III. PRENDRE ACTE DU CARACTÈRE SPÉCIFIQUE DE LA COLLECTIVITÉ

Comme le rappelait le rapport de Cécile Cukierman, « le choix institutionnel retenu à Lyon a plutôt consisté à faire absorber par un quasi-département (dont le conseil n'est certes pas élu selon le même mode de scrutin qu'un conseil départemental) certaines des compétences les plus importantes du bloc communal, plutôt qu'en une absorption du département par l'intercommunalité 210 ( * ) . »

Comme précisé supra , la phase de transition ne s'est pas accompagnée d'une nécessaire clarification sur le caractère spécifique, profondément départemental, de la collectivité nouvellement créée. Il importe donc d'y procéder aujourd'hui en proposant des ajustements, tant sur le plan électoral que sur les moyens d'action à la main de la métropole .

A. SUR LE PLAN ÉLECTORAL, CONCRÉTISER L'EXISTENCE D'UNE MÉTROPOLE-DÉPARTEMENT

1. Écarter les propositions visant à revenir sur le scrutin universel direct et à modifier les structures de gouvernance métropolitaine

Les membres de la mission estiment que le régime actuel de la métropole ne facilite pas son identification par les citoyens et la pleine appréhension de sa nature , notamment par les élus municipaux et métropolitains eux-mêmes ; ils appellent donc à une clarification.

a) Le refus d'un retour même partiel à un scrutin universel indirect

Une telle clarification ne saurait consister, aux yeux des membres de la mission, en un retour, même partiel au scrutin universel indirect .

En premier lieu, s'agissant d'une collectivité territoriale disposant de moyens particulièrement étendus, l'existence du scrutin universel direct semble se justifier . Comme l'a précisé la direction de de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) dans une contribution écrite remise aux rapporteurs, « la mise en place d'un scrutin indirect pourrait être perçu comme un recul démocratique ». Or, comme l'a rappelé le professeur Christophe Chabrot lors de son audition, il est difficile de revenir sur ce qui est souvent perçu comme un acquis démocratique : « une fois que le cap du suffrage universel direct est franchi, il est difficile de retourner en arrière ».

b) Écarter l'idée d'un double collège en raison des risques qu'il contient

En second lieu, l'idée d'un double collège , qui reviendrait à supprimer l'actuelle conférence métropolitaine des maires au profit d'un collège représentant les maires ou des élus municipaux désignés par la voie du « fléchage » lors des élections municipales, de l'ensemble des communes au sein du conseil de la métropole, semble poser de sérieux problèmes constitutionnels .

En effet, il reviendrait à octroyer un pouvoir décisionnaire - et non consultatif, comme c'est actuellement le cas pour la conférence métropolitaine des maires - aux maires au sein d'une autre collectivité territoriale de plein exercice . Dans ces conditions, une telle modification législative porterait une atteinte grave au principe de non-tutelle consacré à l'alinéa 5 de l'article 72 de la Constitution . D'ailleurs, aucune personne entendue n'a imaginé soumettre l'exercice par un département de ses compétences à l'avis conforme des maires situé sur son périmètre.

Interrogée sur le sujet par les rapporteurs, la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) a ainsi précisé dans sa contribution écrite qu'il « conviendrait de conserver la détermination d'une majorité non dépendante du ralliement des conseillers municipaux, afin de respecter le principe constitutionnel susmentionné d'absence de tutelle entre les collectivités (5 e alinéa de l'article 72 de la Constitution) », sauf à procéder à une nouvelle modification du statut de la métropole de Lyon.

Au surplus, une telle solution aurait pour inconvénient majeur de créer des risques de carence de la collectivité territoriale alors régie par un double collège dans la prise de décisions urgentes ou obligatoires en application de la loi . En effet, un tel système comporte de façon inhérente des risques de blocages et d'allongement des délais de la prise de décision , susceptibles d'empêcher l'adoption de délibérations pourtant nécessaires.

Par ailleurs, à l'heure où l'identification des conseillers métropolitains pose difficulté, une telle solution reviendrait à rendre difficilement lisible l'organisation métropolitaine : elle les placerait en concurrence directe avec les maires ou élus municipaux, sûrement mieux identifiés.

