EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 2 NOVEMBRE 2021

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M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nos rapporteures Sylvie Robert et Sonia de La Provôté vont nous présenter les conclusions de la mission relative à la répartition territoriale des moyens alloués à la création dans le cadre du plan de relance, que nous leur avons confiée au mois de juin dernier.

Mme Sonia de La Provôté , rapporteure . - Depuis juillet dernier, nous nous sommes penchées, avec Sylvie Robert, sur les modalités de mise en oeuvre du plan de relance dans le domaine de la création artistique, afin de dresser le bilan de son exécution et de son efficacité. Nous voulions notamment vérifier s'il trouvait une traduction concrète et appropriée dans l'ensemble des territoires, ce qui nous a amené à regarder sa répartition en fonction des acteurs, des disciplines et des territoires.

À cette fin, nous avons procédé à une grosse dizaine d'auditions, dont un certain nombre sous forme de tables rondes pour pouvoir échanger à bâtons rompus avec les acteurs du secteur. Nous avons ainsi auditionné des services de l'État et des opérateurs chargés de sa mise en oeuvre, ainsi que les représentants de structures dans le domaine du spectacle vivant, public et privé, et dans celui des arts visuels. Nous avons également interrogé les collectivités territoriales, notamment en lançant une consultation des élus locaux sur le site internet du Sénat ; vous êtes un certain nombre à l'avoir relayée. Ces auditions ont fait ressortir un bilan contrasté.

Je commence par les points positifs.

Le premier point positif est l'existence même du plan de relance. Il y a en effet besoin d'un plan de relance pour la culture. Nous avons salué, tout comme de nombreux acteurs, les différentes aides transversales et sectorielles mises en place par l'État depuis le début de la crise sanitaire. Que ce soit en termes d'emploi, de maintien des structures ou d'accompagnement des organisateurs d'événements annulés, ces dispositifs ont permis de préserver l'écosystème avant la reprise. On aurait tout à fait pu imaginer que la création artistique ne soit pas considérée comme un secteur prioritaire dans le cadre du plan de relance, puisqu'elle avait précédemment été traitée comme « non essentielle ». Ce n'est pas le cas. La reconquête de notre modèle de création figure dans le plan de relance. Avec Sylvie Robert, nous y voyons une reconnaissance de la contribution du secteur au développement économique et au rayonnement de notre pays, mais pas seulement ; il contribue aussi à la vie de nos concitoyens. Le secteur culturel est une nécessité, que nous considérons comme vitale.

Le deuxième point positif est le montant du plan de relance. En effet, 400 millions d'euros de crédits y sont inscrits pour soutenir la création entre 2021 et 2022. C'est une somme significative, qui permet d'accroître de plus de 20 % le montant des crédits alloués par l'État dans le cadre du programme 131 « Création » au titre de ces deux années. Sans ces crédits supplémentaires, il y aurait probablement eu des faillites de structures en 2021 ; jusqu'ici, nous y avons échappé.

Le troisième point positif est la décision du Gouvernement d'ouvrir également le bénéfice de ces crédits à des structures qui n'étaient pas ou peu soutenues par l'État, par exemple des artistes émergents ou des structures culturelles débutantes, afin de préserver davantage l'emploi artistique. L'idée est que les autres structures sont de toute façon déjà soutenues via les crédits ordinaires du programme 131.

En l'occurrence, 40 % des crédits du plan de relance sont destinés au spectacle vivant privé généralement faiblement accompagné par l'Etat. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont été chargées de réserver environ 15 % des crédits qui leur sont attribués à de petites structures qu'elles n'accompagnaient pas jusqu'alors, même si elles l'étaient souvent par les collectivités territoriales. Il s'agit de structures qui jouent un rôle dans les territoires, en termes à la fois de débouchés pour les jeunes créateurs fraîchement diplômés et d'accès à la culture. Elles contribuent largement à la réalisation des droits culturels.

Le dernier point positif, ce sont les modalités de pilotage du plan de relance. L'exécution de ces crédits fait figure de priorité pour le Gouvernement. Il a donc été mis en place une organisation dédiée pour en assurer le suivi budgétaire - c'est à souligner, car tel n'est pas toujours le cas - et pour veiller à la bonne tenue d'engagement des crédits sur deux ans. Cette organisation garantit un bon taux de consommation des crédits. Aucune des personnes que nous avons interrogées, ministère comme collectivités territoriales et professionnels du secteur, n'a de doute sur le fait qu'au terme de l'année 2022, l'intégralité des crédits aura été consommée.

