Rapport d'information n° 536 (2021-2022) de M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 23 février 2022

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N° 536

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 février 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' enquête
de la
Cour des comptes sur la prise en charge médicale
des
personnes âgées en Ehpad ,

Par M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Daphné Ract-Madoux, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a, par courrier 12 janvier 2021, demandé au Premier président de la Cour des comptes de procéder à une enquête sur la prise en charge médicale en établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cette enquête s'inscrit dans un travail d'analyse des politiques de soutien à l'autonomie poursuivi par la commission des affaires sociales depuis plusieurs années. Pour mener à bien ces travaux, la commission a mobilisé tous les moyens à sa disposition : mission d'information, travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et recours à l'expertise de la Cour des comptes 1 ( * ) .

La présentation des conclusions de cette enquête intervient dans un contexte qu'il convient également de rappeler. La publication le 26 janvier dernier du livre « Les fossoyeurs » du journaliste Victor Castanet, fruit d'une enquête de plusieurs années, a donné une visibilité sans précédent à la question des modalités de prise en charge de la dépendance. L'émotion légitime suscitée par ce travail a déclenché une réponse institutionnelle. Le Gouvernement a commandé une enquête sur les faits allégués à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale des finances. Notre commission a décidé de mettre en place une mission d'information dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Afin de limiter toute redondance avec les enquêtes en cours, elle a choisi de concentrer notre travail sur les modalités et les évolutions de la politique de contrôle à mener en direction des Ehpad.

L'enquête présentée par la Cour des comptes le 23 février 2022 trouve donc sa place à la fois dans une actualité brulante et, à ce titre, elle constitue la première étape du travail de la commission d'enquête, et dans une démarche plus large, entamée depuis plusieurs années par la commission.

L'enquête de la Cour des comptes avait donc pour sujet initial la médicalisation des Ehpad. Son sous-titre « un nouveau modèle à construire » souligne les difficultés auxquelles doivent faire face le secteur des Ehpad et annonce un nouveau modèle d'hébergement fondé sur une prise en charge plus qualitative des résidents et une plus grande attractivité du secteur pour les professionnels. Dans ce cadre, la Cour examine les leviers d'une prise en charge médicale de qualité, dans une approche davantage soucieuse de l'évolution des besoins des personnes âgées. Il ressort de cette enquête que la question de la médicalisation irrigue tous les aspects de la gouvernance du secteur et qu'une grande variété de leviers (indicateurs, référentiels, financement, coopération) peut être actionnée en faveur du renforcement de cette politique.

Mais, au fil de ses développements, la Cour a élargi la focale de son analyse et propose également des mesures de renforcement du suivi de l'activité des établissements, des pistes d'évolution des modalités d'exercice de la tutelle exercée par les autorités publiques, autant d'éléments qui font écho à l'actualité des dernières semaines.

I. LA PRISE EN CHARGE MÉDICALE DES RÉSIDENTS : UN CUMUL DE DIFFICULTÉS

L'état des lieux de la médicalisation des Ehpad dressé par la Cour ne peut pas laisser les autorités sanitaires sans réaction . L'enquête conforte plusieurs éléments de constat déjà instruits par les travaux de la commission relatifs à l'évolution de l'état de santé des résidents, au défaut d'attractivité du secteur pour les professionnels et aux effets de cette situation sur la prise en charge des résidents. Deux points saillants ressortent de cette analyse. Le premier est celui de la dégradation de l'état de santé des résidents en Ehpad. Les résidents vieillissent et leur état de santé de santé nécessite une prise en charge renforcée. Les données disponibles montrent en effet que l'âge moyen des résidents en Ehpad ne cesse de progresser, il était de plus de 86 ans en 2015, et que concomitamment le niveau de dépendance des personnes accueillies dans ces établissements ne fait que croître puisque plus de la moitié des résidents (54 %) est désormais très dépendante (GIR 1 ou 2). Il est donc normal, au vu de ces éléments, que les besoins en soins médicaux évoluent à la fois quantitativement et qualitativement.

Le deuxième élément est également connu de la commission, ce sont les difficultés de recrutement du secteur qui rendent plus difficile l'accompagnement en soins des résidents. La Cour souligne ainsi qu'un tiers des Ehpad ne dispose pas d'un médecin coordonnateur.

Face à ces défis, la Cour propose une réponse graduée qui permettra d'adapter la prise en charge médicale à l'évolution de l'état de santé des résidents et d'améliorer la qualité de leur prise en charge globale.

II. DES AJUSTEMENTS INCRÉMENTAUX ET CUMULATIFS

La Cour ne méconnaît pas les difficultés de recrutement qui pèsent sur les établissements et leurs conséquences tant pour la prise en charge individuelle des résidents que pour l'exécution de tâches qui, bien que distinctes du soin, ont pour vocation d'améliorer la prise en charge tels que les projets d'établissements, l'évaluation de l'état de santé et de dépendance des résidents (les fameuses coupes budgétaires) ou encore les rapports d'activité médicale annuels.

L'amélioration de la qualité de la prise en charge passe par une organisation plus efficace au sein des établissements . Pour atteindre cet objectif, la Cour propose le développement de « bonnes pratiques » dans toutes les activités des établissements afin de les aider à définir une organisation optimale aussi bien en matière de taux d'encadrement, que de formation des personnels ou de développement d'actions de prévention. Plusieurs exemples illustrent cette démarche.

Le développement de référentiels permettant d'établir le niveau d'effectif nécessaire pour garantir l'accompagnement du résident est une proposition novatrice faite par la Cour. Sur le modèle de la réglementation relative à l'accueil des jeunes enfants, des ratios de nombre maximum de résidents à prendre en charge par chaque professionnel de soin qualifié pourraient être élaborés. La Cour considère que ce référentiel est de nature à agir sur la qualité du service et sur l'attractivité du secteur pour les professionnels. Des réflexions identiques sont en cours chez certains de nos voisins européens (Danemark, Suède) tandis que l'Allemagne est le seul parmi les pays étudiés par la Cour, à avoir mis en oeuvre des taux d'encadrement opposables.

Le développement de référentiels doit s'accompagner d'une action sur l'organisation interne des établissements, notamment celle des cycles de travail.

Cet effort porté sur l'organisation doit englober les modalités de prise en charge de certaines situations et notamment promouvoir une action volontariste dans le domaine de la prévention. Cette problématique fait écho aux difficultés de notre système de santé en la matière, bien que la promotion de la santé et la prévention soient mises au premier rang des objectifs de la stratégie nationale de santé. Pour atteindre ces objectifs, la Cour préconise une approche fondée sur l'élaboration de protocoles indiquant les conduites à tenir notamment en matière de chutes, de prévention des escarres, de réponses aux situations de dénutrition, avec la volonté de dépasser la prévention individuelle et de développer des axes de prévention collective.

Dans ce volet prévention, une attention particulière doit être apportée à la gestion de la polymédication des personnes âgées, un sujet majeur de santé publique. L'objectif est de réduire la surconsommation, notamment celle de médicaments psychotropes, et l'iatrogénie médicamenteuse qui provoque des hospitalisations et des décès. Pour les résidents en Ehpad, la Cour préconise la mise en place d'une politique institutionnalisée, inscrite au niveau du projet d'établissement, mais surtout guidée par une exploitation plus systématique des données médicales détenues par l'assurance maladie.

Les solutions proposées par la Cour nécessitent le développement d'indicateurs et de référentiels destinés à suivre l'organisation et l'activité des établissements. Ces indicateurs ont vocation à être rendus publics afin d'apporter une meilleure information aux familles sur le fonctionnement des établissements. Cette solution dont on comprend l'intérêt pour faire évoluer l'organisation des établissements se heurte à plusieurs difficultés ainsi que cela été souligné lors de l'audition du Premier président de la Cour des comptes. Tout d'abord, il faut élaborer ces référentiels. Si la construction des référentiels de bonne pratique relève des missions de la Haute autorité de santé, cette dernière ne se considère pas en mesure d'élaborer des référentiels de taux d'encadrement. Ensuite, alors que sont pointés les difficultés de recrutement dont souffrent les Ehpad, tenir à jour de tels indicateurs aurait pour effet de réduire le temps de prise en charge des résidents. Il conviendra donc de trouver un juste équilibre entre la nécessité de proposer des solutions normalisées sur la façon d'améliorer la qualité de l'organisation et de la prise en charge des résidents et l'instauration de référentiels trop nombreux ou trop chronophages.