Aussi, une assemblée composée majoritairement d'élus au suffrage universel et pour une part minoritaire de représentants des communes poserait sans doute des problèmes constitutionnels, mais aussi des problèmes pratiques. En effet, pour respecter ce principe d'égalité, la part « communale » devrait être relativement importante et, par voie de conséquence, la part élue au suffrage universel devrait l'être davantage, ce qui conduirait à une assemblée pléthorique.

Pour toutes ces raisons, selon les membres de la mission, une telle solution reviendrait donc à complexifier à l'excès le mode électoral et à organiser institutionnellement la concurrence des légitimités plutôt qu'à la dépasser. Elle doit donc être écartée .

2. Certains choix du législateur doivent être interrogés afin d'adapter le régime électoral aux spécificités de la collectivité

À l'issue de leurs travaux, les membres de la mission ont abouti à la conclusion qu'il était primordial d'adapter, à nouveau, le régime électoral de cette collectivité à ses spécificités, à savoir l'exercice de deux types de compétences par des conseillers métropolitains élus au suffrage universel direct.

Proposition n° 1 : Adapter le régime électoral aux spécificités de la collectivité

Tout en conservant un scrutin universel direct, les membres de la mission proposent, pour ce faire, quatre axes de réforme.

a) Dissocier, dès le prochain renouvellement, les élections métropolitaines des élections municipales

En premier lieu, il convient de dissocier le déroulement des deux scrutins, afin que se déroule pour les élections métropolitaines une campagne dédiée aux enjeux métropolitains .

Comme évoqué supra , l'analyse des élections municipales et métropolitaines ont mis en lumière les difficultés d'émergence d'une véritable campagne métropolitaine centrée sur l'affrontement de projets quant à l'exercice des compétences dévolues à cette seule collectivité . Un tel état de fait résulte de la conjonction de deux facteurs :

- la crise de l'épidémie de covid-19, dans laquelle se sont déroulées les élections métropolitaines, n'a pas facilité l'identification des enjeux métropolitains ;

- la concomitance des élections métropolitaines et municipales a rendu peu visible les premières. Ainsi, selon la DMAT, « les communes dont les élections municipales ont été acquises au premier tour ont fait état d'un taux de participation très bas lors du second tour des élections métropolitaines », ce qui implique que les électeurs ne se sont pas déplacés spécifiquement pour les élections métropolitaines lorsque l'élection municipale était acquise.

Dans ces conditions, les membres de la mission d'information constatent qu'un alignement du calendrier électoral métropolitain sur le calendrier départemental - et donc régional - paraît nécessaire : la métropole dispose de compétences départementales et il semblerait plus compréhensible pour les électeurs métropolitains de voter pour les enjeux relatifs aux compétences de solidarité au même moment que leurs concitoyens du Nouveau Rhône.

Compte tenu de la nécessité de favoriser rapidement l'émergence d'une campagne métropolitaine et de poursuivre l'enracinement de cette collectivité , il conviendrait dès lors, selon les membres de la mission, de prolonger le mandat des actuels conseillers métropolitains jusqu'au prochain renouvellement des conseils départementaux, soit mars 2028, par modification législative afin de procéder à une telle réforme 211 ( * ) .

Sous-proposition n° 1 : dissocier les élections métropolitaines des élections municipales en les alignant sur le calendrier des élections départementales

b) Une clarification nécessaire du régime électoral
(1) Deux options polaires

Les membres de la mission constatent que l'alignement du calendrier des élections métropolitaines sur les élections départementales et régionales laisse envisager deux options polaires vers lesquelles le régime électoral de la métropole de Lyon pourrait évoluer :

- la création d'un scrutin départemental à l'échelle de la métropole, qui présenterait l'avantage de clarifier le caractère départemental de la collectivité, mais pourrait rendre plus difficile la constitution d'une majorité bien définie pour exercer ses prérogatives ;

- un alignement partiel sur le scrutin régional avec la création d'une circonscription électorale unique, qui aurait l'intérêt de favoriser l'identification des conseillers métropolitains et de dissocier partiellement les légitimités municipale et métropolitaine.

