B. PLUSIEURS SUJETS APPELLENT ENCORE UNE ACTION VOLONTARISTE POUR GARANTIR LA SÉCURITÉ INDUSTRIELLE ET LA MISE EN oeUVRE PLEINE ET EFFECTIVE DES PRINCIPES DE LA DÉMOCRATIE ENVIRONNEMENTALE

L'évaluation de la mise en oeuvre des recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat révèle que plusieurs mesures et initiatives complémentaires sont encore nécessaires .

Afin de tirer toutes les conséquences des retours d'expérience post-Lubrizol, la commission, suivant son rapporteur, a formulé 8 recommandations s'inscrivant dans 4 axes pour :

- améliorer la prévention des accidents industriels et accentuer les contrôles de terrain réalisés par l'inspection des ICPE ;

- renforcer l'information et assurer une meilleure participation du public à la prévention et à la gestion des risques industriels ;

- sécuriser l'évaluation, le traitement et la réparation des dommages résultant d'un accident industriel ;

- définir un système et des procédures permettant d'assurer un suivi sanitaire efficace des populations touchées par un accident industriel.

Ces recommandations, adoptées à l'unanimité par la commission 132 ( * ) , pourront être traduites dans le cadre d'une proposition de loi . Certaines relevant en revanche davantage du niveau réglementaire appellent une action du pouvoir exécutif.

1. Améliorer encore la prévention des accidents industriels et augmenter le nombre de contrôles et d'inspections

Sur le volet de la politique de prévention des risques industriels, la commission formule 3 recommandations visant à :

- apporter des évolutions resserrées et pragmatiques à notre législation pour renforcer la sécurité industrielle ;

- augmenter les contrôles sur les sites sensibles et adapter en conséquence les effectifs de l'inspection des ICPE ;

- accompagner les maires dans l'exercice de leurs compétences en matière de prévention des risques et de gestion de crise.

Face à la baisse importante du nombre de contrôles entre 2006 et 2018 ( - 40 % ), qui est passé de 30 300 en 2006 à environ 18 200 en 2018 , la commission appelle à leur augmentation.

Recommandation 1 - Poursuivre le renforcement des contrôles sur les sites et activités industriels sensibles en :

- définissant un programme d'actions et de contrôles inopinés par l'inspection des ICPE pour s'assurer que les industriels mettent en oeuvre leurs obligations, notamment celles relatives à la réalisation d'exercices, y compris hors heure ouvrée. Cette recommandation doit faire l'objet d'instructions dans les prochaines circulaires adressées annuellement à l'inspection des ICPE ;

- fixant une trajectoire d'augmentation des effectifs de l'inspection des ICPE pour atteindre + 200 ETP nets d'ici 2027 ;

- dépassant les 30 000 inspections annuelles dès 2023 pour renouer avec les seuils de contrôles effectués après l'accident d'AZF ;

Recommandation 2 - Améliorer encore la prévention et la gestion des risques au sein des plateformes industrielles en :

- prévoyant, dans le cas où une plateforme industrielle a été constituée, la possibilité pour le préfet de demander l'inscription d'office de la prévention et de la gestion des accidents majeurs dans les domaines de responsabilités des exploitants qui souhaitent se regrouper 133 ( * ) ;

- mettant à l'étude une modification législative visant à limiter à trois le nombre maximum de niveaux de sous-traitance pour certaines catégories d'ICPE (Seveso seuil haut, seuil bas, ICPE soumises à autorisation de certaines rubriques sensibles) et réalisant une analyse comparative sur les régimes juridiques et pratiques en vigueur dans les États de l'Union européenne. Le préfet pourrait également se voir reconnaître la possibilité d'interdire ou de limiter les possibilités de sous-traitance sur tout ou partie d'une activité. La communication des contrats de sous-traitance à l'administration (DREAL) pourrait également être prévue explicitement ;

- prévoyant, dans le cas où une plateforme industrielle a été constituée et pour laquelle la prévention des risques figure dans les domaines de responsabilité partagés des exploitants, l'information de l'ensemble des exploitants de la plateforme sur les suites données à un contrôle portant sur l'un des exploitants membre de la plateforme, afin de développer la sensibilisation ;

- mettant à disposition de tous les exploitants de sites à forts enjeux de sécurité (Seveso seuil bas et seuil haut, ICPE soumise à autorisation, quelques ICPE soumises à enregistrement) un bilan annuel synthétique des principaux évènements intervenus en matière de sécurité industrielle dans leurs secteurs d'activités, pour les sensibiliser aux risques à surveiller en particulier ;

- approuvant au plus vite les quatre plans de prévention des risques technologiques (PPRT) prescrits mais non encore approuvés.