III. ACTIONNER LE LEVIER DU FINANCEMENT POUR AMÉLIORER LA QUALITÉ DE LA PRISE EN CHARGE

Les modalités de financement qui ne sont plus en adéquation avec les objectifs de prise en charge des résidents doivent évoluer afin d'inciter les établissements à une démarche qualité .

Si le financement des Ehpad est d'ores et déjà fondé sur l'évolution de l'état de santé des résidents un infléchissement est nécessaire. Les défauts de mise à jour des coupes (système d'évaluation utilisé par les professionnels de santé pour définir le niveau de dépendance d'un patient) qui sous-tendent le calcul des dotations, retardent la revalorisation des budgets et sont source de pertes de recettes préjudiciables à la qualité de la prise en charge.

En outre, les règles de financement ne permettent pas aux établissements d'investir davantage dans la prévention . À ce titre, la Cour propose que les modalités de financement tiennent davantage compte des besoins liés à la prise en charge des troubles cognitifs et que certaines dotations soient conditionnées à des indicateurs relatifs au déploiement d'actions de prévention. Elle préconise notamment, par le biais d'une réforme des ordonnances Pathos, de mieux valoriser la prévention, les thérapies non médicamenteuses et le suivi de l'évolution des pathologies. Enfin, elle considère que le modèle de financement devrait faire une place plus grande aux dotations pluriannuelles plus favorables aux objectifs d'amélioration de la qualité ou d'accueil des populations en situation de précarité ou de handicap.

Les modalités de financement destinées à favoriser la prise en charge des besoins d'accompagnement des résidents doivent également être révisées. Cette évolution doit encourager le développement des prestations particulières telles que les unités d'hébergement renforcées (UHR), les pôles de soins adaptées (Pasa) ou les unités de vie protégées, autant de structures dont la mise en place apporte une réponse à l'évolution de l'état de santé des résidents. Ce développement, point nodal de la prise en charge de maladies neurodégénératives, est aujourd'hui trop lent. La Cour préconise également le recours au tarif global qui permet une meilleure prise en charge médicale des résidents en salariant et en intégrant les professionnels, cette dernière proposition répond par ailleurs aux difficultés d'accès au médecin traitant.

Enfin la Cour propose une réforme substantielle de la tarification ternaire (forfait relatif aux soins, forfait relatif à la dépendance, tarif relatif à l'hébergement). Partant du constat selon lequel la frontière entre les dépenses qui relèvent du soin et celles qui relèvent de la dépendance est artificielle et que par ailleurs la part des financements départementaux ne cesse de décroitre, elle propose la construction d'un modèle de tarification unifié où l'assurance maladie assumerait un financement quasi intégral des charges relatives aux soins et à la dépendance. Cette réforme est également préconisée par le rapport Libault et certaines fédérations du secteur. Une telle proposition soulève bien entendu la question de la place des départements dans la nouvelle gouvernance mise en oeuvre par cette réforme de la tarification et du maintien d'un lien territorial dans la gestion des établissements.

IV. DES MARGES D'AMÉLIORATION POUR L'EXERCICE DE LA TUTELLE ET DES CONTRÔLES

La question des contrôles est au coeur de l'actualité et la Cour ne l'esquive pas . La question est d'ailleurs étendue au-delà du seul contrôle pour évoquer la problématique de l'exercice de la tutelle et du pilotage du secteur. La cour estime que les autorités de tarification et de contrôle peinent à faire face à leurs missions d'organisation de l'offre, de financement et de contrôle.

Les missions d'inspection-contrôle menées par les autorités de tutelle ne permettent pas d'assurer une surveillance minimale standardisée. Un Ehpad se fait contrôler en moyenne tous les 20 à 30 ans. C'est insuffisant. La Cour pointe la nécessité de renforcer les moyens affectés à cette tâche. Les moyens disponibles pour la mise en oeuvre des contrôles sont en effet incertains. Il est fréquent que l'essentiel des inspections reposent sur des inspecteurs en charge d'autres responsabilités, pour lesquels ces inspections ne sont qu'une activité marginale.

Plusieurs pistes peuvent être suivies pour améliorer cette situation. Le renforcement du suivi de ces contrôles est une première étape puisqu'il est aujourd'hui difficile d'appréhender précisément le nombre de contrôles effectués en Ehpad car les ARS et les départements les identifient mal. Élargir le périmètre de ces contrôles qui s'inscrivent principalement aujourd'hui dans l'orientation « inspection et prévention des risques de maltraitance dans les établissements » constitue une autre démarche nécessaire. Ces programmes de contrôle sont partagés avec les départements. Ce renforcement suppose de renforcer les moyens de contrôle. Les nouvelles missions confiées à la HAS permettront de favoriser un meilleur recours à l'évaluation mais ne résoudront pas tous les problèmes.

Le contrôle de la section hébergement qui représente entre 45 % et 68 % des recettes perçues par les établissements fait l'objet de développements spécifiques. Ce forfait hébergement joue un rôle central, ou devrait jouer un rôle central, dans la qualité de la prise en charge des résidents, il sert en effet à financer les dépenses immobilières ou des activités d'animation qui sont autant d'éléments importants dans cette prise en charge et dans le développement des actions de prévention.

La Cour observe que les autorités sanitaires ne disposent que d'un pouvoir de contrôle partiel sur les flux de la section hébergement , notamment dans les Ehpad privés, et suggère un renforcement des informations que les établissements doivent communiquer sur l'utilisation de ces recettes et une modification législative afin de permettre aux juridictions financières de contrôler ces flux financiers.

Examinant d'autres volets de la tutelle exercée par les autorités tarifaires, la Cour porte une appréciation nuancée sur l'efficacité des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), présentés comme un « levier de performance » pour les Ehpad et observe que cette contractualisation n'a pas produit l'effet escompté pour décliner les orientations de la politique publique et établir des objectifs stratégiques pluriannuels pour les Ehpad. Cette situation est en partie provoquée par l'insuffisance du dialogue de gestion entre établissement et autorités de tutelle mais également par une vision trop administrative et trop descriptive de ces contrats.

Enfin, la Cour rappelle que les autorités de tarification disposent d'un pouvoir d'autorisation de l'activité, soumise à renouvellement périodique qui doit les conduire à opérer un contrôle de régularité sur l'application des normes de fonctionnement.

La question du renforcement du contrôle et plus largement de l'amélioration de l'exercice de la tutelle demeure un sujet ouvert et à traiter rapidement.

V. EHPAD DE DEMAIN : ENTRE RÉSEAUX ET INTÉGRATION

Souhaitant dégager des perspectives pour les années à venir, la Cour se prononce en faveur d'une « mise en réseau » des Ehpad considérant que les établissements isolés ne sont plus en mesure d'assumer seuls les problématiques liées à la santé, la sécurité et même le bien-être de leurs résidents. Une insertion au sein d'un réseau d'acteurs de santé ou d'un groupe d'envergure régionale ou nationale est une condition nécessaire, mais non suffisante, de l'amélioration de la qualité de la prise en charge.

Le développement de passerelles entre les différents modes de prise en charge des personnes âgées dépendantes, entre domicile et établissements mais également avec les établissements sanitaires est impératif pour améliorer la prise en charge des résidents.

Cette démarche repose sur une double logique. Tout d'abord, une logique de renforcement de l'organisation des établissements. La Cour souligne les effets bénéfiques que peuvent apporter aux établissements le fait de s'intégrer dans un réseau comportant plusieurs Ehpad pour le fonctionnement quotidien, la réflexion sur l'organisation interne, voire la mutualisation de moyens. Ensuite, une logique de parcours pour les résidents, notamment par le biais d'une coopération organisée entre Ehpad et établissements de santé.

Les autorités de tarification sont déjà promoteurs de démarches de coopération plus fortes afin de mieux articuler le parcours du résident devenu patient avec d'autres établissements. Pour l'heure, le secteur privé est déjà restructuré, le privé non lucratif est en cours de restructuration tandis que les dispositifs de mutualisation mis en place dans le secteur publics restent éloignés des bénéfices que peut accorder l'intégration dans un groupe.

