N° 843

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 septembre 2021

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement (1) sur harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir , détecter et traiter ,

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénatrice

(1) Cette mission est composée de : Mme Sabine Van Heghe, présidente ; Mme Colette Mélot, rapporteure ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Jacques Grosperrin, Mmes Claudine Lepage, Jocelyne Guidez, Nadège Havet, M. Pierre Ouzoulias, Mme Véronique Guillotin, M. Thomas Dossus, vice-présidents ; Mme Jacqueline Eustache Brinio, M. Claude Kern, secrétaires ; Mmes Catherine Belrhiti, Annick Billon, M. Hussein Bourgi, Mme Toine Bourrat, M. Guillaume Chevrollier, Mmes Sabine Drexler, Joëlle Garriaud-Maylam, Micheline Jacques, M. Patrick Kanner, Mmes Catherine Morin-Desailly, Elsa Schalck.

AVANT - PROPOS

Chacun doit bien mesurer le drame, individuel et collectif, que le harcèlement scolaire, surtout lorsqu'il est démultiplié par les réseaux sociaux, représente aujourd'hui pour notre société.

6 à 10 % des élèves subiraient une forme de harcèlement au cours de leur scolarité, un quart des collégiens serait confronté à du cyberharcèlement. Au total, chaque année entre 800 000 et 1 000 000 d'enfants seraient victimes de harcèlement scolaire .

Il faut donc s'atteler avec détermination à comprendre ce phénomène pour mieux le combattre.

C'est précisément l'objet de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement créée à l'initiative du groupe Les Indépendants-République et Territoires 1 ( * ) en application du droit de tirage des groupes politiques prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat.

Lors de nos auditions ou de nos déplacements sur le terrain 2 ( * ) , nous avons souhaité rencontrer les différents acteurs concernés pour enrichir notre réflexion et nos propositions, qui s'attachent en particulier à mieux prévenir le fléau du harcèlement scolaire.

Les actes de harcèlement, à l'âge des apprentissages fondamentaux et de l'acquisition des premiers repères sociétaux, peuvent marquer dramatiquement toute une vie. Ils portent, par leur nature même, une atteinte profonde aux fondements de notre conception du vivre-ensemble.

Le harcèlement scolaire, surtout dans sa version cyber qui ignore les limites géographiques ou temporelles, doit donc faire l'objet d'un traitement à la hauteur de l'enjeu, qui soit du même niveau que celui qui nous conduit, à l'école comme dans l'ensemble de la société, à défendre et promouvoir la laïcité.

Il est donc apparu indispensable à votre mission d'information de poursuivre et d'amplifier la politique définie il y a 10 ans et continuée depuis, au-delà des alternances politiques, par les ministres de l'Éducation nationale successifs. Nous proposons à ce titre de reconcentrer des forces parfois dispersées en faisant, sans tarder, de la lutte contre harcèlement scolaire et le cyberharcèlement une grande cause nationale.

À cette fin, nous devons nous centrer sur le triptyque prévenir/détecter/traiter afin de suivre efficacement les victimes et de condamner les harceleurs.

Il est alors nécessaire de libérer complètement la parole, à tous les stades et tous les niveaux, tout en veillant à bien intégrer « dans la boucle » les parents. Car plus personne ne doit se voiler la face .

Il nous faut affirmer que le respect est à la base de tout.

Il faut que les élèves d'aujourd'hui, qui seront les citoyens de demain, en soient intimement persuadés et le sachent clairement .

Le harcèlement scolaire se distingue de la « simple violence traditionnelle »
telle que les préaux et cours d'école ont pu la connaître de longue date

Le harcèlement se caractérise par le déséquilibre des forces, la répétitivité et l'intentionnalité de nuire. Il est aussi, très souvent, mais pas exclusivement, effectué « en meute », contre un élève isolé.

En France, la réaction des autorités publiques a été plus tardive que dans d'autres pays, notamment scandinaves, mais bien réelle depuis 10 ans. Elle fait l'objet d'un large consensus qui a transcendé les clivages et donc survécu aux alternances pour en faire une politique publique. Cette politique publique doit désormais être prioritaire .

