marqué CE. Rien n'assure que cet élément de bois peut servir à être brûlé en cheminée, à fabriquer un meuble ou un bâtiment de huit étages. Il reviendra à l'entreprise de faire des investigations au-delà du marquage CE pour vérifier que ce matériau peut servir à construire un bâtiment de huit étages. Le marquage CE dans le secteur de la construction n'est pas un gage de qualité. Nous sommes ici sur une question d'ouvrage et non pas de produit. C'est une différence très importante et nous tentons de faire passer ce message via les actions de formation. Je laisse la parole à Stéphane Brossard sur ce sujet de la formation. En tant qu'entrepreneur, il est le plus à même de répondre à cette question.

M. Stéphane Brossard . - Concernant l'évolution possible du marquage CE, nous ne sommes pas contre l'exonération pour les produits importés des pays régionaux qui respectent des contraintes sociales minimum, tels que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande pour La Réunion ou les États-Unis pour les Antilles. Ainsi par exemple, alors que c'est un des meilleurs du monde, la Guadeloupe ou la Martinique ne peuvent pas importer le brasseur d'air fabriqué en Floride, car il n'est pas marqué CE.

Pour pallier cette difficulté, il faut créer, par territoire, un organisme d'évaluation de la bonne conformité à l'usage. Par le passé, nous avions créé à La Réunion le label « Géocert », toujours utilisé par certains industriels, avec une commission très élargie où siègent l'industriel producteur du matériau, les assureurs, les bureaux de contrôle, les maîtres d'oeuvre... Cette commission valide, par retour d'expérience et recoupement d'informations, la mise sur le marché du produit, à La Réunion, en fonction des contraintes climatiques tropicales locales. Des tôles, des laquages de tôles, certaines menuiseries et certains blocs de façades ont ainsi été labellisés « Géocert ». Ce label se place en dehors du cadre de la réglementation et de la norme, mais il garantit au maître d'ouvrage la conformité du produit par rapport aux contraintes de son ouvrage. Si on l'exonère du marquage CE, la conformité du produit doit pouvoir être vérifiée localement.

M. Valéry Laurent . - J'ajouterais deux éléments pour compléter. Le règlement européen des produits de construction s'appuie soit sur des normes harmonisées, assez contraignantes dans le processus d'évaluation du produit, soit sur l'évaluation technique européenne. Il s'agit là d'une démarche volontaire du marquage CE sur un champ plus restreint d'évaluation. Par ailleurs, il faut aussi des organismes d'évaluation sur place pour travailler localement. Il pourrait aussi y avoir une ouverture auprès des pays étrangers - bien que cela ne soit pas encore prévu par la réglementation - disposant de leur propres laboratoires pour répondre aux exigences du marquage CE et apporter légitimement des produits dans les territoires ultramarins voisins. Par ailleurs, un type de marquage CE volontaire pourrait fonctionner puisque la réglementation européenne sur la libre circulation des produits de construction le prévoit pour les importateurs ou fabricants étrangers. Pour comparaison, prenons l'image d'un restaurant avec une réglementation imposant un processus de contrôle sanitaire comparable au règlement de produits de construction. En tant que client cherchant un bon restaurant, vous vous dirigez vers le guide Michelin et non vers cette réglementation. Il en est de même pour la construction, où nous souhaitons développer des labels et des certifications pour évaluer la qualité et la conformité des produits.

Nous travaillons ainsi sur deux aspects différents : le premier concerne la libre circulation du produit qui implique pour le fabricant d'afficher des caractéristiques du produit ; le second concerne l'utilisation de labels qui peuvent être utilisés dans des marchés publics pour répondre aux besoins des maîtres d'ouvrage.

M. Nawfal Boutahir . - Effectivement, il s'agit d'une piste à l'étude. En revanche, pour un tel système dérogatoire, il faut veiller à ne pas compliquer le système européen, pour que cela ne devienne une « usine à gaz ». Il faut aussi penser aux entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, qui n'ont pas nécessairement les moyens d'analyser des normes faisant souvent plus d'une centaine de pages.

M. Stéphane Brossard . - Je souhaite ajouter un élément s'agissant de l'adaptation des bâtiments aux conditions climatiques. Des DTU de solutions de construction existent au niveau national sur des micros marchés tels que des maisons en ossature métallique ou en ossature bois. La filière sèche permet de s'exonérer de l'utilisation systématique de béton prêt à l'emploi qui pose problème. Du fait du problème de la ressource en cailloux dans nos territoires, cette filière peut constituer une alternative qu'il faut regarder de très près puisqu'elle permet de construire à des coûts et délais maîtrisés. Je pense que si des DTU, notamment le DTU 32.3, étaient amendés, cette technique, très peu utilisée au niveau national, pourrait être généralisée sur nos territoires ultramarins.

M. Valéry Laurent . - Nous avons bien identifié cette demande qui émane de tous les territoires d'outre-mer et même de la métropole. C'est-à-dire de valoriser les productions locales et notamment les PME/TPE au niveau local et d'adapter tant que possible les règles de l'art aux besoins locaux.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Quel peut être le rôle des DEAL (Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement) pour accompagner l'expertise locale ?

Vous avez aussi évoqué les produits venant de l'étranger ainsi que les produits traditionnels. Avez-vous réalisé des études sur l'utilisation de ces matériaux, sur la manière dont ils ont traversé le temps et dont ils ont pu résister aux éléments climatiques. Je pense notamment aux produits venant des États-Unis pour le bassin antillais.

J'aurais également une question concernant la brique de terre cuite. Je laisserai à mon collègue Guillaume Gontard le soin de développer sur la brique de Mayotte. On retrouve aussi en Martinique une brique fabriquée avec de la terre cuite qui a fait ses preuves. J'aimerais savoir où en est son processus de normalisation et si elle est toujours utilisée dans la fabrication du logement individuel.

M. Nawfal Boutahir . - Pour ce qui concerne la DEAL, il faut savoir que sa présence est nécessaire puisqu'elle est reconnue comme interlocuteur-clé et comme moteur. La normalisation est une activité qui a pour obligation de rassembler autour de la table toutes les parties prenantes et intéressées. En tant que bureau de normalisation nous sommes dans l'obligation d'aller les chercher, mais nous sommes tout à fait favorables si une synergie se crée entre les différents acteurs.

M. Stéphane Brossard . - Concernant la présence d'expertise, nous avons la chance à La Réunion d'avoir des laboratoires et un centre, le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT), qui nous permettent de faire des essais de résistance à la corrosion, sur la menuiserie et des essais mécaniques avec l'Université. Nous avons travaillé sur des guides comme celui sur les isolants qui tient compte des nombreux microclimats de La Réunion. Le retour d'expérience sur les isolants nous permet, en fonction de la position du bâti, situé par exemple soit en bord de mer ou en altitude, de faire une recommandation des matériaux à utiliser. Tout cela est le fruit de nos travaux et nous demandons qu'il y ait une reconnaissance au niveau national de ces expertises locales.

M. Valéry Laurent . - Pour compléter également sur l'action des DEAL, comme l'a dit Nawfal Boutahir, nous pensons qu'elles sont un acteur moteur et essentiel. Nous partageons des informations techniques quant à leur investissement et avons reçu les témoignages de plusieurs territoires. Nous avons aussi pris connaissance du rapport de la Cour des comptes et du contenu du Plan logement outre-mer qui invite à constituer ces groupes de travail. Je pense que l'action des DEAL sera essentielle pour produire des effets plus rapidement.

Vous aviez aussi une question sur les productions locales, comme la terre cuite ou la bagasse. Ce sont des produits qui sont utilisés, fabriqués et maîtrisés localement par des techniques sans qu'il soit nécessaire de les caractériser au sens où nous l'entendons en certification. Il faut savoir aussi que cela peut exister en France métropolitaine au niveau du chaume ou du tavaillon dans d'autres pays. Il n'y a pas nécessairement de documents rédigés. La problématique peut se présenter pour établir des règles de l'art afin de mieux diffuser, caractériser les produits et mieux maîtriser les techniques. Cela peut être fait dans le cadre des commissions locales de normalisation puisque l'expertise locale est présente. Il faudra sans doute l'accompagner avec des laboratoires locaux pour pouvoir caractériser les choses. Je n'y vois pas de freins dans l'absolu. Cela dépend aussi de la façon dont on vit avec cet habitat. On sait très bien qu'on a tendance à construire en dur pour cinquante ans, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis où on construit beaucoup plus en bois avec des maisons pouvant se déplacer. Rien n'interdit dans la normalisation de faire ce type d'action. Une réelle volonté de compréhension de la situation locale est nécessaire puisque la construction d'un ouvrage engage la responsabilité des pouvoirs publics et doit fournir des garanties au maître d'ouvrage et à l'assureur. C'est une question qui revient très fréquemment.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - J'aimerais évoquer l'exemple des tiges de fer pour ces bâtiments. Pour avoir discuté avec des travailleurs du bâtiment à Saint-Barthélemy, le fer qui arrivait des États-Unis était plus souple comparativement à celui venant d'Europe. Le fer européen cassait plus facilement d'où la préférence des travailleurs du bâtiment pour le fer américain qui permettait de mieux préserver les constructions lors de mouvements sismiques. Cet exemple démontre la nécessité de s'adapter aux réalités. Je suis ravie de voir ce que vous avez mis en place à La Réunion. Les Assises de la construction, que propose mon collègue Guillaume Gontard, pourraient être l'occasion de mettre en avant toutes ces techniques. L'ensemble des territoires ultramarins étant soumis à la salinité, aux cyclones et au séisme, je pense qu'au lieu de démultiplier, il serait nécessaire de partager toutes ces techniques entre les différents territoires.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je voudrais revenir sur la question du réseau et du partage d'informations qui est essentielle. Nous avons évoqué la possibilité de mettre en place des Assises de la construction, et je pense en effet que les retours d'expériences sont indispensables pour ces territoires.

J'aimerais citer l'exemple de la paille. Le Réseau français de la construction en paille (RFCP) permet aux artisans et aux bureaux d'étude de faire reconnaître leurs pratiques, notamment auprès des assureurs. Cela permet l'usage de ces matériaux et le développement de retours d'expérience qui participent à l'encadrement de cette utilisation. De même, s'agissant du bois, il existe dans mon département un label « Bois des Alpes », se fondant sur des critères géographiques et sur les caractéristiques précises de l'utilisation de ce bois ou encore « l'AOC Bois de Chartreuse » qui définit les méthodes de récolte et de travail sur le bois et permet le développement d'une filière propre.

Comment parvenez-vous à travailler, territoire par territoire, pour coordonner les différents acteurs que sont les architectes, entreprises, artisans, organismes de certification et assureurs et pour assurer la certification et la formation des entreprises ?

M. Nawfal Boutahir . - Il existe un cinquième intervenant, que vous avez peut-être oublié de citer, qui sont les contrôleurs techniques. Dans le secteur de la construction nous avons cinq catégories d'intérêts principaux : les contrôleurs techniques, les entreprises de travaux, la maîtrise d'oeuvre, les fabricants et les maîtres d'ouvrage. Pour que le document DTU soit reconnu par la profession, il faut l'accord de ces cinq parties, ce qui n'est pas évident à obtenir. Cette situation fait que la rédaction des DTU prend autant de temps, comme l'illustre le DTU 20.1 dont les travaux ont débuté en 2017 et qui sera prochainement validé. Concernant l'utilisation de matériaux locaux, nous sommes totalement en phase avec le secteur de la construction, notamment au niveau des DTU. En effet, la tradition et le retour d'expérience sont des éléments prépondérants dans la rédaction de nos textes car nous tentons de savoir si la pratique est connue et reconnue et si elle est utilisée pour justifier qu'une PME-TPE peut l'utiliser sans avoir à former son personnel. Le DTU peut être un socle de base pour réunir des techniques ou des matériaux utilisés au niveau local.

La tendance est à l'utilisation du bois. Le Centre Technique du Bois et de l'Ameublement (CTBA) serait davantage en mesure de vous apporter des réponses concernant la recherche et la normalisation.

La recherche et le développement servent, dans un premier temps, à collecter suffisamment d'éléments sur des propriétés telles que l'humidité et la résistance. Dans un second temps interviendra la normalisation qui permettra de consolider ces recherches.

M. Stéphane Brossard . - Pour illustrer cette démarche de normalisation, je prendrais l'exemple de l'utilisation du bois à La Réunion. Le cryptomeria japonica , une essence plantée dans les années 1950 à La Réunion pour reboiser les forêts de bois tropicaux, est la seule qui puisse être exploitée puisqu'il n'y a plus de ressources sur l'île hormis celles qui servent à l'ameublement. Nous avons donc fait appel au CTBA, via le CIRBAT, pour réaliser une classification du cryptomeria . Le CTBA a fait pendant six mois des essais sur cette essence qui ont permis de reconnaître qu'il ne pouvait obtenir qu'une classe 3. Le cryptomeria japonica ne peut donc être utilisé qu'en élément de façade, c'est à dire en élément secondaire et non pas en élément principal. Pour construire structurellement en bois, nous sommes obligés de recourir à de l'importation.

Mme Vivette Lopez . - Une des recommandations de notre rapport sur le BTP en 2017 était de pérenniser l'expertise locale qui permet de réduire le coût et les délais d'évaluation. Je pense qu'il faudrait profiter de la présidence française de l'Union européenne en 2022 pour imposer, si cela est possible, cette question primordiale.

Ma collègue, Nassimah Dindar, de l'île de La Réunion, m'a demandée de poser une question en son nom. Au regard de l'évènement Irma, la question de l'évolution à La Réunion du risque cyclone s'est posée l'année dernière. Il a été préconisé de revoir à la hausse les niveaux de vents de référence, avec un impact considérable sur les coûts de construction. Avez-vous été saisis de cette question ? Quelle sont vos préconisations pour arriver à un accord sur les vents de référence et sur leurs méthodes de calcul ?

M. Nawfal Boutahir . - Concernant la tenue au vent, nous gérons au BNTEC l'Eurocode 1. Nous avons la partie « vent » qui prévoit les calculs nécessaires avec une annexe nationale qui traite des spécificités locales et géographiques de la France en complément des Eurocodes, qui sont des normes européennes. À ce jour, nous n'avons pas eu de demande particulière pour amender cette annexe nationale.

M. Stéphane Brossard. - Nous avons un recul d'expérience relativement important sur cet Eurocode et cette vitesse de base de 34 mètres par seconde. Il s'avère que, compte tenu de la rigidité que cela génère en termes de calculs sur les ouvrages, cela est largement suffisant pour garantir la sécurité des personnes. Nous considérons qu'il n'est pas possible d'amender à la hausse le niveau des vents de référence, compte tenu de la situation économique et du seuil que cela va générer en terme de modification des avis techniques et des essais réalisés à ce jour. Ces éléments vont provoquer des surcoûts très importants pour aucune fiabilité du résultat final. Il faut selon moi regarder ces évènements climatiques extrêmes dans leur globalité. Les dégâts engendrés se font sur des ouvrages qui ne respectaient pas la réglementation minimum qui viennent ensuite, pris par le vent, impacter les ouvrages qui ont été calculés suivant la réglementation. C'est plutôt les impacts qui génèrent les dégâts les plus importants. En matière cyclonique, les dégats les plus importants sont causés par l'eau. La mise en oeuvre d'un nouveau règlement augmentant la vitesse de base pour les constructions neuves ne me semble pas pertinente.

La rénovation et le renfort des bâtiments existants sont au contraire les aspects à prendre en compte, en prévoyant la création d'abris anticyclonique et de bâtiments de secours construits pour résister à des vents supérieurs au seuil de base. Ces infrastructures pourraient être mises à la disposition des personnes dont les locaux ne sont pas construits en respectant ce seuil de 34 mètres par seconde.

Il en est de même pour la sismicité où le faible nombre de séismes enregistrés à La Réunion ne nécessite pas la mise en place d'une réglementation sur cet aspect.

Annick Petrus , présidente. - Nous sommes arrivés au terme de notre audition. Je remercie nos invités pour les éclairages techniques qu'ils nous ont apportés.

Jeudi 11 mars 2021

Audition de M. Étienne CRÉPON, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), et de M. Pascal BERTEAUD, directeur général, accompagné de Mme Séverine BES DE BERC, directrice déléguée outre-mer, directrice déléguée risques, réduction des nuisances, énergie et de M. Laurent ARNAUD, chef du département bâtiments durables, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA)

Mme Annick Petrus , présidente . - Chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de notre étude sur le logement dans les outre-mer en accueillant les responsables de deux grands organismes spécialisés dans les normes techniques : Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ; Pascal Berteaud, directeur général, accompagné de Séverine Bes de Berc, directrice déléguée outre-mer, directrice déléguée risques, réduction des nuisances, énergie, et de Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables, du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA).

Comme vous le savez, le CSTB, a pour mission de garantir la qualité et la sécurité des bâtiments et exerce des activités d'évaluation et de certification.

Le CEREMA apporte aux acteurs territoriaux un appui en termes d'ingénierie et d'expertise technique et contribue à la qualité et à la pérennité des ouvrages. La normalisation est aussi au coeur de ses préoccupations.

Nous vous remercions, Madame et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de bien vouloir répondre aux questions de nos trois rapporteurs, Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard.

Pour rappel, je précise que la délégation a déjà procédé à une douzaine d'auditions et que celle-ci s'inscrit dans le prolongement de la précédente, organisée avec le BNTEC.

Sans plus tarder, je cède la parole au CSTB puis au CEREMA pour une présentation générale d'une dizaine de minutes chacun, sur la base de la trame qui leur a été adressée, puis les trois rapporteurs les interrogeront pour des éclairages complémentaires. Enfin, je donnerai la parole à nos collègues afin qu'ils posent leurs questions.

M. Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) . - Je vous remercie, Madame la présidente. Je commencerai par rappeler les grands déterminants techniques et économiques de la filière de la construction. Cette filière pèse, au niveau national, plus de 120 milliards d'euros, soit l'équivalent de l'industrie automobile et deux fois l'industrie aéronautique. Contrairement à ces deux secteurs, celui de la construction ne comporte pas de leader économique. Il n'y a aucun acteur qui, au sein du secteur de la construction, organise la filière, gère les sous-traitants afin d'apporter le meilleur service à l'usager final. Au contraire, chaque acteur est relativement indépendant et possède un pouvoir de blocage sur la réalisation des projets. Par ailleurs, il existe peu de barrières à l'entrée de ce secteur ; par conséquent, les marges des entreprises sont très faibles. Compte tenu de ces deux grands déterminants, le secteur de la construction a une très forte aversion au risque. Dans tous les pays, les acteurs de la construction ont avant tout l'objectif d'éviter le risque qu'une opération marginalement bénéficiaire devienne lourdement déficitaire.

J'ai voulu vous rappeler ces éléments pour bien situer le contexte dans lequel intervient le CSTB. Ce dernier est un établissement public industriel et commercial, créé par l'État juste après la Seconde Guerre mondiale. Il possède deux grandes missions. La première consiste à conduire des travaux de recherche dans le domaine de la construction, parce que, globalement, les acteurs économiques n'investissent pas en recherche et développement (R&D). L'effort de recherche, au niveau national, équivaut à 2 % du PIB, tous secteurs confondus, alors qu'il est inférieur à 1 %o dans le secteur de la construction. La deuxième mission est l'évaluation des produits innovants, parce que, compte tenu de cette aversion au risque, un produit innovant ne peut accéder au marché professionnel que s'il a été évalué par des tiers indépendants. Nous le constatons dans tous les pays développés : Japon, États-Unis, Europe, Chine... En France, cette mission d'évaluation a été confiée par l'État au CSTB, qui agit en son nom et pour son compte.

Le CSTB agit aussi dans les territoires d'outre-mer. Comme nous nous y étions engagés dans le cadre du Plan logement outre-mer, un cadre supérieur du CSTB a été désigné fin 2019 pour être l'interlocuteur privilégié et le point de contact avec les territoires ultramarins. En effet, notre entreprise de 1 000 personnes peut sembler compliquée à ceux qui ne la connaissent pas, c'est pourquoi j'ai fait cette proposition au ministre. Dans ce cadre, nous avons formalisé avec la Direction générale des outre-mer un programme d'action visant à améliorer la connaissance et aider à la prise en compte des spécificités ultramarines dans les règles et procédés de construction. Ce programme concerne notamment deux sujets très importants : la caractérisation des conditions climatiques outre-mer, notamment la présence de risques très différents et beaucoup plus importants (cyclones, salinité), et l'adaptation des méthodes et critères d'évaluation des matériaux aux spécificités ultramarines. Ces travaux sont en cours ; nous avons signé la convention fin 2020. Ils permettront de poser les bases d'avancées significatives sur les spécificités des constructions ultramarines.

M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) . - Le CEREMA est l'héritier de l'ancien réseau technique du ministère de l'Équipement. À ce titre, il est chargé de l'expertise des domaines du bâtiment et des travaux publics. Pour le bâtiment, nous avons sérié nos activités en essayant de les centrer sur les domaines où notre expertise est unique, notamment la question de l'efficacité énergétique des bâtiments (usage, ventilation) et les matériaux biosourcés. Historiquement, le réseau technique du ministère de l'Équipement n'était pas présent en outre-mer. Aujourd'hui, notre activité ultramarine s'effectue depuis la métropole, essentiellement à la demande des services de l'État, sur des questions d'adaptation de la réglementation thermique acoustique et aération (RTAA) à l'outre-mer, la rédaction de guides sur la construction paracyclonique, etc. Le fait de ne pas être présents outre-mer nous a paru limitant, c'est pourquoi nous avons décidé, à compter de fin 2021, de nous implanter dans l'océan Indien et en Guyane. L'implantation aux Antilles interviendra dans un second temps, en raison de cette période de réduction d'effectifs. Au-delà des études méthodologiques que nous menons pour l'administration, nous souhaitons apporter l'expertise au plus près du terrain. Le mantra du CEREMA est « l'expertise publique au profit des politiques et des autorités publiques ». Or, l'endroit où ces expertises sont les plus nécessaires en France est l'outre-mer. Il nous semblait donc étrange de ne pas y être présents.

Je laisse la parole à Laurent Arnaud pour présenter nos actions actuelles sur le bâtiment en outre-mer.

M. Laurent Arnaud, chef du département bâtiments durables du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) . - C'est à la demande de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) que nous intervenons au plus près des territoires. Nous avons contribué à la réécriture du CCH (code de la construction et de l'habitation) dans le cadre de la loi ESSOC (État au service d'une société de confiance), à l'écriture initiale de la RTAA (réglementation thermique, acoustique et d'aération) et à son adaptation à certains territoires. Il reste des éléments à compléter, notamment la prise en compte d'indicateurs climatiques et de confort. Nous avons contribué à la rédaction d'un Guide sur la construction parasismique. Nous avons réalisé des formations auprès des services déconcentrés, notamment sur le CRC (contrôle réglementaire de la construction). Nous avons récemment travaillé sur l'adaptation du dispositif écoénergie tertiaire afin d'élargir les actions aux territoires ultramarins. Enfin, dans le cadre d'un appel d'offres fin 2020, nous avons participé à un projet sur l'utilisation des ressources locales ultramarines pour développer des constructions à base de matériaux biosourcés. La valorisation des ressources sur ces territoires revêt deux intérêts : le premier est l'orientation vers des constructions bas-carbone, le second est le développement de nouvelles filières économiques grâce à ces matériaux. Mayotte et la Guyane sont les deux territoires ciblés dans le cadre de cet appel à projets. D'autres territoires pourraient éventuellement donner lieu à des développements.

M. Pascal Berteaud . - Concernant le programme national de revitalisation des centres-bourgs, sur lequel nous intervenons dans cinq collectivités, les premiers résultats ne sont pas très surprenants. Les habitats précaires et insalubres sont fréquents, mais, il convient de parler des outre-mer car les problématiques sont très différentes d'un territoire à l'autre. Il est nécessaire d'avoir une politique spécifique pour chaque département et non une politique de l'outre-mer.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Chers collègues, Madame, Messieurs, je vous remercie pour ces informations qui nous éclairent sur les missions du CSTB et du CEREMA

Je commencerai par quelques questions destinées à Étienne Crépon sur le développement des filières locales. Comment accélérer et simplifier les procédures d'avis techniques et d'essais ? Le CSTB est partenaire du programme ECODOM pour la maîtrise des charges énergétiques, de la climatisation et du confort thermique en outre-mer, particulièrement pour le logement social, dans le cadre du dispositif des certificats d'économies d'énergie. Pouvez-vous en dresser un bilan ? Votre organisme envisage-t-il d'implanter des laboratoires et centres techniques sur place, pour faciliter la certification ?

M. Étienne Crépon . - Une évaluation prend en moyenne deux ans dans un pays européen, mais un peu moins d'un an en France. En effet, en raison de l'insistance des ministres des précédents et de l'actuel gouvernement, nous avons effectué un important travail de réingénierie pour réduire les délais d'obtention des avis techniques. Pour une PME, le délai de neuf mois d'attente avant de commercialiser un produit est très long. Nous avons tenté d'aller beaucoup plus vite, de réduire les listes de preuves et le temps d'instruction. Force est de constater que ces tentatives n'ont pas suscité la confiance et n'ont donc pas permis aux produits concernés d'accéder au marché. La méthode qui fonctionne consiste, lorsque des familles de produits atteignent un certain degré de maturité, à élaborer des normes et règles professionnelles de mise en oeuvre afin de permettre aux entreprises de se passer des prestations du CSTB. Ces entreprises dont le produit correspond aux règles professionnelles, bénéficient d'un accès beaucoup plus rapide au marché. Cette action est essentielle pour développer les produits de construction ultramarins. Une fois cet investissement fait, la filière aura toute la capacité de se déployer.

Le programme ECODOM me paraît exemplaire. En effet, nous utilisons les résultats les plus récents des travaux du CSTB sur le comportement des individus face à un stimulus sensoriel pour déterminer comment, dans le cadre de travaux de rénovation de logements en outre-mer, éviter durablement le recours à la climatisation tout en garantissant un niveau de confort aux habitants. Je le considère comme exemplaire parce que son objectif est très clair - éviter le recours à la climatisation - et parce qu'il s'appuie sur des travaux à la pointe de la recherche. Nous réfléchissons d'ailleurs à déployer un programme similaire en métropole. Cette démarche pourrait en effet être pertinente sur l'ensemble du territoire national.

Concernant votre dernière question, le CSTB est un petit établissement. Il compte 1 000 collaborateurs et doit embrasser tous les sujets scientifiques et techniques relatifs au bâtiment. Nous donnons accès aux meilleurs experts. Si je voulais offrir un service similaire dans l'océan Indien, aux Antilles ou en Guyane, il me faudrait ouvrir une antenne de vingt à trente personnes. Il nous a paru préférable d'avoir un interlocuteur unique et de nous appuyer sur des partenaires locaux susceptibles d'avoir la masse critique tout en bénéficiant de l'expertise du CSTB. Un projet d'implantation locale à La Réunion a échoué de justesse pour des raisons indépendantes de notre volonté. Un second est envisagé aux Antilles, sans que nous ayons encore identifié un partenaire et un troisième est en cours de mise en place en Guyane. Je n'envisage donc pas de déployer des équipes dans les départements d'outre-mer, d'autant plus que la crise sanitaire nous a permis de faire collectivement d'importants progrès via la visioconférence, rendant possible ce qui était inimaginable il y a quelques années.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Le sénateur Antoine Karam avait proposé un amendement pour qu'il y ait des représentants ultramarins au sein de votre conseil d'administration. A-t-il été retenu ? Une telle représentation vous paraît-elle utile ?

M. Étienne Crépon . - Dans le cadre de la loi ELAN, tous les amendements concernant le CSTB et adoptés dans le projet de loi ont été considérés par le Conseil constitutionnel comme des cavaliers législatifs et ont été censurés. Je crains que l'amendement d'Antoine Karam n'ait subi le même sort, pour des raisons de procédures plus que pour sa forme.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - On me dit qu'un lobby s'y oppose. Des représentants hexagonaux ne voudraient pas que des ultramarins siègent au sein de ce conseil.

M. Étienne Crépon . - Les conseils d'administration du CSTB sont des instances formelles ; on y approuve les comptes ou des délibérations administratives. Leur intérêt scientifique et technique est assez relatif. Le CSTB, et son président, ont la volonté d'être plus à l'écoute et au service des territoires ultramarins. C'est la logique de la mise en place du directeur de projet en charge des outre-mer et de la formalisation d'un programme de travail lourd et structurant, avec le ministère des outre-mer, pour faire progresser concrètement la situation.

Nous venons de renouveler le conseil d'administration, qui comporte quatre représentants des collectivités locales (mairies, intercommunalités, départements et régions). Nous avons d'ailleurs eu du mal à trouver des candidats. Si j'avais su qu'il y avait des candidatures ultramarines, je m'en serais fortement réjoui. Malheureusement, aucune n'a émergé. Lors du prochain renouvellement de ces représentants, je ne verrai que des avantages à la candidature d'un représentant des outre-mer.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je vous remercie pour vos interventions. La question qui vient d'être posée est essentielle. Il me paraît important et intéressant qu'une personnalité qualifiée ultramarine puisse siéger. Cela permettrait d'améliorer la prise en compte des spécificités dans l'édiction des normes sur les territoires d'outre-mer.

J'ai une question sur l'amiante. Son traitement dans le bâtiment est toujours compliqué, et particulièrement en outre-mer. Le CSTB a-t-il des réflexions sur la filière de l'amiante spécifique aux outre-mer, notamment en ce qui concerne la rénovation des bâtiments ?

De quelle manière le CEREMA est-il impliqué dans la réécriture de la réglementation thermique, acoustique et d'aération (RTAA) des DOM ? Je relève que la réglementation environnementale 2020 (RE2020) est sans cesse repoussée. De quelle manière êtes-vous associés à la réflexion sur la spécificité des outre-mer dans ce cadre ? Par ailleurs, notre délégation a publié un rapport en 2017 sur les normes du BTP dans les outre-mer, et notamment sur le manque de prise en compte de leurs spécificités. Pensez-vous que la situation se soit améliorée sur ce point ? Il me paraît important de partir des pratiques et des filières existantes. Il conviendrait, à mon sens, de mieux intégrer l'utilisation de matériaux locaux (terre, bois, etc.), mieux articuler le travail du CSTB avec celui d'autres acteurs que sont les architectes, bureaux d'études, maîtres d'oeuvre publics, etc., et de mieux organiser cette filière sur les territoires.

M. Pascal Berteaud . - Les questions de gouvernance sont un sujet majeur pour le CEREMA, dont les six domaines d'activité correspondent à 60 % de la compétence institutionnelle. La place des collectivités locales dans la gouvernance du CEREMA constitue donc un sujet essentiel pour nous. J'espère que vous en débattrez dans la loi 4D, dont l'article 38 prévoit d'autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnances pour réformer la gouvernance du CEREMA vers un système beaucoup plus orienté en direction des collectivités. La question des outre-mer devra être posée à ce moment-là.

Par ailleurs, il me semble important de retenir que les questions sont à la fois structurelles (matériaux, etc.) et comportementales. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point dans l'Hexagone, et il conviendrait d'adapter ces travaux à l'outre-mer, dans le cadre du programme CUBE.S (Challenge Climat, Usages, Bâtiments Enseignement Scolaire) qui s'intéresse à la consommation d'énergie dans les écoles. Par des changements comportementaux grâce à des actions de sensibilisation peu onéreuses, nous parvenons déjà à une économie d'énergie de l'ordre de 15 %.

Concernant la RTAA DOM, nous sommes persuadés qu'il est possible d'aller beaucoup plus loin dans l'adaptation de la réglementation aux outre-mer. Étant plus important que le CSTB, le CEREMA peut se permettre de développer des antennes en outre-mer (qui feront de toute façon appel aux spécialistes hexagonaux) de façon à avoir une présence sur place et à monter des programmes d'adaptation plus forts.

M. Laurent Arnaud . - Ma conception serait d'anticiper cette adaptation en travaillant sur les données climatiques sans chercher uniquement à rattraper les évolutions. Cela change la nature de la réflexion. Nous nous appuyons beaucoup sur le marquage des produits par exemple.

Concernant la RTAA, nous avons travaillé sur le contenu technique de cette réglementation pour l'adapter. Nous avons rédigé des guides de vulgarisation de manière à faire passer le message.

Pour ce qui est de la RE2020, nous avons travaillé sur le volet hexagonal de ce document. L'idée serait de la rendre applicable aux territoires ultramarins, comme cela était initialement prévu. Le contexte y est effectivement plus compliqué puisque, sur le plan de l'analyse de cycles de vie dynamiques prenant réellement en compte le carbone, l'applicabilité est plus difficile. Nous nous appuyons beaucoup sur le marquage des produits en fonction de leur origine, mais les autres pays n'ont pas les mêmes bases de données que nous. Pour autant, la mission reste utile parce que ce marquage carbone représente un point d'appui. Par ailleurs, il faudrait développer la notion d'ENR (énergies renouvelables) par rapport aux objectifs de chaque territoire. Le CEREMA est prêt à y travailler ; il suffit qu'il soit mandaté pour le faire, par la DHUP ou une autre entité.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Connaissez-vous la Réglementation thermique de la Guadeloupe (RTG), faite par habilitation ? Quelle est l'articulation entre la Réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA DOM) et la RTG Guadeloupe ? Quelle est, aujourd'hui, la pertinence de la RTG Guadeloupe ? Est-elle encore d'actualité et peut-on s'en inspirer ?

M. Laurent Arnaud . - Je n'ai pas de connaissance approfondie du texte, mais je peux vous dire qu'il y a eu une démarche d'adaptation pour chacun des territoires. La Martinique l'a fait, mais ni La Réunion, ni Mayotte. La RTAA avait la volonté d'être généraliste en adoptant des caractéristiques « global macro ». Les adaptations guadeloupéennes et martiniquaises sont une très bonne chose. Pour évoluer encore, il conviendrait de voir comment ces expériences peuvent profiter aux autres territoires ultramarins dans leurs spécificités.

C'est grâce à la concertation avec les acteurs locaux que nous pourrons avancer plus vite. Il faut mettre la connaissance et l'ingénierie métropolitaines au service des outre-mer. Les outils numériques favorisent aujourd'hui la participation de tous les partenaires à des comités.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - À l'époque, nous avions l'impression que les services centraux n'étaient pas en faveur de cette habilitation. Ils nous avaient fait des offres de services pour écrire eux-mêmes ces textes. Nous avons collaboré, je l'avoue, avec la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). La situation s'est reproduite en matière de maîtrise de l'énergie, puisque nous avions là aussi une habilitation, et également en matière de formation. La loi 4D permettra d'ailleurs de créer des EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) chargés de la formation professionnelle dans chaque territoire. Nous avons créé des associations, puis un EPA (établissement public administratif) qui a été annulé par le Tribunal administratif et la Cour d'appel de Bordeaux. Nous avions l'impression que la culture de la centralité parisienne se méfiait des initiatives locales.

Le succès fut important et la République d'Haïti nous a même sollicités. Les experts avaient beaucoup travaillé sur les normes techniques de construction et de climatisation. Je demanderai donc à la délégation d'étudier cette question de l'actualité et de la pertinence de cette réglementation thermique de la Guadeloupe. Elle a été proposée à la Martinique, qui l'a probablement améliorée depuis.

Quand j'entends qu'existent la RTAA DOM et la RE2020, je me dis qu'il convient d'éviter tout surcroît de normes. Toutefois, la RTG existe ; ce qui se fera n'a pas vocation à supprimer ce qui fait partie du corpus juridique.

L'habilitation est intéressante car ce que nous n'avons pas réussi à obtenir par la loi, nous l'avons obtenu par ce biais. Ce processus est cependant long et cher. Il est possible de faire passer par un simple amendement ce qui prendrait plusieurs mois ou années par habilitation. La réglementation thermique à elle seule a coûté 5 millions d'euros en frais de cabinets d'experts. Nous devons intégrer à nos analyses la question du véhicule le plus approprié pour faire avancer ce type de questions.

M. Étienne Crépon . - Le CSTB a été un acteur très présent lors de l'élaboration de la RTG, qui a effectivement été un bel exercice d'adaptation de règles scientifiques aux spécificités d'un territoire. La RE2020 sera en rupture avec tout le corpus réglementaire existant puisque nous passerons d'une approche purement énergétique à une approche mêlant énergie et carbone. Il est donc hautement probable que les outre-mer, afin de tenir compte de leurs spécificités, devront s'interroger sur la mise en place d'une réglementation adaptée se substituant aux réglementations nationales. Cela peut être pertinent mais, comme vous l'avez dit, c'est aussi long et cher. Une réglementation élevée à 5 millions d'euros, rapportée à un territoire de 400 000 habitants, est très onéreuse. Il convient que les exécutifs locaux s'interrogent sur l'intérêt d'un tel investissement. C'est totalement légitime sur un sujet aussi important que le cadre bâti, directement lié aux conditions climatiques.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - L'État a objectivement intérêt à donner des habilitations, puisque cela ne lui coûte rien. Ce n'est pas un transfert de compétences ; il n'y a donc pas de commission consultative d'évaluation des charges transférées. Notre délégation doit s'interroger sur cet aspect financier. À mon sens, au-delà du résultat technique, c'est inefficace et trop cher. L'État doit comprendre la nécessité de mieux adapter les textes, sur le fondement des dispositions de l'article 73.

M. Étienne Crépon . - En réponse aux questions sur l'amiante, le Gouvernement avait initié sur l'ensemble du territoire national des travaux de recherche pour réduire le coût du désamiantage.

Dans ce cadre, il avait demandé au CSTB de conduire des études scientifiques sur l'identification de la présence d'amiante. Ces travaux devraient aboutir fin 2021, avec la capacité de mesurer la présence d'amiante en quasi-temps réel, dans l'atmosphère comme dans les matériaux de construction.

Sur les procédés de retrait d'amiante plus légers et ne nécessitant pas de personnels en combinaison de protection, nous avons conduit des études sur des solutions qui, pour l'instant, n'ont pas trouvé un accès au marché. Les industriels que nous avons contactés ne sont pas intéressés.

Enfin, la question de la gestion des déchets est la problématique la plus importante dans les territoires ultramarins, car ceux-ci sont jetés en décharge. Nous voulions trouver une solution hydrochimique de neutralisation de l'amiante par traitement au « point triple de l'eau », mais nous avons échoué scientifiquement et économiquement. Non seulement nous ne sommes pas convaincus que nous parviendrions à neutraliser l'amiante en la portant dans les conditions de température et de pression du « point triple de l'eau », mais en outre cela exige une débauche d'énergie équivalente à celle de la torche à plasma, système actuellement utilisé. Cette quantité d'énergie n'est pas disponible dans les DOM et nous n'avons donc pas trouvé d'alternative crédible à la mise en décharge.

M. Pascal Berteaud . - Il y a 25 ans, j'ai eu la chance d'être chargé de la première opération de transfert de gestion, par le ministère des outre-mer, de la LBU et des LHI, au tout début de l'autonomisation. La difficulté réside dans la nécessité de développer une politique spécifique à chaque territoire tout en mobilisant les moyens nationaux. Or, c'est long et compliqué. Je suis favorable à une décentralisation forte, mais cela exige d'en transférer les moyens. L'expertise, actuellement, ne se situe plus tant au sein de l'État qu'au sein d'établissements comme le CSTB ou le CEREMA.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - L'Université de Guadeloupe possède des laboratoires travaillant sur des sujets environnementaux, de biochimie, etc. Il serait judicieux d'étudier quels partenariats pourraient être mis en place avec des scientifiques sur ce type d'études. Il est vrai que la RTG a un coût. Cependant, développer des normes inadaptées aux territoires ultramarins a un coût également, peut-être moins visible mais dont l'impact à long terme peut se révéler considérable. Il conviendrait de faire des études ciblées sur tous ces sujets.

Je peux toutefois concevoir que la France, assujettie aux normes européennes, ne tienne pas compte des spécificités ultramarines. Un travail politique à ce niveau permettrait une prise de conscience des particularités de ces territoires français et de la nécessité d'adaptations spécifiques.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - En ce qui concerne les laboratoires, j'ai entendu dire qu'un brevet aurait été déposé par des architectes ultramarins pour un parpaing parasismique qui serait très intéressant dans nos zones sismiques.

M. Étienne Crépon . - S'il s'agit d'un produit de construction innovant, ils se sont probablement adressés au CSTB. J'interrogerai mes équipes dès mon retour. En revanche, avez-vous entendu parler d'un projet de constructions paracycloniques développé par le CSTB ? Il est testé en Floride et le brevet a été versé dans le domaine public pour qu'il puisse être repris par tous les acteurs.

Le partenariat avec les universités est une orientation privilégiée par le CSTB, qui bénéficie déjà d'un partenariat avec le CNRS et plusieurs universités métropolitaines, et via notre filiale, avec l'université de La Réunion. J'y suis personnellement très favorable dès lors qu'il s'agit d'un véritable partenariat scientifique avec échange de connaissances et de compétences, et travail croisé. L'une des raisons pour lesquelles un des projets de partenariat avec une université ultramarine a échoué est qu'elle le considérait comme une annexe à son budget. Le CSTB devait la financer, sans contrepartie scientifique ni technique. Or ce n'est pas le rôle du CSTB, mais celui du ministère de l'enseignement supérieur.

M. Laurent Arnaud . - Le CEREMA n'ignore pas bien entendu le coût de l'inaction. Croire que ne rien faire ne coûte rien est une erreur. Il faudrait systématiquement comparer le coût de l'inaction à celui de l'action pour déterminer le différentiel. Cela vaut pour tous les territoires. Nous essayons d'intégrer cet élément pour favoriser les décisions au niveau des collectivités locales.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Concernant les panneaux solaires, je me souviens que certains étaient intégrés à la toiture, d'autres simplement posés dessus. Chaque technique appelait un régime fiscal différent. Je me suis battu pendant de longues années pour que la défiscalisation soit harmonisée. C'était à la fois un problème de normes paracycloniques et de régime fiscal. Est-ce toujours le cas ?

M. Étienne Crépon . - Je n'ai pas d'expertise fiscale sur ce sujet.

M. Pascal Berteaud . - Il me semble que cette question a été réglée au niveau national. À l'origine, ne bénéficiaient des avantages fiscaux que les panneaux intégrés à la toiture. Je crois que, depuis un ou deux ans, les panneaux posés sur la toiture en bénéficient aussi.

M. Laurent Arnaud . - Les panneaux solaires sont plus performants lorsqu'ils ne sont pas intégrés à la toiture. Il existe un intérêt technique : plus le panneau est chaud, moins son rendement est bon. Les panneaux intégrés sont moins bien refroidis par le vent.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Ce problème d'intégration au bâtiment et l'aspect paysager n'est pas spécifique aux outre-mer. Durant toute une période, les aides étaient réservées aux panneaux intégrés à la toiture, ce qui posait effectivement des problèmes de ventilation et de production d'électricité plus faible. La réglementation a désormais changé.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - À l'époque, pour une dépense de 16 000 euros, un crédit d'impôt de 8 000 euros était offert et il n'existait pas de conditions de ressources.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Pour conclure sur les panneaux solaires, notre expérience à Saint-Barthélemy après le passage de l'ouragan Irma a montré que beaucoup de panneaux solaires intégrés ont mieux résisté que ceux qui étaient simplement posés sur les toitures. Les installateurs ont toutefois trouvé d'autres systèmes de fixation. Cela fait partie de l'ajustement des normes.

Mme Annick Petrus , présidente . - Je vous remercie pour vos interventions et votre expertise. Merci, chers collègues, pour ce riche débat.

Jeudi 11 mars 2021

Audition de Mme Anne-Sophie GRAVE, présidente du directoire, M. Philippe  POURCEL, directeur général adjoint du réseau outre-mer
de CDC Habitat

Mme Annick Petrus , présidente . - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi nos travaux, dans le cadre de l'étude sur le logement outre-mer, en auditionnant le groupe CDC Habitat, filiale de la Caisse des dépôts et consignations.

CDC Habitat est représenté aujourd'hui par Anne-Sophie Grave, présidente du directoire depuis décembre 2020, date à laquelle elle a succédé à André Yché. Elle est accompagnée de Philippe Pourcel, directeur général adjoint du réseau outre-mer.

Nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation et de bien vouloir répondre aux questions de nos trois rapporteurs, Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel. CDC Habitat est en effet un acteur majeur de la politique du logement et du renouvellement urbain sur l'ensemble du territoire français. Il intervient en outre-mer par le biais de ses huit filiales qui y sont implantées. Nous sommes donc particulièrement intéressés par les actions que vous menez spécifiquement dans chaque territoire, notamment en matière de logements locatifs, en particulier sociaux, car la demande y est très forte.

Madame la présidente, vous avez la parole pour une présentation liminaire de vos actions, sur la base de la trame qui vous a été adressée, puis les trois rapporteurs vous interrogeront, ainsi que nos collègues, s'ils souhaitent des éclairages complémentaires.

Mme Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat . - En guise de propos liminaire, je vais dresser le panorama des activités de CDC Habitat. Les huit filiales représentent un parc de plus de 90 000 logements, dont 40 000 à La Réunion, 17 000 en Guyane, 30 000 en Martinique et Guadeloupe. CDC Habitat est rentré au capital des six sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) en 2017, celles-ci étant précédemment détenues par l'État et l'AFD. En 2020, nous sommes rentrés au capital de la SEMADER (Société d'économie mixte d'aménagement, de développement et d'équipement de La Réunion) et de la SODIAC (Société dionysienne d'aménagement et de construction) à La Réunion.

Depuis 2017, le parc est passé de 75 000 à 90  000 logements, soit une augmentation de 25 %, grâce à l'extension de périmètre avec la SEMADER et la SODIAC, et grâce au rachat de 2  600 logements du patrimoine Batipro Logements intermédiaires (BLI)-Apavou à La Réunion et à la livraison de 5 600 logements sur cette période.

Concernant l'année 2020 et les effets de la crise sanitaire sur notre action, les activités de maîtrise d'ouvrage ont été les plus touchées comme en témoigne l'interruption de chantiers, entraînant un décalage de livraisons de trois à six mois. Certaines auront donc lieu en 2021 et non en 2020. Le décalage se ressent aussi sur les démarrages de travaux ou le montage d'opérations. Au moment de la reprise des chantiers, des discussions ont eu lieu avec les entreprises sur la prise en charge des surcoûts liées aux nouvelles contraintes d'organisation ainsi qu'au renfort de certains métiers comme les pilotes OPC (Ordonnancement Pilotage Coordination) pour la vérification des conditions sanitaires. Notre groupe a signé une charte au niveau national avec la Fédération française du bâtiment (FFB), convenant d'un partage des surcoûts entre les entreprises et nos filiales en outre-mer. Dans le secteur du BTP, nous ne constatons pas de défaillances massives d'entreprises parmi nos partenaires. Nous restons très vigilants, particulièrement sur la situation au moment de la fin du dispositif du Prêt garanti par l'État (PGE).

Concernant la gestion locative, des dispositions ont été prises dès le début du confinement pour continuer à attribuer des logements. Les commissions d'attribution de logement se sont tenues à distance. Nous avons aussi pris des mesures pour ne pas bloquer le flux d'entrée dans les lieux. Un point caractéristique de l'outre-mer est l'abondance des encaissements en espèces. Il a fallu rapidement adapter les modalités de paiement. Aujourd'hui, presque la totalité des encaissements s'effectue selon des modalités dématérialisées.

S'agissant des commerces et petites entreprises qui, suite aux dispositions réglementaires, ont été fermés, nous avons signé un accord national reportant les loyers à la demande de clients commerçants et annulant trois mois de loyer, correspondant au premier confinement, pour les commerces en situation de fermeture administrative. Des dispositifs d'accompagnement pour les locataires les plus fragiles ont été mis en place.

J'en viens au sujet central de cette audition, c'est-à-dire les résultats et les évolutions depuis que CDC Habitat intervient auprès des SIDOM, en termes d'investissements, de développement et d'indicateurs de gestion.

S'agissant des investissements sur le parc, en 2017, les démarrages de chantiers s'établissent à 56 millions d'euros sur six SIDOM. En 2020, ils atteignent 88 millions d'euros, soit plus de 50 % d'augmentation. En raison de la crise sanitaire, les chiffres de 2020 sont légèrement en deçà de nos objectifs.

Sur les dix ans à venir, nous prévoyons un investissement de 100 millions d'euros par an sur l'ensemble des SIDOM et resterons ainsi sur une tendance élevée.

À propos du Plan séisme Antilles, dans le cadre de ces investissements, la SIMAR, notre société immobilière à la Martinique, a quasiment finalisé le plan et traité les logements qui devaient l'être (soit plus de 4 000 logements, pour un montant de 70 millions d'euros). La SIG (société immobilière de la Guadeloupe) est à mi-parcours : elle a traité 3 400 logements pour un investissement de 100 millions d'euros auxquels s'ajouteront 4 300 logements dans les années à venir.

Nous sommes aussi fortement investis dans le renouvellement urbain. À La Réunion, nous sommes engagés dans six conventions ANRU avec la SIDR (Société immobilière du département de La Réunion) et la SEMADER. Nous sommes aussi concernés par trois projets NPNRU ( Nouveau programme national de renouvellement urbain ) en cours de montage, en Guadeloupe (Cap Excellence), Martinique (Fort-de-France) et Guyane (Cayenne). Les problématiques sont très différentes selon les territoires. À Pointe-à-Pitre, nous pouvons notamment être concernés par le patrimoine géré par la SIG mais qui demeure la propriété de la commune. À Fort de France, la SIMAR n'a pas de patrimoine en propre dans le périmètre ANRU mais des discussions sont en cours pour d'éventuelles interventions en coeur de ville où existe un patrimoine ancien à rénover. Enfin, à Cayenne, nous sommes dans le prolongement du programme ANRU 1 qui se poursuit : des démolitions et des interventions complémentaires sur le coeur de ville devraient avoir lieu.

Le prix de revient global des opérations menées sur l'ensemble des conventions signées hors NPNRU est de 175 millions d'euros. L'ANRU les finance à hauteur d'une trentaine de millions d'euros.

Sur le développement du parc, c'est-à-dire la construction de logements locatifs sociaux neufs, la tendance est à l'accélération au cours des dernières années. Plus de 3 700 permis de construire ont été obtenus en 2020 contre 2 150 en 2018. Plus de 2 000 mises en chantier ont eu lieu en 2020, ce qui est un rythme satisfaisant dans un contexte difficile. Il est important de souligner que, fin décembre 2020, près de 7 000 logements étaient en chantier. Nous en prévoyons 4 500 supplémentaires en 2021.

À propos du plan de relance dans la construction, au moment du premier confinement, CDC Habitat a lancé un appel à projets auprès des promoteurs pour acquérir 40 000 logements. Cet appel concernait aussi les outre-mer. À ce jour, nous avons reçu plus de 11 000 propositions de promoteurs ultramarins et avons identifié 6 000 logements pour des opérations s'échelonnant de 2021 à 2023. Sur les années 2021-2023, la tendance est de l'ordre de 4 000 à 5 000 logements mis en chantier par année, ce qui représente un net accroissement.

Il nous paraît important d'évoquer aussi le partenariat avec les aménageurs. Les opérations ne peuvent être menées qu'à condition de la bonne mise en réseau entre les bailleurs, les aménageurs, les collectivités et les entreprises du BTP. À La Réunion, puisque nous avons repris la SEMADER, la SODIAC et la SIDR, ces SIDOM ont une compétence d'aménagement. Les actions de redressement menées sur ces sociétés leur ont rendu leur capacité à intervenir dans l'aménagement. Ces compétences ont été regroupées dans un groupement d'intérêt économique (GIE) à La Réunion pour renforcer notre expertise et accompagner les projets des collectivités.

À Mayotte, la SIM travaille avec l'Établissement public foncier de Mayotte qui est en train d'être mis en place. En Guyane, la SIMKO (Société immobilière de Kourou) et la SIGUY travaillent aussi avec l'établissement public foncier de Guyane. Nous avons contractualisé avec cet établissement pour de l'acquisition foncière. Il s'agit d'une sécurisation mutuelle sur les projets de développement à venir. Dans les Antilles, les opérateurs sont plus nombreux et les partenariats se font davantage selon les opérations.

Concernant la gestion locative courante, les indicateurs globaux ont connu une bonne amélioration entre 2017 et 2020. La vacance est passée de 5 % à 3 % et les impayés de 4 % à 2 %. Réduire la vacance dépend des travaux nécessaires à l'amélioration de l'habitat et de l'entretien du parc pour en assurer l'attractivité. Accélérer le rythme des commissions d'attribution permet aussi de fluidifier l'occupation. Par endroits, il a fallu revoir les loyers qui n'étaient pas adaptés à l'état du patrimoine et à la demande. Pour ce qui est des impayés, les loyers des SIDOM étaient jusqu'alors payés d'avance. Nous avons basculé à un paiement en fin de mois, par alignement avec les dispositions d'aide au logement à la prévention des impayés. J'ai évoqué le développement des moyens de paiement dématérialisés qui y contribuent aussi. Nous visons aussi le déploiement progressif d'un réseau d'accompagnement social dans les agences afin d'améliorer l'accès aux droits et de privilégier la résolution amiable des impayés. Nous déployons aussi un réseau de gardiens dans les résidences, ce qui permet un contact de proximité.

À propos du redressement économique de ces sociétés, la baisse de la vacance et des impayés se ressent sur les comptes d'exploitation. Lorsqu'on compare l'excédent brut d'exploitation par rapport aux loyers, nous sommes passés d'un ratio de 48 % fin 2016 à 54 % en 2020, ce qui indique une amélioration nette de l'exploitation courante. En outre, les apports en capital ont permis de procéder à un désendettement des sociétés. Le remboursement des emprunts pèse donc moins sur l'exploitation courante.

Lorsque nous sommes intervenus, seules deux sociétés étaient concernées par une procédure CGLLS (Caisse de garantie du logement locatif social) : la SEMADER, aujourd'hui sortie du plan et la SIGUY qui devrait en sortir en 2021. En conclusion de ce propos introductif, nous considérons que ces sociétés sont sur des trajectoires vertueuses. Les indicateurs de gestion se sont améliorés et des travaux ont été menés. Nous répondons aujourd'hui aux objectifs de développement, certes très différents selon les territoires. À la Martinique ou en Guadeloupe, nous pouvons être sollicités pour du « coeur de ville », des populations d'étudiants ou de seniors, quand en Guyane on attend davantage un développement massif dans le logement locatif social ou très social.

Sur les territoires qui connaissent une demande de production importante, les sujets des normes et de leur adaptation aux besoins locaux sont centraux. Nous travaillons avec le CSTB et sommes prêts à mener des expérimentations en partenariat avec les collectivités et l'État, particulièrement nécessaires à Mayotte et en Guyane.

Mme Annick Petrus , présidente . - Je donne la parole aux rapporteurs.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Pourriez-vous détailler davantage la répartition territoriale des logements existants et de la programmation sur les dix années à venir dans les DROM, à défaut des COM ?

Nous voudrions aussi des précisions sur les modes de financement, notamment dans le cadre du logement locatif très social et des logements intermédiaires, voire du logement libre.

Certaines opérations ont donné lieu à un désengagement et nous aimerions en avoir la liste et les montants correspondants.

Une question sensible concernant le financement est d'actualité pour la CGLLS. Certains opérateurs estiment qu'ils payent et n'en voient pas les bénéfices. Les opérateurs et fédérations du logement outre-mer, qu'il s'agisse de sociétés d'économie mixte (SEM) ou d'autres coopératives, alimentent le Fonds national des aides à la pierre qui n'intervient pas en outre-mer. L'Union sociale pour l'habitat (USH) reçoit à ce titre une enveloppe de 18 millions d'euros répartis sur toutes les fédérations mais l'Union sociale des organismes HLM d'outre-mer (USHOM) a vu sa dotation supprimée. Nous voudrions savoir combien, en tant qu'opérateur important, vous avez perçu pour le redressement des SIDOM, par structure et par territoire, et quel est votre apport à titre propre.

Lorsque nous regardons les résultats de CDC Habitat, au vu du coût de l'acquisition des SIDOM et en considération des arbitrages effectués pour supprimer certaines des obligations qui vous incombaient, nous observons après trois ans que vous dégagez un résultat de 56 millions d'euros. Comment lire ce résultat positif sur une valorisation de 193 millions d'euros ? Une gestion et une trajectoire vertueuses étaient nécessaires. Mais dans le cadre des redressements, y a-t-il eu des baisses de loyer ou a-t-il été porté au maximum dans les zones tendues ? Quid du personnel et des plans sociaux ? Quid de l'encadrement ? A-t-on remplacé des cadres locaux par des cadres parisiens, problématique évoquée par le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, dans un courrier relatif à la gestion de l'eau en Guadeloupe ? Et quid des usagers dans la gestion locative ? Pouvez-vous aussi détailler la proportion de publics vulnérables et la direction adoptée pour ces publics ?

Enfin, concernant les dotations prévues par la loi ELAN pour la rénovation, quelle enveloppe a été réservée aux outre-mer ? À l'époque, nous avions l'impression qu'une trésorerie commune avait été créée entre vos filiales sans apport propre de CDC Habitat. La solidarité semblait exister inter-territoires mais pas entre CDC Habitat et ses filiales d'outre-mer. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Anne-Sophie Grave . - Les 100 millions d'euros par an sur dix ans portent sur les investissements sur le parc. Nous vous transmettrons par écrit les chiffres par territoire avec le détail de la programmation par société des travaux à venir sur les dix prochaines années.

La part du logement locatif très social a augmenté depuis 2017 puisque nous sommes passés de 24 % à 30 % dans la production et, en valeur absolue, l'augmentation est de 83 %. Nous avons aussi diversifié la production de logements intermédiaires. En 2020, sur un peu plus de 2 000 logements mis en chantier, ces derniers en représentaient environ 10 %.

Sur la question relative aux opérations en Guadeloupe, nous n'avons pas connaissance de désengagements. Parfois, en Guadeloupe comme ailleurs, des opérations peuvent être abandonnées en phase de montage pour des raisons variées : urbanisme, financement, appels d'offres infructueux par exemple. Vous avez évoqué la LBU à juste titre. Un travail en amont est mené avec les Directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) pour appréhender la production et ne pas mobiliser des enveloppes que nous ne pourrions mener à leur terme.

Concernant la CGLLS, le détail est fourni dans le document qui vous a été remis. Deux sociétés suivaient une procédure CGLLS quand CDC Habitat est intervenu. La SEMADER, depuis 2013, avait connu une augmentation de capital souscrite par la Communauté intercommunale des villes solidaires de l'Île de La Réunion (CIVIS) et la Banque des territoires, ainsi qu'une subvention de la CGLLS de 8,6 millions d'euros et un prêt de 5,3 millions d'euros. Depuis l'intégration de la SEMADER au groupe, une nouvelle augmentation de capital de 15 millions d'euros est intervenue mais il n'y a pas eu de nouvelle subvention de la CGLLS, la dernière ayant été accordée avant que nous reprenions la SEMADER.

À propos de la SIGUY, le plan de redressement a conduit à une augmentation de capital de 20 millions d'euros et le montant de la CGLLS était, lui, de 22 millions d'euros.