Ces réflexions de la Cour des comptes viendront enrichir les travaux de la commission d'enquête relative au contrôle des Ehpad. De façon plus large, elles permettront d'alimenter la réflexion sur la prise en charge des personnes âgées.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mercredi 23 février 2022, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission procède à l'audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous entendons ce matin M. Pierre Moscovici, premier Président de la Cour des comptes, pour la présentation de l'enquête demandée à la Cour sur la prise en charge médicale en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - sujet ô combien d'actualité !

M. Moscovici est accompagné de : M. Denis Morin, président de la 6 e chambre ; Mme Véronique Hamayon, conseillère-maître, contre-rapporteure ; M. Vincent Feltesse, conseiller-maître, rapporteur général ; Mme Camille Andrieu et M. Guillaume de La Batut, chargés de mission ; ainsi que Mme Marion Reibel, stagiaire à la Cour

Je salue nos collègues qui participent à nos travaux en visioconférence. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

J'ai demandé ce travail à la Cour en janvier 2021, dans le prolongement des travaux de la commission d'enquête sur la crise sanitaire. Le constat de la vulnérabilité accrue des résidents d'Ehpad est désormais bien connu, mais la crise a vraiment fait apparaître une déconnexion entre ces établissements et leur environnement sanitaire, à laquelle il convient de remédier. D'une commission d'enquête à l'autre, ce rapport constitue par ailleurs une contribution intéressante à verser aux travaux de notre commission d'enquête sur le contrôle des Ehpad qui débuteront au mois de mars.

L'enquête dresse un constat sévère en constatant que « l'Ehpad actuel est à bout de souffle », alors qu'elle souligne par ailleurs l'ampleur des moyens supplémentaires déployés au cours des cinq dernières années.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes . - Je vous remercie vivement de m'avoir invité à vous présenter le rapport de la Cour sur la prise en charge médicale en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les fameux Ehpad. J'ai toujours grand plaisir à vous retrouver, et cette audition en est une nouvelle occasion. La mission de la Cour est de nourrir le débat public, d'éclairer la décision et de contribuer à votre contrôle sur les affaires sociales - ce rôle dévolu à la Cour par la Constitution me tient très à coeur. Nous entretenons d'ailleurs avec la Haute Assemblée d'excellents rapports.

Le rapport que je vous présente aujourd'hui, à votre demande, complète d'autres travaux récents, dont le rapport de novembre 2021 sur la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées, ainsi que le rapport de janvier 2022 relatif aux services de soins à domicile. Quant au rapport public annuel que j'ai remis le 15 février au Président de la République, je le présenterai demain au Sénat. Celui-ci comprend un chapitre entier consacré à la gestion de la crise sanitaire dans les Ehpad, qui a attiré l'attention dans le contexte actuel. Ce travail est, je crois, de grande qualité et de grande ampleur. L'équipe qui a travaillé sur ce sujet comprend notamment Denis Morin, président de la 6 e chambre, souvent auditionné devant votre commission, Vincent Feltesse, conseiller-maître, rapporteur général, et Véronique Hamayon, conseiller-maître, présidente de section et contre-rapporteure.

En janvier 2021, la Cour devait donc examiner la médicalisation des Ehpad à l'aune de la crise sanitaire et du projet de loi « Grand âge et autonomie ». Ce sujet, trop souvent oublié, s'inscrit désormais au coeur de l'actualité à la suite de la publication d'un récent ouvrage sur la question. C'est pourquoi j'ai tenu à exposer moi-même devant vous les constats de la Cour au regard des multiples enjeux, dont l'éthique, que ce sujet soulève. On reconnaît le degré d'évolution d'une société à la place qu'elle accorde à ses personnes âgées. Ce rapport devrait alimenter la réflexion sur la prise en charge médicale des anciens, au-delà d'éventuelles poursuites judiciaires individuelles.

Nous nous sommes appuyés sur les constats des contrôles effectués par les juridictions financières au sein de 57 Ehpad, publics ou privés, choisis pour refléter la diversité de nos territoires. Nous avons aussi examiné l'action des pouvoirs publics mise en oeuvre dans d'autres pays, tels que l'Allemagne, la Belgique, le Danemark ou le Japon. Comparaison n'est pas raison, mais cette approche est féconde pour comprendre l'organisation et le financement de notre système, ainsi que l'efficacité de la prise en charge de nos voisins. Ceux-ci sont beaucoup plus avancés que nous s'agissant de l'information du grand public et la diffusion d'indicateurs qualité. Conséquence de la crise covid, les Ehpad sont traités de manière spécifique dans le rapport public annuel. Sont examinés en profondeur les leviers d'une prise en charge médicale de qualité et le rôle qui pourrait être dévolu aux Ehpad dans une approche plus soucieuse de l'évolution des besoins - cette notion est importante - des personnes âgées.

Je citerai trois éléments phares de notre enquête.

Premièrement, l'évaluation du groupe Orpea n'était pas prévue. Nos travaux se sont concentrés sur le numéro 1 du secteur en France, Korian, et le numéro 4, Colisée, et sur des Ehpad privés lucratifs, parfois totalement isolés.

Deuxièmement, les Ehpad publics ne sont pas mieux gérés que les établissements privés, lucratifs ou non. Le facteur déterminant de la gestion de l'accueil et des soins est lié non à la nature de l'établissement, mais à la qualité et à l'efficacité de l'encadrement. Ce dernier repose sur le triptyque : directeur général, médecin coordinateur, infirmier coordinateur.

Troisièmement, le contrôle se heurte à une double contrainte. D'une part, la compétence des juridictions financières est limitée, elles ne peuvent pas contrôler la partie Hébergement. Depuis la loi du 17 décembre 2008, les Ehpad ne sont plus tenus de retracer dans un compte distinct les charges et les produits des prestations non supportées par des financements publics. Par ailleurs, nos contrôles ne sont pas inopinés, mais planifiés et annoncés, ce qui ne permet pas de repérer certaines situations alarmantes. Nous formulerons des propositions pour y remédier.

À l'issue de cette enquête, la Cour a d'abord dressé un état des lieux de l'organisation et du fonctionnement des Ehpad, notamment de la tarification, du régime de l'autorisation. Elle a ensuite examiné la qualité de la prise en charge médicale, singulièrement affectée par le manque persistant de personnels qualifiés et la dégradation des conditions de travail qui en découle. Enfin, la Cour propose des pistes d'évolution pour un nouveau modèle d'Ehpad visant à renforcer leurs capacités de prise en charge, de contrôle, ainsi que leur insertion territoriale.

Je présenterai maintenant les principaux enseignements de notre rapport.

Un constat s'impose : en dépit d'améliorations récentes, la prise en charge actuelle dans les Ehpad n'est pas suffisamment adaptée aux besoins des personnes âgées. En France, 1,4 million de personnes bénéficient de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à rapporter aux 17,5 millions de Français de plus de 60 ans ; 600 000 personnes âgées dépendantes résident désormais dans les Ehpad, soit 15 % des plus de 80 ans, dont la grande majorité vit toujours à domicile. L'état de santé et le degré de dépendance de ces personnes sont tels que le maintien à domicile n'est plus possible pour elles. Plus de 57 % d'entre elles souffrent d'une maladie neurodégénérative, et 12 % présentent des troubles du comportement. L'âge moyen d'entrée en Ehpad est proche de 86 ans, pour une durée moyenne de séjour de 2,5 années en 2015. L'Ehpad est le dernier lieu de vie d'un quart des personnes décédées. La fin de vie est donc au coeur du quotidien de ces établissements. Cette situation est préoccupante compte tenu du vieillissement continu de la population depuis quarante ans, et ce phénomène s'accentue en raison de l'allongement de l'espérance de vie et de l'avancée en âge des baby boomers . Le nombre des plus de 85 ans devrait doubler d'ici à 2050. Or la prévalence de la perte d'autonomie croît fortement avec l'âge.

