C. UNE AMÉLIORATION DES DROITS SOCIAUX À CONFIRMER

1. La question des revenus et des petites retraites agricoles

La délégation l'avait constaté dans son rapport 24 ( * ) précité de 2017 « Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires » : les agricultrices ont des revenus plus faibles que leurs homologues masculins.

Au cours de leur carrière et plus encore à la fin de celle-ci, les agricultrices font face à des inégalités de revenus. Elles ne sont hélas pas les seules mais ces inégalités sont beaucoup plus significatives pour les agricultrices.

Comme l'a souligné Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA devant la délégation le 3 juin 2021 : « notre avenir en agriculture passe par un revenu décent permettant de maintenir de l'activité sur l'exploitation. Les agricultrices appartiennent à une population fragilisée, souvent amenée à quitter l'exploitation en cas de crise grave. Ces situations peuvent être très difficiles à vivre au niveau de la famille. La question du revenu est donc primordiale ».

En outre, Natacha Guillemet de la Coordination rurale a rappelé devant la délégation les enjeux des dispositions de la loi dite Egalim 25 ( * ) et ceux de l'examen de la proposition de loi de notre collègue député Grégory Besson-Moreau visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2 », adoptée en première lecture 26 ( * ) au Sénat le 22 septembre 2021 : « certes, la loi Egalim doit permettre aux agriculteurs et agricultrices d'atteindre de meilleurs revenus. Nous voyons bien ses limites, d'où les discussions portant sur une loi Egalim 2 ».

S'agissant des retraites, dans le cadre d'un rapport de la délégation sur les enjeux de la réforme des retraites pour les femmes, aujourd'hui suspendue, la délégation avait organisé une table ronde, en février 2020, sur le thème des retraites anormalement faibles des agricultrices 27 ( * ) . Selon les statistiques de la MSA, les écarts entre pensions de retraite subsistent en effet entre les hommes et les femmes puisqu'elles sont inférieures de 13,2 % pour les cheffes d'exploitation ou d'entreprises agricoles, et de 17,4 % pour les salariées agricoles par rapport aux agriculteurs de même statut.

Les montants de retraites des agricultrices

Les pensions globales moyennes des polypensionnées

Les pensions globales moyennes des monopensionnées

Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation

La délégation est depuis longtemps favorable à une revalorisation de leur montant de base, à une bonification forfaitaire à destination des agricultrices qui ont élevé au moins trois enfants et à un alignement des conditions d'accès à la pension de réversion des agricultrices - et agriculteurs - sur celles du droit commun. La délégation se félicite donc de la revalorisation des petites retraites agricoles opérée par la loi 28 ( * ) du 3 juillet 2020.

Sur le fondement de cette loi, un décret paru le 17 juin 2021 garantit aux anciens chefs d'exploitation agricole une retraite équivalente à 85 % du SMIC à compter du 1 er novembre 2021. Ainsi 227 000 anciens chefs d'exploitation agricole bénéficieront de cette revalorisation, avec une garantie de retraite minimale portée à 1 035 euros nets par mois, pour un coût évalué à 283 millions d'euros en 2022. En moyenne, cela correspond à 105 euros de retraite de plus chaque mois pour les bénéficiaires. Ce nouveau dispositif ne concernait cependant pas les conjoints-collaborateurs ni les proches aidants.

C'est pourquoi la revalorisation des pensions de retraites des conjoints-collaborateurs fait aujourd'hui l'objet d'une proposition de loi 29 ( * ) adoptée par l'Assemblée nationale le 17 juin 2021 et devrait concerner 122 000 anciens conjoints-collaborateurs, dont 97 % sont des femmes.

D'après les chiffres du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, en 2018, les conjointes collaboratrices étaient au nombre de 21 200 (sur 26 000), soit environ 15 % du total des conjointes des chefs d'exploitation hommes. En dix ans, l'effectif de collaboratrices d'exploitation a été divisé par deux. Les effectifs restent orientés à la baisse avec un faible nombre d'entrées : 250 en 2018, soit 1 % du stock.

2. Les progrès du congé maternité et les attentes nouvelles au regard du service de remplacement
a) L'aboutissement de la réforme du congé maternité des agricultrices

Depuis la publication en juillet 2017 de son rapport précité sur la situation des agricultrices, la délégation a pu constater que le congé maternité des agricultrices a connu des évolutions qu'il convient de saluer.

En effet, depuis le 1 er janvier 2019, sa durée minimale a été allongée de deux à huit semaines obligatoires, dont deux semaines de congé prénatal et six semaines de congé postnatal.