Une telle prise de conscience, dont participe la création de votre mission d'information, est salutaire car, tous nos interlocuteurs l'ont rappelé, le phénomène est très largement répandu. Personne n'est épargné , quel que soit le milieu, l'origine géographique ou sociale, le niveau d'études.

Et cette violence s'opère surtout entre pairs, avec pour trait commun la stigmatisation de la différence et trop souvent la diffusion de préjugés sexistes, sexuels ou raciaux .

Au total, même si la mesure scientifique du phénomène est, de l'avis de nombreux experts, à parfaire, cela rend une action publique indispensable pour endiguer et faire reculer ce harcèlement.

Nous devons d'autant plus veiller à ce que la politique publique
mise en place depuis dix ans soit connue et appliquée par tous que ce débat s'est très largement renouvelé avec le cyberharcèlement

Le cyberharcèlement, quant à lui, se caractérise par sa diffusion et son extension rapide hors de l'école à travers les réseaux sociaux. Il vient alors perturber le milieu scolaire même s'il s'en échappe rapidement car il comporte des caractéristiques spécifiques hautement dangereuses .

Dans sa version « cyber », ce harcèlement se concentre sur le secondaire , même si l'âge moyen tend à décroître, vise surtout les jeunes filles, comporte souvent une dimension sexiste et sexuelle avérée et s'exerce sur une victime qui, dans 80 % des cas, connaît et côtoie au quotidien son agresseur.

Sa violence est alors considérable car il se démultiplie de façon exponentielle, créant un continuum entre l'école et la sphère privée qui amplifie l'aspect de « meute » et ne laisse plus aucun répit à la victime. Les parents sont alors trop souvent démunis face à cette situation et s'en préoccupent encore trop peu.

La lutte devient alors complexe à réaliser.

En effet, non seulement, ce harcèlement prolifère sur des réseaux sociaux, et pire, entre des réseaux sociaux qui évoluent en permanence et qu'il est donc difficile de suivre, mais il s'opère aussi dans un monde virtuel qui ignore les frontières physiques des États ou les singularités des espaces juridiques nationaux .

Or, il se réfugie souvent derrière le principe du secret des correspondances privées, ce qui le rend difficile à contenir et suppose dès lors, bien souvent, une coordination au niveau européen voire international.

Ce constat inquiétant, voire alarmant, justifie donc une mobilisation générale, car cette violence qui s'opère dans le monde virtuel est, elle, bien réelle.

Au total, le harcèlement scolaire, dans toutes ses variantes, sape les valeurs inscrites dans notre devise républicaine : il bride la liberté individuelle, porte atteinte à l'égalité en droits et fracasse l'idéal de fraternité .

Dès lors, notre mission entend faire des propositions claires, réalistes et opérationnelles pour arriver à éradiquer ce fléau en développant le plus possible la prévention.

De nombreux moyens existent déjà
pour lutter contre le harcèlement scolaire

Non seulement ces moyens existent mais ils sont nombreux - peut-être trop -, pas assez connus et mal utilisés.

Il est d'ores et déjà clair que, le législateur a depuis une décennie, pleinement reconnu le harcèlement comme un fléau . Les différents textes de loi sur l'école, depuis 2013, et tout récemment en 2019, lors de l'adoption du projet de loi pour une école de la confiance, ont rappelé et réaffirmé le droit à une scolarité sans harcèlement.

Au surplus, le harcèlement est pénalement répréhensible et assorti de circonstances aggravantes, notamment quand il s'opère sur des mineurs de moins de 15 ans et par le biais des réseaux sociaux. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a également fait de la participation à un harcèlement mené en groupe, quand bien même les propos ou comportements ne seraient pas répétés par un même individu, un délit.

Par conséquent, notre mission ne préconise pas de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire . Au-delà de réaffirmer un interdit social - ce que nous ferons d'autres façons -, cette solution risque de n'être qu'un « tigre de papier » et n'aura pas ou très peu d'effet. Elle risquerait même de créer un sentiment de « bonne conscience » et de nuire à la nécessaire mobilisation générale.

Plus que l'ajout d'une nouvelle incrimination pénale à celles, très nombreuses, qui existent déjà, c'est le pilotage d'ensemble de cette politique publique qui doit être amélioré .

