B. UN ÉLOIGNEMENT DES SERVICES PUBLICS ET UN MANQUE DE SOLUTIONS DE GARDE DES JEUNES ENFANTS QUI LIMITENT L'ENGAGEMENT PROFESSIONNEL, POLITIQUE ET ASSOCIATIF DES FEMMES

1. Un éloignement des services publics et sociaux

L'éloignement des services publics et des différents types de services de façon générale contribue à renforcer l'isolement des femmes rurales. Il entraîne aussi une mauvaise connaissance de leurs droits et des phénomènes de non-recours aux droits.

Une enquête Territoires ruraux : perceptions et réalités de vie 4 ( * ) réalisée par l' Ifop pour Familles rurales en décembre 2020 montre que si une vaste majorité de Français estime que le monde rural connaît aujourd'hui un renouveau (72 % le pensent, contre 43 % en 2018), le déficit de services publics est le principal frein identifié par le grand public pour s'installer en zone rurale (64 % des répondants).

52 % des ruraux considèrent que leur commune ne bénéficie pas de l'action des pouvoirs publics (contre seulement 27 % pour l'ensemble des Français). Les priorités d'actions pour l'avenir du monde rural, relevées par les répondants, concernent ces mêmes services publics : la lutte contre la désertification médicale (52 %), scolaire (37 %) ou le manque de services sociaux (34 %).

Le manque et l'éloignement des services publics et sociaux est également un élément fréquemment relevé par les élues locales dans le cadre de la consultation en ligne .

PAROLES D'ÉLUES

« Notre village est très petit, les services ont disparu et les petites villes aux alentours perdent également au profit des grandes situées dans un rayon de 100 km... Celles-ci sont difficilement accessibles sans véhicule personnel. Dans ces conditions, les femmes se retrouvent à garder les enfants et ne peuvent travailler . » Une élue de la Marne

« Les villages sont désertés par les services publics, les commerces, les transports en commun, les services médicaux ... » Une élue d'Indre-et-Loire

« Les petites communes voient leurs administrations et leurs commerces disparaître : bureaux postaux, agences bancaires, épiceries... De plus les transports en commun sont inexistants, d'où une obligation d'avoir plusieurs véhicules dans un même foyer, chose que bon nombre de familles ne peuvent pas ou ne peuvent plus se permettre de posséder . » Une élue de Vendée

« De nombreuses femmes ne maîtrisent pas le cadre institutionnel et n'ont pas recours à leurs droits car les services publics sont trop éloignés. » Une élue de Haute-Garonne

« Aucune capacité à penser le rural par les administrations centrales et pas de notion de proximité, ou très peu. Aujourd'hui pour régler un problème CAF ou CPAM ou autre, comme il faut aller toujours plus loin, c'est une journée de congé qu'il faut poser ! Cela renforce toutes les difficultés et en particulier celles des femmes en situation de précarité. La commune sert de point de contact avec les services de l'État ou des autres collectivités. C'est le seul service public qui existe en zone rurale la plupart du temps . » Une élue de l'Hérault

Source : Consultation des élues locales issues des territoires ruraux - Plateforme participative du Sénat (10 juin - 12 juillet 2021)

La dématérialisation des démarches administratives peut apparaître comme un moyen de faciliter l'accès aux services publics et d'exercer ses droits sans avoir à se déplacer. Cependant, elle peut aussi être synonyme d'un isolement encore plus grand si elle ne s'accompagne pas d'une politique active en faveur de l'aménagement numérique du territoire et de la lutte contre les zones blanches. En effet, les femmes rurales sont confrontées, comme les hommes, aux difficultés de connexion Internet dans les territoires ruraux. En 2021, 15 % des territoires ruraux ne bénéficient pas encore d'une couverture 4G et 30 % des locaux de ces territoires ne sont pas connectés au très haut débit.

PAROLES D'ÉLUES

« A l'heure du « tout Internet » nous n'avons pas de réseaux de communication (zone blanche). » Une élue du Jura

« Les zones blanches dans ces villages limitent l'accès Internet. Ils ne permettent pas de s'inscrire à une formation type cours du soir, ni d'accéder à ses droits, qui sont tous en ligne désormais (inscription CAF, etc.) . » Une élue des Deux-Sèvres

« Il faut admettre que la fibre est très peu déployée dans certaines zones rurales. Les connexions Internet sont régulièrement instables. Il est dommage que ce soit les grandes villes qui ont eu en premier les travaux au détriment de certaines zones rurales qui n'ont parfois même pas la 4G. C'est une réalité. » Une élue du Jura

Source : Consultation des élues locales issues des territoires ruraux - Plateforme participative du Sénat (10 juin - 12 juillet 2021)

2. Un manque de solutions de garde d'enfants accessibles

La présence et le coût de services de garde des jeunes enfants adaptés à proximité constituent un enjeu essentiel en matière d'insertion professionnelle des femmes notamment.

Comme le relève un rapport du Centre Hubertine Auclert consacré aux femmes des territoires ruraux franciliens 5 ( * ) , « les femmes étant en moyenne plus faiblement rémunérées que les hommes, il est parfois préférable financièrement pour les actives de prendre un congé parental plutôt que de cumuler un emploi à des horaires atypiques, le coût d'un mode d'accueil et le coût d'un transport. Le poids des stéréotypes cantonnant les femmes aux tâches domestiques et familiales explique également cet écart ».

