COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

A. AUDITION DE M. ÉRIC DANON, AMBASSADEUR DE FRANCE EN ISRAËL (9 FÉVRIER 2022)

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition en visioconférence. Nous avons souhaité cet échange pour préparer le déplacement d'une délégation en Israël et dans les territoires palestiniens, visite importante que nous reportions depuis plusieurs années en raison de la succession d'élections en Israël d'abord, puis pour cause de covid. Nous allons enfin pouvoir mener cette mission prochainement.

Depuis notre dernière réunion en juin 2020, le chaud et le froid n'ont cessé de souffler dans une région qui n'a probablement jamais connu une telle instabilité depuis 1948 : le conflit israélo-palestinien a connu une crise aussi imprévisible que violente en mai 2021. Nous avons été particulièrement surpris de la puissance de feu engagée par le Hamas, tout comme nous avons été impressionnés par la technologie de défense du bouclier antiaérien de l'armée israélienne. Vous nous direz quelles tensions subsistent de cet embrasement de la bande de Gaza au sein de la société israélienne, notamment dans les villes arabes et mixtes qui ont connu des affrontements interreligieux. Quelles traces l'issue de cette crise a-t-elle laissées sur la relation entre Israël et l'Autorité palestinienne d'une part et le Hamas d'autre part ?

Parmi les motifs d'espoir, la situation politique a radicalement changé en Israël, ouvrant la voie à une coalition aussi large qu'inédite avec, pour la première fois, la participation au gouvernement d'une formation composée de députés arabes israéliens. Mais l'équilibre politique constitué par Yaïr Lapid reste fragile, avec une majorité de seulement 61 députés sur 120. Le Gouvernement conduit par Naftali Bennett repose sur huit partis, ce qui peut être vu comme un signe de vitalité d'une démocratie parlementaire foisonnante, mais aussi comme un risque de divergences idéologiques, ce qui ne nous aide pas à analyser les orientations de ce gouvernement.

Nous aurons donc besoin de votre éclairage sur la situation politique et sur plusieurs signaux contradictoires venant du nouveau gouvernement israélien. Le chef de la majorité, Yaïr Lapid, soutient la solution à deux États, mais une large partie de la coalition reste hostile à la reprise du processus de paix. Dans ces conditions, comment progresser si ce sujet est une impasse politique ? Ensuite, la politique d'extension des colonies en Cisjordanie et sur le plateau du Golan annexé est-elle compatible avec le soutien ouvertement apporté à l'Autorité palestinienne par le gouvernement israélien ? Enfin, le climat de tension à Jérusalem, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza pourra-t-il s'apaiser tant qu'aucun choix stratégique n'aura été fait par le gouvernement actuel en faveur d'un processus de paix, qu'il s'agisse de la solution à deux États ou d'une autre proposition. Certains évoquent la solution d'un État fédéral avec des droits reconnus pour les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Un tel débat pourrait-il prospérer et serait-il audible dans le débat public israélien ?

La question israélo-palestinienne est un sujet qui reste prioritaire au Sénat, pour l'ensemble des groupes politiques. J'en veux pour preuve le débat que nous avons eu en décembre dernier sur la proposition de résolution présentée par notre collègue Pierre Laurent en faveur de la reconnaissance d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Afin de vous permettre de vous exprimer avec la plus grande liberté et la plus grande franchise, cette audition ne fait pas l'objet d'une captation vidéo.

Nous attachons une grande importance à cette prochaine visite. Notre délégation rassemblera au moins un membre de chaque groupe politique représenté au sein de notre commission. Notre présence sur place me semble indispensable, pour prendre la mesure de la situation, et savoir comment vous aider à faire vivre la relation franco-israélienne et franco-palestinienne.

M. Éric Danon, ambassadeur de France en Israël. - Je suis très heureux d'intervenir devant vous quelques jours avant votre déplacement en Israël, à Jérusalem et dans les Territoires palestiniens. Nos équipes et celles du consulat général à Jérusalem sont mobilisées.

Le Moyen-Orient a évolué : il n'a plus rien à voir avec celui d'il y a vingt-cinq ans, et il a encore changé récemment. Je mettrai en avant quelques événements. Les Américains sont moins intéressés qu'auparavant par la zone. Certes, ils ne vont pas en partir, mais ils s'impliquent moins. En raison de ce vide, les grandes puissances - la Turquie, la Russie, et même la Chine qui arrive lentement mais sûrement - rebattent les cartes. Israël a vécu une période de paix relative, sans guerre longue, ce qui a permis un développement économique considérable. Lentement, le pays est devenu une puissance régionale économique - avec un PIB supérieur à la somme de ceux de ses voisins - et militaire.

