B. RENFORCER LES STRUCTURES DE L'INSERTION ET FAVORISER LEUR RAPPROCHEMENT AVEC LE MONDE DE L'ENTREPRISE

1. L'insertion par l'activité économique, une priorité actuelle de la politique de l'emploi

À l'heure où le chômage risque d'augmenter fortement et de s'enkyster, l'économie sociale et solidaire (ESS), et en particulier l'insertion par l'activité économique (IAE), apparaissent comme des recours pour maintenir en action les personnes les plus vulnérables dans le cadre de missions porteuses de sens.

L'IAE s'adresse à des personnes sans emploi qui rencontrent « des difficultés professionnelles et sociales particulières » 110 ( * ) ne leur permettant pas d'accéder à l'emploi dans les conditions habituelles du marché du travail : chômeurs de longue durée, jeunes sans qualification, travailleurs handicapés, allocataires de minima sociaux, chômeurs en situation de handicap, etc .

Elle vise à faciliter leur insertion professionnelle, pendant une durée limitée en principe à 24 mois, au moyen de modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement au sein de structures spécialisées. L'État peut conclure avec ces structures des conventions prévoyant des aides financières .

Fin 2019, le secteur de l'IAE employait un peu plus de 134 300 salariés en insertion , répartis dans environ 3 843 structures conventionnées 111 ( * ) .

Les structures d'insertion par l'activité économiques

Les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) pouvant conclure des conventions avec l'État sont :

- les entreprises d'insertion (EI) , régies par les articles L. 5132-5 et L. 5132-5-1 du code du travail. Opérant dans le secteur marchand, elles proposent à des personnes en difficulté une activité productive assortie d'un accompagnement adapté à leurs besoins d'insertion socioprofessionnelle. Pendant l'exécution de ces contrats, une ou plusieurs conventions peuvent prévoir une période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP) auprès d'un autre employeur ;

- les entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI) , encadrées par les articles L. 5132-6 et L. 5132-6-1 du code du travail. Ce sont des entreprises d'intérim qui, tout en étant soumises aux règles du travail temporaire, sont spécialisées dans l'insertion professionnelle des personnes en difficulté et proposent à ces personnes un accompagnement social et professionnel pendant et en dehors des missions accomplies auprès d'entreprises utilisatrices ;

- les associations intermédiaires (AI) , régies par les articles L. 5132-7 à L. 5132-14-1 du code du travail. Associations à but non lucratif, elles assurent la mise à disposition de personnes en insertion auprès de divers utilisateurs (particuliers, associations, collectivités territoriales ou entreprises). La durée totale des mises à disposition d'un même salarié ne peut excéder une durée fixée à 480 heures sur vingt-quatre mois 112 ( * ) ;

- les ateliers et chantiers d'insertion (ACI) mentionnés aux articles L. 5132-15 et L. 5132-15-1-1 du code du travail. Ces dispositifs peuvent être portés par une structure publique ou privée à but non lucratif figurant dans une liste fixée par décret 113 ( * ) , la majorité ayant un statut associatif. Ils assurent l'accueil, l'embauche et la mise au travail des personnes en insertion dans des activités développées à cette fin, qui ne doivent pas se substituer à des emplois existants. Comme dans les EI, les contrats peuvent toutefois prévoir une PMSMP auprès d'un autre employeur.

Par ailleurs, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé, dans le cadre d'une expérimentation de trois ans, les entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI) qui permettent à des personnes en insertion de bénéficier de la mise en relation avec des clients ainsi que d'un accompagnement 114 ( * ) .

La Cour des comptes a estimé, dans un rapport de janvier 2019, que l'IAE était une politique efficace à renforcer et à améliorer 115 ( * ) .

Dans le cadre de sa stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Gouvernement a choisi d'accorder un soutien accru aux SIAE. En septembre 2019, Thibaut Guilluy, alors président du Conseil de l'inclusion dans l'emploi 116 ( * ) , a remis à la ministre du travail un Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique qui a fait l'objet d'une large concertation avec les réseaux du secteur. Constitué de 30 mesures déclinées en actions, ce pacte vise à concrétiser l'engagement du Président de la République d'augmenter de 140 000 à 240 000 d'ici à la fin du quinquennat le nombre de contrats d'insertion par l'activité économique.

