EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 22 septembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section à la sixième chambre de la Cour des comptes pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur les soins critiques.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin des magistrats de la Cour des comptes, pour la présentation d'une enquête demandée par notre commission sur les soins intensifs et de réanimation. M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour, ayant eu un empêchement, il est remplacé par Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section, qui est accompagnée de M. Noël Diricq, conseiller maître, et de M. Nicolas Parneix, rapporteur extérieur.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Quasiment inconnus du grand public avant la crise sanitaire, les soins critiques ont acquis depuis lors une notoriété nouvelle, les capacités des établissements de santé ayant même fini par commander les mesures de restrictions de liberté appliquées à la population.

Au-delà de la gestion de la crise sanitaire, en particulier de sa première vague, que le Sénat a analysée lors des travaux de la commission d'enquête sur le covid-19, il m'a semblé nécessaire d'approfondir les aspects structurels de ce secteur de l'organisation des soins : non seulement le bon dimensionnement des lits, mais sans doute aussi la modularité des organisations, les disparités territoriales, les conditions d'une coopération durable entre les établissements publics et privés et la mise en place de capacités de pilotage plus efficaces, en particulier des systèmes d'information.

La crise sanitaire a également mis en évidence la question cruciale des ressources humaines, en particulier des paramédicaux, dont le manque s'est fait sentir et pose des questions lourdes, comme l'attractivité, la gestion des carrières ainsi que l'organisation des tâches entre les différentes professions de santé.

Nous avons reçu plusieurs témoignages de professionnels faisant état de ces difficultés structurelles. Celles-ci devront trouver des réponses sans tarder, car le principal défi auquel les soins critiques sont confrontés est bien le vieillissement de la population, qui en sollicitera toujours plus les capacités sans que puissent être développées des solutions de substitution.

Madame la présidente, vous avez la parole pour nous exposer les conclusions de votre enquête.

Mme Véronique Hamayon, conseillère maître, présidente de section à la sixième chambre de la Cour des comptes . - Vous connaissez, bien entendu, les conditions de notre saisine et les conditions difficiles dans lesquelles nous avons dû réaliser notre contrôle puisque, en raison du contexte de pandémie, nos interlocuteurs étaient peu disponibles. Néanmoins, nous avons pu la mener et elle a débouché sur deux études de la Cour des comptes.

Faisons d'abord le point sur les définitions : les services de soins critiques, qui ne sont pas forcément comparables à ce que désigne ce terme dans les autres pays européens, recouvrent trois types de service : les services de réanimation, les unités de soins intensifs (USI) et les unités de surveillance continue (USC).

La Cour a instruit son contrôle sur les soins critiques tant au regard de la pandémie que d'un point de vue structurel. Notre étude a donné lieu à une insertion dans le rapport public annuel de la Cour de mars dernier, mais il nous a semblé dommage de ne pas aller plus loin, car nous avions recueilli nombre de données et nous pensions nécessaire d'étudier les deuxième et troisième vagues, afin d'examiner si les enseignements de la première avaient été tirés, si les services avaient adapté leur réponse aux besoins. Nos constats nous ont amenés à émettre trois grands messages : il est indispensable de revenir aux fondamentaux de la planification sanitaire, qui a existé jusqu'en 2014 ; l'adaptation de l'offre de soins ne peut s'envisager que sur le long terme, car faire face à une pandémie ne devrait pas s'improviser ; et la tarification à l'activité (T2A) n'est pas adaptée aux soins critiques.

Nos constats se structurent autour des deux axes annoncés, les enseignements tirés de la crise et ceux qui sont issus de notre analyse structurelle.

En ce qui concerne les enseignements tirés de la crise, nous avons en premier lieu constaté que la France était très mal préparée à la survenue d'une pandémie. Depuis 2014, les outils spécifiques n'existaient plus et les plans Orsan (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) ne sont pas adaptés.