Recommandation 3 - Accompagner les maires dans l'exercice de leurs compétences en matière de gestion de crise et dans le renforcement de la résilience des territoires face aux effets des accidents industriels en :

- complétant le troisième alinéa du I de l'article L. 731-3 du code de la sécurité intérieure pour prévoir la transmission annuelle, du préfet au maire concerné, des retours d'expérience issus de la mise en oeuvre des plans particuliers d'intervention (PPI) ainsi que d'un bilan synthétique des conclusions des contrôles des ICPE réalisés sur le territoire ;

- complétant l'article L. 741-6 du code de la sécurité intérieure pour prévoir la présence obligatoire de l'exploitant ainsi que du maire concerné ou de son représentant qu'il désigne à cet effet lors de l'organisation des exercices prévus dans le cadre des plans particuliers d'intervention (PPI) ;

- mettant à l'étude une inscription, dans les missions de l'association nationale qui sera chargée de diffuser la culture du risque, d'un rôle d'appui et de soutien aux collectivités dans la mise en oeuvre de leurs stratégies de prévention des risques et d'information du public, comprenant l'aide à la rédaction de leurs documents de gestion de crise 134 ( * ) ;

- complétant le II bis de l'article L. 125-2 du code de l'environnement pour faire référence à la garantie contre les effets des catastrophes technologiques prévue à l'article L. 128-2 du code des assurances dans les informations que le maire apportera à la population ;

- prévoyant la mise à disposition de l'ensemble des maires des communes d'un département comportant au moins un établissement classé Seveso de supports d'information sur les risques et les comportements à tenir en cas d'accident, afin qu'ils puissent les partager auprès de la population ;

- envisageant une modification des dispositions relatives aux commissions de suivi de site (CSS) instituées par le préfet pour assurer la représentation de toutes les collectivités qui pourraient potentiellement subir les effets d'un accident dans une ICPE classée Seveso ;

- proposant un nouveau dispositif de soutien financier à destination des entreprises et des collectivités afin de les accompagner dans la mise en sécurité de leurs bâtiments et le renforcement de leur résilience face aux accidents industriels, notamment dans le cadre des prescriptions imposées par les plans de prévention des risques technologiques ;

- en évaluant, d'ici la fin de l'année 2023, l'action des services de l'État visant à accompagner les collectivités territoriales en matière de prévention des risques industriels et à soutenir les initiatives des intercommunalités conçues pour mettre en place une direction des risques.

2. Renforcer l'information et assurer la participation du public à la politique de prévention et de gestion des risques industriels

Sur le volet de l'information et de la participation du public, la commission a souhaité prolonger et aller au-delà des annonces de la ministre de la transition écologique présentées en octobre 2021 dans le cadre du plan d'action Tous résilients face aux risques .

En conséquence et suivant son rapporteur, la commission formule 1 recommandation visant, là encore, à proposer des évolutions pragmatiques de notre législation pour améliorer la diffusion des enjeux de sécurité industrielle auprès du grand public et des élus.

Recommandation 4 - Assurer une information et une participation du public à la hauteur des enjeux de sécurité industrielle en :

- désignant, dès le premier semestre 2022, la nouvelle association nationale chargée de porter la politique de sensibilité aux risques et le renforcement de la culture de la sécurité industrielle et en mettant à l'étude une évolution de notre droit visant à compléter la section 1 du chapitre V du titre II du livre I er du code de l'environnement pour consacrer l'existence de cette association dans la loi. Un système de labellisation, sur le modèle de la politique de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), pourrait être prévu ainsi que la remise d'un rapport annuel de cette association au Parlement, pour préciser ses actions et les résultats obtenus ;

- réformant en profondeur le cadre applicable aux commissions de suivi de site (CSS) mises en place par les préfets dans le périmètre des établissements industriels sensibles en procédant aux modifications suivantes au sein du code de l'environnement :

* à l'article L. 125-2-1, préciser que lorsque l'exploitant, les collectivités ou les riverains demandent la création d'une commission de suivi de site (CSS), cette demande de création est de droit, avec l'obligation pour le préfet d'y donner une suite favorable ;

