L'ESSENTIEL : HAUT-KARABAGH : DIX ENSEIGNEMENTS D'UN CONFLIT QUI NOUS CONCERNE

Rapport d'information de M. Olivier CIGOLOTTI et Mme Marie-Arlette CARLOTTI, sénateurs, rapporteurs du groupe de travail constitué également de MM. Gilbert BOUCHET, Bernard FOURNIER et Joël GUERRIAU, sénateurs.

« Alors que les conflits interétatiques paraissaient obsolètes dans le contexte post-guerre froide, la guerre qui s'est déroulée du 27 septembre au 9 novembre 2020 dans la région du Haut-Karabagh est venue rappeler la possibilité d'un conflit territorial symétrique, classique dans son essence sinon dans ses modalités. Cette guerre a constitué une « surprise stratégique » dont il convient de tirer les enseignements tant sur le plan géopolitique que sur le plan militaire. »

I. ENSEIGNEMENTS GÉOPOLITIQUES : LE CAUCASE, UNE RÉGION SOUS INFLUENCES

A. UNE GUERRE DÉCLENCHÉE PAR L'AZERBAIDJAN ET LA TURQUIE

Le conflit de 2020 a renversé le rapport de force instauré entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan par le premier conflit à l'issue duquel, en 1994, l'Arménie avait pris le contrôle du Haut-Karabagh et de 7 districts azerbaidjanais, soit en tout 14 000 km 2 , ce qui représente 15 % de la superficie de l'Azerbaïdjan. Cette situation a créé un ressentiment profond au sein de la société azerbaidjanaise, probablement sous-estimé en Occident. Le Groupe de Minsk de l'OSCE, co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie, n'est pas parvenu à faire aboutir la négociation engagée il y a près de 30 ans. Mais les parties étaient-elles vraiment prêtes à négocier ? Le nouveau Premier ministre arménien, issu de la « révolution de velours » de 2018, a paru écarter une négociation dont l'Azerbaïdjan a fini par penser qu'elle n'avait aucune chance de renverser le statu quo . Entre temps, le déséquilibre économique entre les deux pays s'était progressivement traduit par un déséquilibre de leurs capacités militaires. L'Azerbaïdjan a acquis, au cours des mois précédant le conflit, des armements de dernière génération, notamment des drones, auprès d'Israël et de la Turquie. L'implication de la Turquie, qui a participé à la préparation de l'armée azerbaidjanaise, et a déployé 1500 à 2000 mercenaires syriens, a joué un rôle déterminant dans le renversement du rapport de force. Chacune des interventions militaires turques récentes a répondu à une logique propre (problématique kurde, rivalités en Méditerranée orientale...). Soutenir l'Azerbaïdjan permet à la Turquie d'étendre son influence politique et sa présence économique dans le Caucase, région clef reliant la mer Caspienne à la mer Noire, où la Russie et l'Iran ont également des aspirations.

Le recours aux armes a été choisi et méticuleusement préparé par l'Azerbaïdjan, avec le soutien de la Turquie. Face à cette situation, il est regrettable que le gouvernement français ait, initialement, cru devoir adopter une position de « neutralité ». L'impartialité que la France s'impose, en tant que co-présidente du groupe de Minsk, devait s'appliquer à la négociation. Elle n'avait pas vocation à perdurer dès lors que l'une des parties avait fait le choix de faire prévaloir sa position par le recours aux armes.

La question du Haut-Karabagh doit figurer à l'agenda de nos relations avec la Turquie, dans toutes les enceintes pertinentes (relations bilatérales, dialogue UE-Turquie, OTAN).

B. UNE SITUATION INSTABLE SOUS CONTRÔLE DE LA RUSSIE

La déclaration tripartite du 9 novembre 2020 a permis de stopper l'avancée azerbaidjanaise. Environ un tiers du territoire du Haut-Karabagh est désormais sous le contrôle de l'Azerbaïdjan, de même que les 7 districts conquis par les Arméniens pendant la première guerre. L'Arménie, où la guerre a créé un profond traumatisme, est dans une situation de grande vulnérabilité. 4000 soldats au moins seraient morts côté arménien. La diffusion d'images et de vidéos particulièrement violentes a créé un climat de terreur. Les ONG ont confirmé de probables crimes de guerre. La pression exercée par l'Azerbaïdjan s'est progressivement déplacée vers le territoire arménien lui-même, avec des incursions aux frontières, et une impatience manifeste à ouvrir des axes de communication à travers le territoire de l'Arménie. La sécurité des territoires demeurant sous administration des autorités du Haut-Karabagh repose entièrement sur les forces russes (2 000 soldats déployés, en théorie, probablement davantage en réalité). Les forces russes, qui avaient quitté l'Azerbaïdjan en 2012, sont désormais présentes dans les trois pays du Caucase du sud à hauteur d'un effectif d'environ 20 000. Il est possible que la Russie soit davantage présente aujourd'hui dans le Caucase qu'elle ne l'était à la fin de l'Union soviétique.