En second lieu, la réponse des autorités sanitaires a été quelque peu tardive. Ces dernières n'ont pas anticipé les effets de la pandémie sur les services de soins critiques puisque ce n'est qu'à la mi-mars 2020 que les autorités se sont organisées pour faire monter en charge les services de soins critiques. Entre les deux premières vagues, entre juillet et octobre 2020, nous n'avons pas relevé de décision annonciatrice d'évolution structurelle, non plus que lors du Ségur de la santé. De même, nous n'avons pas observé d'évolution en matière d'ouverture de places d'interne en anesthésie-réanimation ni dans les dotations en infirmiers en soins critiques.

Toutefois, nous avons constaté qu'une nouvelle doctrine a été mise en place pour éviter les déprogrammations massives de la première vague, une approche régionalisée ayant succédé à une approche nationale ; on a aussi pérennisé les outils de suivi épidémiologique, des capacités hospitalières et des stocks de médicaments et de dispositifs médicaux.

Les leçons tirées de la première vague sont positives : les déprogrammations ont été régionalisées et il y a eu une volonté de structurer une filière hospitalière de covid-19. Néanmoins, l'efficacité de ces solutions s'étiole, car les renforts exceptionnels de ressources humaines ont été difficiles à mobiliser, en raison de la lassitude des acteurs et du développement de la pandémie sur le territoire. Quant aux transferts de patients, ils demeurent lourds à mettre en oeuvre. Enfin, la coopération entre public et privé, assez marquée pendant la première vague, a été difficile à maintenir dans la durée.

Pour ce qui concerne le volet structurel de notre enquête, nous avons cherché à identifier des pistes de réforme.

Nous avons d'abord constaté que la croissance de l'offre en soins critiques a été limitée, entre 2013 et 2019, à la surveillance continue et aux soins intensifs et n'a pas touché la réanimation. Nous constatons également des inégalités territoriales marquées du point de vue de la capacité d'hospitalisation en soins critiques, ainsi que la concentration progressive de l'offre de soins, avec la suppression de petits services et leur regroupement, les créations de lits s'enregistrant dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Malgré cette évolution positive, il reste un grand nombre d'unités de soins critiques de petite taille et isolés.

Par ailleurs, les coopérations territoriales des services de soins critiques sont informelles ; en outre, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont trop étroits pour permettre une véritable coopération : 65 % des GHT n'ont qu'un service de réanimation.

Enfin, nous avons constaté que les services rendus par les unités de soins critiques n'étaient pas identiques selon la nature, publique ou privée, de l'établissement.

J'en viens à l'évolution de l'activité de soins critiques. La progression de l'activité en volume constatée sur les cinq ou six dernières années va se poursuivre ; le nombre de passages en réanimation a crû de 8,2 % par an entre 2014 et 2019. Par ailleurs, les patients en soins critiques sont de plus en plus âgés.

En ce qui concerne les parcours en soins critiques, nous montrons un manque évident de fluidité en aval. En effet, un certain nombre de patients, faute de débouché, occupent des lits de soins critiques qui font défaut pour des patients en ayant plus besoin. Nous avons été étonnés de constater que l'activité de soins critiques diminue fortement le week-end. Une marge d'amélioration existe certainement en la matière.

Je termine par un point sur les ressources humaines consacrées aux soins critiques. Ces services mobilisent 53 000 équivalents temps plein (ETP), soit 9 % des équipes médico-soignantes de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO). Les infirmiers en représentent plus de la moitié, les médecins 11 % et les aides-soignants 31 %. On observe des tensions sur les effectifs de médecins anesthésistes-réanimateurs et de médecins intensivistes-réanimateurs. Surtout, on observe un turnover très élevé chez les infirmiers en soins critiques, de l'ordre de 25 % par an, soit le double de ce que l'on observe dans les services de soins conventionnels. C'est très lourd pour les équipes, d'autant qu'il faut former les nouveaux arrivants. Tout départ crée donc une difficulté pour le service.

Sur le fondement de ces constats, la Cour suggère des orientations. Elle propose d'abord de conserver la pluridisciplinarité des spécialités d'anesthésie-réanimation et de médecine intensive-réanimation. Il convient également d'anticiper les tensions sur les effectifs, compte tenu de la dynamique de l'activité et du vieillissement de la population. La Cour suggère de favoriser les passerelles entre spécialités médicales et de renforcer la reconnaissance des infirmiers diplômés d'État (IDE) en soins critiques, au travers d'une formation spécifique et d'une reconnaissance financière.

