B. EXPULSIONS : MIEUX ACOMPAGNER LES LOCATAIRES ET MIEUX INDEMNISER LES PROPRIÉTAIRES

La mission d'information fait sienne la volonté de prévenir au maximum les expulsions qui sont un drame humain. Le logement est un droit fondamental pour chacun d'entre nous.

Cependant, l'équilibre doit être préservé entre une politique visant au maintien dans les lieux et la protection des droits des propriétaires et des domiciles contre le squat.

Force est de constater aujourd'hui que ces deux objectifs ne sont pas atteints et qu'il convient de poursuivre le travail dans ces deux directions.

1. Privilégier la gestion précoce et « l'aller vers » dans les politiques de prévention des expulsions

Il est très difficile d'éviter les expulsions lorsque la dette locative est devenue importante et que la procédure judiciaire est engagée.

Les associations et administrations s'accordent sur le fait que c'est au stade amont qu'il faut agir plus vite et mieux. L'impayé doit être traité dès le départ sans attendre la constitution d'une dette locative qui devient irrécouvrable par les ménages fragiles. Les bailleurs sociaux ont d'ores et déjà mis en place ces politiques très proactives de recouvrement des impayés et les ont accrues à l'occasion de la crise sanitaire où un volume important d'impayés « techniques » a été constaté, une part importante des loyers ne faisant pas l'objet d'un prélèvement mais étant payée par mandat postal ou en espèces. Concrètement, cela s'est traduit par une prise de contact systématique avec les locataires pour faire le point sur leur situation et les raisons du retard de paiement. Lors de son audition, Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH, soulignait que, dès les premiers 10 euros d'impayé, il faut nouer le contact avec les locataires. Dans le parc social, 800 000 ménages par an ont un problème d'impayé et 8 000 sont expulsés ; cela donne la mesure du travail accompli.

Les administrateurs de bien témoignent également de pratiques similaires, l'impayé étant traité dès sa constitution. Mais il n'en est pas de même dans le parc privé géré directement par les particuliers, soit environ deux tiers des bailleurs, qui ont tendance à réagir tardivement et méconnaissent les dispositifs de gestion de ces situations. Ils privilégient la récupération de leur bien le plus tôt possible via la procédure judiciaire qui est pourtant très longue (24 mois en moyenne).

À cet égard, au-delà de leur mission d'urgence pour résorber le stock des demandes de concours à la force public, la mise en place d'équipes mobiles pour aller à la rencontre des ménages en situation d'impayés inconnus des services sociaux paraît être une initiative à pérenniser au-delà de 2022 , sous réserve du bilan qui sera tiré de leur action.

Le député Nicolas Démoulin soulignait en outre que les huissiers rencontraient rarement les locataires, ne pouvant parfois pas accéder aux parties communes des immeubles. Or, ils pourraient délivrer, en même temps que le commandement de payer, une information sur les dispositifs d'accompagnement et de maintien dans le logement et ainsi poser un premier jalon. Aujourd'hui, la procédure se poursuit bien souvent en l'absence du locataire et les expulsions sont prononcées sans qu'un diagnostic social ait été posé. C'est d'autant plus le cas que les commandements de payer ne sont pas signalés aux commissions de prévention des expulsions en dessous de trois à six mois de loyer selon les départements et donc à un stade où la dette locative devient difficile à apurer.

Proposition n° 25 : Privilégier la gestion précoce des impayés en mettant en place des politiques « d'aller vers » et en y associant les huissiers.

2. Indemniser systématiquement et complètement les propriétaires

Sur ce point la mission d'information fait sienne les propositions du député Nicolas Démoulin qui a démontré que la politique de maintien dans les lieux se faisaient bien souvent au détriment des propriétaires qui ne sont ni systématiquement, ni complètement indemnisés.

En effet, l'État doit une indemnité au propriétaire dès lors que le concours de la force publique est refusé pour réaliser l'expulsion. Ce droit résulte de l'arrêt Couitéas du 30 novembre 1923 du Conseil d'État et figure actuellement à l'article L. 153-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.

Mais dans les faits, 47 % des propriétaires ne la demandent pas soit par ignorance, soit pour éviter de nouvelles démarches devant le tribunal administratif pour l'obtenir car cette indemnisation ne va pas de soi et son montant est parfois âprement négocié par les préfectures. Elle ne recouvre, dans tous les cas, pas l'intégralité du loyer. Le particulier doit en effet la demander au préfet qui dispose d'un délai de deux mois pour répondre. Mais si la fin de ce délai tombe pendant la trêve hivernale, la responsabilité de l'État n'est engagée qu'à l'issue de celle-ci !

Celle-ci s'étend normalement du 1 er novembre au 31 mars mais a été prolongée jusqu'à l'été en 2020 et 2021 face à la crise sanitaire, ce qui a eu d'importantes conséquences pour les propriétaires qui n'ont été qu'en partie prises en compte par le dispositif juridique d'exception.

Le besoin financier a été chiffré à 80 millions d'euros . Cette évaluation n'est pas exagérée car le montant du fonds d'indemnisation était de 78 millions d'euros en 2005 et a été ramené à 32,5 millions d'euros en 2020.

Enfin, techniquement, ce budget devrait être géré par le ministère du Logement et non par le ministère de l'Intérieur car il s'agit bien d'un volet de la politique de prévention des expulsions, au même titre, en sens inverse, que les astreintes acquittées par l'État au titre du DALO lorsqu'il ne peut fournir un logement aux ménages prioritaires.

Proposition n° 26 : Garantir une indemnisation systématique et complète des propriétaires par l'État, augmenter à due concurrence les ressources budgétaires et les faire gérer par le ministère du Logement.

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