Aux yeux de beaucoup, aujourd'hui, « tout est possible ». Compte tenu de certains discours aux accents nationalistes des dirigeants turcs et azerbaidjanais, on peut légitimement craindre que l'Azerbaïdjan ne soit tenté de pousser plus loin l'avantage acquis lors de la guerre du Haut-Karabagh, du moins dans la mesure du possible compte tenu de l'alliance entre l'Arménie et la Russie au sein de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Dans ce contexte, le soutien de la France à l'Arménie est essentiel.

La Russie a les cartes en mains. Elle peut jouer un rôle positif auprès des deux parties ou, au contraire, laisser perdurer une situation qu'elle considérerait à son avantage. La France qui a laissé pendant longtemps le leadership russe s'exercer dans cette région doit entreprendre un dialogue renforcé avec la Russie afin de l'inciter à jouer un rôle constructif.

C. UN PROCESSUS MULTILATÉRAL À RECONSTRUIRE

De nombreuses questions restent en suspens . La Russie privilégie le cadre trilatéral qui lui permet d'être la seule médiatrice entre Arménie et Azerbaïdjan. La multiplication des contentieux redonne une certaine utilité au format « Groupe de Minsk ». La question la plus urgente, pour l'Arménie, est celle des prisonniers , qui seraient au nombre de 200 environ. Les Azerbaidjanais assurent avoir restitué l'ensemble des prisonniers de guerre. Les seuls prisonniers restants seraient issus d'un groupe de 62 soldats arméniens arrêtés après le cessez-le-feu sur le territoire de l'Azerbaïdjan après avoir tué 4 soldats et 1 civil azerbaidjanais. Du coté azerbaidjanais, ce sont les mines antipersonnel qui sont le sujet prioritaire, le déminage étant un préalable indispensable à la reconstruction des territoires (10 000 km 2 ) et au retour des personnes déplacées. L'Azerbaïdjan demande à la France son assistance technique pour le déminage, et d'user de son influence auprès de l'Arménie pour obtenir des cartes des mines. Le 12 juin 2021, 15 prisonniers ont été libérés par l'Azerbaïdjan en échange de la remise de cartes de zones minées.

Il n'y a pas d'autre solution que d'avancer en même temps sur la question des prisonniers et sur celle des mines antipersonnel, même si ce genre d'échange risque de susciter des « prises de gage » (pour servir de monnaie d'échange). L'Arménie et l'Azerbaïdjan doivent être incités à adhérer à la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel.

La délimitation et la démarcation de la frontière entre les deux pays ne sauraient être réglées par le fait accompli. Une négociation doit s'engager. Dans l'attente, les troupes azerbaidjanaises doivent se retirer des zones contestées.

La question du statut du Haut-Karabagh doit rester posée, dans le cadre d'une négociation multilatérale dans l'intérêt de toutes les parties. La situation actuelle n'est satisfaisante ni pour l'Arménie, évidemment, ni pour l'Azerbaïdjan qui a dû accepter la présence russe, ni pour la Russie dont les moyens ne sont pas illimités. L'élection d'un nouveau président américain créé un contexte favorable à une relance du Groupe de Minsk pour donner de l'oxygène à la négociation. Désormais, la France et les États-Unis devront travailler main dans la main pour promouvoir dans la région des États forts et démocratiques.

Cette relance du Groupe de Minsk serait facilitée par un renouvellement du mandat des co-présidents et par un renforcement de leurs moyens. La co-présidence fonctionne grâce à 3 ambassadeurs et au Représentant personnel de la présidence en exercice de l'OSCE. Ces moyens sont très réduits au regard de ceux d'une mission de l'OSCE (1 300 personnes sont par exemple engagées au sein de la Mission spéciale d'observation en Ukraine). Le Groupe de Minsk ne dispose pas d'observateurs sur place pour élaborer sa propre évaluation de la situation. Le mandat actuel des coprésidents comporte l'éventualité d'un déploiement d'une force de maintien de la paix. Il conviendrait d'examiner à nouveau cette possibilité.

