CONCLUSION

La mission sénatoriale d'information s'est attachée à définir une ligne de crête entre les promoteurs et les critiques de la méthanisation. Au-delà des controverses et des inquiétudes, des compromis sont non seulement possibles, mais souhaitables : telle est la ligne générale ayant présidé à l'élaboration des propositions et des recommandations de ce rapport.

Nous pouvons sortir par le haut de la crise de confiance qui tend à se développer dans certains territoires et désamorcer à temps l'engrenage de la conflictualité qui se dessine, ici ou là.

Un aggiornamento, c'est-à-dire une remise à plat partielle de notre politique publique de soutien à la filière, apparaît aujourd'hui nécessaire pour appréhender les objectifs de développement ambitieux à l'horizon 2028-2030 et au-delà, fixés tant par le législateur que par le pouvoir règlementaire.

D'une certaine façon, l'amorce d'un tel aggiornamento a d'ailleurs déjà été enclenchée à bas bruit par les pouvoirs publics. Cette démarche a pris la forme d'une réduction du soutien public aux tarifs de l'injection et de la cogénération, d'une part, et d'un renforcement de la règlementation applicable aux nouvelles installations, sur la base des trois nouveaux arrêtés ICPE publiés au Journal officiel en juin 2021, d'autre part. Il serait préférable que les autorités gouvernementales assument publiquement plus clairement cette inflexion, afin que les technologies de méthanisation demeurent aux yeux de tous des outils légitimes de la transition écologique. Une politique moins ambiguë et plus assumée des pouvoirs publics est nécessaire et souhaitable.

Au demeurant, le contexte économique dégradé, issu de la crise de la Covid-19, couplé à la remise en cause de certains dispositifs de soutien public, pourrait freiner le dynamisme de la fin de la décennie 2010. Ce contexte donne l'opportunité de résoudre nos contradictions.

En résumé, les objectifs de développement de la méthanisation à l'horizon 2030 apparaissent déjà suffisamment ambitieux pour justifier une sorte de clause de rendez-vous à mi-parcours de la PPE 2019/2028, donc en 2023/2024, pour apprécier les effets de la dynamique des dernières années et constater son maintien, ou non. La « loi quinquennale » sur l'énergie, prévue à compter du 1 er juillet 2023, pourra être l'occasion de poser ce débat. À plus long terme, en revanche, il nous apparaît très hypothétique et déraisonnable, de viser un développement à marche forcée aboutissant à 10 000 méthaniseurs en France en 2050, comme cela est le cas en Allemagne. Mieux vaut dans l'immédiat s'assigner des objectifs certes plus modestes, mais atteignables tout en restant ambitieux, à l'horizon de la fin de l'actuelle décennie. Au demeurant, la biomasse valorisable dans le cadre de la méthanisation, quoiqu'importante, n'est pas infinie. Nous serons vraiment en mesure de nous projeter à l'horizon 2050, lorsque nous disposerons de davantage de recul pour apprécier les perspectives des nouvelles technologies de pyrogazéification et de power-to-gas.

Depuis le début des travaux de cette mission d'information, les sénateurs ont travaillé dans un esprit constructif, fondé sur le respect mutuel des convictions de chacun. Ils se sont demandé quelles sont les limites de la méthanisation dans notre pays. Ils ont écarté la solution d'un refus de principe, ou l'idée d'un moratoire, car la méthanisation contribue à l'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pour autant, la poursuite du développement de la méthanisation suppose un meilleur débat public, auquel ce rapport entend contribuer.

Ce développement ne saurait intervenir à n'importe quel prix et à n'importe quelles conditions. En particulier, la méthanisation ne doit pas bouleverser nos modèles agricoles et elle doit toujours s'effectuer au bénéfice de nos exploitants agricoles, acteurs économiques premiers de nos territoires.

L'objectif d'excellence environnementale apparaît comme une condition non négociable, un prérequis indispensable à l'avenir de la méthanisation en France, si l'on veut relever le défi de l'acceptabilité sociale. C'est pourquoi la mission d'information s'est prononcée en faveur d'un développement piloté de la méthanisation, fondé sur une évaluation continue - presque en temps réel - du bilan environnemental, notamment carbone, de la filière française. Cette évaluation devra servir de boussole à la conduite de la politique publique de soutien et d'encadrement de la méthanisation, en facilitant l'identification des pratiques les plus vertueuses ou, au contraire, les potentielles sources de dégradation du bilan carbone global.

Les attentes de la population sont légitimes et les riverains ont besoin d'être entendus dans le cadre d'un vrai dialogue. Nous devons adopter une culture de la gestion du risque plus affirmée, à base de prévention renforcée, d'exploitation des retours d'expériences et de professionnalisation croissante des acteurs.

Alors qu'aucune personne auditionnée n'a soutenu l'introduction dans notre pays du modèle allemand, la mission d'information a souhaité rappeler son attachement à un certain modèle à la française, privilégiant la valorisation de ce qui est aujourd'hui défini (improprement) par le terme de déchets réels. Ce modèle encadre l'exploitation énergétique de cultures à vocation alimentaire - en conservant une limite de 15 % de cultures dédiées dans les intrants utilisés par la méthanisation - et autorise la valorisation des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE). Au demeurant, il serait souhaitable qu'à l'avenir les définitions des contours de ces différents types de culture fassent l'objet d'une clarification et que d'une façon générale une planification soit établie pour définir les usages futurs de la biomasse et donc des politiques à mener.

Mais la voie française pour une méthanisation réfléchie doit être plus solidement affirmée et reste encore partiellement à inventer, car cette source d'énergies renouvelables repose sur des technologies et des structures de production encore très récentes.

Nos travaux s'emploient à poser quelques jalons en ce sens. Des garde-fous apparaissent nécessaires pour éviter certaines dérives, ou prévenir des accidents du type de celui de Châteaulin, mais l'intérêt même des procédés de méthanisation n'est pas en cause dans son principe. Ce rapport a ainsi pris acte du renforcement récent de la réglementation ICPE. Sans doute conviendra-t-il d'en mesurer l'impact et d'apprécier sa mise en oeuvre à court et moyen termes, tout en encourageant le développement des bonnes pratiques des porteurs de projet et des recommandations formulées par les professionnels et les concepteurs des installations. L'agronomie, garante de la fertilité des sols, doit rester le pivot des systèmes agricoles. L'équilibre entre règlementation et incitation n'est jamais aisé à trouver : les membres de la mission d'information ont majoritairement choisi de privilégier cette dernière voie, en mettant l'accent sur les nombreuses bonnes pratiques à valoriser dans ce domaine.

Le modèle français de méthanisation doit être vertueux, raisonnable et pragmatique, tout en combinant les enjeux de souveraineté énergétique et de souveraineté agricole notamment alimentaire. À titre d'illustration, les visites de terrain ont démontré qu'il existe des cas de « méthanisation heureuse », comme les installations des Poulets de Loué, la ferme du P'tit Gallo en Ille-et-Vilaine, ou l'exploitation des frères Quaack en Seine-et-Marne.

Ces types de démarche présentent un bilan d'ensemble positif.

En dernière analyse, notre pays a besoin d'une méthanisation équilibrée, cohérente avec les territoires, respectueuse de l'environnement et utile aux agriculteurs.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page