En revanche, les modalités de mise en oeuvre du plan de relance sont plus décevantes.

D'abord, deux éléments sont troublants dans la répartition des crédits.

Le premier est la part relativement modeste qui revient spécifiquement aux territoires. Or le fait de pouvoir accompagner et irriguer les territoires faisait tout de même partie des objectifs initiaux. Seulement 20 % des crédits du plan de relance, soit 80 millions d'euros, sont déconcentrés en DRAC, tandis que près de 30 % des crédits sont consacrés à trois opérateurs nationaux parisiens : l'Opéra de Paris, la Comédie-Française et l'établissement public de La Villette. On a l'impression de se retrouver face au même type de répartition que dans un projet de loi de finances. Bien entendu, d'autres crédits du plan de relance pourraient trouver une traduction dans les territoires ; je pense notamment aux crédits consacrés à la relance du spectacle vivant musical privé, à ceux qui sont destinés aux artistes fragilisés par la crise ou à ceux du plan de commande artistique. Mais l'équilibre territorial dans leur répartition est aléatoire. Aucune consigne précise n'a été donnée pour atteindre l'objectif de territorialisation. Or qui dit accès à la culture pour tous et caractère essentiel de cette dernière dit nécessairement garantie d'une équité d'accès sur le territoire.

J'en viens au deuxième aspect troublant. Nous nous étonnons de la part réservée aux arts visuels : seulement 3 % des crédits lui reviennent spécifiquement. Là encore, on retrouve des similitudes avec le projet de loi de finances. Le niveau de crédits est étonnant au regard de la précarisation accrue des artistes visuels dans cette période de crise. L'augmentation très importante des demandes d'aides auprès du Centre national des arts plastiques (CNAP) en témoigne. Les arts visuels sont donc une nouvelle fois les grands oubliés de l'accompagnement de l'État, malgré la volonté exprimée par le Gouvernement d'améliorer le soutien aux artistes-auteurs. Le plan de commande artistique de 30 millions d'euros, sur lequel le secteur des arts visuels comptait beaucoup, ne leur est en réalité pas spécifiquement destiné : il doit également soutenir les musiciens, les compositeurs, les auteurs, les comédiens, les designers. L'appel à manifestation d'intérêt fait d'ailleurs l'objet d'une très grande opacité. Aucune répartition des crédits entre les disciplines ou à l'échelon territoriale n'a été préétablie. Ni les services du ministère de la culture ni le CNAP n'ont été associés à sa conception et aux choix qui seront effectués. La territorialisation sera donc un élément extrêmement important à suivre.

Ensuite, nous sommes extrêmement inquiètes du manque de concertation et de transparence dans la mise en oeuvre du plan de relance. C'est une vraie menace pour son efficacité, qu'il s'agisse des objectifs de territorialisation ou du maintien de la diversité culturelle et de la diversité de l'offre en fonction des disciplines. C'est donc l'accès à la culture pour tous qui est en jeu.

Les collectivités territoriales n'ont pas été consultées en amont de l'élaboration du plan de relance sur les besoins de leurs territoires. Certes, l'urgence de la situation peut l'expliquer. Mais elles ne sont pas davantage associées à sa mise en oeuvre. Or, sur deux années, cela aurait pu être un prérequis. Les conseils des territoires pour la culture (CTC) ne sont toujours pas en place dans toutes les régions. Et dans celles où ils le sont, ils n'ont été mobilisés que pour informer les collectivités des actions de l'État au titre du plan de relance. Il n'y a que dans une, deux, voire trois régions que les choses ont mieux fonctionné.

De même, les professionnels du secteur se plaignent de ne jamais avoir été informés des priorités assignées au plan de relance - je rappelle tout de même que l'objectif était le maintien de la création culturelle et l'accompagnement à la reprise - et constatent un manque de transparence sur les critères d'attribution des aides. Là encore, les comités régionaux des professions du spectacle (Coreps) n'ont pas été réactivés dans l'ensemble des régions et les schémas d'orientation pour les arts visuels (Sodavi) restent encore embryonnaires.