D. UN PATRIMOINE DE L'HUMANITÉ À PROTÉGER

La région du Caucase du sud est un « berceau de l'humanité » recelant des sites très anciens, remontant à l'Antiquité, et un patrimoine religieux chrétien qui est au coeur de l'identité arménienne. Ce patrimoine a subi d'importantes destructions au XX ème siècle, notamment en Turquie, et, plus récemment, dans l'enclave azerbaidjanaise du Nakhitchevan. Les Azerbaidjanais accusent, pour leur part, les Arméniens d'avoir détruit les régions conquises lors de la première guerre et d'avoir fait disparaître de très nombreux biens cultuels. Les Azerbaidjanais développent une théorie, non reconnue par la communauté scientifique internationale, d'après laquelle une partie du patrimoine arménien serait en fait un patrimoine albanais du Caucase, antérieur à l'arrivée des Arméniens. Le conflit récent suscite de fortes inquiétudes. Près de 1500 monuments arméniens seraient passés sous le contrôle de l'Azerbaïdjan, dont 161 monastères et églises. Des destructions, des effacements d'inscriptions arméniennes sont documentés. Si l'on peut espérer une préservation des monuments les plus connus, surveillés par satellites, dont la destruction susciterait la réprobation de la communauté internationale, le risque de destruction du petit patrimoine (stèles, cimetières...) paraît en revanche élevé, de même que le risque de dénaturation de certains monuments.

Il est crucial de continuer d'attirer l'attention sur ce patrimoine du Haut-Karabagh et les dangers qu'il encourt, afin d'accroître le coût diplomatique d'éventuelles destructions.

La mission d'inventaire préliminaire proposée par l'UNESCO est une nécessité. L'Azerbaïdjan en a accepté le principe pour trois régions (Aghdam, Fizouli, Choucha). Des désaccords subsistent. La balle semble désormais dans le camp de l'Arménie. Cette mission, même imparfaite et limitée, doit permettre d'enclencher un processus impliquant davantage l'UNESCO dans la protection du patrimoine de la région.

La communauté internationale s'est fortement mobilisée. En France, l'Institut National du Patrimoine s'efforce de rapprocher experts arméniens et azerbaïdjanais. Il serait utile de créer un groupe de contact, impliquant des experts internationaux susceptibles de servir d'intermédiaires afin qu'un dialogue puisse s'instaurer entre les parties.

E. RENFORCER ET RÉÉQUILIBRER L'ACTION DE LA FRANCE ET DE L'UE NOTAMMENT DANS LE DOMAINE ÉCONOMIQUE

Les plus grandes marges de progression de la France, comme de l'Union Européenne, relèvent du domaine économique . Les relations économiques sont en effet déséquilibrées, en raison des importations d'hydrocarbures azerbaidjanais. En 2019, les échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Azerbaïdjan étaient dix fois plus élevés que ses échanges commerciaux de biens avec l'Arménie L'ouverture récente du corridor gazier sud-européen renforcera les liens avec l'Azerbaïdjan, bien placé sur les « Routes de la soie », alors que l'Arménie demeure marginalisée.

Échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Arménie (2019)

Échanges commerciaux de biens de l'UE avec l'Azerbaïdjan (2019)

Échanges commerciaux de la France avec l'Arménie (2019)

Échanges commerciaux de la France avec l'Azerbaïdjan (2019)

L'UE et la France doivent renforcer et rééquilibrer leurs relations avec les pays du Caucase du sud, où prévalent aujourd'hui les influences croissantes de la Russie, de la Turquie et de la Chine. Il s'agit notamment de participer au désenclavement économique de l'Arménie.

Le partenariat oriental doit être renforcé à l'égard des deux pays. L'UE a de réels leviers en faveur de la démocratisation et du développement économique, mais semble freinée par la crainte de tensions avec la Russie. Or il n'est pas interdit d'imaginer qu'un approfondissement du partenariat oriental, voire l'établissement de liens avec l'Union économique eurasiatique et la définition de « lignes rouges » réciproques puissent être discutés ouvertement avec la Russie.

Les relations économiques de la France et de l'Arménie ne sont pas à la hauteur de ce qu'elles devraient être. Dans le domaine culturel, le Fonds pour les écoles chrétiennes francophones d'Orient doit être renforcé et mis à contribution pour aider les écoles francophones du Caucase du sud.

