C. LUTTER CONTRE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE : AIDER À PAYER LES FACTURES ET RÉNOVER LES LOGEMENTS

En matière de précarité énergétique, la mission d'information propose de retenir deux axes de travail : celui du court terme, en aidant les ménages à payer leurs factures, et celui du long terme, en favorisant la rénovation performante des logements de telle sorte que la transition énergétique soit aussi un outil de réduction des inégalités.

1. Aider à payer les factures : doubler le chèque énergie

Le chèque énergie a été mis en place à compter du 1 er janvier 2018. Il remplace les tarifs sociaux de l'énergie. C'est une aide annuelle au paiement des factures ou de travaux d'économie d'énergie. Il est versé directement aux ménages sous condition de revenus.

Selon l'ONPE, 5,7 millions de chèques ont été émis en 2019 avec un taux d'utilisation de 80 %. Ils sont utilisés à 94 % auprès des fournisseurs d'électricité ou de gaz .

Le coût du chèque énergie est de 812 millions d'euros en 2020. Le chèque moyen est de 148 euros dans une fourchette comprise entre 48 et 277 euros .

On aurait assisté, en 2020, à une certaine stabilisation des demandeurs après la période de déploiement. En 2020, exceptionnellement, la validité du chèque a été prolongée du 31 mars au 23 septembre 2020 compte tenu de la crise sanitaire.

La carte des destinataires du chèque énergie, établie par l'ONPE à partir des données du ministère de la Transition énergétique, dessine une géographie de la précarité. Elle fait ressortir les départements ayant les populations les plus pauvres les plus nombreuses (Hauts-de-France, arc méditerranéen ( cf . ci-après).

En 2021, le chèque énergie devrait être envoyé à plus de 5,8 millions de ménages contre 5,5 millions en 2020 , pour un montant de 150 euros en moyenne. Par ailleurs, son bénéfice est élargi aux pensionnaires des établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD et EHPA), de résidences « autonomie » ainsi que des unités de soins longue durée.

Toutefois, lors de son audition, le réseau Cler qui anime le RAPPEL (Réseau des acteurs pour la lutte contre la précarité énergétique dans le logement) a indiqué qu'un certain nombre de ménages ne sont pas couverts par le chèque énergie dont plus particulièrement les foyers chauffés par une chaudière collective.

Surtout, le montant du chèque énergie est trop faible au regard de la facture d'énergie qui atteint 1 925 euros en moyenne pour les ménages en précarité énergétique, selon l'enquête nationale logement (ENL) menée par l'Insee en 2013. De ce fait, le chèque énergie ne peut pas avoir un impact important sur la solvabilité des ménages et la prévention des impayés d'énergie. Les impayés sont en effet fréquemment de plusieurs centaines d'euros comme l'a indiqué le Secours catholique.

C'est la raison pour laquelle le président de l'ADEME et de l'ONPE, Arnaud Leroy, a relayé auprès de la ministre de la transition écologique, comme auprès de la mission, l'inquiétude de l'ensemble des 28 associations partenaires et la demande d'un doublement du chèque énergie . Il soulignait que dans le cadre de la crise sanitaire et économique, l'augmentation continue des dépenses contraintes des ménages, et en particulier du coût du chauffage, participe de la baisse du pouvoir d'achat, non compensée par la hausse du SMIC. Dans ce cadre, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) a évoqué des taux d'impayés des particuliers en hausse (de 8 % à 14 % pour le gaz et de 8 % à 10 % pour l'électricité, entre le 1 er semestre 2018 et le premier semestre 2020). Ce constat et cette demande ont d'ailleurs été relayés par le Médiateur de l'énergie.

Proposition n° 27 : Doubler le chèque énergie pour permettre aux ménages en situation de précarité énergétique de payer leur facture en le portant en moyenne de 150 à 300 euros.

