DEUXIÈME PARTIE : 49 PROPOSITIONS
POUR HUMANISER, AMÉLIORER ET SIMPLIFIER
LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

I. AMÉLIORER LES OUTILS DE SUIVI POUR MIEUX SAVOIR DE QUOI ON PARLE

A. DÉVELOPPER DES INSTRUMENTS DE SUIVI DE LA PAUVRETÉ EN TEMPS RÉEL POUR MIEUX FAIRE FACE AUX CRISES

1. Les données relatives à la pauvreté monétaire nous parviennent avec un retard de deux ans, ce qui limite leur portée opérationnelle

En l'état, la production par l'Insee de données fiables et robustes sur la pauvreté monétaire, qui se fonde sur son enquête annuelle Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), nécessite un recul de deux ans. Ainsi, le dernier taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 % mesuré par l'Insee calculé définitivement à ce jour est celui de 2018 (14,8 %).

Il en va de même s'agissant du Baromètre d'opinion de la Drees évoqué supra . Alors même que celui-ci est présenté par la Drees comme « un outil de suivi conjoncturel indispensable pour appréhender l'évolution de l'opinion des Français sur les politiques dont le ministère [des solidarités et de la santé] a la charge » , les résultats des enquêtes sont également disponibles avec un retard de 2 ans.

Ce décalage temporel important limite très fortement la portée opérationnelle des indicateurs.

Certes, par le biais de microsimulations tirées du modèle « Ines », l'Insee et la Drees sont en mesure de fournir une estimation avancée du taux de pauvreté en N-1. Ce modèle permet ainsi d'anticiper une légère diminution de la pauvreté en 2019 (- 0,3 point), due notamment à la revalorisation de la prime d'activité.

De même, le modèle utilisé par Eurostat permet également de publier plus vite les données relatives au taux de pauvreté, de telle sorte que les chiffres 2019 sont d'ores et déjà disponibles pour la France comme pour la grande majorité des pays de l'Union européenne.

En revanche, aucune estimation n'est disponible pour l'année 2020, alors que celles-ci auraient été précieuses pour ajuster la réponse des pouvoirs publics aux conséquences de la crise sanitaire. Ce constat impose le développement d'outils de suivi complémentaires.

2. La crise a démontré la difficulté des pouvoirs publics à suivre la pauvreté en temps réel.

Sans compromettre la nécessité de garantir une statistique publique de qualité, il est indispensable de se doter d'outils de suivi plus contemporains si l'on ne veut pas se trouver contraint de calibrer « à l'aveugle » les politiques de solidarité en temps de crise , et ce d'autant plus que la réponse à l'urgence sociale provoquée par la pandémie a impliqué la mise en place d'une multiplicité de dispositifs nouveaux.

Il convient à ce titre de saluer l'initiative du ministère des solidarités et de la santé et de la Drees qui, depuis décembre 2020, a mis en place un dispositif de suivi mensuel des prestations de solidarité pendant la crise sanitaire . Bien que les données soient non-définitives, il constitue une source de renseignements utiles pour mieux objectiver en temps réel l'impact social de la crise.

On ne peut cependant que regretter l'impréparation de la statistique publique : la faculté de la Drees de mettre sur pied cet outil en urgence montre bien qu' il aurait été possible de se doter d'instruments similaires bien en amont, à plus forte raison après l'expérience de la crise de 2008 .

Pour le rapporteur, ce dispositif doit donc être pérennisé et même étoffé , notamment dans l'éventualité d'une prochaine crise.

Le dispositif de suivi mensuel des prestations de solidarité pendant la crise sanitaire

Depuis décembre 2020, la Drees publie un tableau de suivi fournissant des informations sur les effectifs mensuels nationaux et départementaux mensuels des bénéficiaires :

- des principaux minima sociaux : revenu de solidarité active, allocation aux adultes handicapés, allocation de solidarité spécifique ;

- de la prime d'activité ;

- des aides au logement ;

- de la Garantie jeunes ;

- de certaines aides destinées aux étudiants : les aides financières ponctuelles attribuées par les services sociaux des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) en cas de situation d'urgence ou de détresse avérée, et les repas vendus au tarif de 1 euro dans les structures des Crous.

Les effectifs de certaines prestations sont estimés par la Drees sur la base de données semi-définitives produites par la Cnaf.

L'Insee et la Drees, en partenariat avec le secteur associatif et l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (UNCCAS) ont également mis en place, depuis le printemps 2021, un dispositif de suivi quantitatif de l'aide alimentaire . Les demandes de soutien aux associations de lutte contre la précarité alimentaire constituent en effet, comme la crise de 2008 et plus récemment la crise sanitaire l'ont malheureusement illustré, un puissant révélateur de l'impact des retournements conjoncturels sur la pauvreté.

Ce dispositif fournit des données trimestrielles sur :

- l'activité des principales associations d'aide alimentaire 83 ( * ) : volumes de denrées et nombre de colis ou de repas distribués, nombre de centres actifs, dépenses d'aide directe ;

- les bénéficiaires de l'aide alimentaire : nombre de foyers, de personnes et leurs principales caractéristiques (âge, sexe).

Du fait des divergences de mode de fonctionnement mais aussi de systèmes d'information des associations d'aide alimentaire, ces données sont communiquées par association, ce qui rend leur appréhension complexe. Tout en respectant les spécificités de chacun de ces acteurs, un travail pourrait être mené entre l'État et les associations pour harmoniser les données susceptibles de l'être 84 ( * ) , notamment sur le nombre de personnes bénéficiaires, afin de permettre la production d'indicateurs complémentaires plus synthétiques.

Enfin, le recours à des sondages pourrait être une source d'informations complémentaires utiles pour apprécier au mieux l'impact de la conjoncture sur la pauvreté , y compris dans ses dimensions plus subjectives. L'Insee et la Drees pourraient à ce titre s'inspirer de la direction de l'animation de la recherche, des études et de la statistiques (DARES) et de son enquête trimestrielle dite « Acemo 85 ( * ) » menée auprès des entreprises et des salariés, qui a fourni durant la crise de précieux enseignements sur l'activité des entreprises dans le contexte des confinements, les destructions d'emploi, et le recours à l'activité partielle.

En conclusion, le rapporteur préconise la mise en place d'un dispositif pérenne de suivi statistique conjoncturel de la pauvreté et de la précarité qui engloberait :

- le tableau de bord mensuel des principales prestations de solidarité ;

- le dispositif de suivi de l'aide alimentaire, si possible enrichi par des indicateurs synthétiques relatifs aux bénéficiaires ;

- des sondages ciblés sur les personnes en situation de pauvreté ou risquant de s'y trouver ainsi que sur les acteurs publics et associatifs de lutte contre la pauvreté.

Proposition n° 1 : Mettre en place un dispositif pérenne de suivi statistique conjoncturel de la pauvreté et de la précarité.


* 83 Association nationale des épiceries solidaires, Croix-Rouge française, Fédération française des banques alimentaires, Restaurants du coeur, Secours catholique, Secours populaire français.

* 84 L'article L. 266-2 du code de l'action sociale et des familles pose une exigence légale de transmission de données à l'autorité administrative par les associations d'aide alimentaire percevant des financements publics.

* 85 Activité et conditions d'emploi de la main d'oeuvre.

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