L'Iran est monté en puissance, avec une triple déstabilisation nucléaire, balistique et régionale. Il y a aussi une conjoncture nouvelle avec les accords d'Abraham, événement majeur de ces trois dernières années, qui a modifié l'image d'Israël dans les pays arabes et qui a eu une influence considérable sur les relations israélo-palestiniennes.

Quelle est la situation de la Palestine actuellement ? Les Palestiniens n'ont jamais été aussi faibles de leur histoire. C'est d'abord lié à des causes exogènes : les accords d'Abraham ont fait sauter le verrou de 2002 de la Ligue arabe qui estimait qu'il n'y aurait pas de normalisation tant que la question palestinienne ne serait pas réglée. Il y aussi des éléments endogènes : les élections reportées puis annulées et la montée en puissance du Hamas, qui accroît son influence en Cisjordanie en combattant Israël.

C'est une situation relativement nouvelle : Israël affiche désormais sa volonté de soutenir l'Autorité palestinienne, qui lui est préférable au Hamas.

La politique d'Israël par rapport à la Palestine est compliquée. La politique de Naftali Bennett est différente de celle de Benyamin Netanyahou. Sous Netanyahou, environ 2 000 nouveaux logements étaient construits chaque trimestre. L'écart de développement entre Israël et la Palestine devait rester le plus élevé possible pour maintenir le contrôle.

M. Bennett a une approche différente. il est dans une logique de développement économique de ces territoires pour que les populations aient une autre perspective, que l'affrontement violent vis-à-vis d'Israël. Il appelle l'Union européenne à accompagner les gestes initiés.

De nombreux membres du gouvernement ont rencontré leurs homologues palestiniens. La circulation des personnes est facilitée, des permis de travail et de construction sont octroyés aux Palestiniens et des échanges techniques se développent sur les questions financières et économiques.

En même temps, il reste des situations inacceptables : des colonies continuent d'être construites y compris aux abords de Jérusalem-Est, tendant à rompre la contiguïté avec les territoires palestiniens ; et l'impunité des violences commises par les colons perdure.

À long terme, il semble que plus personne n'aborde la question de la solution politique à ce conflit. M. Bennett estime que tant qu'il est là, il n'y aura pas d'État palestinien. Et même M. Lapid, s'il devient effectivement Premier ministre après l'alternance de 2023 a marqué ses réserves à y travailler La phrase fétiche, c'est « shrinking the conflict », réduire pas à pas le conflit à sa seule dimension socio-économique.

Le gouvernement israélien est hétéroclite, un peu improbable de l'aveu même de ses membres, et n'a été mis en place que pour faire tomber Benyamin Netanyahou. Il ne tient que par la crainte des élections. On compare souvent le régime parlementaire israélien à celui de la IVe République, mais il y a une différence majeure : les gouvernements de la IIIe et de la IVe République tombaient, car il y avait une possibilité de dissolution de l'Assemblée qui n'a jamais été utilisée, sauf en 1877 et en 1955. En Israël, c'est le contraire : la menace de la dissolution par le gouvernement empêche la Knesset de le faire chuter. Le régime parlementaire est proche de celui de la IVe République, mais les gouvernements sont stables, ils tiennent trois à quatre ans - hormis durant ces deux dernières années.

L'actuel gouvernement est composé de représentants de partis très opposés. Pour prendre une image, c'est comme les pompiers qui tirent sur une toile pour sauver des gens sautant d'un immeuble, chacun tirant de son côté, à force égale : la toile ne bouge pas. Le budget et les lois sont votés.