2. Éliminer les passoires thermiques, accompagner les propriétaires

L'élimination des passoires thermiques et les mesures à prendre pour accompagner les propriétaires dans l'effort de rénovation ont été au coeur de l'examen par le Sénat du projet de loi « Climat et Résilience » car c'est un enjeu central pour les Français en termes de pouvoir d'achat et de protection du logement et du foyer . Le logement est le premier poste de dépense des ménages. Réussir la rénovation des logements, c'est réduire les factures, lutter contre la précarité énergétique, relancer notre économie à travers le secteur du bâtiment et, in fine , atteindre l'objectif fixé d'un parc de bâtiments basse consommation (BBC) en 2050. Celui-ci résulte de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) d'août 2015 140 ( * ) . La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) adoptée dans le cadre de la LTECV 141 ( * ) vise une réduction des gaz à effet de serre de 49 % en 2030 par rapport à 2015 (28 % dans le secteur du bâtiment) et une décarbonation complète en 2050. Cela implique 500 000 rénovations de bâtiments par an .

Le défi est de taille : sur 29 millions de résidences principales, 1,9 million seulement sont classées A ou B selon le diagnostic de performance énergétique (DPE), soit 7 % du parc.

À l'opposé, 4,8 millions de logements sont classés F et G, soit 17 % du parc. Ils sont qualifiés de « passoires thermiques ». Enfin, les rénovations performantes , c'est-à-dire permettant d'atteindre les gains les plus élevés soit une division par quatre ou cinq de la facture énergétique, sont trop peu nombreuses .

Selon le rapport de juillet 2020 du Haut Conseil pour le climat 142 ( * ) , entre 2014 et 2016, seules 87 000 maisons individuelles par an ont fait l'objet de rénovations permettant un saut d'au moins deux classes énergétiques. Le taux de rénovation globale serait de 0,2 % par an dans le résidentiel et le tertiaire sur la période 2012 à 2016.

Le rapport d'Olivier Sichel pour la rénovation des logements 143 ( * ) pointait qu'alors que plus de la moitié des passoires thermiques sont des maisons individuelles, seules 32 % d'entre elles ont fait l'objet de travaux de rénovation et, dans les trois quarts des cas, les travaux effectués n'ont pas eu d'impact sur l'étiquette énergétique du logement.

Ces données techniques ne doivent pas occulter la forte dimension sociale du sujet . 1,5 million de passoires thermiques, soit un tiers environ, sont occupées par des propriétaires à faible revenu. 11,6 % des Français consacraient en 2017 plus de 8 % de leurs revenus au paiement des factures d'énergie de leur logement. 36 % des ménages du parc social, 26 % des ménages du parc privé seraient en situation de précarité énergétique .

Compte tenu de ces éléments, l'enjeu est tout d'abord l'application du texte issu de la commission mixte paritaire et voté le 20 juillet 2021 .

À cet égard, le Sénat a été particulièrement vigilant pour obtenir l'inscription dans le texte de mesures spécifiques pour les ménages les plus fragiles. Il s'agit principalement de leur garantir la gratuité des futurs « accompagnateurs Sichel » pour la rénovation énergétique et un « reste à charge minimal » sur les travaux . La Fondation Abbé Pierre avait souligné que ces ménages avait souvent un reste à charge de l'ordre de 15 % des travaux, ce qui n'était pas supportable financièrement alors qu'une rénovation performante coûte plusieurs dizaines de milliers d'euros. Le déploiement effectif du prêt avance mutation garanti par l'État pour résoudre le problème d'accès au crédit bancaire est également très important alors que le prêt viager hypothécaire et le prêt avance mutation classique ont été des échecs. Olivier Sichel constatait dans son rapport que 62 % des propriétaires de passoires thermiques ont plus de 60 ans et n'ont, de ce fait, pas accès au financement bancaire.

Par ailleurs environ 20 % de ces ménages connaissent des difficultés financières qui les empêcheraient d'emprunter tout en conservant un reste à vivre suffisant. Le Sénat a aussi souhaité que les données des diagnostics énergétiques puissent être transmises aux associations de lutte contre la précarité pour « aller vers » les ménages concernés .

Proposition n° 28 : Appliquer sans retard les dispositions de la loi Climat et Résilience au bénéfice des plus modestes.

Mais, au-delà de l'application de la loi votée, la mission souhaite pointer ce qui n'a pas pu y figurer faute de maturation suffisante de certaines solutions ou d'accord politique entre les deux chambres.