Montant des matériels soumis à autorisation préalable d'exportation livrés depuis 2011 par la France

À l'Azerbaïdjan
(fourniture en orbite d'un satellite d'observation de la terre Spot7)

À l'Arménie

II. ENSEIGNEMENTS MILITAIRES : UNE GUERRE DU XXI ÈME SIÈCLE ?

A. LES DRONES, NOUVEAUX ACTEURS INCONTOURNABLES DE LA 3D

Dans ce conflit du Haut-Karabagh, les drones ont constitué une plus-value capacitaire déterminante, remplissant les fonctions complètes, classiques, de l'arme aérienne (renseignement, coordination, appui-feu, frappes) à un coût bien moindre. Ce conflit et d'autres (Syrie, Libye, Ukraine) ont contribué à l'émergence d'une nouvelle doctrine d'emploi des drones. Après avoir été principalement utilisés pour des missions de renseignement, les drones ont été armés, ce que la France a décidé en 2017. L'emploi des drones continue toutefois d'évoluer : au cours des conflits récents, ils ont progressivement été intégrés à de vastes dispositifs offensifs, en coordination avec l'artillerie et l'usage de munitions télé-opérées dites « maraudeuses ». Le conflit du Haut-Karabagh est symptomatique d'une étape intermédiaire entre la « dronisation des forces », qui s'est imposée depuis 30 ans, et le « combat collaboratif en essaim », qui pourrait devenir une réalité dans 30 ans. La France continue, pour sa part, d'avoir un emploi « stratégique » de ses drones armés (MALE Reaper ), pour des opérations de haute valeur ajoutée. Certes, le système de drones tactiques (SDT) doit arriver dans les forces à partir de 2022, et une partie de notre retard dans le domaine des drones de contact a commencé à être rattrapé (les forces devraient être équipées de plus de 1000 drones d'ici trois ans).

Mais il reste à tirer tous les enseignements des conflits récents, s'agissant des drones et munitions télé-opérées d'emploi « tactique », au profit des unités de première ligne, et de l'usage de matériel moins coûteux, pouvant être considéré comme « consommable », au moins sur de courtes périodes.

B. L'IMPORTANCE DES DÉFENSES SOL-AIR ET DE LA LUTTE ANTI-DRONES

Les défenses sol-air (DSA) arméniennes, pourtant denses, ont été dépassées par l'offensive azerbaidjanaise. La mauvaise prise en compte de la menace « drones » dans la définition des capacités a eu des conséquences dévastatrices. La France n'est certes pas dans la situation de l'Arménie. Mais force est de constater que les DSA ont été négligées, de façon d'ailleurs logique, en raison des contraintes budgétaires, dans le contexte post-guerre froide, alors que nos OPEX se font en situation de supériorité aérienne.

Il faut désormais anticiper des situations dans lesquelles nos forces seraient la cible d'actions semblables à celles précédemment décrites, impliquant l'emploi de drones et de munitions télé-opérées. La combinaison des drones, en nombre important, et de moyens plus classiques pose de nombreux défis en termes de détection, de neutralisation et de coordination de la défense. Les DSA, incluant la défense de proximité des unités terrestres, constitueront un enjeu majeur de la prochaine LPM. Des évolutions des moyens de défense surface air basse couche (SABC) sont nécessaires.

C. LES DÉFIS DE LA HAUTE INTENSITÉ : GUERRE LOGISTIQUE ET ÉCONOMIQUE

Alors que nos armées amorcent le tournant de la « haute intensité », le conflit du Haut-Karabagh a montré ce que pouvait être, sur une courte durée, un conflit de ce type. Cette guerre a vu le retour de la manoeuvre, avec une armée de l'Azerbaïdjan à l'offensive, alternant des actions de fixation et de contournement. La guerre de haute intensité met en oeuvre toute la gamme de matériels à disposition des armées, avec un système de commandement et de coordination qui doit parfaitement fonctionner. La fonction logistique y est essentielle.

La guerre de haute intensité est une guerre de stocks, une guerre économique, très consommatrice en équipements et en munitions. Elle implique un risque de pertes humaines plus importantes que celles que la France subit en OPEX : 4000 soldats arméniens tués, c'est un chiffre considérable pour un pays qui compte moins de 40 000 naissances par an (environ 10 % d'une classe d'âge). Les pertes matérielles sont également impressionnantes.

L'armée de terre a subi au cours des dernières décennies des choix budgétaires, qui ont conduit à privilégier, légitimement, du matériel utilisable en opération extérieure. En contrepartie, toutefois, une partie du matériel utile à la haute intensité a été délaissée. Le développement de ce matériel spécifique, et l'accroissement des volumes d'équipements et de munitions, doivent être planifiés au cours des années à venir. L'armée de terre ne dispose plus, par exemple, de moyens de minage anti-chars mécaniques, ni de moyens de déminage lourds (chars de déminage). Le système de déminage actuel (SDPMAC) est fondé sur un engin blindé du génie (EBG) qui a près de 40 ans d'âge.

