C. LA SÉCURITÉ SOCIALE DOIT S'ADAPTER ET DÉVELOPPER SA CAPACITÉ DE RÉSILIENCE

1. Un changement de paradigme à engager dès à présent : passer d'une logique de soin à une logique de prévention globale incluant la santé et l'environnement
a) Le choix d'un système de santé orienté vers le curatif conduit à un système sous-performant et inégalitaire

Dès l'origine, la sécurité sociale a été d'abord pensée dans une optique curative.

Le système actuel de sécurité sociale a été pensé pour répondre aux besoins des années 1950 et 1960, alors que le contexte économique, social, mais aussi environnemental était différent de celui d'aujourd'hui.

Avant de rappeler les caractéristiques et principaux écueils du système de sécurité sociale français, il convient de distinguer deux modèles différents qui ont servi à construire les principaux modèles de sécurité sociale.

D'un côté, le modèle Bismarkien, reposant sur un modèle assurantiel fondé sur le travail et dont le financement est assuré par les cotisations sociales.

De l'autre, le modèle Beverdigien, reposant sur le principe de l'état providence décrit par William Beveridge dans un rapport de novembre 1942. Ce système repose sur le principe dit des « 3 U » :

- universalité de la protection sociale par la couverture de toute la population et de tous les risques ;

- uniformité des prestations, fondée sur les besoins des individus et non sur leurs pertes de revenus en cas de survenue d'un risque ;

- unité de gestion étatique de l'ensemble de la protection sociale.

Le système français est un modèle mixte reposant sur trois piliers depuis la création de la sécurité sociale par Pierre Laroque et Ambroise Croizat : l'égalité, la soutenabilité et la socialisation du risque. Ce système a été adapté à de nouveaux risques avec la création de « branches », la dépendance étant devenue la cinquième.

Ce système a permis d'améliorer considérablement l'espérance de vie et la qualité des soins .

Mais il est imparfait et présente des biais que l'on peut résumer par deux constats :

- une faible amélioration de l'espérance de vie en bonne santé ;

- une part importante de personnes porteuses de maladies chroniques, avec dans le même temps une augmentation des inégalités de santé .

Ainsi notre système de santé et de protection sociale fondé et orienté pour répondre à une problématique de soins aigus principalement délivrés à l'hôpital se retrouve-t-il sous tension du fait de la croissance des maladies chroniques accentuée par le vieillissement démographique.

b) Première conséquence de notre modèle : l'augmentation de l'espérance de vie n'est pas celle de la vie en bonne santé

Pour évaluer la performance d'un système de santé, il est certes important de regarder l'indicateur de l'espérance de vie, sur lequel la France a atteint un excellent niveau comparé aux autres pays, mais aussi celui de l'espérance de vie sans incapacité.

Or moins d'un français sur deux arrive en bonne santé à l'âge de 65 ans (environ 46 % des hommes et femmes).

Espérance de vie et espérance de vie sans incapacité (EVSI)
entre 1995 et 2019 par sexe

Source : France, portrait social, Édition 2021, Insee.

Comme l'a précisé Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), « la France a fait le choix d'avoir un système axé sur les soins, qui augmente l'espérance de vie, sans rien modifier de l'espérance de vie en bonne santé 47 ( * ) ».

Il s'agit en effet d'un choix, dans la mesure où d'autres pays ont opté, à l'instar de la Suède , pour un modèle dans lequel la part de l'espérance de vie à 65 ans en bonne santé atteint 77,2 % pour les femmes et 79,1 % pour les hommes.

Cette problématique aura d'autant plus de conséquences que la société française est d'ores et déjà confrontée au vieillissement démographique et à la problématique de la dépendance.

La Suède possède la meilleure espérance de vie en bonne santé de l'Union européenne

La Suède possède la meilleure espérance de vie en bonne santé de l'Union européenne puisque celle-ci s'élève en 2018 à 72 ans pour les femmes et presque 74 ans pour les hommes contre une moyenne européenne de 63,5 ans.

Plus remarquable encore, celle-ci s'élevait respectivement à 61 ans et 62 ans en 2004. En 14 ans, le pays a ainsi fait augmenter son espérance de vie en bonne santé de 11 ans pour les femmes et de 12 ans pour les hommes. Ce sont surtout les AVC, les maladies cardiovasculaires, la consommation de tabac et d'alcool qui sont en baisse continue depuis le début des années 2000. En somme, au sein de l'Union européenne et en termes de santé publique, la Suède tient le rôle de bon élève.

Comment la Suède s'est-elle organisée pour obtenir ces résultats ?

En Suède, l'État garde un rôle central en définissant des priorités et des objectifs de santé publique. Néanmoins, dans l'exécution de ces grandes directions de chantiers de santé publique, l'organisation s'affine. C'est en ce sens un système de santé reposant sur l'articulation d'un service public universel et d'une vive démocratie locale en santé. Cette articulation s'inscrit dans la logique des réformes de décentralisation de la santé initiées depuis le milieu des années 1980 et jusqu'à la fin des années 2000. L'impulsion de la décentralisation incarnée par une série de mesures avait ainsi pour but d'assurer un meilleur contrôle de l'augmentation des dépenses en accroissant l'autonomie et la responsabilité des autorités locales dans leur champ de compétences.

Au-delà des très bons résultats globaux du système de santé suédois, les mesures prises ont parfois conduit à de nouveaux effets pervers ou accentués d'autre. En effet, L'OCDE pointe notamment des lacunes dans la coordination des soins aux patients ayant des besoins complexes et de manière générale la coordination des soins entre l'hôpital, les soins primaires et les autorités locales, mais également l'existence de listes d'attentes trop longues, malgré différentes mesures prises pour endiguer ces effets.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Franck Chauvin (2022.)

Auteur d'un récent rapport remis le 4 mars 2022, « Dessiner la santé publique de demain 48 ( * ) », Franck Chauvin conclue ainsi que « l'allongement de l'espérance de vie en bonne santé est un objectif que n'a pas atteint le système de santé français durant les 50 dernières années ». Il propose que l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé devienne un des objectifs du système de santé dans les années à venir. « Grâce à une politique de prévention affirmée, à l'action sur les déterminants de la santé et à une réorganisation du système de santé publique, il est possible de fixer à 10 ans une augmentation de l'espérance de vie en bonne santé permettant ainsi à la France de rattraper son retard sur d'autres pays notamment européens. »

c) Seconde conséquence de notre modèle : le poids des maladies chroniques et des inégalités sociales de santé

L'OMS définit les maladies chroniques comme « des affections de longue durée qui en règle générale, évoluent lentement ». Elle les associe aux maladies non-transmissibles, ce qui inclue par exemple l'alcoolisme, le cancer et exclut les maladies infectieuses chroniques comme le sida, la tuberculose ou la maladie de Lyme.