Par ailleurs, il faut anticiper, sur le plan matériel, l'avenir des soins critiques, afin que les établissements se préparent en amont, car la refonte des services de soins critiques nécessite de repenser les bâtiments. En outre, l'informatisation des services est très insuffisante et les systèmes d'information (SI) ne sont pas compatibles entre eux.

Enfin, il faut réformer le financement des soins critiques. L'ouverture d'un lit en réanimation représente, pour un établissement, un déficit moyen de 115 000 euros par an. Il y a donc une désincitation à ouvrir un lit en soins critiques s'il n'est pas adossé à un service de MCO. Il convient d'annihiler les effets tarifaires de l'ouverture d'un service de soins critiques et d'envisager une tarification permettant de libérer des lits quand ils peuvent l'être.

Mme Corinne Imbert . - L'offre de lits en soins intensifs n'est plus en phase avec la disponibilité de lits en aval. Or les spécialistes de médecine intensive-réanimation recommandent une augmentation du nombre de lits dans les régions déficitaires, tandis que les anesthésistes-réanimateurs sont plus réservés à cet égard. Comment analysez-vous cette différence d'appréciation ? Quel type d'adaptation préconisez-vous ?

Quelles seraient les pistes de réforme du financement ?

Il m'a semblé que vous préconisiez, dans votre rapport, la constitution d'une réserve de soignants en soins critiques. Pouvez-vous en dire deux mots ?

Enfin, cette étude porte sur 2019, mais l'année 2020 a été cruciale, de même que l'année 2021. Avez-vous des éléments sur ces deux années ? Comment analysez-vous la quatrième vague de l'été 2021 ?

Mme Florence Lassarade . - Je connais bien ce secteur en tant qu'ancienne réanimatrice pédiatrique ; bienvenue dans un monde qui était mal connu avant la crise...

Le soignant passe beaucoup de temps à organiser le transfert et le transport d'un patient d'un service à l'autre, et la France est reconnue pour la qualité de ses transferts. Connaissez-vous le coût de ces transferts ? En particulier, pouvez-vous nous dire un mot sur les transferts médiatiques organisés lors de la première vague du covid-19 notamment, qui mobilisaient jusqu'à huit soignants ?

Quant à la question de la formation, des élèves infirmiers et des personnes souhaitant passer une année en centre hospitalier universitaire (CHU) ont été pénalisés, en raison du manque de temps pour les former. C'est paradoxal...

Mme Véronique Guillotin . - Merci de ce rapport qui formalise beaucoup de choses qui étaient déjà dans notre esprit, notamment les tensions dans ces filières.

Vous avez évoqué la question des débouchés en aval et la fluidité de la filière hospitalière. Il manque des services adaptés pour accueillir les patients qui devraient sortir de soins critiques mais qui y restent trop longtemps, aucun service de soins de suite et de réadaptation (SSR) ne pouvant les accueillir. Il faudrait donc créer, dans chaque GHT, un service prenant en charge des patients ne pouvant être admis en SSR. Un lit de réanimation doit rester un lit de réanimation.

Connaissez-vous le nombre de soignants supplémentaires qui seraient nécessaires, sachant que les besoins en soins critiques vont encore augmenter ?

Enfin se pose la question de la collaboration privé-public ; il faudrait être plus dynamique à cet égard. Croyez-vous aux unités mobiles ?

Mme Véronique Hamayon . - Mesdames Imbert et Guillotin, votre remarque sur les lits d'aval rejoint une préconisation de la Cour des comptes : la création de services adaptés, entre les soins critiques et les SSR. Il manque de tels services, pour les patients qui ne relèvent plus des soins critiques mais qui ne sont pas encore prêts pour les SSR. Nous n'avons pas fait de chiffrage, nous nous en sommes tenus au constat.

