B. L'UNION EUROPÉENNE DOIT RÉAGIR AVEC FERMETÉ ET AVEC SOLIDARITÉ FACE AUX TENTATIVES DE DÉSTABILISATION EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE, RENFORCER SES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA DÉSINFORMATION ET MAINTENIR SA PRÉSENCE MILITAIRE EN MÉDITERRANÉE CENTRALE

Dans la Boussole stratégique 170 ( * ) adoptée par le Conseil de l'Union le 21 mars 2022 et endossée par le Conseil européen le 24 mars 2022, l'Union européenne identifie parmi les menaces émergentes auxquelles elle doit être en mesure de répondre les « stratégies hybrides, cyberattaques, campagnes de désinformation, l'ingérence directe dans nos élections et nos processus politiques, la contrainte économique et l'instrumentalisation des flux migratoires irréguliers ».

Pour répondre à ces menaces, la Boussole stratégique prévoit notamment la création en 2022 d'une « boîte à outils relative aux activités de manipulation de l'information et d'ingérence menées depuis l'étranger », puis son déploiement en 2023 et 2024. Ce renforcement des instruments de l'Union face à la manipulation de l'information par des puissances étrangères s'appuiera sur la division de la communication stratégique du service européen pour l'action extérieure (STRAT.2) créée en 2015 et ses groupes d'intervention ( task forces ) dédiés au voisinage oriental, aux Balkans occidentaux et au voisinage méridional.

Les rapporteures soulignent, à la suite de plusieurs responsables et experts qu'elles ont entendus, que l'accélération et le renforcement des capacités de l'Union européenne à répondre à cette guerre informationnelle est une priorité dans l'espace méditerranéen. La guerre en Ukraine est perçue par certains pays hostiles comme une occasion de décrédibiliser l'Union européenne et de l'éloigner de ses partenaires méditerranéens. À ce titre, le renforcement de la capacité de l'Union à opposer un récit alternatif au récit antioccidental doit être mis en oeuvre de manière rapide et déterminée.

Recommandation n°4. Accélérer le déploiement de la « boîte à outils » européenne de lutte contre la désinformation pour renforcer les instruments de réponse aux manipulations de l'information par des puissances étrangères, en particulier dans les Balkans occidentaux et en Afrique du Nord.

Les divisions susceptibles d'apparaître entre les différents États membres de l'Union est l'un des risques majeurs pour la cohérence et pour la crédibilité de sa politique extérieure en Méditerranée.

À ce titre, le manque de coordination entre l'action diplomatique de la France et celle de l'Italie dans le dossier libyen entre 2011 et 2019 a contribué à affaiblir le processus de paix mené sous l'égide des Nations unies et à renforcer la position des puissances extérieures en Libye, dont en particulier la Russie et la Turquie 171 ( * ) . Le manque de solidarité entre les États membres constitue dans ce contexte à la fois un objectif pour les pays hostiles et un facteur d'affaiblissement de l'influence de l'Union dans le bassin méditerranéen.

Les rapporteures relèvent par surcroît que les élections législatives qui se sont tenues en Italie en septembre 2022 et la campagne qui les ont précédées illustrent les risques qui pèsent sur la pérennité de certains rapprochements stratégiques au niveau intra-européen et soulignent l'importance de construire un consensus large et durable entre les États-membres sur la nécessaire solidarité à l'échelle de l'Union européenne sur les questions méditerranéennes.

Au regard du niveau de tensions et de la gravité des conséquences potentielles en cas d'escalade en Méditerranée orientale, la préservation de l'unité entre les membres de l'Union européenne sur ce dossier doit être un objectif prioritaire. Alors que la vente à la marine turque par la société allemande ThyssenKrupp Marine Systems de six sous-marins U-214T commandés en 2009 et dont le premier a été mis à l'eau en 2019 a fait l'objet de critiques de la part des autorités grecques, l'appel public de la ministre des affaires étrangères allemande A. Baerbock au respect de la souveraineté de la Grèce sur ses îles en mer Égée lors son voyage en Grèce en juillet 2022 témoigne de la capacité de l'Union à adopter une position commune en faveur du respect du droit international dans cette zone.

Alors que les relations entre la Grèce et la Turquie ont connu un regain de tensions au mois de septembre 2022 à la suite de déclarations du président R. T. Erdogan remettant en cause la souveraineté de la Grèce sur certaines îles en mer Égée et évoquant la possibilité pour la Turquie « d'arriver subitement la nuit », l'unité des membres du Conseil européen face au risque d'escalade est une priorité.

