II. FACILITER LES TRANSMISSIONS : UNE URGENCE POUR NOS TERRITOIRES ET NOTRE ÉCONOMIE

Ce bilan, quelque peu mitigé, pousse à s'interroger sur les raisons de l'absence de « sursaut » concernant la transmission d'entreprise . Puisque plusieurs éléments de modernisation ont été apportés aux dispositifs en vigueur, que manque-t-il pour améliorer la situation, c'est-à-dire faciliter la cession d'entreprise ? D'autres réformes législatives sont-elles nécessaires ? Les solutions sont-elles d'un tout autre ordre ? Quelles mesures doit-on envisager pour accompagner en priorité les dirigeants en âge de céder leur entreprise dans les prochaines années ?

Pour répondre à ces questions, MM. Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann ont mené des auditions entre le 27 janvier et le 8 juin 2022, afin de prendre la mesure des obstacles persistants, des améliorations constatées et d'identifier les préconisations utiles.

Des témoignages recueillis ressortent deux thèmes pour les dirigeants et pour le maintien des entreprises dans les territoires : simplification et sécurisation . Ces deux dimensions sont justement au coeur des missions de la Délégation aux entreprises, et répondent aux besoins exprimés par les chefs d'entreprise, mais aussi par les experts de la transmission qui les accompagnent dans les territoires. Elles sous-tendent ce que la Délégation appelle de ses voeux : une véritable politique publique de la transmission d'entreprise.

C'est ainsi que les propositions de la mission de suivi s'articulent autour des logiques de simplification et de sécurisation, mettant en évidence 5 objectifs prioritaires, indiqués en introduction du présent rapport :

- stabiliser le droit en vigueur pour répondre à la principale demande des dirigeants d'entreprise,

- sanctuariser le « Pacte Dutreil » , essentiel pour les transmissions familiales et pour le développement des PME et ETI en France,

- simplifier les démarches et les dispositifs pour faciliter les transmissions, notamment les reprises par les salariés,

- sécuriser les transmissions en limitant les effets déstabilisants de la loi, de la jurisprudence ou de certaines décisions administratives,

- inciter les dirigeants à anticiper leur transmission.

A. PREMIÈRE PRIORITÉ : SÉCURISER LES TRANSMISSIONS

1. Sanctuariser le Pacte Dutreil en stabilisant le dispositif et en communiquant mieux

Le « Pacte Dutreil » demeure un outil essentiel pour les transmissions familiales. M. Philippe d'Ornano, co-président du METI, rappelait en janvier 2022 devant la Délégation aux entreprises les faits suivants : « En 2008, la France comptait 4 500 ETI 8 ( * ) , contre 12 500 en Allemagne, 10 500 en Angleterre et 8 000 en Italie . Les ETI sont à 70 % des entreprises familiales . Il faut en moyenne 20 ans pour parvenir à la taille d'ETI , soit une durée où la question de la transmission est amenée à se poser . Une ETI sur deux va se transmettre dans les prochaines années . (....) Dans la situation actuelle, les difficultés de transmission d'entreprises persistent, puisqu'on compte 14 % de transmissions familiales 9 ( * ) en France, contre 50 % en Allemagne et 70 % en Italie. Même avec le pacte Dutreil, le décalage perdure donc entre la France et l'Italie. »

Comme l'ont souligné de nombreux acteurs économiques rencontrés lors du salon BIG 10 ( * ) organisé en octobre 2021 par Bpifrance, l'insuffisant nombre d'ETI en France constitue un handicap pour notre pays, dans la mesure où ces entreprises sont à la fois ancrées dans les régions mais également en général très présentes à l'export. D'ailleurs les travaux en cours de la Délégation aux entreprises relatifs au commerce extérieur français, ont déjà mis en évidence le lien direct entre le redressement de la balance commerciale et le développement des ETI qui constituent une « force de frappe » à l'export . Quant à la logique territoriale, déjà démontrée dans le rapport de 2017, elle demeure puisque selon le METI, 70 % des ETI localisent leur siège social en région . « Il est donc très important de préserver ce type d'entreprises, qui irriguent notre territoire . ». Il est utile de rappeler que 52 % des ETI ont un actionnariat majoritairement familial , et que si l'on compte également les participations minoritaires , alors ce sont 70 % des ETI françaises qui ont un actionnariat familial .