Il faut lutter contre les « difficultés du dernier kilomètre », c'est-à-dire contre tout ce qui entrave la libération de la parole, développe un sentiment de honte ou culpabilité chez l'élève (surtout quand il est adolescent) et le conduit à l'autocensure.

Cela paraît d'autant plus vrai que, par-delà le droit applicable, les outils existent déjà .

Mais ils sont trop nombreux et par voie de conséquence pas assez connus ; qu'il s'agisse du 30 18 ou du 30 20, des ressources figurant sur le site du ministère de l'Éducation nationale, de la journée de sensibilisation de novembre, de la mallette des parents ou du dispositif des élèves ambassadeurs.

Il faut donc y remettre de l'ordre, rationaliser le champ d'intervention des différents acteurs, mieux les coordonner entre le pôle de l'Éducation nationale, celui des autres grands partenaires publics (Police/Gendarmerie et Justice), sans oublier le monde associatif dont la place, notamment dans l'écoute et la sensibilisation, est centrale .

Dans ce cadre, outre la question de l'augmentation des moyens , se pose celle de leur meilleure organisation et de leur rationalisation pour lutter contre le turn-over qui démotive les équipes, favoriser les synergies ainsi que les échanges entre les différents acteurs.

Bref, mettre fin à cette culture du travail en silo, ou du complexe de la « boîte d'oeuf » qui laisse de grands vides interstitiels, dont parlait avec force justesse l'un des chercheurs auditionné.

Comme phénomène complexe, le harcèlement scolaire nécessite
une implication massive de toute la société autour d'une priorité à accorder
à la prévention pour en faire sans tarder une grande cause nationale

Les constats sont dressés, les outils existent mais le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement continuent. Aussi, trois grandes idées fortes nous semblent devoir guider l'approfondissement de la lutte contre ce fléau.

1. Tout d'abord, il nous faut agir collectivement
pour renforcer la prévention contre le harcèlement

Cette prévention passe par la construction et le maintien d' un climat scolaire favorable, autour de la notion d'empathie ou de fraternité . Chacun doit se sentir impliqué dans ce travail, des enseignants aux parents, sans oublier les élèves eux-mêmes, naturellement ou tous les acteurs périscolaires.

Ainsi, chaque enfant doit exactement connaître ses droits et devoirs et il faut, pour cela, utiliser et mutualiser les heures de vie scolaire. Dès le début de l'année, un « flyer d'information » rappelant le droit existant, les numéros d'appel, ainsi que les sanctions encourues doit être largement diffusé.

À ce titre, un volet spécifique doit être consacré, dès le primaire, à la formation à l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques pour y affirmer la nécessité du savoir-être dans un monde qui, pour être virtuel, n'en a pas moins des conséquences et des effets bien réels.

2. Après la prévention, il faut savoir détecter rapidement
les situations de harcèlement

A fortiori avec la viralité des réseaux sociaux, il faut former à la détection, notamment celle des signaux faibles, afin d'intervenir mais aussi d' agir d'autant plus efficacement que cela sera précoce.

La parole de l'enfant doit être libérée et les adultes doivent y veiller et lui accorder toute la place qu'elle mérite. Pour cela, la présence rassurante et continue d'adultes de confiance, à la fois dans la période de vie scolaire stricto sensu , mais aussi dans le périscolaire, est indispensable pour que les enfants n'aient pas d'appréhension à aller les voir et à dialoguer avec eux .

Dans ce cadre, la généralisation du programme pHARe dès la rentrée 2021 doit apporter un « plus » significatif dont il faudra suivre attentivement la mise en application.

3. Enfin, dès qu'un fait de harcèlement commence, il faut agir systématiquement
et rapidement pour le traiter efficacement

Notre mission d'information l'a amplement rappelé, le harcèlement n'est pas seulement inadmissible, il est surtout illégal et doit à ce titre être sévèrement puni par la loi.

Il faut donc que tous les élèves, sans oublier leurs parents, sachent que faire en cas de harcèlement.