Enfin, nous trouvons que l'efficience du plan de relance pourrait être améliorée.

Nous nous sommes rendu compte que l'obligation de consommer les crédits avant la fin de l'année 2022, conjuguée à la volonté de consommer les crédits coûte que coûte, était à l'origine d'un certain nombre d'effets pervers. J'en donnerai deux exemples.

Premièrement, il semble que des projets aient été abandonnés parce qu'ils coûtaient trop cher ou qu'ils ne pouvaient pas être réalisés dans les délais impartis. C'est contradictoire avec l'objectif du maintien de l'offre culturelle, notamment s'agissant de projets qui pourraient être considérés comme structurants pour certains territoires. Nous n'avons pas eu le détail des projets concernés, mais nous ne pouvons que nous interroger sur le manque de rationalité s'il s'agissait, précisément, de projets structurants.

Deuxièmement, la menace de remontée des crédits en fin d'année à l'administration centrale semble avoir conduit une majorité de DRAC - c'est un sujet que nous connaissons tous - à soutenir prioritairement les acteurs les plus structurés, ceux qu'elles connaissaient déjà, pour pouvoir utiliser les fonds. Rares sont les DRAC qui sont parvenues à soutenir véritablement de petites structures qui passaient jusqu'ici sous le radar du ministère, faute notamment de temps, de moyens humains et de logistique administrative.

L'autre élément qui menace l'efficience du plan de relance - c'est un véritable sujet d'inquiétude pour les acteurs concernés - est évidemment la lenteur de la reprise, dans ce domaine tout particulièrement. L'essentiel des crédits du plan de relance visant à soutenir le fonctionnement des établissements étaient inscrits sur 2021, sauf qu'aujourd'hui encore - tous les acteurs en ont témoigné -, les lieux culturels n'ont toujours pas repris une activité pleine et entière ; ils n'ont repris une activité progressive qu'à partir du début de l'été. Ils subissent toujours des contraintes sanitaires, notamment avec les jauges à 75 % pour les concerts debout - dans un certain nombre de situations, cela ne permet pas d'atteindre l'équilibre économique -, et souffrent du faible niveau de fréquentation. Ainsi, pour certains spectacles ou festivals, la fréquentation est de 30 % à 60 % inférieure, en fonction de l'offre. Sans compter que 30 % des personnes qui avaient pris des billets pour des spectacles dont la date a été reportée ne sont pas venues quand il s'est tenu avec les pertes de recettes de buvette et de restauration qui s'ensuivent. Enfin, le public ne se bouscule pas pour l'instant pour souscrire des abonnements ou des adhésions à des saisons culturelles.

L'avenir de la création reste donc menacé, parce qu'il existe aujourd'hui un risque majeur d'effet ciseaux. Les établissements constatent une augmentation rapide de leurs charges alors que leurs perspectives de recettes demeurent limitées et incertaines.

La fin des prêts garantis par l'État (PGE) arrive, avec des remboursements à échéance 2022. Cela crée des inquiétudes. La reprise est tardive et incomplète.

Les annulations n'ont pas toujours été compensées par les assurances. Le syndicat national des entrepreneurs du spectacle musical et de variété (Prodiss) a ainsi choisi de souscrire une assurance collective pour accompagner ses adhérents qui n'avaient pas pu obtenir d'assurance annulation.

La persistance de problèmes d'accès des artistes étrangers au territoire français nuit fortement à l'élaboration de programmations complètes.

Dans le cadre de la reprise, il y a aussi des inquiétudes sur les capacités de financement des collectivités territoriales et le maintien des moyens qu'elles consacrent à accompagner les artistes et les lieux de création et de diffusion. Ce sont les structures les plus petites et les moins solides qui risquent d'en pâtir. Or ce sont elles qui garantissent l'accès de tous à la culture dans les territoires.

Des personnels abandonnent le secteur culturel pour d'autres métiers ou secteurs d'activité. Nous en avons eu de nombreux témoignages. Cela freine l'activité des établissements.

Enfin, les contraintes sanitaires qui sont maintenues - je pense en particulier aux règles en matière de jauge - ne sont pour l'instant pas forcément comprises des acteurs et du public.

Je cède à présent la parole à notre collègue Sylvie Robert pour vous présenter nos recommandations.