Mais le plaidoyer en faveur du « Pacte Dutreil » ne se limite pas aux ETI, les dirigeants de PME ne manquant pas de qualificatifs pour le caractériser : « essentiel », « très important », « salutaire »... Ce constat est d'ailleurs relayé par la CPME.

Malgré les dernières mesures de modernisation de ce dispositif fiscal défini à l'article 787 B du code général des impôts, des propositions de modifications sont toujours formulées. En particulier, l'une des propositions viserait une exonération à hauteur de 90 % en contrepartie d'un engagement de conservation totale de 8, voire 10 ans.

Or, comme l'ont rappelé plusieurs services du ministère de l'économie et des finances, la combinaison du dispositif Dutreil et de la réduction des droits à 50 % en cas de donation avant 70 ans (article 790 du CGI) peut déjà permettre d'exonérer de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) environ 90 % de la valeur de l'entreprise transmise , voire davantage selon la valorisation de l'entreprise. Ainsi, en optant pour un taux d'exonération plus élevé, le législateur tendrait à favoriser une transmission à taux quasi-nul. Outre la délicate question, jamais tranchée de la constitutionnalité d'une telle mesure , il est opportun de s'interroger sur la pertinence d'une telle proposition dans un contexte d'attaques assimilant de façon souvent abusive patrimoine privé et patrimoine professionnel, et considérant l'entreprise comme un « privilège » . Cette logique a même débouché sur le récent dépôt d'un amendement 11 ( * ) visant à limiter le recours au dispositif Dutreil au 31 décembre 2024, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 à l'Assemblée nationale. Aussi, vouloir aller plus loin dans l'exonération risquerait d'arriver à un résultat contraire à l'effet recherché : la pérennité du Pacte Dutreil risquerait d'être remise en cause, alors qu'il est précisément question de le sanctuariser. Les rapporteurs ont ainsi fait le choix de la sanctuarisation, conscients qu'il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer l'indispensable préservation du « Pacte Dutreil » pour soutenir la transmission d'entreprise et de savoir-faire dans notre pays .

Ils ont en revanche noté les témoignages recueillis en audition, soulignant une trop grande méconnaissance du dispositif : non seulement parmi les dirigeants -notamment de PME- mais aussi chez certains experts de la transmission d'entreprise. Pour les premiers, le « Pacte Dutreil » demeure tout simplement trop souvent inconnu ; pour les seconds, les réformes de la loi de finances pour 2019 n'ont pas encore nécessairement été assimilées. Un très récent sondage mené par CCI-France et Opinion Way met en évidence de façon alarmante cette méconnaissance du « Pacte Dutreil » : 82 % des dirigeants interrogés ne le connaissent pas du tout !

Aussi paraît-il urgent, à la fois pour asseoir la légitimité du « Pacte Dutreil » mais aussi pour en simplifier l'approche, d'organiser une campagne d'information auprès des dirigeants d'entreprise, au niveau national, associant tous les experts de l'accompagnement . Afin d'y contribuer, la Délégation aux entreprises travaille à la réalisation d'un film d'information qui sera diffusé sur sa page Internet.

Faire connaître le « Pacte Dutreil » du plus grand nombre de chefs d'entreprise contribuera non seulement à faciliter les transmissions mais également à sanctuariser ce dispositif fiscal . Une telle campagne aura naturellement vocation à présenter les autres dispositifs encourageant la transmission, qu'elle soit intra-familiale ou à un tiers, salarié ou non. Parmi les professionnels accompagnant les chefs d'entreprise, l'Ordre des experts-comptables jouera un rôle central dans l'information et la vulgarisation des possibilités offertes par le code général des impôts . Ainsi serait-il utile que les experts-comptables insistent sur les dernières réformes ayant modernisé le « Pacte Dutreil » ; sur la possibilité offerte à un dirigeant ayant cédé son entreprise à ses enfants de rester travailler au sein de celle-ci ; sur la possibilité de cumuler le dispositif « Dutreil » avec l'abattement de 100 000 euros par parent et par enfant pour les transmissions en ligne directe, ou encore sur les facilités de paiement tels que la suspension pendant 5 ans puis l'étalement sur dix ans de l'acquittement des DMTG . Ces dernières facilités, résultant des articles 397 A et 404 GA de l'annexe III au CGI, ont d'ailleurs été rappelées par la Direction de la législation fiscale dans sa contribution écrite aux travaux de la Délégation.