Vous aviez une question complémentaire sur l'apport en propre de CDC Habitat auprès de ces sociétés et notre part dans le redressement. CDC Habitat est intervenu en reprenant les actions de l'État et de l'AFD et a participé à une augmentation du capital ou des apports en compte courant. CDC Habitat a versé 161 millions d'euros et a apporté 30 millions d'euros supplémentaires, pour un apport total de 191 millions d'euros sur l'ensemble des reprises.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous dites avoir dépensé 161 millions d'euros plus 30 millions d'euros. Cette somme correspond-elle aux six ou aux huit SIDOM ?

Mme Anne-Sophie Grave . - Aux huit SIDOM.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - S'agit-il de 161 millions d'euros ? J'avais l'impression que vous aviez dépensé, au total et en net, 56 ou 57 millions d'euros. La présentation budgétaire de la mission outre-mer en loi de finances n'est pas très claire.

Mme Anne-Sophie Grave . - Il y a eu l'acquisition des actions, des participations à des augmentations de capital et des apports en compte courant auprès de ces sociétés, le tout pour 191 millions d'euros. En regardant le résultat de 2016, de l'ordre de 19 millions d'euros, et de 2017, de l'ordre de 6 millions d'euros, on constate le chemin parcouru. Mais il a fallu un redressement, un travail de fond sur les indicateurs de gestion, sur la vacance d'immeubles, l'état du patrimoine, etc . avec les équipes de chacune de ces SIDOM et un apport d'expertise pour permettre ce redressement. Il faut s'en féliciter car tout est réinvesti dans les territoires. À partir du moment où les sociétés dégagent davantage de résultats par leur exploitation, on peut davantage réinvestir en réhabilitation ou en développement. Cela a aussi permis de désendetter ces sociétés en leur redonnant des marges de manoeuvre. Si ce progrès peut paraître rapide, il faut en féliciter les équipes locales et reconnaître l'appui du groupe.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Des incompréhensions demeurent à la lecture du document.

M. Philippe Pourcel, directeur général adjoint du réseau outre-mer de CDC Habitat . - Les 160 millions d'euros valent pour les huit SIDOM intégrant les prises de position majoritaires dans la SEMADER et la SODIAC. Ces deux SEM dépendaient de collectivités locales, CIVIS pour l'une et la ville de Saint-Denis pour l'autre. Par rapport à la commission de privatisation, les 190 millions d'euros étaient une valorisation pour la totalité des actions. Or, nous avons aujourd'hui en moyenne environ 60 % des actions.

Mme Anne-Sophie Grave . - Concernant la loi ELAN et les 330 millions d'euros mis à disposition par la Banque des territoires, nous n'avons pas émargé à ces aides pour les outre-mer qui n'étaient pas concernées par le regroupement des dispositifs. Nous n'étions donc pas éligibles.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Madame la présidente, avez-vous récemment constaté une tendance à substituer des prêts Action Logement aux prêts CDC classiques ? Les taux sont avantageux dans le cadre du Plan d'investissement volontaire (PIV) mais ne donnent pas droit à l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). À la sortie, cela risque de peser sur le prix du mètre carré.

Mme Anne-Sophie Grave . - Nous mobilisons aussi bien les financements Action Logement au titre du PIV que d'autres, notamment sur des opérations de démolition et les prêts classiques de la Caisse des dépôts pour le reste. À notre connaissance, on ne perd pas l'exonération de la TFPB (Taxe foncière sur les propriétés bâties). Il s'agit peut-être d'un cas particulier. Nous vous donnerons une réponse par écrit.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Permettez-moi de vous féliciter pour la qualité de votre présentation qui m'a éclairée sur la situation et l'action de CDC Habitat. Concernant l'habitat indigne, comment accélérer la production de logements très sociaux en outre-mer alors que la crise devrait encore accroître les besoins ? Prévoyez-vous une crise de l'immobilier de bureau qui pourrait conduire à reconvertir des immeubles de bureaux en logements ? Quelles sont les actions de CDC Habitat pour permettre de dynamiser les centres-villes ? Comment assurer l'implantation de logements à proximité des lieux d'activité ? Quel rôle peut jouer CDC Habitat pour la réussite des opérations du programme « Action coeur de ville » (ACV) ? En quoi la reprise des SIDOM par CDC Habitat a-t-elle permis de professionnaliser davantage la gestion administrative et opérationnelle de ces sociétés ? Faut-il regrouper ces sociétés dans des territoires comme La Réunion ? A contrario , faut-il susciter la création d'opérateurs supplémentaires à Mayotte et en Guyane ? Dans l'affirmative, quels sont les effets concrets qui peuvent en résulter ? Comment intégrer dans les politiques de construction l'accueil de publics spécifiques (seniors, étudiants, publics fragiles) et les évolutions sociétales comme la décohabitation ? Comment remédier aux difficultés posées par la vacance locative et les impayés ?

Quelles peuvent être les actions de CDC Habitat pour participer aux opérations de résorption de l'habitat indigne ? Comment assurer le relogement des populations après les opérations de démolition ? Disposez-vous d'exemples d'actions menées avec des associations de quartier pour oeuvrer à l'adhésion sociale aux projets de construction et de réhabilitation ?

Enfin, concernant les quotas, il a été porté à ma connaissance que, dans le cadre de projets de logements, il existait un quota de logements très sociaux à ne pas dépasser. Or la situation est très problématique dans les territoires ultramarins en considération des publics en situation très précaire. Comment faire en sorte de ne pas bloquer certains projets qui seraient manifestement utiles ?

Mme Anne-Sophie Grave . - S'il faut nuancer la réponse selon les territoires, il existe une constante dans les problématiques rencontrées par les logements très sociaux : la question du foncier, de l'aménagement et de ses coûts, qu'il faut inclure parfois à l'opération de logements locatifs sociaux. Il faut, en outre, éviter l'inflation foncière. Les coûts de construction sont une seconde difficulté, en raison à la fois des normes et des spécificités des territoires.

C'est en Guyane et à Mayotte que les besoins sont les plus criants. Nous sommes face à une sorte de paradoxe. Les familles sont plus nombreuses, elles ont donc besoin de logements plus grands mais, en conséquence, le loyer est plus élevé là où il devrait être plus bas. C'est un équilibre délicat à trouver. Nous sommes intéressés par les démarches initiées pour aller vers un logement très social à la construction adaptée afin de résoudre cette difficulté. Sans cela, nous aurons du mal à répondre massivement à la demande.

M. Philippe Pourcel . - Nous avons mené des expérimentations de logements à coût adapté mais nous n'arrivons pas, aujourd'hui, à changer fondamentalement le niveau de loyer habituel. À système normatif constant, nous pouvons peut-être gagner 5 % à 10 % sur le coût de revient mais pas davantage. Or, à Mayotte ou en Guyane, compte tenu du niveau de revenu et de la composition familiale, il faudrait une différence de l'ordre d'un tiers ou de la moitié du coût de revient pour pouvoir baisser significativement le loyer.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Quel serait le loyer qui vous mettrait au point d'équilibre, en tenant compte de la sociologie comme vous en faites état ? Nous sommes en deçà des seuils des logements locatifs très sociaux (LLTS).

M. Philippe Pourcel . - En effet, en particulier à Mayotte et dans une moindre mesure en Guyane, nous faisons face à des écarts de revenus très élevés par rapport à la métropole et au reste de l'outre-mer. Pour diminuer très significativement les loyers, il faut abaisser très significativement les coûts de revient et nous ne pouvons pas y parvenir à normes constantes.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Même en agissant sur le foncier en Guyane, qui est pourtant abondant ?

M. Philippe Pourcel . - Le foncier est certes abondant et peu cher en Guyane, mais il nécessite des aménagements spéciaux. Le territoire est en outre très étendu avec un foncier peu desservi et le coût réside avant tout dans son aménagement.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) ne peut-il pas intervenir massivement ?

M. Philippe Pourcel . - Je crois qu'il investit déjà 20 millions d'euros en Guyane. L'ordre de grandeur est une demande de 3 000 à 4 000 logements de toute nature par an en Guyane. La voirie et les réseaux divers pour un tel nombre de logements représentent un montant très important. Nous discutions récemment des opérations de sortie de bidonville avec le préfet de ce territoire. Si nous voulons les financer en logement très social pour les personnes éligibles ou en hébergement pour celles qui n'ont pas d'éligibilité immédiate, il faudrait des prix de revient de moitié inférieurs à celui obtenu aujourd'hui, ce qui signifie un changement profond de la nature des constructions.

Mme Anne-Sophie Grave . - Parmi les pistes envisageables figure l'option de s'affranchir des normes de la Communauté européenne et de voir ce qui a cours dans les pays voisins. Cela suppose que l'État puisse accepter des normes de construction plus adaptées aux territoires que des normes élaborées, in fine , pour la métropole. Il y a une prise de conscience forte sur ces sujets. Le préfet est parfois prêt à utiliser son pouvoir dérogatoire . À grande échelle, c'est une question de politique publique.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je vous rejoins sur cette problématique normative. À mon sens, le problème de fond demeure le financement. Aux Antilles, des universités et instituts de recherche pourraient travailler à l'adaptation des normes et aux matériaux adéquats mais le financement leur fait défaut. Pensez-vous qu'il serait possible de créer un organisme de financement pour accompagner les universités dans des programmes de recherche spécifiques, par exemple concernant les aléas climatiques ? À la longue, nous serions gagnants en démontrant que certaines normes sont adaptables aux territoires ultramarins, à la fois du point de vue du logement et du développement économique.

Mme Anne-Sophie Grave . - Nous partageons ce point de vue. Nous ne verrions que des avantages à créer une filière de recherche et développement et d'application pratique sur ces territoires. Nous serions prêts à monter des partenariats sur ces sujets. Si nous voulons que ce soit efficace, cela doit aboutir à des évolutions réglementaires.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Il n'est pas seulement question d'innovation stricte puisque des techniques ancestrales ont fait leurs preuves. Après le cyclone Irma, nous avons constaté que les constructions, parfois vétustes, bâties de façon traditionnelle, ont bien mieux résisté que les villas récentes. Il y a aussi une histoire et un patrimoine local à explorer, à mettre en valeur et dont nous pouvons bénéficier à long terme.

Mme Anne-Sophie Grave . - En effet, nous progresserons en construisant local et avec des normes adaptées.

À propos de la redynamisation des coeurs de ville, nous opérons en partenariat avec la Banque des territoires qui intervient sur la partie commerciale quand nous intervenons sur la partie bâti et logement. Nous sommes en discussion avec un certain nombre de collectivités sur ces sujets de fond. Ils rejoignent la question de l'habitat insalubre.

M. Philippe Pourcel . - Dans des territoires exigus, on a besoin d'utiliser tous les coeurs de ville pour reconstruire. Nous intervenons sur des immeubles habités ou à réhabiliter, mais aussi sur des dents creuses ou des îlots à restructurer auxquels nous pouvons apporter une solution. Après la restructuration, il faut un investisseur, soit pour du logement social soit pour des logements destinés aux seniors ou aux étudiants. Cela permet de réutiliser des espaces parfois à l'abandon, de démolir et de reconstruire, à moins qu'ils ne présentent une qualité architecturale particulière.

Mme Anne-Sophie Grave . - Les projets redémarrent dans les collectivités. Je n'ai pas pu me déplacer comme prévu dans les territoires mais j'ai pu observer le souhait d'intervenir sur les coeurs de ville. Nous sommes en discussion avec les collectivités pour voir comment nous pouvons intervenir, comme opérateur ou investisseur, une fois l'opération montée.

Cela permet aussi de diversifier les populations et de s'adapter aux besoins. S'agissant des quotas, nous avons aujourd'hui un quota de 25 % de logements locatifs sociaux à atteindre. Cela dépend des territoires. Beaucoup de collectivités considèrent qu'elles ont suffisamment de logements locatifs sociaux et n'ont pas de capacités d'accueil supplémentaire, et limitent donc les projets de construction.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'ai souvenir d'une réponse donnée par le ministre des outre-mer à un amendement rejeté par la majorité sénatoriale avec un avis défavorable du Gouvernement sur la question des « facteurs limitants ».

Mme Anne-Sophie Grave . - Concernant la professionnalisation de la gestion administrative, celle-ci a eu lieu et a donné les résultats évoqués sur la vacance des logements, les impayés et la maîtrise d'ouvrage. Vous vous interrogiez sur le regroupement de sociétés ou la création d'opérateurs. Nous avons regroupé des sociétés à La Réunion, en créant des Groupements d'intérêt économique (GIE) qui permettent de réunir les équipes par type d'expertise, par exemple l'aménagement ou la maîtrise d'ouvrage. Cela conduit à une mise en commun des moyens pour mieux agir sans fusionner les structures. Il en est de même en Guyane.

Le sujet de nouveaux opérateurs à Mayotte ou en Guyane est délicat. Il pose la question du temps nécessaire à ce qu'un nouvel opérateur atteigne la taille critique qui lui permette d'avoir un effet sur le territoire, sans avoir une trajectoire erratique en raison d'une marche forcée. Nous avons connu des situations délicates par le passé et c'est donc une possibilité à étudier avec attention et prudence. Elle est du ressort de l'État et des autres acteurs du secteur.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je profite de la question sur la professionnalisation pour revenir sur le personnel, l'emploi des cadres locaux et les usagers. Certains se plaignent du fait qu'il n'y aurait pas assez de cadres locaux.

Mme Anne-Sophie Grave . - Je ne peux que démentir ce propos car nous cherchons activement à recruter des cadres locaux. Nous encourageons les mobilités au sein du groupe, dans les deux sens mais la priorité est donnée aux cadres locaux par rapport aux cadres métropolitains. Il n'y a pas eu de plan de licenciement dans les SIDOM. En revanche, il peut y avoir des évolutions de métier et des changements de poste. Nous avons, par exemple, eu à évoquer la situation des gardiens.

Il y a eu aussi des révisions du loyer lorsque celui-ci n'était pas adapté au patrimoine ou à la demande locale.

M. Philippe Pourcel . - Dans la lutte contre la vacance, l'état technique et le coût des loyers figurent parmi les facteurs d'attractivité. Dans les secteurs à forte vacance, nous nous sommes réinterrogés sur la compétitivité des offres que nous proposions. Nous avons réévalué les loyers des logements issus d'opérations financées en Prêts locatifs sociaux (PLS), sur la fourchette haute de la gamme. Cela a aussi conduit à baisser les loyers sur les zones moins tendues en termes de demande mais, dans ces cas, il s'agit davantage de l'évolution du parc que d'une question de loyer. Cela concerne des secteurs semi-ruraux qui ont des difficultés à garder leur population. Par endroits, nous avons pu procéder à des ventes aux occupants pour diminuer la taille du patrimoine. La trajectoire de redressement passe par les loyers puisqu'il y a davantage de logements loués et moins d'impayés. Les 160 millions d'euros de fonds propres réinvestis dans la réhabilitation sont le résultat de gestion des sociétés, pas celui des baisses de loyers, lesquelles sont plus liées aux opportunités et réalités commerciales.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Beaucoup de sujets ont été abordés. S'agissant de l'habitat de demain et de l'innovation dans la construction, la question du coût du logement a émergé aux côtés de celle des compétences et de la formation dans les entreprises du BTP ainsi que celles des matériaux locaux et du développement des filières locales. Il y a une difficulté à définir la problématique. On parle de développement de filières, de matériaux, etc. La commande publique - les bailleurs sociaux et les maîtres d'ouvrage - a une place importante si elle décide d'opérations pilotes ou de la mise en avant de matériaux, et permet d'initier la mise en place d'une filière en accompagnant les entreprises. Quelques opérations ont été réalisées en ce sens. Toutefois, quel est votre constat, et y a-t-il d'autres opérations en cours ou au stade de réflexion ? Des tentatives sont menées en faveur de l'auto-construction et de l'auto-réhabilitation encadrées, mais il semble que le bilan ne soit pas entièrement positif. Pouvez-vous développer ces sujets ?

Nous envisageons la tenue d'Assises de la construction face à la nécessité de partager les expériences et de la mise en réseau de l'ensemble des acteurs. Cette idée vous paraît-elle intéressante ?

Mme Anne-Sophie Grave . - Pour revenir sur le coût de la construction, il est frappant de constater que le prix de revient d'une opération en outre-mer est aussi élevé qu'en Ile-de-France, quand le prix du foncier est dans un rapport de 1 à 10. Les coûts de construction sont d'environ 1 800 euros du mètre carré, ce qui est très élevé. Toute démarche amenant à réfléchir à des constructions mieux adaptées, moins chères et prenant en compte les techniques de construction patrimoniales est bienvenue.

Certains surcoûts sont inhérents, pour les risques sismiques ou cycloniques, mais d'autres pourraient être évités et ne répondent pas aux besoins et usages locaux. Nous sommes très favorables à la mise en place d'actions qui puissent aller dans le sens du renforcement des filières locales et d'expérimentation ainsi qu'à la meilleure prise en compte des savoir-faire locaux et historiques. Nous serons donc partie prenante de ces discussions et sommes prêts à contribuer aux expérimentations. Je laisse la parole à Philippe Pourcel sur les expérimentations qui n'ont pas, à ce stade, donné de résultats, qu'il s'agisse de construction industrialisée ou d'action d'urgence.

M. Philippe Pourcel . - Parmi les facteurs de surcoût, il y a des facteurs objectifs comme le terrain spongieux en Guyane, ou les contraintes sismique et cyclonique, mais il y a aussi l'étroitesse des marchés. Il y a un intérêt à développer des normes locales, mais il y a aussi un intérêt à développer des normes régionales, c'est-à-dire voir ce que font les voisins. Pour un chantier en Guyane, nous achetons du bois de charpente de Scandinavie, le bois brésilien n'étant généralement pas importable en Guyane. Prendre en compte les normes et les modes constructifs voisins permettrait de se réinsérer dans un marché plus large. Construire 4 000 ou 5 000 logements par an en Guyane représenterait le double de ce qu'on fait aujourd'hui et ne représente pas un marché d'ampleur.

Si les certificateurs ne travaillent pas à l'homologation de procédés de construction naturels, c'est aussi qu'ils n'ont pas la possibilité de le faire. Nous avons mené une expérimentation avec un appel à projets de construction industrialisée en Guyane pour optimiser les prix. La moitié de nos interlocuteurs ont jugé qu'il fallait une garantie de production minimale de 2 000 logements par an pour installer une usine. À Mayotte, nous avons beaucoup travaillé autour des briques de terre compressée, un matériau local. Afin de les utiliser à une échelle industrielle, il faut envisager un minimum de 1 000 logements par an. La brique de terre ne répond pas à tous les usages, il y a notamment une limitation en hauteur. La question est donc la suivante : à quelle échelle régionale va-t-on chercher les normes qui permettent de sortir de nos marchés restreints et des contraintes existantes de concurrence et de prix ? Quelles idées emprunter aux voisins et comment les adapter ? Et comment s'adapter à des produits existants ? Nous avons de grands États voisins, que ce soit dans l'océan Indien ou aux Antilles et en Guyane.

M. Victorin Lurel, rapporteur . - L'étendue du marché est un sujet compliqué. Sur de petits marchés, il est difficile d'atteindre une économie d'échelle. Dès qu'on modernise et commercialise, ce qui était viable dans une économie parcellaire ou de subsistance cesse de l'être dans une économie de marché normée avec des appels d'offres. D'où la nécessité d'importer et de faire jouer la concurrence. L'Autorité de la concurrence a fait des études à Mayotte et à La Réunion pour conclure à l'existence d'oligopoles qui maximisent les prix avec des marges exorbitantes. En économie libérale, nous ne pouvons plus réguler directement les prix mais il faut trouver des solutions.

L'innovation a un coût, dans le passage du travail des laboratoires à la certification et à l'industrialisation. Il faut donc des subventions publiques. Certains se sont posé sérieusement la question de services publics pour soutenir ces filières afin de garder des prix à des plafonds raisonnables et répondre à l'intérêt général. On peut obtenir l'équilibre dans les Antilles et à La Réunion. En revanche il faut peut-être un pouvoir plus directif ou coercitif qui serait celui du préfet pour Mayotte ou la Guyane, ou des dérogations, afin de tenir compte de la réalité des ressources des ménages.

M. Philippe Pourcel . - Il n'y a que deux alternatives : plus de subventions ou un coût de revient moins élevé.

Mme Anne-Sophie Grave . - Ainsi qu'un produit adapté, qui est une composante de l'ensemble.

Mme Annick Petrus , présidente . - Nous vous remercions pour la clarté de vos propos et de vos réponses.

Jeudi 25 mars 2021

Audition de M. Philippe ESTINGOY, directeur général, accompagné de M. Aurélien LOPES, responsable du programme inter-outre-mer pour des bâtiments résilients et économes en énergie (OMBREE), de l'Agence qualité construction (AQC), de M. Antoine DESBARRIÈRES, directeur de Qualitel et président de Cerqual, accompagné de Mme Lisa SULLEROT, directrice des relations institutionnelles et collectivités locales, et de M. Cédric CAILLIER, responsable de la certification outre-mer

M. Stéphane Artano , président . - Mes chers collègues. Dans le cadre de l'étude sur le logement dans les outre-mer, nous auditionnons aujourd'hui Philippe Estingoy, directeur général de l'Agence qualité construction (AQC), accompagné d'Aurélien Lopes, responsable du programme inter-outre-mer pour des bâtiments résilients et économes en énergie (OMBREE). Nous recevons également Antoine Desbarrières, directeur de Qualitel et président de Cerqual, accompagné de Lisa Sullerot, directrice des relations institutionnelles et collectivités locales, et de Cédric Cailler, responsable de la certification outre-mer.

Nous les remercions vivement d'accepter de répondre aux questions de nos trois rapporteurs - Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel - sur les aspects qualitatifs et de performance des logements dans nos outre-mer.

En effet, au-delà du déficit quantitatif de l'offre de logements en outre-mer, notre rapport se doit d'aborder les questions d'amélioration et d'adaptation de l'habitat ultramarin aux défis actuels, comme celui de la transition énergétique dans le secteur du bâtiment. Nous sommes donc particulièrement intéressés par un diagnostic éclairé de la situation dans les territoires ultramarins ainsi que par vos propositions sur l'habitat neuf ou ancien.

Vous le savez également, le comité de pilotage du PLOM s'est réuni le 18 mars dernier pour faire le point sur la mise en oeuvre du Plan logement outre-mer (PLOM) 2019-2022. Le Gouvernement a ainsi annoncé que près de 8 000 logements ont été construits ou réhabilités en 2020 grâce à un investissement massif de l'État de 215 millions d'euros. En outre, tous les PLOM territoriaux ont été élaborés ou sont en cours de mise en oeuvre. En 2021, l'État devrait encore amplifier ses investissements pour le logement dans les outre-mer, à hauteur de 250 millions d'euros, afin d'augmenter et d'améliorer l'offre de logements dans les territoires ultramarins.

La présente audition est donc aussi l'occasion de revenir sur ces différentes annonces. Je vous rappelle que lors d'un débat en séance publique le 2 mars dernier sur le thème « construire plus et mieux en France », nos collègues Viviane Artigalas et Marie-Laure Pinera-Horth ont interpellé la ministre Emmanuelle Wargon sur ces sujets. Ce premier bilan depuis l'adoption du nouveau PLOM constitue un premier encouragement à poursuivre nos travaux.

Je propose que nous débutions sans plus tarder l'audition de  Philippe Estingoy et Aurélien Lopes de l'Agence qualité construction pour une présentation générale liminaire. Je donnerai ensuite la parole à Antoine Desbarrières de Qualitel ainsi qu'à son équipe. Les trois rapporteurs vous interrogeront pour des éclairages complémentaires. Je donnerai enfin la parole à nos autres collègues, en présentiel ou en distanciel, qui pourront poser à leur tour leurs questions.

M. Philippe Estingoy, directeur général de l'Agence qualité construction (AQC) . - L'Agence qualité construction est une association loi 1901 qui regroupe les principales organisations professionnelles. Elle a vocation à prévenir les désordres dans le bâtiment et à améliorer la qualité de la construction. Je rappelle qu'elle a été créée à l'initiative de l'État en corollaire de la loi Spinetta. Pour mener à bien sa mission, l'AQC dispose d'un observatoire qui lui permet de détecter les causes de la sinistralité. En parallèle, l'AQC réalise de la prévention des désordres sur les produits et techniques de construction. Dans ce cadre, elle produit de nombreux outils autour des sujets de sinistralité, à destination de tous les professionnels et des particuliers. Elle produit aussi des outils à destination des pédagogues.

Par ailleurs, l'AQC pilote de grands programmes, certains financés par le fonds de compensation de l'assurance construction, d'autres par des certificats d'économie d'énergie (CEE). Ces programmes, dont le programme OMBREE, spécifiquement ciblé sur les outre-mer, permettent de concentrer les efforts de l'AQC sur des thématiques ciblées.

L'AQC n'a jamais cessé de s'investir sur les sujets d'outre-mer et s'est toujours appuyée sur les expertises locales. En effet, les outre-mer ont certes à apprendre de l'Hexagone, mais la réciproque n'en est pas moins vraie.

Vous nous avez interrogés sur le bilan relatif au rapport sur les normes de votre délégation, publié en 2017. Je vous précise qu'en 2016, nous avions produit un rapport, à destination de votre délégation, comportant plusieurs propositions et en particulier sur la normalisation, qui ont été pour partie reprises dans votre rapport de 2017.

Au-delà de la direction générale de l'AQC, je préside, au sein de l'AFNOR, le comité stratégique (COS) construction et urbanisme. Dans le cadre de ce COS, nous avons instauré dans nos orientations stratégiques que l'approche des situations ultramarines soit systématiquement abordée lors de l'élaboration ou la révision des NF DTU. Ainsi, les avancées demandées par le rapport de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur les normes ont été rendues possibles par la mise en place d'une organisation pionnière au niveau de La Réunion puis étendues grâce à la création de CERC (Cellules économiques régionales de la construction) en Martinique et en Guadeloupe. Nous essayons de concrétiser ces avancées pour étendre ces réflexions à la Guyane.

Par ailleurs, vous avez posé des questions sur la sinistralité liée aux difficultés d'articulation entre les règles d'accessibilité et la réalité technique locale. À ce titre, je vous informe que cette situation va se dégrader avec la publication d'un arrêté qui impose la construction de douches sans ressaut ; il en sera de même dans l'Hexagone. Or, cette réglementation n'était pas en vigueur au moment de la publication du rapport de votre délégation. Les enjeux techniques autour de la réalisation de douches sans ressaut étant complexes, ces travaux représentent un coût important. En outre, le type de construction ultramarin, qui repose sur une multiplication des portes-fenêtres est particulièrement pénalisant en termes de sinistralité. En raison du vent, les pressions exercées sur les menuiseries et les écoulements d'eau sont beaucoup plus fortes, l'eau peut pénétrer dans les habitations en pied de porte-fenêtre dès qu'il n'y a pas de seuil.

L'article 19 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), est un signal très positif. Il donne la possibilité d'apporter des solutions d'effet équivalent à des obligations de moyens qui existeraient dans la réglementation dès lors que l'on montre que l'on atteint l'obligation de résultat. Cette loi, que vous avez votée, constitue un bénéfice considérable pour les outre-mer puisqu'elle pose un principe d'adaptation des réglementations de moyens. Le décret modifiant la partie  réglementaire du Code de la construction devrait être publié en juillet prochain. Il faut noter que, concomitamment, l'article 88 de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) qui préfigurait le dispositif lié à la loi ESSOC, ne s'applique plus.

Je rappelle que 60 % des normes sur la construction sont issues de Bruxelles. Je souhaite également attirer votre attention sur la situation de l'île de Saint-Martin : les parties françaises et néerlandaises ne sont pas soumises aux mêmes règles européennes, ce qui s'est particulièrement vu après le cyclone IRMA ! La question du marquage CE en outre-mer doit être traitée politiquement, dans l'intérêt de l'ensemble des outre-mer avec une recherche d'équivalence géographique. Au niveau européen, les débats autour du règlement sur les produits de construction, RPC, sont extrêmement tendus et retardent l'entrée en vigueur des normes harmonisées.

Par ailleurs, vous connaissez mieux que moi les problèmes posés par les normes de mise en oeuvre (NF DTU), en outremer, si les spécificités ultramarines ne sont pas prises en compte. Des membres de l'Union européenne, relayés par des fonctionnaires bruxellois souhaitent la production de normes de mise en oeuvre ayant vocation à s'appliquer sur tout le territoire européen. Les représentants français dans les différentes instances concernées se sont régulièrement opposés à cette production qui pourrait remettre en cause les spécificités architecturales régionales dont celles des outre-mer.

Toujours en réponse à vos inquiétudes sur la qualité architecturale des bâtiments dans les outre-mer, je signale la volonté chinoise - au travers de l'ISO - d'élaborer une norme de construction industrielle. Dans ce contexte, nous sommes en décalage total par rapport à vos attentes sur le travail historique et culturel de la construction dans les outre-mer.

Vous m'avez interrogé sur nos éventuelles activités de recherche, je vous confirme que nous n'en avons pas directement, mais que nous pouvons en piloter dans le cadre des grands programmes que j'ai évoqués.

Par ailleurs, vous nous demandiez quelles actions peuvent être menées à la fois sur le logement ancien et le logement neuf. Dans le cadre du programme OMBREE, nous menons effectivement des actions de sensibilisation, d'information et de formation pour valoriser les ressources locales disponibles, mobiliser les acteurs de terrains et proposer une plateforme de partage inter-outre-mer. Cependant, le programme OMBREE est financé par les CEE, qui ne peuvent être distribués que sur une partie du territoire national. Il ne couvre donc pas tous les outre-mer et en particulier La Nouvelle-Calédonie. Il importe d'identifier d'autres moyens pour élargir le périmètre de la plateforme.

Je vous confirme que nous ne percevons aucun financement que ce soit de la ligne budgétaire unique (LBU), de l'ANAH ou encore de l'ANRU. Il n'en demeure pas moins que les actions menées par ces deux organismes nous semblent pertinentes pour améliorer la qualité du logement en outre-mer, comme en métropole.

S'agissant de la réglementation technique aération et acoustique (RTAA), je partage le fait que la RE2020 revêt une importance fondamentale. Les enjeux énergétiques intéressent évidemment les outre-mer, mais différemment de l'Hexagone. Nous y travaillons à travers des actions sur les protections solaires, les alternatives à la climatisation, etc. Ce qui sera très utile aussi pour la l'ensemble du territoire national.

Vous nous avez posé la question suivante : « qu'attendez-vous pour les outre-mer du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets et notamment de son titre IV, se loger ? » . Sur cette question, j'attends que ce projet de loi prenne en compte des analyses scientifiques confirmées, la réalité des situations locales ainsi que l'expérience des acteurs locaux, et qu'il inscrive dans le marbre l'octroi de moyens financiers nécessaires pour la mise à niveau des constructions par rapport aux risques naturels. Le « stop-and-go » des politiques publiques est une véritable problématique en outre-mer, puisqu'il ne peut faire l'objet d'aucune régulation avec un marché voisin. Nous avons rencontré des difficultés à établir une relation de confiance sur la durée avec ces territoires. Sans une avancée sur cette thématique de la résilience aux risques naturels, une catastrophe sismique peut faire aux Antilles plus de morts que l'épidémie de Covid-19.

Pour terminer, nous avions proposé d'élaborer un programme d'amélioration des constructions en outre-mer, programme qui aurait été financé par les crédits restants du fonds de compensation des risques de l'assurance (FCAC). Or, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté le projet de loi de finances pour 2021, avec le paragraphe X de l'article 24 qui a permis - en pleine connaissance des services du Budget - de capter les quelques millions d'euros qui restaient sur le FCAC comme une recette du budget général. Nous n'avons donc plus ce moyen d'intervention à notre disposition.

Je laisse à présent la parole à Aurélien Lopes qui présentera les actions d'OMBREE.

M. Aurélien Lopes, responsable du programme inter-outre-mer pour des bâtiments résilients et économes en énergie (OMBREE) de l'Agence qualité construction (AQC) . - Je vais revenir sur les actions de l'AQC sur les territoires ultramarins à travers les programmes PACTE et OMBREE. Nous avons centré notre réflexion sur deux aspects : comment travailler avec les territoires ultramarins de façon pertinente et comment faire en sorte que l'expertise locale puisse s'exprimer et se concrétiser.

Pour rappel, le programme PACTE a été lancé en 2015 et se poursuit encore. Ce dispositif a été l'occasion d'expérimenter la production de règles de l'art locales à travers trois dispositifs : le soutien d'une commission de normalisation à La Réunion ; le soutien de la création des CERC Martinique et Guadeloupe ; la réalisation de commandes publiques de la part de la DHUP, pour la rédaction de recommandations professionnelles pour les toitures métalliques en tôle ondulée et nervurée. Pour ces recommandations professionnelles, il reste à mener à bien la concertation pour aboutir à la reconnaissance de ces règles aux Antilles et à La Réunion. Ce dernier travail devrait bientôt aboutir à la reconnaissance de ces règles pour ces territoires.

Par ailleurs, le programme PACTE a également permis le lancement d'un appel à projets. 30 projets ultramarins ont été recueillis, dont certains pour soutenir des laboratoires locaux avec des certifications COFRAC (comité français d'accréditation) du laboratoire du CIRBAT à La Réunion, qui permettent aujourd'hui de tester des menuiseries sur place. Cela a donné aux expertises locales l'opportunité de s'exprimer en vue de l'élaboration et de la diffusion de guides de construction adaptés au contexte de ces territoires.

Nous avons eu la chance de pouvoir répondre à un appel à programmes de la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat) sur les systèmes de financement des CEE. Nous avons été lauréats, avec le programme OMBREE qui nous a permis de poursuivre ce travail de réseau, mais sous un prisme différent. En l'occurrence, les efforts se sont concentrés sur les économies d'énergie, ce qui nous a amputés d'un certain nombre de possibilités sur d'autres thématiques d'importance comme les risques sismique et cyclonique. Nous avons souhaité tirer parti de nos partenariats avec des structures locales en répondant directement à l'appel à candidatures avec quatre partenaires locaux, qui ont été impliqués dans la gouvernance et le pilotage de ce programme. Nous avons réussi à créer un appel à projets dans le cadre du programme CEE. À travers ce dernier, dans le but d'améliorer la qualité énergétique des bâtiments, nous avons constitué un incubateur dont l'objectif était d'accompagner les porteurs locaux qui ne sont pas habitués à ce type de dispositifs.

Nous avons ainsi fait émerger des projets pouvant être évalués dans le cadre du dispositif CEE. En effet, depuis le début de l'année, dix lauréats sont sortis de la période d'incubation et pourront travailler sur leurs différents projets. De plus, lors de l'incubation, nous avons travaillé à la détermination de points de mutualisation ainsi que de collaborations. Des passerelles ont été établies ; nous accorderons une attention toute particulière à leur suivi afin de les encourager et consolider cette dynamique.

Enfin, nous avons l'ambition de créer une plateforme de ressources numériques qui mettra à disposition des acteurs ultramarins les ressources locales sur la construction. Cette plateforme numérique a pour objectif d'alimenter des sites internet locaux. Une association fondée en Martinique, par exemple, peut intégrer dans son site internet cette base de données pour bénéficier de la distribution de ces ressources. L'objectif étant de favoriser les expertises locales et de valoriser le réseau local.

M. Stéphane Artano , président . - Merci Messieurs. Nous vous remercions. Je vous propose à présent de poursuivre avec les intervenants de Qualitel.

Nous attendons vos contributions écrites en réponse aux questions que nous vous avons adressées, ainsi que les compléments que vous jugerez nécessaires pour éclairer les travaux de notre délégation. Nous vous invitons à mettre en évidence, au cours de cette audition, les points saillants.

M. Antoine Desbarrières, directeur de Qualitel et président de Cerqual . - L'association Qualitel a été créée par l'État dans le but de promouvoir la qualité du logement - essentiellement social. Elle est composée de membres institutionnels et réunit, outre l'État, l'AQC, le représentant du ministère en charge du logement. Elle est en outre constituée des acteurs de la filière construction et de l'offre du logement ainsi que des associations de consommateurs.

Pour mener à bien sa mission, la certification constitue le levier d'action principal. Cette dernière s'effectue au travers d'un organisme nommé Cerqual - dont j'assure la présidence - et au travers de marques de qualité avec « NF habitat », « NF habitat HQE » (en partenariat avec AFNOR) ainsi que l'alliance HQE GBC pour des bâtiments et des logements durables, respectueux de l'environnement. La certification, au sens du Code de la consommation est effectuée sous accréditation du COFRAC. Nous certifions des logements construits, rénovés et en exploitation, qu'il s'agisse de maisons individuelles ou de logements collectifs (incluant les foyers de personnes âges et résidences de service). Ainsi, en construction neuve, au niveau national, nous certifions près de la moitié des constructions de logements collectifs. En revanche pour la construction individuelle, notre certification ne concerne que 10 % des logements.

La certification est une démarche volontaire qui vise à vérifier la conformité des logements construits et rénovés par rapport à nos référentiels. Ces derniers s'appuient en premier lieu sur le respect de la réglementation et des normes de construction, mais l'essentiel recouvre les critères de qualité et de performance sur les logements au travers d'exigences de moyens ou de performance. Ces référentiels sont élaborés avec toutes les parties prenantes. En conséquence, nous avons développé des référentiels territorialisés, élaborés avec les acteurs locaux de La Réunion, la Guyane, la Guadeloupe. Des travaux sont en cours à Mayotte et en Martinique.

Quant au bilan de la mise en oeuvre des recommandations du rapport sur les normes de votre délégation, je n'ai pas d'avis à émettre au-delà des éléments évoqués par Philippe Estingoy.

Vous nous avez également questionnés sur nos travaux de recherche. Il est important de noter que notre association est dotée d'une direction études et recherche, qui contribue à la réalisation de 5 % du chiffre d'affaires du groupe Qualitel. Ces travaux, concernant les outre-mer, nous mènent le plus souvent à conduire des expérimentations sur les sujets relatifs à la qualité de l'air intérieur et la ventilation notamment. Qualitel dispose d'une vraie expertise en matière d'acoustique et de performance énergétique. Nous intervenons sur l'ensemble des critères, lesquels critères déterminent la qualité d'un logement. Notre conseil d'administration est d'ailleurs très attaché à cette approche multicritère. Par exemple, il est inutile de rénover énergétiquement un immeuble si l'on ne s'intéresse pas aux questions de sécurité et de confort, en particulier acoustique.

Quant à la résilience vis-à-vis du changement climatique, nous avons développé un outil d'aide à la décision, qui permet, à partir d'une analyse des aléas climatiques, de définir les exigences que devra satisfaire un projet de rénovation ou de construction entrant dans le cadre de la certification. Nous avons élaboré cet outil en partenariat avec la mission risques naturels de la Fédération française de l'assurance (FFA).

Nos référentiels, dès lors qu'ils sont territorialisés, sont guidés par des exigences de moyens pour la construction. Je pense à des sujets très basiques comme la mise hors d'eau du tableau électrique en présence de centrale de ventilation ou de climatisation, la surélévation des habitations, la pose d'anneaux d'amarrage afin de faciliter l'évacuation en cas d'inondation, la présence de batardeaux, etc. Les acteurs attendent que nous leur apportions des solutions ayant prouvé leur efficacité. Notre objectif est bien d'assurer l'accès à la qualité globale pour le plus grand nombre.

Je laisserai Cédric Caillier aborder les spécificités des outre-mer en termes d'exigences. Lisa Sullerot évoquera ensuite les aspects financiers. Historiquement, la certification a été utilisée par les collectivités territoriales pour s'assurer de la bonne utilisation de leurs subventions.

À mon sens, la notion de résilience climatique est absente du projet de loi. Or, il me semblerait opportun d'intégrer cette dimension, ainsi que celle de la spécificité des territoires ultramarins.

Enfin, vous nous avez invités à formuler des propositions visant à améliorer la qualité des constructions en outre-mer. Je laisserai le champ de la construction à l'AQC. Un logement de qualité repose nécessairement sur une qualité de construction.

Je voudrais attirer votre attention sur le baromètre de la qualité du logement que nous avons développé avec IPSOS. Les logements les plus récents sont les mieux appréciés des Français, puisqu'ils obtiennent une note moyenne de 7,5 (contre 6,7 pour l'ensemble des logements). Cette note est encore plus élevée pour les logements certifiés (7,9). Il convient donc de promouvoir le recours à la certification via les dispositifs d'incitation financière.

M. Cédric Caillier, responsable de la certification outre-mer . - Nous sommes présents en outre-mer depuis 2010 et avons implanté une agence à l'île de La Réunion, dont j'ai la responsabilité. Nous sommes en outre présents en Guyane depuis 2018 et en Guadeloupe depuis 2019. Près de 8 000 logements ont été soit certifiés, soit sont en cours d'évaluation. Tous nos référentiels d'évaluation sont adaptés localement grâce à des comités NF Habitat et NF Habitat HQE. Ces comités réunissent les acteurs du logement de chacun des territoires (l'ARMOS, la DEAL, l'Ordre des architectes, les services des collectivités, etc.) et permettent d'offrir des référentiels sur mesure répondant localement aux besoins et spécificités. L'île de La Réunion est concernée par près de 7 000 logements, dont environ 3 000 sont certifiés et livrés. La certification procède d'une démarche volontaire. Tout référentiel doit faire l'objet d'un contrôle, tant en phase de conception que de livraison. Ce référentiel est aujourd'hui bien maîtrisé par les acteurs locaux. Nous nous adaptons aux outre-mer dans leur pluralité car les demandes sont spécifiques pour chaque territoire. À La Réunion, on nous a demandé de rehausser de manière assez importante l'isolation des façades et la protection des baies ; en Guadeloupe, de rendre les séjours traversants ; en Guyane, d'étudier la mise en place de dispositifs permettant d'éviter le ruissellement de l'eau sur les façades, etc. Les principales attentes des habitants concernent le confort hygrothermique.

Notre objectif est de poursuivre l'adaptation des référentiels en fonction des mises à jour réalisées chaque année, et des retours d'expérience des maîtres d'ouvrage et des équipes de maîtrise d'oeuvre. De plus, une expérimentation est en cours à Mayotte sur deux opérations. De même, nous souhaitons développer des projets en Martinique sous réserve que les contraintes sanitaires soient levées. L es difficultés que nous avons rencontrées lors de l'instruction des dossiers de certification ou encore en termes d'approvisionnement en matériaux étaient surtout liées à des incohérences entre les préconisations des notes de calcul (sur les facteurs solaires, la toiture, la porosité des façades) et l'intégration de ces dernières dans les CCTP (cahier des clauses techniques particulières).

En matière de rénovation, le sujet de la qualité certifiée est aujourd'hui plutôt porté par le neuf et les bailleurs sociaux. Ainsi, nous avons très peu d'opérations en rénovation du fait d'une problématique d'accompagnement financier. En effet, ces dispositifs existent pour la certification du logement neuf et sont moins nombreux en ce qui concerne la réhabilitation.

En outre, certaines opérations ont été décidées très tardivement. Or, les maîtres d'oeuvre n'apprécient pas de voir leur projet remis en cause. C'est pourquoi il faut intégrer le référentiel très en amont, accompagner le maître d'ouvrage tout au long de la conception du projet, puis procéder à des contrôles de conformité avant la livraison des logements.

Concernant la rénovation, la présence d'amiante a été constatée sur de nombreux parcs HLM, notamment à La Réunion.

M. Antoine Desbarrières . - Cette problématique génère non seulement un coût important de travaux, mais pose également la question du traitement et de l'évacuation des déchets amiante. En effet, il n'existe pas de filière dédiée à ces opérations sur ces territoires. Cette carence interdit pour l'instant tout projet global de rénovation.

Mme Lisa Sullerot, directrice des relations institutionnelles et collectivités locales . - Vous nous avez par ailleurs interrogés sur les aides financières, notamment celles des agences nationales comme l'ANAH ou l'ANRU. Les aides de l'ANRU sont difficilement applicables aux projets de rénovation en outre-mer, faute d'éligibilité aux labels HPE rénovation et BBC rénovation.

Nous souhaitons en outre porter à votre connaissance une aide spécifique aux outre-mer, instaurée en 2018 : l'éco-prêt logement social DOM. Ce dispositif n'est quasiment pas utilisé par les bailleurs sur les territoires ultramarins. Or, c'est un éco-prêt qui permet d'affecter 16 000 euros par logement sur des bouquets de travaux. Il peut être assorti d'un prêt complémentaire de 2 000 euros pour répondre aux exigences environnementales. Ce dispositif reste encore peu utilisé, peut-être en raison de sa complexité. Il serait donc pertinent de mener une réflexion approfondie sur ce type d'aides qui fonctionnent dans l'Hexagone, mais se révèlent difficiles à appliquer en outre-mer.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Mesdames, Messieurs, je vous remercie pour la qualité de vos interventions et vous rejoins sur quasiment tous les points évoqués, notamment en matière de sécurité des populations face au risque sismique.

L'une des principales problématiques est celle des normes, notamment l'impact des normes européennes sur la France et plus particulièrement les outre-mer. Nous comptons donc sur vous pour nous accompagner dans ce travail de longue haleine. Ce travail incombe certes aux politiques, mais la situation sur le terrain est bien plus complexe à mettre en oeuvre. Cette réalité est parfois oubliée du fait de la distance avec l'Hexagone. Il convient de souligner que l'acheminement des matériaux augmente considérablement l'empreinte carbone. Il est donc préférable de choisir des matériaux disponibles sur place.

Je n'ai pas de questions particulières puisque vous avez été très éclairants sur le sujet. Je laisserai donc la parole à Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - À titre personnel, la question de la certification et des labels me semble importante. Nos dispositifs de labellisation en France sont souvent marqués par l'absence de contrôle en fin de chantier, alors même que les qualités d'exécution sont parfois loin d'être satisfaisantes. En ce sens, il est tout à fait intéressant d'intégrer la démarche le plus amont possible et d'accompagner la maîtrise d'oeuvre jusqu'au chantier.

Quelles problématiques rencontrez-vous justement à ces différentes étapes ? Ont-elles trait à la maîtrise d'oeuvre et les préconisations qui sont faites ou à la réalisation et la mise en conformité des chantiers ? Au cours de nos différentes auditions, particulièrement sur les DOM, la problématique récurrente était celle du manque d'entreprises qualifiées. Ainsi, la question de l'accompagnement des entreprises dans leur montée en compétences et de votre rôle dans la formation se pose également.

S'agissant des matériaux locaux, nous savons que plusieurs expérimentations ont été menées. Il convient de déterminer de quelle manière intégrer - dans la réglementation et la certification - l'expérimentation de différents matériaux.

En outre, avez-vous été associés à la RE2020 ? Enfin, la question du partage des pratiques est intéressante à examiner. Il a notamment été proposé d'organiser des Assises du logement. Je souhaite connaître votre ressenti sur cette possibilité et sur votre participation éventuelle.

M. Antoine Desbarrières . - Pour revenir sur la certification, les processus que nous avons développés depuis 40 ans visent à accompagner les professionnels au maximum dans leur projet, essentiellement dans les phases de conception. Il y a toutefois bien un accompagnement dans la maîtrise d'ouvrage pour que ce projet atteigne les niveaux d'exigence et de performance requis. L'accompagnement est donc très important même si le juge reste impartial et indépendant, les certificats pouvant être retirés en cas de contrôle négatif.

Les référentiels de certification consistent à partager les bonnes pratiques auprès de tous les acteurs.

En ce qui concerne le recours aux matériaux locaux, je vous livrerai deux exemples. Le bois utilisé en Guyane est acheminé depuis l'Hexagone, car le bois amazonien est trop coûteux et ne répond pas aux standards. Les expérimentations menées en Martinique avec la filière du lisier démontrent que nous sommes capables d'intégrer à nos projets de certification des dispositifs nouveaux, dans une approche multicritère.

Enfin, nous avons bien été impliqués dans les travaux sur la RE2020. Un label a été instauré par l'État il y a quelques années pour expérimenter ce changement radical de paradigme. Malheureusement, il semble que le retour d'expérience n'ait pas été pris en compte dans son entièreté. Même si nous partageons évidemment le constat de l'urgence climatique, il nous semble que les actions sont menées trop rapidement. Il faut tenir compte des capacités des filières. Dans l'Hexagone, par exemple, la filière bois ne sera pas nécessairement en capacité de suivre l'évolution de la réglementation.

M. Cédric Caillier . - À La Réunion, nous avons intégré des matériaux locaux via une marque de qualité nommée Géocert et développée par l'Association de développement industriel de La Réunion (ADIR). Elle vise à garantir la durabilité de certains matériaux au regard des conditions climatiques locales. Ce dispositif est opérationnel et nous sommes à l'écoute des partenaires. Nous sommes donc prêts à tenir compte des matériaux qui seraient issus d'une filière locale.

M. Philippe Estingoy . - Du fait du caractère insulaire de ces territoires, les entreprises ne peuvent voir le jour que s'il existe des besoins pérennes. En conséquence, les problèmes de manque d'entreprises surviennent principalement lors de pics d'activité. Par ailleurs, le niveau de qualification des entreprises n'est pas du ressort de Qualitel, mais des organismes de qualification. À ce titre, effectivement, un certain retard a été constaté, particulièrement dans la qualification RGE des entreprises. Cela signifie qu'un travail supplémentaire est nécessaire pour inciter les entreprises à intégrer le dispositif de qualification. Pour les entreprises, il existe un programme dédié aux formations aux économies d'énergie (FEEBAT) dont nous assurons le secrétariat technique. C'est un programme qui génère des formations spécifiques pour les outre-mer dans le but d'améliorer la qualité des professionnels des entreprises.

Vous nous avez par ailleurs interrogés sur les nouveaux matériaux. À ce sujet, dans le cadre d'OMBREE, nous soutenons actuellement un projet d'étude sur la terre crue à Mayotte et en Guyane. De plus, dans l'Hexagone, il existe des recommandations professionnelles « paille » qui sont reconnues comme des techniques courantes. La filière « paille » est très intéressante, motivée et effective. Il importe d'aider les acteurs locaux à mettre en place des dispositifs de mesure de la performance de ces matériaux nouveaux afin de pouvoir transposer ces règles, sans nécessairement entrer dans le cadre des dispositifs européens. Ces matériaux doivent remplir la fonction attendue au titre de la construction. Or, en Guyane et à La Réunion, le bois de construction est importé, car le bois présent sur ces territoires n'est pas suffisamment caractérisé et les classes de service ne sont pas déterminées (ce qui a pour conséquence de faire le choix par défaut d'une classe 4 très contraignante). Il est donc primordial que nous soutenions un travail de qualification des bois locaux de façon à ce que les règles de construction soient adaptées aux propriétés mécaniques et physiques des matériaux locaux.

Par ailleurs, le 10 décembre 2018, nous avons organisé à Paris la première réunion construction des outre-mer pour permettre aux acteurs de se rencontrer. Depuis cette date, nous proposons régulièrement des réunions en visioconférence afin de nourrir ces échanges. De plus, la loi de finances pour 2020 prévoyait un projet spécifique dédié à la mise en place de zones d'échanges autour de réunions entre les acteurs de la construction, ainsi que d'autres dispositifs de partage de l'information.

Enfin, concernant la RE2020, nous avons réalisé des changements de paradigme considérables dans les méthodes de conception et dans les méthodes de travail des entreprises. La RE2020 est indispensable, mais le report de sa mise en oeuvre au 1 er janvier 2022 n'est pas dramatique. Toutefois, je tiens à vous signaler que l'un des grands combats de cette réglementation porte sur la performance énergétique. Nul n'est aujourd'hui capable de la mesurer réellement. Nous nous y appliquons depuis de nombreuses années, même si ce travail est d'une grande complexité technique. Nous serons ainsi en mesure d'effectuer une première mesure de la performance énergétique intrinsèque d'ici fin 2021. La RE2020 nous permettra d'accomplir des progrès considérables au regard de l'enjeu carbone.

M. Aurélien Lopes . - Le projet de construction à partir de briques en terre crue en Guyane et à Mayotte est bien un projet collaboratif entre ces deux territoires.

Toujours sur cette thématique de mutualisation, le projet de qualification de classes de service des bois a débuté en Martinique, en Guadeloupe et se décline pour la Guyane en application de la même méthodologie. C'est à nouveau un exemple de mutualisation des savoirs qui permet d'accélérer les processus en transposant des projets portés par des acteurs locaux.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie et je laisse à présent la parole à mes collègues.

Je partage pleinement vos propos, Monsieur Lopes, sur la nécessité de travailler en étroite collaboration avec les acteurs locaux. Je crois en outre que nous devrions tenir compte des bureaux de contrôle locaux. En effet, lorsque nous avions réalisé notre rapport sur les normes dans le BTP, on nous expliquait par exemple que les termites en outre-mer étaient très différents. Or, s'il existait des moyens spécifiques pour répondre à cette problématique, les produits appliqués dans l'Hexagone avaient une efficacité toute relative. Pour faire certifier un produit local et l'utiliser, il fallait observer un processus fastidieux incluant la validation du produit par la métropole puis par les autorités européennes, impliquant des allers-retours incessants. Aussi, lorsque des bureaux de contrôle locaux existent, nous devrions tenir compte de leurs préconisations de portée locale sans passer par un circuit de qualification trop onéreux.

La question du traitement des déchets doit enfin être examinée, notamment au regard du risque de catastrophes naturelles.

M. Philippe Estingoy . - Concernant le sujet des termites, la loi ESSOC, en son article 49, permettra de mettre en place des solutions d'effets équivalents qui seront validées par des bureaux de contrôles techniques locaux qui vérifieront leur efficacité. En ce sens, cette loi représente une avancée majeure.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Pour revenir sur la question du calcul de la performance énergétique, la complexité de ce procédé n'est pas à démontrer. Au demeurant, la RE2020 dépasse cet aspect technique ; elle pose la question de l'usage carbone et des matériaux biosourcés.

S'agissant de la classification du bois, il serait intéressant de partager les expériences réalisées dans l'Hexagone - où il n'est pas rare d'utiliser du bois importé. Aussi, il est important de trouver des solutions pour s'approprier la ressource locale, quel que soit le territoire. Certains exemples sont pertinents, comme la labellisation du bois des Alpes qui permet, en termes de marchés publics, de cibler plus facilement ce type de bois. À l'instar des AOP ou des AOC, la labélisation du bois permet une réflexion globale sur la filière et d'intégrer les aspects éthiques de gestion de la forêt et de conditions de mise en oeuvre du bois.

M. Philippe Estingoy . - Je vous confirme que les outre-mer peuvent apprendre de l'Hexagone. Inversement, la métropole apprendra des outre-mer. Par ailleurs, des investissements massifs sont effectués sur les enjeux du bois. Je suis donc plus optimiste que mon collègue, Antoine Desbarrières : les filières bois s'organisent enfin. Elles amorcent des progrès certains en matière de réglementation sur la construction bois notamment, et entreprennent de nombreuses expérimentations pour une gestion de la filière éthique et durable. Les industriels n'apprécient pas le « stop-and-go ». En l'occurrence, la RE2020 leur apporte une visibilité sur le long terme.

M. Stéphane Artano , président . - En l'absence d'autres demandes de prise de parole, je vous remercie tous de votre disponibilité, ainsi que de la qualité de vos interventions et de vos contributions que vous ne manquerez pas de nous transmettre.

Jeudi 25 mars 2021

Audition de M. Jean-Christophe BOUISSOU, ministre du logement, de l'aménagement et des transports scolaires du gouvernement de la Polynésie française, accompagné de M. Oraihoomana TEURURAI, délégué à l'habitat et à la ville, et Mme Emmanuelle THÉNOT, directrice de la délégation
à l'habitat et à la ville

M. Stéphane Artano , président . - Monsieur le Ministre, je vous remercie sincèrement d'avoir accepté cet échange, lequel s'inscrit dans le cadre de nos auditions en vue du rapport sur le logement dans les outre-mer de nos trois collègues rapporteurs : Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Cette étude a l'ambition de couvrir, autant que faire se peut, l'ensemble des territoires ultramarins. Dans ce contexte, il est essentiel d'y inclure les collectivités du Pacifique qui sont confrontées à des défis spécifiques, liés notamment aux risques naturels et aux conséquences du réchauffement climatique.

Nous partageons également de nombreux sujets communs, comme la production de logements abordables, la rénovation du bâti ancien ou les adaptations aux nouveaux modes de vie. Nous accordons beaucoup d'importance aux regards croisés entre les outre-mer.

La Polynésie est représentée au sein de la Délégation sénatoriale aux outre-mer par nos collègues Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch.

Nous saisissons l'occasion pour les saluer chaleureusement, car la crise du Covid a considérablement limité les déplacements.

Je vous précise que la délégation a déjà procédé à une douzaine d'auditions, notamment avec les organismes nationaux. Nous les poursuivrons au cours des prochaines semaines en nous attachant aux contextes et aux particularités de chaque territoire.

La politique publique de l'habitat « 2021-2030 » de la Polynésie française a fait récemment l'objet d'une présentation. Sa programmation de logements sur dix ans et son objectif d'un habitat digne pour tous, englobant le secteur public comme le secteur privé, ont retenu toute notre attention.

Monsieur le Ministre, je vous invite à nous exposer votre projet en vous guidant de la trame qui vous a été adressée. Ensuite, Micheline Jacques, rapporteure, vous demandera si nécessaire des éclairages complémentaires. Enfin, les collègues présents vous questionneront à leur tour.

M. Jean-Christophe Bouissou , ministre du logement, de l'aménagement et des transports scolaires du gouvernement de la Polynésie française . - Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers amis parlementaires, je suis très heureux de vous accueillir, de manière virtuelle, en Polynésie.

Je suis chargé de la politique du logement en Polynésie française, mais également de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et des problématiques de transport, intérieur et maritime. J'interviens aujourd'hui en ma qualité de ministre de l'aménagement et du logement.

Vous l'avez dit en préambule, la Polynésie française est une collectivité d'outre-mer particulière. Elle est en effet située à quelques 18 000 kilomètres de l'Hexagone, dans une région du Pacifique dont le contour est aussi vaste que l'Europe et l'espace maritime de l'ordre de 5,5 millions de km 2 .

La dispersion des îles présente d'incontestables inconvénients. Cependant, l'espace maritime de la Polynésie est aussi un immense atout.

En effet, la Polynésie française est située à égale distance entre la Chine, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'un côté, l'Amérique d'un autre côté. Elle est donc un passage obligé, d'une part, pour le transport aérien et maritime, car les distances sont très grandes, d'autre part, pour les câblages, car la connectivité et les connexions numériques sont indispensables au développement de nos territoires en matière de communication.

Dans ce contexte, nous avons élaboré un schéma d'aménagement général de la Polynésie française (SAGE), que nous avons considéré comme un prérequis à la définition de nos politiques publiques. Depuis 2014, le gouvernement d'Édouard Fritch a en effet conduit plusieurs études dans le cadre de la définition des politiques sectorielles - tourisme, pêche, économie bleue, agriculture, transport aérien, transport maritime.

Nous finalisons actuellement deux grands sujets qui concernent d'une part, la politique foncière de la Polynésie française, laquelle relève du vice-président du gouvernement Teari Alpha ; d'autre part, la définition de notre politique publique de l'habitat, dont je suis chargé.

Cette politique publique de l'habitat est pratiquement achevée, les conclusions de l'étude seront rendues mi-avril. Elle a été conçue en fonction des objectifs de notre schéma d'aménagement du territoire.