Le nombre des personnes âgées dépendantes va augmenter dans des proportions importantes, et, partant, les besoins en Ehpad. Entre 2011 et 2015, la proportion des résidents de 90 ans ou plus est passée de 29 % à 35 %. Entre 2011 et 2018, 54 % de personnes accueillies en Ehpad sont très dépendantes. La dépendance n'est toutefois pas uniforme et peut être aggravée par des pathologies plus ou moins lourdes, au premier rang desquelles la maladie d'Alzheimer. De 70 % à 80 % des personnes atteintes de troubles cognitifs sont hébergées en Ehpad, c'est-à-dire 400 000 personnes. Ces structures d'hébergement jouent donc un rôle central au sein des structures d'accueil du fait de médicalisation, de la quasi-disparition de l'hébergement en maison de retraite et de la diminution du nombre d'unités de soins de longue durée. Entre 2007 et 2020, les places permanentes en Ehpad ont augmenté de 67 %. Cette croissance spectaculaire demeure néanmoins insuffisante au regard des besoins estimés par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). En 2030, 21 millions de séniors de 60 ans et plus vivront en France, 3 millions de plus qu'en 2019. Pour répondre aux besoins, et eu égard aux conditions actuelles, le rythme des ouvertures de places devra doubler.

Face à ces constats assez préoccupants, que faire pour appréhender le grand âge avec pertinence et efficacité ? Il faut d'abord comprendre les grands enjeux sous-jacents à la prise en charge médicale en Ehpad, afin d'être en mesure d'impulser des réformes adaptées et novatrices. Je soulignerai les trois enjeux clés de cette problématique.

D'abord, le modèle de financement sur lequel s'appuie la prise en charge n'est pas adéquat. Il repose sur une division en trois sections dont le poids varie selon le type d'établissement : les soins, essentiellement financés par l'assurance maladie, la dépendance, financée par les départements via l'APA en établissement, et l'hébergement qui est à la charge quasi exclusive de la personne âgée - à l'exception des places habilitées à l'aide sociale, financées par les départements. Le financement public étant majoritairement réparti entre les sections Soins et Dépendance, notre rapport ne mentionne pas ou n'évoque qu'à la marge les conditions d'hébergement.

Le volume global de dépenses destinées aux sections Soins et Dépendance dépassait en 2019 les 11 milliards d'euros, ce qui représente une croissance de 31 % par rapport à 2011, presque trois fois plus rapide que celle du produit intérieur brut (PIB) sur cette période. À la suite des mesures prises conformément au Ségur de la santé, le montant dépasse les 14 milliards d'euros, qui ne comprennent au demeurant pas les dépenses de médecine de ville et d'hospitalisation pour les résidents en Ehpad, lesquelles atteignaient 2,4 milliards d'euros avant la pandémie.

Toutefois, cette hausse des moyens n'a pas permis de répondre aux besoins des résidents. La prise en charge effective des plus fragiles est peu assurée en raison du manque d'unités d'hébergement renforcées (UHR), de pôles d'activités et de soins adaptés (PASA) et d'unités de vie protégées (UVP) dans les Ehpad. En outre, les inégalités se sont renforcées. Entre territoires, les écarts concernant les équipements sont passés en dix ans de 15,9 % à 16,7 %. Pour les résidents, les valeurs de « points GIR » départementaux en 2021 qui sont utilisées pour le calcul des dotations présentent des écarts : 6,20 euros dans les Alpes-Maritimes, 9,47 euros en Corse, 11,80 euros en Guyane, avec une moyenne de 7,34 euros. Cela traduit une forme d'inefficacité de notre modèle de financement.

Ensuite, la gestion des ressources humaines en Ehpad participe à la dégradation de la prise en charge. Le secteur entier fait face à des manques persistants de personnel qualifié, ce qui entraîne des effets directs sur la qualité de la prise en charge - certains résidents sont couchés dès 18 heures, voire seize heures ! En outre, le recours intensif à des contractuels en contrat de courte durée contribue à dégrader la prise en charge. Les rotations importantes empêchent un suivi efficace des résidents. In fine , les fonctions d'aides-soignants sont exercées par des salariés qui n'ont pas la qualification requise. Les conditions de travail et les cadences sont telles que l'absentéisme est très élevé. Nous consacrerons un chapitre du prochain rapport annuel sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale (RALFSS) aux risques professionnels dans le secteur médico-social. Nous avons également constaté un manque de médecins coordonnateurs dans 50 % des Ehpad, alors qu'ils jouent un rôle clé dans le suivi des patients et que leur présence répond à une obligation juridique.

Enfin, les autorités de tarification et de contrôle peinent à remplir leurs missions.

D'une part, les agences régionales de santé (ARS) ne parviennent pas à inscrire l'activité des établissements dans une vision stratégique de moyen terme. Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), que seuls 30 % des Ehpad ont signés, restent des outils administratifs purement descriptifs. Par ailleurs, ni les ARS ni les départements n'ont promu un système de fonctionnement en réseau, alors que l'insertion dans un groupe d'acteurs de santé, d'envergure régionale ou nationale, est une condition nécessaire à l'amélioration de la prise en charge.

D'autre part, les contrôles sont insuffisants : un Ehpad n'est contrôlé que tous les vingt à trente ans, et les résultats ne sont pas rendus publics ! Nous devrions nous inspirer de nos partenaires européens. L'autorité danoise réalise par exemple des visites dans les établissements et publie directement sur son site les résultats obtenus : en 2021, quelque 250 résultats d'inspections réalisées en un an ont été rendus disponibles. Je continue de penser que la transparence, dans ce domaine comme dans nombre d'autres, est une vertu.

Se pose ensuite la question des actions à mener. Nous en identifions trois principales.

Premièrement, les modalités de financement doivent être repensées en fonction des besoins des résidents. Nous recommandons une fusion des sections Soins et Dépendance pour mettre fin à un système trop complexe et source d'inégalités. L'ARS agirait comme responsable unique, mais comme le suggère la Cour dans son rapport de novembre 2021 intitulé La prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées , les départements doivent être confortés comme responsables de la politique de prévention dans les territoires. Ils resteront partie prenante des CPOM pour les structures habilitées à l'aide sociale, mais aussi pour veiller à la bonne insertion territoriale des Ehpad. Toutefois, ils ne seraient plus les interlocuteurs du quotidien, car les Ehpad sont des lieux de plus en plus médicalisés. Et la santé est une compétence de l'État. Cela allégera les formalités administratives pour les Ehpad, qui demeurent des structures fragiles.

Les dotations doivent absolument mieux prendre en compte le niveau des besoins en soins et le degré de dépendance. Le GIR moyen pondéré (GMP) et le Pathos moyen pondéré (PMP) servent de bases pour calculer les dotations allouées. Leur mise à jour doit être plus fréquente. Plus du quart des Ehpad reçoivent des dotations calculées sur des estimations trop anciennes. En outre, les modalités de financement doivent participer à l'amélioration de la prévention. Pour ce faire, il faut réintroduire des dotations pluriannuelles

Enfin, il faut encourager le passage au tarif global, qui couvre les rémunérations versées aux médecins spécialistes et généralistes, aux gériatres et aux auxiliaires médicaux libéraux. Certains examens de biologie et de radiologie doivent être pris en charge. Par ailleurs, les médecins pourraient être salariés et l'accès à du temps médical pour les résidents dépourvus de médecin traitant mériterait d'être facilité. Aujourd'hui, le tarif global ne bénéficie qu'à 28 % des Ehpad. S'il était généralisé, cela représenterait un coût maximum de 400 millions d'euros. Mais ce serait une manière de sécuriser la qualité de la prise en charge.

Deuxièmement, pour pallier l'insuffisance des soignants, il faut impérativement remédier au manque d'attractivité du métier qui perdure depuis trop longtemps. Il faut notamment améliorer la reconnaissance des professionnels de la filière des soignants en Ehpad. La revalorisation salariale prévue dans le cadre du Ségur de la santé, ainsi que le lancement d'une campagne de recrutements assortie d'un plan de formation professionnelle doivent être poursuivis et amplifiés.

La formation professionnelle est un levier d'action à exploiter plus largement, afin de prendre en charge des personnes dont l'état de santé et de dépendance évolue. Je pense aux personnes handicapées vieillissantes et aux nombreux séniors souffrant de pathologies psychiatriques.

Le problème fondamental des ressources humaines doit être traité à tous les niveaux : plus de formation ; plus de valorisation ; plus de progression de carrière pour les aides-soignants ; plus de reconnaissance pour les infirmiers coordinateurs et les psychologues ; une action forte pour pallier le manque de ressources médicales via le tarif global et une meilleure articulation avec les établissements de santé, notamment les équipes mobiles de gériatrie et d'hospitalisation à domicile.