M. Nicolas Parneix , magistrat à la chambre régionale des comptes d'Occitanie, rapporteur extérieur . - Il y a deux sujets : le nombre de lits requis - c'est vrai, les experts ne sont pas d'accord entre eux sur la question - et la tension en aval : le bon patient doit être dans le bon lit. Certains patients ne sortent pas le week-end, ce qui représente, sur l'année, des centaines de lits bloqués. Il faudrait donc créer des services adaptés, mais il conviendrait également que la MCO puisse fonctionner en permanence, y compris le week-end ; en général, ces secteurs ne peuvent prendre en charge les patients, faute d'effectifs pour traiter les admissions. La Cour propose donc l'expérimentation de ces services d'aval, qui éviterait la création de lits, qui n'est pas forcément nécessaire.

Sur la création de lits, notre analyse n'est pas partagée par les sociétés savantes. Nous constatons qu'il y a de plus en plus de patients âgés en soins critiques - c'est difficile à contester - et que le volume global de patients augmente. Or il y aura 5,2 millions de Français de plus 65 ans d'ici à 2030, donc le phénomène est encore devant nous. Ces patients étant de plus en plus présents dans les soins critiques, on peut anticiper une augmentation des flux.

Toutefois, il faut également prendre en compte les évolutions technologiques de long terme ; aujourd'hui, des actes interventionnels légers se substituent à des actes chirurgicaux lourds, qui nécessitaient de la réanimation. Ainsi, quand l'angioplastie remplace la chirurgie cardiaque « à ciel ouvert », le recours à la réanimation diminue.

Les deux effets se conjuguent mais jouent en sens inverse. Il faut évaluer les besoins sur ces fondements, mais la Cour n'est pas compétente pour cela.

Mme Véronique Hamayon . - J'en viens à la réforme du financement. Notre rapport ne traite pas de la réforme de la T2A ; nous observons simplement qu'un lit de réanimation représente un poste de coût significatif, puisqu'il entraîne en moyenne un déficit annuel de 115 000 euros. Or ces soins ne sont pas remplaçables, il n'y a pas de choix. C'est donc moins le principe de la T2A que son niveau inadapté que nous pointons. Nous avons observé, sur la période étudiée, une baisse de la tarification de ces soins, qui ne se justifie pas. La tarification doit, à tout le moins, couvrir les coûts, en se fondant, bien évidemment, sur les établissements les plus efficients. C'est le principe de la neutralité de la tarification : la tarification ne doit pas avoir d'impact sur l'ouverture et l'organisation d'un tel service.

L'objectif d'une réserve de soignants spécialisés en soins critiques serait de permettre une mobilisation rapide des professionnels. L'idée serait de mobiliser des professionnels qui ont reçu une formation initiale spécifique, actualisée régulièrement : médecins, infirmiers, kinésithérapeutes ou autres. En effet, pendant la crise sanitaire, ce sont non les médecins mais les infirmiers qui ont manqué. Cette idée de réserve de professionnels, notamment d'infirmiers, nous paraît donc indispensable.

Enfin, nous avons entièrement couvert l'année 2020 dans notre étude.

M. Nicolas Parneix . - Madame Lassarade, les transferts ont été importants médiatiquement, mais n'ont concerné que 660 personnes en 2020. Nous n'avons pas analysé les coûts complets de ces transferts, non plus que le fait, polémique, d'avoir transféré des patients à travers le pays en les faisant passer devant des cliniques. Cela est peut-être arrivé, mais ne représentait pas grand-chose du point de vue du coût et cela ne s'est pas reproduit. En revanche, les patients ont dû être transférés avec leur dossier papier, car il n'était pas possible de transférer le dossier informatique. C'est l'objet de l'une de nos alertes.

Quant au paradoxe consistant à ne pas dispenser la formation des infirmiers du fait de la pandémie, alors que c'était une bonne occasion de les former aux soins critiques, je pense que la solution passe avant tout par la révision de la maquette de formation des IDE. Si cette maquette avait intégré, dès l'origine, la formation aux soins critiques, on aurait eu moins de pertes d'opportunité. La réponse est donc structurelle : il faut réviser cette maquette. Un patient en soins critiques génère 10 000 données biologiques par jour, principalement via des équipements informatiques. Une infirmière ne gère pas tous ces signaux, bien sûr, mais cela requiert un système informatisé performant et une formation adéquate.