Une des particularités du système français est leur évolution, puisque le nombre de patients atteint de maladies chroniques progresse chaque année d'environ 2 %.

Les facteurs environnementaux jouent un rôle majeur que ce soit dans l'apparition, le développement ou l'aggravation des maladies chroniques. Les modes de vie des personnes, leurs évolutions, les inégalités contribuent aussi à leur développement.

Ainsi, comme l'indique le document « France, Portrait social » publié par l'Insee dans son édition 2020 : « toutes les catégories de population ne sont pas égales face aux maladies ou problèmes de santé chroniques ou durables, qui concernent, en 2018, 38 % de la population, mais plus de deux personnes sur trois parmi les 70 ans ou plus. Différents facteurs influent sur la santé, qu'elle soit mesurée ou perçue, en particulier la pauvreté en conditions de vie. Ainsi 46 % des membres d'un ménage pauvre en conditions de vie déclarent souffrir d'une maladie ou d'un problème de santé chronique ou durable, contre 37 % parmi les membres d'un ménage non pauvre. À 70 ans ou au-delà, les taux atteignent respectivement 82 % et 66 %. »

Pour William Dab, professeur au Cnam et ancien directeur général de la santé, la prise en charge des maladies chroniques est le préalable indispensable à une sécurité sociale écologique : « vous voulez penser une sécurité sociale écologique, donc du risque, mais on saute une étape : le système est mal armé pour prendre en charge les maladies chroniques, pourtant point de passage obligé 49 ( * ) . »

Part des personnes déclarant une maladie ou un problème de santé chronique ou durable selon l'âge et les conditions de vie du ménage en 2018

Source : État de Santé de la population (décembre 2020), Insee.

De plus, cette augmentation des maladies chroniques pose évidemment la question de la soutenabilité financière pour l'assurance maladie. Ainsi, dans un rapport 50 ( * ) de juillet 2020, la Caisse nationale d'assurance maladie expliquait que « l'augmentation du poids des maladies chroniques et de la polypathologie, du fait du vieillissement de la population, continuera sans aucun doute dans les années à venir à constituer un défi important pour notre système de santé. »

Les deux conséquences héritées de notre modèle, que sont une relativement faible espérance de vie en bonne santé, et un poids important des maladies chroniques, fragilisent notre système de santé dans sa capacité à répondre aux chocs futurs et appellent donc à engager dès aujourd'hui une véritable politique de prévention afin de réduire le poids de ces deux facteurs .

2. La prévention est une notion transversale à la confluence de la santé et de l'environnement
a) Vers un changement de paradigme

Le système français dans sa forme actuelle favorise une approche individuelle par les soins, comme le rappelait Kevin Jean, maître de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers et chercheur épidémiologiste dans le domaine de la prévention des risques pour la santé, en affirmant que « la sécurité sociale dans sa version du XXe siècle propose la prise en charge de dépenses de santé à des individus, sans adopter véritablement de logique de prévention, reposant sur des mesures collectives 51 ( * ) » .

Or, comme l'expliquait le président du Haut Conseil de la santé publique lors de son audition par la mission d'information, « si l'on veut une approche de la santé et non des soins, il faut modifier notre angle d'attaque, et agir non plus sur les maladies mais agir sur les déterminants de la santé » 52 ( * ) .

Dans son rapport préliminaire de la stratégie nationale de santé 53 ( * ) , le Haut Conseil a identifié quatre menaces pour la santé des Français : les maladies chroniques, les risques infectieux, les risques liés à l'environnement, et enfin, les risques liés à l'inadaptation du système de santé et de soins. L'essentiel de la santé d'une population étant, selon le Haut Conseil, constitué de déterminants extérieurs au système de santé et de soins (sociaux, physiques et environnementaux et des comportements de santé), celui-ci propose alors « de ne plus avoir une approche par pathologie, mais une approche par le risque, donc par les déterminants de la santé ».

Un tel changement de paradigme se donne comme objectif l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé, de passer « d'une approche égalitaire à une approche équitable ».

Franck Chauvin ajoutait lors de son audition qu'il s'agit de « mettre en place l'universalisme proportionné comme mode d'action. Des actions générales s'adressant à l'ensemble de la population coexistent avec des actions spécifiques qui s'adressent à ceux qui en ont le plus besoin. Quand on propose des mesures générales, c'est toujours ceux qui en ont le moins besoin qui s'en emparent en premier. Par conséquent, on augmente toujours les inégalités sociales de santé. Ainsi une politique anti-tabac générale a essentiellement fait arrêter de fumer les cadres supérieurs et les cadres. Or, c'est déjà eux qui ont une espérance de vie supérieure. C'est exactement pareil sur le risque environnemental 54 ( * ) ».

C'est un véritable changement d'approche que prône donc Franck Chauvin, réaffirmé dans le rapport « Dessiner la santé publique de demain » publié le 4 mars 2022 dans lequel il propose une évolution en profondeur de l'organisation du système de santé publique français.

Dessiner la santé publique de demain

La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a mis à jour l'enjeu de résilience de son système de soins, l'importance de la prévention comme unique recours en l'absence de traitement curatif, mais aussi les faiblesses du système de santé publique français notamment en matière d'espérance de vie en bonne santé, de santé mentale ou encore d'inégalités sociales.

Ces constats, comme celui de la faiblesse de l'investissement et du budget de fonctionnement de la prévention institutionnelle qui est resté inférieur à 0,2 % de son PIB depuis plus de 10 ans, ont amené la France à engager une réflexion pour refonder son système de santé publique à court terme.

Pour refonder la santé publique, le rapport propose dix chantiers à mettre en oeuvre en cinq ans. Il propose de développer une culture de santé publique, à travers la mise en oeuvre d'un plan quinquennal de développement de la littératie en santé, de renforcer la qualification des professionnels de santé publique et de développer une recherche en santé publique permettant à la France de jouer un rôle de premier plan en Europe et dans le monde.

En matière de gouvernance, les objectifs de santé publique doivent être partagés avec la représentation nationale via le vote d'une loi de programmation de santé publique quinquennale par le Parlement intégrant une stratégie nationale de santé et un programme de recherche en santé publique. Le principe de « santé publique dans toutes les politiques » sera concrétisé avec la fonction de délégué interministériel à la santé publique confié au Directeur général de la santé. Un Institut français de Santé publique (IFSP) assurera au niveau national des missions de formation, expertise, recherche, anticipation et prospective.

Cet IFSP doit aussi contribuer à une réorientation des missions de veille et de sécurité sanitaire, dans une double logique de santé mondiale (« Global Health ») et « One Health », en évitant les cloisonnements dont la crise a montré les effets.