Pour cela, les partenariats avec la Police/Gendarmerie et la Justice doivent être renforcés et systématisés, et plus aucun fait avéré ne doit rester dans l'enceinte de l'établissement scolaire . Ils doivent systématiquement remonter au niveau de l'académie, les suites retenues doivent, par ailleurs, être présentées devant le conseil d'administration de l'établissement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

La justice doit à la fois être restaurative - il faut développer les stages d'éducation à la citoyenneté, les travaux d'intérêt général - mais aussi répressive si besoin , veillant par exemple à ne pas éloigner systématiquement l'élève harcelé.

Cet effort est d'autant plus nécessaire que les réseaux sociaux, par nature, et compte tenu de leur puissance, ne laissent aucun répit aux victimes. Leur responsabilité est donc écrasante.

Surtout que plusieurs d'entre eux, et pas des moindres, cherchent à se réfugier derrière le respect formel d'obligations vagues et définies par eux-mêmes, sans grande concertation.

Ces réseaux sociaux doivent, enfin, devenir proactifs dans la lutte contre le cyberharcèlement scolaire.

De ce fait, dans la perspective de la prochaine présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, nous voulons que soit consacrée l'idée d'une obligation pour les plateformes en ligne de faire cesser dans les meilleurs délais tout fait qui leur aura été signalé et sera avéré. Pour vérifier son effectivité, des stress tests , à l'image de ce qui est déjà pratiqué pour les banques, doivent être mis en place pour vérifier que les objectifs assignés aux réseaux sociaux sont bien atteints.

* * *

Ces orientations nous semblent d'autant plus devoir être retenues et appliquées avec détermination que notre mission d'information a travaillé, de façon très largement unanime, dans un climat fait de respect et d'écoute mutuelles, ce dont votre rapporteure se félicite.

Au cours de deux déplacements dans des établissements scolaires en Seine-et-Marne et dans le Pas-de-Calais, nous avons pu rencontrer des acteurs de terrain, dont les retours d'expérience ont inspiré ses recommandations. Notre mission d'information tient ainsi à saluer l'engagement quotidien des équipes rencontrées contre le harcèlement scolaire.

Plus généralement, nous tenons à remercier l'ensemble des personnes et institutions qui, par leur participation aux auditions, leurs contributions écrites, leurs réflexions, ont fort utilement nourri ses travaux .

I. UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE ET PROTÉIFORME QUI VA AU-DELÀ DE LA SEULE VIOLENCE « TRADITIONNELLE »

A. LE HARCÈLEMENT VA BIEN AU-DELÀ DES « CHAMAILLERIES D'ENFANTS »

1. Une violence présente depuis toujours ?
a) Le conflit, inhérent à la socialisation ?

Aucune société, aucun groupe ni aucune activité humaine n'échappe à la violence .

Celle-ci a toujours existé, de façon plus ou moins vive ou avérée, et fait l'objet d'études et de réflexions savantes ou approfondies, pour n'évoquer que le phénomène dit du « bouc émissaire ». Comme le rappelait Nicole Catheline lors de son audition devant votre mission d'information ou en exergue d'un de ses articles « le phénomène qui consiste à prendre pour souffre-douleur un individu dans un groupe n'est pas nouveau » 3 ( * ) .

L'école ne serait alors que le « miroir déformant » des réalités vécues par une société même si d'aucuns estiment que, par nature, un enfant de moins de 6 ans n'est pas violent.

Cette approche ne doit cependant pas conduire à nier la réalité ou à banaliser le harcèlement scolaire .

b) Un harcèlement scolaire, comme une agression répétée, délibérée et souvent en meute

En effet, dans la notion de harcèlement scolaire tel que Jean-Pierre Bellon ou Nicole Catheline l'ont rappelé devant votre mission d'information, existe le poids du groupe. Certains voient donc dans ce harcèlement le symptôme de l'échec de la dynamique de groupe, d'autant plus que se créée une relation triangulaire entre harceleur, harcelé et témoins, relation rendue complexe par le fait que l'on peut « cumuler les fonctions » de harceleur et de harcelé.

Ainsi que le note Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire, ce harcèlement se caractérise par une violence intentionnelle, délibérée, commise en groupe et initialement dans le milieu scolaire , soit du primaire au second degré. Il y a alors, pour Jean-Pierre Bellon, un sentiment de solitude, qui rend difficile d'en parler, une meute face à un individu mais aussi une institution - le système éducatif - jugée par par plusieurs personnes auditionnées comme « maladroite ».