Troisièmement, l'accent doit être mis sur le contrôle et la capacité d'organisation des autorités de tutelle. Comme l'actualité récente nous l'a montré, un contrôle effectif est la condition sine qua non d'une bonne prise en charge. Alain disait : « Tout pouvoir sans contrôle rend fou. » De même, toute prise en charge sans contrôle devient inopérante, inefficace et inacceptable. Le mode de contrôle des Ehpad doit être profondément renforcé. Les CPOM doivent être transformés en outils de pilotage stratégique dotés de moyens financiers pluriannuels en faveur de la prévention et d'un plan d'insertion de l'Ehpad dans son environnement sanitaire et social. De nouveaux indicateurs doivent être créés pour suivre les domaines les plus en tension dans les Ehpad. Il serait par exemple pertinent de définir des ratios cibles sur le nombre maximum de résidents pris en charge par un professionnel de soins qualifié, sous forme de référentiels de bonnes pratiques. L'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) et la Haute Autorité de santé (HAS) ont commencé à travailler en ce sens.

L'amélioration du contrôle passe aussi par l'extension des compétences des autorités de contrôle. Aujourd'hui, l'utilisation des recettes d'hébergement échappe au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Ces recettes sont-elles affectées à l'amélioration des conditions de vie des personnes âgées ? À l'investissement - si oui, quel est-il ? À la mise en réserve en vue de distribuer des dividendes ? Quelle part revient à l'établissement et au groupe ? Je serai très franc : nous ne le savons pas et n'avons pas en l'état les moyens de le savoir. Seule une approche décloisonnée des services fournis peut permettre de retracer l'utilisation des fonds privés issus du tarif d'hébergement et de déceler la maltraitance résultant de l'insuffisance des moyens déployés.

Je forme le voeu que le législateur fasse évoluer rapidement le champ de compétence de la Cour et des CRTC. Il y va de l'information du citoyen, de notre possibilité de contrôler, au sein de l'établissement et du groupe, les produits d'hébergement et les postes de charge qu'ils financent. Je pense notamment à l'immobilier et aux achats. Je tiens à votre disposition une note sur ce sujet avec un projet de modifications des articles L. 111-7 et L. 211-7 du code des juridictions financières.

S'ajoute un devoir de transparence envers les proches des résidents. Ils doivent avoir connaissance du degré de qualité de la prise en charge de leurs aînés. Nous recommandons la publication des évaluations externes et des grands indicateurs de qualité à l'instar de plusieurs de nos voisins européens, dont le Danemark.

La promotion du modèle de l'Ehpad comme centre de ressources dans les territoires, à mi-chemin entre le domicile et le médical, doit devenir prioritaire. Si ce modèle a déjà été expérimenté en Nouvelle-Aquitaine, il ne dispose pas d'un cadre juridique ouvrant des financements spécifiques. Le dispositif « Ehpad Centre de ressources » consacré par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 constituera, je l'espère, une première étape fondatrice. C'est la disparition d'un fonctionnement en silo qu'il faut promouvoir et la suppression de l'étanchéité entre l'établissement et le domicile. Alors que la France enregistre 600 000 résidents en Ehpad, contre 100 000 en Italie.

Notre rapport se résume en trois idées-forces.

Tout d'abord, le modèle économique sur lequel est fondé l'Ehpad nécessite d'être rénové. On ne peut laisser s'accroître les dépenses sans résultats visibles pour les usagers. Il faut certes dépenser, mais cela passera par une réorganisation du modèle, la fusion des sections Soins et Dépendance, l'introduction de dotations pluriannuelles, et ce en vue de l'adaptation aux évolutions démographiques et sociomédicales françaises.

Ensuite, le renforcement de la prise en charge médicale et de sa qualité est plus que jamais nécessaire dans les Ehpad. Il convient d'adapter la formation du personnel, de mieux prendre en compte les résidents atteints de troubles cognitifs, d'améliorer le niveau de soins via le tarif global, d'assurer la publicité et la transparence des résultats.

Il est très inhabituel pour la Cour de préconiser des dépenses supplémentaires, mais les besoins, massifs, vont s'accroître. Le coût global des mesures envisagées se situe entre 1,3 milliard et 1,9 milliard d'euros par an. Nous l'assumons.

Enfin, c'est au travers d'un nouveau modèle que les Ehpad s'affirmeront en tant qu'établissements de référence. Mieux contrôlés, mieux coordonnés avec les autres acteurs de la gérontologie, plus ouverts, les Ehpad pourront s'adapter aux besoins. C'est le coeur de ce rapport.

Le défi du grand âge ne peut être laissé de côté. Prendre en charge nos aînés, c'est prendre en charge la société tout entière. Dans La Légende des siècles , Victor Hugo écrit : « Et l'on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens. Mais, dans l'oeil du vieillard, on voit de la lumière. » Cette lumière symbolise les épreuves surmontées, la vigueur d'esprit, la lueur d'espoir, la foi dans le progrès. C'est aussi l'avenir que nous préparons en refondant le modèle des Ehpad !

Mme Catherine Deroche , présidente . - Merci beaucoup de ce rapport vraiment très intéressant. Je considère votre audition comme la première de la commission d'enquête, d'ores et déjà axée sur le contrôle. Vos propositions à ce sujet sont fructueuses. Je laisse la parole à M. le rapporteur Bernard Bonne, qui participe à nos travaux en visioconférence.

M. Bernard Bonne , rapporteur . - Merci de ce rapport extrêmement intéressant et qui correspond en grande partie à celui que Michelle Meunier et moi-même avions rédigé l'an dernier sur la prévention et l'évolution de la prise en charge des personnes âgées en Ehpad. Nous avions bien observé ce qui se passait au Danemark sans pouvoir nous y rendre du fait de la crise sanitaire. Ce pays avait fait le pari de ne plus construire de tels établissements. N'ont ainsi été accueillies dans les Ehpad que les personnes les plus fragiles ayant d'importants troubles, notamment cognitifs, nécessitant une lourde médicalisation. Les autres séniors pouvaient rester à domicile grâce à un accompagnement très adapté.

Nous sommes entièrement d'accord avec vous sur la nécessité de revoir complètement le modèle des Ehpad. Nous avions proposé dans notre rapport la fusion expérimentale des sections Soins et Dépendance, sous l'égide des ARS ou des départements. Il faut également revoir totalement la médicalisation dans les Ehpad et l'augmenter considérablement.

Vous soulignez la difficulté pour les juridictions financières de contrôler les sections d'hébergement, surtout au sein des établissements à but lucratif. Quelles pistes d'amélioration pourraient être envisagées pour le contrôle, y compris de l'utilisation des sommes perçues ? Quelles obligations de communication faudrait-il imposer aux établissements ? La commission d'enquête examinera tous les écueils du système et proposera d'autres solutions afin que nous gagnions en transparence. Quel est votre avis sur les CPOM ? S'ils sont très intéressants ponctuellement, lorsqu'ils concernent un groupe, ne masquent-ils pas la réalité individuelle de chaque établissement ? La commission d'enquête pourrait souhaiter à son tour entendre la Cour des comptes afin de recueillir d'autres éléments très intéressants.

Mme Michelle Meunier , rapporteure . - Les travaux de la Cour sont tous importants, mais celui-ci a une résonance particulière eu égard à la réflexion que nous avons déjà entamée avec Bernard Bonne et compte tenu de la triste actualité sur les Ehpad. Nous partageons votre constat de l'absence de visibilité concernant les effectifs de soins. Pour y remédier, vous préconisez la constitution de référentiels afin d'évaluer les ratios minima requis pour prendre soin des personnes âgées. Qui doit élaborer ces référentiels ? Comment y associer les acteurs locaux, en priorité les départements, mais aussi les centres communaux d'action sociale (CCAS) ? Comment s'assurer de leur respect par les établissements ?

La surconsommation médicamenteuse dans les Ehpad, qui n'est pas nouvelle, pose toujours problème. Vous suggérez de mettre à disposition des établissements les données de l'assurance maladie. Comment lever les verrous qui freinent cette mise en place ? Ne pourrait-on prévoir l'apposition de labels qualité ?

Concernant la démocratie participative, les familles des personnes hébergées peuvent être associées au conseil de la vie sociale présent dans chaque Ehpad. Cet outil est utile pour avoir une vision exacte des conditions de vie et de travail dans ces établissements. Quelles sont vos recommandations en la matière ?