* au dernier alinéa de l'article L. 125-2-1, apporter un complément pour préciser que la composition des CSS doit permettre une représentation plus importante des élus, des riverains, de la population exposée en second rideau et des associations de protection de l'environnement ;

* prendre un décret pour faire évoluer la composition des CSS (article R. 125-8-2 et R. 125-8-4 s'agissant du poids relatif de chaque collège dans les prises de décisions) afin d'assurer une plus grande présence et représentation des élus, des riverains, de la population exposée en second rideau et des associations de protection de l'environnement. Prévoir une composition inspirée de l'ancienne version de l'article D. 125-30 pour les CSS créées en application du dernier alinéa de l'article L. 125-2 du code de l'environnement ;

* prévoir une disposition législative explicite à l'article L. 125-2-1 visant à ce que les exploitants n'aient qu'une voix consultative dans les cas où une CSS est amenée à émettre un avis ;

- améliorant l'information générale du public sur les risques industriels

* compléter et réorganiser la section 1 du chapitre V du titre II du livre I er du code de l'environnement pour prévoir une disposition inspirée du droit de la sûreté nucléaire visant à organiser l'information des personnes domiciliées ou établies dans le périmètre d'un plan particulier d'intervention mentionné à l'article L. 741-6 du code de la sécurité intérieure 135 ( * ) ;

* clarifier, dans le code de l'environnement, le cadre applicable à la publicité des contrôles réalisés par l'inspection des installations classées, pour prolonger l'annonce de la ministre de la transition écologique et pour mieux distinguer ce qui relève des informations sensibles intéressant la sûreté de l'État ou le secret industriel des informations communicables et utiles au renforcement de la culture de la sécurité 136 ( * ) ;

* en prévoyant la possibilité pour les salariés des sites contrôlés par l'inspection des ICPE de recevoir communication d'informations supplémentaires par rapport à celles mises à disposition du public ;

- renforcer l'utilité d'autres instances de concertation et de suivi (Coderst, S3PI). Procéder aux modifications et évolutions suivantes :

* modifier l'article L. 125-8 pour créer une procédure de « création de droit » à la demande des élus ou du public s'agissant des instances de suivi de la mise en oeuvre des mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables sur l'environnement des projets d'infrastructure linéaire soumis à évaluation environnementale, en application de l'article L. 122-1 ;

* à l'article L. 125-2-1, consacrer dans la loi l'existence des secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI), en prévoyant leur création de droit dans les mêmes conditions que celles précitées et obligatoirement après un événement ayant donné lieu à la reconnaissance de l'état de catastrophe technologique et en prévoyant une représentation plus forte des élus et du public dans les S3PI (modification nécessaire des articles D. 125-35 et -36 par décret sur modalités de création, missions et composition) ;

* prévoir la mise en place d'une cellule dédiée, sur le modèle du comité de la transparence et du dialogue (CDT) instauré à Rouen, dans le cas d'un accident d'ampleur comparable ;

* utiliser les possibilités laissées aux préfets par l'article R. 1416-2 du code de la santé publique s'agissant de la composition du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst).

3. Améliorer l'évaluation environnementale, le traitement et la réparation des dommages résultant d'un accident industriel

Pour tenir compte des retours d'expérience de l'incendie de Rouen et de la mise en oeuvre partielle ou de l'absence de mise en oeuvre, par le Gouvernement, des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale, la commission formule 3 recommandations complémentaires visant principalement à :

- assurer une réparation satisfaisante des dommages résultant d'accidents industriels ;

- poursuivre l' amélioration continue de la protection de l'environnement et de la lutte contre les pollutions d'origine industrielle.

Recommandation 5 - Favoriser les recours collectifs pour l'indemnisation des préjudices et améliorer la réparation des dommages résultant d'accidents industriels en :

- assouplissant les conditions de reconnaissance de l'état de catastrophe technologique par la modification des articles L. 128-1 et suivants du code des assurances ;

- relançant les travaux administratifs relatifs au développement des recours contentieux collectifs afin d'assurer une meilleure réparation des dommages subis en cas d'accident industriel.

