IV. QUE FAIRE POUR SÉCURISER LES PROCHAINS SCRUTINS ?

À quelques mois d'échéances électorales majeures pour la vie démocratique de notre pays, il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour que les défaillances constatées ne se reproduisent pas, sous peine d'entacher la sincérité des scrutins, de détourner plus encore nos concitoyens des urnes et d'affaiblir la légitimité des élus.

A. METTRE DE L'ORDRE DANS LE CHOIX DES PRESTATAIRES

Une remise en ordre semble s'imposer dans le choix, par le ministère de l'intérieur et les préfectures, de prestataires extérieurs pour effectuer les travaux de mise sous pli et de distribution de la propagande électorale .

S'agissant de la distribution , un grand nombre de témoignages et d'indices laissent à penser que la société Adrexo a manqué gravement à ses obligations vis-à-vis de l'État. Les investigations doivent se poursuivre à ce sujet. Les différents documents de reporting fournis par la société, y compris le fichier Excel des plis non distribués qu'elle doit transmettre d'ici quelques semaines au ministère, devront être systématiquement soumis à un examen contradictoire. Si les manquements sont avérés, la résiliation unilatérale du contrat par l'État doit être sérieusement envisagée dans les meilleurs délais.

Recommandation n° 1 :  Inviter le ministère de l'intérieur à poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo, et à envisager le cas échéant la résiliation de l'accord-cadre dès cette année.

Il appartiendrait alors au ministère de lancer une nouvelle procédure de passation d'un accord-cadre pour les sept lots aujourd'hui attribués à Adrexo. Si La Poste est seule à offrir les garanties nécessaires sur l'exécution du contrat, elle devra être choisie.

Le ministre de l'intérieur a esquissé d'autres pistes qui doivent sans aucun doute être écartées . Il a évoqué l'idée que l'État reprenne en régie la distribution de la propagande électorale , ce qui est tout à fait hors de portée : on n'imagine pas les agents des préfectures faire la tournée des boîtes aux lettres des habitants du département. Précisant peut-être sa pensée, il a parlé de « travailler en direct avec la société La Poste 43 ( * ) », sans la soumettre à la concurrence. On ne sait s'il s'agirait d'attribuer à cette société un monopole à proprement parler, c'est-à-dire un droit exclusif d'exercer l'activité de distribution de la propagande électorale, ou seulement de lui attribuer le marché sans mise en concurrence. L'une et l'autre solutions se heurtent à des obstacles juridiques insurmontables, qui tiennent à la fois aux engagements internationaux de la France et à nos principes constitutionnels :

- les services postaux appartiennent désormais au secteur concurrentiel, et la directive du 15 décembre 1997 modifiée interdit expressément aux États membres de l'Union européenne d'instituer ou de maintenir dans ce domaine des droits exclusifs ou spéciaux au bénéfice d'une entité quelconque 44 ( * ) ;

-  le droit européen des marchés publics aussi bien que les principes constitutionnels de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures interdisent qu'un marché d'une telle importance soit attribué par l'administration à une société commerciale sans mise en concurrence préalable.

L'octroi d'un monopole de droit ou de fait à La Poste ne serait d'ailleurs pas opportun, car la concurrence, dans ce domaine comme dans d'autres, contribue à l'amélioration du service rendu et à la modération des prix.

Recommandation n° 2 :  Ne pas exclure, le cas échéant, l'attribution de tous les lots du marché à un même opérateur postal, sans pour autant lui octroyer un monopole ou le soustraire à toute mise en concurrence, ce qui serait contraire au droit européen.

À l'occasion de ce nouvel appel d'offre, il paraît impératif de revoir les critères de sélection des candidats en attribuant un poids beaucoup plus important aux moyens opérationnels, tant humains que techniques, qu'ils sont en mesure de déployer pour assurer la bonne exécution du marché.

Il conviendra aussi de s'assurer, peut-être plus diligemment que par le passé, de la bonne santé économique et financière des entreprises candidates, afin de vérifier qu'elles sont en mesure d'honorer leurs engagements pendant toute la durée de l'accord-cadre.

Recommandation n° 3 :  Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux, pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels.

En ce qui concerne la mise sous pli des documents de propagande, il serait utile que l'administration centrale du ministère de l'intérieur renforce la coordination entre les préfectures dans le choix éventuel de prestataires extérieurs, afin notamment d'éviter qu'une même entreprise se voie attribuer une proportion trop considérable de marchés locaux, excédant ses capacités productives.

Recommandation n° 4 :   Mieux associer l'administration centrale du ministère de l'intérieur à la passation des marchés locaux de mise sous pli, et contrôler le volume des prestations confiées à chaque entreprise de routage au niveau national.


* 43 Audition de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, par la commission des lois de l'Assemblée nationale, 29 juin 2021.

* 44 Article 7, point 1 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service .

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