Il y a pour la première fois un parti arabe au gouvernement, qui choisit de se concentrer sur le développement des villes et villages arabes, qui était très limité durant ces huit dernières années. Dans les villes arabes et « mixtes », les violences entre communautés lors de l'escalade israélo-palestinienne de mai 2021 ont laissé des traces. La relation franco-israélienne est bonne, mais elle reste difficile politiquement, et sensible. Cela se passe très bien au travers du soft power, avec la coopération culturelle, scientifique et technique. Il existe une importante communauté française et franco-israélienne, et il y a une grande demande de culture française. La partie consulaire se passe bien. Les Français et les Franco-israéliens ont redécouvert la France durant le covid, lorsqu'ils avaient besoin d'une carte d'identité ou d'un passeport français pour s'y rendre. Nous avons eu une augmentation de 25 % des inscrits au consulat en 2021. Il y a eu aussi une dimension sociale avec la crise économique. Nous avons dû aider nos concitoyens : ces deux dernières années, 95 % des aides sociales ont été accordées à des gens qui n'étaient auparavant pas inscrits au consulat. Nous avons modifié les relations entre les autorités françaises - ambassade, consulat, Institut français et Business France - et les populations israélienne et franco-israélienne. Il y a eu la visite du Président de la République, et le président Isaac Herzog se rendra en France dans les prochaines semaines.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour cet éclairage novateur sur le volet institutionnel. Comment l'ambassade de France défend-elle une solution à deux États dans cette situation ?

M. François Bonneau. - C'est un plaisir de vous entendre. Après un premier scandale à l'été 2021, un deuxième a éclaté en janvier 2022 concernant le logiciel Pegasus de NSO Group, qui a espionné des dizaines de personnalités israéliennes : hommes politiques, hommes d'affaires, juristes... De nouvelles révélations sur des personnalités françaises sont-elles à attendre ? Quelles sont les conséquences de cette affaire sur la démocratie israélienne ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Je voulais poser la même question.

M. Jacques Le Nay. - La normalisation des relations entre Israël et les pays musulmans se poursuit durablement. Ce tournant géopolitique va-t-il accroître l'isolement iranien sur la scène régionale ? Benny Gantz a rencontré Mahmoud Abbas fin décembre. Quel sens donner à cette rencontre alors que le Premier ministre Naftali Bennett refuse le dialogue avec les autorités palestiniennes ? Avez-vous observé des changements d'attitude d'autres pays depuis le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem ?

M. Joël Guerriau. - Merci pour vous propos très clairs. Les Émirats arabes unis ont un différend avec Israël sur la sécurité aérienne. Quelles sont les relations d'Israël avec les États arabes, et en particulier avec la Turquie ?

L'Iran et les États-Unis négocient sur l'accord nucléaire, ce qui choque Israël. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Emmanuel Macron veut remettre à zéro le compteur des relations entre Israël et la France. Qu'est-ce que cela signifie ; un changement de notre position pour une solution à deux États ou un seul État ?

Mme Gisèle Jourda. - Israël a été admis comme observateur au sommet de l'Union africaine. L'accréditation a évité un vote qui aurait pu provoquer une scission sans précédent au sein de l'Union africaine qui fête ses vingt ans.

À la lumière de l'accord sécuritaire « Mémorandum d'entente en matière de défense » entre le Maroc et Israël aux lourdes de conséquences régionales, notamment entre le Maroc et l'Algérie, quels sont les contours des relations diplomatiques entre Israël et les pays africains ? Comment la France se positionne-t-elle par rapport à ces évolutions ?

M. Éric Danon. - Nous en découvrons chaque jour davantage avec Pegasus. Lorsqu'il s'agissait d'événements extérieurs à Israël, on estimait que la société pouvait vendre le logiciel après passage devant une commission d'autorisation, ces logiciels étant considérés comme des armes. Désormais, l'affaire vire au scandale en raison d'une utilisation interne au pays, y compris avec un impact potentiel sur les procès de M. Netanyahou, dans l'hypothèse où certains opposants auraient été écoutés.. Ensuite, en matière de data, les Israéliens nous interrogent sur nos pratiques. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) les intéresse beaucoup. Ils veulent travailler à une régulation internationale de la vente de ces logiciels. Pour l'instant, c'est embryonnaire. Cela débouchera peut-être sur une convention internationale ou une annexe au traité sur le commerce des armes. Nous ne sommes qu'au début du scandale.

Concernant l'Iran, les accords d'Abraham modifient l'équation régionale. Il n'y aurait probablement pas eu ces accords si l'Iran n'avait pas été si agressif envers Israël et plusieurs pays sunnites, en particulier dans le Golfe. Comme l'Iran veut étendre son influence sur la région, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, plusieurs pays sunnites ont en partage une perception d'une menace accrue de la part de leur ennemi commun : l'Iran.