Dans un contexte d'augmentation de la population estimée à 10 % sur la période, nous souhaitons permettre aux habitants d'être logés dignement pendant les vingt prochaines années en favorisant le développement des archipels.

La politique menée jusqu'à présent a conduit à l'hyperconcentration sur les îles de Tahiti et Moorea, où vivent aujourd'hui les trois quarts de la population polynésienne. L'archipel de la Société, y compris les îles sous-le-vent - Bora-Bora, Raiatea - distantes d'environ 250 kms de Papeete, abrite 84 % de la population.

Au travers d'un schéma d'aménagement, nous souhaitons permettre un inversement du flux migratoire polynésien, de l'île de Tahiti vers les archipels. Pour ce faire, il nous faut développer les ressources propres de ces archipels.

Le tourisme est la vocation de nos îles. Les îles Marquises suscitent notamment un intérêt grandissant.

Le développement des archipels nécessite des outils structurants et des investissements lourds dans plusieurs domaines. C'est pourquoi notre schéma d'aménagement prévoit d'ouvrir la Polynésie, grâce à des points d'entrée distincts de l'aéroport de Tahiti-Faa'a. La création d'un aéroport de dégagement à Rangiroa et l'ouverture des Marquises à l'international visent notamment cet objectif.

Une meilleure desserte de l'archipel des Marquises répond en outre à un souhait de rapprochement des Îles d'Hawaï, lequel a été émis à l'occasion de plusieurs discussions avec le gouvernement de cet État et des responsables de compagnies aériennes. Il permettrait en effet de restaurer la culture hawaïenne, car cette dernière tend à disparaître en raison d'un modèle de développement et d'une société qui ont progressivement écarté les Hawaïens d'origine et partant, les langues polynésiennes, et la représentation de ces derniers dans certaines structures et centres de pouvoir.

Trois ou quatre points d'entrée sont donc nécessaires pour permettre le transport international des personnes qui souhaitent visiter la Polynésie. Bora-Bora a vocation à recevoir des jets privés.

Dans ce cadre, nous voulons développer l'ensemble des activités nécessaires et souhaitées, y compris par les élus des archipels. Le schéma d'aménagement du territoire a été conçu avec les maires, les parlementaires, les élus de l'Assemblée et les forces vives du pays - les chefs d'entreprise notamment.

Notre politique publique de l'habitat ne se limite donc pas aux conditions de vie des familles dans les quartiers, mais s'intègre dans une vision plus large. Nous souhaitons en effet traiter de l'habitat, des transports et des logements dans le tissu urbain en particulier sur la commune de Papeete où vit trois quart de la population.

Notre démarche s'est appuyée sur plusieurs constats. D'abord, nos moyens actuels ne suffisent pas à la réalisation de nos objectifs.

Ensuite, notre politique de logement social, définie depuis 1999, nous permet de servir les familles qui gagnent moins de 2,5 SMIC, mais elle écarte la population qui travaille en métropole, dispose de revenus intermédiaires et paye des impôts et taxes. Cette dernière n'est notamment pas soutenue dans ses projets de primo-accession.

De nombreuses mesures ont été mises en place empiriquement et progressivement. Les logements sociaux sont financés par deux sources : la participation de l'État au titre des subventions publiques nationales et les prêts. Cette politique se révèle à la fois insuffisante eu égard au nombre de logements à construire et très onéreuse pour les pouvoirs publics. 1 400 logements doivent être construits chaque année pour rattraper le retard constaté. 3 600 familles ont en effet constitué des dossiers pour solliciter un logement social en locatif simple. Ce chiffre inclut les objectifs en matière d'habitat dispersé et de résorption de l'habitat insalubre.

Malgré les problématiques foncières, les ménages polynésiens ont encore la faculté de construire sur leurs propres terres. La gestion de l'indivision reste alors interne aux familles. Elles peuvent également acquérir des terrains, car la redistribution des terres domaniales par le gouvernement facilite leur accès à la propriété.

La mesure relative à l'habitat dispersé permet aux familles qui respectent les conditions d'éligibilité de construire leur logement individuel aux normes paracycloniques sur un terrain appartenant à autrui, en contrepartie d'un bail de longue durée. Notre ambition se concrétise chaque année par la construction de 400 à 500 logements en habitat dispersé.

Des mesures relatives à la réhabilitation des logements, comme les aides en matériaux, complètent ce dispositif, mais nous avons encore beaucoup à faire dans ces domaines. À cet égard, la fédération SOLIHA - Solidaires pour l'habitat - qui existe dans l'hexagone pourrait être reproduite utilement en Polynésie pour accompagner les familles dans la réhabilitation de leur logement.

Nous souhaitons également ouvrir les financements à d'autres sources, car les financements publics demeurent coûteux. Les subventions publiques pourraient ainsi être utilisées à travers un levier de remboursement d'emprunt.

Nous avons commencé à réfléchir avec la Caisse des dépôts et consignations à un modèle de financement qui repose sur une restructuration de nos opérateurs locaux du logement social, dont l'Office polynésien de l'habitat (OPH).

Nous souhaitons permettre l'accès à des prêts de long terme - 40 ans pour des constructions de logement et 60 ans pour du foncier - à des taux quasi nuls. Dans cette optique, nous peinons à solliciter des structures comme Action Logement, qui collecte les contributions des entreprises métropolitaines au 1 % logement. L'adhésion et la participation des entreprises polynésiennes méritent d'être envisagées dans ce cadre.

Nous veillons enfin à ce que la Polynésie française puisse bénéficier des actions de l'ANRU et de l'ANAH, lesquelles peuvent nous aider à réaliser les objectifs de notre politique publique de l'habitat.

M. Stéphane Artano , président . - Je vous remercie, Monsieur le Ministre, pour votre présentation. Les voies alternatives que vous recherchez pour faire appel à des opérateurs bénéficiant d'une assise nationale constituent notamment une piste intéressante que d'autres territoires pourraient exploiter également.

Mme Micheline Jacques , rapporteur . - Monsieur le Ministre, je vous félicite pour le projet ambitieux que vous avez prévu pour la Polynésie française, car la conciliation entre l'aménagement du territoire et l'exiguïté des territoires insulaires se révèle parfois difficile, d'autant plus qu'elle est contrainte par les risques naturels. J'apprécie énormément le travail qui est le vôtre.

Votre présentation a été très complète. J'aimerais orienter mes questions vers des problématiques d'ordre social. Je me préoccupe notamment des modalités d'association de la population à ce vaste projet d'aménagement, de la capacité de la main-d'oeuvre locale à atteindre vos objectifs ainsi que de l'impact des coûts de revient sur l'accession au logement et à la propriété de toutes les franges de la population.

M. Jean-Christophe Bouissou . - La Polynésie est en effet exposée aux risques cyclonique et de submersion marine. Nous essayons d'adapter nos logements en fonction de ces risques très importants.

En Polynésie, le secteur du bâtiment et des travaux publics se porte bien malgré la crise sanitaire. Les communes et le pays injectent en effet des montants conséquents à travers leurs politiques d'investissement et les projets privés poursuivent leur développement, car les besoins en construction de logements demeurent importants.

Les ménages qui ne peuvent bénéficier de logements sociaux sollicitent les aides publiques. L'aide à l'investissement des ménages leur permet d'accéder à des prêts consentis par les banques locales.

Le sénateur Teva Rohfritsch a initié ce vaste travail alors qu'il était ministre de l'économie et des finances, chargé des grands projets.

Sans ce cadre, nous rencontrerions certainement des difficultés à faire travailler les entreprises sur ces grands projets et à poursuivre l'énorme chantier de construction de logements souhaités.

Par ailleurs, nous avons rencontré tous les conseils municipaux de l'ensemble du territoire. Je me suis rendu personnellement à la rencontre des élus, des acteurs et de la population, laquelle a été invitée à s'exprimer.

Nous utilisons également les moyens modernes de communication et disposons d'un site internet qui nous permet de recueillir les avis, souhaits et propositions des habitants des archipels.

Nous avons ainsi obtenu l'unanimité des votes de l'Assemblée au sujet de notre schéma d'aménagement. Nous espérons que notre politique publique de l'habitat aura le même succès.

Nous constatons clairement une hausse des prix à la construction du mètre carré. Cette évolution s'explique notamment par les nombreux investissements spéculatifs que réalise la population locale, voire nationale. La part des logements ainsi acquis est estimée à 20 % des logements construits.

L'augmentation des loyers provoque une flambée des prix d'accès au logement et les entreprises bénéficient de cette politique inflationniste. Les coûts à l'importation évoluent peu. Les augmentations relatives des indices de la construction et des prix à la consommation confirment l'aspect spéculatif des investissements.

C'est pourquoi notre politique publique de l'habitat s'inscrit dans une logique de régulation, particulièrement dans le secteur du logement intermédiaire.

Mme Victoire Jasmin . - J'aimerais savoir si vous disposez sur place de tous les matériaux nécessaires pour le plan que vous allez mettre en oeuvre. Si, au contraire, vous en importez, j'aimerais connaître la part que représentent ces coûts dans les frais d'approvisionnement.

M. Jean-Christophe Bouissou . - Nous importons la majorité des matériaux de construction - ciment, bois - que nous transformons localement.

Grâce au soutien du programme PACTE, nous avons étudié la filière bois qui n'a pas été exploitée jusqu'à présent. Elle nous intéresse particulièrement, car il existe un gisement important de pins des Caraïbes dans trois archipels - Îles Marquises, Îles sous-le-vent et Îles Australes. Ce bois est susceptible de satisfaire aux conditions de construction de logements en habitat dispersé.

L'utilisation de ce bois, ancienne en Polynésie française, éviterait d'importer 30 à 40 % des besoins en bois depuis les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie.

Nous avons intégré la filière bois locale à nos achats dans nos récents appels d'offres. Je rappelle que 45 à 50 millions d'euros sont consacrés chaque année à la construction de 400 à 500 logements. La place du bois au niveau de la structure et des coûts est donc importante.

Mme Victoire Jasmin . - J'aimerais aborder le risque assurantiel. Je m'interroge particulièrement sur les coûts d'assurance, compte tenu de la réticence éventuelle de certains assureurs et de l'existence de normes relatives aux risques naturels majeurs.

M. Jean-Christophe Bouissou . - En Polynésie française, nous avons des droits et taxes à l'importation, que nous avons très largement fait baisser depuis l'instauration de la taxe sur la valeur ajoutée. Nous avons encore des droits de douane et quelques taxes sur des produits qui concurrencent les produits que nous souhaitons développer localement.

Par ailleurs, nous disposons d'éléments éclairés issus des analyses réalisées sur le traitement du bois. La certification du bois et de son traitement reste à confirmer par une norme.

Nous n'avons pas beaucoup évolué sur la question de l'assurance décennale en Polynésie française. La loi Spinetta a été rendue applicable et étendue en Polynésie française. Pourtant, les entreprises, qui sont tenues de justifier d'une garantie décennale, ne sont pas systématiquement couvertes par les compagnies d'assurance en cas de sinistre. Le deuxième volet de cette loi doit donc encore être appliqué en Polynésie.

M. Stéphane Artano , président . - La mise en place d'une filière bois sur votre territoire repose sur un processus de certification de ce bois, pour respecter les normes de construction notamment. Le hasard a voulu que la délégation sénatoriale auditionne ce matin l'Agence Qualité Construction et Qualitel qui sont des organismes de certification. Pour certifier les matériaux issus de la filière que vous allez mettre en place, solliciterez-vous des entités nationales qui existent déjà ou disposez-vous d'un processus de certification propre à votre territoire ?

Par ailleurs, pour avoir accès à des opérateurs nationaux de type Action Logement, pensez-vous qu'il vous faudra trouver un véhicule législatif qui permette de contourner ou de régler le sujet de la cotisation des entreprises de votre territoire à Action Logement ?

M. Jean-Christophe Bouissou . - Je vous propose qu'Emmanuelle Thénot, directrice de la délégation à l'habitat et à la ville, réponde aux questions relatives à la certification.

Mme Emmanuelle Thénot, directrice de la délégation à l'habitat et à la ville. - Je suis très honorée de participer à cette réunion qui concerne la politique de l'habitat en Polynésie.

Le ministère de l'agriculture et la direction de l'habitat et de la ville ont travaillé conjointement sur les normes de construction en bois local. Depuis deux ans, le pin des Caraïbes est certifié pour être du bois de structure.

Un corpus réglementaire sur la qualité de la construction, un code de la construction et un code de l'habitation locale sont en cours de développement. L'Agence qualité construction (AQC) assure également le secrétariat du projet PACTE. Dans ce cadre, elle suit le projet que nous avons mené sur la filière construction en bois local. Elle sera invitée en juin à participer à un séminaire de restitution de l'ensemble de nos réflexions sur la filière construction en bois local.

Par ailleurs, les premiers pilotis sur l'eau en bois ont été réalisés en Polynésie française à l'occasion d'un projet hôtelier. Certains assureurs seraient certainement enclins à travailler sur des projets atypiques.

M. Jean-Christophe Bouissou . - J'ai ouvert un débat local avec nos partenaires sociaux - fédérations des entreprises et syndicats de salariés - pour aborder la cotisation patronale au 1 % logement constituant le Fonds de solidarité habitat (FSH), laquelle a disparu en 2006 au profit des politiques familiales.

65 % des salariés des entreprises polynésiennes bénéficient des politiques publiques de l'habitat. Restaurer cette cotisation permettrait d'apporter notre contribution à Action Logement et de bénéficier des lignes de crédit - subventions, prêts.

Nous dépensons chaque année cent millions d'euros pour financer les constructions de logement. Un emprunt de 40 milliards de francs Pacifique sur 40 ans engendre un remboursement annuel d'un milliard. L'effet de levier est extraordinaire. Nous souhaitons en bénéficier en Polynésie.

Il sera certainement nécessaire de réfléchir sur le plan réglementaire ou de légiférer, car la définition de notre politique en matière de cotisations patronales et salariales relève de nos instances locales. L'accompagnement de l'État français est sans doute aussi à envisager.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Lors de diverses auditions auxquelles nous avons assisté, la faible disponibilité du foncier a été évoquée. Par ailleurs, les dispositifs en place induisent une inadéquation entre les projets et l'aménagement du foncier. Comment le foncier est-il organisé en Polynésie ? En particulier, des lois coutumières interviennent-elles dans son organisation ?

M. Jean-Christophe Bouissou . - D'une manière générale, le foncier est problématique en Polynésie française en raison de l'application du code de la propriété et du code civil. En cent ans, ils n'ont pas permis à l'ensemble de propriétaires terriens polynésiens de procéder aux déclarations de propriété.

Toute la population ne connaît pas cette situation. Néanmoins, une part importante du foncier - vallées entières, pans de montagnes, îles - se trouve gelée par les problèmes d'indivision. Aux Marquises, le pays et les Églises catholique et protestante sont propriétaires d'importants ensembles fonciers qui leur ont été vendus. Ce sujet est particulièrement actuel sur les îles Actéon situées à l'est de l'archipel de Tuamotu.

La difficulté majeure sur le foncier est de pouvoir discuter des modalités d'aménagement et de développement avec des interlocuteurs identifiés. Mais pour certains, cet inconvénient permet d'éviter la dispersion des terrains et leur vente à l'étranger ou à des acquéreurs qui en empêcheraient une utilisation future.

Notre démarche vise donc à aménager cette indivision. Notre ministre des affaires foncières, Tearii Alpha, présentera prochainement un schéma directeur relatif au foncier et à l'élaboration d'un cap conventionnel avec les propriétaires fonciers polynésiens.

Le statut de la Polynésie française prévoit que les terres en déshérence reviennent au pays. Les terres qui n'ont pas été revendiquées sont confiées au pays au travers des « terres présumées domaniales ».

Au niveau de la direction des affaires foncières, le « sommier des biens » de la Polynésie française recense l'ensemble des propriétés appartenant au pays, qu'elles soient publiques ou privées. Nos programmes de construction sont élaborés en fonction de ce « sommier des biens ».

En outre, nous ambitionnons de procéder à des redistributions de terres archipélagiques pour permettre le maintien des familles polynésiennes qui souhaitent y poursuivre leurs activités.

Enfin, un aménageur pourrait travailler sur la préparation ou l'aménagement du foncier dans le cadre de diverses politiques publiques - construction de logements sociaux et intermédiaires, mise à disposition du foncier, développement économique, hôtellerie, environnement.

Nos opérateurs souhaitent également que nous procédions suffisamment tôt à des acquisitions foncières pour en disposer dans le cadre de nos opérations d'aménagement - programme de rénovation urbaine notamment.

Plusieurs communes et quartiers nécessitent une intervention pour être désenclavés et sortir de l'habitat indigne. Aussi, nous avons besoin d'acquérir des terrains dans les zones concernées pour procéder à des opérations de relogements provisoires.

Dans ce cadre, des financements importants sont nécessaires, ainsi qu'un aménageur capable de réaliser un travail concret de discussion avec les propriétaires et de production d'aménagements dès la réalisation des PRU (plans de rénovation urbaine).

M. Teva Rohfritsch . - Je remercie M. Jean-Christophe Bouissou pour son exposé complet de la situation.

Je rappelle que la Polynésie française se caractérise par une surface équivalente à celle de l'Europe, répartie en 78 îles et abritant 277 000 habitants - dont 80 % vivent sur l'île de Tahiti - et un vaste espace maritime.

Ses défis sont donc immenses en matière d'aménagement, d'équipement du territoire, de transports, de continuité territoriale interne, de développement économique, mais aussi en matière de logement.

Parallèlement, ses moyens sont restreints. L'Office public de l'habitat agit dans tous les champs d'intervention qui touchent au logement : la lutte contre le logement indigne, le développement du parc locatif social, la viabilisation de parcelles en vue de la location-vente, l'accession directe à l'habitat et la création de cités de transit.

De nombreuses mesures ont été initiées ces dernières années sous l'impulsion de Jean-Christophe Bouissou et du gouvernement d'Édouard Fritch. Néanmoins, trois éléments saillants subsistent.

L'enjeu foncier d'abord. Nous vivons sur des bandes côtières réduites, en particulier sur nos îles hautes. Aux îles Tuamotu, le point culminant s'élève à deux mètres au-dessus du niveau de la mer. L'acquisition de nouveaux espaces destinés à l'aménagement en vue du logement s'envisage donc sur les terres de montagne. Cependant, la constitution de réserves foncières se heurte aux problématiques d'indivision soulevées par Jean-Christophe Bouissou.

Par ailleurs, l'introduction tardive du Code civil en Polynésie engendre des difficultés d'interprétation, d'intégration des pratiques culturelles précédentes - notamment des « tomites » - et de gestion spatiotemporelle communautaire.

Le pays a institué, au fur et à mesure de ses évolutions statutaires, « les terres présumées domaniales » dont les propriétaires ne sont pas systématiquement recensés et peuvent encore faire valoir leurs droits au moyen d'actes particulièrement anciens.

L'enjeu de réserve foncière est immanent, car il n'est pas possible de construire sans foncier. Il est d'autant plus criant que les disponibilités sont réduites et que les problèmes d'indivision et de clarification du foncier subsistent.

Cet enjeu est également financier, car les demandes d'usage se concentrent sur du foncier rare. L'opérateur public unique est donc confronté à des coûts d'acquisition importants.

L'aménagement ensuite. Ces trois dernières années, Jean-Christophe Bouissou et le gouvernement polynésien ont déployé de nombreux partenariats techniques avec les agences d'urbanisme en métropole et des opérateurs pour disposer d'outils.

Le partenariat national avec la métropole est précieux. Nous gagnerions à encourager le développement des partenariats entre nos régions insulaires, car d'autres territoires ultramarins ont également développé de bonnes pratiques.

L'ensemblier qu'évoquait Jean-Christophe Bouissou apparaît stratégique dans ce contexte. La Nouvelle-Calédonie a développé des savoir-faire en matière d'aménagement du foncier, sur lesquels il semble opportun de capitaliser.

L'enjeu financier, enfin. Le pays est autonome et a sa propre fiscalité. L'insuffisance de moyens d'intervention divers a conduit le pays à financer le budget d'investissement. Cent millions d'euros annuels y sont ainsi consacrés depuis quelques années.

Le pays n'a jamais dégagé autant de moyens en faveur du logement, car les besoins sont criants et nous ne disposons pas d'opérateurs nationaux qui nous permettent d'asseoir financièrement la stratégie développée selon un schéma d'aménagement général et des PRU.

Il apparaît primordial que la Caisse des dépôts et consignations puisse soutenir l'opérateur sur une longue durée afin que le logement ne soit pas financé uniquement par le budget d'investissement de la collectivité.

Le contrat de développement et de transformation, qui fait suite au contrat de projet, introduit une quote-part prise en charge par l'État. La fiche technique de ce contrat, validé récemment par l'Assemblée de Polynésie française, semble complète et synthétique dans sa partie traitant de la politique de logement. Elle apporte notamment des éléments nécessaires à la bonne compréhension des enjeux actuels sur lesquels nous pourrions insister dans notre rapport.

Par ailleurs, le sujet plus général du rapport à l'autonomie mérite d'être étudié. Le droit à la différenciation est évoqué par beaucoup de nos collectivités territoriales. Il a du sens dans les territoires d'outre-mer en raison de leur éloignement, de leurs caractéristiques géographiques distinctes, de leur histoire et de leur culture.

Les Polynésiens ont obtenu ce droit à la différenciation au travers d'un statut d'autonomie. Ce droit ne saurait néanmoins évoluer vers une déresponsabilisation.

Il me semble en effet que la lutte contre l'habitat indigne mérite d'être davantage soutenue par le budget de l'État, même si le principe de subsidiarité prévoit que les Polynésiens assument le maximum de responsabilités. L'État doit intervenir aux côtés de ces citoyens français qui ont actuellement un besoin criant de logement.

Au-delà des emprunts à solliciter auprès de la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la mission outre-mer du projet de loi de finances et malgré l'autonomie institutionnelle de la Polynésie, nous pourrions consacrer davantage de moyens pour aider directement au rétablissement de la dignité par le logement de citoyens français.

Je souhaite enfin souligner l'enjeu technique de la création de cet habitat. L'habitat collectif apparaît relativement peu développé, car le Polynésien est particulièrement attaché à sa terre.

La politique du gouvernement, qui consiste à permettre aux familles de conserver un lien ancestral avec le foncier - posséder une maison, cultiver sa terre, est coûteuse et contrainte.

La Polynésie française a développé des fare (maisons sur pilotis sur terre) aux normes anticycloniques qui ont résisté à de nombreux vents forts. Elle fait figure de modèle en matière de construction, car elle a envoyé des kits chez ses voisins du Pacifique lorsqu'ils ont subi des épisodes cycloniques.

L'État pourrait notamment soutenir la construction et le déploiement dans la région Pacifique de ces kits simples à monter et contribuerait ainsi au rayonnement d'un savoir-faire polynésien et français dans les îles du Pacifique et encouragerait ainsi les entrepreneurs locaux.

Nous faisons notre maximum pour atteindre les objectifs visant à faire vivre dignement nos familles. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer de s'intéresser aussi au logement en Polynésie française, et de ne pas considérer la barrière statutaire comme un obstacle.

M. Stéphane Artano , président . - Une table ronde passionnante traitant des questions institutionnelles outre-mer s'est tenue récemment au Sénat. La délégation souhaite poursuivre les discussions sur ce thème. La commission des lois s'est d'ailleurs engagée à mettre en place un groupe de travail sur ce sujet d'actualité.

Il peut y avoir des passerelles entre les territoires, y compris sur les questions statutaires. J'ai présidé un territoire fiscalement autonome et constaté que l'autonomie n'est pas synonyme d'indépendance. La France doit continuer à soutenir nos territoires, y compris quand ils disposent d'une autonomie fiscale ou législative, dans certains domaines de compétences, et leur permettre de se projeter dans leur région. L'insertion régionale, même à quelques milliers de kilomètres, détermine le positionnement géopolitique de la France et mérite à ce titre des actions particulières.

Comment le plan de relance est-il appréhendé par la Polynésie française ? Certaines actions sont-elles entreprises en matière de logement ?

M. Jean-Christophe Bouissou . - Je vous remercie pour vos questions, et je remercie le sénateur Teva Rohfritsch pour son intervention.

Les Polynésiens, les jeunes couples et les familles notamment, souhaitent aujourd'hui posséder un terrain pour y construire leur maison et le cultiver, mais aussi habiter à proximité de leur lieu de travail. C'est pourquoi notre approche en matière d'habitat prend également en compte les services publics. Le développement de transports en commun faciliterait la vie des familles.

Par ailleurs, nous bénéficions de deux plans de relance :

- Le plan de relance polynésien répond à la crise sanitaire. La place du logement, du bâtiment et des travaux publics y est prépondérante ;

- Le plan de relance de L'État accompagne notre volonté de lutter contre l'habitat indigne. Dans ce cadre, nous avons d'ores et déjà engagé des opérations cofinancées par l'État. À titre d'exemple, des populations se sont établies à proximité de l'aéroport de Tahiti-Faa'a depuis plusieurs décennies. Leur sécurité est menacée par la proximité des avions. Certains quartiers nécessitent donc une intervention forte. La restauration d'un habitat digne pour ces familles requiert des opérations très onéreuses qui nécessitent que le pays soit accompagné. L'habitat indigne occupe une place très importante dans la collaboration que nous devons mener.

M. Teva Rohfritsch . - J'ai en effet évoqué la barrière statutaire, car elle paraît parfois insurmontable. À ce jour, seules des opérations de réhabilitation des bâtiments de l'État figurent dans le plan de relance pour la Polynésie française.

Le prêt consenti à la Polynésie et garanti par l'État couvre les coûts engendrés par la crise sanitaire - acquisition de masques et matériels médicaux, financement des dispositifs de lutte contre le virus, baisse des recettes du pays, soutien aux entreprises et aux salariés mis en place par la Polynésie. L'État nous a également rendus éligibles au fonds de solidarité nationale et au Prêt garanti par l'État (PGE), mais nous n'avons pas accès à tous les dispositifs qui existent en métropole. Les mesures de relance doivent être financées par le prêt accordé ou par un prêt supplémentaire.

Nous avons réagi assez vivement sur ce sujet, car nous sommes contraints de réaliser cet effort de relance en raison d'une pandémie mondiale. Nos économies, lesquelles reposent sur le tourisme, sont à l'arrêt total. En Polynésie, nous n'avons pas accès au chômage partiel. Aucune caisse de chômage n'a été mise en place. La Polynésie française finance sur son budget direct des mesures d'amortisseur social.

Je regrette que le plan de relance ne propose pas d'extensions particulières en raison de ces différences statutaires. Je déplore que des enveloppes exceptionnelles et temporaires n'aient pas été dégagées, notamment pour financer la politique structurante du logement, car elle est pourvoyeuse d'emplois.

Le prêt garanti par l'État que nous a octroyé l'Agence française de développement permet à la Polynésie de faire face à ses grands défis. Néanmoins, le plan de relance national concerne principalement les bâtiments de l'État, qui représentent peu au regard des enjeux touristiques.

Je souhaite construire un rapport des outre-mer à la République qui n'est pas systématiquement juridico-comptable, car nous sommes tous citoyens français.

M. Stéphane Artano , président . - Vos préoccupations sont souvent partagées par l'ensemble de vos collègues.

Monsieur le Ministre, nous sommes intéressés par les compléments que vous jugerez utile d'apporter à votre présentation et nous vous remercions des éléments que vous nous avez communiqués.

Je loue la manière dont vous avez construit le processus d'élaboration de cette politique publique de l'habitat « 2021-2030 » qui m'intéresse à titre personnel, car nous réfléchissions au même sujet sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je rejoins mon collègue Teva Rohfritsch lorsqu'il évoque des passerelles en matière de méthodologie de travail et de déploiement sur les territoires des politiques d'aménagement et d'habitat.

Les tables rondes organisées par la délégation attiseront probablement la curiosité de certains territoires au sujet des processus et idées que vous avez mis en application.

Monsieur le Ministre, je vous remercie vivement et vous propose de conclure.

M. Jean-Christophe Bouissou . - Je vous remercie de m'avoir permis de contribuer à cette réflexion fort utile pour nos populations et nos collectivités.

Nous avons réfléchi à l'ensemble des problématiques relatives à notre développement économique et social et à la reconnaissance de nos particularités, de notre culture et de nos langues. Nous avons compris que notre législation ne nous permet plus de mener une politique de la main tendue.

En revanche, l'accompagnement de l'État demeure important. C'est pourquoi nous veillons à répondre aux exigences de nos populations et aux enjeux actuels le temps que ces politiques publiques se mettent en place.

Nous démontrons notre volonté de résoudre nos problématiques de vascularité et de développement dans une région très éloignée de France en sollicitant également l'accompagnement de l'État.

Il s'avère nécessaire que l'État affirme sa présence dans nos collectivités, notamment en Polynésie dont l'espace maritime pourrait servir la France dans ses projets futurs. Nous pourrions construire un partenariat.

Mes collègues et moi-même vous remercions, car nous sommes très heureux d'avoir participé à votre réflexion.

Jeudi 1er avril 2021

Table ronde sur l'habitat innovant

M. Stéphane Artano , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de la préparation du rapport sur le logement dans les outre-mer, avec une table ronde dédiée à l'habitat innovant. Nous vous remercions vivement, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de permettre à nos trois rapporteurs, Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel, de vous interroger. Cette table ronde a pour but d'identifier des réponses adaptées aux nouveaux enjeux, dans les territoires ultramarins, de l'habitat au sens large. La semaine dernière, nous avons auditionné le ministre polynésien du logement qui a détaillé la stratégie globale adoptée par sa collectivité sur dix ans. Cette stratégie prend précisément en compte l'environnement du logement. Nous savons également que la pandémie de Covid-19 entraîne une évolution des demandes et des attentes dans ce domaine comme dans bien d'autres. Nous comptons sur votre expertise et votre expérience pour nous aider à formuler des propositions concrètes concernant les défis considérables qui nous attendent.

Nous avons ainsi le plaisir d'accueillir l'association Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne (AQUAA), représentée par Laurent Chamoux, membre du conseil d'administration ; l'association AsTerre, représentée par Andreas Krewet, ingénieur, membre du conseil d'administration ; l'association CRAterre, représentée par Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux, et Éric Ruiz, directeur de la rénovation urbaine de Grenoble Alpes Métropole, ex-responsable de l'habitat social de la Société Immobilière de Mayotte (SIM) ; le Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT), représenté par Alçay Mourouvaye, directeur et Frédéric Chanfin, responsable scientifique et technique ; le Conseil régional de l'Ordre des architectes de La Réunion-Mayotte, représenté par Marc Joly, architecte ; les Conseils régionaux de l'Ordre des architectes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique, représentés par Michel Corbin, architecte ; l'atelier d'architecture BMC, représenté par Jean-Michel Mocka-Célestine, co-gérant et le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de la Guadeloupe, représenté par Jack Sainsily, directeur.

S'agissant des aspects généraux de l'habitat innovant, nous vous avons soumis les cinq axes de réflexion suivants :

Les outre-mer peuvent-ils être des terrains d'expérimentation pour l'habitat innovant ? Qu'est-ce que les outre-mer peuvent apporter à l'Hexagone dans ce domaine ?

Quels sont les principaux freins actuels à l'innovation dans l'habitat outre-mer ?

Quelles sont, selon vous, les grandes tendances de l'habitat de demain en outre-mer (logement collectif ou individuel ; stratégie urbaine...) ?

Pourrait-on réduire substantiellement les coûts de construction en innovant et en adaptant davantage les constructions ?

Comment renforcer le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre outre-mer et permettre l'accélération des procédures et la simplification des normes ?

En raison de l'actualité parlementaire sur la crise sanitaire, je donne pour commencer la parole au rapporteur Guillaume Gontard, qui devra ensuite nous quitter pour participer à la séance publique.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je vous remercie de votre mobilisation. Toutes les personnes que nous avons sollicitées ont accepté notre invitation à s'exprimer sur la question importante de l'habitat en outre-mer et en particulier sur l'innovation et l'habitat de demain. Il nous paraît intéressant d'organiser le partage des réflexions sur ce sujet entre l'Hexagone et les outre-mer. Nous recueillerons donc avec intérêt vos interventions sur les différentes initiatives ou réflexions menées dans les territoires. L'habitat des territoires ultramarins présente des spécificités, notamment en matière d'adaptation aux risques naturels, qu'il s'agisse des tempêtes, des cyclones, des séismes ou des glissements de terrain. Nous devons chercher à mieux répondre à ces problématiques et en tenir compte dans les choix d'urbanisme et de localisation des constructions et dans les choix des matériaux et des techniques.

Notre réflexion doit également s'appuyer sur l'analyse du passé et des techniques mises en oeuvre jusqu'à présent pour utiliser au mieux les savoir-faire existants sur l'ensemble des territoires ultramarins au profit d'un habitat adapté à notre époque. Les auditions que nous avons menées ont souvent pointé la nécessité de renforcer les formations en matière de BTP et d'améliorer la professionnalisation de ces entreprises. Nous entendrons donc avec intérêt votre point de vue sur ces questions.

Nous souhaitons également aborder le sujet de la performance énergétique des bâtiments, qui n'est pas assez discuté alors que les enjeux en matière de climatisation sont très importants. Une réflexion doit être menée sur la ventilation des bâtiments, enjeu renforcé par la crise sanitaire. La construction doit être conçue de manière à optimiser la ventilation naturelle et la fraîcheur des bâtiments.

L'utilisation de matériaux locaux et la relocalisation constituent également des enjeux importants, d'autant plus dans des territoires pour lesquels l'importation de matériaux génère des coûts environnementaux et financiers très élevés. La relocalisation du choix des matériaux renvoie par ailleurs à la question des savoir-faire. Elle consiste notamment à utiliser la terre crue pour fabriquer des briques, ainsi que le bois. Nous avons, par exemple, noté lors des précédentes auditions que la Guyane utilise très peu de bois local malgré l'abondance de cette ressource. Il serait possible de répondre à cette problématique en s'inspirant des démarches de labellisation conduites dans l'Hexagone avec la certification Bois des Alpes ou l'AOC Bois de Chartreuse, qui ont permis de relancer l'utilisation de bois local.

Nous vous invitons donc à nous faire part de vos expériences, dans leurs aspects positifs ou négatifs.

M. Laurent Chamoux, membre du conseil d'administration d'Actions pour une qualité urbaine et architecturale amazonienne (AQUAA) . - Nous avons créé l'association AQUAA en 2004, dans le territoire très spécifique de la Guyane, qui ne connaît pas les problématiques des Antilles. La Guyane est productrice de bois et de terre crue : nous disposons donc effectivement de capacités de production de matériaux locaux. Par ailleurs, nous disposons d'une plus grande liberté que nos homologues des autres outre-mer pour réaliser des expériences, n'étant pas exposés aux risques cyclonique ou sismique. La Guyane est donc depuis plus de trente ans une terre d'expérimentation.

Nous nous félicitons de l'organisation de cette table ronde mais une grande partie des réponses aux questions soulevées ont déjà été apportées. Nous avons le sentiment que le temps souvent bénévole que nous consacrons à la recherche de solutions l'est en vain puisque les mêmes questions nous sont posées régulièrement tous les deux ou trois ans. Nous y apportons les mêmes réponses puisque nous disposons de solutions et les avons expérimentées dans la plupart de nos territoires. Il conviendrait donc d'exploiter la bibliographie existante et de mettre en application les réponses de bon sens apportées depuis vingt ou trente ans.

La problématique du coût global de la construction, notamment de logements sociaux, n'est pas prise en compte. Les opérateurs sociaux disposent de budgets très contraints, voire insuffisants au regard de la nécessité d'importer des matériaux. Nous essayons d'utiliser de plus en plus de ressources locales mais la faible taille des entreprises d'outre-mer n'est pas propice aux économies d'échelle. Le logement d'outre-mer se caractérise par ailleurs par des coûts d'entretien très élevés. Or, les coûts d'entretien et les coûts de construction sont traités de manière séparée par les opérateurs sociaux. Nous demandons depuis trente ou quarante ans qu'ils soient regroupés afin d'avoir une approche en fonction du coût global, la seule qui soit de nature à générer des économies. Nous sommes incapables de baisser le coût de la construction en outre-mer parce que nous réalisons déjà des prouesses quotidiennes pour éviter qu'il soit plus élevé. Il est donc vain de demander aux architectes d'outre-mer de baisser le coût de la construction. Nous travaillons avec des petites entreprises et nous supportons des frais de transport très élevés. Nos coûts de construction sont donc incompressibles. La solution consisterait plutôt à permettre aux opérateurs sociaux de globaliser leur budget d'entretien et leur budget de construction de manière à nous permettre de travailler sur le long terme pour générer des économies.

M. Andreas Krewet, ingénieur, membre du conseil d'administration de l'Association AsTerre . - AsTerre est l'association nationale des professionnels de la terre crue. Elle est relativement peu présente dans les outre-mer. J'ai néanmoins participé à deux ou trois concours en tant qu'ingénieur de bureau d'études sur les matériaux terre et géo-biosourcés.

Les outre-mer doivent être des terrains d'expérimentation. Ils sont confrontés aux mêmes freins à l'innovation que la métropole mais de manière plus importante parce que la plupart des règlementations et des normes sont conçues pour le climat continental européen, alors que la majorité des outre-mer sont exposés à un climat tropical ou subtropical qui appelle un type de construction différent. Par ailleurs, les outre-mer ne disposent pas des mêmes ressources que l'Hexagone et doivent par exemple importer le ciment et ne possèdent pas suffisamment de combustible pour produire de la brique cuite. En revanche, ils disposent de bois, de bambou, de terre et de pierre, autant de matériaux qui sont de plus en plus utilisés en France et dans d'autres pays. Deux ou trois écoles ont été construites en pisé en région parisienne notamment, illustrant le regain pour ces matériaux qui présentent également un intérêt du point de vue de l'entretien. C'est pourquoi l'approche par le coût global est pertinente. Il convient également d'y inclure le coût de l'énergie supporté par les habitants, surtout lorsqu'il s'agit de logements sociaux.

Les apports des outre-mer dans le domaine de l'expérimentation peuvent être illustrés par l'exemple de la norme expérimentale « Bloc de terre comprimée » qui a été créée à Mayotte il y a une vingtaine d'années et va être étendue à l'ensemble de la France, après adaptation.

Le sujet de la localisation des constructions constitue une problématique déterminante de l'habitat de demain en outre-mer, compte tenu des risques de glissement de terrain. Si un glissement de terrain se produit dans une zone habitée, c'est que la création du lotissement n'a pas été précédée d'une étude sérieuse. Le risque de glissement de terrain est évitable dans 90 % des cas.

Le niveau élevé des coûts de construction en outre-mer s'explique par la pratique consistant à appliquer des méthodes de construction proches de celles de l'Hexagone malgré un climat et des ressources différentes. Au sud du Maroc où la température atteint les 50 degrés, la plupart des constructions nouvelles est effectuée en parpaings de 20 centimètres, ce qui donne des logements invivables. Quelques constructeurs continuent néanmoins ou recommencent à construire des murs en pisé de cinquante centimètres, adaptés au climat local. De même, il est nécessaire d'adapter l'architecture en outre-mer au climat tropical et aux ressources, tout en réduisant les importations pour réduire le coût. La baisse des coûts suppose de réduire l'utilisation de ciment.

Les nombreux concours architecturaux en vue de la construction de collèges et de lycées à Mayotte montrent que le rectorat soutient la brique de terre comprimée. Par ailleurs, les lycées techniques commencent à développer des formations à ce matériau, qui connaît ainsi un nouveau départ. En outre, les techniques traditionnelles de cloisons intérieures en torchis et en bambou, la mise en place d'ossature et d'autres techniques de terre permettent de limiter les besoins en ciment. La renaissance de la filière de la brique de terre comprimée mérite donc d'être accompagnée d'autres expérimentations. Il convient d'encourager la constitution de filières associant architectes, bureaux d'études, entreprises et donneurs d'ordres autour de ce matériau.

M. Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux de l'association CRAterre . - Le CRAterre est le centre international de constructions en terre. Il travaille sur l'utilisation de ressources locales, en particulier les matériaux géosourcés et la terre. Il résulte de l'adossement entre un laboratoire de l'école d'architecture de Grenoble, chargé des volets scientifiques et académiques, et une association gérant les missions de terrain et les projets sur site. Le CRAterre est structuré autour de trois axes à savoir le patrimoine, l'habitat et les matériaux. Il a accompagné la mise en place de la filière « Bloc de terre comprimée » à Mayotte au début des années 1980, conduisant à la création de quatorze briquèteries sur le territoire, alimentant majoritairement la construction de l'habitat social mais également de l'habitat locatif, des équipements scolaires et des bâtiments administratifs. Jusqu'au début des années 2000, cette filière a produit 50 à 60 millions de blocs et permis la réalisation de 20 000 logements. Cette expérience présentait un intérêt environnemental, alors que le territoire était confronté à une problématique d'accès au granulat et que les constructeurs utilisaient le sable des plages pour produire des parpaings, ce qui entraînait un risque écologique pour le lagon. Mayotte était également confrontée à des difficultés d'importation des matériaux. Or la terre constituait une ressource disponible en abondance. Mayotte possédait par ailleurs une carrière de pouzzolane, roche naturelle constituée par des scories volcaniques.

Après le début des années 2000, la filière de « blocs de terre comprimée » a été moins sollicitée pour différentes raisons et la production est devenue confidentielle, voire anecdotique. Récemment, l'association Art-Terre Mayotte a relancé cette filière de matériaux locaux, soutenue par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement par la délivrance d'une appréciation technique d'expérimentation (Atex) par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Même si ce matériau n'était plus expérimental puisqu'il avait déjà été largement utilisé, cette Atex permettait de couvrir l'absence de norme. Le rectorat a également soutenu cette initiative en choisissant le bloc de terre comprimée pour la construction de lycées et de collèges. Par ailleurs, la DEAL finance la rédaction d'une norme professionnelle.

M. Éric Ruiz, directeur de la rénovation urbaine de Grenoble Alpes Métropole, ex-responsable de l'habitat social de la Société Immobilière de Mayotte (SIM) . - La politique de l'habitat à Mayotte présentait l'intérêt de ne pas aborder le sujet uniquement par le prisme technique de la brique de terre comprimée ou d'une filière de production de matériaux mais de l'aborder dans sa globalité, en incluant notamment une approche culturelle. Les élus et les institutions politiques de l'époque s'étaient totalement émancipés du cadre métropolitain pour se donner la liberté de créer un modèle spécifique basé sur l'expérimentation et l'innovation, trans-thématiques, incluant notamment une étude des modes de vie de la population par un ethnologue. Cette approche avait pour objectif de faire de la politique du logement un outil de développement local avec, à son apogée, la création de plus de 1 000 logements par an, par des petits artisans ou en auto-construction encadrée. 500 micro-entreprises locales vivaient de cette filière, ce qui était très important à l'échelle de Mayotte. Cette approche globale et transversale a permis de créer un outil de production massif, conduisant à la construction de 20 000 logements. Cette approche avant-gardiste portée par les élus locaux et les institutions a par ailleurs permis de ramener la part des matériaux importés pour la production de logements de plus de 80 % à 20 %.

M. Arnaud Misse, responsable du pôle matériaux de l'association CRAterre . - CRAterre a conduit en outre-mer d'autres expérimentations qui n'ont pas donné lieu à la constitution d'une filière comme à Mayotte. L'innovation en outre-mer nécessite d'encourager l'utilisation des ressources locales et la circularité de l'économie du bâtiment pour favoriser l'emploi mais également pour réemployer les déchets et les déblais de construction, sachant que les outre-mer sont soumis à une demande de construction forte. L'utilisation de la terre de terrassement, aujourd'hui considérée comme un déchet par la norme européenne, constitue une piste d'innovation importante pour la construction de logements. Elle mérite d'être considérée sérieusement. Par ailleurs, les expériences menées sur différents territoires, y compris dans l'Hexagone, montrent l'importance du soutien apporté aux opérations pilotes pour démontrer la viabilité et l'intérêt de l'innovation dans la construction, par des actions de communication et en faisant vivre des habitants dans des logements innovants pour dépasser les préjugés.

Ce type d'opération nécessite donc un soutien économique, technique et opérationnel. L'innovation présente un coût initial et la recherche sur les matériaux est elle-même coûteuse, y compris pour la production des règles professionnelles et pour l'obtention de l'appréciation technique d'expérimentation sur un matériau déjà très utilisé comme le bloc de terre comprimé, qui a nécessité de réaliser des essais de résistance aux incendies, de résistance mécanique et de résistance aux séismes. La recherche a donc besoin d'être soutenue par des subventions ou par la production de démonstrateurs dérogeant à certaines règles thermiques ou de surface.

M. Alçay Mourouvaye, directeur du Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT) . - Le CIRBAT, en tant que pôle d'innovation et de recherche sur la construction en milieu tropical, a été labellisé pôle d'innovation national en 2009. Il travaille sur les techniques de construction, les matériaux et les savoir-faire utilisés par les entreprises locales. Le dispositif labellisé existe depuis la fin des années 1990. Ses laboratoires permettent de réaliser des essais, notamment de résistance et de lutte anti-termites. Les travaux menés à La Réunion par le CIRBAT sont susceptibles de concerner l'ensemble des territoires ultramarins mais également l'Hexagone. Les solutions qu'il expérimente, notamment en matière d'isolation du bâti, peuvent être transposées à l'ensemble du territoire national et notamment aux régions du Sud de la France.

Les territoires ultramarins, du fait de leur positionnement géographique sur l'ensemble de la planète, représentent une véritable richesse pour la France et l'addition des travaux qui y sont menés peut générer un effet de levier en matière d'innovation. L'île de La Réunion n'utilise pas à ce jour de technique de construction spécifique qui serait liée au territoire ou aux matériaux disponibles localement. En revanche, nous avons investi le champ des matériaux biosourcés qui constituent une piste intéressante, notamment l'utilisation de ressources végétales disponibles sur le territoire telle que la bagasse de canne à sucre ou le vétiver. Les études menées avec le CSTB et la Sustainable Traditional Buildings Alliance (STBA) donnent des résultats prometteurs, qui permettent d'envisager le prolongement de cette dynamique. Ces travaux font l'objet de demandes complémentaires dans le cadre du plan France Relance, pour approfondir les recherches en vue de la création d'unités industrielles pouvant proposer aux entreprises locales des solutions innovantes, biosourcées, produites localement, dans une logique de singularité, pour une meilleure construction en territoire ultramarin.

Parmi les freins identifiés figure la question du financement de l'innovation, qui est relativement coûteuse. Une autre difficulté consiste à amener les filières industrielles à s'approprier les solutions et les préconisations formulées pour produire un changement d'échelle. La réglementation constitue également un obstacle. L'encadrement de la construction ne permet pas d'intégrer directement les solutions innovantes, qui nécessitent des procédures longues et couteuses à l'image de l'Atex.

Une autre difficulté réside dans l'uniformité des normes de construction, puisque les mêmes règles s'appliquent en Languedoc-Roussillon, dans les Pyrénées, dans le Calvados ou à Saint-Denis de La Réunion alors que ces territoires sont soumis à des phénomènes climatiques très différents. L'adaptation des normes de construction aux différents territoires constitue donc un axe de progrès important. À ce titre, des travaux ont été engagés pour la mise en place d'un BNTEC à l'échelle des outre-mer. Cette initiative qui bénéficiait d'un soutien dans le cadre du Programme d'Action pour la qualité de la Construction et la Transition Énergétique (PACTE) s'est néanmoins arrêtée. Des discussions sont engagées pour relancer ce type de solution.

M. Marc Joly, architecte au conseil régional de l'Ordre des architectes de La Réunion-Mayotte . - Nous tenons à votre disposition une étude sur le logement social que nous avons publiée en 2020. Nous avons étudié 200 logements à La Réunion sur une période de 25 ans sous l'angle de l'évolution des coûts de construction. Nous nous préoccupons de l'augmentation hypertrophiée de nos coûts de construction, notamment dans le logement social. Nous constatons une diminution constante de la production de logements en termes de quantité depuis 2010, notamment de logements sociaux. Jusqu'en 2005, la production et les coûts étaient relativement stables et le niveau de la production permettait de couvrir les besoins de la population. L'effondrement auquel nous assistons depuis 2010 provient entre autres de problèmes économiques et de disparités de marché. À La Réunion, l'indice des prix à la consommation (IPC) progresse en moyenne de 1 % par an, le niveau de vie moyen augmente légèrement plus que l'IPC et l'indice mesurant l'évolution du coût de la construction augmente deux fois plus rapidement que l'IPC, soit 2 % par an. Cet écart est donc jugé substantiel. Le plan logement outre-mer (PLOM) constatait par ailleurs un doublement des coûts de la construction en 20 ans.

Nous avons néanmoins souhaité vérifier ces données car elles ne correspondaient que très partiellement à notre ressenti. Pour notre part, nous avons mesuré un triplement des coûts de construction à La Réunion entre la fin des années 90 et 2020, soit une augmentation moyenne de 4,5 % par an. Par conséquent, l'écart entre le rythme d'évolution du niveau de vie moyen, de 1,1 % par an, et celui du coût du logement entraîne l'impossibilité de réguler le système. À ce jour, il est devenu quasiment impossible de construire de nouveaux logements. Notre analyse des causes de ce phénomène nous a conduits à la conclusion que la sur-inflation du domaine du logement est essentiellement due à des considérations réglementaires et normatives. Il n'existe pas d'autre explication, surtout sur une durée aussi longue et dans des proportions aussi importantes.

Il en résulte l'effondrement du secteur privé. À ce jour, 90 % de la filière du BTP dépend de fonds publics, ce qui signifie que l'économie est totalement administrée, tout en étant très mal planifiée. Nous soutenons la volonté du rectorat de relancer la filière de la brique de terre comprimée de Mayotte. Néanmoins, la filière n'est plus en capacité de répondre à des besoins aussi importants. Le marché est donc déréglé.

Par conséquent, les normes expliquent la dégradation de la production de logements à La Réunion. La filière du BTP est peu performante et subit des blocages à tous les niveaux, ainsi qu'un défaut de gouvernance. Les chaînes de décision sont insuffisamment structurées et l'administration prend ses décisions sans concertation avec les acteurs locaux. La bonne gouvernance de la filière du BTP consisterait à solliciter les compétences là où elles se trouvent, c'est-à-dire dans les territoires et non seulement au sein des institutions nationales. Nous souffrons du blocage résultant de la technostructure régalienne composée de l'AFNOR, du CSTB, des concessionnaires, des municipalités et des architectes conseils de la DEAL. Nous avons le sentiment d'être empêchés de développer des logements adaptés à nos territoires, voire de construire puisque depuis 2010, la production du BTP ne répond plus aux besoins de notre population.

M. Michel Corbin, architecte des conseils régionaux de l'Ordre des architectes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique . - Étant inscrit à l'Ordre des architectes depuis quarante ans, j'ai assisté au développement de nombreuses initiatives ainsi qu'à de nombreux colloques ou débats mais j'ai observé peu de progrès. Les architectes ont déjà beaucoup innové dans les départements d'outre-mer. J'ai constaté que l'étude de l'habitat vernaculaire et des us locaux nous permet de trouver les solutions à toutes les problématiques qui se posent à nous, notamment les risques sismiques, cycloniques ou de tsunamis.

La Guadeloupe et la Martinique sont deux petites îles fortement sismiques puisqu'elles sont classées en zone 5. Les architectes qui y construisent des logements portent donc des responsabilités très importantes et doivent s'appuyer sur des ingénieurs. Ils appliquent des normes antisismiques depuis 1955, suite à un tremblement de terre violent survenu en Algérie en 1954. D'autres normes ont été instaurées depuis, jusqu'à l'Eurocode 8. La production de logements est relativement élevée en Guadeloupe et en Martinique. Par ailleurs, il existe un transfert technologique vers l'habitat informel. Le savoir-faire acquis dans les Antilles est également exploité en métropole, où l'on découvre de nouvelles zones à risque sismique. Il y a trois ans, une délégation du bureau de contrôle Veritas du Sud-Ouest de la France nous a ainsi rendu visite pour étudier nos méthodes de construction.

En revanche, je regrette la suppression du diplôme propre aux écoles d'architecture (DPEA) parasismique dont nous disposions en Guadeloupe et qui avait été conçu avec l'École de Marseille Luminy, avec le soutien du conseil régional de l'époque. Cette initiative qui avait permis de former une trentaine d'architectes aux problèmes parasismiques aigus mériterait d'être relancée. Elle pourrait en outre bénéficier aux personnes qui construisent elles-mêmes leur logement. Le Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) contribue à la maîtrise de la qualité de l'habitat auto-construit en l'encadrant.

Les architectes d'outre-mer possèdent donc une expertise en matière de prévention du risque sismique et du risque cyclonique dont ils peuvent faire bénéficier l'Hexagone. La difficulté est que les règles parasismiques et paracycloniques s'opposent puisque la légèreté du bâti favorise sa résistance aux séismes tandis que c'est sa lourdeur qui renforce sa résistance aux cyclones. Les architectes antillais ont donc appris à concilier ces deux contraintes.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine, co-gérant à l'atelier d'architecture BMC . - Parler de logement, c'est avant tout parler d'aménagement des territoires, des espaces et des équipements nécessaires à la création de pôles d'habitat, en tenant compte notamment des besoins des populations en matière de transport. Le risque de tsunami, de séisme, d'éruption volcanique et de cyclone doit nous amener à inclure des zones de retrait dans nos projets d'aménagement.

Nous rencontrons par ailleurs une problématique liée au prix du foncier. Les règles d'urbanisme commencent à devenir obsolètes et l'apparition régulière de nouvelles normes accroît sans cesse les coûts de construction. En outre, l'application de normes européennes constitue un frein important à l'utilisation de matériaux provenant de l'espace Caraïbe qui permettraient de réduire certains coûts de la construction à la Guadeloupe et à la Martinique.

En outre, la réflexion sur le logement et l'innovation doit nous amener à considérer les besoins des habitants. De ce point de vue, il apparaît que la réglementation actuelle sur le financement du logement social et ses modèles stéréotypés ne sont pas adaptés au mode de vie antillais. Au sujet de la climatisation ou de la ventilation, nous construisons depuis plus de trente ans des logements qui marquaient un progrès et dont les bilans énergétiques ne sont pas obsolètes. L'État nous impose aujourd'hui des systèmes très stéréotypés qui constituent un frein à l'innovation. Les habitants des Antilles françaises ont besoin d'un espace extérieur où ils puissent vivre tout en étant protégés. Par conséquent, la loggia ne doit pas devenir un simple balcon car elle ne constitue alors plus un espace de vie. L'espace de vie extérieur peut également être un espace de rencontre. Or, les règles en matière de financement du logement social ne permettent pas la création de tels espaces.

L'innovation en matière d'architecture nécessite de se remettre en question. Tant que les bailleurs seront enfermés dans le carcan des règles liées au financement, les architectes ne seront pas en mesure d'innover. Nous appliquerons des modèles stéréotypés inadaptés aux modes de vie, comme dans les années 60. En outre, je doute que l'application de ces modèles importés permette réellement de réduire le coût de la construction.

Les Antilles constituent néanmoins un terrain d'expérimentation dans le domaine de la prévention paracyclonique et parasismique. Nous commençons par ailleurs à exploiter le potentiel énergétique qui caractérise ces territoires mais il serait nécessaire d'accélérer les développements en la matière. Il y a une quinzaine d'année, un bailleur social a essayé d'innover en utilisant le photovoltaïque et en récupérant l'eau pluviale. Mais la réglementation ne permettait pas la récupération de l'eau pluviale et les assureurs refusaient d'assurer les panneaux photovoltaïques. Les problématiques dont nous discutons aujourd'hui sont donc identifiées depuis dix ans ou quinze ans, voire davantage. Il convient de s'y attaquer sérieusement, en permettant l'utilisation de matériaux locaux et surtout en permettant à ces territoires de maîtriser la conception et l'aménagement. Nous avons par exemple créé, dans le cadre d'une opération de rénovation urbaine, des zones de retrait où la population pourra se rassembler en cas de catastrophe. Or de tels espaces ne sont pas couverts par les règles de financement du logement social. Il convient donc d'adapter les règles pour permettre la prise en compte des spécificités de chaque territoire.

M. Jack Sainsily, directeur du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) de la Guadeloupe . - Le CAUE, le Conseil de l'Ordre des architectes et l'Association des urbanistes de la Guadeloupe ont produit en 2013 l'ouvrage Diversité des éclairages qui a permis d'aborder l'ensemble des questions relatives au cadre de vie et de balayer l'ensemble des sujets posés ce jour en préambule. Je vous renvoie également au regard croisé que nous avons initié dès 2007 et qui a donné lieu à l'édition d'actes en 2009 et 2010, Vers une nouvelle stratégie d'aménagement du territoire pour le développement de la Guadeloupe. Cet ouvrage résulte d'une concertation large sur l'ensemble du territoire de la Guadeloupe, pour un développement harmonieux du territoire. Nous considérons en effet que l'habitat ne se limite pas au logement mais englobe également l'environnement, l'urbanisme et l'aménagement du territoire. De ce point de vue, si vous les aviez invités, les bailleurs auraient mis en avant la question du foncier, la stratégie d'aménagement du territoire et la vision urbanistique au travers des PLU (plans locaux d'urbanisme), des SCoT (Schémas de cohérence territoriale) et même des SAR (Schémas d'aménagement régional).

Nous avons traité ces questions après une enquête large commandée à QualiStat, qui a permis de recueillir les doléances de la population et a montré que certains préceptes sont totalement erronés, tel que celui selon lequel chacun aspirerait à disposer d'un logement individuel. L'habitat collectif est beaucoup moins décrié qu'on ne le pense. Cette enquête démontre donc l'intérêt de la concertation. Par conséquent, je recommande au Sénat d'élargir la concertation à l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (Armos), qui regroupe la plupart des bailleurs sociaux, confrontés à la nécessité d'innover en permanence pour rentrer dans le carcan des normes qui leur sont imposées. De même, il serait utile de bien expertiser le territoire et de questionner les acteurs pertinents, dont les ingénieurs et les praticiens.

Nous constatons effectivement que les questions posées ce jour l'ont déjà été et ont déjà donné lieu à des réponses pertinentes. La situation n'évolue pas parce que ces réponses ne sont pas prises en compte. C'est pourquoi nous encourageons la concertation. Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes sur le logement dans les DROM identifie l'ensemble des maux et des faiblesses dans ce domaine. Il me semble néanmoins nécessaire d'apporter des précisions sur le sujet du manque d'ingénierie et d'expertise qui y est relevé. Si nos territoires semblent manquer d'ingénierie, c'est à cause du système qui nous demande de décalquer des modèles. Les outre-mer ne peuvent être considérées comme une entité homogène. Chaque territoire possède ses particularités liées à son histoire, à sa culture et à ses conditions climatiques. La Martinique et la Guadeloupe présentent certes des similitudes. Néanmoins, il y a lieu de bien distinguer l'organisation de chacun de ces territoires. Par conséquent, la question de l'ingénierie ne peut se résumer à l'application de modèles théoriques issus du pouvoir central.

