N° 789

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur
les
outre-mer dans la Constitution ,

Par M. Stéphane ARTANO,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : Stéphane Artano, président ; Maurice Antiste, Éliane Assassi, Nassimah Dindar, Pierre Frogier, Guillaume Gontard, Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Jean-Louis Lagourgue, Viviane Malet, Annick Petrus, Teva Rohfritsch, Dominique Théophile, vice-présidents ; Mathieu Darnaud, Vivette Lopez, Marie-Laure Phinera-Horth, Gérard Poadja, secrétaires ; Viviane Artigalas, Philippe Bas, Agnès Canayer, Guillaume Chevrollier, Catherine Conconne, Michel Dennemont, Jacqueline Eustache-Brinio, Philippe Folliot, Bernard Fournier, Daniel Gremillet, Jocelyne Guidez, Abdallah Hassani, Gisèle Jourda, Mikaele Kulimoetoke, Dominique De Legge, Jean-François Longeot, Victorin Lurel, Marie Mercier, Serge Mérillou, Thani Mohamed Soilihi, Georges Patient, Sophie Primas, Jean-François Rapin, Michel Savin, Lana Tetuanui.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La question institutionnelle n'est jamais très loin dans les outre-mer. Elle s'inscrit toujours en filigrane des demandes d'adaptations ou de meilleures réponses aux besoins locaux, quand elle n'est pas l'expression de revendications plus profondes d'autonomie ou d'émancipation.

Toutefois, le moment que nous vivons est particulier.

En Nouvelle-Calédonie, les interrogations sur les suites du processus ouvert par l'accord de Nouméa, après les trois référendums de 2018, 2020 et 2021, demeurent entières. Une seule quasi-certitude : une révision constitutionnelle sera nécessaire à une échéance relativement brève pour offrir à la Nouvelle-Calédonie un nouveau cadre institutionnel et politique.

Cette révision ouvrirait une fenêtre d'opportunité pour repenser plus globalement la place des outre-mer dans la Constitution. Cette fenêtre coïncide avec un foisonnement ces derniers mois des expressions publiques en faveur de plus de libertés locales dans les outre-mer, voire d'une autonomie mieux consacrée. Ces prises de parole sont le fait des exécutifs ultramarins aussi bien que de responsables nationaux.

L'Appel de Fort-de France du 17 mai dernier en est l'expression la plus forte. Sept présidents d'exécutif ou d'assemblée ultramarins y appellent à « refonder la relation entre nos territoires et la République par la définition d'un nouveau cadre permettant la mise en oeuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions. »

Du côté du Gouvernement et du Président de la République, le message se veut ouvert face à ces aspirations.

C'est dans ce contexte que la réunion commune du 29 juin 2022 entre notre délégation et l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) est apparue comme une occasion unique de débattre à nouveau de la place des outre-mer dans la Constitution. Je tiens à remercier vivement Ferdinand Mélin-Soucramanien, président de l'AJDOM, pour son initiative.

Nos échanges avec les membres de l'AJDOM sont réguliers. Ce fut en particulier le cas lors des travaux sur le remarquable rapport de notre ancien président, Michel Magras, sur la différenciation territoriale outre-mer, de septembre 2020.

Ce travail fondateur a posé sur la table la question du maintien ou non de la dichotomie entre les collectivités ultramarines régies par l'article 73 de la Constitution et celles régies par l'article 74.

En effet, il apparaît que la révision constitutionnelle de 2003 s'est arrêtée au milieu de gué. Elle a certes amorcé la révolution culturelle vers des statuts à la carte - expression de plus en plus consacrée - mais sans chasser des esprits la distinction historique entre d'une part, les collectivités soumises au principe d'identité législative et, d'autre part, celles soumises au principe de spécialité législative.

Il en résulte encore des malentendus. Pour reprendre les mots de Patrick Lingibé, avocat au barreau de la Guyane et spécialiste en droit public, vice-président de la Conférence des Bâtonniers de France et président de la délégation outre-mer de cette même conférence : « dans l'inconscient collectif, l'article 73 est vécu comme un bienfait égalitaire hérité de la départementalisation de 1946, alors que c'est totalement faux. Quant à l'article 74, beaucoup de populations d'outre-mer l'assimilent à l'aventure de l'autonomie, ce qui est également faux, ne serait-ce que parce que l'autonomie juridique et institutionnelle au sens où nous l'entendons n'est pas l'indépendance. »

Toutefois, nos réflexions doivent prendre garde à l'écueil d'une discussion purement juridique, hors sol, qui perdrait de vue les véritables enjeux pour nos concitoyens ultramarins. Avec toutes leurs spécificités et singularités, avant toute chose, ces territoires doivent être en capacité de mettre en oeuvre des politiques publiques efficaces pour répondre aux besoins quotidiens de leurs habitants.