En 2019, 991 non-salariées agricoles et 12 063 salariées ont été indemnisées au titre du congé maternité .

Depuis cette date également, les personnes qui se font remplacer ne sont plus redevables de la part CSG-CRDS, ce qui limite le reste à charge. Comme l'a rappelé Anne Gautier, vice-présidente de la CCMSA, lors de la table ronde du 3 juin 2021, « un certain nombre de femmes n'utilisaient pas ce dispositif en raison de la douzaine d'euros qui restait à leur charge chaque jour ».

Autre nouveauté, des indemnités journalières forfaitaires peuvent être attribuées aux femmes cheffes d'exploitation qui n'ont pas pu trouver de remplaçant à la date prévue d'interruption de l'activité. Afin d'assurer une continuité de travail sur l'exploitation, la MSA et le service de remplacement ont mis en place un montage permettant une « prise en charge totale d'un remplacement dans son activité professionnelle [qui] est unique et spécifique à l'agriculture, sous certaines conditions », comme l'a indiqué Anne Gautier à la délégation. Si la période d'accouchement ne correspond pas à la plus haute période d'activité, il est tout de même possible de bénéficier des indemnités journalières maternité, nouveau droit acquis.

La MSA a indiqué à la délégation considérer que « ces mesures, très satisfaisantes, contribuent à l'amélioration de la santé des femmes en leur permettant de s'arrêter de travailler pendant leur grossesse, et par voie de conséquence pendant la période pré et post-natale ».

De même, Françoise Liébert, haute fonctionnaire à l'égalité du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, a indiqué que « le ministère de l'agriculture se félicite de l'aboutissement de la réforme du congé maternité, particulièrement adaptée aux attentes des agricultrices ».

b) Des attentes nouvelles au regard du service de remplacement

Si l'allongement du congé maternité et les possibilités de recours au service de remplacement ont été salués par les interlocuteurs de la délégation comme un progrès indéniable dans la vie des agricultrices, force est de constater que les attentes vis-à-vis du service de remplacement ne sont pas toujours satisfaites.

Ainsi, Françoise Liébert, haute-fonctionnaire à l'égalité du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, a fait valoir devant la délégation : « il est désormais important de continuer à travailler sur le service de remplacement afin de lever les derniers freins identifiés : la difficulté de trouver des remplaçants compétents, disponibles pour tous les types d'activité sur l'exploitation, l'accompagnement des femmes très tôt dans leur maternité ; l'information sur les droits existants. Certaines caisses départementales de la MSA ont mis des initiatives en place. Il nous semble nécessaire de les étendre et de les rendre plus fréquentes partout ».

Elle a également précisé que « les attentes vis-à-vis du service de remplacement ont largement évolué. Nous constatons une demande beaucoup plus importante pour un remplacement de temps libre et de congés. Il serait intéressant d'engager une réflexion quant à l'utilisation de facilités de remplacement pour participer à des formations ou à des réunions, permettant aux femmes de s'autoriser ce qu'elles se refusent souvent à faire tant qu'il y a de jeunes enfants à la maison. Nous constatons en effet que dans cette catégorie socioprofessionnelle, les femmes se chargent encore majoritairement des tâches ménagères et des enfants, voire des personnes âgées, y compris dans les générations les plus jeunes ».

La question du recrutement au sein du service de recrutement a notamment été posée car dans le milieu agricole, le besoin de main-d'oeuvre de remplacement dépasse souvent les possibilités de recrutement.

Ainsi, Manon Pisani, membre du Bureau des Jeunes Agriculteurs a souligné qu'« en tant qu'agricultrice, le service de remplacement me semble être un outil très important. Il mériterait d'être plus connu, puisqu'il nous permet de concilier notre vie professionnelle, personnelle, sociale ou amicale. J'émets toutefois un bémol. L'offre de remplaçants n'est pas toujours adaptée selon les départements. Certains services manquent de personnel mobilisable pour nous remplacer sur des tâches ponctuelles urgentes, en cas de maladie ou d'imprévu, mais aussi sur du plus long terme tel que des congés pouvant être prévus en amont ».

Natacha Guillemet de la Coordination rurale a été encore plus sévère en affirmant que « le service de remplacement n'est pas à la hauteur de nos professions. Comment voulez-vous que le service de remplacement, ne comptant pas suffisamment de salariés, soit compétitif et compétent dans tous les domaines ? C'est tout simplement impossible. Le service de remplacement n'est pas à la hauteur des demandes ».