Proposition n°1 : Sanctuariser le « Pacte Dutreil » et organiser une campagne d'information des dirigeants d'entreprise relative au Pacte Dutreil et aux autres dispositifs encourageant la transmission.

2. Sécuriser la définition et l'appréciation de la holding animatrice

Dans leur rapport de 2017, MM. Claude Nougein et Michel Vaspart avaient déjà alerté sur la nécessité de clarifier la notion de holding animatrice de groupe, dont la loi n'offre qu'une définition floue et insuffisamment opérationnelle pour sa mise en oeuvre dans le cadre du dispositif « Dutreil ». Depuis plusieurs années ce point est identifié par les dirigeants d'entreprise comme une source d'insécurité juridique qui ne concerne pas que les grands groupes, bien au contraire.

Rappelons que, selon les informations recensées via le fichier statistique FIBEN (fichier bancaire des entreprises géré par la Banque de France), en 2017 plus de 33 % des PME employant entre 10 et 100 salariés et 62 % des PME employant entre 100 et 250 salariés étaient détenues par une holding .

Par ailleurs l'analyse 12 ( * ) des groupes de sociétés par l'INSEE en décembre 2019 révèle que ces derniers sont majoritairement de petite taille en France : sur un total de près de 134 000 groupes, il n'existe que 289 « grands groupes », 5 600 groupes de taille intermédiaire, 65 700, petits ou moyens et 62 400 sont des microgroupes (c'est-à-dire dont l'effectif est inférieur à 10 personnes et dont le chiffre d'affaires ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros).

Compte tenu du nombre de PME concernées et des dispositifs fiscaux applicables aux holdings reconnues comme animant les filiales, la notion de holding animatrice apparaît cruciale.

C'est précisément le cas pour l'éligibilité au « Pacte Dutreil » . Déjà interrogée par les rapporteurs en 2017, l'administration estimait que des précisions légales n'étaient pas nécessaires, compte tenu de l'encadrement de la notion d'animation et de ses conséquences par la jurisprudence, mais également par la doctrine administrative. Si l'on ne peut nier l'action de l'administration fiscale et des juges pour tenter d'éclaircir les contours de cette notion, la définition de l'animation de groupe et sa prise en compte pour l'application de certains dispositifs fiscaux comme le « Pacte Dutreil » demeurent instables .

Sans revenir sur le détail des décisions présenté dans le rapport de Claude Nougein et Michel Vaspart, il convient de rappeler qu'une première définition apparaissait dans le code général des impôts l'article 885-0 V bis relatif à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), abrogé depuis. Cette définition a été reprise dans la loi de finances pour 2018 qui a cependant supprimé les termes de « holding animatrice » à l'article 966 relatif à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Sont ainsi désignées les sociétés qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, ont pour activité principale :

- la participation active à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales exerçant une activité commerciale industrielle, artisanale, agricole ou libérale ;

- le cas échéant, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.

Malgré cette base légale, les précisions apportées à la notion de holding animatrice et à son application dans le cadre du « pacte Dutreil » ont fait l'objet ensuite d'un mouvement incessant entre la doctrine de l'administration et celle des différents juges, mettant en évidence, encore très récemment, la forte insécurité juridique inhérente à cette situation.

Les plus récentes oppositions illustrant cette instabilité juridique sont :

- la décision du Conseil d'État du 23 janvier 2020 13 ( * ) , et celle de la Cour de Cassation (arrêt rendu le 14 octobre 2020 14 ( * ) ), relatives au « Pacte Dutreil », écartant les critères quantitatifs jusqu'alors retenus par l'administration fiscale 15 ( * ) . En effet, cette dernière estimait que le caractère d'animation s'appréciait « au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d'affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d'affaires total) et le montant de l'actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l'actif brut) » . Les juges ont rejeté cette interprétation administrative, préférant un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice et non au regard de simples ratios comptables ;