Au total, le harcèlement apparaît bien comme une violence d'une nature spécifique , tant par ses acteurs que par le terreau sur lequel il se développe et marqué le plus souvent - mais pas dans tous les cas - par le phénomène de la « meute ».

Il ne s'agit donc pas que de « chamailleries d'enfants », comme le souligne Laurent Bayon devant votre mission d'information 4 ( * ) .

2. Des conséquences très graves

Le harcèlement scolaire a en effet des conséquences graves non seulement sur les élèves harcelés, mais aussi sur les harceleurs et les témoins passifs.

a) Une perturbation psychologique de l'élève harcelé

D'une part, il entraîne une perturbation psychologique de l'élève harcelé, qui se traduit par une perturbation du processus éducatif , et peut aller jusqu'au suicide dans les cas les plus dramatiques. En effet, le harcèlement conduit à une baisse de confiance en soi , à une anxiété plus forte et il augmente également le risque de dépression , y compris sur le moyen terme. Ainsi, selon Dan Olweus, à 23 ans, les garçons ayant été victimes de harcèlement présentent toujours des problèmes de dépression et de faible estime de soi 5 ( * ) .

Ce risque est renforcé lorsque le harcèlement scolaire s'accompagne d'un cyberharcèlement : plusieurs chercheurs « retrouvent des symptômes de détresse psychologique plus marqués chez les victimes de cyber agression que chez celles d'agression traditionnelle » 6 ( * ) . Selon une enquête IFOP de mars 2021 7 ( * ) , le harcèlement « classique » donne lieu, pour 35 % des victimes, à des séquelles psychologiques, mais cette proportion grimpe à 67 % lorsque les actes sont commis par le biais des réseaux sociaux. Mécaniquement, les idées suicidaires sont plus nombreuses et le risque de suicide augmente chez les élèves harcelés - en particulier chez les filles 8 ( * ) . Pour la Norvège, Dan Olweus établissait ainsi en 1978 qu'un élève harcelé présentait un risque quatre fois plus élevé de se suicider qu'un autre enfant. En France, d'après l'enquête IFOP susmentionnée, les tentatives de suicide et les pensées suicidaires sont plus nombreuses chez les victimes de harcèlement scolaire (12 et 36 %) que dans l'ensemble de la population (9 et 27 %). Le risque psychologique s'accompagne d'un risque physique , qui vient des autres élèves, par le biais d'agressions et d'implication dans des jeux dangereux 9 ( * ) , mais aussi de lui-même. La violence ainsi subie peut, ensuite, se retourner contre le reste de la société 10 ( * ) .

L'éducation de l'élève harcelé s'en trouve perturbée : les élèves harcelés éprouvent de plus fortes difficultés à mémoriser les connaissances et à se concentrer en classe 2 , et ont peur de se rendre à l'école. Leurs résultats scolaires sont donc inférieurs à la moyenne et ils s'absentent plus souvent que les autres 2 , ce qui les expose davantage au risque de décrochage scolaire 11 ( * ) et de déscolarisation 12 ( * ) . En 2010, 20 à 25 % des élèves absentéistes chroniques n'allaient plus à l'école par peur du harcèlement 13 ( * ) .

L'enjeu éducatif du harcèlement scolaire est donc majeur car il entrave la bonne transmission des connaissances aux élèves .

b) Une banalisation dangereuse de la violence chez les auteurs et les témoins passifs

D'autre part, le harcèlement scolaire a un effet sur ses auteurs, mais aussi sur les témoins passifs . Pour les premiers, il accroît le risque de rentrer dans la délinquance criminelle 14 ( * ) , d'adopter des conduites à risques (consommation d'alcool à haute dose, de substances illicites et de produits dangereux) 15 ( * ) et d'être auteurs de maltraitances sur leurs compagnons et enfants 16 ( * ) .

Si aucune étude spécifique n'a été consacrée aux effets produits sur les seconds, Nicole Catheline souligne que « l'impuissance qu'ils éprouvent face à une situation d'agression de cette nature éveille en eux une vive culpabilité et peut selon les cas être à l'origine de troubles anxio-dépressifs » 17 ( * ) . Selon Éric Debarbieux, « le fait d'avoir été témoin de violence est associé significativement avec la dépression, le syndrome de stress post-traumatique et l'anxiété » 18 ( * ) .