Dans la première branche de cette alternative, le territoire de la métropole de Lyon serait divisé en cantons, sur le périmètre duquel des binômes paritaires de candidats seraient élus au scrutin binominal majoritaire . Préalablement à la création de la métropole de Lyon, la communauté urbaine de Lyon comptait sur son territoire 31 cantons. À supposer qu'ils soient restaurés en l'état, la taille du conseil de métropole serait très significativement affectée, puisqu'elle serait alors réduite à 62 membres. À l'inverse, conserver la taille actuelle du conseil de métropole impliquerait une division du territoire de la métropole en 75 cantons.

Une telle hypothèse présenterait l'indéniable avantage d'ancrer le caractère départemental de la métropole de Lyon dans l'esprit des citoyens comme des élus locaux . Elle nécessiterait néanmoins une consultation élargie des actuels conseillers métropolitains et des groupes politiques la composant avant d'être menée à bien, puisqu'elle reviendrait à abandonner le mode de scrutin proportionnel actuel.

Peu évoquée par les élus locaux rencontrés par la mission, une telle hypothèse ne semble pas nécessairement à même de recueillir un consensus parmi ceux-ci. En conséquence, les membres de la mission ont privilégié l'étude de la seconde branche de l'alternative : un alignement, y compris partiel, sur le régime régional.

(2) Un alignement sur le scrutin régional mieux à même de faire consensus

S'il était fait le choix d'un alignement progressif sur le scrutin régional, les membres de la mission constatent qu'il offrirait de meilleures garanties de stabilité - le mode de scrutin demeurant pour l'essentiel identique - tout en semblant mieux répondre aux difficultés posées par le mode de scrutin actuel de la métropole et ne présenterait qu'un risque faible de déstabilisation de la métropole.

(a) Dans l'immédiat, améliorer le caractère démocratique de la gouvernance en tempérant le fait majoritaire

À l'heure actuelle, la liste ayant recueilli, soit la majorité absolue dès le premier tour, soit la majorité relative des suffrages au second tour, se voit attribuer la moitié des sièges ; l'autre moitié des sièges est par la suite répartie entre les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne 212 ( * ) . La prime majoritaire est donc alignée sur celle prévue pour l'élection des conseillers municipaux dans les communes de 1 000 habitants et plus.

Un tel dispositif semble problématique dans le cas de la métropole de Lyon, en ce qu'il peut conduire à la constitution d'une « majorité extrêmement large » 213 ( * ) . De fait, la majorité métropolitaine comporte 84 sièges, dont 58 pour les seuls élus écologistes. Une prime majoritaire ne favorise donc pas la recherche de compromis et ouvre la voie à une gouvernance d'autant plus verticale qu'elle n'a pas besoin d'appui de groupes d'opposition pour conduire certains projets.

Néanmoins, les membres de la mission souhaitent le réaffirmer : l'existence d'une prime majoritaire est nécessaire pour favoriser la constitution d'une majorité et éviter d'éventuelles difficultés de gouvernance .

Dans ces conditions, les membres de la mission proposent un abaissement de la prime majoritaire au quart des sièges à pourvoir, arrondi à l'entier supérieur . Sans empêcher la constitution de majorités robustes au sein du conseil métropolitain, une telle évolution semble à même de permettre la constitution de majorités de compromis, plus conformes à l'esprit intercommunal qui a historiquement présidé aux destinées de l'agglomération lyonnaise .

Sous-proposition n° 2 : aligner la prime majoritaire sur celle ayant cours pour le scrutin régional

Incidemment, une telle évolution rapprocherait le régime électoral de la métropole de celui des régions . Dans le cas où le passage à une circonscription unique serait entériné (voir infra ), il formerait donc un tout cohérent et améliorerait la lisibilité du mode de scrutin de la métropole, qui deviendrait clairement d'inspiration régionale. Néanmoins, une telle évolution pourrait également être conduite en préservant la carte actuelle des circonscriptions. Il reviendrait alors au législateur de préciser à quelle échelle une telle prime majoritaire serait appréciée : soit à l'échelle des circonscriptions ; soit à l'échelle du territoire de la métropole ; soit à l'échelle de ces deux territoires, selon une répartition de la prime à définir.