Le sujet institutionnel est un outil et non pas le remède miracle à la crise de confiance qui traverse les outre-mer. Les institutions et le cadre constitutionnel à l'intérieur duquel elles sont définies doivent être des facilitateurs des politiques publiques en adéquation avec les réalités locales.

C'est cet état d'esprit ouvert et pragmatique qui a guidé les échanges de cette journée entre les membres de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et de l'AJDOM.

La première partie consacrée à la Nouvelle-Calédonie, comme je le soulignais au début de mon propos, a soulevé beaucoup d'interrogations et d'incertitudes, sans qu'émergent de réponses claires. À cet égard, les conclusions de la mission de la commission des lois du Sénat sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, dont les travaux sont en cours, sont attendues pour éclairer le champ des possibles. Il ressort néanmoins de nos échanges que la question du corps électoral est sans doute la plus sensible, à la fois politiquement et juridiquement. Par ailleurs, il sera très difficile de faire l'impasse sur une révision de la Constitution.

La seconde partie consacrée aux collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution a mis en évidence les défauts et le caractère artificiel de cette dichotomie affichée, alors que la réalité institutionnelle des outre-mer démontre plutôt une complexification et une graduation croissante avec des statuts à la carte, comme le souligne Véronique Bertile, maître de conférences à l'Université de Bordeaux.

Face à ce nuancier outre-mer, la fusion des articles 73 et 74, ou à tout le moins une refonte de ces deux articles, est une hypothèse de plus en plus évoquée, avec deux variantes : l'une minimaliste qui renverrait largement à des lois organiques ad hoc pour chaque outre-mer - les statuts à la carte - et l'autre maximaliste qui détaillerait dans la Constitution la boîte à outils à disposition des outre-mer. Les défenseurs de cette dernière variante craignent en effet, à la lumière de l'expérience depuis 2003, que les flous de la Constitution servent de point d'appui à des interprétations par trop conservatrices et jacobines par le juge constitutionnel ou administratif.

Cette réécriture des articles 73 et 74 devrait aussi ne rien prescrire ou imposer à tel ou tel territoire ultramarin, mais offrir simplement « la possibilité d'une différenciation » pour reprendre l'expression de Michel Magras. Chaque territoire resterait libre de préférer le statu quo ou bien au contraire d'étendre ses responsabilités en recourant à la gamme d'outils permis par la Constitution.

Cette vision décrispée de l'évolution institutionnelle des outre-mer appelle un pacte de confiance renouvelé entre l'État et ces collectivités, qui aille au-delà d'une gestion purement administrative des transferts de compétences.

Plusieurs participants ont ainsi souligné l'importance d'un accompagnement de l'État dans cette phase nouvelle. L'État devrait aider à faire, aider ces collectivités à grandir pour qu'elles s'assument seules conformément à leur aspiration.

Cela suppose le vrai développement d'une culture des outre-mer au sein de l'État, afin que l'acclimatation des normes aux réalités locales des outre-mer soit généralisée, voire obligatoire.

Il est ainsi dommage que l'expérience conduite par Jean-François Merle, conseiller d'État, à l'occasion de l'adaptation outre-mer du code rural et de la pêche maritime - un travail bilatéral avec chaque territoire avait été mené pour passer en revue l'ensemble des dispositions du code - n'ait pas été répliquée pour d'autres codes. L'adaptation de la législation aux réalités des outre-mer ne doit plus être perçue comme une fantaisie accessoire, mais être mise au coeur de la fabrique de la loi.

Cette riche rencontre avec les membres de l'AJDOM a permis de mettre en lumière l'ensemble de ces questionnements. Elle souligne aussi l'urgence pour le Sénat de mûrir sa réflexion sur la place des outre-mer dans la Constitution, afin d'être prêt si un projet de révision constitutionnelle venait à lui être transmis.

Le présent rapport qui rend compte de nos échanges avec les membres de l'AJDOM, se veut le point de départ d'un travail plus large que la Délégation sénatoriale aux outre-mer va conduire dans les prochains mois pour actualiser le rapport précité de notre ancien collègue Michel Magras. En effet, depuis la publication de ce rapport, plusieurs assemblées locales ont été renouvelées à la suite d'élections et la crise du Covid, parmi d'autres, a fait émerger de nouvelles revendications. Ces évènements ont fait bouger les lignes.

Nous ambitionnons d'auditionner toutes les parties prenantes à commencer par les exécutifs territoriaux, régionaux ou départementaux. Mais nous irons aussi au-delà en sondant notamment les maires, car comme cela a été dit, une évolution institutionnelle n'a de sens que si elle apporte une réelle plus-value dans la conduite des politiques publiques et si une large partie de la population se l'approprie.

En remerciant encore l'ensemble des participants à cette rencontre, je forme le voeu que nous puissions travailler pleinement dans l'intérêt de nos populations et notamment de nos outre-mer.

Stéphane ARTANO

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