Enfin, constatant que l'interconnexion entre les questions de santé mondiale et le réchauffement climatique est désormais un fait établi, le rapport propose d'inscrire la santé mondiale comme un objectif de santé publique française.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Professeur Franck Chauvin (novembre 2021).

b) La prévention a pris une nouvelle place récemment dans notre politique de santé

À la fin de l'année 2017, l'élaboration d'une nouvelle stratégie nationale de santé (SNS) pour la période 2018-2022 55 ( * ) a été une avancée importante puisqu'il a été décidé de donner la priorité à la prévention qui en constitue son axe n° 1.

Il s'agit en premier lieu de réduire les facteurs de risque majeurs (alimentation, alcool, tabagisme) qui induisent des coûts sociaux et financiers considérables.

Le document liste aussi des orientations concrètes telles que le renforcement de la couverture vaccinale, la préservation de l'efficacité des antibiotiques, le développement du dépistage et de la prise en charge des maladies chroniques.

Source : ministère de la santé.

À la suite de l'adoption de la SNS 2018-2022, un « Plan national de santé publique - Priorité Prévention » (PNSP) a été adopté pour mettre en oeuvre l'axe n° 1 de cette stratégie. Son objectif est de regrouper l'ensemble des déterminants qui concourent à rester en bonne santé.

De la prévention à la promotion de la santé

En 1948, l'OMS propose une première définition de la prévention en tant qu'« ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps  » . Elle distingue les actions visant à éviter l'apparition d'une maladie (prévention primaire), celles visant à ralentir la progression d'une maladie ou à en obtenir la guérison (prévention secondaire) et celles visant à ralentir la progression des séquelles (prévention tertiaire).

En 1982, une autre classification de la prévention fondée sur la population cible des actions a été proposée. Sont ainsi distinguées la prévention universelle, pour tous, la prévention sélective, qui s'adresse aux sujets ayant des caractéristiques populationnelles à risque particulier, et la prévention indiquée c'est-à-dire à partir d'un risque mesuré, repéré ou objectivé.

La promotion de la santé, plus large, englobe des activités qui visent à améliorer la santé des personnes et des communautés.

Selon la Charte d'Ottawa (1986), les actions en promotion de la santé ont pour but de donner aux populations et aux individus « les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d'améliorer celle-ci ».

La déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé (OMS 2016) met l'accent sur les liens entre développement durable et santé. Dans ce cadre, la mobilisation des élus sur les questions d'amélioration de la qualité de vie et de promotion de la santé est un enjeu fort pour réduire les inégalités sociales de santé sur les territoires.

Les changements de comportements doivent s'envisager en interaction avec l'environnement de vie des personnes dans une perspective « écologique ». Il s'agit de promouvoir des milieux de vie favorables à la santé et de développer les savoir-faire et les compétences des citoyens.

Source : avis du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie du 28 juin 2017.

c) Le volet environnemental de la prévention agit sur les déterminants de santé

Considérer la prévention de manière globale, cela signifie qu'il ne s'agit pas uniquement de diagnostiquer en amont des pathologies ou d'influer sur les comportements individuels, elle doit au contraire concerner toutes les politiques publiques dans leur dimension sanitaire ou environnementale.

Les connaissances scientifiques ont largement démontré qu'un bon état de santé et de bien-être ne dépend pas uniquement de facteurs biologiques ou comportementaux mais aussi de facteurs liés à l'environnement et aux conditions socio-économiques dans lesquelles vivent les personnes. Ces derniers peuvent favoriser un bon état de santé ou au contraire contribuer à le dégrader.

Or, si le ministère de la santé a comme mission de promouvoir la santé de la population, il ne détient pas tous les leviers d'action puisque la plupart des déterminants de la santé sont influencés par les décisions prises dans les autres secteurs comme celui du transport, de l'urbanisme, de l'éducation, de l'agriculture, du travail, etc.

Ainsi, comme l'a exposé Géraud Guibert, président de la Fabrique écologique, « agir contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires est évidemment primordial, mais il faut aussi, à moyen terme, éliminer les causes de ces phénomènes. Une telle conception doit s'appliquer à la prévention mise en oeuvre par les organismes de protection sociale . 56 ( * ) »

C'est pourquoi le passage d'une logique curative à une logique de prévention doit dépasser le seul champ du ministère de la santé et concerner l'ensemble des ministères.

À cet égard, au sein du ministère de la transition écologique, plusieurs plans incarnent l'approche préventive de la santé environnement : le Plan national santé environnement (PNSE4), la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE2), le Plan national d'action radon (PNAR), le Plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, le Plan d'action chauffage au bois, etc.

Cependant, il n'existe pas un seul et unique plan regroupant l'ensemble de l'approche préventive de la santé et de l'environnement et la coordination avec le ministère de la santé, les organismes d'assurance maladie ou les échelons territoriaux est parfois complexe.

Le PNSE4 et la logique de prévention en santé environnement

Le quatrième plan santé environnement (PNSE4) met en oeuvre une gestion des risques basée sur la prévention, en développant des actions transversales visant à rendre l'environnement plus favorable à la santé au sens d'une seule santé comme mieux former, informer, réduire les expositions et les risques associés, mieux comprendre les liens entre santé et environnement en renforçant notamment la recherche et la connaissance.

Un pilotage interministériel renforcé : un comité de pilotage interministériel associe plus d'une dizaine de ministères (santé, écologie, industrie, consommation, recherche, agriculture, éducation, enseignement supérieur, cohésion des territoires, etc ). Ce comité représentant l'ensemble de ces ministères assure la coordination et la mise en oeuvre du plan ainsi que les liens avec les plans sectoriels afin d'assurer la lisibilité, la cohérence et la priorisation des actions. Ce comité est présidé par le directeur général de la santé (du ministère des Solidarités et de la Santé) et celui de la prévention des risques (du ministère de la Transition écologique), permettant un portage politique de l'approche préventive et intégrative. L'instance balaye les actions du plan et vérifie également, dans son positionnement de plan chapeau, les contributions des autres plans à la santé environnement.

Source : site du ministère de la transition écologique.

3. La prévention constitue un investissement très rentable mais peine à s'imposer comme une priorité dans les dépenses de santé
a) Les dépenses de prévention restent insuffisantes au regard des enjeux et des comparaisons internationales

Précisons tout d'abord que les dépenses de prévention sont particulièrement difficiles à évaluer car elles combinent hétérogénéité des financeurs et des acteurs.