* 1 La demande a été formulée le 6 mai 2021 en Conférence des présidents qui en a pris acte, de sorte que ses 23 membres ont été désignés en séance publique le 12 mai 2021.

* 2 Tous ces travaux sont intégralement accessibles sur le site du Sénat ou les réseaux sociaux, notamment à l'adresse :

http://www.senat.fr/commission/missions/harcelement_scolaire_et_cyberharcelement.html

* 3 Nicole Catheline « Harcèlement en milieu scolaire », in La Violence à l'école - Enfance PSY45, pages 82 à 90.

* 4 Audition du mercredi 2 juin 2021.

* 5 Olweus, D. (1993), Bullying at school: What we know and what we can do, Malden, MA: Blackwell Publishing, cité par Éric Debarbieux, 2011, Refuser l'oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l'école.

* 6 Arsène M., Raynaud J.-P., « Cyberbullying (ou cyberharcèlement) et psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent : état actuel des connaissances », Neuropsychiatrie de l'enfance de l'adolescence, vol. 62, n° 4 (2014), p. 249-256, cité par Nicole Catheline, Le harcèlement scolaire, 2018.

* 7 Harcèlement entre pairs en milieu scolaire, quelle est l'ampleur de ce phénomène ? Étude IFOP pour l'association Marion la main tendue et la région Île-de-France, mars 2021.

* 8 Brunstein-Lomel 1., Sourander A., Gould M., « The association of suicide and bullying in childhood to young adult : a review of cross-sectionnal and longitudinal research finding », Canada Journal of Psychiatry, vol. 55, n° 5, p. 282-288, cité par Nicole Catheline, op. cit.

* 9 Éric Debarbieux, 2011, op. cit.

* 10 Vossequil, B., Fein, R.A., Reddy, M., Borum, R. & Modseleski, W., 2002, The final report and findings of the safe school initiative : Implications for the prevention of school attacks in the United States. Washington, DC : U.S. Secret Service and U.S. Department of Education. Cf infra.

* 11 Une enquête faite par Catherine Blaya dans l'académie de Dijon montre que 24 % des élèves décrocheurs le sont directement à cause du harcèlement (Audition d'Éric Debarbieux du 1 er juillet 2021).

* 12 Catherine Blaya, « Cyberbullying and happy slapping in France : a case of study in Bordeaux », in Cyberbullying : a cross-national comparison, Mora-Merchan J.A., Jäger T (dir.) Landau, Verlag Empirisch Pädagogik, 2010, p. 55, cité par Nicole Catheline, op. cit.

* 13 Catherine Blaya, 2010, Décrochages scolaires : l'école en difficulté, Bruxelles, De Boeck.

* 14 Bender D., Lösel F., « Bullying at school as a predictor of delinquency, violence and other antisocial behavior in adulthood » & Farrington D.P, Ttofi M.M., « Bullying as a predictor of offending, violence and later life outcomes », Criminal Behaviour and Mental Health, vol. 21, n° 2, 2011, p. 90-106, cités par Nicole Catheline, op. cit. et Éric Debarbieux, op. cit.

* 15 Michel G., « Les conduites à risque chez l'enfant et l'adolescent : l'exemple des jeux dangereux et violents », La revue du praticien. Médecine générale, n° 822, 2009, t. XXIII, p. 350-352 ; Marcelli D., Braconnier A., Adolescence et psychopathologie, Paris, Masson, « Les Âges de la vie », 1999 (5 ème éd.), cités par Nicole Catheline, op. cit.

* 16 Roberts W.B., Morotti A.A., « The bully as victim : understanding bully behavior to increase the effectiveness of interventions in the bullying victim dyad », Professional School Counseling Journal, vol. 4, n° 2, 2000, p. 148-155, cité par Nicole Catheline, op. cit., et par Éric Debarbieux, op. cit.

* 17 Nicole Catheline, op. cit., p. 88.

* 18 Éric Debarbieux, op. cit., p. 12.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page