En outre, Françoise Liébert a souligné l'importance pour certaines femmes salariées au service de remplacement de valoriser cette expérience dans la perspective d'une future installation : « nous avons en effet constaté qu'il s'agissait d'une excellente expérience, qui conduit parfois les femmes à trouver le lieu où elles pourront s'installer, ou leurs futurs partenaires. Nous pourrions donc encourager plus de jeunes femmes à rejoindre ce service afin d'acquérir de l'expérience et ainsi de s'installer plus facilement ».

c) Quels recours pour les agricultrices en matière de petite enfance et d'accueil de parents âgés ?

Outre les progrès réalisés en matière de recours au congé maternité, la question de l'accueil des jeunes enfants en milieu rural mais aussi celui des personnes âgées se pose inévitablement lorsque l'on aborde le sujet de l'articulation des temps de vie des agricultrices.

Comme l'a rappelé Jacqueline Cottier, présidente de la Commission des agricultrices de la FNSEA, lors de la table ronde de la délégation le 3 juin 2021 : « l'offre de mode de garde des enfants et l'accueil des personnes âgées, qui restent insuffisants. Un tiers des départements souffrent d'un important déficit de places d'accueil pour les enfants, comme le mettait récemment en évidence un rapport sénatorial 30 ( * ) . Le développement de maisons d'accueil rurales pour les personnes âgées doit être accru. Les moyens accordés pour leur adaptation et pour celle des habitations à la perte d'autonomie doivent être renforcés. Nous constatons qu'en milieu rural, les femmes vont souvent aider leurs parents, à défaut d'autres solutions. Cette charge leur incombe encore ».

La MSA mène de son côté, depuis plusieurs années, une politique volontariste en matière de petite enfance . Elle vise à améliorer la conciliation de la vie professionnelle et de la vie de famille, à réduire les inégalités sociales par une sociabilisation précoce de l'enfant. Elle a également pour objectif de contribuer à l'attractivité des territoires ruraux, à laquelle la crise sanitaire a d'ailleurs participé.

Pour développer cette offre sur les territoires ruraux, la MSA s'appuie à la fois sur son expertise en matière d'ingénierie de projet et sur sa capacité à mobiliser les acteurs locaux à la petite enfance - familles, élus, associations, professionnelles.

Dans sa convention d'objectifs et de gestion (COG) datant de 2011-2015, la MSA avait mis en place une expérimentation de solutions répondant aux besoins spécifiques des familles agricoles. Ces solutions concernaient majoritairement les horaires atypiques, les accueils d'urgence, les accueils saisonniers, les horaires extrêmes, les week-ends et jours fériés, et l'accueil des enfants différents en milieu ordinaire. D'après Anne Gautier de la CCMSA, « durant cette période, 118 projets ont pu être soutenus ».

Pour la COG 2016-2020, la MSA s'est appuyée sur ses trente-cinq caisses. Le régime agricole a poursuivi le développement d'une offre petite enfance diversifiée sur des territoires dépourvus ou dotés d'offres déséquilibrées ou inadaptées, via un dispositif unique cofinancé par la MSA, à savoir la création de micro-crèches. S'y ajoutent les maisons d'assistantes maternelles, plus connues sous l'acronyme MAM, ou les relais d'assistantes maternelles (RAM), et les lieux d'accueils enfants-parents.

Enfin, la MSA a développé des services innovants apportant des réponses adaptées aux besoins spécifiques des familles en milieu rural : appui à la parentalité, démarches d'insertion professionnelle, prise en compte des situations de fragilité ou d'isolement. Cette politique innovante devrait être poursuivie dans le cadre de la Convention d'objectifs et de gestion (COG) 2021-2025, en cours de négociation.


* 24 Rapport d'information fait par Annick Billon, Corinne Bouchoux, Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Didier Mandelli et Marie-Pierre Monier au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 615 (2016-2017).

* 25 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 26 http://www.senat.fr/presse/cp20210922c.html

* 27 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200217/ddf.html#toc2

* 28 Loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

* 29 Proposition de loi, présentée par le député André Chassaigne et plusieurs de ses collègues, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles.

* 30 https://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-545-notice.html : Accueil des jeunes enfants en milieu rural : développer une offre innovante - Rapport d'information de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires sociales, n° 545 (2008-2009) et https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-473-notice.html : Les modes d'accueil des jeunes enfants : un enjeu de l'égalité entre les femmes et les hommes - Rapport d'information de M. Cyril Pellevat, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n°  473 (2014-2015) .

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