Mme Sylvie Robert , rapporteure . - À partir d'un tel constat, nous avons établi douze recommandations relatives à la situation du secteur de la création, ainsi qu'à la question du public et des collectivités. Elles sont réparties en quatre axes.

Le premier axe concerne le niveau du soutien de l'État.

La première recommandation a trait à la situation du secteur, que nous considérons comme fragile. Certes, ni le Gouvernement, ni le Parlement, ni les directeurs de structure n'avions anticipé le non-retour du public. Or nous le constatons aujourd'hui : que ce soit au cinéma ou dans les salles de spectacles et les festivals, le public s'est globalement désaccoutumé à la fréquentation de lieux culturels, et il ne revient pas. Par conséquent, le risque de disparition d'un nombre important de structures et d'artistes n'est toujours pas écarté. Ainsi, pour tenir compte de la lenteur de la reprise, il faut éviter que les crédits du plan de relance ne soient redéployés à d'autres fins. Nous souhaitons donc que les crédits non consommés en 2021 soient reportés sur 2022, notamment dans le secteur des arts visuels, qui est moins organisé, avec une consommation des crédits moins avancée, mais aussi pour laisser suffisamment de temps aux DRAC pour repérer de nouvelles structures à accompagner dans tous les domaines de la création.

La deuxième recommandation est que l'État puisse prolonger les mesures exceptionnelles de soutien jusqu'au retour à la normale de l'activité. En réalité, il s'agit d'un plan non pas de relance, mais de reprise. Or la reprise est lente. Il faut donc reconduire ou prolonger les mesures exceptionnelles. Il faudra examiner en fin d'année la situation de l'intermittence : l'année blanche dure jusqu'à la fin de l'année civile, mais il faudra peut-être nous interroger sur ce point en fonction des circonstances. Par ailleurs, un certain nombre de petites structures ne pourront pas rembourser les PGE dès l'an prochain. Pourquoi ne pas envisager un étalement du remboursement sur une plus longue période ?

La troisième recommandation est que l'État contribue au redémarrage des établissements en leur apportant temporairement sa garantie financière. Très clairement, les assurances n'ont pas joué le jeu. Nombre de lieux culturels n'ont plus d'assurance. Si la reprise n'est pas suffisante dans les mois qui viennent, notamment pour certains grands événements culturels, l'État devra apporter sa garantie financière pour permettre aux acteurs de reprendre leur activité, mais surtout d'être en état de maintenir leur prise de risque artistique. Sinon, il risque d'y avoir un resserrement de l'offre de création.

Le deuxième axe de recommandations concerne la fréquentation des lieux culturels et la reconquête de leur public.

Le non-retour du public montre le besoin d'une lisibilité des règles attendues dans les équipements culturels. Dans certaines salles de spectacle, le port du masque est parfois obligatoire, et parfois non. Personne ne sait plus ce qu'il faut faire. Une telle confusion contribue à désemparer une partie du public. En plus, cela tend aussi les relations au sein des structures. Or il suffirait - ce n'est pas très difficile - que le ministère actualise les règles sur son site ; la dernière actualisation datait du mois de juin jusqu'à ce matin ! C'est notre quatrième recommandation. Cela permettrait aux professionnels de savoir à quoi s'en tenir, car les règles sont tout de même assez compliquées. Dans un concert, la jauge à 75 % debout s'applique en plus de l'obligation de présentation du passe sanitaire. Dès lors, des salles ouvrent à perte. Les professionnels sont obligés de déclarer 75 %, car c'est la loi, même s'ils ont en réalité du mal à respecter la jauge. Ils ne comprennent pas pourquoi il faut à la fois le passe sanitaire et la jauge.

Notre cinquième recommandation est de veiller à la proportionnalité des mesures de restrictions. Nous espérons tous qu'il n'y aura pas de nouvelle vague. Mais le fait d'avoir fermé les établissements culturels a tout de même mis un coup d'arrêt à la fréquentation du public. Si le taux d'incidence du virus conduisait le Gouvernement à s'interroger sur de nouvelles restrictions à prendre, il faudra bien analyser les décisions - encore une fois, nous parlons de « proportionnalité » - pour que la culture ne soit pas de nouveau arrêtée. Il faudra accompagner le secteur et faire en sorte que les mesures ne soient pas aussi brutales que lors des précédents confinements.