Les dépenses de préventions peuvent être regroupées en deux catégories :

- les dépenses regroupées au sein de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Ce sont celles qui sont remboursées par l'Assurance maladie obligatoire ou complémentaire ;

- les dépenses portées par des programmes de prévention nationaux ou départementaux. Ces dernières constituent ce qu'on appelle la prévention intentionnelle et pèsent d'après la DREES environ 1,8 % de la dépense courante de santé, soit 4,8 milliards d'euros.

De son côté, la Cour des comptes, dans son rapport « La politique de prévention en santé » 57 ( * ) , évalue l'ensemble des dépenses de prévention à environ 15 milliards d'euros , ce qui rejoint aussi l'estimation réalisée par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie dans son avis du 28 juin 2017 « Refonder les politiques de prévention et de promotion de la santé » .

La répartition des dépenses de prévention entre les programmes institutionnels et les prises en charge préventives dans le système de soins

Source : Cour des comptes d'après annexe 7 PLFSS
et Panorama des comptes de la santé (Drees), Édition 2018

Dans son rapport la Cour souligne que ce montant est un minimum et que cet effort de 15 milliards d'euros par an est loin d'être négligeable, pourtant « les résultats obtenus sont médiocres, très éloignés de leurs cibles et des performances de pays comparables ».

Parmi les raisons évoquées, elle met en avant un Plan national de prévention le « Plan National de santé publique - Priorité Prévention » qui n'établit pas d'articulation précise avec les autres plans, une déclinaison de la stratégie de prévention mal assurée au niveau territorial, ou encore un mode de rémunération qui constitue un obstacle.

Par ailleurs, la majorité des personnes auditionnées ont souligné que les efforts budgétaires en matière de prévention étaient insuffisants, voire même en diminution.

Ainsi, William Dab considère que « notre système de santé, tel qu'il a été pensé à la libération où dominaient les maladies infectieuses, est déséquilibré. Il est conçu pour des prises en charge courtes, ponctuelles, et pour une guérison rapide. Ainsi, pour 100 euros dépensés dans le domaine de la santé, 97 le sont en soins curatifs et 3 en prévention organisée . 58 ( * ) »

D'après l'OCDE les dépenses de santé consacrées à la prévention se situeraient aux alentours de 2 % et sont surtout nettement en-dessous de la moyenne des autres pays de l'Union européenne soulignant ainsi le retard pris par la France en ce domaine.

Dépenses de prévention en % des dépenses courantes de santé (2014)

Source : Panorama de la santé en Europe, quelles leçons pour la France ?, OCDE (2016 ).

La France affiche donc un retard certain comme l'explique Géraud Guibert, président de la Fabrique Écologique : « Dans tous les domaines, la prévention et la résilience ont une importance majeure. À l'heure actuelle, les actions de prévention sont dispersées, peu lisibles, et faiblement prises en charge par les pouvoirs publics . Ce sujet doit être davantage pris en compte politiquement 59 ( * ) ».

Les membres de la mission partagent la nécessité d'accompagner le changement de paradigme vers davantage de prévention comme préalable à toute avancée sur la mise en oeuvre d'une sécurité sociale écologique

Proposition n° 4 : Renforcer la prévention dans toutes les politiques publiques et en particulier en matière de santé et d'environnement afin de combler le retard pris par la France en ce domaine.

b) De nombreuses études ont pourtant démontré que les dépenses de prévention sont économiquement rentables

La qualité des politiques environnementales peut réduire la dépense de santé. Comme l'a expliqué Éloi Laurent lors des auditions, « des dépenses liées à l'environnement sont actuellement cachées, la pollution de l'air en est un excellent exemple, avec une mortalité plus importante que le montraient les précédentes études 60 ( * ) ».

Si l'on convertit les morts prématurées, estimés à environ 40 000 , en dépenses d'assurance maladie, ou en perte de productivité, alors les sommes sont considérables. C'est ce que l'on pourrait appeler « le coût de l'inaction » .

Concernant le bruit, l'Agence de la Transition écologique (ADEME) et le Conseil National du Bruit (CNB) ont mené une évaluation de son coût social et chiffrent à 147 milliards d'euros par an le coût financier induit. Les auteurs du rapport notent aussi que « Le second volet de l'étude consacré à l'analyse coûts-bénéfices de mesures visant à réduire simultanément le bruit et la pollution atmosphérique a démontré tout l'intérêt d'engager de telles actions, du fait des co-bénéfices air-bruit attendus et des ratios bénéfices / coûts très intéressants susceptibles d'être générés 61 ( * ) . »

Mais au-delà du coût économisé, certaines études ont démontré la possibilité de générer de véritables gains économiques en menant des politiques environnementales .

C'est notamment le résultat d'une étude 62 ( * ) menée par une équipe pluridisciplinaire sur la ville de Grenoble, qui évoque des « bénéfices en cascade » et jusqu'à 8,7 milliards d'euros économisés sur 30 ans à l'échelle d'une ville.

Lutter contre la pollution atmosphérique : des mesures de prévention rentables

Diminuer de deux tiers la mortalité attribuable aux particules fines à l'échelle d'une agglomération peut se faire pour un coût bien inférieur aux bénéfices sociétaux et économiques. C'est ce que vient de démontrer une équipe pluridisciplinaire du CNRS, de l'Inserm, d'INRAE, de l'Université Grenoble Alpes (UGA) et d'Atmo Auvergne-Rhône-Alpes. Ces résultats sont publiés par Environment International le 15 janvier 2022.

Chaque année en France, la pollution aux particules fines entraîne la mort prématurée d'environ 40 000 personnes. Le coût associé est estimé à 100 milliards d'euros annuels. Or, les politiques publiques de lutte contre la pollution atmosphérique sont généralement mises en place sans évaluer au préalable leur futur impact sanitaire ou économique.

L'équipe a ciblé les deux secteurs locaux les plus émetteurs de particules fines : le chauffage au bois et les transports. Elle démontre que l'objectif sanitaire peut être atteint en combinant deux mesures : le remplacement de tous les équipements de chauffage au bois non performants par des poêles à granulés récents, et la réduction de 36 % du trafic des véhicules personnels au sein de l'agglomération.

La mise en oeuvre réussie de ces mesures entraînerait des bénéfices sanitaires en cascade, qui dépassent le gain sanitaire directement associé aux particules fines . Les scénarios avec le plus fort développement des modes actifs (marche et vélo) conduisent alors à un bénéfice net de 8,7 milliards d'euros sur la période 2016-2045, soit un gain annuel de 629 € par habitant de la métropole .

Il s'agit ici de la première étude en France démontrant que les bénéfices sociétaux associés à des mesures d'amélioration de la qualité de l'air sont supérieurs au coût de ces mêmes mesures .

Source : communiqué de presse, site de l'INRAE.