M. Pierre Moscovici . - Je constate une assez large convergence d'analyse qui est de bon augure. Je le redis : la Cour et les membres de la 6 e chambre sont totalement disponibles pour participer à vos travaux ou vous renseigner sur des enquêtes particulières que nous avons menées. Nous devons aller encore plus loin ensemble dans nos contrôles. Outre les mesures législatives, les contrôles inopinés sont absolument nécessaires pour avancer et éviter des toilettages artificiels.

Monsieur Bonne, pour les sections Soins et Hébergement, les Ehpad ont deux sources de financement : les dotations représentent plus de 90 % des crédits, sans que soient prises en compte les actions de prévention et de lutte contre la surconsommation médicamenteuse ; quant aux crédits non reconductibles, ils sont par nature incertains. C'est pourquoi la Cour préconise de faire du CPOM un outil de planification stratégique et d'y intégrer un volet financier correspondant à des objectifs de santé publique et de prévention.

Les entraves rencontrées par les juridictions financières sont doubles. D'une part, la section Hébergement des Ehpad privés ne peut être contrôlée. D'autre part, l'accès aux comptes du siège des groupes devrait être rétabli au travers de l'obligation, supprimée en 2008, de transmettre aux ARS un compte spécial retraçant les produits et charges d'exploitation non financés par les fonds publics, c'est-à-dire essentiellement l'hébergement. Ce compte doit également retracer les flux financiers entre la personne morale gestionnaire et le siège social ou toute autre entreprise du groupe. Cela permettrait un contrôle approfondi des Ehpad et autres établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS) privés.

Madame Meunier, s'agissant de la prise en charge médicale, il faut être conscient que le médecin coordinateur (Medec) est souvent absent. Il est chargé des admissions, de la politique de santé de l'Ehpad, mais pas du suivi individuel. Les médecins traitants ont également très peu de temps à consacrer aux résidents. Les échanges entre ces médecins ne sont pas toujours fluides et les commissions gériatriques, qui doivent se réunir une à deux fois par an, sont souvent des coquilles vides. Les Medec n'ont pas forcément une vue d'ensemble de la consommation médicamenteuse de l'ensemble des résidents.

Il existe un outil informatique très utile. Géré par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), ce dispositif RESID-ESMS contient des données précieuses sur les dépenses de médecine de ville des personnes âgées. Néanmoins, il n'est pas partagé par les Ehpad ni par les ARS. La CNAM devrait leur ouvrir cet accès, mais seulement pour les grands agrégats afin de garantir la confidentialité des données individuelles. Dès lors, le médecin coordinateur pourrait mener, en lien avec tous les autres acteurs - pharmaciens, infirmiers de coordination, directeurs d'établissement - une réflexion qui associerait tous les personnels infirmiers de l'établissement aux pratiques de prescription et de déprescription - celle-ci est devenue un standard en matière de bonnes pratiques gériatriques.

Les conseils de la vie sociale ont été institués par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, à une époque où ces outils de démocratie participative étaient balbutiants. Il faut les adapter aux nouveaux besoins, notamment leur fermeture, qui sont apparus lors de la crise. Le tribut des anciens a d'ailleurs été très important, puisque les résidents d'Ehpad représentent 36 % des morts du covid. Il convient également de consolider les nouveaux moyens d'échanges qui ont été créés avec les familles. De même qu'il faut renforcer la participation des aidants, des associations d'usagers, des élus, et encourager le développement de CVS communs à plusieurs établissements.

Je reviendrai sur la situation au Danemark. Ce pays a pu arrêter la création d'établissements, mais il partait d'institutionnalisation des personnes âgées supérieure à la nôtre.

M. Vincent Feltesse, conseiller-maître, rapporteur général . - Faut-il se fixer des objectifs en termes d'ETP, ce qu'évoquait un rapport de l'Assemblée nationale ou celui de Dominique Libault ? Cela aboutit déjà à beaucoup de dépenses. On aura des référentiels sur les temps d'auxiliaires de vie sociale (AVS). Si ces référentiels doivent être établis au niveau de la HAS, et un travail est en cours, il est important qu'il y ait une transparence sur les indicateurs pour les familles. Par exemple, vous connaissez le portail pour les personnes âgées où l'on trouve le prix de journée en Ehpad public, soit 1 800 euros par mois, et celui en Ehpad privé, 2 400 euros par mois. Cette transparence pourrait aussi valoir pour quelques indicateurs clés, comme cela se fait dans d'autres pays.

La participation des élus locaux pourrait se faire dans un CVS ouvert.

Mme Véronique Hamayon, conseillère-maître, contre-rapporteure . - Oui à un référentiel de bonnes pratiques, mais sur le ratio d'effectifs, la HAS s'est déclarée incompétente.

M. Denis Morin, président de la 6 e chambre de la Cour des comptes . - Trois aspects nous ont frappés sur la surmédicalisation.

D'abord, le circuit de distribution du médicament n'est pas sécurisé - on peut trouver un médicament par terre, alors que la personne âgée était censée le prendre - et c'est grave. Ensuite, il y a une surconsommation de psychotropes : 57 % des résidents sont sous psychotropes en permanence. Cela renvoie à la défaillance de la prise en charge et aux sous-effectifs. Enfin, le suivi des risques de iatrogénie médicamenteuse liée à une surconsommation de médicaments. Ces trois sujets nécessitent un renforcement de la coordination entre le médecin traitant, le médecin coordonnateur et l'infirmière coordonnatrice.

Mme Michelle Meunier . - Vos réponses ne vont-elles pas à l'encontre de votre huitième recommandation ? Vous voulez renforcer la mutualisation et engager des fusions pour éviter des monogestions d'associations spécifiques sur un Ehpad. À quelle échelle voulez-vous ces regroupements, notamment en nombre de lits ? Est-ce que cela ne va pas à l'encontre des recommandations de bientraitance, de bienveillance, si la taille des établissements est trop importante ? On s'éloignerait de l'intérêt des personnes, et les lanceurs d'alertes seraient moins faciles à identifier.

M. Denis Morin . - Nous ne voulons pas augmenter la taille de chaque structure, même si la taille moyenne des Ehpad en France est de 80 résidents, soit bien moins que dans d'autres pays voisins. Notre préoccupation, c'est surtout l'appartenance à une structure plus large, par exemple un établissement public hospitalier ou une structure privée lucrative ou non lucrative. La crise sanitaire a montré les défaillances de coordination entre les Ehpad et les hôpitaux. Il faut un lien entre les Ehpad et les hôpitaux appartenant à un même territoire. Les faire appartenir à une structure plus large permet de formaliser des procédures, notamment la distribution de médicaments, ou une politique de conformité, comme il peut en exister dans des groupes privés ou publics. Voilà ce que nous appelons de nos voeux, et pas des grands Ehpad de 200 résidents. Actuellement, il y a plutôt un éclatement avec 7 500 Ehpad de taille modeste, et surtout 4 500 personnes morales gérant un seul Ehpad.

M. Daniel Chasseing . - Ce rapport est extrêmement complet. Je suis d'accord avec vous sur vos propositions concernant la qualification du personnel, la fusion des soins dépendance, revoir le GMP et surtout le PMP : plus on fait de prévention, plus le PMP chute. Il faut aussi renforcer l'accompagnement à domicile et surveiller la consommation médicamenteuse. Je suis favorable à l'ouverture des Ehpad vers le territoire et le fait d'accompagner les personnes en accueil de jour. Il faut aussi accueillir davantage les pharmaciens, qui peuvent jouer un rôle très important pour limiter la iatrogénie, et veulent davantage s'impliquer. Oui, il faut plus d'accueil de jour.

Par contre, non à l'élimination du département de la gestion des Ehpad. Le conseil départemental est la collectivité de proximité. La région est très loin, alors que le département joue un rôle de contrôle et de décentralisation des soins par un budget dépendance et soins qui serait attribué au département.

Il faut augmenter très rapidement le nombre de soignants, car les personnes sont couchées à 16 heures faute de bras pour faire des changes. Il faut passer à un ratio de 0,4 à 0,5, voire peut-être, comme cela avait été proposé déjà en 2017 dans le rapport de Philippe Bas, doubler le nombre de soignants.