La sixième recommandation concerne le pass Culture, dont nous allons sans doute beaucoup discuter. Aujourd'hui, les résultats de cet outil nous paraissent très décevants dans une optique de relance de l'activité culturelle. Comme le soulignent les professionnels, il n'y a pas de relance ; il y a une timide reprise. Aujourd'hui, il y a très peu de réservations sur le pass Culture pour le spectacle vivant et pour les pratiques artistiques et encore moins pour les visites. Nous proposons de fixer pour priorité en 2022 le fait d'accroître très significativement la part des réservations à effectuer dans le cadre du pass Culture s'agissant de ces trois domaines. Cela pourra peut-être alimenter les débats. Mais le pass Culture est pour nous un sujet de préoccupations.

Notre troisième axe de recommandations a trait à l'amélioration de la transparence vis-à-vis des professionnels du secteur.

La septième recommandation est de mettre en place dans toutes les régions les Coreps et les Sodavi pour aboutir, à terme, à de véritables contrats de filière et pour structurer beaucoup plus les arts visuels dans nos territoires. Là aussi, c'est un vrai sujet de préoccupation. Pour l'instant, il y a peu de Coreps ; par exemple, il n'y en a pas en Île-de-France. L'idée est d'implanter ces structures à l'échelon territorial. Dans le secteur des arts visuels, les Sodavi sont une réelle nécessité.

La huitième recommandation est la création d'un observatoire des arts visuels. Le secteur est tellement méconnu que nous avons besoin d'études socio-économiques pour analyser son évolution et construire des politiques qui lui soient véritablement adaptées - pas juste une simple transposition de ce qui se fait pour le spectacle vivant. Aujourd'hui, le ministère n'est absolument pas outillé sur ce secteur en particulier - certes, il ne l'est pas tellement de manière générale - pour pouvoir procéder à une réelle observation.

Notre neuvième recommandation est de doter le Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV) de moyens et d'une véritable méthode de travail, d'un calendrier pour lui permettre d'avancer.

Notre dernier axe de recommandations concerne la relation entre l'État et les collectivités territoriales.

Notre dixième recommandation est que la mise en oeuvre du plan de relance puisse faire l'objet d'une évaluation en commun entre l'État et les collectivités territoriales.

Notre onzième recommandation concerne les CTC, qui ne sont pas présents dans toutes les régions. D'ailleurs, là où ils ont été mis en place, nous avons le sentiment qu'ils sont plutôt des instances d'information dépourvues de toute finalité opérationnelle. Il faut vraiment organiser à l'échelon territorial de véritables cadres opérationnels de coopération pour que les acteurs publics, collectivités et services déconcentrés de l'État, puissent réellement construire les politiques ensemble.

J'en viens à notre douzième et dernière recommandation, qui découle de la précédente. Il faut que le ministère de la culture puisse véritablement déconcentrer des enveloppes à l'échelon territorial. Notre recommandation est de réserver chaque année 10 % des crédits d'intervention déconcentrés à des projets choisis avec les collectivités. Je fais référence à des projets que, bien souvent, les collectivités accompagnent, mais que les DRAC n'accompagnent pas, parce qu'ils ne sont pas dans les radars du ministère. Or il y a parfois besoin d'élargir le périmètre des acteurs soutenus. De nouveaux projets émergent sur les territoires. Les collectivités en ont repéré, mais l'État ne peut pas les accompagner. Il faut faire confiance aux collectivités territoriales et aux services déconcentrés de l'État. Nous souhaitons que le ministère déconcentre une enveloppe et que les élus et les DRAC puissent travailler ensemble pour véritablement soutenir des projets nouveaux ou considérés comme importants, intéressants, structurants, peut-être émergents, dans les territoires. Cela peut d'ailleurs faire l'objet d'évaluations. Mais il faut autoriser une vraie déconcentration et un accompagnement des DRAC, en contrepartie de l'obligation faite aux collectivités de maintenir leurs crédits à la création dans les territoires dont elles ont la responsabilité.