La concertation présente une importance fondamentale. Elle doit se tenir non seulement avec les experts mais également avec la population. Nous savons pertinemment que l'innovation en Guadeloupe est issue non de la recherche fondamentale mais de l'observation des pratiques ancestrales, dont nos architectes et nos ingénieurs savent tirer profit. J'ignore en revanche si leurs observations présenteront un intérêt pour la construction en métropole. L'innovation utile à nos territoires constitue déjà un apport au niveau national en lui évitant de s'égarer dans des recherches inadaptées à nos situations. Par ailleurs, avec les changements climatiques et la multiplication des événements climatiques, notre expertise sur les questions relatives à l'énergie et aux risques majeurs constitue peut-être déjà un apport considérable.

Les freins à l'innovation résident également dans l'éloignement et la double, voire la triple, insularité de notre territoire. La question du coût ne s'apprécie pas uniquement du point de vue de la dépense immédiate mais doit relever d'une vision à long terme, sur le coût global. Par ailleurs, il est inacceptable que la réalité géographique de notre territoire ne soit pas prise en compte et que lui soient imposés des normes et des matériaux dont le bon sens devrait plutôt conduire à l'interdiction sur notre territoire. Cette dernière serait aisée à mettre en oeuvre puisque nous ne pouvons être approvisionnés que par voie aérienne ou navale. Ces matériaux sont en effet inadaptés à l'hygrométrie tropicale et conçus pour un usage totalement différent de celui qui conviendrait à notre territoire.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je vous remercie pour la qualité de vos interventions. Si je me suis penchée sur ce dossier et ai proposé au président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer de traiter cette problématique, c'est parce que nous avons conscience que les territoires ultramarins rencontrent de réelles difficultés en matière de logement. Je partage parfaitement votre analyse et je comprends la frustration que vous pouvez ressentir en constatant que vous avez déjà proposé des solutions et que la situation n'évolue pas. Je ne peux vous promettre la révolution mais les membres de la délégation sont fortement engagés dans cette dynamique d'adaptation.

Les problématiques que vous évoquez comportent plusieurs volets. Nous ne pouvons agir sur la partie politique, concernant la volonté d'aménager, de développer le territoire et de l'organiser en concertation avec les populations. Je vous rejoins sur la nécessité d'associer les usagers à l'organisation des quartiers. La partie normative est celle qui représente le frein le plus fort dans la problématique du logement en outre-mer, qui dépasse malheureusement la réglementation française puisque nous sommes assujettis également aux normes européennes. Cependant, sous la présidence de mon prédécesseur Michel Magras, la délégation s'était penchée sur cette problématique des normes dans le BTP et avait produit un travail remarquable. Nous avons par ailleurs auditionné le 25 mars l'Agence qualité construction (AQC), qui a confirmé que ce travail commence à être pris en compte et permet des améliorations. Néanmoins, nous sommes toujours confrontés au blocage lié aux normes européennes. La poursuite de ce travail nécessite donc un examen de fond au niveau métropolitain mais également des négociations avec l'Union européenne pour prendre en compte les spécificités locales.

L'objectif est de produire dans les territoires ultramarins des logements accessibles à tous et respectueux des spécificités locales. La question de l'ingénierie a également été soulevée lors des auditions. Elle renvoie principalement au sujet de la formation. Les entreprises manquent d'ouvriers qualifiés pour obtenir des rendements intéressants. La résolution de cette problématique constituerait donc une opportunité pour la lutte contre le chômage dans les territoires ultramarins.

Comment la population devrait-elle être associée aux projets d'aménagement pour obtenir une plus grande adhésion ? Que pensez-vous de la recherche de la mixité entre le logement très social, le logement social et le logement intermédiaire, qui doit permettre de créer une certaine harmonisation et d'éviter les quartiers qualifiés de sensibles ou très sociaux ? Que pourrait apporter la nouvelle réglementation environnementale aux outre-mer ? Serait-il plus judicieux de développer des règlementations propres à chaque territoire ? Le coût de la rénovation étant très élevé en raison de la problématique de l'amiante, pensez-vous qu'il soit intéressant de développer des filières de traitement de l'amiante dans les territoires ultramarins ?

Mme Viviane Malet . - Nous vous remercions pour la qualité de vos propos, qui sont très utiles pour notre réflexion. Lorsqu'un cyclone, un ouragan ou un séisme frappe l'un de nos territoires, les expertises et les études montrent que les bâtiments détruits relèvent principalement de l'habitat informel. Cette observation ne peut cependant pas être généralisée à toutes les constructions ni à l'ensemble des territoires ultramarins, qui présentent des différences importantes en termes de climat, d'histoire et de géologie. Le département de La Réunion est très avancé en matière de recherche et développement dans le domaine du bâti tropical. Il a développé depuis de nombreuses années un savoir-faire et une expertise reconnus dans la construction, tant pour faire face aux conditions cycloniques et sismiques que pour le confort thermique, et cela grâce à la mutualisation des compétences d'ingénieurs, d'architectes et de scientifiques. Il en ressort que La Réunion peut être force de proposition sur l'adaptation des règlementations et des normalisations de la construction, en prenant en compte les coûts de construction et en visant des niveaux de loyer adaptés aux familles. J'ai par ailleurs noté que les compétences sont bien présentes dans nos territoires.

Dans le cadre de l'expérimentation et de l'innovation, vous paraît-il possible de créer un organisme local pour une règlementation adaptée de la construction, qui serait chargé d'élaborer des adaptations aux documents techniques unifiés (DTU), aux normes et aux certificats de conformité des matériaux produits localement ou importés, sous forme de propositions ou d'avis ? Pourrait-on envisager une évolution réglementaire consistant à reconnaître l'existence et la compétence d'un tel organisme, avec l'aide de l'État, en partenariat avec le CSTB et l'Afnor, et sa mise en place dans le cadre du PLOM actuel ? Y aurait-il la possibilité d'y intégrer le BNTEC et la CIRBAT ?

Mme Victoire Jasmin . - Il y a deux ans, le sénateur Mathieu Darnaud et moi-même avons remis un rapport sur les risques naturels majeurs suite aux ouragans Irma et Maria, comportant un certain nombre de recommandations en matière de prévention, en lien avec les problématiques que vous venez d'évoquer. Il est important que nous travaillions tous ensemble pour continuer de faire évoluer la situation et pour adapter les politiques publiques à vos besoins. C'est vous qui possédez l'expertise et connaissez nos territoires. Il est donc regrettable que les architectes n'aient pas été associés à l'élaboration et à l'examen de la loi Elan. Nous ne pourrons progresser sans vous. Nous avons besoin de vous pour aiguiller nos travaux.

Nous avons déjà évoqué la problématique des normes. Nous devons réunir les conditions nécessaires à l'innovation, en nous appuyant sur tous les acteurs qui peuvent y contribuer et nous permettre de répondre aux besoins actuels. Les normes doivent donc être redéfinies pour favoriser une innovation adaptée à chaque territoire. Dans le rapport sur les risques naturels majeurs, nous constations déjà que la normalisation constitue un frein car les références nationales ne sont pas adaptées à nos territoires. Il est nécessaire de prendre en compte les spécificités des territoires de façon à permettre la mise en oeuvre des solutions les mieux adaptées.

Nous devons également faire reconnaître les spécificités des outre-mer par les assureurs pour permettre l'utilisation de nouveaux matériaux. Il convient par ailleurs de profiter de la future présidence française de l'Union européenne pour permettre l'application de normes spécifiques aux outre-mer. Chaque territoire appelle une approche spécifique.

Nous devons nous mobiliser pour que le rapport qui sera produit par la Délégation sénatoriale aux outre-mer permette de répondre réellement aux problématiques des territoires, en revoyant les normes et les référentiels et en conduisant une démarche de labellisation associant les experts. Nous devons également soutenir la formation professionnelle de l'ensemble des acteurs de la construction. Il conviendrait par ailleurs de rendre obligatoire la formation des élus qui siègent dans les commissions d'appel d'offres pour leur permettre de mieux appréhender les différents critères des cahiers des charges et d'effectuer des choix pertinents.

L'examen de la loi Climat par le Sénat constituera l'opportunité de s'assurer de la prise en compte des besoins spécifiques aux outre-mer et de l'expertise des architectes. Il convient notamment d'éviter le transport de matières premières depuis l'Hexagone alors qu'il est possible de les faire venir de la Caraïbe. Nous devons identifier les produits fabriqués par les États voisins des outre-mer et susceptibles de répondre à nos normes, en s'appuyant sur l'AFNOR et sur les autres acteurs de la normalisation.

Nous devons également tenir compte du Plan Séisme Antilles et faciliter l'utilisation du Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, en simplifiant les procédures. Enfin, nous devons permettre aux personnes ressources que représentent les architectes d'accompagner les élus des différents territoires.

M. Stéphane Artano , président . - Je propose de procéder à un nouveau tour de table pour répondre aux questions des membres de la délégation.

M. Laurent Chamoux . - La promotion des matériaux locaux présente un enjeu transfrontalier. Le Brésil pourrait fournir tous les matériaux nécessaires à la Guyane, ce qui permettrait de réduire les coûts de construction. Leur importation suppose néanmoins de simplifier les procédures de normalisation. La Guyane pourrait par ailleurs fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique. Des simplifications sont nécessaires pour permettre aux Antilles françaises d'utiliser le bois guyanais plutôt que d'importer du pin. En effet, le pin constitue à ce jour le bois le plus utilisé dans la construction aux Antilles françaises alors que le bois guyanais provient de moins loin et présente une qualité anti termite bien meilleure. En outre, la Guyane dispose de forêts immenses. Par conséquent, ce bois pourrait être utilisé également pour limiter le recours au béton. Les échanges inter-régionaux méritent d'être développés.

L'amiante a été utilisé pendant une quarantaine d'années dans les outre-mer, surtout dans les enduits pelliculés en ciment employés pour la qualité de la finition. L'amiante a en revanche été peu utilisé comme anti-feu en Guyane. De même, l'amiante de flocage, qui a causé le scandale de l'amiante, y est peu présente. Celui qui est présent en Guyane est peu dangereux parce qu'il est stable dans le temps. Il présente un danger en cas de découpe et génère un surcoût important lors des opérations de rénovation du logement social ou des bâtiments tertiaires. La solution consiste alors à encoffrer l'ancien enduit de finition plutôt que de le déposer. La filière de retraitement des déchets d'amiante est extrêmement onéreuse pour les outre-mer car elle comporte l'envoi des déchets par container vers la métropole. Il est nécessaire de simplifier le traitement de la problématique de l'amiante en permettant le recouvrement des enduits pelliculés par du placo par exemple.

M. Andreas Krewet . - Je ne peux qu'être favorable à la création d'un organisme local pour une règlementation adaptée de la construction. Nous ne pouvons continuer d'appliquer dans les outre-mer des normes conçues pour l'habitat de l'Hexagone, qui présente des besoins et des ressources différents.

S'agissant de l'adaptation des logements aux risques naturels, les parpaings parasismiques ou paracycloniques ne constituent pas une piste judicieuse car la lourdeur est contraire à la prévention du risque parasismique. La solution consisterait plutôt à renforcer l'attache de la toiture par des tirants fixés au sol par exemple.

Les procédures actuelles sont déjà complexes dans l'Hexagone et souvent encore moins adaptées aux outre-mer. L'utilisation du bloc de terre comprimé à Mayotte constitue un exemple de réussite architecturale en matière d'adaptation aux conditions tropicales. Il convient d'essayer de limiter les importations de ciment en intégrant cet objectif dans la conception du bâtiment, en limitant son utilisation aux murs extérieurs par exemple.

M. Arnaud Misse . - Des pôles locaux d'adaptation des normes seraient effectivement utiles. Il conviendrait également de développer des pôles d'expertise locale puisque l'expertise est présente dans les territoires. Nous manquons au niveau des territoires de moyens pour réaliser des essais et des tests sur les différents produits.

Les normes et les avis techniques des produits sont très peu adaptés aux territoires ultramarins, qui sont néanmoins contraints de les appliquer. L'innovation ne passe pas uniquement par la norme. Je doute que la future RE2020 soit très adaptée. De nombreux produits ne disposeront pas de fiche de déclaration environnementale et sanitaire, ce qui obligera à importer des produits depuis l'Hexagone et donc à aggraver les émissions de carbone.

L'Atex est susceptible d'aider la mise en place d'expérimentations. Il serait néanmoins nécessaire de raccourcir la durée des procédures, éventuellement en s'appuyant sur les pôles d'expertise locaux qui seraient créés, et surtout en rallongeant la durée de validité de l'Atex. Une durée de validité de trois ans comme pour la brique de terre comprimée de Mayotte est en effet extrêmement courte par rapport à l'échelle de temps du secteur du bâtiment. Il serait nécessaire de la porter au moins à cinq ans.

M. Éric Ruiz . - Nous avons besoin d'un soutien financier pour développer l'innovation et l'expérimentation. Il est surtout nécessaire d'assouplir le cadre de l'expérimentation. Pour ce faire, la création d'organismes locaux appelés à travailler sur les normes et la mise en réseau des outre-mer constituent des propositions intéressantes. Par ailleurs, au-delà de l'adaptation des normes métropolitaines aux territoires ultramarins, ces territoires possèdent une expertise dont ils pourraient faire bénéficier l'Hexagone dans un contexte de réchauffement climatique.

Il convient enfin de favoriser le soutien opérationnel et l'accompagnement des maîtres d'ouvrage et des élus, de leur permettre de mener des expérimentations et d'assouplir le cadre des opérations immobilières ou d'aménagement, par exemple en réservant des marchés à des entreprises de petite taille ou en organisant des opérations de conception-réalisation. Le montage doit lui-même évoluer pour permettre la réalisation d'opérations expérimentales, en accompagnant les financeurs, les maîtres d'ouvrage et les concepteurs. Cet accompagnement pourrait être apporté par les pôles d'expertise locaux.

M. Frédéric Chanfin, responsable du Centre d'innovation et de recherche sur le bâti tropical (CIRBAT) . - Le CIRBAT a lancé il y a quelques années un projet visant à mettre en place à La Réunion un organisme qui certifierait les matériaux et les produits du bâtiment. Or nous avons été confrontés à de nombreuses difficultés, financières notamment.

M. Stéphane Artano , président . - Pour compléter votre propos, je vous invite à nous transmettre par écrit les éléments que vous jugerez utiles.

M. Marc Joly . - La norme et l'innovation sont antinomiques. L'innovation nécessite de pouvoir déroger à la norme. De ce point de vue, la DHUP en matière de logement a pris des mesures intéressantes sur la question du marquage CE. Nous espérons que les discussions avec la Commission européenne aboutiront. La normalisation CE sur la sécurité et sur les portes de garage a entraîné la destruction de tout ou partie de l'artisanat local de Mayotte, ce qui est fort regrettable. Il semble néanmoins que nos autorités de tutelle ont pris conscience de cette problématique et essaient d'y apporter des réponses.

Le Conseil régional de l'Ordre des architectes de La Réunion-Mayotte considère que l'étude réalisée par le CSTB sur le sujet des cyclones est totalement insuffisante. Même si cette étude qui portait plus globalement sur les risques naturels a été déléguée au préfet de chaque département d'outre-mer, le manque de cohérence et l'absence de doctrine sur le plan de la sécurité civile nous paraît consternant.

L'habitat tropical favorise les relations avec l'extérieur parce qu'à l'inverse de la métropole où le froid pousse les habitants à se réfugier à l'intérieur, la chaleur incite les ultramarins à sortir du logement. La relation entre l'intérieur et l'extérieur joue alors un rôle fondamental. Par conséquent, les concepts métropolitains qui consistent à « bunkériser » les logements en les fermant et en renforçant leurs murs ne conviennent pas aux territoires ultramarins. Il est possible de consolider l'habitat tropical pour en faire un abri comme le faisaient les anciens qui clouaient les volets et diverses protections à l'annonce d'un cyclone. En revanche, ils ne jugeaient pas nécessaire de construire l'ensemble du logement en cherchant à la rendre résistant à un événement aléatoire et d'occurrence très faible. Par conséquent, la conception importée d'un logement capable de résister à tout est contradictoire avec l'habitat tropical, léger, ouvert et à faible inertie thermique pour éviter de créer de l'inconfort.

Par conséquent, il nous paraît stupéfiant de mettre en avant le risque cyclonique, qui relève de la sécurité civile, pour justifier d'une nouvelle norme relative au logement. Il n'y a qu'à Mayotte que ce risque a été traité par la création de refuges. Le renforcement de la norme entraîne une diminution drastique et constante de la construction de nouveaux logements. En outre, au rythme actuel de construction, le renforcement de la norme ne résoudra le problème du risque cyclonique que pour 30 % de la population à échéance 2050. L'approche de la question du logement outre-mer est donc totalement inadaptée et fondée sur des croyances erronées mais qui perdurent dans l'esprit des autorités de tutelle. En outre, elle n'apporte pas de réelle réponse au problème de sécurité civile, d'autant plus que le risque principal en matière cyclonique à La Réunion ne réside pas dans le vent mais dans la montée des eaux.

Le conseil régional de l'Ordre des architectes de La Réunion-Mayotte a réfuté de manière argumentée l'étude du CSTB. Il déplore que les autorités de tutelle persistent dans l'application de concepts totalement décalés. Les surcoûts qui en résultent sont d'autant plus problématiques que La Réunion n'a déjà plus la possibilité de financer ses besoins en logements sociaux.

C'est ce qui nous conduit à dire que l'économie du BTP à La Réunion est administrée mais non planifiée, chaque acteur ne faisant que répondre aux besoins les plus urgents, sans vision globale, sans doctrine et sans cohérence. Nous savons pertinemment qu'un cyclone causerait d'énormes dégâts à Mayotte. Il serait néanmoins complètement vain de renforcer la norme puisque seules 10 % des constructions la respectent.

Nos autorités de tutelle utilisent la norme comme l'unique outil de traitement du risque et en particulier du risque lié à la construction de logements. Or, toute personne qui connaît le sujet de la gestion du risque sait que c'est une erreur. La courbe de la sinistralité a augmenté depuis quinze ou vingt ans parallèlement au durcissement et à la multiplication des normes parce que ce durcissement entraîne une hausse des coûts, notamment de réparation. Le système assuranciel n'est pas régulé et le coût de certains sinistres connaît une évolution exponentielle.

Nous plaidons donc pour une autre approche de la gestion des risques, basée notamment sur la notion de refuge comme dans le monde anglo-saxon. En outre, la création de réseaux destinés à protéger les populations à la fois contre les ouragans et contre les dégâts des eaux apporterait de l'activité aux entreprises et dynamiserait le marché du travail. Ces refuges pourraient sans problème intégrer l'augmentation de la vitesse de vent de référence puisqu'ils seront conçus comme des bunkers. En revanche, il est absurde de vouloir « bunkériser » des logements en milieu tropical.

Le BNTEC local existe toujours et pourrait être réactivé. Il serait en effet très pertinent d'avoir une structure locale de normalisation. Un bureau de contrôle a besoin de s'appuyer sur des textes. Il paraît donc logique de donner à des experts locaux la possibilité de produire des avis ou des textes qui seraient reconnus par les assureurs, puisque ce sont eux qui ont souhaité rendre les normes obligatoires alors qu'elles étaient à l'origine d'application volontaire. A priori , rien n'interdit de créer dans les outre-mer une structure d'expertise regroupant assureurs, ingénieurs et bureaux d'études. Il n'y a aucune raison que les avis qu'elle émettrait soient moins pertinents que ceux du CSTB. Nous pouvons également nous appuyer sur le CIRBAT.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine . - Il est vrai que les architectes ont été les grands oubliés de la loi Elan. Le logement, en tant que lieu de vie où la sécurité doit être garantie, nécessite le savoir-faire d'architectes et de professionnels, tant pour la conception que pour la réalisation des projets. Il est aujourd'hui indispensable de refondre les normes en tenant compte des spécificités locales. Depuis l'entrée en vigueur de la norme NF C 15-100 il y a une quinzaine d'années, le prix d'une douille par exemple est passé de 0,50 franc à 3,50 euros par point lumineux alors que les financements sont restés inchangés. Il serait donc intéressant de mener un travail sur les normes pour maîtriser les coûts de la construction. Par ailleurs, l'insularité entraîne un coût élevé de la main-d'oeuvre et des matériaux, qui sont soumis à des taxes et doivent posséder un label européen. Nous pourrions utiliser des matériaux provenant du Brésil ou de la Caraïbe pour réduire les coûts.

Le savoir de nos experts locaux nous permet aujourd'hui de maîtriser le risque cyclonique. Il est vrai néanmoins que le renforcement de l'habitat par le béton nous conduit à créer des bunkers inadaptés à nos modes de vie. Par conséquent, ne serait-il pas possible de construire des habitats légers mais comportant une pièce sécurisée, dotée d'une dalle anticyclone, comme dans les îles proches de la Guadeloupe et de la Martinique ?

De nombreux professionnels de la Guadeloupe travaillent depuis de nombreuses années sur des projets innovants, consistant par exemple à utiliser la bagasse, les sargasses ou la paille de coco. Le développement de l'innovation présente néanmoins un coût élevé. Il serait par ailleurs pertinent d'utiliser les déchets de démolition en sous-couche de voierie, sachant que la Guadeloupe démolit actuellement de nombreux logements datant des années 60 dans le cadre de la rénovation urbaine. Or, cette pratique n'étant pas normative, elle n'est pas couverte par les assureurs. Elle permettrait néanmoins de réduire le coût de la construction.

Il est indispensable d'organiser la concertation avec les acteurs qui connaissent les territoires tels que l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux de la Guadeloupe (ARMOS). Alors que nous avions obtenu des améliorations de l'habitat dans les années 2000, nous assistons actuellement à un retour à l'application de modèles stéréotypés inadaptés à nos modes d'habitat, comme dans les années 60. Nous tenons donc à vous alerter sur la nécessité d'associer les professionnels et les sachants aux choix en matière de logement. Le PLOM 2019-2022 apporte des bases intéressantes pour une meilleure connaissance de nos territoires et de leurs besoins. Il convient de poursuivre cette démarche pour nous permettre de relancer la construction de logements.

Il est par ailleurs nécessaire de revoir le financement du logement pour l'adapter à chaque territoire. Les architectes s'adaptent en acceptant la baisse de leurs honoraires. Ils sont en revanche soumis à des normes de plus en plus strictes au détriment de leur liberté de conception. Un cahier des charges type suffirait. Les logements construits dans les années 60 l'ont été dans l'urgence pour sortir de l'insalubrité. Or, bâtir dans l'urgence entraîne toujours des erreurs. Nous espérons donc que nos remarques seront prises en compte.

M. Jack Sainsily . - Nous regrettons que le Sénat n'ait pas été consulté sur la suppression d'ici deux ans de la capacité des CAUE à former les élus locaux, décidée par une ordonnance du 21 janvier 2021. Nous déplorons de perdre notre capacité à contribuer à la formation des élus.

Nous ne pouvons que soutenir la constitution d'instances d'experts locaux. Néanmoins, il ne conviendrait pas de les solliciter uniquement pour la remise d'un avis circonstancié en fin de parcours. En effet, lorsque nous avons apporté notre contribution sur la reconstruction post-Irma à Saint-Martin, nous avons constaté que le CSTB et les organismes à qui cette mission était confiée se sont présentés avec un canevas totalement inadapté puisque reposant sur des formes architecturales et constructives sans rapport avec le territoire. Par conséquent, si les experts locaux ne sont pas impliqués en amont des études, nous perdons du temps et n'obtenons pas d'amélioration.

Il existe une forme d'ingénierie capable de mener à bien non seulement les concepts mais également leur réalisation et leur suivi. Certaines études revèlent les faiblesses de l'ingénierie locale. Il convient néanmoins de bien sérier la question de l'ingénierie pour ne pas la limiter à la maîtrise d'ouvrage ou à la maîtrise d'oeuvre. Il existe en effet des bailleurs qui maîtrisent parfaitement les sujets du logement social et réalisent des prouesses avec les faibles moyens dont ils disposent. Quelques réglages sont certes nécessaires, comme pour la reconstruction de Saint-Martin.

Nous constatons en revanche l'apparition d'un nombre croissant de sociétés commerciales, inscrites à la Chambre de commerce, ne possédant aucune compétence dans le bâtiment sachant qu'il ne leur est plus nécessaire de s'inscrire à la Chambre des métiers pour exercer. Dans nos territoires soumis à des risques et à des contraintes sévères, cette liberté donnée à toute société de construire des logements sans qualification peut être considérée comme une mise en danger de la population. Nous constatons l'apparition de logements respectant parfaitement les normes européennes mais totalement inadaptés aux configurations des Antilles. Les règles de financement de l'ANAH par exemple sont exigeantes en matière d'hygiène et de salubrité mais ne tiennent pas compte des principes de construction parasismiques et paracycloniques.

Il me paraît important de signaler certains éléments concernant le logement social. L'INSEE considère que la population éligible au logement social représente près de 60 à 70 % des demandeurs de logement aux Antilles. Or, le patrimoine du logement social se résume essentiellement au parc des bailleurs sociaux. L'habitat vernaculaire, appartenant à des familles, souvent sur des terrains squattés, n'est pas pris en compte dans le parc social. Il faudrait concevoir des dispositifs innovants permettant d'intégrer ces logements au parc social et aux opérations de résorption de l'habitat insalubre.

M. Michel Corbin . - Le partage d'expériences et de bonnes pratiques pourrait être renforcé en créant localement un office qui serait chargé de récolter les expériences locales et qui travaillerait en réseau avec ses homologues des autres outre-mer, sous la tutelle des services de l'État.

M. Jean-Michel Mocka-Celestine . - Il convient également de mentionner le frein que constituent les lourdeurs administratives pour la construction de logements. Il y a 25 ans, s'écoulaient 24 à 28 mois entre la prise de décision et la livraison des logements. Ce délai est passé aujourd'hui à 40 ou 50 mois, alors que nous faisons face à un important besoin de logements en outre-mer. Les lourdeurs administratives et le manque de moyens ont entraîné le quasi abandon de la construction de logements en brique de terre compressée à Mayotte. Il est donc nécessaire de redynamiser cette chaîne de la construction. Je doute par ailleurs que la lourdeur des procédures de défiscalisation du logement social ait eu des effets bénéfiques. En outre, ces procédures ne tiennent pas compte des spécificités locales.

Il est donc nécessaire de créer des cellules d'expertise locale pour accompagner les acteurs dans chaque domaine.

M. Stéphane Artano , président . - Nous arrivons au terme de cette audition et je ne doute pas que vous auriez encore beaucoup à dire. Je vous remercie, au nom de la délégation, pour votre implication permanente dans vos territoires respectifs. Vous avez compris que le Sénat est avant tout un défenseur des territoires. Nous y défendons les réalités locales de chacun de nos territoires. Nous ne pouvons donc que vous rejoindre dans votre plaidoyer pour la prise en compte des réalités locales, qui diffèrent toutes d'un territoire à l'autre. Certains sujets sont par ailleurs transverses, notamment la transposition et la simplification des normes.

Nous vous invitons à nous adresser les contributions que vous jugerez utiles pour alimenter la réflexion des rapporteurs. La Délégation sénatoriale aux outre-mer a pour objectif de produire un rapport et d'en assurer le suivi afin que ses recommandations soient traduites d'un point de vue réglementaire ou législatif. Chaque pas compte et nous souhaitons que ce rapport d'information constitue une étape importante pour sensibiliser les autorités nationales. Les autorités locales le sont au travers de vos propos et le seront au travers des tables rondes que nous organiserons dans les semaines à venir.

Jeudi 8 avril 2021

Table ronde sur l'habitat indigne

Mme Annick Petrus , présidente . - Madame la présidente Sophie Primas, Monsieur le président Stéphane Artano, qui est avec nous en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, et que j'ai l'honneur de remplacer pour cette séance, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs.

Dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer, la Délégation sénatoriale aux outre-mer organise ce matin une table ronde sur l'habitat indigne. La gravité et l'acuité de cette problématique dans les territoires ultramarins justifient en effet que nous y consacrions une réunion à part entière.

Je vous rappelle que, pour mener à bien cette étude, notre délégation a désigné trois rapporteurs : Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel. Nous comptons sur nos invités pour faire remonter les difficultés auxquelles ils se trouvent confrontés ainsi que les actions déployées sur le terrain qui peuvent permettre de lutter plus efficacement contre ce fléau.

Nous vous remercions donc très vivement, Mesdames et Messieurs, d'avoir accepté de participer à cette table ronde.

Nous saluons, en premier lieu, Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat mais aussi membre de notre délégation, qui, à ma suite, va introduire ce tour de table en soulignant les travaux de sa commission pour améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux.

Nous accueillons également Pascal Fouque, directeur de l'Agence départementale pour l'information sur le logement (ADIL) de La Réunion ; Matthieu Hoarau, directeur de l'agence Île de La Réunion / océan Indien de la Fondation Abbé Pierre ; Jean-Max Léonard, président-directeur général d'Innovation logement outre-mer (ILOM) ; Caroline Lleu-Etheve, chargée de développement outre-mer, de l'Association nationale des compagnons bâtisseurs (ANCB) ; et Michel Pelenc, directeur général, et Kamel Senni, responsable du pôle « Logement d'abord », de la fédération Solidaires pour l'habitat (SOLIHA).

Je précise, pour le bon déroulement de nos travaux, que chacun disposera d'une dizaine de minutes pour faire sa présentation en s'appuyant sur la trame qui lui a été transmise. Je vous demande aussi de garder votre vidéo allumée car cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

Nos trois rapporteurs vous interrogeront ensuite pour des éclairages complémentaires. Avant de prendre la parole, je vous demande à tous de vous inscrire sur le fil de discussion ou de me faire signe.

La parole est à la présidente Sophie Primas, puis ce sera le tour des autres participants dans l'ordre de présentation.

Mme Sophie Primas . - À la suite des événements d'Aubagne, la commission des affaires économiques a décidé, à l'initiative de notre collègue Bruno Gilles, de se pencher sur ce sujet très sensible du logement insalubre. Le rapport de notre commission a été confié à notre collègue Dominique Estrosi Sassone. Plusieurs visites de terrain ont été effectuées dans ce cadre. Nous avons souhaité étendre la réflexion aux zones rurales et aux outre-mer, qui n'ont pas été le centre originel du sujet mais un élément constitutif des travaux menés.

Ces travaux n'étaient guère éloignés de l'adoption de la loi ELAN et nos préconisations ont concerné les outre-mer comme le territoire métropolitain, à l'exception de l'Aide personnalisée au logement (APL) Accession. Le logement insalubre est souvent invisible et des investigations sont souvent nécessaires pour en prendre la mesure. S'il existe de nombreux logements insalubres dans l'espace rural, nous avons été impressionnés par leur ampleur dans les outre-mer. Nous avons fait ce constat en Martinique et en Guadeloupe mais il aurait sans doute été le même ailleurs. Un immense travail est devant nous, avec des problématiques spécifiques.

Notre commission a fait adopter une proposition de loi mettant en avant cinq priorités pour lutter contre le logement insalubre.

Il faut d'abord renforcer la détection et la prévention. Cela passe notamment par la libéralisation du diagnostic technique global que nous souhaitons rendre obligatoire dans les copropriétés de plus de 15 ans et par la possibilité pour les syndics professionnels de pouvoir faire un signalement sans être accusés de rompre le secret professionnel. Cette mesure permet d'élargir le cercle de ceux qui sont en capacité de faire des signalements. Lors d'une visite à Aubervilliers, nous avons vu des façades remises en état qui masquaient en réalité une situation effarante à l'intérieur de l'immeuble.

Ensuite, il faut simplifier et accélérer l'ensemble des procédures et créer une police unique de l'habitat indigne. Nous n'avions pas moins de treize polices différentes intervenant dans le processus relatif à l'habitat indigne à différents niveaux. Cette police serait confiée aux présidents d'Établissement public de coopération intercommunale (EPCI), sauf si un maire veut garder sa police. Nous n'avons pas pu aller jusqu'au bout. Une nouvelle ordonnance est en application après la loi ELAN, consacrant deux polices : celle de la sécurité sous compétences du maire et celle de santé relevant du préfet, réunies dans un même code.

Il faut également accorder de nouveaux pouvoirs aux maires. Nous proposons que les maires puissent bénéficier des biens expropriés en vue de réaliser des travaux de réhabilitation, et mettre en place un droit de préemption spécifique dans les zones d'habitat indigne.

La proposition de loi suggère de renforcer les sanctions contre les marchands de sommeil car ceux-ci ne sont pas suffisamment poursuivis. Nous avions demandé que les communes bénéficient des amendes et que les associations puissent plus facilement aller en justice, sans nécessiter le concours des victimes qui en général ne déposent pas plainte, car il en va de leur habitat.

Enfin, il faut mobiliser davantage de moyens. La suppression de l'APL Accession en 2018 a entraîné de nombreux problèmes et ralenti voire arrêté les programmes de réhabilitation et de lutte contre l'habitat indigne. Tous les services de l'État sur place nous en ont fait part. Heureusement, dans le projet loi de finances (PLF) pour 2020, suite à notre rapport, à la pression de l'ensemble des élus d'outre-mer et aux services de l'État sur place, l'APL Accession a été rétablie. Ce n'est pas encore le Revenu universel d'activité (RUA), mais en attendant ce rétablissement est essentiel.

Avec Dominique Estrosi Sassone et grâce au concours de Catherine Conconne, nous avons visité en Martinique des programmes exemplaires de réhabilitation. Une difficulté tient à ce que certains habitants vivent dans ces quartiers depuis si longtemps qu'ils y sont attachés et que les déplacer, même pour intégrer un habitat digne, est très compliqué. Développer des programmes qui ne ressemblent pas à leur habitat actuel, par exemple en remplaçant des maisons par des immeubles, n'est pas possible. Une autre difficulté concerne les copropriétés et des indivisions. La loi Letchimy a commencé à régler certains aspects problématiques mais il faudra aller plus loin.

Les points saillants à garder à l'esprit sont donc l'acceptation par les populations, le relogement et la qualité du logement proposé, l'exigence de rester dans l'esprit du quartier existant et à proximité et enfin, les moyens alloués par l'État. Le chantier est colossal et demande une politique extrêmement ambitieuse mais j'espère que le Plan de relance qui a été lancé par le Gouvernement en sera l'occasion.

M. Pascal Fouque, directeur de l'Agence départementale pour l'information sur le logement (ADIL) de La Réunion . - Il existe quatre ADIL en outre-mer, Mayotte n'en dispose pas. À La Réunion, 2 000 consultations ont été enregistrées l'an dernier sur la thématique de l'habitat indigne. Ce nombre augmente depuis quelques années en raison d'une communication accrue mais aussi parce que l'habitat indigne progresse. Il s'agit du premier sujet de préoccupation. 20 % des questions posées par des locataires ou propriétaires dans les rapports locatifs concernent l'habitat indigne. À La Réunion, on estime que 5 % des logements en relèvent.

Dans les outre-mer, les problématiques d'habitat indigne varient d'un territoire à l'autre, ce qui nécessite des traitements distincts : en Guyane et à Mayotte, les poches d'habitat indigne sont très importantes, tandis que cet habitat est plus diffus à La Réunion.

La résorption de l'habitat insalubre (RHI) n'est plus considérée comme un outil adapté par les services de l'État. Il doit être revu pour répondre aux nouveaux enjeux. Je mettrai l'accent sur les Pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) et les Plans intercommunaux de lutte contre l'habitat indigne (PILHI) car c'est à travers eux que nous pouvons mettre en place des diagnostics partagés et aller dans le même sens.

Depuis quatre ans, une commission de coordination de la lutte contre l'habitat indigne a été mise en place, regroupant les services de l'État et les intercommunalités disposant d'un PILHI. Aujourd'hui, le suivi des arrêtés pris par le préfet est satisfaisant car nous sommes tous autour de la table une fois par mois. Nous faisions auparavant face à une difficulté à travailler ensemble car les participants proviennent d'organismes différents et ne se côtoyaient pas.

Concernant les dispositifs nationaux, ces textes s'appliquent en outre-mer mais de façon parfois plus complexe en raison des réalités de terrain, comme l'indivision ou d'autres statuts complexes tels que l'occupation sans droit ni titre. Il est aussi difficile d'identifier les personnes, ce qui complique les interventions d'amélioration de l'habitat. Les PDLHI ne fonctionnent pas de la même manière sur tous les territoires, ce qui semble contre-productif. Par exemple, le PDLHI de Guyane est constitué mais ne se réunit pas.

Des obstacles locaux apparaissent parfois. Par exemple, dans le cadre du dispositif de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour l'intermédiation locative, nous avons eu un problème avec l'Agence immobilière à vocation sociale (AIVS). Il existe une prime applicable à partir de juillet 2020 pour les bailleurs qui acceptaient une intermédiation locative mais, au mois de novembre, un arrêté a créé une condition d'éco-conditionnalité rétroactive. En conséquence, des ménages ayant accepté de louer à des personnes en difficulté locative pour des loyers plus raisonnables ont perdu le bénéfice de la prime.

Concernant les dispositifs locaux, il y avait une obligation au 31 décembre 2020 d'avoir des PILHI adoptés sur l'ensemble des territoires. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, seuls deux PILHI étant adoptés à La Réunion. Les autres territoires sont au stade de l'étude et du repérage. Le retard est donc très important.

L'État doit pouvoir s'appuyer sur les acteurs de terrain. Le concours de ces acteurs doit notamment permettre de s'assurer que les habitats déclarés indignes ne soient pas réoccupés. C'est trop fréquemment le cas et l'administration passe un temps important à opérer ces contrôles. Les PILHI ont ce rôle à jouer.

Le permis de louer a été expérimenté à La Réunion, sur une partie du territoire de la commune de Saint-André. Si la mise en place d'un tel permis est une bonne chose, je ne pense pas, à titre personnel, qu'elle puisse se faire de façon aussi restreinte. Soit ce permis s'appliquera sur l'ensemble d'un territoire ou d'un département, soit il ne pourra pas fonctionner.

Je trouvais pertinentes les propositions du député Guillaume Vuilletet dans son rapport « Promouvoir l'habitabilité durable pour tous », remis au Gouvernement en 2019. L'habitabilité, telle que défendue dans ce rapport, responsabilise les bailleurs et serait moins coûteuse qu'un permis de louer pris en charge par les collectivités, lequel implique des moyens humains pour contrôler l'ensemble des logements.

Les dispositifs RHI ne fonctionnent plus à La Réunion. L'arrêt de l'allocation logement (AL) accession a été fatal et a mis en difficulté les équipes sur le terrain, qui faisaient déjà face à un défaut d'adhésion des populations. En conséquence, cette année et demie perdue correspond à autant de retard pour la production de logements sociaux dans ces zones. Aujourd'hui, la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) préfère des opérations plus courtes dans le temps, de cinq ans maximum, sur un périmètre plus restreint et avec des zones plus diffuses.

Les Opérations Groupées d'Amélioration Légère (OGRAL) sont un outil d'avenir pour la DEAL, avec cependant des réserves d'usage, car tous les ménages ne peuvent pas rentrer dans une opération de ce type puisqu'il s'agit avant tout d'un outil de réinsertion de personnes en difficulté, en redonnant de la dignité à leur habitat.

L'intervention de l'ANAH dans les opérations de RHI est inexistante. Elle ne concerne que les propriétaires bailleurs. Mais elle ne fonctionne pas bien car il s' agit souvent de propriétaires d'habitats très dégradés, qui n'ont pas forcément la capacité à obtenir un prêt complémentaire, même après la rénovation de leur logement. Une expérimentation existe à La Réunion, avec une aide complémentaire de l'ANAH mais elle s'avère insuffisante compte tenu du profil des bailleurs. Des aides ou prêts complémentaires spécifiques seraient nécessaires. Lors de la dernière réunion du PDLHI, un accord a été trouvé pour la mise en place d'un groupe de travail sur un prêt garanti par le département. Sans cela, il paraît compliqué d'envisager une intervention plus importante de l'ANAH sur le territoire de La Réunion. Ces aides sont aussi liées à la lutte contre la vacance et à l'intermédiation locative puisqu'il est demandé aux bénéficiaires de passer par une AIVS pour la gestion du bien.

Il est en effet difficile de repérer les logements indignes dans les copropriétés dégradées. Nous avons par exemple constaté la division d'un bien en neuf logements où quatre salles de bains occupaient 3 m² au total, ce qui bien sûr ne se voyait pas de l'extérieur. Les copropriétés sont une problématique relativement récente pour nous, puisqu'elles datent des périodes de défiscalisation qui ont débuté avec la loi Pons en 1986. Nous n'avons pas de protocoles en place. Un problème important tient au fait que nous n'avons pas les mêmes produits de financement bancaires que dans l'Hexagone où un établissement bancaire peut financer l'ensemble des copropriétaires sans recherche de solvabilité dès lors qu'ils sont à jour de leurs cotisations. Ce n'est pas le cas ici. Pour avoir abordé le sujet avec des établissements bancaires, ils ne souhaitent pas vraiment le mettre en place et donc, aujourd'hui, c'est au copropriétaire de trouver son prêt, ce qui constitue un frein aux travaux. Il y a par ailleurs beaucoup d'argent qui dort dans le cadre des avances des copropriétaires et qui va à l'entretien des logements.

L'indivision a généré et génère encore des habitats indignes. Les acteurs locaux ultramarins souhaiteraient bénéficier de groupements d'intérêt public (GIP) comme c'est le cas en Corse. L'ADIL de La Réunion a fait une étude sur ces questions qui sont extrêmement complexes puisqu'on touche à des problèmes qui remontent à plusieurs générations. Il faut que les notaires et les pouvoirs publics s'accordent pour travailler dans une même direction si l'on veut développer la prescription acquisitive, ce qui serait la solution la plus simple. Une volonté affichée des pouvoirs publics est nécessaire pour que tout le monde puisse se mettre autour de la même table et travailler au plus près du terrain. Je ne vois pas comment cela serait possible hormis dans le cadre d'un GIP, d'autant que les prescriptions acquisitives sont mal vues en raison d'abus passés et que les notaires ne veulent plus en faire.

Un PILHI est en train de mettre en place un fonds mutualisé d'amélioration de l'habitat. Les statuts particuliers d'occupation (indivisaire, occupant en droit multiple, constructeur) passent aujourd'hui entre les mailles et il a déjà été noté la préférence des intéressés à rester sur place dans un logement délabré plutôt que de déménager dans un logement social. Outre la difficulté d'accompagnement et de conviction pour amener ces personnes à accepter un logement social lorsqu'il n'y a pas d'autre solution pour leur logement qu'il faut démolir ou lorsque que nous sommes dans une zone à risque, il en va aussi de la préservation d'un mode de vie créole, avec un jardin d'alimentation et quelques animaux. Un tel fonds vise à aider les gens à se maintenir tout en les préservant de l'indignité. Son objectif est tourné vers la réhabilitation. Les possibilités de régulariser le statut à travers un GIP sont donc bienvenues, mais la priorité doit être l'amélioration.

M. Matthieu Hoarau, directeur de l'agence Île de La Réunion / océan Indien de la Fondation Abbé Pierre . - La Fondation Abbé Pierre intervient en outre-mer à travers la seule agence régionale de La Réunion, implantée depuis 1992, et qui rayonne sur l'océan Indien, notamment à Mayotte où nous subventionnerons, cette année, l'opérateur SOLIHA sur un projet de RHI. Plus largement, nous sommes en lien avec des acteurs institutionnels et associatifs sur des questions d'habitat et de logement. Nous avons aussi un programme national d'amélioration de l'habitat, qui se déploie sur des territoires avec ou sans agence. À La Réunion, nous sommes très investis dans le financement de l'auto-réhabilitation accompagnée voire l'auto-construction avec des opérateurs comme les Compagnons bâtisseurs mais aussi sur le modèle du Comité communal d'action sociale (CCAS) de Saint-Pierre qui dispose d'une équipe en régie qui peut intervenir directement auprès des habitants. Nous sommes aussi actifs dans le développement de l'accompagnement aux droits et à l'habitat. L'enjeu est la mise en place de permanences spécialisées autour de l'habitat indigne pour permettre un accompagnement dans les procédures complexes qui conduisent au découragement des ménages.

À Mayotte, les besoins dépassent de loin les faibles moyens financiers et humains existants. La grande majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et on dénombre près de 25 000 habitats considérés comme précaires, sous une forme proche du bidonville. Ces données ne sont pas systématiquement intégrées aux communications nationales sur le plan de résorption des bidonvilles sur le territoire hexagonal. Certains droits ne sont pas appliqués, comme le droit au logement opposable, et certains droits sociaux sont minorés ou ne sont pas effectifs (comme le RSA ou l'AL). Ce jeune département fait donc face à une iniquité d'application du droit.

Face à ces besoins colossaux se pose la question de l'étayage des acteurs, à savoir le développement d'un écosystème avec des opérateurs qui puissent accompagner les personnes, identifier les situations, contribuer à l'amélioration, à la construction ou à la reconstruction d'habitats ou de quartiers. Cette stratégie de renforcement des capacités doit être croisée avec une stratégie de résorption massive de l'habitat précaire, d'un point de vue global, et au-delà des clivages et tensions sociales existantes. Un plan d'action à un horizon de 5 à 10 ans est nécessaire.

Concernant les mauvaises conditions d'habitat à La Réunion, la tendance est à la baisse des bâtis précaires ou des logements sans eau chaude, mais près de 22 000 logements restent considérés comme précaires au sens de l'INSEE. Ainsi, l'AGORAH, l'agence d'urbanisme qui gère l'Observatoire réunionnais de l'habitat indigne, recense près de 18 000 bâtis précaires.

Sur ce territoire de 850 000 habitants, 16 % de la population sont en situation de surpeuplement et 117 000 ménages sont en situation de précarité énergétique, avec des variations de température et d'humidité et des problèmes d'aération. Cet enjeu a été sous-estimé de nombreux équipements sont inadaptés et des bâtis restent très énergivores. Pour le mettre en perspective, il faut rappeler que 4 Réunionnais sur 10 gagnent moins de 1 000 euros par mois.

Le non-recours aux droits liés à l'habitat est important, qu'il s'agisse du droit au logement opposable (DALO), des signalements traités par l'ARS ou de ceux de la CAF. Ces chiffres sont faibles comparés aux besoins évoqués. Sur 1 000 recours au DALO déposés en 2019, la moitié concerne des logements non décents ou impropres à l'habitation. La question de l'articulation entre le DALO et les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne se pose. Concernant la Caisse d'allocations familiales (CAF), 50 % des signalements de logements non décents parmi les allocataires concernent le parc social. D'une part, des logements sociaux nécessitent une réhabilitation et d'autre part, des ménages du parc privé n'ont pas recours au dispositif de signalement par peur des représailles de la part des propriétaires. Il faut donc aller vers ces ménages pour qu'ils puissent faire valoir leurs droits, quel que soit le statut d'occupation.

Pour ce qui est des principaux outils existants, la RHI est à repenser. Au-delà de la question du périmètre, le permis de louer a été peu probant en raison d'un manque de moyens humains déployés, de la capacité à faire connaître cet outil aux propriétaires sur le terrain et à appliquer les sanctions le cas échéant. Il faut peut-être en redéfinir le périmètre mais surtout, se donner les moyens de rendre cet outil efficace.

Le conventionnement de l'ANAH est fait de telle manière que 35 % du coût des travaux sont couverts par l'État. Une expérimentation avec une intercommunalité est en cours pour que celle-ci vienne abonder en complément et arriver à 50 %. L'enjeu est de parvenir à 70 voire 80 % de couverture des travaux pour les propriétaires ayant peu de ressources, ce qui pose la question des capacités financières des villes ou des départements pour parvenir à un outil efficace qui puisse être déployé au bon niveau.

Certains outils n'existent pas outre-mer, comme le programme « Habiter mieux », qui vise la rénovation énergétique, alors qu'il devrait bénéficier à chacun selon les spécificités des territoires ultramarins.

Pour faire vivre ces outils, un engagement financier important de l'État est nécessaire. Or cet engagement a évolué en dents de scie. Il faut une enveloppe adaptée aux besoins, ayant pour corollaire des opérateurs en capacité de monter les dossiers et les faire avancer dans des délais raisonnables. Le modèle existant de la RHI visant à résorber les poches « de type bidonville » doit être dépassé pour conduire à la résorption de l'habitat indigne sur des zones plus petites qu'avant - de 4 ou 5 habitations -, afin de contourner les problématiques actuelles des RHI en souffrance depuis 10 ou 15 ans, qui ne se sont pas réalisées parce que le foncier n'a pas été acquis, à cause de problèmes administratifs, ou encore en raison d'une opération multisites bloquée parce que l'un d'entre eux était dans une situation difficile. Les critères liés à l'amélioration de l'habitat sont à revoir. Les critères de niveau de ressources, fixées par l'État, le département ou la région, sont trop limitatifs et empêchent des ménages hors dispositif mais en situation de logement indigne d'en sortir. Les ménages en indivision foncière sont aussi sans solution, de même que ceux qui sont sur des terrains agricoles ou à risque. Ces personnes ont passé des décennies ou leur vie entière à un endroit et ne peuvent se projeter ailleurs. Il faut des réponses innovantes et adaptées à ces réalités.

La réponse aux besoins est insuffisante malgré des dynamiques positives. A La Réunion, le besoin s'élève à 9 000 réhabilitations dans le parc social quand en moyenne sur la décennie, ce sont 700 logements en moyenne qui sont réhabilités chaque année. Aux 18 000 habitats indignes répondent 2 450 améliorations ou sorties d'indignité annuelles. Il faudrait entre 7 et 13 ans (pour les parcs privé et social respectivement) pour répondre aux besoins présents, sans parler des besoins futurs.

Les moyens dédiés à l'information et l'accompagnement des ménages, des propriétaires et des opérateurs pour améliorer l'habitat sont aussi en question. Aujourd'hui, il manque d'acteurs de terrain qui puissent aller voir les ménages hors dispositif pour faire un diagnostic technique et financier sur la nature des travaux à faire. C'est pourtant le préalable nécessaire pour avancer sur la nature des accompagnements à proposer. L'enjeu de l'ingénierie est donc essentiel au-delà des questions de matériaux et de coût des travaux.

Nos recommandations à cinq ou dix ans s'articulent autour de quatre axes : la fixation des objectifs de résultats pour l'État et les collectivités locales, la mise des personnes au centre de la lutte contre l'habitat indigne, le développement de réponses innovantes et adaptées aux besoins des ménages non pris en charge par les outils et dispositifs existants et la réalisation d'un suivi régulier de la stratégie LHI en prévoyant un plan de communication.

Nous avons inclus des exemples de déclinaisons plus spécifiques de ces préconisations, comme le pilotage et la mise en oeuvre d'un PDLHI ambitieux, la lutte contre les logements vacants - aujourd'hui, la taxe sur les logements vacants n'est pas praticable dans les outre-mer ; le cadre réglementaire ne permet donc pas d'utiliser des leviers applicables dans l'Hexagone - , la question du conventionnement ANAH sur le cofinancement, le renforcement des financements dédiés à l'accompagnement social des ménages et à la coordination des acteurs, certaines dispositions de la loi Letchimy qui n'ont pas encore été précisées - je pense aux délais d'application de certaines mesures - et enfin, la mise en place d'un diagnostic de performance énergétique qui n'existe pas à La Réunion alors que des outils similaires ont été mis en place en Guadeloupe et en Martinique.

Un travail parlementaire serait le bienvenu pour permettre la régularisation du statut d'occupation des locataires qui habitent depuis très longtemps sur des terrains en indivision. Cette régularisation leur donnerait accès aux dispositifs de droit commun sur l'amélioration de l'habitat. On ne sait pas aujourd'hui combien de personnes sont concernées par cette situation. L'abbé Pierre disait que « la misère ne se gère pas mais se combat » et il y a un véritable combat à mener contre l'habitat indigne, avec des moyens importants.

M. Jean-Max Léonard, président directeur général d'Innovation logement outre-mer (ILOM) . - Innovation Logement Outre-mer est un groupement d'acteurs économiques de l'amélioration de l'habitat en Martinique. Ce territoire compte 32 000 logements insalubres. Trois EPCI construisent leur PILHI en ce moment. Nous disposerons d'un recensement précis avec une cartographie complète du territoire à la fin de l'année, permettant d'identifier les poches d'insalubrité prioritaires à traiter.

L'essentiel de mon propos sera consacré au Plan Logement outre-mer (PLOM) 2019-2022 dont l'un des objectifs est de réhabiliter le parc de logements existant. Le dernier comité de pilotage a eu lieu le 18 mars 2021 pour faire un point sur l'avancement après 15 mois de mise en oeuvre. Le taux d'avancement affiché pour la Martinique est de 40 %. Or l'animation du plan, à travers des ateliers thématiques ou des groupes de travail, n'a pas encore vu le jour en Martinique car le prestataire qui assurera la maîtrise d'oeuvre pour la DEAL et l'animation de la déclinaison locale du PLOM n'a pas encore été choisi. Nous sommes donc inquiets et ne voudrions pas que le PLOM soit encore une fois un assemblage de mesures et dispositifs recyclés, par rapport à ce qui existait auparavant. Le temps nécessaire à la création et à l'adaptation de dispositifs va encore une fois être sacrifié. Nous sommes aussi inquiets car les objectifs n'ont pas été révisés au regard de la crise majeure que nous traversons. Les sujets abordés dans le questionnaire sont importants mais l'outil de politique publique censé porter ces sujets et leur donner des réponses nous semble à l'arrêt, et paradoxalement on nous dit qu'il avance. Or, en réalité, toutes les actions sont à venir puisque l'animation n'a pas commencé.

Pour revenir sur les RHI, je suis en phase avec ce qui a été dit. En outre, un déficit d'ingénierie est l'un des facteurs qui obère les résultats des opérations. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faudrait confier le pilotage des RHI à des acteurs privés externes, afin d'augmenter les compétences des maîtres d'oeuvre et de réduire les délais.

Nous pensons que le dispositif de l'ANAH est peu attractif sur le territoire. Il faut augmenter le taux de subvention et réduire la durée de conventionnement pour y remédier. Les communes n'ont pas les moyens de financer les opérations de démolition dont l'accélération est souhaitée et il serait utile de créer un dispositif d'accompagnement pour mieux les traiter.

En vue d'associer les populations locales aux opérations de réhabilitation, nous pensons qu'il faut rendre opérationnel le dispositif « acquisition et amélioration. » Nos populations sont majoritairement propriétaires, et même en cas d'insalubrité, elles ne veulent pas aller dans du logement locatif. Ce dispositif qui n'est pas actif sur nos territoires devrait permettre de les associer aux opérations de réhabilitation, avec des opérateurs agréés qui auraient un profil un peu différent de ce qui existe déjà, et qui seraient à même de mener la promotion du dispositif, la détection et l'accompagnement. Ce changement permettrait de traiter l'insalubrité et la vacance.

L'auto-construction fait face à une raréfaction des acteurs de l'assurance sur nos territoires. Nous n'arrivons pas à obtenir de garanties décennales sur de telles opérations. Il nous semble opportun d'intégrer davantage de chantiers d'insertion plutôt que de mobiliser les bénéficiaires.

Mme Caroline Lleu-Etheve, chargée du développement outre-mer de l'association nationale des compagnons bâtisseurs (ANCB) . - Notre organisation promeut à la fois l'auto-réhabilitation accompagnée et l'auto-construction accompagnée. Je partage l'essentiel de ce qui a été dit. Un premier point important est de ne jamais déconnecter l'habitant du dispositif d'amélioration du logement adopté. L'habitant doit être au coeur de son projet de réhabilitation ou de construction et entièrement partie prenante. Il ne faut pas s'atteler seulement à la problématique du logement et des travaux mais bien à l'accompagnement technique et social de l'habitant. En raison du caractère partiellement autonome de ces dispositifs, l'habitant réalise la majeure partie des travaux et fournit son temps et sa force de travail.

À la question de la pertinence du développement de projets d'auto-réhabilitation et d'auto-construction, nous répondons donc évidemment positivement. Le dispositif OGRAL en oeuvre à La Réunion depuis 2015, en Guyane depuis 2018 et qui le sera bientôt aux Antilles permet d'intervenir auprès des personnes sans droit ni titre, économiquement et socialement précaires. Ce dispositif semble bien adapté aux problématiques sociales et de logement que rencontrent ces habitants mais les financements nous semblent insuffisants.

L'OGRAL a d'abord été envisagé comme préalable à une opération plus importante de type RHI ou RHS. Or, ce n'est le mode de fonctionnement actuel : les travaux s'arrêtent en général totalement quand l'OGRAL se termine. Il faut un chantier de réhabilitation global et durable durant cette phase d'OGRAL en traitant le logement dans son entièreté et en incluant la rénovation énergétique dans le package de travaux. L'OGRAL ne permet pas actuellement de financer tous ces travaux. Il couvre deux fois 5 000 euros maximum octroyés à la maîtrise d'ouvrage, 1 000 euros d'accompagnement du ménage pour l'opérateur et éventuellement 10 000 euros pour des travaux réalisés par des entreprises en sus. Si les montages des projets OGRAL mis en oeuvre aujourd'hui ont pu voir le jour, c'est grâce à un apport de presque 50 % du montant estimé du projet par des fonds privés ou publics (comme la fondation Abbé Pierre ou la CAF). Le dispositif a été conçu sur un format minimal insuffisant pour traiter ces problématiques.

Il nous semble nécessaire de valoriser l'apport manuel de l'habitant dans l'auto-réhabilitation ou l'auto-construction. Nous le faisons à titre informatif, pour démontrer au partenaire financier que trois semaines à temps plein sur un chantier au SMIC horaire représentent un montant considérable. Cet apport doit être valorisé dans les plans de financement, au même titre qu'un artisan dont le devis serait pris en compte dans le dispositif. L'assiette de subvention doit pouvoir être calculée pour refléter au réel le projet, en incluant cet apport en termes de travail de l'habitant.

Le sujet de la libéralisation et de la régularisation du foncier nous semble très important. Les procédures administratives et de notariat peuvent prendre une dizaine d'années pour régulariser d'énormes parcelles en indivision ou occupées, de manière pacifique, par des occupants sans titres qui n'ont pas accès au dispositif de droit commun. Un certain nombre d'outils permettent d'y travailler mais il faut que le foncier soit libéré et régularisé pour permettre des réalisations autonomes accompagnées de travaux.

La question assurantielle a été soulevée. Lorsqu'on intervient en réhabilitation chez des personnes sans droit ni titre, elles n'ont pas d'assurance habitation ni d'assurance pour les travaux. Il en va de même si le foncier n'est pas maîtrisé dans un processus d'autoconstruction encadrée. Les assureurs doivent reconnaître que les constructeurs, aussi novices soient-ils, sont accompagnés par des professionnels du bâtiment. Les travaux doivent donc pouvoir être assurés. Nous avons réalisé environ 140 toitures et charpentes à Saint-Martin suite au cyclone Irma, selon les normes antisismiques et anticycloniques en vigueur. Il n'y a pas eu plus de problèmes que s'ils avaient été réalisés directement par un artisan.

M. Michel Pelenc, directeur général de la fédération Solidaires pour l'habitat (SOLIHA) . - Nous sommes présents sur l'ensemble des outre-mer, avec environ 200 salariés et sur deux métiers principaux : l'accompagnement des particuliers dans l'amélioration de l'habitat et l'accompagnement des collectivités locales dans la revitalisation des centres-bourgs et des quartiers.