- l'arrêt très récent du 25 mai 2022 16 ( * ) , par lequel la chambre commerciale de la Cour de Cassation a considéré que la perte, par la société holding , de sa fonction d'animatrice de groupe avant l'expiration du délai légal de conservation des parts (engagement individuel), ne pouvait pas en droit conduire à rendre inéligible au pacte « Dutreil » la transmission des parts ou des actions de cette société holding . Elle a ainsi cassé l'arrêt de la Cour d'Appel, en considérant que cette dernière avait « ajouté à la loi une condition qu'elle ne comport[ait] pas » et donc « violé » les dispositions de l'article 787 B du CGI. Comme l'ont souligné des commentateurs 17 ( * ) , cet arrêt censure sèchement la Cour de d'Appel de Rennes qui avait conforté l'administration fiscale dans sa décision de remettre en cause une exonération « Dutreil » accordée à une entreprise , au motif qu'après avoir revendu des titres représentant 83 % du chiffre d'affaires global du groupe, sa holding exerçait une activité purement financière. Comme le note François Fruleux : « On doit voir dans cet arrêt un rappel ferme adressé à l'administration fiscale qui a pris pour habitude, s'agissant de ce dispositif, de retenir des analyses contestables rajoutant des exigences n'étant pas prévues par les textes (...) Le message est clair : l'administration doit s'en tenir aux exigences légales . »

Selon Mme Marie-Astrid de Barmon, sous-directrice à la Direction de la législation fiscale (DLF), auditionnée le 8 juin 2022, cette décision du juge judiciaire « remet profondément en cause la logique du dispositif Dutreil et notamment son objectif de pérennisation de l'entreprise » . De plus, elle pourrait susciter un effet d'aubaine en permettant la « réalisation d'opérations de donation-cession permettant de purger les plus-values latentes, tout en laissant aux bénéficiaires de la transmission, la libre disposition de la trésorerie dégagée par le produit des titres de la société. ».

Pour ces raisons, à l'initiative de M. Jean-René Cazeneuve, Rapporteur général de la commission des Finances à l'Assemblée nationale, une modification de l'article 787 B a été adoptée 18 ( * ) afin de considérer le maintien effectif de l'activité d'animation de groupe durant la durée légale de conservation des parts comme une condition pour bénéficier du régime de faveur « Dutreil » . Cette modification, considérée comme un dispositif « anti-abus », a été maintenue par le Sénat en première lecture et à l'issue de la commission mixte paritaire.

On voit donc ici, par le truchement de ces deux exemples de revirement, qu'administration et juges peuvent avoir des lectures très différentes des conditions de mise en oeuvre du Pacte Dutreil et en particulier de la prise en compte de la notion de holding animatrice . Le dernier cas est particulièrement saisissant puisque le juge de cassation a censuré l'interprétation de la loi par l'administration, obligeant le législateur à modifier le texte de l'article 787 B pour ainsi donner une base légale à la doctrine administrative.

Ces évolutions jurisprudentielles soulignent l'instabilité et l'insécurité juridique des contours de la notion de holding animatrice, qui peuvent générer de lourdes conséquences économiques pour les acteurs de la transmission d'entreprise, notamment en matière de recouvrement des droits de mutation.

MM. Claude Nougein et Michel Vaspart avaient préconisé l'inscription dans la loi, d'une clarification de la définition de la notion de holding animatrice reposant sur une précision des conditions de présomption d'animation et de contrôle d'une filiale. L'objectif de cette préconisation était de stabiliser cette notion en droit, mais également de la sécuriser juridiquement afin de limiter les difficultés financières qui en résulteraient pour les entreprises. Au regard de l'actualité jurisprudentielle récente, l'objectif de sécurisation juridique apparaît, plus que jamais, crucial pour la transmission d'entreprise.

Un amendement présenté au Sénat lors des débats relatifs au projet de loi de finances rectificative pour 2022 montre d'ailleurs que de nouvelles questions pourraient surgir à la faveur d'un nouveau contentieux : en effet, l'amendement n°438, présenté par M. Daniel Chasseing et rejeté en séance publique par le Sénat, proposait que la perte de la qualité d'animation n'entraîne pas nécessairement une perte sèche de l'exonération mais seulement une perte au prorata des participations détenues par la holding dans des sociétés ayant une activité opérationnelle. Cette position, qui n'est pas celle de notre assemblée, pourrait néanmoins être examinée différemment par le juge sans autre précision législative.