Ces propositions se sont traduites par la création d'une Plateforme de l'inclusion, accompagnée par la loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique 117 ( * ) . Celle-ci, en supprimant notamment l'agrément des contrats par Pôle emploi et en permettant l'auto-prescription des parcours par les SIAE, a simplifié les procédures et ouvert la voie à une fluidification des recrutements.

En 2021, le financement par l'État du secteur de l'IAE s'élève à 1,1 milliard d'euros, en légère augmentation par rapport à 2020. Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » du Gouvernement, 35 000 postes sont notamment réservés aux jeunes au sein des SIAE.

2. La nécessité de consolider le modèle économique du secteur
a) L'approche contra-cyclique des contrats aidés et des parcours d'insertion

Dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement entend adopter une approche contra-cyclique des contrats aidés et des parcours d'insertion afin de lutter contre le chômage de longue durée. Dans le cadre du plan France Relance et du plan « 1 jeune, 1 solution », l'État ambitionnait ainsi de déployer, en 2021, 210 000 parcours emploi compétences (PEC), dont 130 000 dédiés aux jeunes 118 ( * ) .

Les contrats aidés : contrat unique d'insertion, parcours emploi compétences
et emplois d'avenir

Les contrats aidés sont des contrats subventionnés par l'État qui ont pour objectif de favoriser l'embauche et l'accompagnement dans l'emploi.

Le contrat unique d'insertion (CUI) , créé en 2010, est un contrat de travail de droit privé qui a pour objet l'embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières. Il prend la forme :

- soit d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi (CUI-CAE) lorsqu'il est conclu dans le secteur non marchand ;

- soit d'un contrat initiative emploi (CUI-CIE) lorsqu'il intervient dans le secteur marchand.

Depuis janvier 2018, le parcours emploi compétences (PEC) a succédé aux CUI-CAE dans le secteur non marchand afin de recentrer les contrats aidés autour de leur objectif premier d'insertion professionnelle en faveur des personnes éloignées du marché du travail. Tout en restant prescrit dans le cadre juridique du CUI-CAE, il est assorti d'une obligation d'accompagnement et de formation.

Par ailleurs, la prescription de CUI-CIE dans le secteur marchand n'a été autorisée à partir de 2018 que dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) ou par les conseils départementaux dans le cadre des conventions annuelles d'objectifs et de moyens (CAOM).

Les emplois d'avenir avaient pour objectif de proposer des solutions d'emploi aux jeunes âgés de 16 à 25 ans sans emploi, peu ou pas qualifiés, et de leur donner accès à une qualification et à une insertion professionnelle durable. Plus aucune entrée en emploi d'avenir n'est possible depuis le 1 er janvier 2018. Les contrats en cours ont vocation à aller à leur terme.

Lors de son audition par la mission d'information, Louis Gallois a plaidé pour aller plus loin en augmentant davantage le nombre de postes en temps de crise afin de « préparer un vivier » en vue de la reprise économique, en prévoyant de diminuer le nombre de postes au retournement de la conjoncture.

Cette approche a du sens à condition d'éviter les effets de « stop and go » générés par la suppression et le rétablissement de dispositifs . Après avoir pratiquement mis un terme aux recrutements en CUI-CIE à partir de 2018, le Gouvernement a ainsi mobilisé cet outil dans le cadre du plan de relance en prévoyant le financement de 50 000 contrats destinés aux jeunes. Ce brusque changement de cap peut, en pratique, exiger un temps d'adaptation pour les professionnels chargés de prescrire ces parcours.

Les premières données publiées par la Dares pour 2021 119 ( * ) indiquent ainsi que le déploiement de ces PEC semble loin de la trajectoire ascendante attendue ( cf . graphique ci-après).

Il conviendra en outre d'évaluer attentivement l'impact des contrats aidés dans le secteur marchand , car ceux-ci avaient été arrêtés en raison de leur inefficacité supposée et de dépenses mal maîtrisées 120 ( * ) avant d'être réactivés dans le cadre du plan de relance.