Il s'agit moins de se demander comment financer aujourd'hui une dépense de prévention que de s'interroger sur notre capacité future à financer les conséquences d'une absence de prévention.

Face au changement climatique ou au vieillissement démographique qui feront mécaniquement augmenter les maladies chroniques, les membres de la mission sont donc convaincus qu'il faut massivement investir dans la prévention car comme l'a expliqué Franck Chauvin « plus on intervient tôt, plus le retour sur investissement est important », même si la réussite d'une politique de prévention ne se voit pas, ou très peu.

La mission préconise ainsi de mener des études globales qui permettraient de mesurer précisément les gains attendus pour la sécurité sociale des politiques de prévention menées.

Proposition n° 5 : Mener des études sur l'impact économique global de la prévention, au-delà des études ponctuelles sur un risque précis (pollution, bruit, etc).

4. Une absence de préparation de la sécurité sociale aux futurs risques environnementaux et climatiques
a) Une gouvernance qui associe insuffisamment l'ensemble des acteurs et des territoires
(1) Le pilotage en silo de l'élaboration des politiques liées à la santé et à l'environnement

Les plans et programmes dont les thématiques concernent l'environnement ou la santé sont nombreux. On peut ainsi citer ceux déjà évoqués qui constitue des plans généraux tels que la stratégie nationale de santé, le Plan national de santé publique, ou encore le Plan national santé environnement. Ce dernier se veut à la confluence des thématiques de santé et d'environnement. Il est aussi, depuis le PNSE 4 adopté l'année dernière, désigné comme le plan chapeau autour duquel s'articulent les autres plans.

Mais il existe bien d'autres plans, certains avec un prisme large tels que le Plan national d'adaptation au changement climatique, la Stratégie de développement durable ou la Stratégie nationale pour la recherche. Quand d'autres sont beaucoup plus restreints et concernent des secteurs précis, ainsi du plan Biodiversité, du plan Radon, du plan Cancer, de la feuille de route obésité ou encore du plan Santé travail pour n'en citer que quelques-uns.

En tout, ce sont plus de 35 plans qui s'articulent autour de PNSE4.

Néanmoins, les auditions menées par la mission d'information conduisent à penser qu'en dépit des avancées notables, notamment dans la méthode d'élaboration du PNSE, il n'existe pas, à ce jour, de véritable coordination d'ensemble.

En effet, ils n'ont pas tous les mêmes durées ni les mêmes modalités d'adoption, leurs formats ou objectifs sont très variables et ils ne s'articulent que très imparfaitement les uns aux autres.

Comme l'a exposé Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses au ministère de la transition écologique, « nous essayons de limiter l'effet silo, en réunissant périodiquement un comité de pilotage, mais cela reste quelque chose qui doit encore être approfondi 63 ( * ) . »

Chaque ministère dispose en effet de plans sectoriels en fonction de ses domaines de compétence, le schéma ci-contre permet de visualiser la répartition par ministère des différents plans.

Source : Plan national santé-environnement 4 (PNSE4).

Pour autant la mission considère qu'il ne serait pas opportun d'abandonner toute gestion ministérielle, ni même le principe des plans sectoriels, puisqu'ils permettent notamment d'agir avec une grande expertise dans un domaine précis. Mais la situation actuelle n'est pas satisfaisante et conduit à une absence de lisibilité globale de l'action publique.

Sur ce thème de la gouvernance de la santé environnementale, le rapport des sénateurs Bernard Jomier et Florence Lassarade sur les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale 64 ( * ) expose parfaitement les faiblesses du pilotage interministériel et met en avant de nombreuses propositions telles que l'instauration d'un« défenseur des droits » en santé environnementale, la réactualisation des plans sectoriels et ministériels n'ayant pas la même temporalité que celle du PNSE ou encore la systématisation des évaluations d'impact sur la santé sur les grands projets d'aménagement envisagés par les collectivités territoriales.

Enfin, l'émergence du concept « One Health » conduit naturellement à réfléchir dans une optique interministérielle et notamment concernant l'élaboration du PNSE d'ouvrir le Groupe Santé Environnement 65 ( * ) (GSE) à de nouvelles parties prenantes. Ainsi, récemment, ce dernier a été ouvert à la Fédération nationale de la mutualité française.

Cependant, alors que la sécurité sociale est un acteur majeur du secteur, elle ne dispose d'aucun représentant au sein du GSE. Si, comme l'exprime Philippe Bodenez, le ministère de la transition écologique « copilote avec la direction générale de la santé 66 ( * ) », cette coopération est plus variable avec les autres acteurs, notamment ceux de la sécurité sociale.

Il est ainsi nécessaire d'instituer un pilotage interministériel qui apporterait davantage de cohérence aux différents plans. Ce pilotage serait confié à un Haut-commissaire qui serait en charge de l'architecture et de la coordination d'ensemble tout en laissant aux ministères les phases de réalisation, de suivi, et de mise en oeuvre. Il pourrait aussi être chargé de l'évaluation ex post des différents plans. Siégeant au conseil des ministres, il pourrait contribuer à la diffusion d'une culture de prévention plus transversale et horizontale.

Proposition n° 6 : Confier le pilotage interministériel des politiques environnementales à un Haut-commissaire à la planification de la transition environnementale.

(2) Une gouvernance territoriale qui doit associer l'ensemble des acteurs locaux, dont les collectivités territoriales

L'organisation territoriale de la santé publique est un enjeu majeur, aussi bien concernant la santé publique que dans le domaine plus spécifique de la santé environnementale. De nombreux acteurs participent à cette gouvernance, tels que les ARS, chargées du pilotage et de la coordination de l'ensemble des politiques de santé, le département en raison de son rôle de chef de file des politiques sociales ainsi que les autres collectivités territoriales qui influent, en raison de leurs compétences, sur les autres déterminants de santé.

Du côté de la santé environnementale, lorsque le PNSE avait été créé il y a 15 ans, l'objectif était de faire des plans régionaux santé environnement (PRSE) suivis par trois pilotes, à savoir par les conseils régionaux, les Agences Régionales de Santé et les DREAL. Dans un premier temps, les PRSE visaient la territorialisation de certaines actions du PNSE mais désormais l'ambition est davantage de mettre en oeuvre des thématiques, issues des différents plans et non du seul PNSE, qui nécessitent d'agir au niveau local.

Le PNSE4 et les territoires

Le PNSE4 renforce la prise en compte des enjeux en matière de santé environnement dans les territoires par une implication massive de l'ensemble des collectivités (régions, départements, EPCI, communes), en fonction de leur compétence et de leur levier d'action : aménagement du territoire, urbanisme, transport et mobilité, habitat, environnement, alimentation, action sociale, etc.