Les accords d'Abraham et la reprise des relations israélo-marocaines ont clivé le monde sunnite. L'arbitre des élégances restera l'Arabie saoudite où l'on sait que plusieurs lignes coexistent au sein des cercles dirigeants avec une rupture générationnelle entre ceux, les plus anciens, qui continuent de défendre la position saoudienne traditionnelle sur la question palestinienne, et d'autres qui se montrent plus ouverts à un rapprochement avec Israël...

Les relations avec les États arabes s'améliorent de plus en plus. Chacun y trouve un avantage réciproque. Alors que les Émirats arabes unis, le Maroc et Bahreïn sont partis à fond de train avec l'ouverture de représentations diplomatiques, avec des relations commerciales... De très nombreux Israéliens sont allés voir l'exposition universelle à Dubaï, dans des avions d'El Al qui survolaient l'Arabie saoudite... C'était impensable il y a quatre ou cinq ans.

Le gouvernement Netanyahou était publiquement opposé aux accords sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, ou JCPoA). La sortie du JCPoA de Donald Trump pour mettre une pression maximale sur l'Iran - « maximum pressure », « squeeze Iran » - a été une erreur que l'administration Biden a voulu corriger. Les Israéliens se sont adaptés à cette réalité nouvelle en étant prêts à tolérer le retour à l'accord selon des modalités très dures sur l'ensemble des sujets sur lesquels l'Iran représente une menace : le nucléaire, le balistique et l'influence militaire régionale. Quelle qu'ait été la nature et les objectifs des discussions de Vienne, les Israéliens ne s'y sont jamais sentis liés et feront ce qu'ils veulent, même dans l'hypothèse d'un retour au JCPoA,s'ils estiment que leur sécurité est menacée.

L'Iran joue la montre et poursuit ses avancées préoccupantes en matière d'enrichissement nucléaire, se rapprochant du seuil. Les Israéliens ne croient pas aux accords de Vienne, mais ils n'ont pas plus confiance dans l'administration Biden. Les Israéliens s'inquiètent d'un « deal » au rabais que les Américains seraient pressés de signer pour pouvoir se concentrer sur d'autres thématiques plus brûlantes pour leurs intérêts, à commencer par le dossier chinois. Tel-Aviv n'a donc cessé de passer des messages clairs à Washington pour rappeler l'importance vitale du dossier pour Israël et pour évoquer avec l'administration Biden des scénarios alternatifs à ceux d'un accord, afin de préparer les conditions de la coopération entre les deux pays sur le dossier dans l'hypothèse d'un l'échec des négociations de Vienne.

Mme Jourda a évoqué le sommet de l'Union africaine (UA). Il y a évidemment une dynamique de rapprochement entre Israël et l'UA depuis 2020 ; je pense notamment aux accords avec le Soudan et le Maroc. D'ailleurs, Israël bénéficie d'un statut d'observateur depuis juillet 2021. L'Algérie et l'Afrique du Sud ont essayé de rompre cette dynamique lors du dernier sommet. Il n'y a pas eu de vote sur le statut d'observateur ; cela aurait sans doute exposé l'UA à une scission. Le sujet est trop sensible. Le dossier sera réexaminé au prochain sommet.. Je pense qu'il y aura un rapprochement, mais les tensions sont réelles.

M. Guillaume Gontard. - Le rapport relatif aux conditions de vie des Palestiniennes et des Palestiniens qu'Amnesty International a rendu la semaine dernière emploie des mots très forts en évoquant un « système d'apartheid » à l'encontre du peuple palestinien dans son ensemble. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) israéliennes et internationales partagent ce constat. La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes commis dans les territoires palestiniens. Un envoyé de l'ONU soulignait récemment l'urgence de réformes politiques et économiques. Comment ces rapports et enquêtes sont-ils perçus en Israël ?

Pouvez-vous nous détailler les actions entreprises par la France pour inverser la dynamique de domination d'Israël sur les populations palestiniennes ?

La nouvelle coalition politique en Israël, que vous avez qualifiée de centriste, semble sur la même ligne que l'ancienne s'agissant du processus de paix, avec un effacement de la question palestinienne. Pourtant, vous indiquez voir des éléments d'amélioration. Pourriez-vous nous en donner quelques exemples concrets ?

Mme Nicole Duranton. - Le Premier ministre israélien a récemment échangé avec Joe Biden, qui va se rendre en Israël ; il a d'ailleurs hâte d'y aller. Pensez-vous que cette visite puisse faire renaître une certaine confiance des Israéliens envers les États-Unis ?