(b) Envisager le passage à une circonscription unique

Une dernière piste d'évolution, régulièrement évoquée devant les membres de la mission, réside en la création d'une circonscription unique .

Dans ce cas, le régime électoral de la métropole de Lyon, inspiré de celui des communes de plus de 1 000 habitants, serait aligné sur celui des conseillers régionaux , qui sont déjà élus au scrutin de liste à deux tours sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation 214 ( * ) , soit le même mode de scrutin que celui applicable à la métropole de Lyon 215 ( * ) .

Bruno Bernard, président du conseil de la métropole de Lyon a ainsi indiqué voir d'un oeil bienveillant la possibilité d'évoluer à terme vers un scrutin de type régional, tout en précisant que pour l'heure la stabilité devait demeurer prédominante ; à l'inverse, David Kimelfeld, conseiller métropolitain et membre du groupe Progressistes et républicains, s'est dit défavorable à une telle évolution dans l'immédiat, lors de son audition par les rapporteurs.

Les membres de la mission estiment que le passage à une circonscription unique permettrait d'améliorer la lisibilité des structures territoriales pour les citoyens et de dissocier les légitimités municipale et métropolitaine : détenteurs d'un mandat ayant vocation à être exercé à l'échelle de la métropole et non de leur circonscription, les conseillers métropolitains seraient investis d'une légitimité métropolitaine, distincte de la légitimité locale des maires. Au surplus, dans le cas où un défaut de territorialisation de l'action des conseillers métropolitains était constaté, l'élection pourrait être fondée sur des sections au sein de la circonscription unique, sur le modèle régional . Pertinente à l'échelle de territoires régionaux particulièrement étendus, une telle division en sections ne trouverait néanmoins pas nécessairement à se justifier dans le cas d'une métropole dont le territoire est nettement plus circonscrit.

Une telle hypothèse reviendrait à écarter le plein alignement du régime électoral de la métropole de Lyon sur celui applicable aux départements .

Sous-proposition n° 3 : envisager le passage à une circonscription unique

c) Favoriser l'identification comme tels des conseillers du département-métropole

Enfin, au-delà des nécessaires ajustements du régime électoral, il convient, aux yeux des membres de la mission, de favoriser l'identification des conseillers métropolitains . Comme l'a indiqué la DMAT dans sa contribution écrite transmise aux rapporteurs, « la figure du conseiller métropolitain souffre d'un manque de notoriété . »

C'est pourquoi, outre la dissociation calendaire proposée, les membres de la mission estiment qu'une réflexion plus générale gagnerait à s'engager sur les voies et moyens permettant de favoriser l'identification par les citoyens des conseillers métropolitains .

Plusieurs pistes ont été évoquées devant les membres de la mission. La proposition, évoquée par David Kimelfeld, mais également par le député de la 1 ère circonscription du Rhône Thomas Rudigoz, devant les membres de la mission, destinée à permettre aux conseillers métropolitains d'assurer des permanences au sein des maisons de la métropole , gagnerait ainsi à être explorée.

Claire Peigné, présidente de l'association départementale des maires du Rhône, a par ailleurs estimé nécessaire que de telles permanences puissent avoir lieu dans les mairies, les maisons de la métropole n'étant pas présentes dans l'ensemble des communes .

En tout état de cause, si de telles initiatives locales tendent à se développer, les membres de la mission ne peuvent que souhaiter leur approfondissement et leur systématisation tant il apparaît nécessaire et urgent de favoriser l'identification par les citoyens des conseillers métropolitains .

Sous-proposition n° 4 : favoriser l'identification par les citoyens des conseillers métropolitains


* 210 « Rallier les citoyens, relier les territoires : le rôle incontournable des départements », rapport n° 706 (2019-2020) précité, p. 140.

* 211 Sur le modèle de l'article 33 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « MAPTAM ».

* 212 Articles L. 224-4 et L. 224-5 du code électoral.

* 213 Selon les mots employés par la DMAT lors de son audition.

* 214 Article L. 338 du code électoral.

* 215 Article L. 224-2 du même code.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page