C. LA QUESTION CENTRALE DES PARTENARIATS

1. Un cadre légal en apparence protecteur...

L'attention de la mission d'information a été attirée sur la question des partenariats passés par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche.

Le cadre légal est actuellement défini à l'article L. 123-7-1 du code de l'éducation. Il pose le principe de la liberté pour les établissements de contracter avec les institutions « étrangères ou internationales, universitaires ou non ».

Cette faculté est cependant encadrée . L'accord doit être transmis au ministère de l'enseignement supérieur et au ministère des affaires étrangères, qui disposent d'un mois pour faire part de leur opposition. À l'expiration de ce délai, l'accord est réputé approuvé. Selon les informations transmises à la mission d'information, 912 dossiers ont ainsi été soumis au HFDS depuis le 1 er janvier 2019, soit en moyenne 32 par mois. Le taux d'avis négatifs est de 6,5 % du total.

Par ailleurs, à l'instar de la procédure mise en place par le CNRS qui doit traiter près de 250 accords par an, une attention toute particulière doit être portée sur les États partenaires et sur les critères à examiner. À titre de diffusion des bonnes pratiques, sont reproduits dans l'encadré ci-dessous les points de vigilance établis par le directeur de la sûreté du CNRS.

Points de vigilance soulevés par le CNRS

« Certains étudiants étrangers « restent » (car embauchés) dans nos laboratoires et peuvent ainsi apparaitre des filières à caractère nationaliste qui génèrent de nouveaux accords de coopérations avec ces états. Sans la vigilance du directeur d'unité ou de l'établissement la politique de recherche peut en être affectée d'autant plus que le pays en question propose des étudiants avec des bourses sur des sujets précis et orientés parfois même par le tuteur issu de cette même nationalité. Une solution pour détecter ce type de problème est de comparer le taux de chaque nationalité présent dans un laboratoire au niveau des « étudiants et doctorants » avec la moyenne nationale par exemple dans nos laboratoires et d'analyser les raisons lorsque le taux est vraiment différent dans le laboratoire analysé.

« Au CNRS, le FSD a donné 12 critères aux 18 services partenariats valorisations du CNRS sur leurs actes administratifs qui nécessitent avant signature d'avoir au moins l'accord du FSD du CNRS et selon les cas l'avis du HFDS ;

« L'analyse est menée sous le prisme de la PPST avec éventuellement, quand le cas apparait « délicat » de la PPST, une demande d'avis au HFDS du ministère, que le laboratoire soit ou pas en ZRR. Ainsi tout acte de coopération ou convention dans un laboratoire en ZRR et tout accord international quel que soit le régime PPST du laboratoire et le type de science ( de la science humain et sociale aux mathématiques) doit être passé sous le prisme de l'analyse de risques de l'intérêt de l'État ou ceux concernant les chercheurs avant signature. Nous examinons en moyenne 250 accords de ce type par an actuellement.

« Vous trouverez ci-dessous les points actuels de vigilances connus de notre ministère :

« 1) Tout acte avec des laboratoires en ZRR (partielle ou totale) en dehors France,

« 2) Tout acte de coopération quel que soit le laboratoire avec certaines sociétés connues pour leur entrisme

« 3) Tout acte modifiant les partenaires d'une coopération déjà signée

« 4) Tout étranger venant faire de la science et amenant un financement type China Scholarships doit recevoir un avis du ministère

« 5) Les bourses Megagrant (Russie), 1000 Talents et toutes les formes de financement publics chinois incluant des séjours / missions des agents en Chine)

« 6) ANR (après phase 1) et Horizon Europe incluant des partenaires hors Europe

« 7) Programmes pilotés par des Agences étatiques (exemple pour les USA: DARPA, DAFA, IARPA)

« 8) Lorsque la PI n'est pas prise en compte

« 9) Toute convention qui prévoit des déplacements longues durée ou dans des pays à risques

« 10) Dès que vous avez le moindre doute : sur le pays, les thématiques (prolifération..), l'origine du financement, etc.

« 11) Dès qu'il y a rachat ou cession de biens, transfert d'actifs (offshorisation) ou évolution du partenariat des sociétés dans lesquels le CNRS est concerné.

« 12) Présence d'un intermédiaire (entreprise, cabinet de conseil) « douteux » dans le consortium du partenariat.

« Contre les pressions qu'un pays pourrait exercer contre nos missionnaires, il existe une organisation de gestion de crise avec un numéro d'urgence et dans les pays à risques, ces missions sont analysées par le directeur de la sureté afin de proposer, si besoin, des mesures de maitrise de certains risques.

« Pour améliorer notre maitrise des risques de captation ou d'influences étrangères, les pratiques du CNRS sont à promouvoir plus largement du côté des partenaires académiques en particulier sur les accords de coopération et les financements des différentes bourses ».

Source : contribution écrite du CNRS

Ces points de vigilance pourraient être généralisés à l'échelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, en supposant que celui-ci établisse un guide commun de procédures et renforce les moyens affectés aux FSD.

2. ... mais qui n'assure qu'une protection incomplète

Or ce cadre ne permet pas d'assurer une protection efficace des intérêts nationaux, qu'ils relèvent de la liberté académique ou de l'intelligence économique. En effet, trois faiblesses peuvent être exploitées :

• tout d'abord, les ministères en charge de l'économie et de la Défense ne sont pas mentionnés, et donc en théorie ne sont pas rendus destinataires des projets d'accord. Or, en matière d'influence étrangère, leur expertise peut s'avérer précieuse et mérite d'être sollicitée ;

• ensuite, le délai d'un mois semble très bref pour examiner avec rigueur des dossiers qui peuvent être complexes et nécessiter des investigations complémentaires ;

• enfin, considérées comme des entreprises françaises, les filiales françaises des entreprises étrangères ne sont sujettes à cette procédure que dans le cadre de la PPST, et ce dans des proportions qui paraissent encore modestes . Cela peut permettre à de grandes entreprises liées à des États étrangers de contracter avec les établissements via leurs filiales 59 ( * ) .

Recommandation 20 : Modifier l'article L. 123-7-1 et l'article D. 123-19 du code de l'éducation pour prévoir une saisine des ministères concernés (enseignement supérieur et recherche, économie, affaires étrangères, intérieur et armées s'il y a lieu) sur les projets d'accord.

Recommandation 21 : Modifier les mêmes articles pour fixer à trois mois maximum le délai d'examen des projets d'accord , pour permettre des investigations sérieuses.

Recommandation 22 : Prévoir que les accords passés avec les filiales françaises des entreprises étrangères extra-européennes soient soumis systématiquement à une procédure d'examen préalable.


* 59 Ce point semble cependant être l'objet de débat : dans un premier temps, le ministère a confirmé que les filiales françaises n'étaient pas contrôlées, avant de revenir sur ce point, mais sans apporter de précisions. Les exemples recueillis par la mission d'information semblent cependant montrer que ces entreprises ne font a minima pas l'objet de contrôle systématique.

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