M. Olivier Cadic. - Les accords d'Abraham ont été un game changer pour le développement de la paix dans la région. Nous prévoyons de faire une conférence au Sénat sur le sujet au début du mois de mai, afin d'analyser les effets de la dynamique engagée.

Selon vous, Israël, qui est devenu une puissance économique régionale, pourrait-il influencer positivement la situation au Liban, afin de contrebalancer l'action du Hezbollah, qui agit en proxy de l'Iran ?

Je connais votre engagement en faveur de la francophonie pour avoir participé à un événement à vos côtés. À cette occasion, j'avais appuyé votre démarche de soutien à l'adhésion d'Israël à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Où en sommes-nous à cet égard ?

Lors de mon déplacement en Israël, notre attaché de coopération éducative m'a permis de mesurer l'importance du chantier pour organiser et développer l'enseignement français et l'enseignement du français en Israël. Pourriez-vous faire un point sur les efforts que vous avez entrepris en la matière ?

M. Pascal Allizard. - La relation entre Israël et la Chine est une relation ancienne, historique, et parfois difficile. Néanmoins, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial d'Israël. Elle propose d'ailleurs sa médiation dans le conflit avec la Palestine. Tout cela crée des interférences fortes dans la relation entre Israël et les États-Unis.

Malgré les tensions entre Israël et l'Iran, ce dernier a une relation très positive avec la Chine, conformément à la politique arabe historique de cette dernière. Si nous comprenons bien la stratégie du lotus de la Chine, quelle est celle d'Israël ? Comment les choses évoluent-elles avec le nouveau gouvernement israélien ?

L'interdiction de la 5G de Huawei en Israël est-elle un pas tactique, une mesure de sécurité intérieure ou une concession faite aux États-Unis ?

M. Pierre Laurent. - Vous avez décrit ce qui semble être une forme d'enterrement de la solution à deux États, en soulignant les éléments qui vous conduisent à considérer qu'une telle perspective s'éloigne de jour en jour. Or si le clivage générationnel existe chez les Palestiniens, je ne suis pas sûr que la question nationale palestinienne ait disparu, y compris au sein des jeunes générations.

D'aucuns évoquent parfois, et vous-même avez utilisé cette expression, la solution à un État. Mais de quoi s'agit-il concrètement ? Car personne ne définit cette solution à un État. Si vous discutez avec des Palestiniens qui envisagent cette hypothèse, ils insisteront sur l'absence d'égalité des droits. Et j'imagine que la réponse de M. Bennett serait la même que pour la solution à deux États : la terre est juive et l'État est juif. Dès lors, les Palestiniens qui vivraient dans cet État ne pourraient pas être des citoyens de plein droit. En réalité, la solution à un État n'est pas une solution : c'est plutôt un problème si la perspective est l'égalité pleine et entière des droits. Renoncer aujourd'hui à la solution à deux États, même si elle est peut-être difficile à mettre en oeuvre, n'est-ce pas voir demain apparaître de nouveaux problèmes ?

Parmi les signaux contradictoires, vous avez fait référence à la position ambiguë du Premier ministre. D'un côté, il invoque le développement des territoires. De l'autre, il laisse la violence des colons impunie. Ne risque-t-on pas d'ouvrir la voie à une coopération économique française ou européenne dans les territoires occupés alors que c'est aujourd'hui théoriquement réprouvé par le droit international ?

M. Hugues Saury. - Le 8 juin 2014, la Commission européenne entérinait la participation de l'État hébreu au programme scientifique Horizon 2020. Des actions ambitieuses en matière de santé publique et de lutte contre le changement climatique ont été ainsi développées avec succès. Le 6 décembre dernier, un nouvel accord a été trouvé pour que Jérusalem rejoigne le programme Horizon Europe, en vertu duquel près de 100 milliards d'euros seront consacrés à la recherche et à l'innovation de l'Union européenne sur la période 2021-2027.

Alors que les atouts d'Israël sont reconnus par l'ensemble de nos voisins européens, la France parvient-elle à tirer profit d'un tel partenariat ? La prudence diplomatique de notre pays face à la politique territoriale israélienne ne nous empêche-t-elle pas de bénéficier pleinement de l'excellence d'Israël en matière de développement technologique ?