Mme Véronique Hamayon . - Nous n'avons pas quantifié le nombre d'infirmiers nécessaires en services de soins critiques, mais il faut réviser la formation initiale et continue, et s'attaquer au problème du turnover.

M. Nicolas Parneix . - Sur les unités mobiles de réanimation, il y a eu plusieurs initiatives en la matière. La question de la logistique et des équipements n'a pas été le problème fondamental, en dehors du premier mois, lorsque l'on a manqué de respirateurs ou de médicaments - d'ailleurs, les outils ad hoc créés pour suivre l'approvisionnement en médicaments perdureront, ce qui montre que l'on bénéficie toujours, après une crise, de l'inventivité dont on a fait preuve pendant son déroulement - ; en réalité, on a surtout besoin de médecins et d'infirmières pour former une unité mobile. D'ailleurs, certains lits de réanimation n'ont pas été ouverts, faute de personnel disponible. C'est donc un problème non pas capacitaire mais de ressources humaines, ce qui soulève à nouveau la question de la formation, initiale et actualisée, des infirmières aux soins critiques.

Mme Victoire Jasmin . - Les services support ne sont pas pris en compte dans votre rapport alors qu'ils sont des maillons importants de la chaîne. Je pense aux laboratoires ; lors de la première vague, certains ne pouvaient pas faire de tests de réaction de polymérisation en chaîne, ou PCR. Or il est important de disposer de diagnostics fiables.

La compatibilité entre les systèmes d'information est effectivement importante, car il peut y avoir des problèmes d'homonymie et cela permet de gagner du temps.

Enfin, il convient, pour les futures crises, de prendre en compte l'ensemble des professionnels, y compris les « invisibles », qui manquent sur notre territoire.

Mme Laurence Cohen . - Ce rapport corrobore les positions du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui dénonce de longue date l'insuffisance des budgets hospitaliers.

La formation est importante, certes, mais la question majeure est celle du manque d'attractivité de ces métiers ; le personnel quitte, sur la pointe des pieds, les établissements hospitaliers, ce qui aggrave les difficultés. Avez-vous observé cela ?

Selon vous, la solution ne passe pas nécessairement par l'ouverture de lits, mais, pendant la pandémie, des lits et du personnel ont été redéployés temporairement en réanimation. Donc, oui pour la formation initiale, mais il faut un personnel suffisant, c'est-à-dire une profession attractive.

Vous remettez par ailleurs en cause la T2A et Agnès Buzyn elle-même nous avait indiqué que ce mode de financement n'était pas complètement adapté ; nombre de directeurs d'hôpital pensent la même chose. Donc tout le monde le dit, mais on n'avance pas et on élargit même la T2A aux hôpitaux psychiatriques, ce qui me semble aberrant. Que recommandez-vous ?

Enfin, pourriez-vous compléter votre évaluation des services de soins critiques en incluant les consultations post-réanimation ?

Mme Élisabeth Doineau . - Vous avez dit à quel point nous étions mal préparés. Que préconisez-vous pour les prochains projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Il faut un véritable plan, car ce manque d'anticipation a entraîné une perte de chance pour certains patients. Il faut donc se préparer, c'est-à-dire faire des choix : lesquels ?

Le vieillissement de la population représente une pression importante pour l'hôpital. Le projet de loi Grand âge et autonomie a été enterré, donc quelle piste envisager pour remédier à l'occupation de ces lits par des personnes âgées ?

Enfin, le ministère de la santé vous semble-t-il sensible à vos préconisations sur la reconnaissance et la formation des infirmiers ?

Mme Raymonde Poncet Monge . - Vous avez observé des différences dans le service rendu par le secteur public et par le secteur privé. Pouvez-vous développer ce point ? Quelles en sont les conséquences financières ? La différence des niveaux de sévérité a-t-elle pu entraîner des différences de coûts ?