J'entends parler de l'habitat indigne depuis longtemps et c'est un sujet toujours aussi prégnant. Il faut se poser la question de l'efficacité des politiques publiques pour traiter de façon massive la question dans l'ensemble des outre-mer.

Nous avons deux intervenants sur ces territoires, le ministère des outre-mer avec la ligne budgétaire unique (LBU) et l'ANAH avec les propriétaires bailleurs, et une boîte à outils pour la revitalisation des centres-villes : les Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH), les Opérations de restauration immobilière (ORI), etc. . Il existe une série de sigles et d'outils peu ou mal connus qui mériteraient de l'être davantage. La revitalisation avance néanmoins puisque 13 ou 14 programmes « Action Coeur de Ville » (ACD) ont été lancés ainsi qu'une trentaine de programmes « Petite ville de demain » et une douzaine d'OPAH qui sont en cours. La priorité a été donnée au logement social public qui a consommé du foncier et répondu à des besoins de la population mais pas assez aux besoins d'habitat privé.

Nous constatons des problèmes de mise en oeuvre des outils existants. Par exemple, la Prime d'intermédiation locative (PIL) de l'ANAH n'est pas connue dans certains territoires ultramarins. Il en va de même pour le conventionnement sans travaux. Or il permet de créer du logement locatif social privé dans les territoires.

D'autres outils ne sont pas forcément adaptés, par exemple le dispositif d'investissement locatif de la « loi Cosse ». Il doit permettre 85 % de déduction des revenus locatifs dans le cadre d'une location par l'intermédiaire d'une agence immobilière sociale (AIS). Comme la plupart de nos propriétaires bailleurs ne sont pas imposables sur le revenu, le dispositif ne fonctionne pas.

Une circulaire concernant les bidonvilles en métropole datée de 2018 était intéressante et prévoyait des moyens, mais elle n'est pas applicable en outre-mer où elle serait d'autant plus pertinente. Il faut non seulement des moyens mais aussi des outils, à regrouper pour créer une dynamique. Face à des logements vacants ou indignes, aux aides à la pierre, un accompagnement au propriétaire bailleur ou occupant sont nécessaires. Pour le locatif, il faut permettre la sécurisation locative avec la garantie Visale, favoriser la prospection, la gestion locative adaptée et l'accompagnement des ménages. C'est par cette mobilisation de l'ensemble des outils que l'on peut proposer aux propriétaires de sortir de l'habitat indigne et de parvenir par exemple au logement locatif très social. Il faut bien sûr innover s'agissant des bidonvilles. C'est ce qui se fait à Mayotte de façon parcellaire. Aujourd'hui, le ministère développe le Logement locatif très social adapté (LLTSA) qui n'est autre que le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) adapté dont nous disposons en métropole. Il faut donc affiner les outils pour correspondre aux besoins des territoires.

En termes plus politiques, le ministère des outre-mer n'est pas représenté au conseil d'administration de l'ANAH, ni au Conseil national de l'habitat et n'est plus représenté à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). C'est problématique, puisqu'il faut porter la voix spécifique des outre-mer. Nous avons aussi un problème de coordination. La Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) n'est malheureusement pas présente. L'équipe du ministère des outre-mer est forcément restreinte et a de temps en temps besoin d'experts, par exemple de la Dihal, sur les bidonvilles. L'articulation entre ces outils est lacunaire.

Enfin, les finances publiques des collectivités des outre-mer sont exsangues. L'État doit investir davantage dans les outre-mer, y compris par les finances publiques des collectivités locales. Je rejoins ce qui a été dit sur le financement des propriétaires bailleurs.

M. Kamel Senni, responsable du pôle « Logement d'abord », de la fédération Solidaires pour l'habitat (SOLIHA) . - Environ 15 000 personnes sont concernées par les bidonvilles en métropole. La Dihal s'en occupe bien en accompagnant la politique mise en oeuvre avec un budget de 8 millions d'euros. À Mayotte, au nord de Mamoudzou, se trouve un bidonville de 15 000 personnes. En prenant en compte la Polynésie, l'estimation globale serait de l'ordre de 250 000 personnes. Ce problème excède la question de l'habitat indigne ou insalubre. Il ne s'agit plus d'opérations sur des poches ou sur des endroits circonscrits mais bien sur des villes entières regroupant des milliers de personnes dans des habitations en tôle. À ce stade, quand un problème n'a pas de solution, ce n'est plus un problème mais une contrainte. La problématique est tellement massive sur certains territoires qu'elle nécessite une approche globale d'ampleur. L'accélération de destructions porte sur des terrains appartenant à l'État parce qu'elles ne demandent pas de procédures lourdes, ou bien concernent de façon immédiate la sécurité des personnes. Ce type de démolition n'a pas d'intérêt à moyen terme, puisque les personnes vont ailleurs et densifient des bidonvilles existants, ni à long terme en l'absence de solution globale.

Nous réfléchissons actuellement à un dispositif de recherche-action pour réunir l'ensemble des avis pertinents à ce sujet, y compris ceux des acteurs locaux et des scientifiques, et pour mener des études préalables sur un certain nombre de sites en vue de produire une méthodologie de travail. Il est probable que nous ayons à nous inspirer des méthodologies d'intervention sociale dans les bidonvilles des favelas brésiliennes.

Il va falloir convaincre les décideurs et l'opinion publique de l'intérêt d'un tel travail, y compris en termes de retombées économiques, de l'implication des habitants et de leur transformation en citoyens de droit commun. L'inégalité d'accès aux droits et de la protection sociale à Mayotte a été évoquée.

Des initiatives intéressantes ont été mises en place, par exemple à Majicavo avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre. Cette expérimentation est à échelle humaine puisqu'elle concerne 46 logements et 120 personnes, mais montre qu'avec des méthodes, des équipes formées et un soutien financier, on obtient des résultats. Pour un changement d'échelle, un soutien bien plus important sera nécessaire.

En Guyane, les ordres de grandeur sont semblables. Les bidonvilles s'étendent sur des hectares. En raison de la grande part de forêts vierges sur le territoire, les opérations de destruction ont repoussé des groupes d'habitants plus loin au sein de la forêt.

Une difficulté tient au traitement des personnes aux droits de séjour incertain, irrégulier ou sans droit ni titre. Elle ne relève pas des acteurs locaux mais de la politique nationale. Sans un positionnement politique affirmé sur ces sujets, le traitement massif de ces situations semble impossible, quels que soient les moyens mis en oeuvre. Détruire un bidonville avec un bulldozer ne règle pas les difficultés des habitants.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'ai beaucoup appris de vos interventions. Il serait utile de produire un recensement de tous les outils, dispositifs et mesures qui ne sont pas appliqués dans les outre-mer. Ma première question va à Sophie Primas. Quel a été l'avenir de la PPL de Bruno Gilles visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux ? Quelle est l'actualité de ce texte dans les outre-mer ? Notamment, quelles ont été les suites de la réflexion sur les polices spéciale et générale ?

Sur le permis de louer et l'expérimentation à Saint-André, puisque la taxe sur les logements vacants n'existe pas, ce peut être une incitation à dégager des logements. En Guyane où le foncier est rare, il faut utiliser tous les moyens incitatifs quelle que soit leur nature pour inciter à louer, à construire, à améliorer, entretenir et réparer.

Quelles sont les distinctions entre habitat indigne, insalubre, défavorisé, bidonville ? Y a-t-il une typologie juridique ?

J'ai connu des RHI qui ont duré 20 ans, par exemple au Gosier en Guadeloupe. Il y avait peu d'aménageurs. J'ai l'impression que la SEMAG fait encore des RHI en Guadeloupe, par des financements de l'État et des collectivités, mais que dans l'ensemble c'est toujours laborieux. Les contrôles opérés par les organismes de tutelle en aval rapportent des résultats désastreux.

Pour ce qui est des pouvoirs du maire, face aux dents creuses, aux habitats menaçants etc ., qu'est-ce qui est aujourd'hui efficace ?

Certains points sont à approfondir sur la loi Letchimy. Nous voulions l'améliorer en matière fiscale, en passant de l'unanimité à la majorité pour la décision de la répartition de la succession. Cependant, comme des taxes sont à payer en cas de libéralité, cela ne facilite toujours pas la répartition de la dévolution successorale.

Concernant l'habitat indigne, ce que le Gouvernement précédent avait octroyé pour permettre le départ des occupants sans titre était insuffisant. Nous étions montés à 10 000, voire 40 000 euros selon les cas, et cela n'est toujours pas suffisant. Quel est le bilan de ce dispositif à ce jour ? Faut-il le repenser ?

En Guadeloupe, j'aimerais m'arrêter sur la situation de 1 821 logements indignes à Pointe-à-Pitre, sur propriété de la ville, dont une partie est à démolir. Une certaine forme de mixité est à installer par l'intégration de logements intermédiaires voire de logements à loyers libres étant rappelé qu'il y a 75 % de logements sociaux à Pointe-à-Pitre.

Je finis avec les quartiers politiques de la ville (QPV), au nombre de 6 en Guadeloupe. De quels moyens disposez-vous, en votre qualité d'opérateurs, hors QPV ? Nous avions eu une discussion animée avec Myriam El Khomri sous la présidence de François Hollande sur l'extension des périmètres. Sur ma commune qui n'est pas en QPV se trouvent des résidences dégradées, regroupées, qui relèvent de l'indignité mais ne peuvent bénéficier de dispositifs, tels que la défiscalisation, le crédit d'impôt ou de l'ANRU. Il faut s'interroger sur l'articulation de ces politiques (ANRU, comité de la ville, coeur de ville, etc .), au-delà de ces quartiers qui couvrent parfois une partie significative de la population. Il y a un problème de compréhension d'ensemble, d'efficacité et de satisfaction des demandeurs dont les files d'attente s'allongent.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Les résultats de l'ANAH seraient-ils liés à une méconnaissance de ses possibilités d'applications ultramarines? Pensez-vous qu'il faille revoir la représentativité ultramarine au sein de ces organismes et de l'ANAH en particulier ?

Lors d'une audition antérieure, il a été mis en lumière que les crédits au titre de l'éco-prêt logement social (éco PLS) étaient sous-consommés. Pensez-vous que ceux-ci devraient être mobilisables pour compléter les opérations de rénovation ?

Enfin, concernant l'ingénierie du BTP, que pensez-vous d'un accompagnement des jeunes vers une formation professionnelle diplômante pour renforcer le secteur de la construction ?

Je vous suis sur la nécessité d'intégrer les populations dans les processus de rénovation. Pourquoi ne pas intégrer les associations de quartier qui pourraient assurer un lien entre aménageurs et populations ? Il y a souvent une aspiration à ne pas changer ses habitudes, son lieu de vie, plutôt que d'être déplacé dans des blocs de béton.

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je retiens qu'il est bien sûr très compliqué de traiter l'insalubrité et que les résultats ne sont pas au rendez-vous des politiques successives. Mais je comprends que, même si leur logement est insalubre, les habitants puissent être attachés à leur lieu de vie, par un lien intime, et qu'il est toujours difficile de déplacer des personnes, même pour aller dans des logements plus confortables. Cette donnée doit être prise en compte, même si elle est difficile à intégrer. Les programmes d'amélioration de l'habitat me paraissent d'autant plus intéressants, y compris l'auto-réhabilitation et l'auto-construction. Un certain nombre de freins existent, que ce soient les normes, les assurances ou les difficultés à intervenir sur de l'habitat ancien existant. Je retiens aussi le manque d'ingénierie qui doit être complétée, renforcée et peut-être clarifiée en rendant l'ensemble des acteurs d'un territoire plus visibles pour faciliter l'accompagnement des opérations. On peut ajouter la question de la précarité énergétique, qui va de pair avec la lutte contre l'habitat indigne.

M. Michel Pelenc . - L'ANAH s'est implantée dans les outre-mer dans les années 1990. La difficulté est de mettre à disposition l'ensemble des outils de l'ANAH non seulement aux propriétaires bailleurs mais aussi des acteurs concernés au niveau des centres-villes, des bourgs, des copropriétés, etc. , ce qui a trop peu été fait. Il n'y a pas de porte-parolat pour l'outre-mer dans les instances du logement, que ce soit au CNH, à l'ANRU ou à l'ANAH. C'est un véritable problème car l'offre proposée doit être en relation avec les besoins des populations et leurs spécificités.

« Habiter mieux » a été cité à juste titre. Ce dispositif n'est disponible dans les outre-mer que depuis deux ans pour les propriétaires bailleurs et, à ma connaissance, en 2019, seuls 14 dossiers avaient été montés dans l'ensemble des outre-mer. Il est évident qu'il y a un problème quelque part. L'ANAH avait certes été échaudée à la suite d'un détournement de fonds très important en Martinique mais cet épisode date désormais, et il faut passer à autre chose en vue d'une présence concrète de l'ANAH dans les territoires ultramarins.

Dans le cadre du PLOM, le ministère a annoncé qu'une convention était en cours de finalisation entre le ministère des outre-mer, l'ANAH et la Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP). Je n'en connais pas le contenu mais c'est un pas dans le bon sens.

Concernant l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), qui permet des avances, les entreprises hésitent à intervenir chez des ménages très modestes pour ne pas avoir de problème de solvabilité. En intervenant en amont, nous permettons de financer les matériaux achetés par les entreprises avant de boucler le reste à charge grâce à l'éco-PTZ. Aujourd'hui, il ne fonctionne pas dans l'Hexagone et est, je crois, quasi absent en outre-mer, alors qu'il est garanti à hauteur de 75 %. Nous l'avons proposé pour la rénovation énergétique de gros chantiers dans le cadre du rapport d'Olivier Sichel, avec un passage de 20 000 à 40 000 euros en moyenne. Nous avons demandé à porter le fonds de garantie à 90 % comme pour le PGE mais encore faut-il que les banques distribuent cet éco-PTZ. Dans l'Hexagone, le Crédit Agricole le fait parfois, mais par exemple sur 70 000 logements par an réalisés avec le SOLIHA, seulement 300 le sont avec l'éco-PTZ. C'est donc très marginal.

Action Logement avait un programme de rénovation énergétique et un programme « salle de bain » valables pour les territoires d'outre-mer, mais le programme de rénovation énergétique qui s'est arrêté dans l'Hexagone n'a toujours pas été déployé en outre-mer. Par exemple, pour un chantier de 20 000 euros, il est possible d'avoir une aide de 20 000 euros sur l'isolation, les murs, etc . Il y a toujours des retards pour les outre-mer, certains sont justifiés, d'autres ne le sont pas. On observe bien une difficulté à étendre tous ces outils dans les territoires ultramarins, qui soit ne sont pas adaptés ou soit pas appliqués. Nous en revenons au problème du porte-parolat insuffisant.

Mme Victoire Jasmin . - Je voudrais revenir sur les différents dispositifs, notamment les PLHI, que les EPCI sont en train de mettre en place. Un inventaire est en cours. Je constate une absence de cohérence et de complémentarité entre les nombreux opérateurs et dispositifs. À cela s'ajoutent les difficultés de financement évoquées. En Guadeloupe, l'ouragan Hugo a détruit un certain nombre de logements vétustes et il y a moins de logements indignes en général mais il en existe encore. Il a été question d'auto-construction et de chantiers d'insertion, ainsi que de risques assurantiels. Quel est le champ d'action des chantiers d'insertion là où ils sont pratiqués ? Les garanties décennales peuvent-elles être mobilisées dans ce cadre ? Quelles sont les limites ?

Concernant l'application des différents dispositifs en matière de rénovation, il faudrait une véritable cohérence entre les différents services. Des annonces pertinentes ont été faites dans le plan de relance. Comment les avez-vous reçues ?

Mme Viviane Malet . - Merci aux intervenants pour leurs excellentes présentations portant sur une problématique épineuse.

Nous avons six projets ANRU à La Réunion. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile de faire rentrer l'auto-réhabilitation accompagnée (ARA) dans les programmes de renouvellement urbain, ce qui permettrait de ne pas faire deux ensembles séparés dans les quartiers, entre les logements rénovés des bailleurs et les logements non rénovés des propriétaires occupants ?

Ne serait-il pas judicieux également d'associer des régies de quartier ou des chantiers d'insertion dans ces périmètres ANRU pour que les résidents ou habitants puissent s'approprier les travaux et s'aider entre eux ? Ce pourrait être fait en s'appuyant sur les CCAS. Par exemple, le CCAS de Saint-Pierre à La Réunion a une régie pour les travaux d'amélioration.

M. Pascal Fouque . - Sur les chantiers d'insertion et l'ARA, je vais me faire le porte-parole de la DEAL. L'âge des personnes ou l'état de santé est une difficulté évidente, qui peut constituer un obstacle à la possibilité d'intégrer des personnes pour réhabiliter eux-mêmes leur logement. L'état de santé est d'ailleurs souvent en lien avec l'état du logement occupé. La nature des travaux est aussi un facteur. Dans le cas d'une OGRAL pour des travaux légers, l'intervention de rénovation est par définition limitée.

Mme Caroline Lleu-Etheve . - Pour compléter ces propos, l'ARA peut s'appliquer chez des ménages en capacité de fournir ce travail. Sur des territoires où la population est âgée, la démarche peut être compliquée à mettre en place. Cela étant, il s'agit d'une démarche collective, ce qui signifie que si l'habitant ne peut effectuer les travaux, il est possible de solliciter son entourage élargi : famille, voisins, collègues, y compris les associations de quartier.

Pour ce qui concerne les quartiers ANRU, nous avons réalisé deux études opérationnelles en Guyane, en 2017 et 2019, dans le cadre des études de préfiguration d'importants projets de réhabilitation à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni. Les phases opérationnelles et les marchés ne sont toujours pas sortis faute de financements, notamment de la part des collectivités locales.

Enfin, la caisse d'avance rendra possible le démarrage de phases de travaux au coût élevé pour les opérateurs sélectionnés qui disposent rarement d'une trésorerie suffisante. Il existe donc des projets d'ampleur pour les quartiers NPNRU, encore faut-il que ces projets voient le jour et que l'ingénierie soit en mesure de les mettre en oeuvre.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Lors de mon intervention, j'ai évoqué l'éco-PLS, un prêt qui permet de financer les travaux de rénovation énergétique du logement. Cette ligne budgétaire est sous-consommée et pourrait être mobilisée.

M. Jean-Max Leonard . - Un chantier d'insertion peut trouver des garanties décennales puisque ce sont des entreprises qui interviennent, mais en raison de la raréfaction des acteurs de l'assurance, un second problème apparaît. Dans la construction, une assurance dommage ouvrage doit être souscrite pour le compte du bénéficiaire. Elle finance les éventuelles dégradations constatées avant le traitement de la garantie décennale. Elle est obligatoire mais il est très difficile de l'obtenir sur notre territoire.

M. Matthieu Hoarau . - Le recensement des outils et de leur application est un chantier utile et central.

Sous de bonnes conditions, le permis de louer est un levier qui pourrait être utile pour prévenir des situations d'habitat indigne et lutter contre les marchands de sommeil. Il faut se donner les moyens d'aller au bout de l'expérimentation.

Il faut aussi mettre en perspective le nombre de logements vacants. À La Réunion, selon l'INSEE, plus de 33 000 logements sont vacants. On voit le fort potentiel à remobiliser ces logements dans une logique d'intermédiation locative. L'enjeu est par ailleurs de rénover les logements vacants dont les propriétaires n'ont pas les moyens de réaliser les travaux. Connaître ces besoins et les causes de la vacance est important. Les leviers de la taxe « logement vacant » et de la taxe d'habitation sur le logement vacant peuvent être expérimentés avec des outils plus pédagogiques.

Pour répondre à Victorin Lurel, les statuts des habitats indignes, insalubres et indécents sont définis dans la loi Besson de 1990, la loi ALUR de 1994, dans le code de santé publique et le code de la construction et de l'habitation, ainsi que dans le décret du 30 janvier 2002 pris pour l'application de la loi SRU de 2000. Des définitions juridiques précises existent donc.

Sur la question des polices, notamment du maire, nous avons des éléments sur le nombre d'arrêtés prononcés par les préfets mais peu d'éléments sur l'exercice du pouvoir de police des maires à La Réunion. La question du suivi, de l'utilisation et du résultat se pose de même que la façon de la rendre plus opérationnelle et d'accompagner les collectivités.

Concernant la représentativité, l'ANAH donne délégation aux services de la DEAL. Que ce soit l'ANAH ou les autres outils liés à l'habitat, les données de l'outre-mer sont toujours séparées de celles de l'Hexagone. Cette dichotomie n'est pas viable. Il faut mieux observer les politiques publiques et regarder de quelle façon les outre-mer sont représentés dans les instances nationales pour mieux prendre en compte les besoins des territoires.

Les chantiers d'insertion, les formations diplômantes des jeunes et la mobilisation entreprise sont des leviers. Le logement peut en effet être générateur d'activités économiques dans des zones où le chômage est important, en particulier le chômage des jeunes.

L'ANRU déploie son dispositif dans un modèle de consultation des habitants plutôt que de co-construction. Ce modèle est donc à repenser pour mieux inclure les habitants dans ces dispositifs, répondre à leurs besoins et promouvoir leurs capacités d'intervention dans les réponses apportées.

La rénovation énergétique est difficile à appréhender en outre-mer faute d'outils adéquats et en raison de dispositifs inadaptés ou méconnus. Il faut encore travailler pour mieux cerner les croisements entre précarité énergétique, rénovation et amélioration de l'habitat.

L'Action Logement accession a deux aspects : d'une part obtenir les financements prochains pour relancer et réadapter le dispositif et d'autre part traiter les dossiers restés en souffrance. Nous avons besoin d'une analyse précise de la situation à ce jour.

L'OGRAL ne se limite pas à l'ARA mais peut s'appuyer sur d'autres modalités d'intervention. Certaines familles n'ont pas la capacité de mener les travaux ou de mobiliser leur entourage et sont néanmoins éligibles à l'OGRAL. Il faut aussi les aider à avancer. L'ARA fonctionne sous certaines conditions. La question des opérateurs se pose. À La Réunion, personne n'est en capacité, à part les Compagnons bâtisseurs et les régies, et en l'état ces derniers ne peuvent aller au-delà de ce qu'ils font déjà.

M. Stéphane Artano . - Je remercie les intervenants pour leur présentation et leurs réponses ainsi que les rapporteurs. Vous pourrez nous faire parvenir tous les éléments pour éclairer les travaux de notre délégation, et permettre d'établir des propositions concrètes pouvant être ensuite portées par le Sénat.

Je retiens deux choses en particulier : l'accent sur l'ingénierie locale et l'intérêt du travail en réseau y compris au sein des services de l'État, qui assure leur déconcentration. On assiste trop souvent encore à un fonctionnement en silo des services. Les préfets ont du mal à coordonner les services, y compris dans l'Hexagone. Cette coopération est pourtant indispensable. Enfin, l'adaptation des dispositifs aux territoires est toujours déterminante. Il faut répondre concrètement aux thématiques propres et aux réalités différentes.

Mme Annick Petrus , présidente . - À mon tour de vous remercier pour la tenue de cette table ronde et la pertinence des réponses apportées.

Mardi 13 avril 2021

Table ronde sur la situation du logement à La Réunion

Mme Annick Petrus , présidente . - Chers collègues, dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, la délégation sénatoriale aux outre-mer organise cette après-midi une table ronde dédiée à la situation du logement à La Réunion. Le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et malheureusement retenu aujourd'hui par des obligations, vous prie de bien vouloir l'excuser ainsi que notre collègue Nassimah Dindar, ne pourra se joindre à nous pour raisons de santé. Elle a néanmoins souhaité transmettre une contribution aux rapporteurs pour nourrir leurs réflexions.

Nous vous remercions vivement d'avoir accepté de participer à cette importante table ronde qui concerne le département d'outre-mer le plus peuplé et où les besoins quantitatifs de logement restent considérables, tant dans le secteur du logement social que dans celui du logement intermédiaire, malgré les évolutions que vous pourrez nous préciser.

Pour échanger avec les rapporteurs, une trame indicative vous a été adressée. Si vous êtes d'accord, nous procéderons selon l'ordre suivant. En premier lieu, je donnerai la parole à Gilbert Annette, maire adjoint de Saint-Denis et délégué au logement qui remplace Éricka Bareigts, retenu pour d'autres obligations, Jérôme Bodino, directeur général de la Société publique locale Avenir Réunion, Jean-Louis Grandvaux, directeur général de l'Établissement public foncier de La Réunion, Érick Fontaine, administrateur de la Confédération nationale du logement (CNL). Après cette première série d'interventions, les rapporteurs pourront demander des précisions complémentaires et les trois invités répondront. Dans un second temps, s'exprimeront nos trois autres intervenants, Jacques Durand, directeur général de la SIDR et président de l'ARMOS, Denis Chidaine, délégué de l'Association des maîtres d'ouvrage sociaux (ARMOS) océan Indien et Gilles Tardy, directeur général de la Société anonyme d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR). Comme précédemment les rapporteurs reprendront la parole pour des éclairages complémentaires. Enfin, les autres sénateurs présents pourront également prendre la parole et échanger avec les intervenants.

Nous espérons que ces interventions nous permettront d'avoir une vision synthétique de la situation dans cette collectivité, que vous pourrez compléter par la suite avec vos réponses écrites. Cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

M. Gilbert Annette, maire adjoint de Saint-Denis et délégué au logement . - La Réunion rencontre des difficultés à répondre aux besoins de logement de ses habitants. Derrière cette absence de réponses satisfaisantes, des tensions sociales laissent présager une dégradation de la situation dans certains quartiers, du fait même de la surpopulation dans les logements. Cette surpopulation est sans doute une cause majeure de l'échec scolaire, alors même que nous avons fait des efforts colossaux en matière d'éducation. Un deuxième point à souligner est la ghettoïsation de certains quartiers, avec des tensions très fortes.

L'origine du problème de logement à La Réunion réside dans la rareté et le coût du foncier. Je me permets de rappeler une proposition faite par le Président Larcher, alors président de la commission des affaires économiques, sur la possibilité de transformer les terrains constructibles bon marché et les mettre à disposition des collectivités. Cette proposition inspirée des Pays-Bas et du Danemark n'a pas abouti. Le foncier est un élément pénalisant dans ce contexte d'augmentation de la population et du nombre de ménages. Dans cette équation, les projets ont du mal à voir le jour.

Par ailleurs, je souhaite porter à votre attention l'inadéquation entre les réglementations et le mode de vie réunionnais. En effet, ces normes d'habitabilité en vigueur (nombre de personnes par pièce par exemple) sont incohérentes avec un mode de vie ouvert vers l'extérieur. Transposer les normes métropolitaines à l'habitat de La Réunion est une contrainte pénalisante évidente qui surenchérit les logements et les loyers. Ce point doit faire l'objet d'un approfondissement. Il est impératif de réviser et d'assouplir ces normes pour attribuer plus facilement des logements aux familles.

Depuis une dizaine d'années, de gros efforts ont été menés pour faciliter la construction de logements sociaux. Cependant, compte tenu de l'âge du parc et des plaintes des locataires, l'heure est aujourd'hui à la réhabilitation.

Le problème de fond demeure la compatibilité du loyer avec le pouvoir d'achat des familles. Ce département est marqué par la pauvreté des habitants avec 40 % de la population en dessous du seuil de pauvreté et un taux de chômage massif. Au vu des conditions économiques, il serait pertinent d'adapter un modèle pour rendre les loyers acceptables pour ces familles et ainsi répondre aux besoins de logement. Les efforts sont continus depuis ces dix dernières années. Même si des logements sont encore considérés comme habitats insalubres, les bidonvilles ont toutefois été éradiqués.

Pour terminer mon propos, je dirais que l'amélioration des conditions de vie et la maîtrise des loyers sont des dossiers majeurs de politique publique.

M. Jean-Louis Grandvaux, directeur général de l'Établissement public foncier de La Réunion . - À La Réunion, la planification domine avec les SAR, SCoT, PLH et PLU. Tous ces plans se superposent et amènent au final de la confusion dans la mise en oeuvre. Cela devient contraignant et très technocratique. Ces documents sont constamment en révision et font perdre beaucoup de temps à la réalisation des projets. Plus de simplicité et de clarification seraient nécessaires à ce niveau.

Les récents regroupements des bailleurs sociaux ont provoqué des incertitudes avec un temps d'arrêt et un repli sur les ventes en l'état futur d'achèvement ou VEFA. Or une VEFA est avant tout du logement. Encore faut-il structurer la ville, prévoir des équipements publics, au risque d'entraîner des problèmes d'aménagement du territoire.

Nous constatons également que les volontés sont différentes en fonction des communes. Certaines estiment que le logement social, « c'est mieux chez les autres ». Il est important de prendre cet aspect en compte. À La Réunion, il n'est pas envisageable de construire sans les maires. Dans l'Hexagone, cela se conçoit aisément avec des EPCI très puissantes. La Réunion ne compte que 24 communes et 5 EPCI. Il faut vraiment trouver le moyen d'associer les maires à tous les niveaux de la construction de logement social. Ce sont eux qui donnent les permis, qui établissent les PLU et qui sont attentifs aux attributions. Sans les maires, il est impossible de faire du logement social.

J'attire votre attention sur la hausse des coûts de construction. Cette augmentation se répercute sur le coût de sortie des opérations avec une incidence directe sur les personnes aux revenus très limités. Il est primordial de trouver le moyen de maîtriser ces coûts de construction.

Par ailleurs, les perspectives démographiques sont à fiabiliser. Les études prévoyaient un million d'habitants en 2020. Nous ne sommes finalement que 860 000 avec des évolutions dans les ménages, des cohabitations, davantage de personnes âgées et de personnes seules, plus de familles nombreuses regroupées dans des petits logements. Tout cela est à prendre en compte pour des adaptations locales. Nous ne pouvons pas décliner la même politique de logement dans l'Hexagone et à La Réunion.

Je suis sévère sur le nombre de réglementations qui s'empilent, des délais administratifs bien trop longs, des contentieux qui se multiplient avec beaucoup trop d'intervenants dans la filière du logement. Nous avons tendance à ne plus savoir qui décide quoi, et il est finalement plus facile de protéger que de développer. La filière doit se remettre dans une dynamique de construction et de développement, car les attentes de la population sont nombreuses. Je ne pense pas que ce soit un problème de financement ni d'aide, mais surtout un problème de coordination et de volonté. Il faut trouver le moyen d'associer les maires qui vont les chevilles ouvrières de cette politique du logement.

En ce qui concerne la politique foncière, nous agissons pour le compte de toutes les collectivités de La Réunion, en associant l'État, les bailleurs sociaux, la SAFER. Aucun problème de financement n'est à déplorer dans notre structure. Nous bénéficions d'une trésorerie importante, d'un stock important de 350 hectares de terrain disponibles pour réaliser des opérations sur La Réunion. Toutefois ces terrains achetés à des prix maîtrisés (53 euros/m 2 ) ne sont pas aménagés. Les rendre opérationnels au plus vite représente un coût considérable. Mais cela est nécessaire pour lancer de grandes opérations. L'enjeu sera de trouver des solutions pour aménager les terrains à des coûts maîtrisés pour bénéficier de coûts de sortie abordables.

M. Jérôme Bodino, directeur général de la Société publique locale (SPL) Avenir Réunion . - La SPL Avenir Réunion est une société qui intervient exclusivement pour ses actionnaires. Nous menons des opérations d'amélioration de l'habitat pour le compte du département de La Réunion qui est notre actionnaire majoritaire. Dans le cadre de cette mission, nous réalisons des améliorations légères, de l'ordre de 12 000 euros de travaux avec un plafond de 20 000 euros, financés à 100 % par le département. Face à des améliorations nécessitant des travaux plus lourds, les dossiers sont réorientés vers les opérateurs agréés par l'État pour mobiliser la LBU.

Nous intervenons sur des travaux de sécurité physique, de santé, d'hygiène, d'accessibilité et d'adaptation des logements et d'extension en cas de surpeuplement. Le public prioritaire est celui des personnes âgées avec la question de leur maintien à domicile et des personnes handicapées. La particularité de l'intervention du département sur l'amélioration de l'habitat est d'agir autant pour les propriétaires, les locataires du parc privé sous conditions de ressources du propriétaire que pour les occupants à titre gratuit, pour les personnes ayant construit sur un terrain communal.

En termes de volume, la SPL est dimensionnée pour traiter à peu près 900 dossiers par an. Toutefois, la demande est bien supérieure. Les dossiers se sont accumulés d'année en année avec des délais d'attente de plus en plus longs, alors même que la procédure en elle-même est relativement rapide avec le département. Dans le cadre de son plan de relance économique et social, le département de La Réunion a décidé en juillet 2020 de doubler son intervention pour l'amélioration de l'habitat et de passer de 100 à 200 millions d'euros sur les cinq prochaines années (2021 à 2025), avec pour objectif d'améliorer 20 000 logements et de participer aux opérations d'amélioration en complément de la LBU. Avec une montée en charge progressive, le département pourrait financer ou cofinancer 4 000 logements. Au niveau de la SPL, nous nous sommes donc dimensionnés pour réaliser dans un premier temps 1 400 dossiers par an, ce qui nous permet de voir le stock enfin diminuer et donc d'espérer atteindre des délais raisonnables.

Lors de nos interventions, principalement sur de l'habitat individuel, nous constatons encore de nombreux logements indignes, voire des situations vraiment dramatiques, avec des personnes âgées vivant dans des logements sans salle d'eau et sans sanitaires.

La plus grande difficulté pour nous aujourd'hui dans l'exercice de cette mission est l'intervention pour des occupations à titre gratuit où seul le département finance. Face à des interventions qui ne relèvent plus de l'amélioration légère, mais nécessiteraient des travaux bien plus lourds, hors mobilisation de financement type LBU, ces dossiers sont dans l'impasse. Ce sont des situations où les personnes âgées refusent le relogement, car elles ne parviennent pas à se projeter ailleurs que dans l'habitation qu'elles occupent depuis des dizaines d'années.

D'autres difficultés se rajoutent encore, comme le traitement de l'amiante qui alourdit les processus et augmente les coûts, et bientôt viendra le cas du plomb.

M. Érick Fontaine, administrateur de la Confédération nationale du logement (CNL) . - Nous avons des défis importants à relever à La Réunion. 350 000 personnes sont en dessous du seuil de pauvreté, les salaires sont bas, le nombre de personnes âgées a doublé et 35 % de la population est couvert par les allocations logement.

En premier lieu, je souhaite mettre en lumière le sujet de la réhabilitation. 25 000 à 30 000 logements doivent être réhabilités. L'enjeu est important pour la santé des occupants puisque beaucoup de ces logements sont indignes. Cela engendre des problèmes d'éducation avec des enfants qui traînent dans la rue. Se pose aussi le problème de l'amiante.

En deuxième lieu, j'attire votre attention sur les logements vacants dans le privé. Nous faisons un travail sur le repérage de ces logements. Notre objectif est d'accompagner les propriétaires pour rendre ces logements habitables et disponibles à la location. Nous travaillons avec Action Logement, la CAF et d'autres partenaires qui interviennent dans le logement privé.

Nous constatons que La Réunion ne manque pas de financements (Action Logement, LBU, les collectivités...), mais plutôt d'un véritable commandant à bord pour le « bateau Logement ». En revanche, des financements complémentaires seraient nécessaires pour soutenir les collectivités dans leur aménagement du territoire. En effet, la construction de logements engendre des coûts importants pour les collectivités : construction de routes, des réseaux, des équipements publics. Nous pourrions imaginer une dotation spécifique de l'État pour les collectivités dédiée à l'aménagement du territoire.

Je souhaite aborder un autre point important. La politique de l'ANRU n'est peut-être pas adaptée à la situation réunionnaise. Compte tenu de nos spécificités, quand nous sommes amenés à démolir des immeubles sur un quartier, il serait pertinent de pouvoir reconstruire dans ces mêmes quartiers. En effet, ces logements concernent des personnes à très bas revenus, souvent très âgées, qu'il est difficile de reloger ailleurs et très attachées à leur vie de quartier et la solidarité de l'entourage. Le frein est l'impossibilité de reconstruire des LLTS. Pour les logements détruits dans le cadre de l'ANRU, il faudrait permettre aux élus locaux, aux bailleurs sociaux, de pouvoir aménager comme ils le souhaitent le secteur de l'ANRU. Cette mesure permettrait de remettre de l'humain au centre de nos préoccupations.

Un fléau à La Réunion est la qualité des logements construits. Nous déplorons de plus en plus de dégradation sur des logements neufs, des logements qui au bout de quelques mois deviennent indécents. C'est une difficulté pour les locataires et les bailleurs également. Nous courrons le risque d'avoir dans 10 ans une situation catastrophique dans les logements neufs, augmentant encore le nombre de logements à réhabiliter. Dans ces milliers de logements, nous voyons apparaître des conditions de vie déplorables, un renfermement des locataires qui ne reçoivent plus leurs familles, des enfants dans la rue, des problèmes de sécurité et de santé pour les occupants.

L'allocation logement est également un sujet de préoccupation. Nous ne bénéficions pas de la même allocation logement qu'en Métropole. Nous disposons de l'allocation personnelle au logement et non pas d'allocation personnalisée au logement. Elle me paraît plus favorable dans l'Hexagone qu'à La Réunion. Une étude devrait être diligentée pour repérer ces différences, dans le cadre de cette situation sociale extrêmement tendue. Selon les études, nous sommes la troisième région de France dans laquelle le prix du loyer est le plus élevé au m 2 par rapport à la surface habitable. Avec un loyer trop important, les conditions de revenus des locataires ne permettent pas d'accéder à ce type de logement. Un T2 s'élève à 500 euros charges incluses. Ni un RSA célibataire ni un retraité ne peuvent en bénéficier. La question à se poser est pour qui finalement ces logements sont-ils construits ?

Enfin, le dernier point concerne l'accession sociale à la propriété. Les dispositifs ALS doivent être maintenus et même intensifiés avec des aides plus importantes et un meilleur suivi de la part de l'État. Nous déplorons aujourd'hui un grand nombre de dossiers avec des déclarations d'ouverture de chantier, toujours pas démarrés depuis 3 ans. Cela pénalise à la fois les bénéficiaires et l'État. Il faut réfléchir à des solutions pour aider les bailleurs sociaux à baisser les prix de ces logements sociaux. La vente de logements sociaux n'est pas un grand succès, car le prix de vente demeure un frein à l'achat.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - La problématique du logement est importante. Nous nous apercevons au fil des auditions à quel point chaque territoire a ses spécificités propres. La presse locale de ce matin indiquait que sur 30 000 demandes de dossier d'accession du logement, seules 7 000 à 8 000 aboutissent chaque année. Je peux comprendre effectivement la détresse dans laquelle se retrouvent les intéressés.

Vous avez mis en avant le coût de revient des logements et la problématique des normes. Selon vous, comment diminuer les coûts des logements et poursuivre le travail d'adaptation des normes aux réalités du territoire ? Comment assurer cette mixité sociale dans les projets de construction et de réhabilitation ? Comment faire adhérer la population locale dans la mise en place de la réorganisation des quartiers ? Concernant les déclarations de chantiers qui n'ont pas abouti depuis 3 ans, selon vous, est-ce un problème lié à la professionnalisation des entreprises du bâtiment ? Sont-elles assez nombreuses ? Comment réussir à diminuer la durée des chantiers ?

Mme Viviane Malet . - Ma question porte sur le coût de l'aménagement du foncier porté par les communes et l'établissement public foncier de La Réunion (EPFR). Pensez-vous qu'il faudrait mettre en place un fonds alimenté par l'État, la région, le département et les EPCI pour lever ce frein ?

Concernant les six périmètres ANRU à La Réunion, serait-il bon de mettre en place des régies de quartiers ou des associations qui pourraient oeuvrer pour l'amélioration des habitations des personnes âgées dans ces quartiers ?

Notre population est vieillissante. Cependant la loi n'autorise pas la construction de résidences autonomie. Selon vous, faudrait-il changer la loi en demandant la création de résidences autonomie ou de résidences personnes âgées à caractère social ?

M. Victorin Lurel , rapporteur . - La Réunion est un peu un laboratoire pour les outre-mer, notamment sur ce sujet du logement. J'ai entendu l'intervention de la CNL, sur les différences de traitements entre l'Hexagone et nous. J'ai personnellement essayé dans la loi Egalite réelle d'harmoniser les prestations, les plafonds, les allocations en fonction de la taille des familles. Bercy s'y est opposé ouvertement. À chaque PLFSS, nous n'hésitons pas à déposer des amendements pour harmoniser. Des simulations doivent être faites ainsi que des études d'impact pour mesurer les avantages et les inconvénients. J'espère que notre rapport pourra faire des propositions en faveur d'une harmonisation entre l'Hexagone et nos territoires. Nous sommes preneurs de propositions sur ces sujets, car c'est un point important.

En ce qui concerne les aides des agences nationales, j'aimerais avoir une évaluation concrète des actions de l'ANAH et des opérations ANRU. Comment sont-elles vécues ? Quelle nouvelle proposition présenter pour améliorer ces interventions ?

Concernant le montage des dossiers, constatez-vous des difficultés bureaucratiques ? Au dernier moment, des architectes conseils viennent-ils signaler des éléments à reprendre retardant ainsi les dossiers ? J'aimerais entendre le quotidien vécu par les opérateurs sociaux. Il se dit que les crédits ne sont pas consommés, car les collectivités et les bailleurs sociaux n'ont ni l'ingénierie ni les experts. Or, des rapports parlementaires pointent la lenteur bureaucratique et la multiplicité d'obstacles. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce point.

Je souhaite aussi aborder la gouvernance à La Réunion de la politique du logement. Nous ne sommes pas dans le cadre des dispositions de la loi Élan pour le regroupement des opérateurs. Confirmez-vous l'existence des opérateurs surnuméraires ? Qu'en pensez-vous ? Faut-il les regrouper ? Si oui, comment et dans quelles conditions ? Quels sont vos liens avec CDC Habitat qui pourrait à elle seule consommer la LBU ? En termes de gouvernance, avez-vous des propositions à faire pour consommer davantage la LBU, pour accélérer les dossiers, pour mieux coordonner l'action de certaines sociétés ?

Mme Victoire Jasmin . - Je souhaite revenir sur la question des normes auxquelles les différents territoires ultramarins sont confrontés. J'ai été co-rapporteure avec Mathieu Darnaud sur les risques naturels majeurs pour la délégation aux outre-mer. Lors d'un déplacement en 2018 dans le cadre de ce rapport, un glissement de terrain a eu lieu et deux jeunes sont décédés. Constatez-vous aujourd'hui une volonté de mise en conformité par rapport à la topographie des îles ?

Concernant les matières premières que vous utilisez, avez-vous tout ce qu'il vous faut sur le territoire ? Le faites-vous venir par cabotage ? La loi climat veut limiter les cabotages pour réduire les gaz à effet de serre. De même pour le plan Climat-air-énergie territorial, le travail est en cours dans la plupart des EPCI mais comment appréhendez-vous cet ensemble de problématiques compte tenu des mesures et normes pas toujours adaptées à nos territoires ? Comment arriverez-vous à gérer les matières premières avec toutes ces mesures qui arrivent ? Avez-vous des préconisations à faire ?

M. Gilbert Annette . - Je partage tous vos propos. Il serait pertinent de prioriser deux ou trois aspects et constituer des groupes de travail pour élaborer des solutions et faire tomber les freins. Nous devons obtenir du national la reconnaissance des difficultés et l'objectif est d'améliorer les financements pour loger nos populations au même titre que les populations de l'Hexagone.

M. Jérôme Bodino . - Je partage également les préoccupations qui ont été relevées.

M. Jean-Louis Grandvaux . - Nous n'avons pas de problème pour maîtriser le foncier. Nous pourrons encore en maîtriser beaucoup plus demain. Nous disposons actuellement de 350 hectares de stock, avec un potentiel de 18 000 logements. Cependant, pour sortir les opérations, le processus est très difficile, très long et très cher.

Pour illustrer mon propos, je peux citer un programme de constructions que nous démarrons sur un terrain de 90 hectares. Le coût d'aménagement de ce terrain est de 60 millions d'euros. Il faudra donc dégager des financements mais nous rencontrons de nombreux obstacles. Il est primordial de lever les lourdeurs technocratiques. Il faut un pilote dans l'avion pour arriver à avancer de façon opérationnelle et rapide. Nous ne pouvons pas nous permettre d'acquérir des terrains et de les garder pendant 10, 15, voire 20 ans sans rien en faire. Nous pouvons nous appuyer sur des opérateurs sociaux, des professionnels compétents. Il ne s'agit pas tant un problème de financement que de l'absence de véritable chef d'orchestre. Certes aménager les terrains a un coût conséquent et la proposition de Victorin Lurel de réfléchir à un fond partagé est intéressante. Mais aujourd'hui tous les fonds ne sont pas consommés. Les freins sont à d'autres niveaux. Il faut trouver les moyens de les lever. C'est plus une question de méthode, de gouvernance et de mise en oeuvre de cette gouvernance que de financements supplémentaires.

M. Érick Fontaine . - Il était important de disposer d'un fonds, d'une dotation pour accompagner les collectivités sur l'aménagement lors de la construction de quartiers et de réseaux.

Les déclarations d'ouverture de chantier des constructions en accession sociale, qui n'aboutissent pas sont un véritable problème. Aujourd'hui des centaines, voire des milliers de dossiers en amélioration ou en accession sont bloqués faute de suivi. Pourtant ce sont des chantiers pour lesquels l'État a déjà versé des fonds. Cela pénalise les familles parce que les prêts pour l'accession deviennent caducs et les coûts de construction ne cessent d'augmenter. Il faut se saisir de ce problème.

Mme Annick Petrus , présidente . - Nous allons passer au second temps de notre table ronde et donner la parole à Jacques Durand.

M. Jacques Durand, directeur général de la SIDR et président de l'ARMOS . - La SIDR représente 20 000 logements sur l'île. Nous sommes globalement d'accord avec les propos précédents. Effectivement La Réunion déplore une situation atypique : un taux de chômage et un seuil de pauvreté trois fois supérieur à celui de l'Hexagone, un taux de logement social qui atteint les 25 %. Nous utilisons les mêmes règles que dans l'Hexagone alors que la situation n'est pas identique. Le cas de l'ANRU est criant : nous avons beaucoup de foncier dans des quartiers non constructibles en logement social. Nous menons un combat permanent avec les services de l'État sur ce sujet.

En plus de normes européennes, nous devons rajouter des RTAA DOM et des normes anticycloniques suite au cyclone Irma. Cela devient excessif. Et au final, nous constatons que des collectivités se retranchent derrière un taux SRU atteint sur leur territoire pour limiter la construction de logement social.

Le nombre de demandeurs de logements sociaux ne cesse d'augmenter ces dernières années : il était de 27 000 en 2016, il est aujourd'hui de 33 000. Nous attribuons 5 500 logements, avec un parc à 7 % de rotation (12 % dans l'Hexagone). Une étude indiquait un besoin de 7 500 logements à La Réunion, dont 4 500 logements sociaux. Nous en avons construit entre 1 600 et 2 200 sur les quatre dernières années.

Il est nécessaire de se préoccuper du foncier et d'adapter nos constructions. L'adaptation majeure concerne les coûts. Nous sommes contraints d'aller chercher des terrains diffus à des coûts astronomiques, rendant difficile la construction de logements sociaux. Les situations géographiques des terrains impactent également les coûts. Accès, réseaux, fondations spéciales peuvent représenter plus de 25 % de la construction. Avec un coût des terrains qui représente 25 %, celui des voiries également 25 %, force est de constater que déjà 50 % des coûts correspondent à des problématiques liées au foncier. La stratégie concernant le foncier adapté n'est pas uniquement communale. Celui-ci est également soumis au projet d'aménagement global de l'île de La Réunion.

Les bailleurs sociaux doivent construire la ville avec les collectivités et non pas implanter des logements sans une réflexion globale. Ils doivent prendre en compte les problèmes de transports, de commerces, de centres commerciaux, d'emplois, d'équipements publics. Il faut donc une vraie stratégie politique de l'aménagement à La Réunion.

L'acceptabilité de la population du logement social baisse toujours pour les mêmes raisons. Sur ces terrains diffus, les habitants font des recours contre nos permis alors même qu'ils sont accordés et les collectifs viennent s'opposer à la construction de logement social, tout ceci par manque de politique d'aménagement.

Tous ces facteurs expliquent pourquoi une opération met énormément de temps à aboutir. De plus, nous sommes confrontés à la fragilité de la filière du bâtiment. Nos appels d'offres sont infructueux, pas forcément du fait des entreprises. La formation professionnelle est en cause et nous sommes en manque de plaquiste ou de carreleur par exemple. Les petites entreprises ont disparu. La moitié des entreprises font faillite au milieu du chantier, et quand elles ne font pas faillite, le délai de chantier prend un an de plus en construction.

Les coûts d'aménagement et la fragilité de la filière du BTP sont deux enjeux majeurs. Nous organisons des groupes de travail avec la CAPEB, la Chambre des métiers, la Délégation régionale des bâtiments et travaux publics, avec des architectes, pour essayer de rédiger un cahier des charges qui soit adapté à La Réunion, avec les matériaux utilisables, les matériels maîtrisés par les entreprises locales, des modes constructifs maîtrisés, alternatifs à de l'ossature bois ou métallique.

M. Gilles Tardy, directeur général de la Société anonyme d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR) . - Je partage les constats énoncés par Jacques Durand. Je voulais attirer votre attention sur un point. Si la volonté de construire est présente, nous rencontrons cependant un certain nombre de difficultés. Les études menées par l'INSEE révélaient un besoin de 7 500 logements à construire chaque année dont 4 500 logements sociaux. Par manque de financement d'État, le nombre de logements réalisés est de 2 000 chaque année. Ce chiffre traduit un blocage de la chaîne du logement. En février 2021, le taux de vacance de logements sociaux est inférieur à 1 %. Le taux de suroccupation des logements est lui de 15 %, avec un taux de rotation de 6 %, ce qui est extrêmement faible.

La situation évolue rapidement. Pour faire face à ce blocage, il faut une politique coordonnée avec les maires et les EPCI. Les bailleurs sociaux sont tous convaincus que la solution ne pourra être trouvée qu'ensemble, avec une programmation du logement social, et une évolution de la ville qui respecte l'environnement et les compositions sociales. Par le passé, les politiques de financement du logement social permettaient d'établir des loyers plus abordables qu'aujourd'hui. Les loyers les plus bas qui étaient autour de 4 euros le m 2 passent à 6,60-7 euros, parce que les financements ne nous permettent plus d'établir des loyers suffisamment abordables pour toutes les catégories de population et en particulier pour les familles monoparentales, avec un ou plusieurs enfants, ayant un reste à vivre très limité. Pour certaines catégories de population et certaines structures familiales, l'aide au logement n'est pas suffisante pour stabiliser les ménages.

Les quartiers neufs affichent des loyers plus élevés que par le passé. Les quartiers anciens, eux, restent sur des loyers abordables mais inévitablement, nous constatons un effet mécanique avec l'appauvrissement des populations qui sont dans les quartiers les plus anciens. L'ANRU est un levier pour lutter contre cet effet, mais il n'est pas le seul. Lorsque nous intervenons hors des quartiers prioritaires, les modes de financement sont insuffisants pour lancer rapidement la rénovation du parc. Le Plan d'Investissement Volontaire d'Action Logement a choisi une extension du périmètre en outre-mer pour la réhabilitation du parc, mais cela reste insuffisant.

Face à la volonté de rénovation du parc, le tissu des entreprises à La Réunion n'est pas forcément adapté à de la rénovation en milieu occupé. Il faudrait la formation d'un certain nombre d'entreprises pour participer à cette relance de la rénovation des quartiers.

M. Denis Chidaine, délégué de l'Association régionales des maîtres d'ouvrage sociaux (ARMOS) océan Indien . - Pour compléter les précédents propos, j'insisterais sur le vieillissement de la population. Une difficulté réglementaire est l'impossibilité de financer les résidences autonomie pour loger des personnes âgées non dépendantes. Elles pourraient être des solutions adaptées à la problématique de vieillissement de la population, les besoins en la matière étant croissants. Nous rencontrons des difficultés non seulement pour ces résidences autonomie, mais également pour les maisons relais et sur les MJT, qui s'adressent à un public jeune sur lequel les besoins sont encore importants. Enfin, une autre difficulté réside dans notre allocation logement foyer, très inférieur à l'APL foyer de l'Hexagone. Pour un couple, le différentiel restant à payer est de 165 euros. Cette situation ne permet pas aux structures gestionnaires de ces foyers (MJT, maison relais, maison autonomie) d'équilibrer leurs budgets de fonctionnement. Le Département et la Région ont tous deux insisté sur ces problématiques.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Vous apportez des réponses à quelques interrogations que j'avais notamment sur les différences de traitement entre l'Hexagone et les outre-mer. J'ai entendu les difficultés de coordination évoquées. Auriez-vous des propositions à faire en matière de gouvernance, de coordination, de domiciliation locale des décisions ? Souhaitez-vous apporter des propositions de territorialisation ou de décentralisation locale ?

En termes de financement, auriez-vous des propositions d'amélioration des prêts existants. Rencontrez-vous des problèmes de garantie ? La situation des collectivités territoriales vous permet-elle de garantir une partie des emprunts que vous, bailleurs sociaux, proposez ? Auquel cas, si les collectivités ne peuvent pas le faire, pouvez-vous vous adresser à la Caisse Générale du Logement Locatif Social ? Est-ce que vous traitez avec eux ? Concernant les taux, faut-il harmoniser ou abaisser les taux pratiqués par la CGLLS ? Le FRAFU est-il un dispositif qui fonctionne ? Que faire pour améliorer la consommation des crédits ?

Par ailleurs, j'aimerais un éclairage sur le coût des loyers. Quelle est la situation de La Réunion ? Les loyers sont-ils dans la moyenne ou plus élevés ? Observez-vous des différences majeures entre l'Hexagone et nous, notamment en tenant compte des revenus des ménages ? Vous bailleurs sociaux, quels sont vos rapports avec les associations de locataires ? Quel est le service rendu ? Disposez-vous d'enquêtes sociales ? Les rapports sont-ils conflictuels ? Le dialogue est-il entretenu ? Une baisse de certains loyers est-elle envisageable lorsque l'équilibre financier est positif ? Est-il envisageable de faire plus d'action sociale dans certains ensembles ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Vous avez évoqué des problèmes d'inadaptation des normes aux spécificités locales et de modification de la réglementation. Dans le cadre d'un travail sur la différenciation territoriale, pensez-vous que l'on puisse intégrer des données particulières à ces spécificités locales ? Dans les territoires insulaires ou ultramarins, la réglementation nationale a de plus en plus de mal à s'adapter, d'autant plus que nous sommes soumis aux risques naturels et au réchauffement climatique.

À quel montant faut-il fixer l'aide de l'État pour répondre à la demande et avoir des loyers correspondant aux revenus des ménages ?

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je reviens sur le montage des dossiers. Entre le crédit d'impôt et la défiscalisation, quelles sont vos difficultés ? Est-ce que la défiscalisation fonctionne vraiment ? Le crédit d'impôt serait plus efficace que la défiscalisation selon la Cour des comptes. Est-ce la fin de la défiscalisation ? Souhaitez-vous cela ou est-ce que les deux leviers peuvent encore coexister ?

Vous indiquiez que vos appels d'offres étaient déclarés infructueux. Pouvez-vous en préciser les motifs ? Une enquête de l'Autorité de la Concurrence sur le coût des entrants, des matériaux de construction estime qu'il faudrait davantage de concurrence et de contrôle sur le coût des matériaux importés. Avez-vous des propositions à faire en termes de contrôle des prix, voire d'administration des prix ?

M. Denis Chidaine . - Nous allons vous rassurer sur la consommation des crédits cette année. L'ensemble des crédits disponibles pour la construction et la réhabilitation (LBU ou financement complémentaire de crédit d'impôt) a été consommé. Nous espérons que 2021 sera identique.

Concernant la question des normes, le plan logement outre-mer (PLOM) dans sa déclinaison locale a prévu un certain nombre d'actions. Ces normes sont impactantes pour une série d'acteurs et la réponse ne peut pas être si simple quant à l'impact de la suppression ou l'amélioration des normes. Cela nécessite un travail de coordination de l'ensemble des acteurs pour que les réflexions aboutissent à des solutions efficaces, à la fois en termes de construction et l'habitabilité des logements. Ces deux axes doivent faire l'objet d'une concertation avec tous les acteurs du territoire et le PLOM semble être un cadre pertinent pour répondre à ces sujets.

M. Gilles Tardy . - Sur la question du crédit d'impôt, le dispositif nous satisfait pleinement. C'est ce qui a permis de débloquer les opérations ambitieuses de réhabilitation du patrimoine de plus de 20 ans d'âge, avec des loyers plus bas que l'ensemble du patrimoine, et avec une population plus pauvre et plus âgée, la participation contributive des ménages ne permettant pas une augmentation de loyer ou très peu. Le crédit d'impôt peut aller jusqu'à 40 % pour un montant maximum de 50 000 euros de travaux. C'est cela qui nous permet de débloquer les opérations de réhabilitation. À ce jour, le crédit d'impôt ne concerne qu'une partie du parc, les logements qui sont dans la partie prioritaire pour la politique de la ville. De ce fait, deux immeubles semblables, le premier en QPV, le second, de l'autre côté de la rue, mais pas en QPV, ne seront pas traités de la même manière. Nous n'avons donc pas les moyens de faire la même réhabilitation, les mêmes services pour les habitants, ce qui est complètement incompréhensible pour eux. Pour les bailleurs, l'enjeu est d'obtenir un crédit d'impôt sur l'ensemble du parc de plus de 20 ans d'âge.

Je reviens sur la question des loyers des logements sociaux. À La Réunion, ces derniers sont entre 40 et 50 % moins chers que dans le privé. Est-ce que pour autant cela permet à chaque ménage d'avoir un reste à vivre suffisant ? Pour une partie oui, pour une autre non. L'idée de l'aide personnalisée au logement est pertinente. Cependant, face à la baisse brutale de l'APL dans l'Hexagone, il faudrait faire une étude sur les barèmes afin de s'assurer que l'aide ne devienne pas alors défavorable pour les outre-mer si nous entrons dans le pot commun. La difficulté n'est pas tant le montant des loyers que l'aide au logement insuffisante pour certains ménages, en particulier pour les petits logements et les familles monoparentales avec un ou deux enfants.

M. Jacques Durand . - Concernant les appels d'offres, nous avons les dépenses d'un côté qui couvrent le foncier, les études, les coûts du bâtiment, etc. De l'autre côté, vous avez la LBU qui représente à peu près 10 % du financement, 1 % de crédit d'impôt et 60 % des fonds propres des bailleurs, mais surtout des prêts de la Caisse des Dépôts. Le loyer correspond au remboursement des fonds propres ou des prêts de la Caisse des Dépôts.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Avez-vous des prêts Action Logement qui pourraient se substituer aux prêts CDC ?