Recommandation 6 - Faire du principe de non-régression environnementale une boussole pour nos politiques publiques et dresser un bilan lucide de l'articulation entre notre législation relative à la protection judiciaire de l'environnement et celle relative à l'implantation des activités industrielles sur la période 2017-2022 en :

- modifiant les 7 e et 8 e alinéas de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour intégrer l'évaluation de la conformité des normes envisagées avec le principe de non-régression en matière de droit de l'environnement ;

- demandant au Gouvernement de réaliser un rapport d'évaluation de la mise en oeuvre des évolutions récentes de notre droit visant à adapter le niveau des sanctions administratives et pénales applicables aux infractions constatées à la réglementation applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement, à remettre avant le 1 er juin 2023. Ce rapport devra notamment mentionner le nombre d'entreprises concernées, le montant global et moyen ainsi que la nature des sanctions infligées, la durée des procédures et présenter des statistiques sur la nature et les conséquences des infractions et manquements concernés.

Recommandation 7 - Assurer la pleine effectivité de l'évaluation environnementale et de la participation du public en appui de nos politiques industrielles , en apportant les évolutions réglementaires nécessaires dans les meilleurs délais. La décision du Conseil d'État a montré que notre droit n'est qu'en conformité partielle avec les exigences de l'évaluation environnementale issues du droit européen. De même, les observations de la Commission européenne sur la législation applicable à l'information et à la participation du public en France doivent être prises en compte pour renforcer la culture de la sécurité industrielle dans notre pays. Des modifications réglementaires, voire législatives sont nécessaires et peuvent être prises rapidement.

4. Définir un système et des procédures permettant d'assurer un suivi environnemental et sanitaire efficace, en particulier pour les populations touchées par un accident industriel

Sur ce volet, la commission formule 1 recommandation afin de remédier aux failles organisationnelles révélées par l'accident de Rouen. Elle considère que les professionnels de santé doivent être associés tout au long de la gestion accidentelle et post-accidentelle et que le recueil des données environnementales doit être envisagé et mis en place pour permettre une évaluation rapide et fiable des conséquences sanitaires d'un accident industriel.

Recommandation 8 - Renforcer notre capacité de réaction et d'analyse en matière sanitaire et environnementale face à des accidents industriels en :

- complétant la section 1 du chapitre V du titre II du livre I er du code de l'environnement (L. 125-1 et suivants) afin d'inscrire l'obligation pour l'État d'informer dès que possible les professionnels de santé et les personnes qui participent à l'exécution des services indispensable à la gestion d'un accident industriel en cas d'accident de ce type pouvant provoquer des effets importants sur la santé de l'homme et l'environnement ;

- mettant à l'étude une mesure d'obligation d'inscription des professionnels de santé sur le logiciel « DGS-Urgent » et sur la possibilité de rattacher également les intervenants à domicile à cet outil ;

- faisant évoluer les conditions de saisine de l'Anses (article L. 1313-3 du code de la santé publique) ;

- évaluant la mise en oeuvre, par les acteurs concernés (Ineris, Santé publique France, exploitants), d'une organisation adaptée pour assurer la collecte et l'exploitation d'échantillons environnementaux (air, eau, sol, etc.) dans des délais rapides et la communication au grand public de leurs résultats.


* 132 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220124/atdd.html#toc4

* 133 Compléter l'article L. 515-48 du code de l'environnement pour indiquer que « Le cas échéant, lorsque les caractéristiques de la plateforme et du territoire sur laquelle elle est implantée le justifient, le préfet fait procéder à l'inscription de la prévention et la gestion des accidents visés aux articles L. 515-32 et L. 515-15 dans les domaines de responsabilité définis dans le contrat de plateforme des installations classées pour la protection de l'environnement qui souhaitent se regrouper ».

* 134 Modification à faire de la section 1 du chapitre V du titre II du livre I er du code de l'environnement.

* 135 Par exemple : « Les personnes domiciliées ou établies dans le périmètre d'un plan particulier d'intervention mentionné à l'article L. 741-6 du code de la sécurité intérieure reçoivent régulièrement, sans qu'elles aient à le demander, des informations sur la nature des risques d'accident et sur les conséquences envisagées, sur le périmètre du plan particulier d'intervention et sur les mesures de sécurité et la conduite à tenir en application de ce plan ». Ou prévoir une disposition spécifique si une CSS a été mise en place.

* 136 Voir l'instruction du Gouvernement du 6 novembre 2017 relative à la mise à disposition et aux conditions d'accès des informations potentiellement sensibles pouvant faciliter la commission d'actes de malveillance dans les ICPE.

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