La première d'entre elles est le tiers financement de la rénovation énergétique . Le mouvement HLM a porté des propositions en la matière et France Stratégie a publié plusieurs notes de réflexion 144 ( * ) . Le principe du tiers financement est de permettre le portage financier des opérations de rénovation par des entités spécialisées qui se rémunèrent sur les économies d'énergie dans la durée. Très séduisante, l'idée a pour l'instant buté sur la difficulté de définir un modèle économique et juridique, environ un tiers des opérations de rénovation environ pouvant être « rentables » dans un laps de temps raisonnable et un cadre légal spécifique devant être édicté.

Les réflexions sur ce sujet ne doivent pas être abandonnées, que ce soit pour les particuliers ou les collectivités territoriales, afin de pouvoir figurer dans un prochain texte de loi.

Proposition n° 29 : Poursuivre les réflexions sur le modèle économique et juridique du tiers financement et du portage des travaux de rénovation énergétique au profit des particuliers et des collectivités.

Par ailleurs, le Sénat a souligné le déséquilibre entre les objectifs, les nouvelles obligations de rénovation et les mesures d'accompagnement au bénéfice des propriétaires .

En Allemagne, 380 milliards d'euros ont été investis dans la rénovation énergétique depuis 2006. En France, hors plan de relance, l'effort national serait, selon le rapport Sichel, de l'ordre de 6 milliards d'euros par an entre aides publiques de l'État et des collectivités locales et certificats d'économie d'énergie (C2E). Pour mémoire, le plan de relance a marqué une réelle, mais insuffisante inflexion en mobilisant 6,7 milliards d'euros sur deux ans pour la rénovation des bâtiments. 2 milliards sont destinés aux particuliers et 500 millions pour les bailleurs sociaux.

Sur cette enveloppe, il faut saluer l'ouverture de MaPrimeRénov' aux propriétaires bailleurs et aux copropriétés. Au cours de l'une des auditions de la mission d'information, il a pu être souligné que si la France avait un investi autant que le Portugal dans la rénovation des bâtiments dans son plan de relance, c'est 40 milliards d'euros qui auraient été mobilisés !

Un effort de rénovation sans précédent va être demandé aux propriétaires pour éliminer les logements les plus énergivores classés F et G avant 2028, puis E en 2034.

Dans le parc social, si les logements F et G sont peu nombreux, environ 7 %, ceux classés E représentent 805 000 logements, soit 20 % du parc. Les coûts seront considérables. L'Union sociale pour l'habitat (USH) estime ainsi qu'une rénovation d'un logement classé E s'élèverait en moyenne à 38 000 euros en incluant pour partie l'atteinte des étiquettes énergétiques les mieux-disantes.

De son côté, la FNAIM estime la rénovation du parc privé E, F et G au niveau de la classe D du diagnostic de performance énergétique (DPE) à 54 milliards d'euros pour un coût de rénovation compris entre 10 000 et 22 000 euros par logement.

En cohérence avec la ligne adoptée par le Sénat, la mission d'information souhaite proposer à nouveau un accompagnement adéquat des bailleurs sociaux et privés.

En effet, les bailleurs sociaux restent soumis à la RLS depuis 2018, qui obère leurs capacités d'investissement d'1,3 milliard d'euros par an.

Elle propose donc d'aider les bailleurs sociaux en abaissant la TVA sur les travaux de rénovation des logements , en revenant au taux de 5,5 % qui était en vigueur avant l'actuel Gouvernement et la mise en oeuvre de la RLS.

Proposition n° 30 : Faciliter la rénovation du parc social en rétablissant le taux de TVA à 5,5 % sur les travaux dans les logements sociaux supprimé par l'actuel Gouvernement.

Du côté des bailleurs privés , pour que l'équation ne reste pas sans solution, les locataires bénéficiant des économies d'énergie et les propriétaires payant les travaux..., la mission renouvelle deux propositions du Sénat : étendre le dispositif fiscal « Denormandie ancien » aux rénovations de passoire thermique et augmenter le déficit foncier déductible en cas de travaux d'économie d'énergie.