La Délégation proposera, dans le cadre d'une proposition de loi, une définition législative ainsi clarifiée, qui pourrait notamment s'appuyer sur un faisceau de présomptions.

Proposition n°2 Consolider et clarifier dans la loi les éléments de définition de la holding animatrice et son application dans le cadre du « Pacte Dutreil ».

L'instabilité dont souffrent les dirigeants n'est pas uniquement liée à une carence de définition législative. De nombreux témoignages ont souligné les difficultés liées à l'appréciation de leur entreprise par l'administration fiscale.

Outre la question de la valorisation de l'entreprise (pour laquelle existe déjà un rescrit valeur encadré par un délai de six mois), c'est l'appréciation, par l'administration, du caractère animateur des holdings qui soulève des difficultés. Le désarroi des dirigeants entendus par la Délégation découle soit d'une attente exagérément longue pour obtenir une réponse de l'administration, décalant parfois l'agenda de transmission envisagé, soit d'un revirement remettant en cause une position arrêtée précédemment. Les redressements auxquels ils doivent parfois faire face sont évidemment déstabilisants, pour eux-mêmes et pour leur entreprise, alors qu'en toute bonne foi ils pensaient que les éléments constitutifs de leur projet de cession étaient validés de façon définitive.

Aussi est-il proposé d'instaurer une procédure spécifique de rescrit pour la reconnaissance du caractère animateur d'une holding , encadrée par un délai maximum de 6 mois. Ce dispositif permettrait aux dirigeants qui le souhaitent de sécuriser davantage leur projet de cession.

Afin de compléter ce dispositif et de réduire l'aléa lié aux appréciations personnelles divergeant parfois au sein d'une même direction, il est également recommandé de désigner un référent « cession- Pacte Dutreil » au sein de chaque direction départementale des finances publiques (DDFIP).

Au-delà de la sécurisation, c'est l'instauration d'un dialogue économique constructif que vise la procédure spécifique de rescrit entre l'administration et les chefs d'entreprise .

Proposition n°3 : Sécuriser, via un rescrit spécifique, l'appréciation administrative du caractère animateur de la holding .

3. Abroger le dispositif d'information préalable des salariés, véritable risque de déstabilisation

Cette proposition figurait déjà dans le rapport de 2017 et dans la proposition de loi adoptée en 2018. Cependant le dispositif d'information préalable obligatoire demeure alors même que les plus vifs partisans de la transmission aux salariés reconnaissent eux-mêmes qu'il est inadapté car déconnecté des réalités de la vie de l'entreprise, voire dangereux pour les projets de transmission dans la mesure où l'information crée un « vent de panique » préjudiciable à la santé de l'entreprise ainsi déstabilisée . Ce dispositif, qui visait à soutenir les salariés, n'a malheureusement pas atteint son objectif car l'élément essentiel de la transmission à un ou des salariés est la confiance , et non l'information contrainte.

Il est donc à nouveau proposé d'abroger les dispositions du code de commerce issues des articles 19 et 20 de la loi dite « Hamon » (les dispositions de ces deux articles régissant l'information des salariés respectivement dans les entreprises tenues de mettre en place un comité d'entreprise et dans celles qui ne sont pas soumises à cette obligation) : sections 3 et 4 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier et chapitre X du titre III du livre II.

Parce que le soutien à la reprise par les salariés est essentiel dans une véritable politique publique de la transmission d'entreprise, il doit passer par l'affirmation de mesures incitatives , encourageant davantage de salariés à se lancer dans l'aventure de la reprise d'entreprise. C'est l'objet des mesures présentées dans le chapitre suivant du présent rapport.

Proposition n°4 : Abroger le dispositif d'obligation d'information préalable des salariés de la loi dite « Hamon ».