Mme Florence Lassarade . - Quelle est la part de la prévention ? La prévention chez la personne âgée, c'est aussi la nutrition. Quelle évaluation en avez-vous faite ? Il faut aussi prévenir les chutes, avec la physiothérapie, la kinésithérapie, l'ergothérapie, voire l'activité physique. J'ai pu constater que dans les maisons de retraite, lorsque le kiné libéral part à la retraite, le kiné salarié, très mal payé, prend le relais. Et le patient qui faisait auparavant le tour du village fait le tour de son lit... Les patients ne font plus assez d'exercice physique. Ce n'est pas seulement un problème d'Ehpad.

Quelle est la part consacrée au handicap spécifique du vieillissement, et en particulier la dégénérescence maculaire liée à l'âge, qui conduit à la cécité ? Il n'y a pas d'accompagnement spécifique en Ehpad.

Mme Frédérique Puissat . - Vous nous proposez une nouvelle gouvernance, avec une place prépondérante des ARS par rapport aux départements dans la fusion des nouvelles sections. L'ARS est-elle suffisamment organisée et capable de s'adapter à cette nouvelle approche ?

En identifiant l'Ehpad comme le tout soin, ne va-t-on pas déséquilibrer un peu ces structures, qui ont parfois des personnes très dépendantes et d'autres moins ? Il faut aussi préserver le personnel.

Avons-nous les moyens de nos politiques ? Lorsque nous allons voir des parents dans des hôpitaux, nous sommes parfois obligés de nous habiller avec un sac poubelle, parce que les hôpitaux n'ont pas les moyens d'avoir des équipements de protection individuelle adaptés pour préserver les anciens.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Votre enquête arrive à point nommé. Il manque des contrôles, et ils sont beaucoup trop rares. Ils doivent s'intensifier pour plus de transparence.

Il faut lancer des démarches qualité dans les Ehpad, en prenant l'exemple du réseau Habitat jeunes, qui est dans une démarche de responsabilité sociale des organisations (RSO), qui intègre des enjeux sociaux, environnementaux et économiques. Ces établissements s'interrogent entre eux sur la qualité qu'ils apportent aux usagers. Il faudrait appliquer ce référentiel pour améliorer la qualité et mieux dépenser l'argent public.

Plusieurs d'entre nous sont dans des conseils d'administration ou de surveillance, où il y a une double tutelle ; chacun se renvoie la responsabilité d'un manque de financement. Durant les débats de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), nous nous étions demandé s'il fallait tout donner au département ou aux ARS. Les statistiques montrent que les personnes âgées ont besoin de soins importants. Je partage donc votre avis pour donner la responsabilité aux ARS.

Les départements doivent s'y retrouver, car ils sont très attachés à leur compétence. Comment les responsabiliser dans la prévention ? Comment leur affecter la prise en charge de la personne âgée dépendante à domicile, et aux ARS les Ehpad ?

M. Alain Milon . - J'ai beaucoup apprécié vos propositions de prise en charge des personnes âgées en Ehpad, qui rejoignent celles des rapports de Mme El Khomri ou de nos collègues Michelle Meunier et Bernard Bonne.

Le Danemark est a priori le meilleur exemple en Europe, mais pour financer l'ensemble de ses mesures, l'âge de la retraite a été porté à 67 ans. Quels nouveaux financements proposez-vous pour une meilleure prise en charge des Ehpad ?

M. Pierre Moscovici . - Je suis d'accord avec M. Chasseing sur le rôle des pharmaciens.

Concernant la tutelle, l'ARS a aussi des délégations territoriales. Les départements doivent rester présents dans les Ehpad relevant de l'aide sociale. Dans le cadre des CPOM, ce sont eux qui ont en charge la bonne insertion territoriale. La duplication actuelle de la tutelle, sur le plan financier et sur le plan fonctionnel, est tout à fait néfaste. Il faut que le département s'insère dans un pilotage global géré par l'ARS.

À propos de la prévention, nous avons évoqué la nutrition dans notre rapport. Le Gouvernement a annoncé un plan anti-chutes. La prévention passe par une meilleure articulation avec la médecine de ville. Les ARS sont calibrées pour cette tutelle. Nous l'avons vu lors de la crise sanitaire.

Faut-il équilibrer les populations de résidents ? Nous proposons un virage domiciliaire. L'argent public n'est pas dépensé de manière efficiente. Il faut regrouper dans les ARS les soins et la dépendance, en préservant la compétence des départements.

Certes, nous allons avoir des dépenses supplémentaires. Le sujet des retraites est devant nous. Dans notre rapport de juin sur la stratégie des finances publiques en sortie de crise, nous avons écrit que nous ne pourrons pas échapper à une telle réforme. Contrairement à ce qui avait été pensé initialement, il faudrait commencer par une réforme paramétrique, avant d'aller vers une réforme systémique, plutôt que l'inverse, qui serait trop complexe. Une bonne réforme doit être négociée, prendre le temps, et tenir compte d'un certain nombre de spécificités. La Cour des comptes a déjà publié un rapport et une note sur le sujet. Cette réforme n'est pas la seule piste de financement.

Mme Véronique Guillotin . - La télémédecine est-elle bien ancrée dans les Ehpad, et qu'en est-il de la présence de nuit ? Cela permettrait d'évoquer les urgences la nuit et les consultations spécialisées.

Il y a un problème sur les soins dentaires, puisque les déplacements ne sont pas pris en charge. Certaines personnes renoncent aux soins dentaires, avec des dénutritions, des chutes et des décès. Cela est-il pris en compte ?

Il est nécessaire qu'il y ait une montée en compétence des médecins coordonnateurs. Certains patients sont aux confins de la psychiatrie, des troubles cognitifs, du grand âge... On ne sait plus trop s'ils doivent relever d'une maison d'accueil spécialisée (MAS) ou d'un Ehpad. Ne faudrait-il pas obliger les médecins coordonnateurs à être gériatre ? Il faudrait que ce médecin puisse transmettre des bonnes pratiques auprès des médecins traitants, y compris pour une désescalade médicamenteuse.

M. Jean-Luc Fichet . - Je partage vos analyses. Les médecins coordonnateurs peuvent-ils être aussi prescripteurs dans les établissements pour pallier au manque de médecin ?

Actuellement, les personnes âgées qui arrivent en Ehpad ne sont pas bien prises en charge pour leur qualité de vie. Vous indiquiez qu'un Ehpad public coûtait 1 800 euros par mois, et un Ehpad privé 2 500 euros. Mais là, on parle d'Ehpad à 200 euros la journée, 6 200 euros par mois, sans voir d'approche qualitative différente.

Par qualitatif, j'entends le bien-être, la disponibilité des soignants, des espaces agréables à vivre. Souvent, les articles évoquent les odeurs de ces établissements. C'est lié à la formation du personnel et à l'agencement des locaux.

Il ne faut pas seulement contrôler, et le contrôle ne doit pas être une sanction. S'il y a des gens compétents et des moyens financiers suffisants, cela suffit pour avoir de la qualité.

Les compléments alimentaires foisonnent dans les Ehpad, et font souvent l'objet de prescriptions médicales parallèles. J'ai lu dans un journal qu'ils seraient remboursés par la Sécurité sociale, est-ce vrai ?

M. René-Paul Savary . - Avez-vous constaté des détournements de l'APA ? Vous n'avez pas pu examiner comment a été utilisé l'argent pour l'hébergement, mais pour la dépendance, il semblerait qu'il y ait au niveau de certains groupes une remontée de la part hébergement qui est mutualisée et versée directement aux établissements avec le GMP. Ne faudrait-il pas revoir ce système ? Plus on a de groupes, plus il y a de bonnes pratiques, mais aussi de mauvaises.

Il faut plus d'argent, mais si c'est à crédit, ce ne sera pas bon pour les générations futures. Soyons attentifs.

Avez-vous réfléchi à la façon dont il pourrait y avoir moins d'administratif, de façon à ce que le personnel soit surtout au plus près du malade, et non à remplir sans arrêt des évaluations ?

Ne faudrait-il pas plus de domotique dans les établissements ? Certains établissements modèles pourraient servir d'exemple.

M. Olivier Henno . - Le modèle est épuisé et sera difficile à rénover. Il faut raisonner moins en fonction des structures et des compétences, et davantage en fonction des patients. Qui veut aller en Ehpad ? Personne. Cette décision est toujours douloureuse à prendre.