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je partage nombre de vos constats et de vos positions : sur la T2A, sur les passerelles médicales, sur la formation et sur le Ségur de la santé, qui n'a pas pris de décisions sur les services de soins critiques.

Nous avons adopté, de façon transpartisane, une mesure sur la reconnaissance des infirmiers anesthésistes diplômés d'État (IADE) et sur les infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (Ibode), mais cela n'a pas abouti. Aujourd'hui, les professionnels de santé n'ont plus envie de se former car, s'ils reprennent leurs études, ils subissent une perte de salaire pendant leur formation. Qu'en pensez-vous ?

Tant qu'on n'abordera pas le problème de la reconnaissance des métiers et celui des fermetures de lit, on ne réglera rien. À Douai, les urgences pédiatriques ferment le week-end, donc les familles doivent aller à Lens, mais on y manque aussi de personnel.

Mme Laurence Garnier . - Je veux revenir sur notre impréparation face à la crise. Celle-ci a surpris tout le monde, mais nombre d'experts expliquaient, dès la fin des années 1990, que les pandémies se développeraient au XXIe siècle. Or, malgré une prise de conscience au début des années 2000, ce risque a été complètement occulté par la suite. Pourquoi le risque de pandémie, qui était à l'esprit des dirigeants au début des années 2000, a-t-il disparu ensuite ?

M. René-Paul Savary . - Selon vous, les GHT sont trop petits et n'intègrent pas l'offre de soins privée ; c'est vrai. Comment faire évoluer cela ?

M. Jean Sol . - Il est difficile d'anticiper les tensions à venir des effectifs et des compétences, dans un contexte de pénurie des effectifs.

Les effectifs d'unité de soins critiques sont normés. Serait-il pertinent de réviser ces normes ? Vous parlez d'immobilisation des lits ; pouvez-vous développer ce point ?

La formation des infirmiers en soins critiques doit être corrélée aux évolutions technologiques. En outre, il est déjà difficile de détacher du personnel vers une formation en temps normal, donc c'est pire pendant une crise. Par ailleurs, cela fait longtemps que l'on souhaite une reconnaissance des infirmiers, mais, pour l'instant, cela ne se fait pas.

Enfin, je ne vois rien sur l'amélioration des conditions de travail, notamment sur le travail en douze heures ; la possibilité de récupérer accroîtrait l'attractivité de ces services.

M. Alain Milon . - Les questions de mes collègues touchent à l'approche comptable du financement de la sécurité sociale. Si nous devions abandonner cette approche, quel type d'approche recommanderiez-vous ?

Mme Véronique Hamayon . - Madame Jasmin, la réanimation représente un moment de l'hospitalisation et il était impossible de prendre en compte toute la chaîne hospitalière. Notre rapport s'est concentré sur les soins critiques, sans préoccupation du service d'aide médicale urgente (SAMU), des urgences, etc. J'entends bien votre question, mais tout cela constitue un continuum. Nous n'avons donc pas étudié les services support, à l'exception des SI, compte tenu du nombre d'informations générées par ces services. Or non seulement les systèmes des établissements d'un même GHT ne sont pas compatibles entre eux, mais, au sein d'un même établissement, il n'y a pas d'interface non plus ! Les informations sont ressaisies, avec tous les risques d'erreur et le temps perdu que cela entraîne.

Le département de la Guadeloupe a été en forte tension, d'où l'envoi de renforts. Je renvoie à mes observations sur la réserve en soins critiques, qui devrait être, d'après nous, régionalisée.

Madame Cohen, sur le manque d'attractivité, il faut être prudent. Pour les médecins, il n'y a pas de manque d'attractivité des soins critiques, puisque ces spécialités ressortent à un niveau élevé dans les épreuves classantes. Pour les infirmières, effectivement, la pénibilité et le stress sont à prendre en compte, d'où la nécessité d'un volet spécifique dans la formation initiale, avec, en regard, une possible revalorisation financière.