Le dispositif Denormandie est une aide fiscale accordée dans le cadre d'un investissement locatif. Ce dispositif favorise la rénovation de biens anciens, tout en permettant la location à un prix raisonnable et plafonné à des ménages modestes. Il ne s'applique qu'à des résidences principales. Il serait pertinent de permettre son extension sur tout le territoire, aux logements F et G ayant fait l'objet d'une rénovation performante. Une telle mesure contribuerait à éviter que des propriétaires, faute de moyens, ne puissent rénover leurs biens et que ceux-ci soient retirés du parc locatif. Le dispositif Denormandie est également un outil important de la rénovation des centres anciens.

Le déficit foncier est constitué lorsque les charges excèdent les revenus fonciers (loyers) pour les particuliers bailleurs. Ce déficit peut être imputé sur le revenu global du contribuable et réduire ainsi son imposition, dans la limite d'un plafond fixé à 10 700 €. Ce mécanisme est destiné à favoriser la location de biens immobiliers entretenus puisque seules sont éligibles les dépenses de travaux de réparation et d'entretien dont bénéficient les locataires. Le plafond du déficit foncier n'a pas été révisé depuis la loi de finances pour 1995. Il serait logique de pouvoir l'augmenter et l'actualiser.

Proposition n° 31 : Faciliter la rénovation du parc locatif privé en augmentant le déficit foncier et en étendant aux rénovations performantes l'aide fiscale « Denormandie dans l'ancien ».

À la jonction des politiques d'accompagnement des propriétaires dans la rénovation de leurs biens et d'accès au logement abordable, se trouve le conventionnement de logements dans le parc privé . C'est une ressource trop peu utilisée.

Actuellement, et depuis la loi de finances rectificative pour 2016, les particuliers peuvent recourir au dispositif « louer abordable » ou « Cosse », qui remplace les dispositifs « Besson ancien » et « Borloo ancien » pour les logements conventionnés avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Le logement doit remplir plusieurs critères : être non meublé, être récent ou ancien avec ou sans travaux, être affecté à l'habitation principale du locataire, respecter un niveau de performance énergétique globale minimal et être mis en location selon un loyer ne devant pas dépasser certains plafonds. Le propriétaire a le choix entre trois niveaux de loyer en fonction du type de convention qu'il passe : intermédiaire, social, très social. Il doit s'engager à louer selon cette formule pendant six ou neuf ans si des travaux ont été subventionnés par l'Anah.

En contrepartie, le bailleur bénéficie d'une déduction fiscale en fonction du loyer, mais aussi de la zone où se situe le bien (zones tendues : A bis , A, B1, B2 et C). Elle peut aller de 15 % à 85 % des revenus bruts en cas d'intermédiation locative.

Selon les documents budgétaires du PLF 2021, ce dispositif représentait en 2019 un coût de 11 millions d'euros et avait été utilisé par 8 000 ménages (soit un coût fiscal de 1 375 euros par ménage). Il ne sera plus possible d'entrer dans le dispositif à partir de fin 2022.

L'impact paraît donc modeste et le dispositif pourrait s'arrêter si rien n'était mis en place dans le prochain PLF . La mission estime au contraire nécessaire de le pérenniser et de le développer pour répondre aux besoins de logements abordables et rénovés.

Proposition n° 32 : Pérenniser et amplifier le dispositif « louer abordable » au-delà de 2022 pour mettre à disposition des logements abordables et rénovés conventionnés dans le parc privé.


* 140 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 141 Ministère de la transition écologique, feuille de route « Stratégie nationale bas carbone (SNBC) », 5 mai 2021 : https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc

* 142 Haut conseil pour le climat, « Redresser le cap, relancer la transition - Urgence climatique », juillet 2020 : https://www.hautconseilclimat.fr/actualites/urgence-climatique-lacceleration-des-mesures-toujours-en-attente/

* 143 Olivier Sichel, « Rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés », mars 2021 : https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2021-03/RAPPORT%20sichel.pdf

* 144 France Stratégie, « Comment accélérer la rénovation énergétique des logements », octobre 2020 : https://www.strategie.gouv.fr/publications/accelerer-renovation-energetique-logements

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