4. Sécuriser les dispositifs de financement de la transmission par Bpifrance

Le rôle de Bpifrance est essentiel pour une politique publique de la transmission d'entreprise. Avec ses dispositifs de garantie, Bpifrance couvre les projets de reprise de TPE, PME ou de fonds de commerce . Deux types de garantie contribuent à aider les repreneurs :

- comme son nom ne l'indique pas, la « garantie création » concerne notamment les projets de reprise ayant pour fin le rachat de fonds de commerce et les rachats de parts sociales, et vise ainsi les PME de moins de 3 ans . Ces reprises représentent 27 % des opérations ainsi garanties contre 73 % de créations ex-nihilo ; au total ces opérations ont bénéficié à 9 300 entreprises par an ;

- la « garantie transmission » quant à elle vise soit l'installation de nouveaux entrepreneurs, par rachat d'une PME ou d'un fonds de commerce, en leur facilitant l'accès au crédit bancaire soit à faciliter le développement d'entreprises existantes par croissance externe. On dénombre 5 200 entreprises bénéficiaires par an (à 90 % des TPE).

Une étude scientifique sur l'impact de la garantie de Bpifrance sur la transmission de fonds de commerce en a démontré les effets positifs 19 ( * ) . Globalement, Bpifrance garantit les banques à hauteur de 40% à 70% avec le concours des fonds régionaux pour financer les TPE et PME dans les phases les plus risquées (reprise et transmission, innovation, international, etc.).

Par ailleurs, le « Prêt Transmission » est un outil précieux, reconnu par les acteurs de terrain pour faciliter la reprise de TPE ou PME. En effet, Bpifrance, en partenariat avec les régions qui le souhaitent, propose un prêt, sans garantie sur les actifs de l'entreprise, ni sur le patrimoine du dirigeant 20 ( * ) , en vue de financer la reprise ou la transmission d'une entreprise.

Ce prêt finance des projets pour un montant de 40 000 à 1 500 000 euros d'une durée de 5 à 7 ans, avec une quotité garantie pouvant aller jusqu'à 80%. C'est donc l'outil de Bpifrance, combiné à l'aide des régions, qui se rapproche le plus de ce que certains pourraient nommer un « PGE reprise d'entreprise ». Néanmoins certaines régions n'ont pas souhaité mettre en place de « Prêt Transmission ». Dans ces conditions, ce prêt n'est pas disponible sur l'ensemble du territoire. En outre, les caractéristiques dudit prêt ne sont pas identiques dans l'ensemble des régions qui ont souhaité le mettre en place. A des fins d'harmonisation, il serait utile de déployer une offre identique sur l'ensemble du territoire pour les TPE et PME .

Comme le rappelait M. Laurent Saint-Martin 21 ( * ) , rapporteur général à l'Assemblée nationale dans son rapport du 26 mai 2021, le financement de la garantie BPI et des prêts sans garantie faisait historiquement l'objet d'un financement budgétaire porté par le programme 134 , « Développement des entreprises et régulations ». Jusqu'au projet de loi de finances pour 2018, ces crédits étaient portés par une action 20, « Financement des entreprises ». En baisse depuis 2014, la ligne consacrée au financement budgétaire de la « garantie BPI » était depuis 2019 systématiquement supprimée en projet de loi de finances - et rétablie par le Parlement 22 ( * ) durant la discussion du texte , dans des montants cependant bien inférieurs à ce qu'elle a été (pouvant descendre jusqu'à la somme symbolique de 10 000 euros).

Il convient de rappeler le contexte de cette débudgétisation, avec l'ordonnance n° 2020-739 du 17 juin 2020 portant réorganisation de la Banque publique d'investissement et modifiant l'ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d'investissement, qui a autorisé l'absorption de Bpifrance SA par sa filiale, Bpifrance Financement. Parallèlement à cette réorganisation, le Gouvernement a souhaité que l'activité de garantie de Bpifrance soit financée par ses dividendes.

Si le financement est garanti jusqu'à la fin de l'année 2022 au travers de la Mission « Plan de relance de l'économie », la question de son financement se posera à nouveau à compter de 2023. En effet, pour 2021 et 2022, des crédits ont été portés à hauteur de 464 millions d'euros, auxquels se sont ajoutés les redéploiements de reliquats des fonds de garantie, redéploiements liés à la fusion de Bpifrance SA et Bpifrance Financement et au recyclage de dividendes non versés à l'État par Bpifrance.