Pour impulser ce changement d'échelle, il est créé un comité d'animation territorial (CAT). Il est composé d'associations d'élus et de collectivités ainsi que de représentants d'ARS et de l'État.

L'objectif de ce comité est d'accompagner la gouvernance des plans régionaux de santé environnement (PRSE) , en tenant compte des propositions et recommandations émises par les représentants des collectivités. Ce comité vise également à partager les bonnes pratiques et à mettre à disposition des outils pour accompagner la mise en oeuvre d'actions en santé environnement à toutes les échelles des territoires.

Les plans régionaux santé environnement (PRSE) : Le plan national de prévention des risques pour la santé liés à l'environnement est décliné au niveau régional sous forme de « plans régionaux santé environnement » (PRSE). Ces plans ont pour objectif la territorialisation des politiques définies dans les domaines de la santé et de l'environnement.

Source : ministère de la transition écologique.

Cependant, le niveau d'engagement dépend beaucoup de la volonté des acteurs régionaux. En Nouvelle-Aquitaine par exemple, l'ARS est très active sur ces questions. Comme l'exprime Philippe Bodenez, « nous souhaitons pouvoir montrer des « success stories » et donc nous avons développé un site avec le Cerema qui présente des initiatives intéressantes 67 ( * ) », le site « Territoire engagé pour mon environnement, ma santé » .

Par ailleurs, il existe au sein du comité des territoires du GSE, un groupe dédié à la territorialisation du PNSE représentants des collectivités territoriales pour travailler aux conditions de réussite, livret pratique pour aider les territoires en matière de santé environnement publie pour le compte du Ministère de la Transition écologique et du Ministère des Solidarités et de la Santé, des dossiers de presse réalisés à partir de ces initiatives locales.

Concernant la santé publique, Franck Chauvin propose de doter la France d'un « système de santé publique territoriale simplifié ». Partant du constat que « la centralisation des décisions concernant la santé a montré son intérêt et ses limites pendant la crise du Covid-19 », ainsi que « l'importance des actions à tous les niveaux », il propose plusieurs pistes d'évolution vers « une organisation territoriale de santé publique efficace, proche du terrain et mobilisable en période de crise ».

Doter la France d'un système de santé publique territorial adapté aux enjeux

La simplification des projets régionaux de santé et la mise en place, sous la responsabilité des ARS, de Pactes de santé territoriaux ( PasT), regroupant les plans et contrats existants seront une étape nécessaire.

Il est proposé de constituer une force d'intervention territoriale en mobilisant, sous l'égide de l'ARS, les acteurs du soin sur des objectifs d'amélioration des déterminants de santé des populations dans une dynamique contractuelle et sur la base du volontariat.

Ces interventions de santé publique doivent voir leur dimension participative accentuée au bénéfice de la démocratie sanitaire . Les Conseils Territoriaux de Santé (CTS) doivent évoluer en parlements territoriaux de la démocratie en santé . Les liens entre les intervenants de terrain et les acteurs de l'enseignement et de la recherche doivent tout autant être renforcés. Cette organisation revue de la santé publique territoriale est un enjeu majeur pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé et pour agir en situation de crises sanitaires.

En cohérence avec ces missions, il est proposé de confier aux directeurs généraux des ARS une fonction de délégué interministériel à la santé publique dans les régions et les départements , et de renforcer les directions territoriales des ARS. Dans un souci de transparence et d'amélioration du pilotage, des tableaux de bord comprenant les principaux indicateurs de santé seront mis à disposition des autorités territoriales et des citoyens, après avoir été élaborés dans une logique de co-construction . Des objectifs de développement de l'approche populationnelle dans le secteur des soins primaires, chez les offreurs de soins de deuxième ligne et au sein des services médico-sociaux seront fixés avec les ARS.

Enfin, dans chaque département sera créée une conférence des financeurs des actions de santé publique , sur un modèle proche de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie.

Le soutien et la pérennisation des dispositifs de promotion de la santé à destination des populations vulnérabilisées par leurs conditions socio-économiques et/ou leur âge et/ou leurs conditions de santé constituent une autre priorité. Il est proposé de développer les dispositifs « d'aller-vers » (associations, travailleurs sociaux, collectivités territoriales), en lien avec les médiateurs en santé et les habitants « ambassadeurs de santé ». Dans ce même but, il conviendra de renforcer la place des infirmiers et des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) dans les dispositifs de prévention , de créer un métier de médiateur en santé , de renforcer les interventions des médiateurs d'inclusion numérique en santé auprès des personnes en situation d'exclusion numérique.

En lien avec les ministères chargés de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur, le renforcement des dispositifs favorables à la santé des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, avec une attention particulière portée à la santé mentale, est également essentiel. En lien avec le ministère du Travail, le développement des approches collectives de promotion de la santé au travail en complément des approches individuelles de santé au travail constitue également un enjeu majeur, notamment auprès des jeunes adultes en formation professionnelle.

Source : Dessiner la santé publique de demain, Franck Chauvin.

b) Une formation initiale et continue des acteurs de la santé qui peine à s'emparer des enjeux de la prévention sanitaire et environnementale

Les auditions menées par la mission d'information ont mis en lumière un manque de sensibilisation et de formation des professionnels de santé en matière de santé environnementale et de prise en compte du changement climatique sur nos systèmes de santé, et ce tant au niveau des études initiales que lors de la formation continue.

Comme l'exprime Jacques Reis, neurologue, « une sécurité sociale préventive dépend de l'information des parties prenantes, de l'éducation des médecins et d'une action préventive qui n'est pas que secondaire, mais qui implique l'ensemble des parties prenantes 68 ( * ) . »

La mission considère qu'il est indispensable que les étudiants a minima en médecine, idéalement dans l'ensemble des formations de santé, aient des connaissances approfondies sur la santé environnementale et sur le lien entre santé et climat.

Ce constat dressé par les membres de la mission d'information est confirmé par le rapport « Décarbonner la santé » du Shift Project (2021) . Leurs auteurs ont mené un recensement national des cours sur les enjeux environnementaux dans certaines filières 69 ( * ) . D'après les résultats de cette enquête « 96 % des étudiants interrogés pensent que le changement climatique est parmi les enjeux majeurs du XXIe siècle. 84 % pensent que les enjeux climatiques devraient être enseignés durant les études de santé, dont 54 % de manière obligatoire ». Pour autant, seuls « 21 % des étudiants disent avoir eu un enseignement sur les enjeux climatiques et environnementaux au cours de leur cursus ».