Source : Dares

De même, pour le réseau Coorace, l'augmentation très importante du nombre de postes en IAE fixée par le Gouvernement (20 000 postes supplémentaires par rapport à 2020 121 ( * ) ) ne tient pas compte du contexte sanitaire et économique, qui a entraîné de nombreuses fermetures de SIAE dans la restauration, la culture, le tourisme ou les ressourceries, ni des fragilités économiques que la crise a causées dans un certain nombre de structures.

Cette approche nécessite donc de lever certains freins à la conclusion de contrats supplémentaires et à la montée en capacité des structures d'insertion.

b) Des leviers pour accroître les capacités du secteur

- Adapter le Pass IAE à l'ensemble des associations intermédiaires

Depuis la loi précitée du 14 décembre 2020, la procédure du « Pass IAE », reposant sur la refonte de la procédure de prescription et l'utilisation de la Plateforme de l'inclusion ( cf. supra ), s'impose désormais à l'ensemble des SIAE sauf, jusqu'au 1 er décembre 2021, pour les mises à disposition hors secteur marchand réalisées par les associations intermédiaires (AI) 122 ( * ) .

Selon les statistiques publiées par la plateforme, celle-ci compte, au 29 juillet 2021, 4 916 prescripteurs inscrits et 91 722 embauches réalisées. Le réseau Coorace considère ainsi que le déploiement de la plateforme est une réussite, les remontées des utilisateurs étant positives.

Toutefois, la réforme du Pass IAE semble poser certaines difficultés au regard du fonctionnement des associations intermédiaires. Auparavant, les AI n'avaient pas besoin de demander d'agrément lors des mises à disposition hors secteur marchand et pouvaient proposer des parcours au-delà de 24 mois. Ces particularités permettaient une certaine réactivité des structures dans le démarrage ou la prolongation du parcours de personnes exclues du marché du travail. L'AI est en particulier la principale réponse d'insertion professionnelle pour les femmes (58% de salariées), contrairement aux autres outils d'insertion qui accueillent une majorité d'hommes.

La loi impose désormais à toutes les associations intermédiaires, comme aux autres SIAE, de demander toute prolongation du Pass IAE au-delà de 24 mois auprès d'un prescripteur habilité 123 ( * ) . Cette évolution se justifie par le besoin de rationaliser un secteur qui s'est historiquement développé à partir de diverses initiatives nées du terrain ayant une même vocation. Elle suppose toutefois que les prescripteurs habilités connaissent les dispositifs et leurs spécificités et soient présents sur tout le territoire.

- Mobiliser la commande publique et les achats privés responsables

Le Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique identifiait les pratiques d'achat des entreprises et des administrations comme un « levier de développement essentiel de l'offre d'insertion ». Le Pacte préconisait ainsi, dans sa mesure n° 20, d'accélérer le déploiement des clauses sociales dans la commande publique et les achats privés de manière à atteindre l'objectif de 25 % d'achats avec une clause sociale. Cet objectif avait été fixé pour 2020 par le plan national d'action pour les achats publics durables 2015-2020. Selon le Pacte d'ambition pour l'IAE, l'État n'a réalisé en 2018 que 10 % de ses achats en valeur avec une clause sociale.

Pour aller plus loin, le Pacte recommande notamment de rendre obligatoire la justification du non-recours aux clauses sociales par l'État pour tout marché dépassant un certain seuil de prestations horaires afin de faire de ces clauses la règle et non l'exception. Des clauses spécifiquement fléchées vers le recours à des structures d'IAE pourraient par ailleurs être distinguées des clauses de recrutement de publics prioritaires par des entreprises classiques afin de favoriser le développement du secteur.

Lors de son audition par la mission d'information, le haut-commissaire à l'emploi Thibaut Guilluy a confirmé que le développement de l'achat inclusif reste un levier à actionner afin d'augmenter le nombre de postes en IAE.

Proposition n° 10 : Mobiliser la commande publique et les entreprises du secteur marchand en soutien de l'économie sociale et solidaire en développant les clauses sociales dans les contrats des donneurs d'ordres.

Louis Gallois a par ailleurs prôné lors de son audition la participation financière des entreprises classiques au développement de l'économie sociale et solidaire via leur politique de RSE 124 ( * ) .