Le Pr Jean-François Delfraissy disait, lors d'une audition, qu'en France on meurt mal. C'est en partie dû au fonctionnement des Ehpad, avant même les scandales qui ont été récemment mis au jour.

Si nous allons vers un virage domiciliaire - et peut-être aussi des appartements partagés ? - n'aura-t-on pas alors trop de places en Ehpad ? Faudra-t-il éventuellement fermer des Ehpad ?

Mme Jocelyne Guidez . - Qu'en est-il des Ehpad ultramarins, dans des territoires où il y a très peu de médecins ? Il faut plus de bienveillance face à la vie mais aussi face à la mort, et aider les aidants à accompagner leurs proches.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mme Victoire Jasmin souhaite aussi évoquer l'outre-mer. Vous nous avez proposé une modification législative sur les pouvoirs de la Cour des comptes. En avez-vous d'autres à nous proposer ?

Les CPOM ne peuvent servir de fondement à un contrôle de qualité. Comment les améliorer ?

M. Pierre Moscovici . - Nous proposons une rénovation du modèle, et non d'en finir avec les Ehpad. Nous ne voulons pas instaurer le tout domiciliaire. Il faudra toujours une répartition entre les deux. Nous voulons aussi partir des besoins des personnes âgées, pour améliorer leur situation. Comme élus, comme enfants, nous avons constaté des inégalités.

La qualité est fondamentale dans le contrôle et pour l'amélioration du modèle des Ehpad.

Il faut un tarif global, qui concerne l'ensemble des actions à mettre en oeuvre.

J'ai mentionné tout à l'heure une évolution législative possible, mais il y en a d'autres : identifier dans un compte spécifique les montants de produits et charges d'hébergement et leur transmission aux ARS, au département et à la CNSA ; l'extension du champ de contrôle des juridictions financières; et enfin le décloisonnement des autorisations entre hébergement et domicile avec un rôle accru dévolu au CPOM.

Je me réjouis de votre accord dans la loi 3DS. Les chambres régionales et territoriales des comptes auront une fonction d'évaluation des politiques publiques. En la matière, il serait bon que le contrôle soit davantage étendu, pour mieux informer le citoyen, et pour mieux contribuer à vos travaux. Nous vous transmettrons une note sur ces évolutions législatives.

M. Denis Morin . - Nous ne sommes pas contre donner des pouvoirs de prescription au médecin coordonnateur, et il peut déjà prescrire, mais sous réserve de la lutte contre les interactions médicamenteuses et de la coordination entre les différents intervenants. Il faut mettre en place un procédé pour éviter les trois risques que j'évoquais tout à l'heure - mauvaise distribution de médicaments, surconsommation de psychotropes et iatrogénie. Plus il y a de prescripteurs, plus il y a un risque de iatrogénie.

Il n'y a pas de lien entre le niveau du reste à charge et la qualité de la prise en charge. On ne peut pas dire que lorsque c'est plus cher, c'est mieux. Souvent, c'est même le contraire. C'est par le développement des contrôles inopinés que nous arriverons à détecter les situations les plus calamiteuses. Malheureusement, Orpéa n'est pas un cas isolé.

Je n'ai pas d'éléments sur les compléments alimentaires.

Le recours à la télémédecine a augmenté durant la crise du covid, mais assez peu dans les Ehpad, alors qu'elle aurait pu être un recours. Nous devons vérifier, par une politique tarifaire adaptée et par le filtrage du médecin traitant, que la télémédecine se déploie. Elle peut répondre à un besoin plus large, notamment dans les déserts médicaux.

Le médecin coordonnateur n'a pas à être gériatre. Si c'était obligatoire, on en aurait encore moins. Dans de nombreuses régions, se mettent en place, autour d'établissements hospitaliers pilotes, des équipes mobiles de gériatrie qu'on peut projeter dans les Ehpad, et qui sont un appoint précieux pour améliorer la prise en charge des patients. Elles devraient pouvoir se rendre également dans les Ehpad. Mais cela dépend souvent d'initiatives de terrain.

Monsieur Savary, nous n'avons pas mis au jour des situations de détournement de l'APA. Nous le pouvons d'autant moins que nos compétences sont bornées horizontalement et verticalement : nous ne pouvons pas remonter dans les groupes pour suivre les flux de financement. Nous voyons que certains flux montent, mais sans savoir où ils vont et comment ils sont utilisés.

C'est la même restriction à nos compétences pour les cliniques privées : nous voyons des flux financiers qui partent de structures locales et remontent vers les groupes, mais sans pouvoir suivre la pertinence de ces flux. Le Premier président vous proposera des points pour faciliter notre contrôle, tout en sachant que nous sommes dans le secteur privé. Il y a des restrictions de nature.

Dans un rapport récent, nous avons montré qu'en raison du vieillissement accéléré de la population, qui est devant nous - contrairement à certains voisins européens -et va se produire entre maintenant et 2035, nous aurons un vieillissement rapide de la population. Nous ne proposons pas de stopper l'ouverture de places en Ehpad. Il faut de front mener l'équipement et la médicalisation des Ehpad et le virage domiciliaire. Ce sera une des choses les plus compliquées. Il faut assurer le maintien à domicile le plus longtemps possible, avant une prise en charge institutionnalisée, en étant certain qu'il y aura un suivi médical. Nous poursuivons cette double logique. Il y a encore lieu de continuer à augmenter le nombre de places en Ehpad.

Mme Véronique Hamayon . - Parmi les 57 Ehpad contrôlés par l'équipe, un seul - un établissement public - était en outre-mer, à La Réunion. Nous ne pouvons donc pas parler des spécificités ultramarines.

M. Vincent Feltesse . - C'est un Ehpad public qui avait un problème d'hébergement, qui est en train de ses résoudre. Dans cet Ehpad, le taux d'encadrement n'était pas mauvais, mais la prise en charge était défaillante.

Dans plus de 50 % des contrôles, il n'y avait pas ou pas assez de médecins coordonnateurs. Nous ne pouvons pas surinvestir sur des médecins coordonnateurs qui ne sont pas présents.

Les dépenses de médecine de ville dans les Ehpad ne cessent de diminuer, alors que les populations sont de plus en plus âgées et dépendantes. Nous avons un problème de démographie médicale.

Les infirmiers coordonnateurs sont extrêmement importants, mais ils ne bénéficient pas d'un statut. Ils ne sont même pas inscrits dans le code de l'action sociale et des familles - ce qu'il faudrait faire.

Il faudrait davantage former d'aide-soignants ; cela prend deux à trois ans, c'est donc assez simple à faire.

Toutes les professions paramédicales - kinésithérapeutes, nutritionnistes, psychologues...  - ont souvent un rôle fondamental. Il faut mieux les intégrer dans les Ehpad.

Nous avons vu des compléments alimentaires dans les Ehpad contrôlés, mais l'alimentation dépend de la section hébergement. Or l'alimentation, de même que la qualité de l'animation, est essentielle dans le quotidien d'une personne âgée. Nous plaidons pour pouvoir contrôler ces sections hébergement, car il peut y avoir des abus, mais aussi parce que c'est extrêmement important dans la vie d'un résident.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je vous remercie pour la présentation de ce rapport, qui est important pour nos travaux, qui devraient se terminer en juin.

La commission autorise la publication de l'enquête sous la forme d'un rapport d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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Consultable uniquement au format PDF


* 1 Services de soins à domicile : une offre à développer, une stratégie à bâtir, Rapport d'information de M. Philippe MOUILLER, fait au nom de la commission des affaires sociales n° 382 (2021-2022) - 24 janvier 2022, https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-382-notice.html ; Bien vieillir chez soi : c'est possible aussi ! Rapport d'information de M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER, fait au nom de la commission des affaires sociales n° 453 (2020-2021) - 17 mars 2021, http://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-453-notice.html ; Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible ! Rapport d'information de M. Bernard BONNE et Mme Michelle MEUNIER, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, n° 428 (2018-2019) - 3 avril 2019, http://www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-428-notice.html ; Ehpad : quels remèdes ? Rapport d'information de M. Bernard BONNE, fait au nom de la commission des affaires sociales n° 341 (2017-2018) - 7 mars 2018, http://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-341-notice.html

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