Quant à la formation continue , le PNSE4 prévoit la mesure n° 5 « Approfondir les connaissances des professionnels sur les liens entre l'environnement et la santé », dont l'objectif est de « mieux former et sensibiliser les professionnels de santé en intégrant la santé environnement dans leur formation » et de « favoriser les interactions et une approche globale, dans une démarche Une seule santé. » Pour autant, aucune liste exhaustive de l'offre de formation n'existe, pas plus que des études permettant d'estimer le nombre de professionnels formés à ces enjeux.

Plus largement la mission estime que c'est l'ensemble des professionnels du secteur de la santé qui devraient être formés : personnels des établissements de santé, des agences régionales de santé, mais aussi des organismes d'assurance maladie ou encore des collectivités territoriales.

Néanmoins, il faut noter que plusieurs avancées récentes laissent penser que cette question est aujourd'hui à l'agenda politique et plusieurs actions devraient être engagées d'après le PNSE4 pour généraliser la formation initiale des professionnels de santé à la santé-environnement dès 2022 :

- la création d'un module transversal ou de thèmes prioritaires du Diplôme de formation générale en sciences médicales (DFGSM), introduisant la santé-environnement ;

- la mobilisation du Service sanitaire des étudiants en santé (SSES) pour former les étudiants et mener des actions d'éducation à la santé auprès des populations (utilisation du téléphone portable et radiofréquences, qualité de l'air, pollens, écoute de la musique et bruit, santé et biodiversité, etc.) ;

- la diffusion du référentiel socle dans les unités d'enseignement de santé publique des maquettes de formation des infirmiers et des manipulateurs d'électroradiologie médicale et l'introduction de la santé-environnement lors des travaux de réingénierie des professions paramédicales (notamment aide-soignants et auxiliaires de puériculture).

De plus, dans les réponses au questionnaire le Ministère de la transition écologique nous a précisé qu' « un institut des hautes études « une seule santé » est en cours de création, pour regrouper les formations interdisciplinaires et intersectorielles dans les gestions des problématiques sanitaires (écoles de santé comme l'EHESP, écoles vétérinaires et agronomiques notamment). Il est également envisagé d'intégrer la sensibilisation à la santé-environnement dans les établissements scolaires ».

Proposition n° 7 : Intégrer dans les études de santé, et dans la formation continue des professionnels de santé, des enseignements sur l'impact des facteurs environnementaux et du changement climatique sur la santé.

5. Un État démuni : un manque d'outils et d'expertise
a) Un pilotage sans indicateurs précis et solides de la santé publique

Il existe actuellement très peu d'outils permettant de suivre l'impact du changement climatique ou des risques environnementaux sur la santé des populations et presque aucun concernant l'impact à venir sur notre système de protection sociale.

Dans ce domaine, la France a manqué un rendez-vous qui aurait pu lui permettre d'être à l'avant-garde du pilotage en matière de santé publique.

En effet, il y a plus de 15 ans, pour la première fois, lors du vote de la loi du 9 août 2004, la discussion avait porté sur des indicateurs de suivi et des objectifs de santé publique .

Il s'agissait de créer une liste de 100 indicateurs auxquels étaient associés des objectifs. Ainsi que le précise William Dab : « Jean-François Mattei [...] voulait créer un processus de santé publique et m'avait confié l'organisation d'une grande consultation d'expertise et de société civile. Il en était ressorti un tableau de bord de suivi des questions de santé publique, annexé à la loi. Certaines priorités avaient été arbitrées en réunion interministérielle, dont la santé et l'environnement. Lors du débat à l'Assemblée nationale, en commission des affaires sociales, des députés avaient demandé que ces objectifs soient revisités tous les cinq ans. [...] Le résultat, c'est que les priorités n'ont jamais été révisées, alors que c'était inscrit dans la loi. Le sujet n'est jamais revenu à l'ordre du jour du Parlement » 70 ( * ) .

Ces objectifs et indicateurs annexés à la loi de santé publique ne font désormais plus l'objet d'un suivi, le Haut Conseil de la santé publique ayant notamment mis en avant les « difficultés à évaluer ces objectifs ne disposant pas tous d'indicateurs fournis par des systèmes d'information appropriés ».

Si cette démarche a ensuite initié un processus ayant abouti sur l'élaboration d'une stratégie nationale de santé qu'il convient de saluer, il est regrettable qu'à ce jour aucune autre série d'indicateurs de la santé publique en France n'ait réellement pris le relais de cette tentative introduite par la loi de 2004.

Les rapports sur l'état de santé de la population en France ont constitué le support du suivi des indicateurs mentionnés dans ce rapport. Il y a eu 7 éditions, à intervalles irréguliers, entre 2006 et 2017 71 ( * ) .

Par ailleurs et probablement en lien avec le déploiement de la SNS 2018-2022, la création de Santé publique France, le fait qu'il s'agissait d'une compilation d'indicateurs disponibles par ailleurs ou encore les contraintes de moyens de la DREES, il a été décidé que celle-ci ne poursuivrait pas le suivi de ces indicateurs et la production de ce rapport.

Lors de son élaboration, le PNSE4 a certes aussi vu ses actions associées à des indicateurs avec un ou plusieurs pilotes identifiés mais leur caractère souvent très large se prête peu à une analyse en termes de performance ou à un suivi de long terme.

De plus, sur ces indicateurs du PNSE4, William Dab précise : « Il faut développer une culture de résultats, pas de moyens. Le PNSE4 est intelligent, mais ses indicateurs ciblent les moyens. Il faut disposer d'une logique de résultats : quel est le niveau d'exposition au risque, à la maladie, jusqu'où faut-il le diminuer ? Tant qu'on ne dispose pas d'une ingénierie de planification qui couvre jusqu'aux indicateurs de résultats, il existera un écart important entre l'ambition affichée et le résultat. L'asthme est la plus grande des maladies liées à l'environnement et n'a pas diminué depuis le premier PNSE et a même légèrement augmenté. Il serait facile d'avoir un traceur, des sujets représentatifs d'un certain domaine, dans l'état d'esprit de la loi de 2004. »

L'abandon du suivi des indicateurs des 100 objectifs de la loi de santé publique
du 9 août 2004

La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a instauré une démarche structurée pour la définition, la conduite et l'évaluation des politiques de santé en France.

Elle a créé un cadre méthodologique fort , visant à améliorer la pertinence, la lisibilité et la performance des politiques de santé. Mettant en exergue l'importance de la prévention, de la réduction de la mortalité prématurée et des inégalités de santé entre régions ou groupes de personnes, la loi définit des objectifs de santé quantifiés , susceptibles d'être atteints dans la population ou dans des groupes de population au terme d'une échéance pluriannuelle de cinq ans.

Les indicateurs de suivi des objectifs annexés à la loi d'août 2004 ont été définis en 2005 par un groupe de travail coordonné par la direction de la recherche, de l'évaluation et des études statistiques (Drees) et la direction générale de la santé (DGS), composé des principaux producteurs de données dans le champ sanitaire et social et d'experts de chacun des thèmes considérés.