M. Jacques Durand . - Je termine sur les appels d'offres. L'estimation qui est donnée au niveau de l'appel d'offres est l'estimation des travaux dans ces modèles économiques. Avec 20 % de plus aux dépenses, le modèle ne fonctionne plus. En complément, nous travaillons avec Action Logement sur des prêts adaptés moins chers. Notre seule solution est d'augmenter les loyers. Sinon nous ne pourrons plus construire de LTS. En effet, pour couvrir des coûts de construction au prix actuel, nous sommes obligés de faire du PLS ou du LLS. Nous sommes dans un système contraint où toute augmentation des travaux a un impact sur le montant des loyers. Il faut trouver des solutions au niveau de la construction et de matériaux.

M. Gilles Tardy . - En effet, nous constatons un phénomène d'envolée des prix sur le gros oeuvre de l'ordre de 20 %. Cela se traduit par un surcoût sur l'opération de 8 %. Ce chiffre est énorme. Cela explique le nombre d'appel d'offres infructueux. La principale raison est le prix du gros oeuvre.

M. Denis Chidaine . - Je reviens sur la satisfaction client. Conformément à la convention d'utilité sociale, les bailleurs sociaux, de façon récurrente, pratiquent des enquêtes de satisfaction, avec un objectif à atteindre. Ces chiffres sont suivis avec attention.

Concernant la collaboration avec les associations de locataires, nous travaillons depuis plusieurs années sur cette concertation. Pour illustrer mes propos, pendant la crise du Covid, nous avons travaillé avec les associations de locataires pour identifier des pistes et favoriser la situation des locataires qui se retrouveraient en difficulté financière pendant la phase de confinement. Cela a d'ailleurs fait l'objet de la signature d'une charte. Ce travail de concertation fonctionne bien.

M. Érick Fontaine . - Je reviens sur les logements vacants. Nous comptabilisons 30 000 logements vacants dans le privé alors que la demande des primo-accédants est de l'ordre de 15 à 16 000. Nous menons une étude à la CINOR pour identifier ces logements, la raison de leur disponibilité et prévoir un accompagnement des propriétaires privés pour relouer ces logements. Une fois que le logement vacant est identifié et le propriétaire sensibilisé, il sera ensuite conventionné avec l'ANAH pour le louer à un prix abordable qui correspond à un loyer inférieur au social.

Par ailleurs, des collectivités possèdent du foncier. Ne peut-on pas imaginer dans le cadre d'un bail réel solidaire, que les collectivités au lieu de vendre leur foncier aux bailleurs, obtiennent une compensation financière de l'État pour baisser le coût des loyers ? Cette compensation financière encouragerait peut-être certaines communes à signer un bail réel solidaire.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Nous n'avons pas dans les outre-mer la taxe sur les logements vacants. Est-ce que vous la demandiez ? Ou à travers un accord avec l'ANAH qui pourrait apporter une aide aux programmes ?

Concernant l'application de la loi SRU, le SAR (Schéma d'aménagement régional) et la CDPENAF (commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) posent-ils des problèmes ? Je prends le cas de la Guadeloupe, qui compte de nombreuses communes payant des amendes, car elles n'ont pas pu atteindre les 20 ou 25 % de logements sociaux. Certaines communes ont une surface agricole considérable, mais gelée par le SAR. En ZAP (Zone Agricole Protégée), il est impossible de déclasser les terrains, alors même que nous dénombrons suffisamment de terres agricoles restantes. La construction est impossible, car cette commission CDPENAF rend un avis conforme et non pas un avis simple. Nous constatons souvent une impasse avec l'amende qui s'impose aux communes, par l'application de ces trois contraintes : la protection forte du SAR, l'obligation de faire du 25 % de logements sociaux et l'impossibilité de déclasser. Connaissez-vous ce phénomène et avez-vous des solutions pour desserrer cet étau ?

M. Érick Fontaine . - Sur la taxe locale des logements vacants, je n'ai pas souhaité aller jusqu'à la confrontation avec les bailleurs privés. L'idée est de les accompagner, de les aider à louer ces logements. Car même si cette taxe pour les logements vacants est appliquée, je ne crois pas que cela sera suffisant pour les inciter à louer. Je suis davantage pour la discussion. Je souhaite leur faire comprendre qu'en passant par une association d'intermédiation locative, ils auront 85 % de déduction fiscale sur le prix des loyers. Nous comptons énormément sur Action Logement. Je ne crois pas à la taxe sur les logements vacants.

M. Victorin Lurel . - Je le crois aussi. Les collectivités ou vous bailleurs, pourriez-vous m'apporter une réponse ? Quelles sont vos difficultés avec la loi SRU ?

M. Denis Chidaine . - Après examen du respect des obligations, actuellement, seules six communes respectent leurs obligations sur la SRU et d'autres sont sur une trajectoire pour réaliser leurs objectifs. Certaines communes se retranchent derrière cette satisfaction d'avoir atteint leur objectif, alors même que les besoins sont très au-delà de ce taux minimal.

Mme Annick Petrus , présidente . - Nous arrivons au terme de notre table ronde. Je remercie nos invités pour leur présence, la clarté de leurs réponses et leur contribution au débat. Que soient remerciés ici aussi nos rapporteurs ainsi que nos collègues Victoire Jasmin et Viviane Malet pour la pertinence des échanges et réflexions. N'hésitez pas à nous fournir par écrit tout élément qui pourrait nous être utile pour compléter le rapport.

Jeudi 15 avril 2021

Table ronde sur la situation du logement à Saint-Pierre-et-Miquelon

Mme Vivette Lopez , présidente . - J'ai le grand honneur de remplacer à ce siège le président Stéphane Artano qui est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et qui participe à cette réunion en visioconférence.

La présente table ronde est organisée dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Dans une première phase, notre délégation a entendu de nombreux services ou organismes nationaux. Dans une seconde phase, elle s'attache à mieux appréhender les réalités des territoires en sollicitant les acteurs locaux du logement outre-mer. Après Mayotte le 18 février, la Polynésie française le 25 mars et La Réunion le 13 avril, nous poursuivons aujourd'hui nos investigations avec Saint-Pierre-et-Miquelon puis avec la Guadeloupe.

Pour en parler, nous accueillons cet après-midi : Bernard Briand, président de la collectivité, accompagné de Mmes Vicky Cormier, directrice du pôle Développement durable et Florence Briand, responsable environnement et développement durable ; Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre ; Foussi Moussa, 4 ème maire adjoint de Saint-Pierre, en charge des finances et de la vie économique ; Thierry Hamel, président, et Sabine Ros, directrice, de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon.

Avant d'échanger avec les rapporteurs, vous aurez la parole sur la base de la trame indicative qui vous a été adressée.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je vous demande encore de garder votre vidéo allumée, car cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

La parole est au président Bernard Briand.

M. Bernard Briand, président de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon . - Je vous remercie d'accorder le temps nécessaire à un sujet qui préoccupe la collectivité et l'ensemble des acteurs du logement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous vous transmettrons par écrit l'ensemble des éléments, notamment les documents de planification.

La collectivité, de par son statut, bénéficie de dispositions particulières applicables en matière d'urbanisme, de logement, d'habitation et de construction. La notion de « logement » s'entend de façon assez extensive. Elle n'inclut pas par exemple, les régimes des baux d'habitation sauf lorsque les deux parties prenantes sont amenées à contractualiser.

En revanche, ces dispositions particulières n'incluent pas les aides au logement ( avis du Conseil d'État du 2 juin 2015 ). Dans ce périmètre, il n'existe pas de réglementation locale recouvrant l'ensemble de ces domaines. Toutefois, la réglementation d'urbanisme, qui date de 1989, est en cours de refonte. Nous travaillons actuellement sur un document de planification, le STAU (Schéma territorial de l'aménagement et d'urbanisme). Pour la réalisation de ce document, la collectivité a fait un travail de concertation avec l'ensemble des acteurs sur le territoire. Nous espérons sa validation pour le 11 mai 2021.

Aujourd'hui, sur le territoire, prévalent des dispositions particulières et des dispositions nouvelles concernant l'aménagement. Particulières, puisque de par cette compétence, nous avons mis en place un régime d'aide à l'habitat. Nous disposons donc de l'intervention de l'État et de la collectivité à hauteur de 500 000 euros pour accompagner nos 6 000 habitants s'ils souhaitent effectuer des rénovations ou sont amenés à construire sur le territoire. Au-delà des règles attributives à la collectivité, certaines dispositions n'existent plus sur le territoire, notamment la LBU qui avait eu un effet de levier assez conséquent. La réactivation de ce type de dispositif permettrait d'augmenter rapidement l'offre locative.

Sur le territoire le logement est constitué à hauteur de 80 % par l'habitat individuel, détenu principalement par des particuliers. Le locatif est peu présent au regard l'Hexagone. La première acquisition patrimoniale est, de plus, bien souvent réalisée en auto-construction pour en diminuer le coût.

La problématique principale demeure le manque de logements. Nous estimons à peu près à 160 le nombre de logements vacants ou inhabités, nombre important au regard de la population. Cette donnée a un impact assez fort sur l'offre et la demande. Les prix ont explosé depuis une quinzaine d'années que ce soit sur Miquelon ou sur Saint-Pierre. 40 des 160 logements vacants sont situés sur Miquelon, qui ne compte que 600 habitants, alors que nous dénombrons environ 5 400 habitants sur Saint-Pierre.

Par ailleurs, nous menons une réflexion sur la mise en oeuvre d'une politique à destination des personnes âgées et des personnes handicapées. Une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) sera recrutée pour 18 à 24 mois, fin juin 2021, pour orchestrer la mise en oeuvre de cette politique et sa structuration, avec pour objectif le maintien à domicile et la création de 60 logements inclusifs, et deux lieux sont identifiés (soit dans le centre-ville de Saint-Pierre, soit dans le quartier des Graves) d'ici 2025.

90 % des résidences principales sont situées à Saint-Pierre (2 259 à Saint-Pierre, et 258 à Miquelon). L'habitat individuel domine, les maisons représentant 83,8 % des résidences principales. Aujourd'hui, très peu de logements sont disponibles pour ceux qui arrivent sur le territoire. Avec ce rapport offre/demande déséquilibré, les prix ont explosé. Un autre facteur de cette bulle spéculative est la prise en charge, en partie ou en totalité, des loyers des fonctionnaires de passage, par les services de l'État.

Concernant la politique du logement, l'élaboration du STAU a nécessité un travail de fond collaboratif. La collectivité, les acteurs et la population se sont impliqués dans sa conception, au travers d'ateliers et de réunions publiques. En effet, la question du foncier a fait l'objet d'une cristallisation assez forte de la population avec un mouvement de contestation que nous avons su gérer en interne en procédant à des explications et des ajustements.

Dans le cadre de ce STAU, nous avons également travaillé sur le Document d'objectifs et d'orientations stratégiques (DOOS). Nous avons établi des prévisions démographiques fondées sur une augmentation de la population de 0,34 % annuel à horizon 2030. Cela signifie que le territoire devra se doter chaque année de 26 à 30 logements supplémentaires par rapport au parc existant. Cette donnée n'est pas neutre. Cela permettra d'offrir des logements de meilleure qualité respectant l'empreinte carbone.

Avec l'élaboration du PLH et de l'AMO qui sera lancée avant fin juin, nous lançons une politique d'habitat ambitieuse à long terme, pour faire face à l'inflation des prix sur le locatif, mais aussi sur la construction. Cette politique permettra de mieux guider les opérateurs, qu'ils soient publics ou privés.

L'un des freins les plus marquants de l'accession à la propriété est l'augmentation des prix, aussi bien pour l'achat que pour la rénovation. Depuis la crise du Covid, les prix des matériaux notamment le bois, ont doublé, voire triplé, avec des conséquences lourdes. Dès la fin du mois, nous devons attribuer une quarantaine de parcelles à des primo-accédants sur le territoire. La flambée des prix a un impact sur la durée et le coût des constructions, soit un budget de 100 000 euros de travaux supplémentaires. Toutefois le marché reste dynamique. Depuis 2017, tous les 4 jours, une transaction d'achat de terrain ou de foncier se conclut, même si les prix ont quasiment doublé depuis une quinzaine d'années.

Lors des travaux d'élaboration du STAU un diagnostic foncier a été effectué sur l'archipel. La nécessité a été affirmée de remobiliser les « dents creuses » et de limiter l'artificialisation des sols en mobilisant des leviers de réhabilitation de logements en centre-ville, de densification, et de rénovation énergétique des logements existants, et vacants.

Le territoire fait face à une baisse de la population, passant de 6 300 habitants à 6 000 en vingt ans. L'urbanisation s'est accélérée, notamment sur la partie sud de Saint-Pierre. Nous constatons une modification de la composition familiale avec une augmentation des familles monoparentales, des personnes qui vivent seules, ou celles qui ne viennent que pour quelques années.

Nous avons pour objectif, d'ici 4 ans, de créer 120 logements supplémentaires. Un appel à projets pour la création de logements locatifs et de logement intermédiaire sera lancé d'ici fin juin et un autre le sera également pour la création d'une quarantaine de logements locatifs, avec une partie commerciale pour éviter le côté « zone dortoir ».

Dans le cadre du PLH, nous allons renforcer les effets de levier pour la rénovation de logements. L'idée est de mobiliser les financements publics et de proposer une politique incitative pour accompagner ceux qui souhaitent rénover ou construire leur logement. Avec un euro d'aide publique, l'effet de levier peut être de 4 ou 5 pour la réalisation d'habitations nouvelles dans les zones d'orientations d'aménagement et de programmation (OAP). Elles sont au nombre de quatre sur Saint-Pierre et une sur Miquelon. Avec ce petit territoire, nous avons la nécessité de travailler sur les « dents creuses » et sur la densification des zones urbaines identifiées.

Sur le sujet des normes, traditionnellement la pratique d'auto-construction est très répandue avec pour objectif de diminuer les coûts. Cependant, la tendance est à la diminution. En effet, le savoir-faire ne se transmet plus de génération en génération et les coups de main donnés par la famille sont moins importants. De ce fait, les entreprises sont plus sollicitées qu'autrefois. Dans le cadre du Schéma de développement stratégique, nous avons mis en place une politique d'accompagnement, avec des formations sur l'utilisation de matériaux nouveaux pour une empreinte carbone réduite et l'usage de nouvelles techniques.

Notre difficulté réside dans le fait que nos matériaux proviennent principalement du Canada. Cet enjeu des normes est fort et nécessite l'intervention d'une autorité de normalisation. Un travail technique sur les équivalences et les correspondances des spécifications des produits et des matériaux, notamment le bois, doit avoir lieu. Récemment encore, nous avons rencontré cette difficulté dans le cadre d'un marché public. Mes services ont dû travailler sur la reconnaissance des normes, avec un parallélisme entre les types de matériaux français et canadiens. Notre spécificité est de ne pas avoir de ligne directe dans le cadre de la Délégation de service public (DSP) entre l'Hexagone et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais via Halifax. Les importateurs locaux et les constructeurs ont toujours eu pour habitude de faire l'acquisition de matériaux nord-américains d'une part pour la proximité et pour le coût, d'autre part, par habitude transmise de génération en génération. Il en va de même pour l'unité de mesure que nous utilisons : le pouce et non le mètre.

Concernant les enjeux risques naturels, il existe un PPRL élaboré par l'État, applicable depuis 2018, avec des conséquences très fortes sur la constructibilité de zones qui pourraient être aménagées sur Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans le quartier des Graves par exemple, le PPRL s'est imposé à nous. Ce quartier aurait pu proposer une zone de parcelles plus importante, mais la partie nord se retrouvant en zone rouge, il n'est donc pas possible de construire. Miquelon, particulièrement exposé aux aléas d'inondation et de submersion, travaille sur différents types d'outils. Le PPRL s'impose également à notre STAU. Nous avons été attentifs, pour une zone exposée au risque naturel très fort sur la commune de Miquelon, à délimiter une « zone en attente de projet » situé sur la partie sud de l'île. C'est un travail qui demandera du temps et la participation active de l'ensemble de la collectivité et une appropriation de la population.

Pour ce qui est de la valorisation des filières de matériaux locaux, cette thématique n'est pas prégnante sur l'archipel, car il y a peu de gisements à utiliser. Les matériaux proviennent quasiment exclusivement de l'importation. Cependant, la question de l'économie circulaire se pose et une réflexion est à mener sur le recyclage des matériaux dans le domaine de la construction, par exemple par la réutilisation du verre recyclé dans les projets de voirie.

M. Foussi Moussa, 4 ème maire adjoint de Saint-Pierre, en charge des finances et de la vie économique . - La mairie de Saint-Pierre n'a pas beaucoup de compétences en matière de logement, mais participe malgré tout à la dynamique générale. Nous avons sur le périmètre de Saint-Pierre 70 logements à caractère social ou destinés aux jeunes, 4 résidences pour personnes âgées composées de 50 logements, 13 logements sociaux, dont 2 sont en travaux, 5 logements pour les moins de 26 ans et 12 logements pour les accédants à la propriété. Tout cela est piloté par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de la mairie de Saint-Pierre, sachant que nous n'en avons pas en principe la compétence au sein de la collectivité.

La problématique principale du logement à Saint-Pierre concerne la flambée des prix des loyers. Les fonctionnaires qui arrivent sur l'archipel ont davantage intérêt à acheter, même s'ils ne restent que 4 ans, que de louer à des tarifs exorbitants.

La politique de logement est incluse dans notre volonté de revitaliser le centre-ville. Beaucoup de logements sont vacants. La collectivité bénéficie déjà d'aides. Mais il faudrait une structure juridique qui puisse bénéficier également des aides métropolitaines nombreuses, pour racheter des logements à des familles qui ont des problèmes d'héritage, puis les rénover en respectant les normes environnementales et enfin les proposer soit à la vente directement ou à la location-vente. Il faut trouver le meilleur opérateur possible pour conjuguer les aides de la collectivité et les aides nationales.

Le frein de l'accession à la propriété est encore une fois le prix. Le quartier des Graves a été construit il y a une dizaine d'années avec de nombreux logements. Nous pensions voir ainsi les loyers baisser, mais cela n'a pas été le cas.

Concernant l'offre foncière de la mairie, nous travaillons davantage à la rénovation des logements en centre-ville.

Pour vous répondre sur l'adaptation des normes nationales, au vu des spécificités locales, effectivement, nous ne pouvons avoir les mêmes normes à Saint-Pierre qu'à Paris. Il faudrait une adaptation par rapport aux matériaux canadiens qui sont très utilisés sur l'archipel. Dans le cadre de nos rénovations, nous tenons à respecter ces normes environnementales et nationales, autant que possible.

M. Thierry Hamel, président de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM) . - Je tiens à présenter en quelques mots la Coopérative qui est une sorte d' ovni dans le domaine bancaire. Cette Coopérative a été créée dans les années 50 et a été conçue comme un véritable outil pour la population afin d'accéder à la propriété à une époque où l'offre bancaire était très peu présente. C'est un acteur historique important sur le territoire.

Au fil du temps, l'offre bancaire locale s'étant développée, la part de marché de la Coopérative Immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM) a été réduite. Cependant, même dans le cadre du crédit, nous avons toujours notre rôle à jouer, en poursuivant notre politique bienveillante d'accompagnement des coopérateurs. Dans ce cadre, nous avons pu contribuer à la conservation de logements anciens en centre-ville. Notre action s'est concentrée sur d'autres aspects, notamment des opérations de logements location/accession connues localement, comme les Salines. Une autre de nos actions a été la construction de l'immeuble Pain de Sucre avec un système innovant de location qui permet aux jeunes couples ayant des projets d'acquisition de bénéficier de loyers à prix modérés, leur permettant ainsi de capitaliser et construire leur projet d'accession ou de construction. Ces deux opérations ont été menées dans le cadre « parcours logement » qui correspond à notre échelle à une politique du logement, concentrée sur le logement social et intermédiaire.

Nous sommes un acteur historique et demeurons prêts à nous intégrer dans le cadre du PLH qui sera déployé par la collectivité. D'ailleurs, nous avons rencontré la collectivité et les mairies à ce sujet. Foussi Moussa parlait d'un opérateur permettant à la fois de bénéficier d'aides locales et nationales. La CISPM pourrait se positionner dans ce cadre.

Concernant les problématiques du logement. Nous essayons d'accompagner au mieux les accédants, sans contribuer au renchérissement des logements.

Mme Sabine Ros, directrice de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM) . - La CISPM cible principalement les ménages à revenus modestes et intermédiaires. Les freins à l'accession à la propriété sont une explosion des coûts. Pour notre cible, même si leurs revenus peuvent être conséquents sur l'archipel, soit la capacité d'endettement freine l'accession à la propriété soit il faudrait envisager des durées de crédit trop longues. En effet, nous évitons de proposer des crédits au-delà de 20 ans. Sur Saint-Pierre-et-Miquelon, le bâti et le climat entraînent des coûts d'entretien et de réparation plus élevés que dans d'autres territoires ultramarins.

Certes, les loyers sont élevés, mais ils sont liés directement au coût élevé de la construction et de la rénovation. Nous prônons depuis quelques années la mise en place d'un opérateur de logement unique pour éviter la pluralité des acteurs. Aucun opérateur ne peut bénéficier sur le territoire de levier de financement. Nous avons pu bénéficier de subventions d'État dans le cadre de la construction de l'immeuble Pain de Sucre. Ces aides nous ont permis ainsi de proposer des loyers modérés.

Nous déplorons des loyers élevés dans certains bâtiments pour lesquels il n'y a pas d'adéquation entre le loyer élevé, la facture énergétique et la qualité de l'offre locative. Il faut noter également que culturellement parlant, la population n'est pas habituée à dépenser au-delà d'une certaine somme pour la location. Même des ménages avec des revenus aisés refusent de payer plus de 600 euros pour un loyer. De plus, il faut relever l'absence d'aide au logement qui pourrait diminuer le coût du loyer pour les jeunes ménages.

Aujourd'hui, le marché est très tendu. Une politique du logement avec une vision à moyen ou long terme, que met en place actuellement la collectivité, devrait permettre de crever cette bulle immobilière.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Pouvez-vous illustrer l'importance de la vacance de logements et les loyers élevés ? Vous avez cité 160 logements vacants. S'agit-il de biens dégradés ? Les propriétaires ont-ils des difficultés de réhabilitation ? Comment et quelles mesures prendre pour remettre ces logements sur le marché ? Dans l'Hexagone, la taxe sur les logements vacants est applicable. Cela n'existe pas dans les outre-mer. Souhaitez-vous sa mise en place ? Ce dispositif serait-il suffisamment incitatif ? Quel dispositif financier trouver pour que le secteur privé contribue à la résolution de la problématique logement ?

Par rapport à la LBU, j'aimerais comprendre quel est le régime juridique de la compétence logement.

Concernant les loyers élevés, y a-t-il tout de même un encadrement, une législation ou un régime spécifique ? En quoi ce régime spécifique pourrait-il être transposable ailleurs ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Au fil de vos auditions, j'ai relevé de nombreuses similitudes avec l'île de Saint-Barthélemy. Chez nous aussi, les loyers sont très élevés, du fait du coût de la construction et de la forte demande par rapport à l'offre. En est-il de même chez vous ?

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Je reviens sur la difficulté d'utiliser des matériaux locaux, la nécessité de les importer depuis le Canada ou les États-Unis et les normes à respecter. Les marchés publics sont soumis au DTU des normes françaises et européennes. Dans votre cas, les matériaux viennent plutôt du continent américain. Des réflexions sont-elles menées sur la possibilité d'harmoniser ces normes ? Pour illustrer mon propos, pour le calcul des charges de neige, les normes se basent sur les départements alpins et non sur les règles canadiennes, ce qui paraît aberrant dans votre cas. Des évolutions sont-elles en cours ?

Y a-t-il un accompagnement en matière d'autoconstruction, aussi bien en termes d'assurance que de normes ? Constatez-vous des évolutions dans cette pratique qui peut être intéressante à encadrer ?

M. Bernard Briand . - Concernant le nombre de logements disponibles, les chiffres sont en effet importants. Il existe différents types de problèmes, notamment liés à la succession ou au fait que certaines personnes âgées sont placées en institution et laissent le bien en disponibilité. La vacance peut se justifier également par la vétusté des logements d'où la nécessité pour la sphère publique d'accompagner des porteurs de projets afin de réduire le coût de la rénovation et ainsi remettre sur le marché les logements vacants tant sur Saint-Pierre (120 logements vacants pour 5 400 habitants) que sur Miquelon (40 logements vacants pour 500 habitants).

Au niveau juridique, nous avons besoin d'éclaircissement sur la LBU. Elle est intervenue sur le territoire jusqu'en 2017. Les deux dernières années de la LBU ont été au bénéfice d'un projet porté par la CISPM. Depuis 2017, nous n'avons plus d'intervention à ce titre. Il serait important, dans le cadre de la politique menée par le ministère des outre-mer, notamment dans le cadre de plan de développement outre-mer doté de plusieurs centaines de millions d'euros, que ce dispositif soit à nouveau réactivé, non pas uniquement à destination des institutions publiques mais peut-être aussi à destination des particuliers. Cela permettrait d'avoir un effet de levier beaucoup plus important, passant sans doute d'une dizaine de logements à 20 ou 25 logements. Ce dispositif aurait un effet démultiplicateur sur l'offre existante. L'inflation pourrait ainsi se retrouver réduite sur le territoire, facilitant par la même occasion le retour des jeunes sur le territoire ou la venue de personnes extérieures.

Concernant les normes, il est impératif de trouver des solutions d'équivalences. Dans le cadre de la réalisation du PLH, nous serons amenés à concevoir un code de construction locale, avec des normes qui prennent en considération des matériaux qui n'ont pas d'équivalence. Aucune institution internationale n'existe actuellement permettant de faire correspondre les normes européennes, françaises et canadiennes.

Enfin, nous avons initié une formation auprès des petites entreprises locales, qui sont amenées à réaliser la construction. Nous les avons accompagnées pour l'utilisation de nouveaux outils et de nouveaux matériaux. Cette formation a rencontré un grand succès entre 2016 et 2019, avec notamment l'accompagnement des Compagnons du Devoir. Une quarantaine de chefs d'entreprises et salariés y ont participé. Cela a eu un fort retentissement. Nous avons une véritable volonté d'accompagner les chefs d'entreprise et les salariés qui sont également très demandeurs. Ce point est très positif. Nous allons poursuivre dans le cadre du schéma de développement stratégique avec les deux volets d'action pour ce type de dispositif de formation.

M. Stéphane Artano . - Au terme de cette table ronde, je tiens à remercier l'ensemble des interlocuteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon qui se sont rendus disponibles afin de mettre en évidence la problématique du logement ; nous pourrons intégrer leurs éléments dans le rapport que la Délégation sénatoriale aux outre-mer est en train de préparer, qui devrait être adopté fin juin.

Je souhaite vous poser une question dont la réponse pourra figurer dans votre contribution écrite. Ne pensez-vous pas que nous pourrions nous adosser à des opérateurs nationaux, par exemple, l'Union sociale pour l'habitat (USH) notamment en matière de conseil technique et de montage financier ? Cela fait écho à ce que disait Sabine Ros. Cependant, je voudrais avoir votre point de vue. Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait se rapprocher d'opérateurs nationaux, y compris pour l'ingénierie de montage d'opérations immobilières de logement, que ce soit la collectivité sur sa compétence logement ou que ce soit les collectivités qui souhaiteraient construire un parc immobilier. Pour cela, nous n'avons pas besoin d'avoir une compétence logement. Il s'agit de vouloir construire de l'habitat, toutes les collectivités pouvant soit acquérir des logements soit en construire.

Je vous remercie pour la qualité de vos interventions. J'ai un petit regret de ne pas avoir entendu le maire de Miquelon, qui a rencontré des soucis techniques pour se connecter. Nous essaierons d'obtenir des éléments écrits de sa part. Sentez-vous libre également de nous transmettre vos contributions qui viendront nourrir la réflexion des rapporteurs pour élaborer des propositions concrètes.

Jeudi 15 avril 2021

Table ronde sur la situation du logement en Guadeloupe

Mme Vivette Lopez , présidente . - J'ai l'honneur et le plaisir de remplacer cette après-midi le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser, car il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette table ronde est organisée dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Après avoir entendu de nombreux acteurs au plan national, notre délégation a souhaité appréhender les réalités des territoires, en sollicitant les acteurs locaux du logement outre-mer. Elle a ainsi mené des auditions sur la situation à Mayotte le 18 février, en Polynésie française le 25 mars, à La Réunion le 13 avril, à Saint-Pierre et Miquelon il y a tout juste quelques minutes.

Nous vous remercions très vivement, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation, afin de nous permettre de mieux saisir les enjeux et les problématiques qui sont les vôtres.

Dans un premier temps, nous vous proposons d'entendre : Josette Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental de la Guadeloupe  accompagnée de Alain Bredent, sous-directeur du logement et de l'habitat social ; Jean-François Boyer, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe ; Corine Vingataramin, directrice générale de l'Établissement public foncier de la Guadeloupe ; Alix Huyghues Beaufond, présidente du comité territorial d'Action Logement Guadeloupe ; Georges Julien Ursule, président du conseil régional de l'Ordre des architectes de la Guadeloupe.

Je donnerai ensuite la parole à nos trois rapporteurs s'ils souhaitent des éclairages supplémentaires, auxquels les intéressés pourront répondre.

Dans un second temps, prendront la parole : Véronique Roul, secrétaire générale de l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (ARMOS) de la Guadeloupe ; Laurent Boussin, directeur général de la Société d'économie mixte d'aménagement de la Guadeloupe (SEMAG) ; Dominique Joly, directeur général de la Société pointoise d'HLM de la Guadeloupe (SPHLM) ; Laurent Pinsel, directeur général délégué de la SEMSAMAR ; Thierry Romanos, président et Jules Goval, directeur général, de la SIKOA ; Antoine Rousseau, directeur général, et Hugues Cadet, directeur adjoint, de la Société immobilière de la Guadeloupe (SIG).

Ensuite, les rapporteurs et nos autres collègues pourront à nouveau vous interroger.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je vous demande de respecter strictement votre temps de parole et de bien vouloir garder votre webcam allumée. En effet, cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

En attendant l'arrivée de Mme Josette Borel-Lincertin, la parole est à Monsieur Jean-François Boyer.

M. Jean-François Boyer, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe . - Avant de rentrer dans le détail des points abordés, je pense indispensable de rappeler sommairement le contexte dans lequel s'inscrit la politique de l'habitat en Guadeloupe, en ne se limitant pas à la seule problématique du logement social.

La Guadeloupe compte 226 000 logements, dont 60 % de propriétaires (quelques points de plus que la moyenne nationale), 75 % de maisons individuelles (19 points de plus que la moyenne nationale), 15,5 % de vacance (le double de la moyenne) et enfin, 5,5 % de vacance dans le parc social (plus du double de la moyenne nationale).

Avec environ 380 000 habitants, la Guadeloupe est en perte de vitesse démographique, avec une baisse de - 0,7 % par an ces dernières années, soit près de 3 000 habitants de moins chaque année. Cette décroissance démographique s'accompagne d'un vieillissement accéléré de la population, passant de 16,5 % de Guadeloupéens de plus de 65 ans aujourd'hui à 30 % en 2030 et 40 % en 2040, avec des conséquences en termes de perte d'autonomie et de paupérisation.

34 % de la population est sous le seuil de pauvreté, 83 % est éligible au logement social et 55 % au logement très social, contre 29 % au plan national.

Nous disposons aujourd'hui de trop peu de données sur le besoin global de logements, du fait de l'absence de programmes locaux de l'habitat qui permettraient d'affiner l'évaluation de ce besoin et la stratégie des collectivités locales dans ce contexte de baisse de la population.

Néanmoins, nous disposons de quelques repères. Une étude de la DEAL de 2017 sur le besoin annuel en logement à l'horizon 2024 donne une estimation de 3 200 logements par an, dont 1 320 logements sociaux en construction ou en réhabilitation. Un deuxième repère est donné par l'article 55 de la loi SRU. Cette indication montre qu'au 1 er janvier 2020, il manquerait en Guadeloupe 6 939 logements sociaux pour atteindre les 25 % de logements sociaux dans les communes concernées par l'obligation de cet article 55.

Le parc social est constitué de 38 000 logements avec un loyer moyen de 6,10 euros/m 2 , parmi les plus élevés de France, et avec un ratio entre le prix du parc social et le prix du parc privé de 1,5 en Guadeloupe, contre un ratio de 3 en région parisienne. Le turnover et la vacance sont également parmi les plus élevés. Le parc est en très mauvais état avec 10 000 de ces 38 000 logements sociaux qui doivent être réhabilités, soit plus du quart du parc. Enfin, le parc social ne compte que 12 % de logements très sociaux alors même que 80 % des occupants y seraient éligibles.

Au-delà de cet état des lieux, je voulais aborder l'actualité de la projection. Le Plan logement outre-mer (PLOM) 2019-2022 prévoyait pour la Guadeloupe un besoin de construction de 2 000 logements par an, sur la base d'une approche globale du besoin dans les outre-mer, qui intégrait le logement social et l'amélioration de l'habitat dans le parc privé. Cependant, la situation démographique est très différente d'un département d'outre-mer à l'autre : en Martinique et en Guadeloupe, la population est vieillissante et diminue ; la Guyane et Mayotte sont en expansion démographique rapide, avec une population très jeune. Nous ne sommes pas dans le même dispositif. L'objectif ne pouvait se limiter à un nombre de logements sociaux à mettre sur le marché. De ce point de vue, le nouveau PLOM est beaucoup mieux territorialisé. Pour rappel, concernant la Guadeloupe, il prévoit un recentrage fort sur l'adaptation de l'offre aux besoins de la population : accessibilité, adaptation à la taille des foyers, meilleure intégration dans les villes et les bourgs afin de redynamiser ces centres-bourgs en grande difficulté, qualité et confort du logement, respect des normes parasismiques et niveau de loyer plus accessible.

En 2020, une année marquée par les contraintes de la pandémie, nous constatons également une baisse des opérations de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), entre la fin des Programmes nationaux de rénovation urbaine (PNRU) et le démarrage prochain du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Seuls 1 400 logements ont été financés : 500 logements sociaux neufs et 900 réhabilitations. Les réhabilitations ont été au nombre de 250 en 2019, 900 en 2020, seront de 1 500 en 2021 et de 1 500 par an pendant les cinq années suivantes. Ces chiffres ne correspondent pas à des prévisions technocratiques ou virtuelles, mais bien à l'engagement réel des bailleurs, correspondant à l'évolution de leur propre stratégie patrimoniale, elle-même encouragée par des évolutions réglementaires.

À titre d'exemple, l'éligibilité des réhabilitations au crédit d'impôt hors des quartiers prioritaires de la ville a permis aux bailleurs d'envisager de programmer de nombreuses réhabilitations hors de ces seuls quartiers prioritaires. Les CUS (Convention d'utilité sociale), qui viennent d'être signées par le préfet et chacun des six bailleurs sociaux début avril 2021, prévoient sur 6 ans la construction de 7 000 logements sociaux neufs, avec au moins 30 % de logements locatifs très sociaux (LLTS), pour un coût moyen de 165 000 euros par logement et un investissement global pour la Guadeloupe de 1,115 milliard d'euros. Elles prévoient également la réhabilitation de 7 800 logements sociaux pour un coût de 20 000 euros en moyenne par logement, dont 3 500 aux normes sismiques pour un surcoût de 20 000 euros par logement également, soit un investissement total de 230 millions d'euros. Au total, sur 6 ans, ce sont 14 800 logements sociaux qui seront mis ou remis sur le marché, à comparer au parc actuel de 38 000, soit environ 2 500 logements par an, et ce, hors parc privé qui représentera aussi 300 à 400 dossiers supplémentaires par an. À noter cependant que si cet objectif global est parfaitement réaliste, la production des 30 % de logements très sociaux est conditionnée réglementairement à un cofinancement obligatoire par le Conseil départemental ou par la CAF, pour un apport de 9 000 euros par logement au regard des 70 000 euros qu'apporte l'État.

Pour conclure, quelques outils nous aideront. Le foncier représente 25 à 30 % du coût des opérations. De ce fait, la maîtrise du coût du foncier n'est pas négligeable dans le coût de sortie et le niveau des loyers. Nous disposons aujourd'hui du produit des prélèvements de l'article 55 de la loi SRU, qui représente pour la Guadeloupe un montant de 1 million d'euros par an, géré par l'EPF (Établissement public foncier) pour 31 des 32 communes. Par ailleurs, le travail que mène l'EPF depuis plusieurs années sur la mobilisation du foncier en centre-bourg permet de lancer des opérations avec des financements du Plan d'Investissement Volontaire (PIV) d'Action Logement. Le fonds Friches du plan de relance amènera lui aussi 500 000 euros en phase 1 pour la Guadeloupe. Un autre outil est l'Office foncier solidaire, en cours de création par l'EPF, qui permettra de démembrer le foncier et la construction pour permettre aux plus modestes d'accéder à la propriété. De plus, la filiale de régularisation au sein de l'EPF accélérera les régularisations, permettant de travailler sur la zone des 50 pas géométriques. Enfin, le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) est un outil intéressant qui pourrait utilement être alimenté par le prélèvement SRU pour faire baisser le coût du foncier sous réserve d'une coordination des financements état-département-région. Le FRAFU est déployé dans tous les DOM sauf en Guadeloupe. Il constitue donc pour nous un levier de progrès important devant encore être développé.

Le dernier point est le coût de la construction. La création récente de la cellule économique régionale de la construction permettra de travailler sur les coûts avec l'ensemble des acteurs de la construction.

Pour conclure, nous nous engageons dans une politique nouvelle, avec des orientations ambitieuses, qui permettront de mieux répondre aux aspirations du territoire. En cela, j'insiste sur le nouveau PLOM qui correspond de façon fine aux besoins du territoire. Les spécificités et nos arguments ont été entendus par les concepteurs de ce plan.

Mme Corine Vingataramin, directrice générale de l'Établissement public foncier de la Guadeloupe . - L'Établissement Public Foncier est un jeune établissement, créé en 2013, qui intervient sur l'ensemble du territoire à l'exception de la commune du Gosier qui n'en est pas membre. Nous assurons la maîtrise foncière pour tout type de projets dès lors qu'ils relèvent de l'intérêt général et qu'ils sont d'utilité publique. L'habitat constitue néanmoins l'axe principal de nos interventions puisque la première orientation stratégique du programme pluriannuel d'intervention 2019-2023 est de permettre aux Guadeloupéens d'accéder à des logements dignes.

Notre première préoccupation est l'accroissement depuis quelques années du déséquilibre entre l'agglomération centrale et le reste du territoire guadeloupéen. Même si ce n'est pas un élément nouveau en soi, aujourd'hui la tendance est en train de s'accélérer et de s'aggraver. Je rappelle que lors de l'approbation du schéma d'aménagement régional (SAR) en 2011, le nord de Basse-Terre et l'est Grande-Terre commençaient à constituer de véritables alternatives à l'agglomération Centre. Aujourd'hui, avec la construction du nouveau CHU et le développement du secteur de Providence aux Abymes, cette tendance a complètement disparu ; les frémissements que nous avions observés en faveur d'un rééquilibrage du territoire à cette époque ont désormais complètement disparu. Il en résulte que certains opérateurs hésitent à construire dans les petites communes rurales alors que le besoin en logements y existe également. Évidemment, nous comprenons la préoccupation des bailleurs sociaux qui ne veulent pas prendre le risque d'avoir des logements vacants. Cependant, aujourd'hui, nous avons un territoire qui perd progressivement de sa cohésion et selon votre commune de résidence, vous ne disposez pas des mêmes chances d'habiter un logement décent.

Le logement doit s'inscrire dans une politique globale d'aménagement et de développement du territoire, dans laquelle il faut réussir à concilier le logement, le développement économique et les transports. Il est impératif de traiter ces politiques de façon simultanée. Cet élément a un impact direct sur notre activité. En effet, nous acquérons du foncier sur les territoires les moins attractifs, mais il devient de plus en plus difficile de convaincre les opérateurs d'y lancer des opérations. Je propose d'inciter les bailleurs à s'implanter dans des communes qui ne sont pas forcément situées dans l'agglomération pointoise et sa périphérie immédiate, ainsi que de concevoir des programmes de logement beaucoup plus adaptés au mode de vie des populations et aux particularités du territoire.

La deuxième préoccupation est la différence entre la demande et le besoin. Des efforts conséquents ont été faits depuis quelques années pour quantifier la demande. Toutefois, nous n'avons pas de programme local de l'habitant (PLH) et le besoin est beaucoup plus important. Des familles vivent dans des conditions déplorables et n'ont pas forcément le réflexe de remplir un dossier de demande de logement, soit parce qu'elles sont propriétaires du logement qu'elles occupent, soit parce qu'elles pensent ne pas y avoir droit. Je suggère, en attendant l'élaboration des PLH, de quantifier le besoin en s'appuyant sur les centres communaux d'action sociale (CCAS) et en leur octroyant des moyens car ils sont en contact direct avec les familles.

La troisième préoccupation est la position fermée des maires face à la construction de nouveaux programmes de logements sociaux sur leur territoire, alors que 83 % de la population guadeloupéenne est éligible au logement social. Les maires justifient leur refus par les problèmes d'incivilité et de violence auxquels ils sont confrontés au quotidien dans certaines résidences. Ils déplorent le fait de se retrouver seuls à y faire face. L'enjeu est de créer de nouveaux programmes de logements même quand les maires s'y opposent. Ma proposition serait de réinventer le logement social, en produisant des logements de plus petite taille, mieux insérés dans le tissu urbain et en facilitant la mixité sociale à l'intérieur même de ces programmes.

La quatrième préoccupation est la complexité des constructions dans les centres anciens. Nous avons accentué nos interventions dans ces centres anciens, mais force est de constater que, outre le problème de la maîtrise foncière, construire dans ces zones reste compliqué puisque les démarches administratives sont particulièrement lourdes et complexes. À la complexité administrative, vient s'ajouter la complexité technique des programmes de démolition et de reconstruction. Il serait pertinent de travailler sur la simplification des procédures administratives (permis de démolir, fouilles archéologiques du permis de construire).

La cinquième préoccupation est l'acheminement progressif vers le « zéro artificialisation ». Au regard de l'importance de la vacance sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones périurbaines et les zones rurales, il est évident que l'artificialisation des sols n'est plus envisageable pour construire du logement. Rappelons que la population guadeloupéenne vieillit, qu'elle diminue, ce qui a un effet direct sur l'augmentation de la vacance. Aujourd'hui, nous devons tous mener une politique de reconquête des logements vacants.

Cela nous amène à rebondir sur une autre préoccupation, la temporalité. Nous essayons d'acheter des « dents creuses » et des logements vacants en centres anciens, afin de permettre la construction de petits programmes. Malheureusement, nous constatons encore des réalisations de programmes de 200 à 300 logements en rase campagne, dans les zones périurbaines. Cette démarche continue à s'inscrire dans une logique très quantitative. Certes, il faut produire du logement le plus rapidement possible. Cependant, la reconquête de la vacance est plus longue puisque le foncier nécessite un traitement avant rétrocession à un opérateur et les opérations de réhabilitation sont beaucoup plus complexes que pour les constructions neuves. Ma proposition est de se donner un peu de temps pour repenser cette politique de logement à l'échelle du territoire guadeloupéen. Il faut que les intercommunalités se dotent de vrais outils stratégiques comme les PLH. Il nous manque une véritable réflexion, un peu d'intelligence et de bon sens.

Mme Alix Huyghues Beaufond, présidente du comité territorial d'Action Logement Guadeloupe . - Notre comité territorial est une organisation paritaire composée de 9 membres, 5 issus du patronat et 4 issus du collège salarié, chargée de mener la politique du groupe Action Logement dans le département. Nos actions se déclinent, en plus des produits et services courants délivrés par Action Logement Services (Visale, aides aux salariés en difficulté, accession sociale...), par des dispositifs tels que Action coeur de ville (ACV) sur les trois communes de Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, les Abymes, pour lesquelles des conventions immobilières ont été signées respectivement à hauteur de 7,9 millions d'euros et 9 millions d'euros. Depuis un an, le Plan d'investissement volontaire (PIV) en outre-mer décidé par les partenaires sociaux et déployés par Action Logement a permis d'engager une dynamique positive dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) en faisant émerger une véritable stratégie d'intervention du groupe en outre-mer. En Guadeloupe, le territoire a déjà bénéficié de 113 millions d'euros répartis sur 84 opérations auprès des 3 bailleurs (SIKOA, SIG et SEMAG).

Il s'agit pour nous, avec l'ensemble des dispositifs, de combler le retard dans la production de logements locatifs sociaux (LLS), résorber l'habitat insalubre, améliorer l'habitat existant, réduire le taux de vacance du parc social et de favoriser le parcours résidentiel des salariés d'entreprise.

Toutefois, de nombreux freins concourent à limiter l'utilisation de ces différentes enveloppes. Les principaux sont la gestion de l'assainissement, les délais trop longs des collectivités pour garantir les prêts, le manque d'ingénierie chez les bailleurs et les communes, la procédure de délivrance de permis de construire trop longue retardant les appels d'offres, ce qui obligent les entreprises à licencier, et l'indivision. Le problème ne se situe pas dans le financement des logements. Certains bailleurs mentionnent qu'ils ont du mal à trouver des entreprises, car les coûts de production sur l'agglomération pointoise et sur les autres communes ne sont pas les mêmes. Les entreprises sont perdantes et ne répondent pas aux appels d'offres lancés par les bailleurs. Nous devons trouver des solutions à cette problématique.

En complément des financements à destination des bailleurs, la préoccupation d'Action Logement est d'offrir aux salariés une meilleure qualité de vie et d'améliorer leur pouvoir d'achat. C'est pour cette raison qu'un travail partenarial a été engagé, sous le pilotage du comité territorial d'Action Logement, afin d'accompagner les bailleurs sociaux dans leurs missions sociales. Une mission d'étude engagée début 2021 et confiée à l'association Bio Désir vise à déceler les besoins des résidents pour la création d'espaces partagés (tiers-lieux ou « Lakous »). Ce sont autant d'espaces d'activités partagés qui contribueront à créer du lien au sein des résidences.

Il s'agit également pour Action Logement d'accompagner les locataires en anticipation des nouveaux modes de vie « après Covid ». En effet, beaucoup de salariés sont obligés de faire du télétravail à leur domicile sans pour autant disposer de l'espace adéquat, il s'agit de créer de nouveaux lieux de coworking proches de leur domicile.

Par ce dispositif, nous souhaitons accompagner les bailleurs sur l'aspect social, contribuer au développement économique et social, mais aussi permettre une qualité de vie au sein des résidences, voire une diminution de la vacance.

Mme Josette Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental de la Guadeloupe . - La question du logement est au coeur de mes préoccupations et de celle de la collectivité départementale. Nombre de nos compatriotes vivent encore dans des conditions difficiles. Depuis mon arrivée à la présidence du Conseil départemental en 2015, plus de 1 000 logements sociaux ont été financés directement par le département dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire et je souhaite que l'on puisse dégager ensemble des solutions. L'idéal est de pouvoir jeter des bases solides pour la prise en compte de ces difficultés.

Je me focaliserai principalement sur le coût des loyers que nous devons absolument diminuer. Une des solutions passe par l'augmentation du nombre de financeurs, des LTS et l'augmentation des moyens dédiés par l'État. Sur la question du foncier, ma collectivité étant principalement agricole, nous ne pouvons pas intervenir.

La difficulté réside plutôt sur les coûts d'aménagement. De nombreux outils permettent d'intervenir. Parmi eux la préemption d'un organisme foncier solidaire ou encore l'acquisition de terrains et revente avec une minoration de prix.

Les garanties d'emprunt doivent par ailleurs être fluidifiées.

Mais je vais laisser la parole à Alain Bredent directeur du logement pour qu'il partage son vécu et ses propositions.

M. Alain Bredent, sous-directeur du logement et de l'habitat social . - Je souhaite insister sur nos préoccupations. D'abord, il est impératif que le volume de logements puisse recommencer à augmenter. Nos politiques de crédits d'impôts sont importantes à ce titre. Nous participons au titre des garanties d'emprunt et nous espérons que les choses seront fluidifiées pour retrouver une harmonisation et une coordination que nous avions avec la région, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), afin de répondre de façon plus constante et rapide à la préoccupation des garanties d'emprunt. Nous intervenons aussi dans des programmes de logement plus spécifiques à Pointe-à-Pitre et Cap Excellence.

Par ailleurs, le montant des loyers nous préoccupe. Les LTS contribuent à diminuer cette courbe des loyers de sortie. Cependant, au-delà des LTS, nous souhaitons que les loyers d'une manière générale puissent diminuer dans notre département. Pour cela, il faudrait agir sur le prix du foncier, de l'assainissement collectif et individuel et sur le coût des matériaux, qui sont trop importants. Peut-être serait-il possible de trouver une solution d'approvisionnement, en dehors de l'Hexagone ou de l'Europe, qui soit plus proche de notre île pour diminuer le coût des matériaux.

Concernant les normes, une évolution est en cours (RTG - Règlement Thermique Guadeloupe) pour avoir des normes plus conformes à notre environnement naturel, notre climat et notre topographie. Mais il faudrait être attentif à ce sujet qui alourdira sensiblement le coût des logements.

Il est une chose de construire des logements, il en est une autre de permettre aux ménages d'y accéder. Nous privilégions l'accompagnement social via le fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour permettre aux ménages d'accéder au logement ou de se maintenir dans le logement, sachant que l'allocation logement est relativement faible par rapport à l'aide personnalisée au logement (APL) telle qu'elle existe sur le territoire national. Certains ménages ont encore un reste à charge trop important.

Concernant l'amélioration de l'habitat, il reste encore beaucoup à faire notamment pour permettre aux personnes âgées ou aux jeunes en insertion de se maintenir dans leur logement.

M. Georges Julien Ursule, président du conseil régional de l'Ordre des architectes de la Guadeloupe . - Le logement est une équation complexe qui s'articule autour du financement et des contraintes techniques, sociologiques et environnementales.

Le principal enjeu est le foncier. Il y a quelques années, l'ADUAG (Atelier d'urbanisme de la Guadeloupe) faisait office d'organisme local et de régulateur en matière d'organisation du territoire. Aujourd'hui, nous sommes dans l'opportunité foncière immédiate avec des coûts induits non négligeables qui impactent durablement le paysage.

Dans certains quartiers où la violence domine, il manque des éléments structurants, à savoir le travail, l'enseignement, le lien social et les activités sportives. La question du transport se pose à tous les stades, depuis la recherche du terrain jusqu'à la livraison des logements et représente pour les ménages un coût non négligeable..

Une autre problématique concerne la sinistralité dans les logements sociaux. Ce fait est lié principalement à la recherche d'économie, à la formation des intervenants et à des matériaux non adaptés. Pour tenter de répondre à cette difficulté, certains bailleurs sont tentés par la conception-réalisation. La loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture prévoit que le maître d'ouvrage qui a un ouvrage soumis à un permis de construire doit confier le projet architectural, objet de cette autorisation, à un architecte. De plus, la loi interdit à l'architecte de réaliser, en tant que sous-traitant d'un entrepreneur, le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire. C'est une démarche un peu antinomique.

Il faut prendre en compte également certaines spécificités, comme la localisation du logement et le transport des matériaux. Un logement à Marie-Galante ou à Saint-François n'a pas le même coût qu'à Baie Mahaut. L'augmentation incontrôlée des prix des matériaux engendre le refus de chantiers de la part d'entrepreneurs ou de certains artisans, n'étant pas certains de pouvoir garantir les travaux demandés dans les limites des devis.

Le problème des normes se pose également. Elles sont nombreuses et contribuent à surenchérir le coût du logement. Une piste serait de développer la recherche locale. L'Ordre développe un partenariat avec FinErgie pour apporter sa contribution à l'utilisation de matériaux ainsi qu'au recours des systèmes constructifs performants et adaptés au contexte local.

Une piste d'économie à creuser pourrait être l'utilisation de matériaux locaux ou en provenance de la Caraïbe.

Un autre frein est la technostructure régalienne, avec les architectes-conseils, les PLU qui ne sont pas forcément adaptés. Ainsi, certaines communes n'ayant pas de réglementation propre empêchent le développement de la conception et des recherches en économie.

Face à l'évolution des structures familiales, nous devons penser à la modularité du logement. Nos familles grandissent ou se réduisent, des parents se retrouvent seuls dans de grands appartements. L'adaptabilité serait une piste à développer.

Plutôt que de renforcer les normes pour la solidité des logements ou les contraintes pour faire face aux cyclones ou aux risques naturels majeurs, il serait important de revoir la conception même des logements, avec des parties sécurisées, tout en prévoyant des zones de regroupement dans les quartiers.

Concernant la ventilation, nous disposons de solutions qui permettent de répondre aux contraintes locales sans recours à de nouvelles normes. Je ne parle pas du potentiel énergétique du soleil, complètement sous-exploité, qui permettrait des économies substantielles.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - La DEAL a-t-elle les moyens d'atteindre les objectifs fixés dans le nouveau PLOM ? A-t-elle conscience qu'il faut simplifier les procédures, qu'il faut surmonter les obstacles, notamment administratifs ?

M. Georges Julien Ursule vient d'évoquer la technostructure régalienne. En effet, les architectes-conseils interviennent au dernier moment pour compléter les dossiers et font des remarques qui retardent les dossiers. Comment vivez-vous cela ? Cela contribue-t-il à la sous-consommation de la LBU ? Une critique est adressée aux collectivités qui ne seraient plus capables et aux bailleurs qui n'auraient plus l'expertise et l'ingénierie, pour faire aboutir leurs dossiers. M. Boyer, comment jugez-vous cela ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je tiens à vous remercier pour les éléments éclairants que vous avez apportés et la précision de vos réponses. Vous avez indiqué des coûts de production différents dans l'agglomération de Pointe-à-Pitre par rapport à d'autres communes. Pourriez-vous nous préciser ce qui justifie cet écart ?

Mme Victoire Jasmin . - Nous sommes sur un territoire qui comporte des risques naturels majeurs. Vous avez évoqué la question des normes et du coût des matériaux. Cependant, en cas de situation innovante, quels seraient les freins au niveau des assurances ?

M. Jean-François Boyer . - Les architectes-conseils n'ont aucune capacité de décision. Ils sont mis à contribution pour faire évoluer la production de logement social vers plus de qualitatif et pas seulement du quantitatif. Cela a donné lieu à un référentiel qualité, que la plupart des acteurs se sont appropriés.

Par ailleurs, l'année 2019 a vu un décalage dans la réalisation. Avant cette évolution qualitative, nous dégagions plus du quart des montants engagés dans les années suivantes car les projets étaient financés très tôt, alors même qu'ils n'étaient pas encore finalisés. Sur les dernières années, nous sommes désormais à 3 % de dégagement. J'aimerais que les bailleurs nous disent ce qu'ils pensent de cette évolution.

Concernant la consommation de la LBU, la question n'a jamais été celle du financement et la LBU n'a jamais été un frein. Il s'agit plutôt d'avoir des projets qui entrent dans le dispositif. Nous consommerons davantage de LBU en 2021 et 2022, parce que nous avons plus de projets à financer, avec une grande quantité de logements en réhabilitation, permettant ainsi à des familles qui vivent dans des conditions déplorables de revenir à un standard d'habitat normal. Nous prévoyons 2 500 logements sur le seul parc social en 2021, avec des financements par la LBU qui seront plus importants.

Un sujet préoccupant concerne la difficulté d'arriver au terme des opérations car les raccordements, la voirie ou l'assainissement sont inexistants. Lors du lancement d'un projet, il faut que les collectivités disposent de l'ensemble des raccordements préalables nécessaires. Rester au plus proche de centres existants permet bien souvent de réduire ces problématiques de réseaux et d'assainissement.

Sur les permis de construire, neuf communes n'ont pas de PLU et sont revenues au règlement national d'urbanisme (RNU). Cette situation n'est pas viable, car elle constitue un frein majeur au lancement d'opérations. Il est primordial que les maires arrivent au bout de leurs procédure d'adoption des PLU pour reprendre la maîtrise du développement de leur territoire à travers la maîtrise de leurs autorisations d'urbanisme.

Je ne considère pas que tout va bien. Le changement de logique vers plus de qualitatif adapté au territoire demande beaucoup plus de travail pour l'EPF, pour nous-mêmes, pour les bailleurs et pour les élus. Cependant, au final le résultat sera bénéfique pour les populations qui ont besoin de se loger.

Mme Alix Huyghues Beaufond . - Je reviens sur la question de la LBU. Le problème ne porte pas sur les enveloppes globales, mais sur le plafond de la LBU qui n'est pas adapté aux différents types de coûts. Pour illustrer mon propos, je citerai le cas d'une entreprise qui, récemment et dans le cadre du PIV, était confrontée à des coûts trop importants, le chantier se situant hors de l'agglomération pointoise. Déplafonner la LBU serait une piste à explorer, car son montant ne prend pas en compte les coûts de transport et autres frais.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Je veux bien reconnaître qu'il n'y a pas de problème d'enveloppe, mais tout de même, il y a quelques années, nous étions à 260 millions de LBU et 247 en crédits de paiement (CP). Aujourd'hui, nous sommes à 225 millions en LBU et 195 en CP. L'enveloppe de la Guadeloupe était à l'époque de 63 millions. Elle est descendue à 47 millions et nous serons à 31 millions cette année. Entretemps, la Guyane qui était à 20 millions est montée à 47 ; il en est de même pour Mayotte. Le problème porte sur la diminution de l'enveloppe globale et le redéploiement entre les territoires.

Par ailleurs, si nous donnons la priorité aux LLTS, qui sont une des priorités du nouveau PLOM, et que cette mesure se traduit par des distributions d'agréments systématiquement en faveur des LLTS, nous risquons de provoquer un blocage des opérations relevant des autres financements (les LLS, les PLS). Ce risque peut mettre à mal la réalisation de l'objectif de mixité sociale, comprise dans la loi Égalité et Citoyenneté et dans la loi Élan. Quelle projection faites-vous pour l'avenir ?

Action Logement a prévu 250 millions d'euros de subventions pour la démolition dans les logements sociaux, en zone B2, dans l'Hexagone et dans les opérations Actions coeur de ville. Cependant, notre territoire ne serait pas intéressé alors que nous sommes en zone B1. Pourquoi la Guadeloupe n'est-elle pas bénéficiaire de ce dispositif ?

Pouvez-vous m'indiquer les listes des subventions du PIV dans l'Hexagone et dans les outre-mer ? Apparemment, ne seraient prévus que 200 réfections de douches, toilettes par an dans les outre-mer. Est-ce exact ?

Par ailleurs, comment la problématique de l'amiante a-t-elle été prise en compte par Action Logement ?

Pour finir, j'aimerais un éclairage sur les prêts Action Logement et de la CDC. En effet, un prêt de la CDC constitue une subvention avec exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), mais ce n'est pas le cas pour le prêt Action Logement. J'aimerais avoir l'avis des bailleurs sociaux sur ce montage financier.

Mme Vivette Lopez , présidente . - Mesdames et Messieurs, n'hésitez pas à nous envoyer vos contributions pour étayer notre rapport sur les sujets que nous n'aurions pas eu le temps d'aborder aujourd'hui.