Le rapport ne porte pas sur la refonte de la T2A, mais, je vous l'annonce, ce sujet est prévu dans les prochains travaux de la Cour. Néanmoins, nous pointons la baisse tendancielle de la tarification des soins critiques, qui n'est pas justifiée. C'est donc le niveau de la tarification qui nous semble poser problème, non la T2A en soi.

Nous n'avons pas étudié la question des consultations post-réanimation, afin de nous focaliser sur un moment, celui des soins critiques.

Madame Doineau, la question sur les capacités relève du politique, non de la Cour. Les sociétés savantes et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) se sont prononcées sur ce point. L'évolution des capacités est une question essentielle, mais elle n'est pas univoque, car, pour les soins critiques, elle dépend du vieillissement inéluctable de la population, mais aussi du progrès technique, qui peut réduire ou supprimer le passage en soins critiques. La Cour n'est pas compétente sur cette question, mais l'analyse doit être conduite par les sachants afin que le politique s'en saisisse.

Je suppose que le ministre est sensible à la question de la formation des infirmiers en soins critiques, car la Cour n'est pas la seule à recommander une adaptation. Nous verrons si les recommandations de la Cour sont suivies d'effets.

Sur la comparaison du financement et du service rendu entre public et privé, il est difficile de répondre. Dans le privé, la réanimation est directement adossée à une activité rémunératrice de MCO, car elle vient à l'appui d'actes chirurgicaux, alors que, dans le public, ces services peuvent exister sans acte classant.

M. Nicolas Parneix . - En effet, le recours aux soins de critiques n'est pas le même. Dans le secteur privé, les patients sont programmés et le passage en soins critiques est lié à un acte rémunérateur, donc le déficit lié à la réanimation est compensé par l'acte chirurgical rémunérateur, tandis que les soins critiques non liés à un acte interventionnel, sans acte classant, se portent majoritairement vers le public. Ainsi, le service rendu n'est pas le même, mais on ne peut donc pas se prononcer sur la qualité de ce service.

Mme Véronique Hamayon . - Il n'y a pas eu de fermeture de lits en soins critiques ; des services ont fermé et se sont regroupés pour atteindre une taille critique, mais, globalement, il y a eu un accroissement du nombre de lits, lequel, peut-être, n'est pas adapté aux besoins. Évidemment, on ne peut pas adapter la jauge à la crise que l'on a connue. La jauge doit être liée au vieillissement de la population et au progrès technique et c'est cette balance qui doit permettre de déterminer la jauge idéale à moyen et long termes. Peut-être faudra-t-il créer des lits, mais peut-être pas ; la Cour ne peut pas le dire.

Nous avons analysé le sujet de la préparation face à la crise non pas dans toute son ampleur, mais uniquement du point de vue des soins critiques. Nous montrons que ces services n'ont plus été un sujet spécifique du plan Orsan. Nous le regrettons et nous proposons de les y réintégrer.

Monsieur Savary, la Cour a publié un rapport assez complet sur les GHT, avec des réponses à cette question. Je vous y renvoie.

Monsieur Sol, la Cour ne parle pas de « pénurie d'effectifs » ; nous nous sommes bornés à évoquer la formation des infirmiers en soins critiques et la meilleure coordination des différentes professions. C'est vrai, les soins critiques engendrent des conditions de travail difficiles, parce qu'il y a un taux de mortalité élevé et parce que l'on est dans une situation de stress, avec beaucoup de gestes techniques, pouvant avoir des conséquences dommageables. La reconnaissance financière et une formation spécifique seraient donc à envisager.

M. Nicolas Parneix . - Les soins critiques sont assez recherchés par les infirmiers, notamment jeunes, parce qu'ils requièrent des gestes techniques et valorisants, mais on y enregistre aussi le taux de mortalité le plus fort de l'hôpital. Cela dit, la pénibilité est compensée par le fait que les effectifs y sont normés ; c'est le seul service à en bénéficier. Le Gouvernement, avec les sociétés savantes, veut faire évoluer cette norme, mais celle-ci compense les conditions de travail. Néanmoins, c'est vrai, le turnover y est très élevé.

Mme Catherine Deroche , présidente. - Madame la présidente, messieurs, je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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