Comme le soulignait Sonia de La Provôté, notre bilan est nuancé. Cela tient notamment au manque d'outillage du ministère. Certes, nous nous réjouissons que celui-ci ait pu obtenir tous ces crédits ; c'était important. Mais, comme il est mal outillé, il n'a pas été en mesure de travailler avec les collectivités et de mettre en place des instruments de pilotage, d'accompagnement et de repérage pour garantir, conformément aux objectifs annoncés, une reprise de l'activité créatrice dans notre pays.

M. Laurent Lafon , président . - Mes chères collègues, je vous remercie de cette présentation. Vous avez dû travailler dans des délais très courts, alors que nous n'avons qu'un faible recul sur les effets des dispositions mises en place. Mais le constat que vous avez d'ores et déjà dressé et les recommandations que vous avez formulées nous permettront d'avoir un dialogue avec la ministre sur le sujet, que ce soit en audition ou dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je remercie nos deux collègues de ce travail très instructif. Je vois dans le déficit d'outillage qu'elles ont souligné la traduction d'une dégradation continue du ministère de la culture depuis plusieurs années. Celui-ci ne s'est pas remis de la révision générale des politiques publiques et n'a pas non plus tiré les conséquences de l'implication de plus en plus marquée des collectivités territoriales dans la culture.

Les CTC sont effectivement des instances d'information. Dans ma région, il n'y a jamais eu de coordination et d'articulation avec l'action des collectivités territoriales. L'État n'a toujours pas compris comment ces dernières pourraient avoir leur mot à dire sur un certain nombre de décisions. Mais je trouve aussi qu'il n'y a pas une maturité suffisante des élus locaux pour travailler de manière coordonnée et en équipe : une meilleure organisation des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) inciterait peut-être l'État à s'interroger sur sa relation aux collectivités.

Les recommandations de nos collègues me semblent excellentes. Il faut réactiver les structures de concertation. Mais qui assumera les coûts liés aux Coreps ? Et quid de la participation financière des collectivités territoriales au fonctionnement de ces instances ?

À mon sens, l'État aurait également pu réfléchir sur les droits culturels dans le cadre du plan de relance. Il ne l'a pas fait.

N'y a-t-il pas nécessité de faire évoluer les critères d'attribution des subventions, notamment au spectacle vivant ? Dans cette phase délicate où le public n'est pas encore revenu, ne serait-il pas possible d'aider les compagnies en fonction de critères autres que l'urgence à créer toujours plus de spectacles ?

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je félicite à mon tour nos deux rapporteures, et je partage l'analyse de notre collègue Catherine Morin-Desailly sur le ministère de la culture.

Sur le pass Culture, notre patience a des limites. La ministre a vanté cet outil à coups de grandes envolées lyriques. Elle s'est un peu énervée lorsque nous l'avons interpellée en séance ; elle nous a alors indiqué qu'il n'y avait qu'au Sénat que le dispositif était critiqué.

Pour ma part, je serais preneur d'éléments chiffrés. Certains acteurs nous disent que le pass Culture ne fonctionne pas, mais ne tiennent pas nécessairement le même discours face à d'autres autorités. Que chacun choisisse son camp !

Nous avons, me semble-t-il, une réflexion à mener sur le sujet, dans la droite ligne des conclusions du rapport de nos collègues.

M. Lucien Stanzione . - Je salue la qualité du travail de nos rapporteures. Les moyens alloués à la création dans le cadre du plan de relance ont été importants, mais la concertation, tant avec les professionnels qu'avec les collectivités territoriales, a été insuffisante. Elle aurait pourtant permis une meilleure répartition des crédits sur le terrain. Comment mieux impliquer nos collectivités dans le processus d'élaboration de nos politiques nationales, particulièrement dans le domaine des arts visuels ? Comment favoriser leur prise d'initiative ? Quels dispositifs mettre en place ?

Mme Monique de Marco . - Pouvez-vous nous préciser le contenu de votre recommandation n° 6 relative au pass Culture ? J'avais une vision positive de ce dispositif, mais depuis que je suis au Sénat j'entends de plus en plus de critiques...

Mme Sylvie Robert , rapporteure . - La relance ne se fait pas, malheureusement. La baisse de fréquentation des salles de spectacle inquiète les professionnels : combien de temps cela va-t-il encore durer ?

Les crédits dédiés au pass Culture augmentent de 140 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022 : c'est énorme ! Ils représentent désormais plus de la moitié des crédits que l'État consacre à la démocratisation culturelle et à l'éducation artistique et culturelle.