L'Azerbaïdjan a fait usage de lance-roquettes multiples et de missiles balistiques. Pour le même usage, la France dispose du lance-roquettes unitaire (LRU) qui répond toutefois davantage à une logique de précision que de saturation. Par ailleurs, les drones « consommables » tendent à devenir des équipements incontournables.

Depuis la fin de la guerre froide, les volumes de munitions ont été fortement réduits. Il est indispensable de retrouver une dynamique de croissance des stocks.

De façon générale, l'arbitrage entre masse/rusticité et technologie doit être repensé en profondeur. Ce sera l'un des enjeux du programme Titan de renouvellement du segment lourd de l'armée de terre et, en particulier, des programmes menés en coopération avec l'Allemagne (MGCS, CIFS...).

D. L'ENJEU DE LA RÉACTIVITÉ FACE AU RISQUE DE SURPRISE STRATÉGIQUE

En 2020, la guerre du Haut-Karabagh, comme la pandémie de covid-19, sont venues illustrer le risque de « surprise stratégique ». La prise de Mossoul par Daech, l'annexion de la Crimée (2014), l'engagement russe en Syrie (2015) n'avaient, du reste, pas été mieux anticipés. Des offensives courtes, préparées discrètement, permettent d'avancer rapidement et d'imposer le fait accompli avant que la communauté internationale n'ait le temps de réagir. Des conflits hybrides, ou gelés, sont susceptibles de dégénérer en conflits ouverts. Des situations qui paraissent stabilisées depuis des décennies peuvent brusquement s'enflammer.

Les hypothèses d'engagement majeur doivent prendre en compte la possibilité d'un préavis très court et donc d'une montée en puissance très rapide.

Comme la Revue stratégique de 2017 et son Actualisation de 2021 l'ont bien souligné, la fonction « connaissance et anticipation » est essentielle. Son renforcement doit se poursuivre, notamment dans le domaine de l'analyse du renseignement.

Afin de réduire les effets d'inertie des programmes et opérations d'armement, il faut renforcer leur capacité à intégrer rapidement des modifications de l'environnement stratégique ou technologique. Ceci vaut tant pour la conduite des programmes nationaux que pour celle des programmes internationaux dont la gouvernance est particulièrement complexe.

E. PARTENARIATS MILITAIRES ET COMPLEXIFICATION DES CONFLITS

À l'heure où la France cherche à contribuer à la montée en puissance des armées de pays partenaires, dans le cadre de partenariats militaires opérationnels, le conflit du Haut-Karabagh a donné l' « exemple » d'un partenariat particulièrement efficace : celui noué entre l'Azerbaïdjan et la Turquie, dont certains enseignements positifs pourraient probablement être tirés.

Mais ce partenariat entre l'Azerbaïdjan et la Turquie, comme celui entre l'Azerbaïdjan et Israël, sont aussi venus illustrer une tendance à la complexification des conflits, du fait de la multiplication des acteurs et intérêts présents directement ou indirectement sur le terrain. Cette complexification est un facteur d'aggravation de la violence. La guerre du Haut-Karabagh en a donné deux exemples au travers du déploiement de mercenaires et du développement du commerce des armes à destination des parties au conflit malgré les embargos existants.

En France, la loi du 14 avril 2003 réprime l'activité de mercenaire. Par ailleurs, depuis 2008, la France est signataire du Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) qui vise à promouvoir le respect du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme dans tous les conflits armés où interviennent des EMSP. Il convient de rester pleinement mobilisé sur ce sujet qui monte en puissance.

Alors que les ventes d'armes à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan sont soumises à un embargo « souple », imposé par la résolution 853 du Conseil de sécurité des Nations unies (1993) et par une décision du « comité des hauts fonctionnaires » de l'OSCE (1992), l'Azerbaïdjan a pu continuer à s'équiper de matériels de guerre de haute technologie auprès de ses partenaires, notamment turc et israélien. La présence de composants canadiens sur les drones turcs Bayraktar TB2 a, par ailleurs, été mise en évidence pendant le conflit, démontrant la difficulté à faire respecter ce type d'embargo purement incitatif, non contrôlé et non sanctionné, même verbalement, qui peut être contourné de multiples manières. L'embargo de l'OSCE doit être réaffirmé avec force et rendu, dans la mesure du possible, plus effectif et plus contraignant.

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