Mme Véronique Roul, secrétaire générale de l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (ARMOS) de la Guadeloupe . - L'ARMOS fédère les cinq bailleurs sociaux de notre département, dont certains sont également des aménageurs. Avec 11 000 demandeurs de logements sociaux, la production oscille entre 600 et 800 logements par an ces dernières années. L'accélération de la construction reste un enjeu fort et oblige les partenaires à aborder cette difficulté avec une plus grande coordination. La sanctuarisation de la LBU et le financement global du logement social en Guadeloupe ont toujours été une préoccupation pour notre territoire. Les financements existent et le travail est intense entre les services de l'État, les bailleurs sociaux et l'ensemble des partenaires. L'action conjuguée de la LBU, du crédit d'impôt et du PIV d'Action Logement nous ont permis de flécher certains financements, notamment sur les réhabilitations. Ces dernières évolueront de manière significative au cours des prochaines années grâce à un taux de LBU qui a été amélioré et un crédit d'impôt qui s'est élargi aux résidences hors quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il est indispensable que ces enveloppes budgétaires perdurent dans le temps et puissent être captées par notre territoire en totalité. En contrepartie de l'amélioration des équilibres d'opérations, les bailleurs se sont engagés dans une politique de baisse importante des loyers et à adapter leur parc au vieillissement de la population. Nous prévoyons de réhabiliter entre 1 000 et 1 200 logements par an au cours des six prochaines années.

Il est important de rappeler certains freins qui doivent être levés. L'ensemble des partenaires y sont sensibles et vous l'avez évoqué. Je rappelle que l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification est une obligation (PLU, PLH) mais aucune communauté d'agglomération n'a de PLH validé. Les financements sont abondants, mais il reste à trouver de nouveaux co-financeurs, notamment pour la production de logements locatifs très sociaux (LLTS). Je rappelle également qu'il faut raccourcir sensiblement les délais d'obtention des garanties d'emprunts en élargissant le spectre des collectivités qui pourraient compléter les tours de table.

Un autre point est à souligner, relatif au fléchage des financements en faveur des démolitions. Je sais que les services de la DEAL sont mobilisés sur ce point, mais il est important de mieux financer les démolitions afin d'éviter de réhabiliter des résidences trop vulnérables aux risques sismiques et cycloniques et éventuellement des passoires thermiques.

Je rappelle également la rareté et le coût du foncier. Le fléchage des constructions vers les programmes en centre-ville, en centre-bourg, en centre ancien, qui nous apparaissent légitimes et compréhensibles en termes de stratégie territoriale, oblige à concevoir des petites opérations avec peu de logements et donc une démultiplication des petits programmes. Cette approche se confronte au besoin de volume nécessaire sur le territoire.

Je ne serai pas plus longue sur les problèmes d'infrastructures, de réseaux, de dessertes électriques, d'assainissement qui bloquent la sortie de nombreuses opérations.

J'apporterai par ma contribution écrite des éléments plus précis sur les différents points que je viens d'évoquer.

Enfin, un fort enjeu concerne la problématique de la baisse des coûts de construction. Le lancement d'un plan territorial d'ampleur pour des enveloppes dédiées à la recherche et au développement est essentiel. Nous nous inscrivons en tant que bailleur dans cette logique. Il faudra développer des nouveaux modes de construction et l'utilisation de matériaux innovants. Des partenariats avec de grands cabinets au niveau national ou local permettront de trouver des nouveaux modes d'expérimentation et de développer de nouveaux procédés de construction. Cela suppose une coopération régionale caribéenne un peu plus affinée, plus concrète. J'interpelle nos élus à avancer en ce sens.

Je terminerai en mentionnant le tissu local de nos petites entreprises qui doivent être soutenues et bénéficier d'une meilleure formation. Aujourd'hui, la plupart d'entre elles n'ont pas la possibilité de répondre à l'ensemble de nos appels d'offres, faute de compétences ou de formations. Les plus gros opérateurs locaux ont en revanche la capacité de répondre aux appels d'offres en termes de compétences humaines et d'ingénierie. Au regard de l'ampleur des besoins en matière de production et de réhabilitation, ce manque d'opérateurs pose forcément un problème dans la saturation des carnets de commandes. De plus, nous courrons le risque de voir une inflation des prix. Il faut favoriser cette concurrence en développant un tissu de très petites entreprises et les soutenir pour une meilleure insertion dans nos opérations de commandes publiques.

M. Laurent Boussin, directeur général de la Société d'économie mixte d'aménagement de la Guadeloupe (SEMAG) . - La SEMAG est une société d'économie mixte qui, historiquement, a vocation à travailler sur l'aménagement du territoire. Elle s'est engagée, il y a une vingtaine d'années, dans la production de logements locatifs.

Je partage les propos précédents sur la problématique des outils de planification qui est un vrai frein à notre développement. Nous devons nous interroger sur l'opportunité de refondre le SAR. Nous ne disposons pas de Schéma de cohérence territoriale (SCoT), ni de programme local d'habitat (PLH). Nous sommes dans un département non pas dépourvu d'aménagement, mais où des opérations sont juxtaposées les unes à côté des autres.

Par ailleurs, il manque un organisme de régulation et de stabilisation des prix du foncier. Ces dernières années, les prix ont explosé, atteignant la limite supérieure de ce qu'un logement locatif peut accepter. Certes, certaines SEM ont des réserves foncières, mais elles s'épuiseront vite. Lorsque les prix dépassent 70-80-90 euros le m 2 avec une nécessité de se raccorder sur 500-800 mètres ou 1 kilomètre à des réseaux qui ne préexistent pas, nous sommes à ce moment dans une limite de production qui nous amènera immanquablement à mettre les loyers au plafond.

Il pourrait être pertinent de favoriser les opérations d'aménagement à proximité immédiate de la ville, sur lesquelles nous pourrons avoir un effet levier, via le FRAFU, supérieur à celui que nous avons à ce jour. Cela permettrait non pas de faire uniquement de la production locative, mais de bâtir un quartier comprenant du logement locatif, du logement privé, des commerces, des stationnements, des bureaux, qui participe à la globalité de la ville et permet ainsi d'avoir une péréquation en maintenant un niveau de production élevé et des coûts maîtrisés sur du logement locatif.

Si on convainc les collectivités qui vont mettre en place les PLU et les futurs PHL, on doit pouvoir avoir à la marge les 7 000 logements que l'on doit créer ces six prochaines années.

La simplification des démarches administratives est un point clé, notamment en ce qui concerne les dossiers environnementaux qui se sont complexifiés. Par exemple, l'une de nos opérations a nécessité des dérogations et, au moment de l'enquête publique, il aurait fallu qu'un grand spécialiste vienne de l'Hexagone pour remplir le dossier environnemental permettant l'ouverture de cette procédure d'enquête publique. Ce spécialiste n'ayant pas été trouvé, l'enquête publique a été annulée. Ni à la DEAL, ni à la préfecture, ni à la SEMAG, nous ne savons comment satisfaire ces nouvelles normes liées à une évolution des dossiers environnementaux. Il serait utile d'alléger quelque peu les démarches.

En raison de difficultés d'entente avec les architectes-conseils, l'année 2019 a vu un repli, ce qui a significativement ralenti la production. Nous avons réussi à comprendre les enjeux, à nous mettre d'accord, même s'il me paraît nécessaire que les architectes-conseils comprennent aussi les spécificités des territoires ultramarins. Avec un peu d'intelligence de terrain, nous pourrions faire mieux et aller plus vite.

Je termine sur un point qui m'inquiète énormément, s'agissant de l'inflation des prix sur nos appels d'offres. Certes, la crise du Covid perturbe significativement notre économie mais, pour autant, je n'arrive pas à comprendre certaines formations de prix qui me paraissent déconnectées par rapport aux réalités et au prix initial. Nos appels d'offres sont systématiquement supérieurs de 15, 20, voire 25 % et nous arrivons à la limite de l'exercice. Cette inflation contribuera à freiner la production. C'est un point sur lequel il faut veiller car les mois qui viennent sont à fort enjeu.

M. Dominique Joly, directeur général de la Société pointoise d'HLM de la Guadeloupe (SPHLM) . - J'ai reçu ce matin une circulaire de la part de la Fédération des coopératives. Le premier paragraphe m'a enchanté, puisqu'il est mentionné qu'Action Logement accordera une prime de 10 000 euros pour les familles qui accèdent à la propriété dans la limite des conditions sociales requises. Cependant, la suite de la circulaire est plus compliquée. En effet, les bénéficiaires doivent être salariés, primo-accédants, avoir un contrat de travail, mais ne pas relever de la MSA. L'opération doit être finançable, avec des coûts de revient maîtrisés, et inscrite dans un programme Action coeur de ville ou dans un NPNRU. De quoi freiner mon enthousiasme !

Pourquoi n'y a-t-il que 500 000 euros prévus sur le fonds Friches ouvert pour la Guadeloupe ? Nous avons besoin de ce fonds Friches pour récupérer du foncier. Nous travaillons en synergie avec l'EPF. Sur toutes les opérations où l'EPF nous apporte un terrain, le fonds Friches est pertinent et pourrait venir nous aider. Alors, pourquoi cette limitation ?

La SPHLM est un bailleur social, semblable à la SEMAG qui a commencé à développer un parc locatif depuis les années 90. Notre coopérative HLM a été créée dans les années 70 pour faire émerger une offre à l'accession sociale à la propriété. Après avoir mis cette activité en sommeil entre 1990 et 2010, nous avons depuis la particularité de développer des programmes de construction pour les vendre au travers d'un dispositif de location-accession en utilisant un montage qui repose sur le prêt social de location-accession.

La location-accession à la propriété représente 80 % de la production de la SPHLM. Nous ne faisons pas de publicité grand public et pratiquons une diffusion limitée. Nous avons cependant 800 demandeurs dans notre fichier, des familles éligibles qui souhaitent acheter un logement par le biais des produits que nous proposons. Nous n'arrivons à proposer que 100 à 150 logements par an. Nous rencontrons les mêmes difficultés qu'énoncées précédemment. Je m'y associe totalement, aussi bien sur les PLH que les PLU qui font défaut sur le territoire. Avec un RNU (règlement national d'urbanisme), souvent la constructibilité est beaucoup plus limitée que dans un PLU. Concernant le PLH, la conséquence directe est le rallongement de nos délais puisque les EPCI qui ont pris la compétence habitat ne peuvent pas l'exercer tant qu'elles n'ont pas de PLH approuvé. Par exemple, nous ne pouvons pas aller auprès de la communauté d'agglomération de Cap Excellence pour demander une garantie puisqu'elle ne peut exercer sa compétence habitat pleinement, tant qu'elle n'a pas approuvé le PLH.

Notre proposition est, qu'à titre dérogatoire, les communautés d'agglomération - pendant la phase d'élaboration de leur PLH - puissent garantir nos emprunts. Nous pourrions ainsi gagner énormément de temps. Auparavant, la durée des études préalables était de 2 à 3 ans. Aujourd'hui, la durée s'est allongée à 4 ou 5 ans. Dans les collectivités un peu moins bien notées auprès de la Caisse des Dépôts, la ville garantirait 50 %. Il faudra chercher les autres 50 % auprès du conseil départemental ou à la région. Nous multiplions donc à ce jour par deux le délai d'instruction pour aboutir à la signature du contrat de prêt auprès de la banque. L'impact négatif est direct sur notre activité.

Les surcoûts en centre-ville sont indéniables. La SPHLM sort des opérations autour de 1 900-2 000 euros le m 2 en zone peu dense. En centre-ville, avec les récentes augmentations de coûts, le surcoût atteint 25 %. Sur le territoire de Pointe-à-Pitre, plus les fondations doivent être profondes, plus les approvisionnements et l'installation de chantier sont compliqués. Les autres surcoûts potentiels dans nos opérations concernent l'équipement, l'assainissement, les transformateurs EDF.

Ma proposition serait de recréer une ligne spécifique au sein du FRAFU. Il y a une vingtaine d'années, une partie de ce FRAFU était baptisé « surcoût architectural ». Il contenait tous les points qui venaient renchérir une opération, de façon exceptionnelle. Peut-être serait-il possible de relier ce FRAFU « surcoût architectural » au FNAP (Fonds national d'aide à la pierre). En effet, malgré nos cotisations, nous ne bénéficions outre-mer d'aucune prestation du fait de la LBU. Nos cotisations sont donc perdues. Ma proposition serait de flécher une partie de nos cotisations versées au FNAP pour venir abonder la LBU, ce qui permettrait au ministère des outre-mer de flécher le FRAFU « surcoût architectural » vers nos opérations.

Le programme Action coeur de ville est très positif. Il nous apporte des financements sur des aménagements, notamment pour des commerces en pied d'immeubles. La Caisse des Dépôts peut nous accompagner pour le financement de ces commerces. Cependant, pour quelles raisons limiter ce dispositif à trois communes sur la Guadeloupe ? Comment financer les commerces situés en pied d'immeuble pour les opérations en centre-ville ? Les crédits de la Caisse des Dépôts ou d'Action Logement qui viennent en complément sur la partie accession peuvent être une source de financement qui facilitent nos opérations.

Par ailleurs, dans la mesure où nous remplissons une mission d'intérêt général, je propose que nous ne subissions pas les taxes sur nos matériaux, notamment l'octroi de mer. Les produits qui entrent dans la fabrication de nos logements sociaux pourraient être reconnus comme des produits de première nécessité afin de faciliter l'émergence de nos opérations. L'État pourrait compenser auprès des collectivités locales cette réduction d'octroi de mer.

Je conclurai sur le sujet de l'accession très sociale à la propriété. L'accession sociale permet de loger une famille qui gagne entre 2 000 et 4 000 euros par mois. Avec l'accession très sociale, il s'agit de familles qui gagnent moins de 1 000 euros par mois et qui sont dans des situations d'habitat très précaires (copropriété dégradée, logement insalubre, zone à risque). Nous avons réalisé, avec la participation active et volontariste de la DEAL, une première opération d'accession très sociale, où nous relogeons dans des logements certaines familles qui sont au RSA. Elles bénéficient d'un parcours accompagné sur 15 ans au travers d'un contrat location-accession avec une charge mensuelle de 100 euros. À l'issue des 15 ans, le logement leur est vendu à l'euro symbolique. Les besoins sont énormes. Il faudrait inciter le ministère des outre-mer à créer un groupe de travail pour étudier les solutions afin de produire des logements en accession très sociale à la propriété pour ces familles.

M. Laurent Pinsel, directeur général délégué de la SEMSAMAR . - La SEMSAMAR est une société d'économie mixte de 13 500 logements avec un parc en Guadeloupe de 8 000 logements. Nous avons beaucoup construit en Guadeloupe. Néanmoins sur les dix dernières années, notre patrimoine s'est majoritairement développé en Guyane. SEMSAMAR reste un acteur unique, car elle continue à construire des logements évolutifs sociaux et expérimente, en partenariat avec la SPHLM, des programmes de prêts sociaux location-accession (PSLA) très sociaux afin de répondre aux besoins d'accession à la propriété. Sa filiale santé gère actuellement des logements seniors pour proposer une offre de logements adaptés au vieillissement de notre population.

La SEMSAMAR s'est dotée en 2020 d'un plan à moyen terme qui fixe ses objectifs en matière de développement et de réhabilitation de son parc. Sur le territoire, ce plan repose sur la mobilisation de son stock foncier pour la production de plus de 500 logements diversifiés (locatif, accession sociale et logement libre) et sur la réhabilitation de 700 logements sociaux. En 2020, nos principales difficultés ont résidé dans une maîtrise délicate du foncier avec des contestations et conflits de propriété à régler. Nous avons également rencontré des difficultés pour la validation des projets et des procédures d'urbanisme à mettre en oeuvre. En 2021, nous initions des projets de recyclage de certains fonciers qui sont tenus par des collectivités, soit en centre-ville, soit en centre constitué, et nous répondons aux appels à projets lancés par l'EPF et les collectivités.

Pour développer l'offre LLTS, il faudra renforcer principalement le financement de nos opérations d'aménagement foncier. La SEMSAMAR dispose d'un stock important de foncier à valoriser. Il nous faudra valider ces projets d'aménagement, minorer les charges foncières, voire les céder à d'autres opérateurs comme c'est le cas avec l'EPF. Nous accordons un important volet au recyclage foncier. Pour développer les LLTS, il faut être en capacité de développer des logements à coûts maîtrisés. Georges Julien Ursule de l'Ordre des architectes évoquait l'utilisation de la procédure de conception-réalisation. Il ne s'agit pas forcément de la généraliser dans le processus de production de logement, mais nous disposons d'expériences réussies tant en matière de maîtrise des délais qu'en maîtrise des coûts, pour les opérations initiées selon cette procédure. La principale difficulté apparaît en cas de liquidation de l'entreprise principale. Nous avons constaté ces deux dernières années, la disparition de trois entreprises de gros oeuvre, ce qui impacte le champ concurrentiel.

Sur le développement des opérations d'accession sociale à la propriété, la SEMSAMAR a construit sur les 15 dernières années près de 750 logements évolutifs sociaux, principalement dans les opérations RHI. Ce type de logement a répondu aux besoins, mais la faiblesse des financements, la difficulté de la maîtrise foncière, le profil social des ménages ont généré des difficultés importantes. En conséquence, nous n'avons toujours pas clôturé financièrement nombre d'opérations. Nous aurons donc à constater des pertes financières dans nos comptes. Ces dernières années, pour remplacer ce produit, nous avons réalisé, en partenariat avec la SPHLM, deux programmes de prêt social location-accession (PSLA) très social qui ont permis de remplacer le LES. Le montage financier a pu être opéré grâce à des subventions importantes de l'État pour neutraliser complètement les charges foncières.

Concernant les coûts de construction, il faudrait intervenir sur les prix liés à l'importation, soutenir la commande publique et lisser l'activité. Avec la disparition de trois entreprises de gros oeuvre, le manque de concurrence en découlant aura un impact direct sur les marchés de construction de logements, avec entre 8 et 40 logements pour lesquels les grandes entreprises montrent peu d'intérêt. Il faudra subventionner la prise en compte de l'évolution de la réglementation et des surcoûts, par exemple 7 millions supplémentaires pour la rénovation du CHU en raison de la prise en compte de l'évolution de la réglementation concernant les phénomènes cycloniques de catégorie 5.

M. Thierry Romanos, président de la SIKOA . - La SIKOA est une entreprise affiliée au groupe Action Logement, qui compte 7 500 logements.

Les interventions de Jean-François Boyer, Corine Vingataramin, Véronique Roul et Georges Julien Ursule ont synthétisé l'ensemble des problématiques du logement social en Guadeloupe. Même si chaque bailleur a sa propre spécificité, les problématiques restent communes.

Le secteur du logement social est un véritable acteur de la cohésion sociale, mais aussi un vrai régulateur sociétal. Il participe activement au développement économique du territoire. Il faudrait revoir complètement le modèle économique du logement social en Guadeloupe et penser à un modèle économique à taille humaine, avec des bâtiments et des résidences pourvus d'un peu moins de niveaux pour éviter les tours et les barres d'immeubles. Se tourner davantage vers des logements R+5 ou R+6, à taille humaine, permet de créer plus de cohésion sociale, plus de lien.

L'objectif est de produire des logements de qualité à moindre coût pour réussir à tirer le prix du loyer vers le bas. 83 % de la population est éligible au logement social. Ce chiffre est important et reflète une situation très grave. Malheureusement, nous rencontrons des difficultés pour construire des LLTS. Nous sommes face à des maires et des collectivités qui refusent sur leur territoire des logements très sociaux, au profit de logements intermédiaires, de logements libres et éventuellement de PSLA.

Le premier PLOM proposait une approche quantitative avec 10 000 logements pour l'ensemble des outre-mer et 2 000 logements par DOM. Cette politique a rencontré quelques freins. Le nouveau PLOM s'appuie sur une approche plus qualitative qui nous permettrait de flécher des financements vers les EPCI pour mettre en place les PLU et PLH. Une enveloppe financière est prévue dans le nouveau PLOM pour accompagner ces EPCI. C'est un point positif qui va permettre de ralentir ce déficit de logement.

L'accompagnement de l'EPF permet de bénéficier d'un coût du foncier minoré. Cela va dans le bon sens. La LBU a certes diminué à la Guadeloupe, mais il faut porter des projets de manière à pouvoir augmenter cette ligne budgétaire. Plusieurs projets inter-bailleurs ou individuels permettront d'augmenter cette LBU qui mérite d'être sanctuarisée.

Il faudrait prévoir un nouveau modèle économique pour le logement social afin d'infléchir le coût et la rareté du foncier ainsi que les coûts de construction. L'idée de Dominique Joly sur l'exonération de l'octroi de mer sur les matériaux de construction est pertinente. Si nous parvenons à réunir tous ces éléments, conjugués à des petits artisans plus nombreux et mieux formés pour répondre aux appels d'offres, nous arriverons peut-être à diminuer le coût de la production de logement en Guadeloupe.

M. Jules Goval, directeur général de la SIKOA . - De vrais enjeux pèsent sur le logement social. Il nous est demandé d'assurer une certaine mixité sociale et intergénérationnelle, d'assurer le parcours résidentiel de nos locataires, d'adapter des typologies de logement par rapport aux besoins du marché, de dédensifier des zones, de redynamiser les centres-bourgs, et d'éradiquer le parc insalubre et d'assurer la démolition.

Le coût de la démolition est lié à la problématique de l'amiante. En Guadeloupe, aucune filière amiante n'est en place. La démolition est inévitable et son coût très élevé. Des jeunes pourraient être formés à cette notion d'amiante pour relancer l'activité économique.

Les bailleurs doivent développer davantage des offres spécifiques PSLA. Dominique Joly a déjà développé ce point.

Par ailleurs, nous bénéficions de financements, notamment au niveau du PIV et de la part de l'EPF. Nous comptons sur l'EPF pour qu'il continue à développer la minoration foncière qui permettra d'améliorer les problèmes de coûts de construction.

Nous sommes sur un département exigu avec peu de foncier. Redynamiser les centres-bourgs et les centres-villes est donc une piste à poursuivre.

Pour agir, les bailleurs rencontrent plusieurs contraintes, notamment l'augmentation du prix du foncier, les typologies de logements à revoir avec l'évolution de la démographie, l'augmentation des coûts de construction, et surtout les problèmes d'assainissement. Avec au final des coûts élevés, qui rendent difficile la baisse des loyers.

Le volet des contraintes administratives n'est pas négligeable. Avec les difficultés rencontrées par les sociétés, le nombre d'entreprises en mesure de nous aider à rénover devient très restreint. Si nous ajoutons à ces difficultés des délais d'instruction et d'obtention des autorisations (analyse de site, loi sur l'eau, défrichement, permis de construire), on comprend qu'il devient impératif de fluidifier ce processus. Les procédures sont longues et ont un impact sur le nombre de logements construits.

Le dernier point que je souhaite aborder est la situation financière des communes qui nous met dans l'impossibilité de garantir nos emprunts. La garantie d'emprunt est un vrai verrou qui bloque le développement du logement social.

M. Antoine Rousseau, directeur général de la Société immobilière de la Guadeloupe (SIG) . - La SIG est une société qui compte, au 31 décembre 2020, 17  165 logements et foyers. Elle a une activité de bailleur social et une activité d'aménageur puisqu'elle est concessionnaire de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et co-concessionnaire de la rénovation urbaine des Abymes. La SIG gère également un mandat de gestion du patrimoine de la ville de Pointe-à-Pitre qui représente 1 821 logements et commerces.

Nous devons penser la ville et les besoins de nos locataires pour les 30 prochaines années, à l'aune d'une évolution démographique et d'une évolution des attentes. Nous devons prendre en compte également l'évolution normative, le développement durable et éviter l'expansion de la zone urbaine. La conjonction de toutes ces attentes sur la construction et les enjeux rejoint un besoin d'optimiser le coût des opérations. Nous devons nous concentrer sur les coûts de construction, notamment avec de nouveaux procédés que nous avons intérêt à engager sur le territoire, par exemple un mix béton/bois, ou encore la décarbonation partielle de nos travaux à l'aune du coût futur du ciment carboné. Il faut se demander si ces nouveaux procédés peuvent accompagner une ingénierie qui permette de répondre efficacement et à moindre coût aux enjeux de vulnérabilité sismique dans les constructions.

Mais le nerf de la guerre demeure le foncier. Nous sommes sur un territoire insulaire avec l'envie partagée d'éviter de bâtir dans les champs de canne à sucre. Il est primordial de retravailler la « ville sur la ville ». Pour cela, l'EPF nous accompagne et libère progressivement du foncier qu'elle a mobilisé ces huit dernières années. Il est un atout pour nos territoires. C'est une condition nécessaire - puisqu'il permet de remettre du foncier dans les circuits après les avoir portés et rendus opérationnels - mais pas pour autant suffisante, puisque pour accompagner l'effort de construction de logement social, il faut que la programmation portée par les collectivités locales dans le cadre de leur PLH tienne compte de cette volonté de produire de nouveaux quartiers ou des opérations de logement social au sein des villes.

Le volume de la LBU est en baisse puisque moins d'opérations sortent. En contrepartie, les bailleurs ont largement bénéficié et profiteront dans les prochaines années d'une bonne conjonction concernant la réhabilitation. Jusqu'alors, la reprise en main du parc vieillissant était insuffisamment financée pour que le coût d'opportunité nous conduise à le réhabiliter massivement. Aujourd'hui, au travers de la LBU et du crédit d'impôt, nous bénéficions d'une réelle opportunité de réaliser des opérations que nous n'avions pas engagées et que nous n'aurions pas engagées en dehors de la rénovation urbaine. En 2020, les financements ont permis à la SIG l'engagement d'opérations de réhabilitation pour 583 logements. L'accélération et le déplafonnement des financements en 2021 doivent nous permettre d'atteindre 987 logements en bénéficiant de demandes de financement, dont 785 au titre du renforcement parasismique.

L'état des désuétudes nous amène à faire des arbitrages. Face à des logements à la fois désuets et exposés à une vulnérabilité sismique forte, la tentation pour les bailleurs est plutôt d'aller vers des démolitions que vers des réhabilitations. La SIG a engagé cette réflexion et promeut ces arbitrages sur les 7 prochaines années avec 2 000 logements à conforter. Sur les 10-15 prochaines années, au rythme de la faisabilité des relogements, nous aurons 1 700 logements à démolir. Ces démolitions sont justifiées par une vulnérabilité et une incapacité de réaliser des réhabilitations dans des conditions économiques acceptables. Ces démolitions peuvent être financées dans le cadre de l'ANRU. Elles sont financées partiellement dans le cadre du PIV national hors ANRU sous forme de subventions ou de prêts. Nous disposons donc d'une palette d'outils. Une mobilisation du FNRT permettrait d'alléger l'arbitrage. En effet, lorsque les bâtiments sont à la fois vulnérables, difficiles à conforter, avec un coût d'opportunité de réhabilitation nul, nous avons tout lieu de financer la démolition plutôt que la réhabilitation de ce parc.

J'ajoute une nuance sur les contraintes d'intervention dans les centres anciens. Dans 20 % des cas, nous avons affaire à des réseaux, surtout dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre, qui sont largement obsolètes. Ils constituent de gros sujets d'ingénierie et des coûts importants à exposer à leur encontre.

Un dernier levier qui pourrait accélérer et renforcer la transition du modèle de construction et la diversification des procédés de construction est l'investissement dans la R&D. Une politique régionale incitative à la R&D pourrait aider les entreprises à franchir le cap. C'est une piste à creuser.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'aimerais remercier tous les participants de cette table ronde très complète et informative qui permettra de faire des propositions dans notre rapport. Merci pour la qualité de vos interventions et je sollicite vos éclairages écrits sur d'autres points.

Concernant notamment la gouvernance et la coordination, existe-t-il un Conseil départemental de l'habitat et de l'hébergement ?

Qu'en est-il du conflit entre l'USH et USHOM ? Thierry Romanos pourrait-il faire une contribution écrite à ce sujet suite aux démissions des partenaires ultramarins de l'USH, ce qui pose aujourd'hui un problème de représentation ?

L'Office foncier solidaire reste un outil à créer. Serait-il possible de découpler le coût du foncier de la location ? Cela existe dans l'Hexagone et pourrait exister ici.

Pour faire face au vieillissement de la population, pourquoi les outre-mer ne disposent-il pas de forfait autonomie ? Pourquoi le forfait Habitat inclusif est-il aussi peu abondé ?

Concernant la garantie, j'ai entendu l'allusion aux problèmes de déficit financiers des communes. Le département et la région font le nécessaire, me semble-t-il. Un problème subsiste avec la Caisse générale du logement locatif social (CGLLS) à laquelle vous payez une cotisation sans actions professionnelles en retour. Des amendements ont été refusés mais nous continuons à travailler sur ce point.

Pourquoi en termes de loyers, sommes-nous souvent au plafond ? Pourquoi ne disposons-nous pas d'une conférence intercommunale du logement ou d'attribution en Guadeloupe ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je rejoins mon collègue sur la qualité de cette table ronde et vous remercie pour les éléments éclairants que vous avez apportés. J'aurais moi aussi beaucoup d'autres questions à poser.

Lors d'une précédente audition, il nous a été signalé que les crédits de l'éco-PLS sont sous-consommés. Répondent-ils vraiment à un besoin ?

Pensez-vous que le développement de la recherche en matériaux innovants serait opportun dans les territoires ultramarins ?

Les superpositions administratives et les différents schémas d'aménagement sont-ils source de complexité pour le déploiement des opérations de logement ?

Comment prenez-vous en compte la dimension sociale, autrement dit la manière de vivre, dans vos cahiers des charges ? Quelle place est-elle accordée à cet aspect ? Les contraintes de coûts que vous avez soulignées permettent-elles de les prendre pleinement en compte ?

Mme Vivette Lopez , présidente . - Cette table ronde a été très riche en informations. Je propose que nos intervenants répondent par des contributions écrites. Merci à tous pour vos interventions.

M. George Julien Ursule . - Je souhaite ajouter que nous n'avons pas abordé la question des anticipations des modes d'habitation et des modes de construction.

Mme Vivette Lopez , présidente . - N'hésitez pas à nous faire parvenir ces éléments par écrit. Merci à toutes et à tous.

Jeudi 6 mai 2021

Table ronde sur la situation du logement en Guyane

Mme Annick Petrus , présidente . - La présente table ronde est organisée dans le cadre de l'étude que mène la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur la situation du logement dans les outre-mer. Les rapporteurs en sont Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard.

Le président Stéphane Artano m'a priée de bien vouloir l'excuser auprès de vous, car il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais il participe bien sûr à nos travaux grâce à la visioconférence.

Après avoir entendu les principaux acteurs du logement sur le plan national, notre délégation a abordé la dernière série de ses auditions avec des tables rondes géographiques pour appréhender les réalités très diverses des territoires ultramarins.

Après Mayotte, la Polynésie française, La Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe et La Martinique, nous sommes donc cet après-midi en visioconférence avec la Guyane.

Nous vous remercions très vivement d'avoir répondu à notre invitation et de nous permettre de mieux saisir les enjeux et les problématiques qui sont les vôtres. Il y a déjà eu beaucoup de travaux sur le logement en général en France, mais notre délégation souhaite comprendre précisément ce qui ne marche pas et recueillir vos suggestions pour obtenir de réels progrès.

Sur la base de la trame indicative qui vous a été adressée, nous allons, au cours de cette réunion, procéder en deux temps, si vous en êtes d'accord.

Dans une première partie, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni et présidente de la communauté de communes de l'Ouest guyanais, que nous saluons, prendra d'abord la parole, puis ce sera le tour de Pierre Papadopoulos, directeur général adjoint, et Serge Manguer, chef du service logement, de la direction générale des territoires et de la mer de Guyane, et, enfin, de Denis Girou, directeur général de l'Établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane.

Les rapporteurs pourront interroger ces premiers intervenants s'ils souhaitent des clarifications.

Dans une seconde partie interviendront ensuite Juliette Guirado, directrice de l'Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane, accompagnée de M. Samy Chevalier, chargé de mission Habitat, Jean-Jacques Stauch, directeur général de la Société immobilière de la Guyane (SIGUY) et de la Société immobilière de Kourou (SIMKO), et Olivier Mantez, directeur de Nofrayane et président de la cellule économique régionale de construction de Guyane.

Les rapporteurs puis nos autres collègues pourront les interroger à leur tour.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je demande à chacun de respecter strictement son temps de parole, de bien vouloir garder sa vidéo allumée, car cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande, et de bien vouloir s'inscrire sur le fil de discussion pour les demandes de prises de parole en visioconférence.

Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni et présidente de la communauté de communes de l'Ouest guyanais . - Je vous remercie de m'avoir invitée à cette table ronde sur le logement en Guyane. Vous savez que la commune de Saint-Laurent-du-Maroni est l'une des communes les plus impactées par les problématiques de logement en Guyane. Chez nous, le besoin de logement est davantage un besoin de ville, et il s'exprime de manière très dynamique. C'est une des composantes du système urbain, qui est en croissance exponentielle aujourd'hui. En même temps, il est en déliquescence, parce que 60 % du logement sur notre territoire est en situation informelle. L'approche du point de vue du logement social et du locatif social est donc assez réductrice.

Nous connaissons aujourd'hui un déficit d'environ 4 000 logements, pour une ville, officiellement, de 45 000 habitants, en réalité plus proche de 70 000 habitants, compte tenu de la forte immigration irrégulière qui nous touche. Pourtant, nous avons toutes les peines du monde à construire 1 000 logements par an.

Cette situation est vraiment très compliquée. L'offre de logements que nous avons sur le territoire présente quatre défauts principaux.

Premièrement, l'offre est quantitativement insuffisante, et elle est trop peu diversifiée. Nous n'avons pas assez de logements intermédiaires et ils ne sont pas forcément adaptés à la structure familiale guyanaise. Nous avons besoin de plus de T6 ou de T7.

Deuxièmement, nous sommes souvent sur des logiques d'opérations isolées, et pas sur des logiques de quartiers, avec des équipements structurants type écoles, équipements sportifs. C'est un vrai souci.

Troisièmement, on ignore trop les modes de vie locaux. Il faut savoir que nous avons un très fort taux de chômage, au-delà de 40 %. Les gens restent donc beaucoup dans leurs quartiers, qui ne sont pas adaptés en matière d'équipements collectifs et qui ne sont pas pensés pour une telle présence.

Quatrièmement, nous n'arrivons pas à lutter contre l'habitat spontané, qui représente 60 % de l'habitat et à expérimenter de nouveaux modèles d'habitat. Faites passer un drone et vous vous rendrez compte de cette réalité. Lorsqu'il y a des zones libres où nous pourrions envisager des projets de construction, ils sont vite occupés par de l'habitat spontané.

À mon sens, le fait d'envisager la construction de locatif social sous un angle purement quantitatif nous entraînera vers les mêmes dysfonctionnements urbains que ceux qu'a connus l'Hexagone dans les années 60-70. Nous devons essayer de combiner tous les outils d'urbanisme que la loi met à notre disposition (le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), le plan Action coeur de ville pour faire du renouvellement urbain tout en évitant la tentation des grands ensembles sociaux, qui seraient préjudiciables à la ville elle-même.

Je pense que l'on pourrait proposer, pour mieux travailler, une territorialisation dans l'animation du comité de pilotage. Il faut aussi une collaboration réactive. En effet, les choses vont beaucoup trop lentement pour tous nos partenaires, que ce soit sur les cessions foncières, les attributions de crédits, l'alimentation électrique, l'eau, l'assainissement. Cela donne une impression d'inertie difficile à accepter par nos concitoyens.

Mon objectif est la production de ville pour répondre à la forte demande de logements, tout en maîtrisant la stratégie globale, de manière à ce qu'elle soit la plus harmonieuse possible et que l'on ait une ville équatoriale durable. Comprenez-moi bien, ce que nous avons ici ne peut pas être une duplication de ce qui se fait dans l'Hexagone. Je ne veux pas de bâtiments de 10 étages, alors que nous sommes habitués à vivre en extérieur et que la hauteur maximum ne devrait pas dépasser deux étages. Il nous faut de surcroît des aménagements spécifiques pour tenir compte des contraintes météorologiques, de la ventilation, de l'exposition au soleil. Bref, il faut que l'on essaie de construire la ville de demain la plus vivable possible.

M. Pierre Papadopoulos, directeur général adjoint de la direction générale des territoires et de la mer (DGTM) de Guyane . - Merci de votre invitation. Je précise que je suis accompagné de Hubert Gillet, chef de l'unité logement au sein de notre direction.

Je vous prie par avance de bien vouloir m'excuser si un certain nombre de mes propos rejoignent ceux de la maire, ce qui est somme toute plutôt rassurant, car cela montre que nous partageons beaucoup de vues sur le sujet.

Je vais commencer par le logement social. Depuis l'étude de 2017 sur les besoins en logement social, de l'eau a coulé sous les ponts. Tout va très vite en Guyane et nous devons la mettre à jour en 2021.

À l'époque, les besoins de logements en Guyane étaient estimés à 5 000 logements par an, dont 3 400 logements sociaux. Or on n'en produit que la moitié, puisque nous sommes passés de 500 logements sociaux en 2013 à 1 600 aujourd'hui. On accueille aujourd'hui un quatrième opérateur, voire même un cinquième avec Cap Accession, qui nous laisse entrevoir de belles perspectives sur l'accession sociale.

C'est vrai qu'en métropole on perçoit beaucoup la question du logement à travers le logement social. En Guyane, comme l'a dit la maire, la problématique est plus large. Nous devons notamment travailler sur l'amélioration de l'habitat dans des proportions beaucoup plus importantes qu'en métropole. Le fait que les propriétaires modestes puissent accéder à de nouveaux dispositifs est à cet égard une bonne chose.

Il y a également un problème aigu de vacance, avec 6 000 logements concernés. La ville de Cayenne, notamment, y travaille de manière efficace.

Je le répète, le logement social n'est pas le seul sujet en Guyane, la réhabilitation est également importante.

Nous manquons cruellement de ressources en ingénierie, à Saint-Laurent-du-Maroni comme à Cayenne. C'est très compliqué de constituer des équipes stables et opérationnelles pour travailler sur nos projets, de faire venir des cadres, et ce n'est pas seulement un problème financier. Mais nous entrevoyons des solutions avec l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'État et les collectivités territoriales, pour embaucher des équipes de techniciens solides et stables.

Le logement en Guyane, sans doute plus qu'en métropole, c'est toute une chaîne d'acteurs étroitement liés les uns aux autres. Cela va du relogement des squatteurs au logement social, en passant par la rénovation ou l'adaptation. Il y a un travail de coordination très fine à réaliser.

Je m'adresse maintenant aux élus de Guyane. Il est temps d'utiliser la gouvernance proposée par le Plan logement outre-mer (PLOM) pour prendre à bras-le-corps les problèmes évoqués par la maire. Je fonde de grands espoirs sur cet outil pour la politique du logement en Guyane. Les collectivités doivent s'emparer de ce levier sans tout attendre de l'État. Il nous faut également mettre les entreprises du BTP dans la boucle de la réflexion pour que la coordination s'améliore encore. Enfin, il y a une réflexion importante à mener sur le bois, tant pour le relogement provisoire que pour l'hébergement.

M. Denis Girou, directeur général de l'Établissement public foncier et d'aménagement (EPFA) de la Guyane . - L'enjeu principal auquel nous faisons face en Guyane est la dynamique démographique : la population double tous les vingt ans. On est passé de moins de 100 000 habitants en 1990 à près de 300 000 aujourd'hui. En valeur absolue ce n'est pas énorme, mais le système administratif ne parvient pas à gérer ce rythme d'augmentation extrêmement rapide.

Il convient de parler d'aménagement global du territoire plutôt que de logement uniquement. Le rythme auquel cet aménagement doit se faire dépasse les compétences ordinaires des pouvoirs publics. Les questions de financement global, en valeur absolue, ne sont pas si prégnantes : jamais un projet n'a été bloqué pour des raisons financières. La question est plutôt celle-ci : comment changer de braquet pour accélérer ?

L'instrument retenu depuis 2012 a été la mise en oeuvre d'une opération d'intérêt national (OIN) de construction d'une ville nouvelle d'environ 80 000 habitants. À l'issue des travaux préparatoires, on a conclu qu'il faudrait plutôt construire l'équivalent d'une telle ville nouvelle, soit à peu près 21 000 logements, dans un chapelet de 24 zones sur le littoral guyanais. Outre les logements, cela implique un rattrapage d'infrastructure considérable en matière d'équipements de base : écoles, collèges, routes, centres culturels et sportifs. Ce rattrapage doit être quantitatif, mais aussi qualitatif. On conçoit aujourd'hui des quartiers d'une qualité bien supérieure aux standards antérieurs : tous les aménagements prévus dans le cadre de l'OIN doivent obtenir le label ÉcoQuartier. Ces exigences de qualité visent à offrir aux habitants un cadre de vie agréable et une qualité de vie améliorée. Progresser à la fois quantitativement et qualitativement n'est pas évident.

L'OIN mise en place en 2017 a reçu des moyens très importants qui ont permis de préparer un réel changement de braquet. Cette année, les dotations reçues, d'environ 7 millions d'euros, ont permis de préparer de nouveaux quartiers sur presque toutes les communes concernées par l'opération. On pourra créer cinq zones d'aménagement concerté (ZAC) cette année et trois autres l'année prochaine. Par rapport au rythme habituel en Guyane d'une ZAC tous les trois ans, c'est énorme !

La qualité des projets représente donc un réel facteur de progrès, mais si l'on travaille mieux, on ne travaille pas plus vite qu'auparavant. Il s'agit en partie d'un problème de gouvernance : celle de l'OIN s'ajoute au processus décisionnel existant ; on pourrait sans doute alléger les procédures pour accélérer les prises de décisions,

Un autre facteur de réussite de l'OIN réside dans l'achat de foncier privé, ainsi que dans le transfert par l'État de foncier lui appartenant, à hauteur d'un tiers de la surface totale de l'opération. Le défi qui nous attend en 2021 et 2022 va être de pouvoir démarrer simultanément les opérations prévues.

Un autre enjeu qui demeure concerne particulièrement les parlementaires : il s'agit de pouvoir, dans une perspective de plus long terme, adapter certaines règles à la situation spécifique de la Guyane, mais aussi de Mayotte. Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a remis un rapport sur ce sujet, qui a trouvé son prolongement dans des propositions faites par le sénateur de la Guyane Georges Patient. Ce facteur de progrès n'aurait certes pas un effet immédiat, mais il peut faire gagner un ou deux ans à une opération d'une dizaine d'années, et ce à qualité au moins équivalente. Cette simplification ne serait pas une dégradation ; il s'agit d'adaptations qui permettraient de produire plus rapidement des villes mieux adaptées au territoire.

C'est ainsi que l'on peut gagner notre course contre la démographie, mais aussi contre le logement illégal, qui croît depuis vingt ans plus rapidement que le logement légal en Guyane. Le différentiel représente aujourd'hui plus de 40 000 logements ; cette situation est insupportable pour les collectivités. Une bonne partie de la solution passe par la réalisation des projets de l'OIN : la gouvernance mise en place permet de concevoir des solutions mieux adaptées au territoire qu'auparavant.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'aimerais demander à nos interlocuteurs comment on pourrait mieux territorialiser la politique du logement. La maire de Saint-Laurent-du-Maroni a évoqué des pistes ; aurait-elle des propositions concrètes à nous faire ?

Quelqu'un pourrait-il nous communiquer le montant des investissements consacrés au logement locatif très social, ainsi que le nombre de ces logements ?

Plus largement, êtes-vous satisfaits du financement du logement en Guyane ? J'ai cru comprendre qu'il n'y avait pas de manques concernant la ligne budgétaire unique (LBU). Avez-vous des propositions à faire en la matière ?

Les retards peuvent-ils être rattrapés ? Comment la plateforme d'ingénierie fonctionne-t-elle en Guyane ? La sous-consommation de crédits peut-elle être expliquée par ce manque d'ingénierie ? Des rapports parlementaires ont pointé d'autres causes encore, des lenteurs administratives, des problèmes autour des permis de construire. Rencontrez-vous ce type de problèmes en Guyane ?

Mme Micheline Jacques , rapporteure. - Vos présentations ont déjà permis de répondre à bien des questions posées. Au fil des tables rondes, les spécificités de chaque territoire sont bien mises en valeur. Le logement est un sujet commun, mais un travail de territorialisation doit être mis en oeuvre au vu des différences notables entre les territoires.

Selon vous, quelles actions devraient-elles être mises en oeuvre prioritairement pour résorber l'habitat informel et indigne ? Avez-vous constaté des évolutions dans la gestion de la situation des occupants sans titre ?

Par ailleurs, comment renforcer les formations dans le domaine du BTP ? Des partenariats avec le service militaire adapté pourraient-ils constituer une solution, susceptible qui plus est d'aider les personnes au chômage, nombreuses dans ces territoires ?

Enfin, comment mieux adapter l'habitat neuf aux modes de vie spécifiques de ces territoires et les normes réglementaires et techniques à leurs réalités ?

M. Guillaume Gontard , rapporteur . - Notre rapport comporte un volet sur l'habitat innovant et ses adaptations aux évolutions de la société et aux changements climatiques. Des expériences sont-elles menées en la matière sur votre territoire ?

Je voudrais aussi vous interroger sur l'utilisation de matériaux locaux et notamment le développement de filières locales de bois. C'est important à mettre en oeuvre, mais cela n'est pas toujours évident et pose des questions normatives : les normes sont basées sur des données européennes qui ne correspondent pas forcément aux matériaux disponibles localement.

Enfin, quant à l'aide à la rénovation énergétique et thermique, comment fonctionnent les aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) en Guyane ? Ces dispositifs sont-ils largement utilisés ?

Mme Sophie Charles . - La Guyane est un territoire extrêmement vaste, contrairement aux autres territoires ultramarins, ses collectivités sont très étendues. La communauté de communes de l'Ouest guyanais, par exemple, fait plus de 40 000 kilomètres carrés et la commune de Saint-Laurent-du-Maroni s'étend sur plus de 4 800 kilomètres carrés.

Ainsi, le fonctionnement des communes dont la superficie est très restreinte ne peut pas correspondre au mode de vie que nous avons en Guyane sur des territoires particulièrement vastes. Nous ne pouvons pas gérer une densification de la ville sur une zone où l'on dispose d'énormément d'espace, d'autant que le mode de vie des Guyanais y est adapté - ils vivent avec la nature.

Mieux territorialiser, c'est renforcer l'animation et le pilotage au plus près du terrain. Comme notre territoire est très vaste, les interlocuteurs les plus proches demeurent le maire et le sous-préfet d'arrondissement. Ces derniers assurent une gestion la plus efficace possible.

Si nous mettions en place un comité de pilotage, il faudrait que ses décisions puissent être entendues par tous. Aujourd'hui, lorsque l'on prend une décision, nous avons l'impression qu'un temps infini s'écoule avant qu'une réalisation soit faite. C'est extrêmement pénalisant, car, comme l'a dit Denis Girou, il y a sur le territoire guyanais une construction illégale exponentielle.

À Saint-Laurent-du-Maroni, 3 000 naissances sont enregistrées tous les ans ; tous les dix mois, je dois construire un nouveau groupe scolaire. Nos normes de ville ne correspondent pas à celles qui sont appliquées ailleurs.

Dans la redéfinition de ce pilotage territorialisé, nous devons reconnaître un chef de file et lui donner les moyens adéquats. Les autres opérateurs, qu'ils soient publics ou privés, doivent pouvoir l'entendre. Cet échelon-là, à mon avis, ne fonctionne pas...

Sur la question du nombre de logements, je pense que ce n'est pas à moi de répondre, parce que les services de l'État s'occupent de la Guyane tout entière. Or Saint-Laurent-du-Maroni n'est que l'une des 22 communes de ce territoire.

Résorber l'habitat indigne est une priorité pour Saint-Laurent-du-Maroni. Voilà plusieurs années que nous travaillons dessus. Nous souhaitons expérimenter davantage, mais certains quartiers « informels », comme il en existe dans ma commune, posent problème. Selon les recensements, on dénombre dans ces quartiers 2 500, 3 000, parfois 4 000 habitants. Déplacer un nombre aussi élevé de personnes n'est pas raisonnable.

Lorsqu'un programme reloge 100 personnes qui habitaient dans un squat, dès le lendemain, les places libérées sont reprises par les immigrés illégaux présents sur le territoire.

C'est un problème auquel Saint-Laurent-du-Maroni est aujourd'hui confronté - on n'en parle pas assez ! La Guyane connaît une forte immigration d'Haïtiens, qui entrent sur le territoire via le Suriname. En quelques semaines, 600 ressortissants haïtiens sont ainsi arrivés à Saint-Laurent-du-Maroni. Le préfet nous a communiqué, hier, qu'il avait délivré à 133 de ces immigrés des documents leur permettant de se rendre à Cayenne pour y demander l'asile politique. En définitive, c'est près de 500 immigrés qui se sont installés dans ma commune...

S'il existait ce genre d'afflux permanent d'immigrés dans une ville quelconque de l'Hexagone, cela ferait la une de tous les journaux télévisés !

Cependant, les logements spontanés qui sont créés ne sont pas toujours de mauvaise qualité. La plupart sont construits avec une base en béton, des murs, des fenêtres et un toit. Nous disposons donc d'une certaine capacité à construire : nous devons l'utiliser dans le cadre de la résorption de ces habitats informels. Il nous faut accompagner les personnes sur de l'auto-construction et sur toute habitation qu'il est possible de régulariser. Il nous fut aussi trouver des solutions pour les populations immigrées, qui dans certains cas travaillent, parfois dans les collectivités.

Nous devons proposer toutes les formes innovantes. Il est important que la maison soit évolutive - les familles sont très nombreuses et beaucoup d'enfants arrivent au fur et à mesure - et qu'elle assure à chacun une qualité de vie.

Si nous construisons des cités qui ne sont pas du tout dans les normes de vie de la population, nous serons, à terme, confrontés aux phénomènes de bandes que l'on déplore dans l'Hexagone.

La Guyane est située sur le continent sud-américain, à côté du Suriname et du Brésil ; il existe divers matériaux de l'autre côté des frontières, qui sont parfois importés. Mais l'utilisation de plusieurs de ces matériaux n'est pas possible pour des raisons normatives. Il faut donc que nous puissions bénéficier d'un approvisionnement plus régional, ce qui diminuerait les coûts de construction.

L'enclavement du territoire fait que les coûts de construction sont souvent multipliés par deux, trois ou quatre, en fonction des territoires. Dans les communes de Grand-Santi, de Papaïchton ou de Maripasoula, l'acheminement de certains matériaux ne peut se faire que par pirogue. Lorsque du ciment est acheté à un prix supérieur à ceux pratiqués à Cayenne, et qu'il transite par le fleuve, son prix double, voire triple... C'est d'ailleurs valable pour les autres matériaux vendus dans ces communes.

Un travail doit être réalisé sur les normes pour que nous puissions utiliser les produits importés des pays voisins, et non d'Europe ou de France métropolitaine. Cela aurait le mérite de réduire notre impact carbone, et accélèrerait l'approvisionnement en matériaux. Nous devons parfois attendre six mois avant de recevoir des produits importés par bateau depuis l'Hexagone. Bon nombre de constructions sont ainsi ralenties, notamment les menuiseries aluminium...

Il est indispensable que nous bénéficiions d'un approvisionnement régional.

M. Pierre Papadopoulos . - La part de LBU sur le logement social était de 31 millions d'euros en 2020 ; en 2021, elle s'élève à 35 millions. Sur les 31 millions d'euros, 13 millions sont affectés sur le logement locatif très social (LLTS) et le reste est réparti sur le logement locatif social (LLS).

L'ingénierie publique est réservée aux collectivités. En matière de logement social, les opérateurs sont les bailleurs - ils ne posent d'ailleurs aucune difficulté en ce qui concerne l'ingénierie. L'autre partenaire est l'établissement public foncier et d'aménagement (EPFA).

L'ingénierie publique, en dehors du logement social, est nécessaire sur la partie ANRU pour les trois communes, et sur la partie résorption de l'habitat insalubre, ou dangereux (RHI) pour les deux EPCI.

Des moyens financiers existent, à l'ANRU, à l'ANAH et ailleurs. Il n'y a donc aucun problème à financer des postes au sein de ces collectivités, qu'il s'agisse de communes ou d'intercommunalités. Selon le maire de Matoury, avec qui j'ai récemment échangé, le problème est celui de l'attractivité des postes et de la capacité à recruter des cadres qui veulent bien intégrer les équipes et s'installer dans les communes.

J'insiste, le retard sur le logement social est lié non pas à des problèmes budgétaires, puisque nous recevons les ressources que nous demandons, mais à notre capacité à disposer de foncier aménagé - c'est un véritable facteur limitant ! Les acteurs du bâtiment suivent de toute façon.

Sur la question de l'habitat adapté, des évolutions sont à noter : des adaptations des modalités de financement pour la rénovation ou l'amélioration de l'habitat sont en cours. Pour notre part, nous aurons la responsabilité de revenir vers les collectivités, pour travailler sur l'adaptation de l'habitat.

La question de l'habitat léger pose un problème de fond : où est la limite entre l'adaptation et ce qui peut être perçu comme une sous-qualité ? On peut tout à fait réaliser de l'habitat adapté. Mais en quoi consiste-t-il ? En réalité, il est souvent perçu comme un habitat de moindre qualité. Les choses sont ici très délicates et devraient être discutées.

S'agissant des matériaux, je laisserai le représentant du bâtiment répondre. Le bois est un vrai sujet d'avenir pour la construction, largement partagé par la Collectivité territoriale de Guyane (CTG).

À la fin de l'année 2020, le programme régional de la forêt et du bois (PRFB) a été validé par le ministre, au titre d'une co-construction entre la CTG et l'État. Ce document introduit quelque chose de très important : un changement de paradigme sur la gestion du bois.

Aujourd'hui, le bois de construction provient de la forêt gérée par l'Office national des forêts (ONF). Le système d'exploitation du bois est très vertueux sur le plan environnemental, mais, sur le plan économique, il est peu pérenne - et c'est un euphémisme.

Le PRFB permettra de passer au stade des plantations le long de la bande littorale, d'ici 20 à 30 ans. Nous devrons cesser, à terme, de prélever dans la forêt.

Pour le moment, nous raisonnons en termes d'essences de bois : chêne, hêtre, pin, sapin... En métropole, les essences sont en nombre réduit, mais en Guyane ou aux Antilles il en existe des milliers : wacapou, amarante, angélique, etc. Désormais, nous n'allons plus raisonner par essences, mais par groupes d'essences partageant les mêmes caractéristiques techniques.

M. Hubert Gillet, chef de l'unité logement de la direction générale des territoires et de la mer (DGTM) de Guyane . - Je vais répondre aux questions sur la rénovation énergétique des bâtiments, ainsi que sur la mobilisation des aides de l'ANAH et des éco-prêts logement social (éco PLS).

Dans les départements d'outre-mer, l'ANAH intervient uniquement sur les projets des propriétaires bailleurs. Les projets des propriétaires occupants, quant à eux, sont financés par l'État au titre de la Ligne budgétaire unique (LBU).

J'observe que, en Guyane, l'ANAH n'est qu'à un dixième de son activité, par rapport au nombre de projets menés en métropole.

Des projets sont certes financés, mais il y a peu d'amélioration de l'habitat pour les propriétaires bailleurs. Les perspectives sont meilleures à Cayenne...

Les projets invitent à réaliser des travaux de rénovation, notamment d'isolation, de toitures et de chauffe-eau. Les choses sont faites ici avec plus de souplesse qu'en métropole, où les obligations sont strictes.

Le volume de travaux à faire dans le bâtiment est assez important. C'est pourquoi la rénovation énergétique n'est pas posée comme une obligation absolue pour accéder aux subventions.

Nous invitons aussi les propriétaires occupants à rénover leur habitat, en faisant des travaux d'isolation et de toitures. Nous pourrons aussi financer les projets des propriétaires occupants modestes : cela ouvre d'autres perspectives en termes d'amélioration.

Enfin, le dispositif MaPrimeRénov' concerne certains types de travaux très limités. Elle mériterait certainement d'être adaptée.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - J'entends à vos propos que la contrainte provient moins de l'accès au financement, de lenteurs administratives ni encore de l'ingénierie, mais de la gouvernance, en particulier du manque de coordination. Je comprends également qu'il faudrait changer de braquet, avec une politique spécifique pour la Guyane, en particulier pour les villes frontalières. Est-ce votre ressenti ?

Mme Sophie Charles . - C'est effectivement le cas. Cependant, l'ingénierie est problématique, car nous rencontrons les plus grandes difficultés à recruter des cadres : nous avons les financements, mais nos défauts d'attractivité font que nous manquons de candidats, ce qui entretient notre retard... et nos défauts d'attractivité, c'est une boucle, on le voit très bien par exemple pour le recrutement d'ingénieurs de travaux publics, les candidats préfèrent aller ailleurs que chez nous parce que nous n'avons pas assez d'équipements...que nous voulons leur faire construire. Le problème est très concret, il tient moins au financement qu'à des facteurs comme les équipements culturels, ou encore la distance - Cayenne est à 260 kilomètres, 3 h 30 de route de Saint-Laurent, ceci dans le même département... Je n'ai pas de visibilité sur la plateforme d'ingénierie, nous trouvons des ressources via l'AFD, mais pour recruter des techniciens, nous manquons de tout.

À Saint-Laurent-du-Maroni, 60 % de la population a moins de 20 ans, mais nous n'avons que 10 % de formation qualifiante sur le territoire, le reste se trouve à Cayenne ; le SMA ne peut pas absorber tous les besoins, il y a un déséquilibre flagrant : le système administratif ne suit pas, à cause des caractéristiques de notre territoire. Un exemple : nous avions besoin d'un quatrième réservoir pour le traitement des eaux usées, le dossier a pris quatre ans d'instruction, c'est bien plus qu'ailleurs, alors que notre situation évolue rapidement. Quand il faut aller vite pour répondre à des besoins croissants, nous ne pouvons pas suivre.

Mme Juliette Guirado, directrice de l'Agence d'urbanisme et de développement de la Guyane (AUDeG) . - L'Agence a été créée en 1978, pour assister les collectivités et l'État sur les enjeux d'aménagement du territoire ; nous avons mis en place trois observatoires, dont l'un est consacré à l'habitat, nous capitalisons les données locales et nationales et nous produisons les données locales manquantes. Nous intervenons sur le logement social, nous actualisons un atlas du logement social qui recense notamment les projets à venir - le territoire compte 20 200 logements sociaux, et il y a 6 500 logements en projet. Le logement social représente 18 % du parc total, aux deux tiers sur la Communauté d'agglomération du centre littoral (CACL) ; ce déséquilibre est connu, les acteurs locaux cherchent à rééquilibrer la répartition du logement social, en augmentant la part de la Communauté de communes de l'ouest guyanais (CCOG), en particulier à Saint-Laurent. Nous assistons les intercommunalités pour la réalisation et la révision de leur programme local de l'habitat (PLH), en particulier sur le volet de la lutte contre l'habitat indigne.

Nous travaillons avec l'État et les collectivités sur la question des loyers privés. Une mission de préfiguration d'un observatoire a été mise en place sur Cayenne, puis une expérimentation sur toute la Guyane l'année dernière, nous publierons prochainement une carte complète. Les loyers sont élevés, le loyer médian dans le privé atteint 15 euros du mètre carré, et la location atteint souvent 800 euros mensuels, c'est comparable à des métropoles comme Lyon ou Bordeaux. L'idée n'est pas d'encadrer les loyers comme cela se fait dans d'autres territoires, mais bien d'établir les données.