Le pass Culture peut constituer un outil de reprise, à condition toutefois de bien l'orienter. Les jeunes l'utilisent majoritairement pour acheter des livres - les libraires en sont ravis - et consommer de la musique. Malheureusement, l'ouverture vers d'autres esthétiques n'a pas eu lieu : le pass Culture est peu utilisé pour le cinéma ou le spectacle vivant. Lors de l'expérimentation, il n'a représenté que 1 à 2 % des réservations de places... Afin d'en faire un véritable levier de la reprise, il faut mieux l'orienter pour inciter les jeunes à fréquenter les salles de spectacle.

Les CTC et les Sodavi vont permettre de structurer la filière des arts visuels, comme cela a été fait pour la musique. Quant au coût d'animation des Coreps et des Sodavi, il sera probablement partagé entre État et collectivités. C'est un sujet important, mais que nous n'avons pas approfondi à ce stade.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Attention à ce que les collectivités ne payent pas l'addition !

Mme Sonia de La Provôté , rapporteure . - Dans le projet de loi de finances pour 2022, les organismes professionnels et syndicaux seront soutenus à hauteur de 3 millions d'euros. Il y a 500 000 euros inscrits pour les contrats de filière musique et 900 000 euros pour les Sodavi. Il est difficile à ce stade de savoir si cela sera suffisant, les Sodavi étant à peine embryonnaires. Une chose est sûre : pour instaurer un réel dialogue avec l'ensemble des acteurs et animer les territoires, il faudra des moyens.

Les difficultés de pilotage, de veille et d'évaluation sont patentes, tant au niveau des DRAC que du ministère. Notamment parce que la culture est financée à plus de 70 % par les collectivités territoriales - dont près de 80 % par le seul bloc communal (communes et intercommunalités). L'État ne dispose pas d'une analyse suffisamment fine de la diversité de l'offre culturelle sur nos territoires.

La création du CNM a été plébiscitée par l'ensemble des acteurs du secteur qui dispose désormais d'une structure réactive, ouverte - y compris à ceux qui ne la financent pas - et à l'écoute de leurs difficultés.

Les cahiers des charges des labels auraient besoin d'être revus ou, à tout le moins, assouplis. Ils doivent ménager une part de souplesse - pour permettre notamment l'adaptation aux besoins locaux - qui fait malheureusement défaut.

Les crédits déconcentrés des DRAC sont pour l'essentiel fléchés. Ils vont d'abord aux structures labellisées et aux appels à projets de l'État. Une fois ces crédits distribués, bien souvent il ne reste presque rien ! Il serait bon qu'une part du budget soit fléchée en direction d'actions coconstruites, sur le modèle du fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine des petites communes rurales - même si, au final, on ne sait pas toujours très bien ce qu'en font les DRAC...

Les DRAC doivent se réorganiser pour favoriser la coconstruction. Des référents ruralité devaient être nommés, mais où en est-on ? Et les territoires, ce n'est pas que la ruralité !

Dans le projet de budget, l'éducation artistique et culturelle risque de se résumer au pass Culture... Cette manne commerciale conforte la jeunesse dans ses préférences, alors qu'il devrait s'agir d'un outil de soutien aux politiques culturelles publiques.

Mme Catherine Morin-Desailly . - L'Association des maires ruraux de France nous a indiqué aujourd'hui en audition que le plan de relance n'avait trouvé aucune traduction dans les territoires ! Et pour cause : c'est juste un plan « cathédrales », avec des crédits d'État pour des monuments d'État.

La mission sur la politique de l'art lyrique en France a, elle aussi, proposé tout récemment à la ministre de renforcer l'observation et l'évaluation. Il s'agit d'une proposition récurrente, et pourtant le ministère ne dispose toujours pas d'un observatoire digne de ce nom. Je rejoins donc, hélas, votre constat.

M. Laurent Lafon , président . - Malheureusement, agir dans l'urgence ne permet pas de répondre aux problèmes structurels.

Les structures dédiées - comme le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et le CNM - ont fait la preuve de leur efficacité : elles sont réactives et bien mieux identifiées sur les territoires que les DRAC.

La question de la fréquentation des salles de spectacle vivant et de cinéma devra continuer à nous mobiliser en 2022 et au-delà.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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