Ce problème se pose avec une acuité particulière pour les familles monoparentales, qui représentent aujourd'hui 14 % des foyers ruraux et 18 % des foyers des territoires ruraux isolés (contre 20 % dans la moyenne nationale) 6 ( * ) .

Les services de garde d'enfants, et notamment les crèches collectives, moins onéreuses, sont en nombre insuffisant en zone rurale et, lorsqu'ils existent, ils peuvent être éloignés des lieux de travail ou de formation, allongeant les temps et coûts de transport des mères, voire les conduisant à renoncer à exercer une activité professionnelle. Dans certains départements comme la Haute-Savoie, les structures peinent à recruter du personnel de la petite enfance qualifié et le nombre d'assistants maternels est en diminution.

Selon une étude de la DREES de mars 2021 intitulée Grandir dans un territoire rural : quelles différences de conditions de vie par rapport aux espaces urbains ? , les familles rurales disposent en moyenne de huit places en crèche à moins de 15 minutes pour cent enfants de moins de trois ans, contre vingt-six en milieu urbain (chiffres 2017). Ainsi, l'assistante maternelle est le mode d'accueil payant le plus fréquent dans les espaces ruraux (27 %), bien que le reste à charge soit plus élevé (1,40 euro de l'heure, contre 1,20 euro de l'heure pour les crèches). Au total, il y a 55 places en mode d'accueil formel situées à moins de 15 minutes pour cent enfants de moins de trois ans, contre 64 places en milieu urbain .

En outre, les services existants ne sont pas toujours adaptés aux besoins des mères, en particulier en cas d'horaires de travail tardifs ou atypiques . Toujours selon la DREES, les horaires de travail atypiques, c'est-à-dire le week-end ou la nuit, sont plus fréquents pour les parents de jeunes enfants résidant en milieu rural, et le recours à un mode d'accueil payant y est donc plus fréquent avant 8 heures, après 19 heures ou le week-end pour leurs enfants de moins de trois ans (24 % contre 16 % en milieu urbain).

PAROLES D'ÉLUES

« Il n'y a pas assez de crèches sur le secteur et le coût d'une assistante maternelle est plus élevé, donc les femmes préfèrent mettre entre parenthèses leur carrière pour garder leurs enfants » Une élue de Haute-Garonne

« Par manque de place pour les gardes d'enfants, les femmes sont très souvent obligées de travailler à temps partiel. Les assistantes maternelles sont toutes complètes. Les places en crèche sont rares. Il faut s'y prendre au moins neuf mois voire un an à l'avance. Il est impossible d'avoir une place dans une intercommunalité différente de la sienne. Pour exemple, dans notre intercommunalité, il n'y a qu'une seule crèche de 12 enfants ouverte seulement trois jours par semaine . » Une élue de l'Aveyron

« Les assistantes maternelles ne veulent pas s'installer par manque de contrats et les crèches sont à plus de 20 minutes. On essaye d'installer une maison d'assistantes maternelles mais on ne trouve pas de personnel. Les trajets sont aussi un casse-tête. Si votre enfant n'est pas au collège ou lycée public le plus proche, et va par exemple en filière technique ou pro, il faut là aussi assurer les trajets matin ou soir ou payer un internat. La ruralité c'est bien mais il est difficile de s'organiser tout en travaillant, donc les mamans se sacrifient et prennent des mi-temps . » Une élue de la Loire

« Nous n'avons qu'une seule assistante maternelle pour l'ensemble de la commune (500 habitants). Certaines femmes ont repris une vie active sans mode de garde en s'appuyant sur les grands-parents. D'autres font 20 kms pour emmener les enfants à la crèche. Certaines femmes sont contraintes de modifier leur parcours professionnel pour rester à la maison avec les enfants. Les stéréotypes hommes/femmes sont très importants dans des petites communes . » Une élue de l'Aveyron

« Du fait d'un manque de places en structures d'accueil pour enfants, certaines femmes se voient en difficulté pour trouver un emploi stable et suffisant pour permettre de gagner un salaire plus important que les allocations/aides qu'elles peuvent percevoir sans travailler. Ce problème entraîne de fait une diminution de la motivation à la recherche d'emploi avec des risques de s'inscrire dans une démarche d'assistanat . » Une élue de l'Hérault

« La très grande majorité des femmes de ma commune rurale sont mères au foyer. Il leur coûterait quasiment plus cher de faire garder leurs enfants que de travailler (vu l'accès difficile à des emplois à temps plein) et leurs maris les poussent à cela. Ça les enferme dans un engrenage qui ne leur permet pas de s'investir dans la vie politique et associative, et elles deviennent totalement dépendantes financièrement de leurs conjoints, ce qui parfois est source de violences domestiques et d'isolement . » Une élue du territoire de Belfort

Source : Consultation des élues locales issues des territoires ruraux - Plateforme participative du Sénat (10 juin - 12 juillet 2021)


* 4 https://www.famillesrurales.org/etude-territoires-ruraux-perceptions-realites-2021

* 5 https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/rapport-femmes-et-ruralite-2019

* 6 DREES, Grandir dans un territoire rural : quelles différences de conditions de vie par rapport aux espaces urbains ?, mars 2021.

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