Nous travaillons sur l'urbanisation spontanée depuis une vingtaine d'années, avec le recensement de ce qui se construit sans permis, ces données ont été progressivement reconnues. Nous pointons les permis de construire et comparons ce qui se voit depuis le ciel, sachant que les périmètres varient selon les disponibilités aériennes. L'habitat spontané recouvre des réalités très diverses : des bâtis sont de très bonne facture, d'autres sont sommaires, certains sont habités, d'autres sont à usage agricole ; les situations foncières varient, de la construction individuelle sur son propre terrain à la construction sur un terrain loué. Les installations peuvent être intégrées, formant ici des poches urbaines, dessinant ailleurs du linéaire très étiré.

Ces disparités nous convainquent qu'il faut trouver des réponses au cas par cas et nous analysons en conséquence les secteurs pour identifier des zones critiques, prioritaires pour l'intervention publique : il y a les secteurs exposés à des risques, générant une inconstructibilité, d'autres qui cumulent plusieurs facteurs d'insalubrité, ce qui motive une action rapide : ces zones critiques représentent 4 % de l'urbanisation spontanée, c'est là qu'il faut agir en priorité. Nous actualisons ces données, pour voir quelles sont les premières tendances avant des visites de terrain. Les acteurs locaux confirment l'enjeu de connaissance, un repérage à la parcelle doit être exigé par les plans intercommunaux de lutte contre l'habitat indigne. Or, ce repérage ne peut être fait sur tout le territoire, faute de financement. Sur ces défis d'expertise, les collectivités n'ont donc pas toute l'information requise, ni les ressources pour les produire. Nous disons donc qu'il faut lancer un observatoire de l'habitat indigne en Guyane, un projet qui a déjà été programmé, mais pas mis en place.

Au-delà du recensement, nous avons besoin de mieux appréhender les habitants, leurs parcours résidentiels et leurs besoins, c'est un préalable indispensable à une réponse adaptée. Les quartiers évoluent très vite, je pense aux dernières opérations de destructions d'habitat spontané, qui ont provoqué des mouvements de populations et donc des évolutions rapides d'autres secteurs.

Sur le PLOM, il faudrait pouvoir identifier des chefs de file pour avancer sur les projets thématiques, avec des bilans annuels ; les crédits d'études ont été sous-utilisés, on a engagé 60 000 euros pour une enveloppe dix fois supérieure, alors que nos besoins de connaissance sont importants et que nous ne manquons pas de projets.

Le contexte évolue très vite, nous avons très peu de données de référence nationale, même les services de l'État ont du mal à disposer de tous les permis de construire, alors que c'est une obligation légale de les lui transmettre ; nous pallions le manque de données-socles et nous en produisons par nos propres moyens, ce qui est du reste plus adapté à la situation locale et à son évolution rapide.

Action Logement vient de conventionner avec notre agence pour une mission sur l'habitat informel, nous allons cibler les secteurs d'intervention ; l'aide financière peut atteindre 30 000 euros par ménage, c'est important. Nous avons souligné le manque d'outils de connaissance de l'habitat indigne, nous pourrions imaginer un fonds mutualisé pour la régularisation de l'habitat spontané, comme il en existe à La Réunion, car cet habitat spontané se développe souvent dans des secteurs voués à l'urbanisation - et il devient un obstacle à celle-ci, que l'on peut lever avec un fonds de mutualisation.

Je proposerai aussi de lancer le plan départemental de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI), qui n'existe que sur le papier en Guyane, c'est urgent. Dans son rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre montre qu'elle intervient déjà à La Réunion, nous pourrions imaginer une préfiguration en Guyane.

M. Jean-Jacques Stauch, directeur général de la Société immobilière de la Guyane et de la Société immobilière de Kourou . - La situation évolue vite en Guyane, avec un flux migratoire élevé et une démographie importante, nous passerons dans les prochaines années de 300 000 à 500 000 habitants, cela exige de l'aménagement urbain. Les deux sociétés immobilières que je dirige ont vocation à construire, mais aussi à accompagner les collectivités dans l'aménagement du territoire. Nous allons construire 15 000 logements dans les dix prochaines années, avec un effort particulier dans l'Ouest guyanais, où l'habitat insalubre prolifère rapidement.

Le logement social a un bon bilan, nous émargeons aux financements, les collectivités nous accordent leurs garanties. Cependant, nous devons gérer l'habitat informel, qui ne rentre dans aucune case administrative, alors qu'il abrite 40 000 personnes - c'est particulièrement là que nous avons besoin de solutions innovantes. L'habitat spontané se développe dans des secteurs à urbaniser, cela suppose un relogement avant d'urbaniser, à travers un aménagement allégé.

Le premier sujet est donc l'accès au foncier à aménager, il faut adapter nos catégories, nous proposons la définition de zones d'aménagement allégé, avec des constructions alternatives pour le relogement, vers le logement locatif très social allégé. Il nous faut construire 1 500 logements par an, la difficulté est foncière et dans les procédures, plutôt que dans les financements. Il nous faut également former aux métiers du bâtiment, les jeunes ne trouvent pas d'emploi alors que les besoins sont considérables.

M. Olivier Mantez, directeur de Nofrayane et président de la cellule économique régionale de construction Guyane . - Nous avons milité pour la création de l'Opération d'intérêt national (OIN), cela a pris du temps, tout est désormais en place : 24 zones sont prévues avec 21 000 logements, il faut maintenant les mettre en oeuvre. Il n'y aurait pas de problème de budget ? Probablement dans le format actuel, mais avec sept opérations simultanées, qu'en sera-t-il ? Nous avons des bureaux d'études, des entreprises guyanaises, donc des emplois en Guyane quand nous construisons. Notre inquiétude, c'est le changement de braquet. J'entends qu'on pourrait étudier encore, mais cela fait vingt ans qu'on étudie la situation - on peut toujours en connaître davantage, mais je crois que notre besoin est plutôt du côté de la construction. Nous le voyons sur le terrain : tous les jours, de nouvelles personnes arrivent, le foncier disponible est grignoté par l'habitat insalubre ; ce qu'il faut faire rapidement, c'est augmenter le nombre de logements, avec des opérations pour reloger les personnes qui se sont installées spontanément.

Nous avons des propositions pour des constructions plus économiques, mais attention, ne nous ne faisons pas trop d'illusions sur notre capacité à récupérer les logements déjà construits en désordre, il faut de la cohérence dans les réseaux, en particulier d'internet.

Cette OIN sur 24 zones est un succès pour la Guyane, nous sommes prêts à construire, nous sommes équipés pour le faire : il faut avancer, en faisant peut-être davantage appel au privé. Le centre spatial guyanais montre l'exemple sur ce point, en recourant beaucoup au privé.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Quel est le prix moyen du mètre carré construit en Guyane ? Et le prix du mètre carré loué ? J'ai entendu que le loyer médian serait de 15 euros le mètre carré : avec 6 000 logements vacants, comment est-ce possible ?

Il faut changer de braquet, cela s'entend, et vous dites qu'il faudrait recourir davantage au privé : comment le faire ?

Comment s'est passé le rachat, par la Caisse des dépôts et consignations, des sociétés immobilières SIMKO et SIGUY ? Le CNES est-il toujours partie prenante ?

En matière d'urbanisme, y a-t-il des PLH intercommunaux pour garantir les emprunts ? Avez-vous des problèmes de financement ou bien pour établir des documents d'urbanisme ? Et quelle est l'application de la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU) ?

Enfin, quelle est l'économie de l'OIN ? Pour construire autant de logements en si peu de temps, comment fait-on ?

M. Pierre Papadopoulos . - Il faut passer à l'opérationnel, effectivement, ce qui suppose le relogement des personnes sorties des squats. Nous lançons un appel à projets, pour un relogement très simple, rapide.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - La loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, vous aide-t-elle à déloger les occupants sans titre, en particulier par son mécanisme d'incitation financière à quitter les lieux ?

M. Pierre Papadopoulos . - Nous n'avons pas envisagé d'y recourir, d'autant qu'il est probable que nombreux soient, parmi les squatteurs, des étrangers en situation irrégulière. Nous allons solliciter les opérateurs immobiliers pour des réponses. Ensuite, nous n'allons pas lancer les 24 zones de l'OIN simultanément, mais nous allons inviter le prochain conseil d'administration à les hiérarchiser, avant d'y lancer les appels d'offres. Nous avons aussi bien l'intention de nous focaliser d'abord à l'ouest du territoire.

M. Jean-Jacques Stauch . - Je souhaite vraiment, pour le BTP, qu'une action foncière soit lancée dans au moins cinq à sept zones simultanément. Les quelque 1 600 logements que nous construisons annuellement sont principalement financés par le privé, mais il faut une action foncière de l'établissement public foncier, c'est déterminant.

L'inclusion de la SIMKO et de la SIGUY dans CDC Habitat s'est bien passée, elle a apporté des outils nouveaux pour mobiliser mieux les ressources locales de construction. Le centre spatial est sorti du capital, mais il est resté censeur, Kourou s'est séparé de 30% du capital.

Nos logements neufs sortent à 2 400 euros du mètre carré, et à 2 150 euros en surface financée.

Pour les loyers dans le logement social, nous sommes à 5 euros le mètre carré sur les logements très sociaux, 6,50 euros sur les loyers sociaux et 9 euros sur le prêt locatif social, pour un parc d'environ 16 000 logements. La vacance est à un niveau élevé, mais il faut compter qu'un opérateur a 800 logements vacants, c'est un cas particulier qui compte dans la statistique.

J'insiste sur ce message : pour bien construire, il faut mobiliser le foncier dès maintenant.

Mme Sophie Charles . - J'espère que ces débats auront une suite positive. Le PLOM est méconnu, les élus n'en perçoivent pas la déclinaison, cela manque. Il faut attirer davantage de cadres du secteur du logement, nous manquons d'ingénierie.

M. Victorin Lurel , rapporteur . - Comment s'applique la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) ? Comment parvenez-vous à établir les documents d'urbanisme ?

Mme Sophie Charle s. - Nous sommes au début du PLH sur la CCOG. Nous avons des difficultés lors des expulsions de squat, les procédures sont longues, ce qui a d'autant plus d'inconvénients que la situation évolue très vite : on lance une procédure pour l'expulsion de dix squatteurs, mais le temps qu'elle aboutisse, ils sont cent ou même deux cents sur le terrain... Ceux qui organisent les squats connaissent bien les institutions ; sachant par exemple qu'il n'y a pas d'intervention le week-end, ils investissent le terrain le vendredi soir et construisent très vite, avec installation des premiers locataires le lundi matin... Il est très difficile de stopper les constructions illégales.

M. Pierre Papadopoulos . - Sur l'ensemble de la Guyane, un seul PLH est opératoire.

Mme Juliette Guirado . - Effectivement, sur les trois EPCI compétents, un seul a réalisé un PLH, un autre commence, le troisième n'a pas démarré.

Les loyers privés sont de l'ordre de 15 euros le mètre carré. En réalité, le marché est très différencié. Le prix médian des terrains à bâtir est de 63 euros le mètre carré, avec de fortes différences ; les maisons se vendent facilement à plus de 200 000 euros.

Nous recensons le foncier aménageable et disponible, c'est obligatoire de le faire dans le cadre du PLH.

M. Stéphane Artano . - Je suis frappé par la question récurrente de l'ingénierie, je me demande si le nouveau PLOM ne devrait pas en faire un volet spécifique. Je suis surpris aussi par la méconnaissance du contenu du PLOM par les élus locaux, il faut le faire connaître. Merci aussi de nous faire suivre toutes les contributions écrites que vous jugerez nécessaires.

Mme Annick Petrus , présidente . - Merci à tous, nous voyons qu'il faut chercher des adaptations pour trouver des solutions.

Jeudi 27 mai 2021

Audition de M. Thierry DURNERIN, directeur général, Mme Caroline ACOSTA, chargé de mission Ingénierie territoriale et outre-mer et M. Philippe CLEMANDOT, responsable du département Immobilier et Développement de la Fédération des entreprises publiques locales (EPL)

Mme Vivette Lopez , présidente . - Monsieur le président, Monsieur le directeur général, Madame, Monsieur, Mes chers collègues. La présente audition est organisée dans le cadre de l'étude de la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur la situation du logement, dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel. Le président de la délégation Stéphane Artano participera à nos travaux en visio-conférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, et j'ai l'honneur de le remplacer au Sénat pour cette séance.

La Fédération des entreprises publiques locales (EPL) a souhaité être entendue par notre délégation car elle est l'un des acteurs importants du logement en outre-mer. Signataire du nouveau Plan Logement outre-mer (PLOM) 2019-2022 au niveau national, cette fédération représente plus de 1 300 entreprises qui sont au coeur de l'action publique locale. Une centaine est implantée en outre-mer, où la fédération connaît une forte croissance depuis quelques années. Plus de 130 000 logements sociaux sont gérés par des sociétés d'économie mixte immobilières, soit 70 % du parc social en outre-mer, tous opérateurs confondus, et vous représentez 22 % du parc des sociétés d'économie mixte (SEM) immobilières.

Nous remercions vivement Thierry Durnerin, directeur général de la Fédération des EPL, Caroline Acosta, chargée de mission Ingénierie territoriale et outre-mer et Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et Développement, d'être présents aujourd'hui pour répondre aux questions de nos rapporteurs et de nos collègues. Nous approchons du terme de notre programme d'auditions qui doit aboutir à la présentation du rapport de la délégation le jeudi 1 er juillet, au lendemain des élections régionales. Cette audition est enregistrée et sera visible sur le portail vidéo du Sénat.

M. Thierry Durnerin, directeur général de la Fédération des entreprises publiques locales (EPL) . - Je vous remercie de votre accueil et de nous recevoir aujourd'hui.

Une entreprise publique locale est une société anonyme régie pour l'essentiel par le droit commercial et celui des entreprises privées tant pour la gestion de leur personnel que de leur comptabilité. Ce sont des entreprises publiques car leur actionnariat est obligatoirement détenu de manière significative par des acteurs publics : collectivités locales, État, Caisse des dépôts et consignations et ses filiales. Ce sont également des entreprises locales car elles sont dédiées à la cohésion et à l'attractivité des territoires sur lesquels elles sont créées.

Il y en a environ 1 300 en activité aujourd'hui en France dont une centaine dans les outre-mer, soit une proportion considérable au regard du poids des outre-mer en termes de population et de poids économique sur la métropole. Depuis les lois de départementalisation de 1946, l'État et les collectivités locales ont toujours souhaité miser sur ces entreprises publiques locales en considérant qu'elles étaient un mode d'intervention particulièrement adapté à chacun de ces territoires. Elles permettent de disposer d'un management d'entreprises au sein de la sphère publique. Cette dynamique est toujours forte aujourd'hui et il continue de se créer des EPL dans tous les outre-mer.

Dans le contexte actuel, il est important de disposer d'une réactivité de la gestion d'entreprise sous l'impulsion d'une volonté publique. Cette gestion d'entreprise, réactive, anticipatrice au sein de la sphère publique, garante d'une vision de long terme et de l'intérêt général, correspond aux besoins actuels. Une EPL peut solliciter toutes les offres disponibles dans un établissement bancaire car elle y place toute sa trésorerie, au contraire d'une collectivité locale. Les EPL sont ainsi des démultiplicateurs de la commande et de l'investissement publics.

Les EPL sont une marque qui regroupe deux grandes familles de statuts : les sociétés d'économie mixte (SEM) qui existent depuis une centaine d'années en France, et dont l'actionnariat est détenu majoritairement par des acteurs publics et les sociétés publiques locales (SPL), 100 % sociétés anonymes mais détenues à 100 % par des acteurs publics, les collectivités locales.

Une centaine d'EPL sont actives dans les outre-mer parmi lesquelles une quinzaine de bailleurs sociaux présents dans tous les départements d'outre-mer (DOM) et en Nouvelle-Calédonie : la plus ancienne, la société immobilière du département de La Réunion, est apparue dès la promulgation des lois de décentralisation, en 1946, et les plus récentes dans les années 2000-2010. Je pense notamment à la société immobilière de Mayotte. Ces quinze bailleurs sociaux représentent un parc de 110 000 logements et en mettent chaque année en chantier près de 4 800. Ces SEM sont les principaux acteurs du logement social en outre-mer où elles représentent 70 % du parc social. Leur maîtrise par les collectivités locales et leur management d'entreprise collent à la réalité de chaque territoire. Ainsi, la Société immobilière de Mayotte propose des logements locatifs très sociaux permettant d'accueillir des familles très nombreuses. La Société immobilière de Martinique a développé pour sa part depuis quelques années une activité de construction et de gestion de logements dédiés aux seniors.

La force de ces EPL est d'offrir un parcours résidentiel complet et sur mesure, allant du logement très social à l'accession à la propriété, pour tous les types de demandeurs, des familles aux personnes isolées, des étudiants aux personnes handicapées. Un des points forts des EPL est de se positionner vis-à-vis des pouvoirs publics comme un guichet unique, et de proposer un savoir-faire qui va au-delà d'un métier spécifique. Beaucoup d'EPL dans les outre-mer ne se limitent pas à être bailleurs mais proposent également de la promotion, de l'aménagement, du développement économique, de la gestion des pieds d'immeubles, et même des activités touristiques comme la SEM d'aménagement de Guadeloupe. Cette structuration permet d'éviter l'atomisation des outils et de répondre, à travers une seule entité bien structurée, à toutes les demandes.

La fédération des EPL, qui existe depuis 1956, est une fédération d'élus qui dispose d'une présidence tournante entre toutes les sensibilités politiques. Le poids des EPL d'outre-mer au sein de la fédération a abouti au développement d'activités uniquement ciblées sur les outre-mer : une commission dédiée, un congrès des EPL d'outre-mer qui a lieu tous les deux ou trois ans et qui se tiendra cette année du 27 novembre au 2 décembre 2021 en Guadeloupe et à Saint-Martin, et un dialogue permanent avec l'ensemble des pouvoirs publics : Gouvernement et Parlement. Caroline Acosta, chargée de mission Ingénierie territoriale et outre-mer pour la fédération des EPL, est en charge de ce dialogue. Elle s'est déplacée récemment dans toute la zone Caraïbe et pourra répondre à vos questions. La fédération a également développé une action forte pour les outre-mer en liaison avec la Caisse de garantie du logement locatif social souvent présente auprès des bailleurs sociaux en outre-mer. Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et Développement économique de la Fédération des EPL a été de nombreuses années directeur des aides à la Caisse de logement locatif social et il pourra vous la présenter.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour votre propos liminaire. Dans le contexte pandémique actuel, constatez-vous un impact sur le coût de matériaux de construction ? Si oui, cette situation risque-t-elle d'accroître les difficultés des bailleurs ultra-marins qui souffrent d'une insuffisance de fonds propres ? Comment anticiper ces difficultés potentielles à venir ?

Lors des auditions précédentes, le manque de foncier aménagé a été souligné. Le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) est-il suffisant pour y pallier ? Est-il assez utilisé et quels seraient les freins à sa sous-utilisation ?

La loi 4D propose une prolongation des agences des 50 pas géométriques. Leur travail est-il utile ou faut-il changer l'organisation actuelle ?

Comment serait-il possible de diminuer les délais d'attente pour l'attribution des logements locatifs très sociaux (LLTS) et en augmenter l'offre alors que les demandes pour ce type de logements sont très élevées dans certaines collectivités d'outre-mer ? Les quotas actuels ne permettent pas d'augmenter ce type d'offres.

Concernant la résorption de l'habitat insalubre (RHI), que pensez-vous de la généralisation de l'expérience du permis à louer ? Une taxe sur les logements vacants doit-elle être mise en place, alors qu'un rapport estime à 30 000 le nombre de logements vacants ou considérés comme indignes, par exemple en Martinique ?

M. Thierry Durnerin . - Madame la sénatrice, la crise sanitaire a certainement provoqué une augmentation du coût des matériaux, mais la fédération des EPL a identifié depuis longtemps l'existence de normes nationales et européennes - mais l'Europe est parfois un alibi facile - qui rendent obligatoire le recours à des matériaux qui ne sont pas disponibles à proximité dans les outre-mer et qu'il faut importer à des coûts considérables. Des matériaux souvent mieux adaptés aux besoins à satisfaire sont pourtant disponibles et moins onéreux dans les territoires d'outre-mer et les territoires limitrophes. C'est un sujet d'actualité de notre point de vue et aucune réponse satisfaisante n'y a jamais été apportée.

M. Philippe Clemandot, responsable du département Immobilier et Développement de la Fédération des entreprises publiques locales (EPL) . - Sur les problématiques de foncier, le FRAFU n'est effectivement sans doute pas suffisamment utilisé. D'autres outils pourront l'être en outre-mer, telles que les Opérations de revalorisation du territoire (ORT) ou les opérations de restauration immobilière (ORI), qui pourraient résoudre les opérations de RHI dans les quartiers difficiles.

Les bailleurs souhaitent à éviter la vacance des logements car elle engendre des pertes financières. Mais l'offre produite est souvent refusée dans le cadre des commissions d'attribution de logements et d'examen de l'occupation des logements (CALEOL). Une mutualisation est donc souhaitable entre les bailleurs. Le taux de rotation dans les LLTS est faible en raison d'une demande plus importante que l'offre. Il faut donc en effet en construire davantage. Mais le pourcentage des LLTS reste faible dans les opérations réalisées, car les bailleurs ont intérêt à équilibrer économiquement leurs opérations pour préserver une bonne gestion. Les LLTS demandent davantage de fonds propres pour équilibrer les opérations.

Mme Caroline Acosta, chargée de mission Ingénierie territoriale et outre-mer pour la fédération des EPL . - Notre fédération travaille en étroite collaboration avec les agences des 50 pas géométriques en Martinique et en Guadeloupe, de même que les SEM immobilières et d'aménagement. Nous sommes également partenaires des activités en lien avec les prémices du PLOM 2. Nous n'avons donc pas à nous prononcer sur leurs modalités de fonctionnement, mais il serait intéressant de se pencher sur leur avenir, particulièrement dans le cadre du PLOM.

J'ai récemment effectué une tournée de l'ensemble de nos EPL dans les Caraïbes, à Saint-Martin, en Martinique et en Guadeloupe, pour terminer en Guyane. Nous avons créé une fédération régionale des EPL de la Caraïbe pour porter l'économie mixte locale et nous faire remonter l'information, d'un point de vue politique de la part des élus administrateurs de nos EPL, et d'un point de vue professionnel de la part de nos directeurs.

Notre objectif est également d'organiser pour la fin de cette année une conférence des EPL d'outre-mer. À Saint-Martin, J'ai rencontré la SEMSAMAR, et dans le cadre de cette conférence, des visites de terrain seront organisées sur les sujets de l'immobilier et de l'aménagement. Nous avançons sur la problématique de la reconstruction - conséquence de l'ouragan Irma en septembre 2017 - et de la mise en place de « safety rooms » dans les logements pour prévenir les tempêtes futures. Autant d'éléments d'information qu'il sera important de porter à la connaissance de l'ensemble des membres de notre fédération. Il en est de même pour les normes parasismiques.

Les entreprises qui sortent difficilement de la crise ont besoin d'un accompagnement et de l'aide de la commande publique. Nos sociétés accompagnent les actions de l'État sur les territoires ultramarins dans le cadre des programmes « action coeur de ville » et « petites villes de demain » mais aussi via le PLOM en étant, avec nous, signataires localement. Une partie ingénierie technique et financière peut également être mise à disposition en amont par les EPL pour les collectivités locales des territoires ultra-marins. C'est leur point fort tant en métropole qu'en outre-mer.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - En Guadeloupe, le conseil départemental et la caisse d'allocations familiales (CAF) sont co-financeurs des LLTS. Quels organismes pourraient également les accompagner pour construire davantage de logements très sociaux alors que le besoin est immense dans les territoires d'outre-mer ?

Nous avons également constaté lors de nos auditions le manque d'accompagnement de certains élus locaux ultra-marins dans leurs projets d'ingénierie, et même d'aménagement du territoire plus globalement, comme à Saint-Laurent-du Maroni en Guyane. La fédération des EPL peut-elle aider à la mise en place de Plan local d'urbanisme (PLU) dans ces collectivités ?

Mme Vivette Lopez , présidente . - Les collectivités locales ne sont pas toujours associées à la politique du logement. Une plus forte territorialisation est-elle possible ? Comment améliorer le pilotage et la coordination des acteurs locaux ? Quel cadre, communal, intercommunal ou départemental, convient le mieux ?

M. Thierry Durnerin . - Je ne vois pas d'outils garantissant davantage aux élus d'être à la manoeuvre qu'une EPL dans laquelle les collectivités locales sont les actionnaires de référence, et où elles sont obligatoirement représentées dans la gouvernance par des élus locaux eux-mêmes sans possibilité de remplacement par un ancien élu, un cadre territorial, aussi brillant soit-il ou une personnalité locale. La réponse des entreprises publiques locales est la plus pertinente en matière de décision, de conception stratégique, de mise en oeuvre et d'impulsion. De plus, il a été réaffirmé dans la proposition de loi du sénateur Hervé Marseille, adoptée à l'unanimité par le Parlement en 2019, que des collectivités locales de différentes strates avaient la possibilité d'être actionnaires de la même SEM dans la mesure où chacune d'entre elles détient au moins une des compétences figurant à l'objet social de cette société. Lorsqu'une stratégie a été définie, les SEM et les SPL sont de très bons outils de coopération et de mutualisation public-public pour les collectivités territoriales, quelle que soit leur taille. Par exemple, à La Réunion, nous observons une rationalisation du tissu des SEM parce qu'elles sont un bon outil de mutualisation.

Il revient enfin aux élus de s'investir dans le fonctionnement d'une SEM. La simple création n'est pas une fin en soi. Ainsi, la fédération a développé une action d'accompagnement permanente des élus présidents ou administrateurs d'EPL. La fédération est également un réseau d'élus. Lorsqu'ils souhaitent échanger, mutualiser, défricher de nouveaux sujets, nous leur offrons des espaces dédiés.

M. Philippe Clemandot . - Certaines communes ne sont en effet pas en mesure de se doter de PLU. La mutualisation peut être une réponse de même que le fait de pouvoir s'appuyer des compétences techniques. La coopération intercommunale est la meilleure réponse à apporter.

Il est vrai que le PLOM 1 a été très insuffisant sur le sujet des LLTS. Les premiers résultats du PLOM 2 sont plus encourageants. Huit SEM outre-mer sont maintenant adossées à des investisseurs institutionnels comme CDC Habitat ou Action logement immobilier. Cela a généré des recapitalisations assez fortes qui permettront l'apport de fonds propres sur certaines opérations qui n'existaient pas précédemment. L'offre en LLTS pourra se développer même si elle ne pourra pas répondre à toute la demande, alors que 80 % des populations ultra-marines sont éligibles au logement social. Pour conclure, le crédit d'impôt présente plus de facilités que la défiscalisation précédemment.

M. Guillaume Chevrollier . - Les délais de réalisation des EPL sont-ils les mêmes que les opérateurs privés qui interviennent en outre-mer ? Existe-t-il une coopération et une complémentarité entre EPL et promoteurs privés, particulièrement dans des situations où il faut faire face à des obligations de reconstruction, comme ce fut le cas à Saint-Martin. Il semble que la reconstruction a été plus rapide sur l'île voisine de Saint-Barthélemy.

M. Philippe Clemandot . - Le recours à des modes d'intervention moins traditionnels comme la vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) ou la conception-réalisation peut être parfois une solution. Mais la réactivité des entreprises du BTP est primordiale. Sur les délais de construction, il n'existe pas de solution idéale. Il faut pouvoir contractualiser et réaliser rapidement. Certaines lourdeurs administratives sont encore corrélées au métier de maître d'ouvrage, même si certains dispositifs permettent d'aller plus vite.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Certaines petites communes d'outre-mer ne sont pas en mesure d'offrir un parc de logements sociaux suffisants, en raison d'un problème de foncier, et peuvent être sanctionnés pour ne pas avoir atteint les quotas établis par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). D'autres collectivités font face à des besoins en logement social mais également intermédiaire avec l'obligation de construire des infrastructures scolaires et des logements pour les professeurs. La loi SRU devrait-elle s'adapter à la situation spécifique des territoires ultra-marins ?

M. Thierry Durnerin . - Des initiatives peuvent en effet être prises en ce sens alors que le Sénat va être très prochainement saisi par un projet de loi qui souhaite privilégier la différenciation.

M. Stéphane Artano . - Je n'ai pas de question supplémentaire. Je connais bien la fédération des ELP que j'ai sollicitée dans le cadre de mes activités professionnelles sur des questions juridiques lors de la mise en oeuvre des Sociétés publiques locales (SPL) qui sont des outils de portage d'investissement et d'activité dans la politique en faveur du logement. Je connais l'implication de la fédération sur ces sujets en outre-mer et sa veille législative sur l'évolution des dispositifs, et je suis satisfait qu'elle soit associée aux réflexions menées par le Gouvernement sur les 2 PLOM. Il est important que les habitants d'outre-mer puissent bénéficier de structures comme les EPL en matière de logement social.

Mme Vivette Lopez , présidente . - Merci, Monsieur le président, Monsieur le directeur général, Madame Acosta et Monsieur Clemandot. Avant de lever la séance, je souhaite vous informer qu'une réunion exceptionnelle se tiendra le 1 er juin, à 16 heures, salle Médicis. Le ministre calédonien en charge du logement, Vaimu'a Muliava, qui devait être auditionné au mois de mars par notre délégation, est actuellement à Paris en raison des réunions menées par le ministre Sébastien Lecornu sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Vaimu'a Muliava rencontrera le 1 er juin Gérard Larcher, président du Sénat, et souhaite rencontrer les membres de notre délégation sur le thème du logement. Il pourra exposer la politique calédonienne, notamment sur l'adaptation des normes et la promotion d'un habitat océanien dans toute la zone Pacifique.

Mardi 1er juin 2021

Audition de M. Vaimu'a MULIAVA, ministre en charge du logement dans le 16e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Mme Vivette Lopez , présidente . - J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano qui est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et qui participe à nos travaux en visioconférence.

C'est une réunion exceptionnelle car nous accueillons Vaimu'a Muliava, ministre en charge du logement dans le 16 e gouvernement calédonien, puisque, comme vous le savez, le nouveau gouvernement n'a pas encore été constitué.

Nous aurons toujours beaucoup de plaisir à entendre des représentants de la Nouvelle-Calédonie dans notre délégation. L'actualité a conduit Vaimu'a Muliava à Paris à l'occasion des échanges organisés par le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu. Il doit également rencontrer le président Gérard Larcher tout à l'heure au Petit Luxembourg.

Nous avions envisagé de l'entendre dès mars dernier dans le cadre de notre étude sur la situation du logement dans les outre-mer. Cette audition n'a pu se faire, même si nous avons recueilli auprès des services territoriaux des éléments très intéressants concernant les spécificités de ce territoire.

Comme je l'ai indiqué lors de notre dernière réunion, nous approchons du terme de notre programme d'auditions sur la situation du logement dans les outre-mer. Les rapporteurs Guillaume Gontard, sénateur de l'Isère, Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy et Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ont accompli un travail considérable qui doit aboutir à la présentation de leur rapport le jeudi 1 er juillet.

Dans le cadre de nos auditions, nous avons tenu à organiser de nombreuses tables rondes territoriales pour aller au plus près des réalités du terrain. Nous avons ainsi pu échanger avec des acteurs majeurs du logement à Mayotte, en Polynésie, à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guadeloupe et en Guyane. Aujourd'hui nous allons être immergés dans les belles eaux du Pacifique et les problématiques de la Nouvelle-Calédonie qui, compte tenu de son statut, a pu innover, notamment en matière de référentiel de normes et de bonnes pratiques.

Monsieur le Ministre, je vous remercie encore chaleureusement pour votre disponibilité à vous exprimer sur les dossiers que vous connaissez bien et sur lesquels vous souhaitez nous apporter votre expérience.

Avant de vous donner la parole, Monsieur le ministre, le président Stéphane Artano va vous adresser quelques mots.

M. Stéphane Artano . - Je vous remercie, chère Vivette Lopez, de me suppléer pour cette séance. Merci Monsieur le ministre de nous donner l'occasion de vous auditionner dans le cadre de cette étude. Nous avions effectivement obtenu un certain nombre d'informations. Il nous paraissait indispensable de profiter de votre passage à Paris, qui est un événement important pour la Nouvelle-Calédonie et pour la France, afin de vous entendre. Je me réjouis de votre présence et j'en profite pour vous demander de m'excuser auprès du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. En effet, j'ai reçu une invitation pour la clôture des consultations organisées par le ministre des outre-mer. Étant à 5 000 kilomètres de Paris, il ne m'est pas possible d'être à vos côtés et je le regrette.

Je ne vais pas être plus long car vous avez des éléments très intéressants à nous faire découvrir sur la politique du logement en Nouvelle-Calédonie. Sans plus tarder, je rends la parole à Vivette Lopez. Soyez, Monsieur le ministre, le bienvenu dans la salle Médicis du Sénat.

M. Vaimu'a Muliava, ministre en charge du logement dans le 16 e gouvernement de la Nouvelle-Calédonie . - Monsieur le président, je vous adresse mes salutations et mes respects les plus appuyés, malgré votre éloignement. Par la magie du numérique et du digital dont j'ai aussi la charge en Nouvelle-Calédonie, vous êtes bien là et je vous remercie, comme nous le disons en Nouvelle-Calédonie, « d'être là et d'être en vie ». En effet, les anciens avaient postulé que si l'autre n'est pas, on ne peut pas exister.

Je vous remercie, Madame la sénatrice, d'être présente physiquement et de représenter le président.

Mes salutations et mes respects les plus profonds s'adressent aussi aux sénatrices et aux sénateurs qui sont présents au Sénat ou en visioconférence.

Je vous remercie d'accorder un moment à notre « petit bocal à poissons » situé à 18 000 kilomètres. Votre actualité est beaucoup plus chargée que la nôtre même si parfois tout est décuplé dans un bocal à poissons. Ce qui relève du détail prend alors des dimensions importantes.

J'ai décidé d'optimiser mon passage à Paris. À force de travailler sur les conséquences d'un « oui » ou d'un « non » au prochain referendum, j'avais besoin de parler de problématiques structurantes pour ce pays et de donner corps à un discours politique. Le sujet du logement est particulièrement important parce qu'il représente le prolongement de la terre, et que nous nous identifions à l'endroit où nous habitons. C'est souvent aussi le premier poste de dépenses d'une famille.

J'ai prévu de vous présenter deux courtes vidéos qui vous montreront pourquoi nous nous sommes saisis de ce sujet avec Djamil Abdelaziz de la Direction des achats du patrimoine et des moyens du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes partis du constat que les images étaient parfois plus efficaces que les discours. Le premier module porte sur des acheteurs de logements sociaux devenus insalubres. Ce sont souvent des familles modestes, qui avant de prendre leur retraite, décident de consacrer une part très importante de leur budget à l'acquisition d'un logement. Or, ce qui relevait d'un rêve est devenu pour certains un cauchemar.

Projection de la vidéo « Les habitants des Hauts de Marconi dénoncent toujours les malfaçons ».

M. Vaimu'a Muliava . - Les images parlent d'elles-mêmes. La Société immobilière calédonienne (SIC) est l'un des trois bailleurs sociaux de la Nouvelle-Calédonie avec la SEM Agglo et le Fonds social de l'habitat (FSH). Ce dernier est l'équivalent d'Action Logement dans l'Hexagone et collecte non pas le « 1 % logement » mais 2 % prélevés sur les feuilles de paie des salariés au titre du FSH.

Ce sont des habitants modestes, pour certains défavorisés, qui ont acquis ces biens. Je me suis emparé de ce problème en réfléchissant sur les moyens de sortir de ce cercle vicieux dans lequel la Nouvelle-Calédonie s'est engagée depuis plus de dix ans. Par ailleurs, nous n'avons pas de crédits d'impôt et nous bénéficions de la solidarité nationale via les dispositifs de défiscalisation qui nous permettent de produire du logement social. Vous venez de voir comment sont utilisés ces dispositifs.

Je me suis également interrogé sur la manière de respecter cette solidarité nationale en optimisant les sommes qui nous sont allouées. L'objectif fondamental, comme j'ai pu le dire dans nos discussions sur les conséquences du « oui » ou du « non », ce n'est plus le montant des investissements mais comment nous les utilisons pour remplir notre mission de service public. L'exemple des Hauts de Marconi illustre cette politique de logements compulsive. Ces logements ne correspondent pas aux besoins de leurs habitants qui sont en majorité des Océaniens.

Logerions-nous un lion dans un igloo ou donnerions-nous une banane à un requin ?

Plutôt que d'adopter une stratégie de production de logements, nous devons être orientés vers les usagers et vers l'environnement. Le logement n'est que l'aboutissement d'une réflexion sur la chaîne de valeur de l'habitat et de l'urbanisme. J'ai décidé d'appréhender la question du logement, comme l'un des maillons de cette chaîne de valeur, depuis la production, qui doit répondre à des normes de qualité, jusqu'à l'usager. Le produit doit correspondre à ses besoins primaires mais aussi culturels. Pour fonctionner, tout concept doit s'inscrire et se développer sur son terrain. Nous n'allons pas planter un cocotier en pleine neige, cela n'aurait pas de sens ! Or, c'est pourtant ce que nous avons fait pendant des années.

Je cherche à sortir de ce cercle vicieux et à appréhender la question du logement dans une chaîne de valeur globale, tournée vers la performance. Dans notre contexte budgétaire contraint, la performance n'est plus une option, c'est une nécessité.

Vous vous demandez quel est le rapport avec le référentiel de construction. Dans ce cercle vertueux, nous avons essayé de rassembler tous les acteurs du logement, depuis le maçon jusqu'au maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre jusqu'au consommateur. Nous avons réuni tous ces acteurs pour les emmener vers la qualité et le respect des normes. Comme la Nouvelle-Calédonie est une petite île, il était hors de question de nous lancer dans de grands travaux sur les normes qui exigent des moyens, des laboratoires comme le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et des personnels formés. Par ailleurs, mes prédécesseurs ont toujours abordé la question des normes d'une manière « top/down », c'est-à-dire des normes vers les produits. Or, cette approche n'a jamais été efficace. En effet, importer des normes australiennes n'a aucun sens puisque nous sommes de culture technique française. Nous avons décidé d'adopter une démarche « bottom/up » et de travailler sur un référentiel de construction portant sur la qualité intrinsèque des produits et, à partir de ces éléments, sur une analogie avec les produits australiens ou néo-zélandais pour nous inscrire dans la région, tout en sachant que cette approche nous ramènerait vers le « grand arbre » des normes. Elle fonctionne plutôt bien et notre statut nous a permis de mettre en oeuvre nos propres lois. Nous avons ainsi une action systémique et non pas isolée et une montée en compétences des acteurs de la construction. Nous avons également travaillé avec les assurances pour qu'elles se saisissent de ce sujet, avec les importateurs de produits qui doivent aussi respecter ce référentiel de construction et enfin avec les consommateurs.

La deuxième vidéo que je vous propose présente l'appropriation de la démarche par les parties prenantes.

Projection de la vidéo « Agrément des matériaux et procédés de construction ».

M. Vaimu'a Muliava . - J'ai évoqué une démarche « bottom/up » avec les acteurs qui remontent leurs problématiques et nous aident à définir les politiques publiques. Tous les acteurs de cette filière de la construction se sont saisis de la question. Cela n'a pas été facile, mais quand ils ont vu des documents comme Les Hauts de Marconi , ils ont eu à coeur de changer l'image donnée par leur métier. Les bailleurs sociaux se sont aussi inscrits dans cette démarche qualitative, notamment le Fonds Social pour l'Habitat (FSH).

Nous avons un statut particulier et j'ai choisi d'exploiter cette liberté législative et réglementaire pour mettre en place trois axes : des exigences de qualification pour l'exercice des professionnels de la construction ; l'adoption de normes techniques adaptées à la Nouvelle-Calédonie et la mise en place d'un processus d'agrément des matériaux et procédés de construction innovant et unique sur le territoire national ; un système assurantiel de la construction à double détente. Ce système s'inspire de la loi Spinetta en métropole qui institue une présomption de responsabilité pesant sur tous les intervenants à l'acte de construire. Ce régime de responsabilité s'accompagne d'une obligation d'assurance décennale dont le périmètre est différent du système national et qui concerne les travaux de construction et de rénovation.

Toutes ces initiatives sont au service du client final, qui sait désormais vers qui se retourner. Il n'a plus à assister à un match entre des acteurs qui se renvoient la responsabilité des défaillances. Celles-ci sont clairement identifiées par cette obligation d'assurances au plus grand bénéfice de l'usager.

Cette réforme profonde est constituée par un ensemble de textes élaborés avec les parties prenantes. J'ai veillé à ce que tous les points de vue soient pris en compte avec bienveillance, sans dévier des objectifs que j'avais fixés en termes de protection des Calédoniens. Elle est entrée en vigueur le 1 er juillet dernier et les réactions des parties prenantes montrent, malgré sa complexité technique, les changements profonds qu'elle engage dans notre société et dans cette chaîne de valeur. Nos parties prenantes ont su s'y adapter et même en être les ambassadeurs.

Dans la stratégie que j'ai mise en oeuvre, il y a aussi un volet pédagogique et de la communication, via des vidéos et le site internet du Référentiel de la construction de la Nouvelle-Calédonie (RCNC). Tout est ainsi transparent pour l'usager, les acteurs de la construction mais aussi pour les politiques.

Deux des trois axes sont en régime nominal : la qualification des professionnels et la mise en place des assurances dommages et de responsabilité. Le troisième, relatif à l'agrément des matériaux et procédés relève d'une démarche extrêmement complexe. Nous avons décidé d'une phase transitoire de trois ans.

Pour que ce changement profond dans notre manière de construire soit effectif et efficace, j'ai voulu que le procédé soit agile et permette à l'ensemble des acteurs de se l'approprier. Quand, dans un bocal à poissons, les poissons tournent toujours dans un même sens, ils ont besoin de temps pour s'arrêter et tourner dans un autre sens. Ce régime transitoire est nécessaire et les acteurs doivent être respectés dans leur savoir-faire.

Pendant cette phase transitoire, nous menons un travail de fond sur la rédaction du référentiel technique d'agrément qui contextualise les référentiels de certification au contexte insulaire. Bien évidemment, il ne neige pas en Nouvelle-Calédonie, mais nous avons des problèmes liés à la montée des eaux ou à l'air salin. L'objectif est de proposer des essais qui correspondent à notre environnement géographique, nos risques climatiques, mais aussi d'aller vers une simplification, en orientant les gammes de tests sur les éléments de preuve les plus importants.

La relecture et la validation de ces référentiels seront effectuées par des organismes extérieurs reconnus car nous n'avons les moyens de créer des établissements spécifiques. Le sujet est plus l'interdépendance que l'indépendance. C'est vrai pour les nations comme pour les secteurs économiques. Ces référentiels seront donc soumis à la validation d'organismes comme le CSTB, le Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (CERIB) ou le centre technique industriel Forêt cellulose bois-construction (FCBA).

Nous menons également un autre travail sur la mise en place et l'accompagnement d'une filière d'auditeurs. Pour que cette chaîne de valeur soit vertueuse, nous avons besoin de compétences locales. Nous travaillons donc avec l'Université de Nouvelle-Calédonie pour former ces futurs auditeurs. L'objectif est aussi d'offrir des débouchés aux jeunes calédoniens qui reviennent sur l'île après leurs études, ce qui a pour effet d'atténuer sensiblement l'incidence financière pour les industriels. Il nous faut attirer les talents qui sont partis se former ailleurs pour construire notre territoire.

Nous cherchons également à accréditer des laboratoires régionaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée), qui disposent d'un système de normes différent du nôtre et qui seraient prêts à réaliser les essais prévus dans nos référentiels. L'objectif est triple : proposer aux industriels des partenaires proches, avec des coûts moindres ; analyser pour chaque test si un essai équivalent existe dans le système normatif du pays et si son niveau de pertinence est équivalent, moindre, ou supérieur. Nous pourrons ainsi mesurer leurs systèmes normatifs. Pour les essais dont le niveau d'équivalence est démontré, nos référentiels pourront être déclinés dans les deux systèmes normatifs. La sous-traitance sera plus simple, et nous aurons franchi un grand pas dans l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec les pays voisins, ce qui est une condition indispensable au développement d'échanges commerciaux durables.

Comme dans tout pays insulaire où les endémismes atteignent un niveau élevé, de nombreuses personnes sont prêtes à innover si nous leur en donnons les moyens. Cette démarche permet d'inscrire la Nouvelle-Calédonie dans la région. Elle est aussi le pont avancé d'une culture technique normative française dans une région représentant un tiers de la surface de la planète et largement anglo-saxonne.

Notre démarche est agile, inclusive et bienveillante, sans rien céder à la qualité ni refuser sa francité et son européanité, pour atteindre l'excellence.

Nous sommes conscients que nous n'atteignons pas la masse critique pour un équilibre financier à court terme. La vie dans une île est un challenge permanent et ne correspond en rien au mythe des vahinés et du soleil. Nous avons le devoir de réussir et d'offrir à nos industriels qui investissent et qui innovent un soutien local et des outils pour que la qualité de leurs productions soit reconnue, sans ambiguïté, à des coûts soutenables. S'il est vrai que nous avons un marché captif, nous devons également être offensifs. C'est tout l'intérêt de travailler sur l'interopérabilité de nos systèmes normatifs avec nos voisins. Nous serons ainsi offensifs dans notre approche de l'économie de la construction pour attaquer des marchés voisins anglo-saxons et le « petit poisson » calédonien pourra peut-être se frayer un chemin.

C'est un investissement dans des filières créatrices d'emplois et pour la montée en compétences générale du secteur qui offre, par un repyramidage des métiers, des perspectives d'emplois très qualifiés à nos jeunes qui achèvent des parcours de formation de haut niveau et que nous laissons trop souvent échoir trop loin de nos côtes.

La Nouvelle-Calédonie souhaite donc un accompagnement dans la mise en place de ce process, lequel doit être vu comme une évolution transposable à l'ensemble des collectivités ultramarines, quel que soit leur statut. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour ce travail et j'espère qu'elle sera aussi le porte-voix de nos initiatives calédoniennes. Cette démarche « bottom/up » sur les qualités intrinsèques des produits peut aussi s'appliquer aux qualités et aux défauts de nos statuts si différents, qui parfois peuvent se compléter, à une période où la convergence doit l'emporter sur les divergences.

Cette aide pourra accompagner la mise en place d'un organe de gouvernance, qui à l'instar de certaines des missions de l'Agence Qualité Construction en métropole, serait en charge d'assurer, de façon indépendante et impartiale, en toute transparence, la régulation, l'évaluation et le pilotage des dispositifs élaborés et des nouveaux concepts et processus à venir.

Les premières estimations sont modestes et seraient de l'ordre de 500 000 euros par an durant les cinq premières années, puis le système s'équilibrerait et serait supporté par l'ensemble des acteurs.

Mon propos liminaire a été un peu long mais j'espère qu'il a touché vos esprits et votre coeur. La technique n'a de sens que si elle est teintée d'humanité, de bienveillance et de convergence.

Mme Vivette Lopez , présidente . - Merci, Monsieur le ministre, pour vos propos passionnés et passionnants.

Avant de donner la parole à notre rapporteure Micheline Jacques, je salue la présence parmi nous de Milakulo Tukumuli, président du parti de l'Éveil océanien.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre exposé et je vous prie de bien vouloir excuser mon absence à vos côtés, étant retenue par des impératifs locaux.

Cette problématique du logement me tient vraiment à coeur et j'adhère pleinement à votre analyse.

Je tiens à souligner que le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie vous permet d'adapter les règles aux spécificités de votre territoire. Cette situation démontre que chaque territoire ultramarin doit disposer des outils permettant des adaptations locales pour s'approprier leur destin.

L'adhésion de la population est essentielle. Je suis intimement convaincue qu'un projet ne peut pas se développer sans elle. Vous pouvez compter sur mon indéfectible soutien car la Nouvelle-Calédonie est un territoire d'innovations et nous avons beaucoup à apprendre de votre expérience.

Mes premières questions portent sur la création de votre organisme local de certification qui pourrait servir de référence au secteur de la construction ultramarine. Comment envisagez-vous de soutenir financièrement sa création ? Quel soutien l'Agence Qualité Construction pourrait-elle vous apporter ? Quel serait son champ de compétences ? Pourrait-il prendre le nom d'Agence calédonienne ou de Bureau calédonien pour la qualité de la construction ? Dans quelle mesure l'agrément des matériaux et procédés constructifs développés en Nouvelle-Calédonie avec le référentiel et le RCNC peut-il servir de modèle pour les autres territoires ultramarins, sachant que tous ont des spécificités ? Vous avez parlé de l'air salin, qui est commun à toutes les îles mais je pense aussi aux ouragans. En voyant votre reportage sur les bâtiments et pour avoir vécu l'ouragan Irma, je comprends le désespoir de ces familles et la volonté de pouvoir associer les assurances à la construction et à la solidité de ces bâtiments. Comment envisagez-vous de développer les initiatives de coopération avec les pays de l'environnement régional en matière d'essais techniques et de certification ? Enfin, quel est le premier bilan de la mise en place du système assurantiel de la construction en Nouvelle-Calédonie ?

M. Vaimu'a Muliava . - Les services du gouvernement travaillent sur une convention avec l'Agence Qualité Construction (AQC). L'objectif est d'obtenir une extension de cette agence en Nouvelle-Calédonie pour bénéficier de ses compétences et de son expertise. Elle apporterait aussi des financements sur tous les champs de compétence qu'elle exerce.

L'extension de la démarche sur le référentiel de construction de la Nouvelle-Calédonie est évidemment applicable partout. Elle part de la technique sur les produits et il suffit qu'il y ait une Université à proximité, des échanges entre nos sachants et les sachants des écosystèmes existants dans chaque territoire ultramarin pour que ce travail soit effectué. Il permet de tisser des liens entre nos territoires ultramarins, les territoires voisins de chaque océan et de créer une plateforme. Nous avons des produits locaux, comme les bétons de terre qui existent également en Australie. Nous envoyons des fragments de bétons de terre à des laboratoires en Nouvelle-Zélande qui effectuent une batterie de tests selon les normes du CSTB. C'est de cette manière que nous espérons élaborer une plateforme de discussion avec les techniciens et les ingénieurs de la région, pour pouvoir ensuite bâtir toute une filière.

Nous travaillons aussi sur l'interopérabilité de nos systèmes normatifs à partir des qualités intrinsèques des produits. Si nous parvenons à le faire avec la Nouvelle-Zélande, nous devrions y parvenir entre nous, quels que soient nos statuts.

Mme Micheline Jacques , rapporteure . - La création de ces plateformes est très intéressante. Peut-être pouvons-nous mettre en place un colloque ou des Assises de la construction ultramarine ? Nous pourrions avoir un rendez-vous régulier, une ou deux fois par an, pour mettre en avant les compétences, les progrès et travailler en étroite collaboration.

Vous avez répondu en grande partie à mes questions sur les initiatives de coopération régionale. En revanche, quel est le bilan de la mise en place du système assurantiel de la construction ? L'obligation pour les entreprises d'avoir des garanties décennales a-t-elle un impact financier sur le coût de la construction ? En effet, je crains que ces entreprises répercutent le coût de ces assurances.

M. Vaimu'a Muliava . - C'est le corps de métier qui a été le plus réfractaire à contribuer à notre système vertueux. Il y a effectivement un impact et c'est pour cette raison que j'ai évoqué une période transitoire de trois ans. Tout changement est difficile. Pendant les six premiers mois, les entreprises de construction se sont affolées car les assureurs affichaient un doublement de leurs tarifs. Le gouvernement a créé le Comité technique d'expertise (CTE) dont les différentes commissions, assurances ou laboratoires d'essai, se saisissent d'un sujet et qui permettent une autorégulation. Les assureurs ont ainsi ramené l'augmentation à un niveau raisonnable de 2 %, après un travail minutieux sur chaque ligne du référentiel et un dialogue animé avec les constructeurs.

Mme Viviane Artigalas . - Merci, Monsieur le ministre, pour votre présence. Quels sont les besoins en logements en Nouvelle-Calédonie ? Combien de personnes sont-elles mal logées ? Combien de logements nécessiteraient une rénovation ? Enfin, sur quels critères attribuez-vous les logements sociaux ?

Mme Vivette Lopez , présidente . - La Nouvelle-Calédonie a récemment fait face à une alerte tsunami/séisme. Avez-vous mis en place une politique de logement préventive des risques naturels spécifiques concernant les constructions sur le littoral, les constructions antisismiques ou les matériaux spécifiques ?

M. Guillaume Chevrollier . - Merci, Monsieur le ministre, pour vos propos. Nous sommes toujours heureux d'entendre des ultramarins, en particulier de Nouvelle-Calédonie. Vous êtes en charge du logement mais également de l'urbanisme. Nous sommes sensibilisés dans l'Hexagone à la question de la sobriété foncière, à la tendance à zéro artificialisation nette des sols. Quelle est l'approche de la Nouvelle-Calédonie sur ce point ?

M. Vaimu'a Muliava . - Concernant les besoins, il y a 6 000 logements vacants chez les bailleurs sociaux. La question se pose non pas en termes de besoin de logements mais en termes de besoin des usagers. Nous devons leur demander dans quel type de logements ils veulent habiter. Pendant 20 ans, nous avons massivement construit des logements, sans vraiment nous préoccuper des personnes qui allaient les occuper. Nous souhaitons adopter une approche tournée vers les usagers. Avant de construire un immeuble, il est pertinent de recueillir les besoins de ses futurs usagers, de s'interroger sur leur pouvoir d'achat et sur leur région d'origine. Viennent-ils du nord de l'île, des îles Loyauté, de Wallis-et-Futuna, du Vanuatu ou de l'Hexagone ? C'est le manque d'anticipation sur ces éléments qui explique le nombre élevé de logements vacants. C'est peut-être une déformation liée à mes études à HEC, mais nous devons être « orientés clients » !

Il est nécessaire d'aborder cette problématique dans une chaîne de valeur globale, de l'usager au logement, de l'environnement à l'urbanisme. Une approche systémique est indispensable à la bonne efficacité de nos politiques publiques. Nous devons également nous intéresser à la culture de ces usagers. Quel est le nombre d'enfants des couples ? Quels sont leurs âges ? Un jeune couple occupera plus facilement un F2 ou un F3 au sixième étage qu'un couple avec huit enfants. En Océanie, les familles ont en moyenne plus de cinq enfants, souvent entre huit et dix.

Au-delà des besoins en logements, nous devons connaître les populations qui les occuperont. C'est à partir de cette connaissance que nous concevrons les logements. Si nous ne le faisons pas, nous ferons appel à la solidarité nationale. Or, quand je vois les sommes consacrées à la défiscalisation qui sortent des poches des contribuables métropolitains, je m'interroge.

La qualité n'est plus une option, c'est une nécessité. Le monde est en mutation, la France fait face à de nombreuses difficultés, comme la Nouvelle-Calédonie, et nous avons besoin de performance, avec une politique orientée usagers et résultats.

Sur la politique préventive, nous n'en sommes qu'aux débuts. Les îles Fidji et le Vanuatu travaillent dessus, avec la Communauté du Pacifique Sud, puisqu'elles ont subi des cyclones dévastateurs. En Nouvelle-Calédonie, le trait de côte s'efface. Au moment du lever du soleil, celui-ci commence à caresser la mer plus que la terre. Nous essayons de parler d'habitat océanien, nous commençons à réfléchir avec pragmatisme sur cette question, en réalisant des tests sur la vitesse du vent et sur la qualité des constructions. Djamil Abdelaziz est l'architecte de ces travaux essentiels sur la question environnementale et j'espère que nous parviendrons à avancer sur ces sujets structurants pour notre avenir, même si le 16 e gouvernement auquel j'appartiens est tombé.

Sur l'urbanisme, ce sont les provinces qui sont compétentes, comme sur le logement. Le gouvernement travaille sur la réglementation et ce sont les provinces qui définissent leur code d'urbanisme, en étroite collaboration avec les communes qui délivrent les permis de construire. L'urbanisme est galopant, un peu comme il l'était au Far West. Nous sommes Français mais nous disposons de notre propre statut et dès qu'une nouvelle loi est votée dans l'Hexagone, nous nous en méfions et nous en créons une autre. Cette attitude produit des effets positifs comme négatifs.

Comme je vous le disais, je suis heureux d'être avec vous. En effet, après quatre jours à discuter du « oui » et du « non », j'avais le sentiment de devenir schizophrène.

Notre pays souffre d'un manque de données dans tous les secteurs. Nous avons vécu ces transferts de compétence sans avoir l'expérience de l'exercice d'un pouvoir jacobin. Nous avons trois provinces girondines et un gouvernement qui n'a jamais eu l'expérience d'un pouvoir central. Par conséquent, de nombreuses compétences sont exercées par les provinces et le gouvernement aurait dû agir comme un service de contrôle et produire de la donnée intelligible et intelligente pour ajuster les politiques publiques ou les créer.

Je réponds à votre question indirectement. Nous manquons de données et nous essayons de rattraper ces années au cours desquelles nous n'avons pas capitaliser sur notre expérience. Le virage que nous sommes en train de prendre à l'aube de la fin de l'Accord de Nouméa montre bien que le soleil n'est pas encore prêt à se lever sous une autre couleur.

Mme Vivette Lopez , présidente . - Je donne la parole au président Stéphane Artano pour conclure cette audition.

M. Stéphane Artano . - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour la clarté de vos propos, pour votre caractère très entreprenant et par l'esprit d'ouverture dont vous faites preuve, notamment en vous intéressant à ce qui se passe dans la région. L'ancrage régional de nos territoires est fondamental quand nous parlons de matériaux de construction. Je partage votre vision et je suis très attentif à la démarche que vous avez mise en place pour rendre service à la population et aux constructeurs.

Vous avez apporté une contribution importante à notre rapport et je suis persuadé que nos rapporteurs y intégreront des éléments concernant votre territoire.

Le Sénat est le porte-voix des collectivités, quel que soit leur statut, et bien évidemment des collectivités ultramarines, au travers de cette délégation.

Je salue également le sénateur Teva Rohfritsch que j'aperçois par écran interposé et qui nous suit depuis la Polynésie française.

Merci encore, Monsieur le ministre, pour la qualité de cette audition.

Mme Vivette Lopez , présidente . - Je vous redis, Monsieur le ministre, tout le plaisir que nous avons eu à vous accueillir. Je partage pleinement les propos du président Stéphane Artano. Vous pouvez compter sur nous, nous serons très attentifs à ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie, que ce soit sur le logement ou sur tout autre sujet. Je pense que le président du Sénat vous le confirmera.

Je vous remercie aussi de la part de tous nos collègues retenus dans l'hémicycle et je suis certaine que nos rapporteurs ont noté tous les points que vous avez évoqués.

M. Vaimu'a Muliava . - Je vous remercie beaucoup Madame la sénatrice. Quand la journée se termine, les anciens disent « merci d'avoir travaillé », ils estiment que sans travail la vie n'est pas possible. Je remercie tous les participants pour leur engagement.

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