Un peu plus de la moitié des objectifs de la loi du 9 août 2004 (56 sur 100) ont été considérés comme évaluables en 2009. Les difficultés rencontrées par les évaluateurs ont concerné, d'une part la mesure du résultat, d'autre part son interprétation. Le Haut Conseil en santé publique a ainsi mis en avant les « difficultés à évaluer ces objectifs ne disposant pas tous d'indicateurs fournis par des systèmes d'information appropriés ».

Source : rapport du Haut Conseil en santé publique sur le bilan des objectifs de la loi de 2004 (2010).

Par ailleurs, les plans et programmes ne comportent le plus souvent pas d'objectifs contraignants ou d'indicateurs de résultats propices à une évaluation ex post par des organismes de contrôle .

C'est ce que souligne William Dab en expliquant que la « loi de 2004 a développé la planification sur le moyen terme : PSE, plan national cancer voulu par le Président Chirac, plan santé au travail. Quinze ans après, les bilans réalisés par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), par l'inspection générale des finances (IGF) et par la Cour des comptes sont très décevants. » Il ajoute « ces plans sont restés des catalogues non budgétés, mal définis, sans aucun indicateur de résultat ou presque. [...] Il y a un problème démocratique : cet écart entre intentions et moyens touche à la confiance de la population . »

C'est pourquoi la mission d'information considère que de nouveaux indicateurs de santé publique devraient être créés afin d'assurer le pilotage des objectifs de santé publique. Le Parlement serait associé à la détermination, au suivi et à l'évaluation de ces indicateurs.

Proposition n° 8 : Créer de nouveaux indicateurs de santé publique et associer le Parlement dans leur détermination, leur suivi et leur évaluation.

b) Une absence quasi-totale d'expertise concernant les impacts attendus de l'environnement et du changement climatique sur la sécurité sociale

Au-delà de la nécessité d'associer des indicateurs à des objectifs de santé publique et de la nécessité d'assurer leur suivi, la question de l'impact des facteurs environnementaux et climatiques sur la sécurité sociale, c'est-à-dire sur les nouveaux risques susceptibles d'être couverts par le système de sécurité sociale reste entière.

En matière d'investissements, une évaluation socio-économique, développée depuis plusieurs années sous l'égide du Comité d'experts des méthodes d'évaluation socio-économique et du Secrétariat général pour l'investissement, est réalisée en prenant en compte plusieurs risques sanitaires bien identifiés (par exemple ceux liés à la pollution atmosphérique dans les transports).

De plus, le Comité d'experts a récemment mandaté un groupe de travail pour élargir la prise en compte des impacts sanitaires dans l'évaluation socio-économique, et proposer une méthodologie d'estimation des coûts tangibles et intangibles des effets de santé, appliquée à titre d'exemple à quatre domaines différents (dommages psychologiques des inondations, bénéfices de santé des rénovations énergétiques des logements, gêne liée au bruit de chantier, bénéfices de santé liée à l'activité physique dans l'espace public).

Pour autant, il ne s'agit pas directement de réfléchir à l'impact sanitaire et environnemental sur la sécurité sociale. Comme l'a exprimé Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses au ministère de la transition écologique, « sur la préparation de la sécurité sociale, nous n'avons pas encore exploré les conséquences sur 10 ou 20 ans 72 ( * ) . »

Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, partage la même analyse : « mon constat est que l'expertise est très faible sur ce sujet, en tout cas au ministère de la santé 73 ( * ) ». Ainsi, il n'existe pas de véritable expertise au ministère de la santé pour travailler sur ce sujet.

En 2009, la Direction générale de la santé, la Direction de la sécurité sociale, l'Anses et l'Institut de veille sanitaire avaient publié une étude sur « L'impact du changement climatique en France sur la santé » 74 ( * ) , dans laquelle les auteurs concluaient sur le fait que « en l'état actuel des connaissances et des données disponibles, il n'est pas possible de faire des projections de coût des impacts sanitaires du changement climatique en France » mais aussi « l'augmentation de la fréquence et le renforcement de l'intensité des phénomènes climatiques jusqu'ici exceptionnels doit amener à considérer plus attentivement dès à présent leurs effets à moyen et long terme sur la santé . »

Plus de dix ans après, la mission d'information réitère ce constat et préconise un renforcement des études sur l'impact du changement climatique et plus largement des facteurs environnementaux sur les dépenses de santé .

Proposition n° 9 : établir une méthodologie solide permettant la prise en compte des facteurs environnementaux et climatiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale.


* 47 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 48 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_chauvin.pdf.

* 49 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 50 Caisse nationale d'assurance maladie, « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'Assurance maladie pour 2021 », rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et produits de l'Assurance maladie, juillet 2020.

* 51 Audition rapporteur du16 février 2022.

* 52 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 53 Stratégie nationale de santé : Contribution du Haut Conseil de la santé publique, 8 septembre 2017.

* 54 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 55 Décret n° 2017-1866 du 29 décembre 2017 portant définition de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022.

* 56 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 57 La politique de prévention en santé, Cour des comptes, 1 er décembre 2021.

* 58 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 59 Audition plénière du 13 janvier 2022.

* 60 Audition rapporteur du 20 janvier 2022.

* 61 CNB/ADEME - Le coût social du bruit - Juillet 2021.

* 62 Résultats publiés par Environment International le 15 janvier 2022.

* 63 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 64 Rapport des sénateurs Bernard Jomier et Florence Lassarade n° 479 (2020-2021), juin 2021.

* 65 Le GSE est chargé de suivre et d'orienter les actions du PNSE tant au niveau national que régional. Il élabore un bilan annuel de l'avancée du plan et émet des recommandations destinées à améliorer la mise en oeuvre du plan.

* 66 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 67 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 68 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 69 Étudiants en première année commune aux études de santé (PACES), Parcours d'accès santé spécifique (PASS), Licence avec option accès santé (LAS), étudiants en médecine, en pharmacie, en kinésithérapie, en maïeutique (sages-femmes et maïeuticiens), en soins infirmiers, en diététique, en ergothérapie, de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et de l'Institut de santé publique d'épidémiologie et de développement (ISPED).

* 70 Audition plénière du 26 janvier 2022.

* 71 La dernière édition est disponible ici : L'état de santé de la population en France - Rapport 2017 | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (solidarites-sante.gouv.fr) .

* 72 Audition rapporteur du 7 mars 2022.

* 73 Audition plénière du 9 février 2022.

* 74 https://www.vie-publique.fr/rapport/30 699-impacts-du-changement-climatique-sur-la-sante-en-france-elements-de-co.

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