Ainsi que l'indique le rapport précité de l'Assemblée nationale, au plan opérationnel, la décision de supprimer la ligne budgétaire pose un véritable enjeu de financement. « L'existence d'une ligne budgétaire au sein du budget général permet de soutenir une activité essentielle à la bonne santé de l'économie. (...) En cas de disparition définitive du financement budgétaire, l'incertitude d'un financement reposant exclusivement sur les dividendes la conduirait à revoir à la baisse le risque pris dans chaque garantie octroyée - il pourrait descendre à 30 % ». Compte tenu du rôle crucial de la garantie, déjà développée dans le rapport de la Délégation aux entreprises de 2017, cette perspective constituerait un cataclysme pour la transmission d'entreprise.

Au-delà de la question économique, la Délégation s'inquiète de la question du contrôle de l'activité de Bpifrance par le Parlement . Comme le rappelle le rapporteur général du budget au Sénat dans son rapport pour le projet de loi de finances pour 2022, « les modalités de financement des fonds de garantie font, depuis plusieurs années, l'objet de « subterfuges budgétaires ». Les rapporteurs spéciaux estiment que l'information des parlementaires à ce sujet doit impérativement être renforcée. Les crédits publics destinés à assurer ces garanties représentent des montants très élevés. En ce sens, les rapporteurs spéciaux considèrent qu'il est nécessaire de compléter le champ des documents annexés au projet de loi de finances . Les activités de garantie sont en effet financées par des crédits publics, sans que l'autorisation et le contrôle parlementaires ne puissent donc toujours s'exercer pleinement. »

Alors que la Délégation souhaite affirmer la nécessité d'une véritable politique publique de la transmission d'entreprise, il apparaît pour le moins étrange de supprimer la ligne budgétaire qui permet non seulement de garantir mais aussi de mesurer l'effort public de garantie des TPE et PME, essentielle pour la reprise d'entreprise.

Il est donc proposé de sécuriser l'activité de garantie de Bpifrance, si utile dans son volet « transmission », et de financer le déploiement national du « Prêt Transmission » en rétablissant l'action 20 du programmes 134 « Développement des entreprises » de la Mission « Économie » au sein de la prochaine loi de finances, et de voter les crédits suffisants pour pérenniser ces dispositifs (garantie bancaire et « Prêt transmission ») au bénéfice des TPE et PME.

Proposition n° 5 : Sécuriser les dispositifs de financement de la transmission par Bpifrance.


* 8 On dénombre aujourd'hui 5 500 entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France, dont environ 1 000 ETI industrielles ; 13 000 en Allemagne et toujours autour de 10 000 au Royaume-Uni et 8 000 en Italie.

* 9 L'estimation varie de 14 à 20 % de transmissions familiales selon les évaluations, et le chiffre est par ailleurs estimé à 56 % en Allemagne et 69 % en Italie.

* 10 Bpifrance Inno Generation

* 11 Amendement N o I-CF1252 de M. Labaronne.

* 12 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4255703?sommaire=4256020

* 13 CE, 23 janvier 2020, req. N° 435562

* 14 C de Cass., 14 octobre 2020, N° de pourvoi : 18-17.955

* 15 Instruction publiée au BOFiP-impôts, paragraphe n°20 du BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, dans sa rédaction du 19 mai 2014.

* 16 C de Cass., 25 mai 2022, N° de pourvoi : 19-25.513

* 17 Tels que François Fruleux, docteur en droit, maître de conférences associé à l'université Paris-Dauphine

* 18 Amendement n° 730 déposé par M. Jean-René Cazeneuve durant la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2022.

* 19 Ainsi, par exemple, les entreprises bénéficiant de la garantie transmission ont en moyenne un chiffre d'affaires supérieur de 16% à celles n'en bénéficiant pas. La garantie contribue également à la pérennité des entreprises (taux de cessation d'activité inférieur de 2,1 à 3,8 points par rapport aux entreprises non bénéficiaires).

* 20 Seule une retenue de garantie de 5 % du montant du prêt est prélevée. Elle est restituée après complet remboursement du prêt,

* 21 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4195-a20_rapport-fond.pdf

* 22 La commission des affaires économiques du Sénat avait adopté un amendement rétablissant la ligne budgétaire avec une dotation de 20 millions d'euros, compte tenu de l'importance de la garantie Bpifrance pour le financement des TPE et PME.

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