C. UNE RUPTURE DISCRÈTE DÛE À LA CRISE DE 2008 : L'ÉMERGENCE D'UNE DÉPENDANCE AU SYSTÈME DE REDISTRIBUTION

1. Depuis 2008, le niveau de vie des ménages modestes ne peut se maintenir que sous l'effet des transferts sociaux

La crise de 2008 a marqué une rupture discrète, que ne reflète ni l'évolution du taux de pauvreté, ni même celle du niveau de vie des ménages.

En effet, comme le montre clairement le graphique ci-dessous, on observe à compter de 2008 une chute brutale du niveau de vie « avant redistribution » des 10 % des ménages les plus pauvres, qui n'a jamais été rattrapée. Ce n'est donc que grâce aux transferts sociaux et fiscaux que leur niveau de vie a pu se maintenir à peu près constant 18 ( * ) .

Évolution du niveau de vie des 10 % des français les plus modestes
avant et après redistribution entre 1996 et 2018

Source : Insee

Cette évolution se traduit par une forte augmentation du nombre de bénéficiaires de minima sociaux, qui a progressé de plus de 30 % depuis 2008 pour s'établir à 4,25 millions en 2019.

Évolution du nombre de bénéficiaires de minima sociaux entre 1999 et 2019

Source : mission d'information, d'après les données de la Drees

Le système français de redistribution atténue en outre très fortement le taux de pauvreté monétaire , qui serait ainsi « spontanément » bien supérieur à 20 % de la population (22,1 % en 2017, contre 14,1 % après redistribution, soit un impact estimé à 8 points 19 ( * ) ).

Le passage du revenu initial au revenu disponible

Source : Drees

2. La dépendance aux prestations sociales trouve néanmoins ses limites

Notre système de solidarité a donc pleinement su joué son rôle d'amortisseur et de filet de sécurité suite au choc de la crise de 2008, ce dont il convient de se réjouir. Néanmoins, la dépendance à ces dispositifs dans laquelle la France semble s'être installée trouve rapidement ses limites.

a) Première limite : le système de redistribution ne résout pas la question de la sortie de la pauvreté

La sortie de la pauvreté est le fruit d'un processus complexe et multifactoriel , comme l'a montré la sociologue Claire Auzuret , auditionnée par la mission, pour qui : « la notion de sortie de la pauvreté ne se réduit pas à une question de revenus. Il faut tenir compte d'autres indicateurs : la position sociale, la stabilité professionnelle liée au type de contrat de travail, la qualité de l'emploi occupé, la satisfaction éprouvée dans le travail, la possibilité de se nourrir et d'accéder aux loisirs, les caractéristiques des réseaux familial, amical et de voisinage, ou encore la possibilité, ou non, de se passer des aides sociales de manière durable, et donc de se projeter dans l'avenir ».

Les aides sociales ne suffisent donc pas, loin s'en faut, à sortir durablement les personnes de la pauvreté . Ainsi, selon la Drees, fin 2019, 61 % des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) perçoivent cette prestation depuis au moins 2 ans, 37 % depuis au moins 5 ans, 16 % depuis au moins 10 ans. À l'inverse, seuls 25 % des bénéficiaires du RSA fin 2017 âgés de 16 à 58 ans ne perçoivent plus le RSA fin 2018.

Ancienneté des bénéficiaires du RSA en 2019

(en pourcentage)

Source : mission d'information, d'après les données de la Drees

Claire Auzuret identifie quatre principaux obstacles : la maladie, la monoparentalité, un retrait progressif du marché du travail et l'isolement social. Les politiques publiques de lutte contre la pauvreté se doivent d'agir sur l'ensemble de ces leviers, en sus du levier strictement monétaire.

b) Deuxième limite : si notre système de redistribution peut contribuer à renforcer la cohésion sociale, il peut aussi nourrir dans certain cas un sentiment d'injustice

Le système de redistribution « à la française » constitue un pilier du pacte social. Toutefois, la situation de dépendance au système de prestations sociales peut faire naître, comme cela a été expliqué précédemment, un sentiment de honte ou de perte d'autonomie de la part de ses bénéficiaires , et un sentiment d'injustice qui peut émaner d'autres catégories de la population.

En ce qu'il repose sur une multiplicité de dispositifs fiscaux et budgétaires qui dépendent eux-mêmes de paramètres complexes et forcément imparfaits, tout système de redistribution ouvre la voie à une contestation de la légitimité de la répartition des richesses qui en résulte .

En particulier, en France, le système de redistribution peut être de nature à aviver les tensions et les inégalités géographiques , la Drees ayant par exemple montré qu'il joue relativement moins bien son rôle de réduction de la pauvreté dans les territoires ruraux isolés que dans les territoires urbains. En effet, si le taux de pauvreté avant redistribution est, dans ces territoires, inférieur à la moyenne nationale (20,9 % contre 22,1 % en 2017), il devient supérieur de près d'un point après redistribution (15,0 % contre 14,1%) 20 ( * ) .

Distinction de l'impact du système de redistribution sur le taux de pauvreté
dans les territoires ruraux isolés
et dans l'ensemble de la population métropolitaine
(en pourcentage)

Source : mission d'information, d'après les données de la Drees

c) Troisième limite : la soutenabilité financière du système

La dépendance au système de redistribution s'est traduite par une hausse massive des dépenses sociales.

Ainsi, les seules dépenses de minima sociaux 21 ( * ) mesurées par la Drees ont progressé de 37 % entre 2009 et 2019 , passant de 20,7 à 28,3 milliards d'euros, soit 1,2 % du PIB.

Évolution des dépenses de minima sociaux entre 2009 et 2019

(en milliards d'euros)

Source : mission d'information, d'après les données de la Drees

La question de la soutenabilité financière d'un tel modèle reste donc posée, dans un contexte budgétaire où la dette publique avoisine désormais les 120 % du produit intérieur brut (PIB).


* 18 Fabien Delmas et Jorick Guillanef, « En 2018, les inégalités de niveau de vie augmentent », Insee première n° 1813, 2020.

* 19 Drees, « Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution - Édition 2020 ».

* 20 Drees, « Minima sociaux et prestations sociales - Ménages aux revenus modestes et redistribution - Édition 2020 ».

* 21 Les prestations prises en compte sont les suivantes : revenu de solidarité active, allocation aux adultes handicapées, minimum vieillesse, allocation de solidarité spécifique, allocation supplémentaire d'invalidité, allocation temporaire dégressive, allocation pour demandeur d'asile, allocation équivalent retraite, revenu de solidarité, allocation veuvage.

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