Les rapporteures soulignent à ce titre que la capacité de l'Union européenne à dissuader toute tentative d'escalade ou de fait accompli dans cette région repose en premier lieu sur la crédibilité de sa réponse et, partant, sur l'unité entre ses membres.

Recommandation n°5. Garantir l'unité et la solidarité du Conseil européen face aux tentatives de déstabilisation en Méditerranée orientale pour limiter le risque d'escalade ou de fait accompli.

À la suite de l'opération « EUNAVFOR MED Sophia » mise en oeuvre par l'Union européenne entre 2015 et 2020 en Méditerranée centrale pour limiter les flux d'immigration illégale, et dans le cadre de son action en faveur d'un processus de paix en Libye mené sous l'égide des Nations unies, le Conseil de l'Union a institué le 31 mars 2020 l'opération de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) « EUNAVFOR MED Irini » 172 ( * ) dont le mandat s'étend jusqu'au 31 mars 2023.

Cette opération militaire, dans laquelle sont impliqués 24 États membres, s'appuie sur des moyens maritimes, aériens et satellitaires et a pour tâche principale de faire respecter l'embargo sur les armes vers ou depuis la Libye décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies 173 ( * ) et pour tâches secondaires de surveiller, de recueillir des informations sur l'exportation illicite de pétrole depuis la Libye ; de former les garde-côtes et la marine libyenne ; de contribuer au démantèlement des réseaux de trafic d'êtres humains.

La France est l'un des premiers contributeurs de l'opération Irini à laquelle elle a participé en 2021 en fournissant notamment huit personnes détachées à l'état-major de l'opération situé à Rome, quinze semaines de patrouilleur de haute mer en soutien direct de l'opération et des vols de surveillance maritime et d'AWACS au rythme d'un par mois.

Il est tout d'abord à relever, comme le souligne le groupe d'experts des Nations unies sur la Libye dans un rapport en date de mars 2021, que l'embargo des Nations unies sur les armes en Libye « est d'une inefficacité totale », les violations de cet embargo étant « généralisées et flagrantes ». Cette inefficacité de l'embargo s'explique notamment par le fait que le droit de la mer limite de manière restrictive les possibilités d'arraisonnement des bâtiments en haute mer 174 ( * ) .

Néanmoins, les rapporteures relèvent, à la suite de plusieurs des personnes auditionnées, que l'existence d'une présence militaire européenne en Méditerranée centrale est précieuse à plusieurs titres. En premier lieu, l'opération Irini permet de documenter les violations de l'embargo sur les armes en Libye et l'opération a établi depuis son lancement 40 rapports spéciaux transmis au groupe d'experts des Nations unies sur la Libye. En second lieu, la présence de bâtiments et d'avions européens en Méditerranée centrale permet de développer la capacité d'appréciation autonome de la situation de l'Union européenne et de ses États membres dans la zone. Enfin en troisième lieu, la présence d'une opération militaire de l'Union européenne en Méditerranée renforce l'interopérabilité entre les forces des différents États membres et démontre l'unité de l'Union en matière de respect du droit international dans le bassin méditerranéen.

Pour ces différents motifs, auxquels s'ajoutent l'utilité des tâches secondaires du mandat de l'opération Irini qui contribuent à réguler la gestion des flux migratoires dans le bassin méditerranéen, les rapporteures recommandent de prolonger le mandat de l'opération pour maintenir la présence militaire de l'Union en Méditerranée centrale au-delà du 31 mars 2023.

Recommandation n°6. Prolonger le mandat de l'opération Irini pour consolider la capacité d'appréciation autonome de situation et la présence militaire de l'Union européenne en Méditerranée orientale.


* 170 Conseil de l'Union, 21 mars 2022, 7371/22, Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense - Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales.

* 171 J.-P. Darnis, 3 mai 2019, « Le face-à-face franco-italien en Libye : un piège pour l'Europe », Le Grand Continent.

* 172 Décision (PESC) 2020/472 du Conseil du 31 mars 2020 relative à une opération militaire de l'Union européenne en Méditerranée (EUNAVFOR MED IRINI).

* 173 v. notamment les résolutions 1970 (2011) et 2292 (2016) du Conseil de sécurité des Nations unies

* 174 En particulier, les navires de guerre jouissent en haute mer de l'immunité complète de juridiction.

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