3. Rapprocher les SIAE et l'entreprise

Plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information ont partagé le constat d'une difficulté de dialogue sur le terrain entre les structures d'insertion et les entreprises . Comme l'a résumé Louis Gallois lors de son audition par la mission d'information, « les structures d'insertion sont timides vis-à-vis des entreprises, tandis que les entreprises ont une méfiance vis-à-vis des "produits" des structures d'insertion . »

La loi précitée du 14 décembre 2020 a créé plusieurs dispositifs visant à améliorer et diversifier les passerelles entre le monde de l'insertion et celui de l'entreprise, lesquels doivent prochainement faire l'objet d'un décret d'application :

- l'expérimentation pour une durée de trois ans d'un « contrat passerelle » permettant la mise à disposition d'un salarié en insertion auprès d'entreprises utilisatrices de droit commun, pour une durée de trois mois renouvelable une fois, en vue de leur éventuelle embauche ;

- la possibilité, introduite par le Sénat, d'un « temps cumulé » entre un CDD d'insertion et un autre contrat de travail à temps partiel de manière à faciliter la transition de l'un à l'autre.

Pour leur part, les réseaux de l'IAE développent depuis plusieurs années des outils et méthodologies visant à renforcer les passerelles entre l'IAE et les entreprises sur un territoire donné.

Coorace a par exemple développé le dispositif Vita Air , présenté comme « une méthodologie qui favorise l'adéquation entre les compétences des salariés en parcours d'insertion et les compétences nécessaires dans les entreprises du territoire . » Dans ce cadre, les SIAE sont formées et réalisent un audit gratuit des besoins de recrutement des entreprises. Cette méthodologie permet d'augmenter le nombre de passerelles de l'IAE vers l'emploi pérenne. L'emploi durable ainsi créé dans l'entreprise est spécifiquement ciblé vers le public en insertion grâce au lien développé entre la SIAE et l'entreprise cliente. Selon les informations fournies par Coorace, une quinzaine d'accompagnements et formations Vita Air sont prévues en 2021.

Le rapporteur estime que des efforts doivent être consentis afin de favoriser la diffusion de telles démarches.

Proposition n° 11 : Favoriser la diffusion des démarches visant à rapprocher l'offre de services des SIAE des besoins des entreprises et à conjuguer l'accompagnement des personnes et celui des employeurs.


* 110 Article L. 5132-1 du code du travail.

* 111 Dares Résultats n° 11, mars 2021.

* 112 En application de la loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020, un décret doit cependant prévoir les conditions dans lesquelles le préfet de département peut autoriser une association intermédiaire à déroger à ce plafond de 480 heures.

* 113 Organismes de droit privé à but non lucratif ayant pour objet l'IAE, centres communaux ou intercommunaux d'action sociale, communes, établissement publics de coopération intercommunale, syndicats mixtes, départements, chambres d'agriculture, établissements d'enseignement professionnel et d'enseignement agricole de l'État, Office national des forêts (art. D. 5132-27 du code du travail).

* 114 Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel - article 83.

* 115 « L'insertion des chômeurs par l'activité économique », Cour des comptes, janvier 2019.

* 116 Thibaut Guilluy a été nommé le 18 mars 2020, en Conseil des ministres, haut-commissaire à l'inclusion dans l'emploi et à l'engagement des entreprises puis, le 12 octobre 2020, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises.

* 117 Loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée ».

* 118 Source : projet annuel de performance de la mission « Travail et emploi » annexé au projet de loi de finances pour 2021.

* 119 Cf. tableau de bord PoEm : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/poem-tableau-de-bord-des-politiques-de-lemploi

* 120 Voir notamment le rapport public annuel 2018 de la Cour des comptes. La Cour avait toutefois critiqué la priorité donnée aux emplois aidés dans le secteur non marchand à travers le CUI-CAE.

* 121 Source : projet annuel de performance de la mission « Travail et emploi » annexé au projet de loi de finances pour 2021.

* 122 Loi n° 2020-1577 du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » - Article 8.

* 123 Art. L. 5132-11-1 du code du travail.

* 124 Responsabilité sociétale des entreprises.

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