III. LES DÉFIS DE LA HAUTE INTENSITÉ : GUERRE LOGISTIQUE, GUERRE ÉCONOMIQUE

La guerre du Haut-Karabagh est l'un des premiers conflits interétatiques du siècle. C'est un conflit symétrique, une guerre avant tout classique, même si elle a intégré, comme tout conflit, des innovations technologiques.

A. UNE ILLUSTRATION DU CONCEPT DE CONFLIT DE HAUTE INTENSITÉ

Alors que nos armées amorcent le tournant de la « haute intensité », malgré des moyens limités, le conflit du Haut-Karabagh a montré ce que pouvait être, sur une courte durée, un conflit de ce type.

1. La haute intensité

« Le changement d'échelle, voilà ce qui pourrait caractériser notre niveau d'engagement dans les conflits de demain, en touchant tous les domaines (politique, économique, diplomatique, militaire), tous les champs et milieux de confrontation, en soumettant nos forces et nos zones arrières à des menaces multiples de désinformation, brouillage, menace aérienne et en provoquant l'épuisement rapide des stocks de pièces et de munitions, voire des pertes humaines élevées ». 30 ( * )

Dans la perspective de la préparation de la haute intensité, l'analyse du conflit du Haut-Karabagh est d'un grand intérêt pour l'armée de terre. Les armées occidentales mènent aujourd'hui des opérations dans un cadre de supériorité aérienne : la maîtrise du ciel permet l'acquisition du renseignement, la fourniture d'un appui direct aux troupes au sol, la possibilité d'évacuations sanitaires... Mais tout ne pourra peut-être plus, à l'avenir, être fondé sur cette supériorité « 3D ».

La guerre du Haut-Karabagh nous fournit tout d'abord des enseignements sur les matériels à disposition d'armées héritières du pacte de Varsovie, disposant de toute la gamme de l'artillerie et d'une défense sol-air très dense.

Face à ce type de conflit, une armée doit être capable de délivrer tout le spectre capacitaire.

Cette guerre a vu le retour de la manoeuvre , avec une armée de l'Azerbaïdjan à l'offensive, menant des assauts répétés, qui a rompu le statu quo par une offensive alternant des actions de fixation et de contournement.

La guerre de haute intensité met en oeuvre toute la gamme de matériels à disposition des armées , avec un système de commandement et de coordination qui doit parfaitement fonctionner. La fonction logistique y est essentielle. La guerre de haute intensité est une guerre de stocks, une guerre économique, très consommatrice en équipements et en munitions.

Au rôle combiné de l'artillerie et des drones et munitions maraudeuses, il faut ajouter celui des commandos tactiques infiltrés en avant des corps d'arme. Les forces spéciales azerbaïdjanaises ont joué un rôle central, notamment lors de la prise de Chouchi / Choucha. On a retrouvé là les ressorts de la guerre la plus traditionnelle.

La guerre de haute intensité signifie aussi, potentiellement, des pertes humaines et matérielles beaucoup plus importantes que celles que subissent aujourd'hui les armées occidentales dans leurs opérations extérieures.

2. Des risques de pertes humaines et matérielles accrues

S'agissant des pertes humaines, cette guerre a tué 4 000 soldats au moins côté arménien, dont beaucoup de jeunes qui effectuaient leur service militaire. C'est considérable pour un pays qui compte moins de 40 000 naissances par an (environ 10 % d'une classe d'âge) . Le nombre de victimes serait à peu près équivalent côté azerbaïdjanais. Le nombre de tués est, en effet, évalué au total entre 6 000 et 10 000 soldats environ, selon les sources. Environ 150 civils auraient également été tués de part et d'autre. De nombreux blessés, très graves, sont à déplorer. Le coût humain de cette guerre est considérable.

Les pertes matérielles sont également impressionnantes, notamment du côté arménien. Les pertes matérielles de l'Arménie ont été six fois plus élevées que les pertes de l'Azerbaïdjan.

Le site internet néerlandais Oryx a entrepris de répertorier l'ensemble des destructions confirmées au regard d'images, fournies généralement par des drones. Les estimations de pertes, indiquées dans le tableau ci-dessous, sont donc probablement incomplètes.

Pertes comparées (sur la base de preuves photo/vidéo)
au 10 novembre 2020

Catégorie de système

Pertes des forces arméniennes/

artsakhiotes

Niveau des forces arméniennes uniquement avant la guerre

Pertes des forces azerbaïdjanaises

Niveau des forces azerbaïdjanaises avant la guerre

Chars

221

109

36

439

Véhicules de combat d'infanterie

70

231

33

216

Transport de troupes

58

130

14

568

Obusiers

200

159

-

306

Lance-roquettes multiples

76

60

1

147

Missiles antiaériens (lanceurs)

28

?

-

?

Guerre électronique

2

?

-

?

Véhicules divers

536

?

32

?

Drones

4

?

25

?

Avions

1

18

11

66

Hélicoptères

1

30

1

70


Source : Joseph Henrotin, d'après Stijn Mitzer et Jakub Janovsky, « The Fight For Nagorno-Karabakh : Documenting Losses on The Sides Of Armenia and Azerbaijan », blog Oryx, 27 septembre 2020 ( https://www.oryxspioenkop.com/2020/09/the-fight-for-nagorno-karabakh.html ) IISS 2020.

Les destructions de drones sont notables, côté azerbaïdjanais : elles sont estimées à 26 drones environ dont 15 munitions maraudeuses et deux drones de combat turcs TB2. Il s'agit d'estimations fluctuantes à considérer avec prudence mais qui donnent une idée, probablement incomplète, de l'ampleur des pertes matérielles subies au cours de cette guerre, y compris du côté du « vainqueur ».

Drones perdus par l'Azerbaïdjan (26 dont 22 détruits et 4 capturés)

1 Aerostar surveillance UAV

11 IAI Harop munition maraudeuse

3 SkyStriker munition maraudeuse

1 Orbiter 1K munition maraudeuse

2 Bayraktar TB2 UCAV (drone de combat)

8 UAV inconnus

Source : Oryx (précité)


* 30 Général Thierry Burkhard, Cahiers de la RDN sur la Vision stratégique de l'armée de terre (octobre 2020).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page