M. Éric Danon. - M. Gontard a évoqué le rapport d'Amnesty International et l'effacement - en fait, il s'agit plutôt d'une perte de centralité - de la question israélo-palestinienne dans les débats. Le rapport d'Amnesty a été considéré comme outrancier par les autorités israéliennes Ici, lorsque vous parlez d'« apartheid », les gens ferment les écoutilles ; même ceux qui ne contestent pas les discriminations. Les États-Unis et l'Allemagne l'ont catégoriquement rejeté, et le Royaume-Uni a suivi. La position de la France sur le sujet étant bien connue, notre pays n'a pas à commenter les rapports des ONG.

Je n'ai pas dit que la solution à deux États était enterrée ou que la question nationale aurait disparu. Simplement, que sa dimension politique n'est plus centrale dans les débats.

Comme je l'évoquais, il y a des gestes socio-économiques (y compris par exemple par des prêts israéliens de. 600 millions de shekels, soit environ 150 millions d'euros, à l'Autorité palestinienne). Pour Israël, la question centrale est de contenir la poussée du Hamas et du Jihad islamique palestinien.

Joe Biden va effectivement essayer de renouer une relation plus classique avec Israël. Je ne suis pas sûr que cela marche, car il apparaît très faible ici. Les Iraniens considèrent que les Américains se détournent des sujets du Moyen-Orient, et le retrait d'Afghanistan n'a pas amélioré l'image des États-Unis auprès des populations du de la région. Naftali Bennett ne veut pas d'un retour à la relation qui était en vigueur à l'époque de Barack Obama.

La conférence du Sénat au mois de mai sur les accords d'Abraham sera importante. Je me réjouis qu'elle se tienne.

Israël a proposé de l'aide, y compris humanitaire, et de l'eau au Liban. Pour l'instant, les Libanais ont refusé. Je vous rappelle que les deux pays se considèrent en guerre. . Israël refuse d'investir les mécanismes multilatéraux d'aide, de par son refus traditionnel d'internationaliser quoi que ce soit des conflits avec ses voisins. Les Israéliens mettent en avant leur rôle de dissuasion par rapport au Hezbollah, auquel ils font régulièrement passer le message qu'ils savent parfaitement où se trouve Nasrallah et qu'ils pourraient envoyer un tapis de bombes sur Beyrouth en cas de provocations militaires très fortes de la part de l'Iran.

Israël devrait faire partie de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Il y a environ un million de vrais francophones. Mais les statuts de l'OIF prévoient qu'il faut l'unanimité pour accueillir un nouveau membre. Or le Liban fait blocage. Et quand bien même le Liban lâcherait prise, l'Algérie se tient en embuscade pour faire blocage à sa place.. C'est évidemment une décision politiquement très sensible. En attendant, Israël travaille de différentes manières sur la francophonie ; je considère qu'il a sa place au sein de l'OIF. Aujourd'hui, 25 % des parlementaires de la Knesset sont francophones.

La relation entre Israël et la Chine est forte et ancienne. Et le modèle des start-up israéliennes est complètement différent de celui des start-up françaises. En Israël, le rêve des entrepreneurs, c'est de vendre à l'étranger. Cela intéresse énormément la Chine, qui y fait son marché. Mais les Américains s'y opposent, car certaines ventes d'Israël à la Chine portent sur des éléments extrêmement sensibles, y compris d'un point de vue militaire, pour les États-Unis. C'est une source de tensions avec Israël, y compris à l'époque où Donald Trump et Benyamin Netanyahou étaient simultanément au pouvoir.

En dépit des questions politiques et de la clause territoriale, Israël est un marché très porteur pour les entreprises françaises, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l'énergie et des nouvelles technologies. Au cours des six derniers mois, nous avons gagné un certain nombre de contrats, certes à bas bruit, afin d'éviter de déclencher l'ire de plusieurs groupes sur internet. Les contrats remportés concernent la coordination des lignes du métro de Tel-Aviv, la plus grande centrale solaire d'Israël. Nous avons également une coopération spatiale. Le fait qu'Israël ait été admis au titre de pays associé dans le cadre d'Horizon Europe et fondamental pour lui et pour nous. Contrairement au Royaume-Uni ou à la Suisse, Israël a réussi son examen de passage, ce qui est intéressant pour le spatial, la coopération universitaire ou les grands programmes d'ordinateur quantique. J'en viens à la question la plus politique. Même si les ambassadeurs ne sont jamais censés donner leur opinion personnelle, je vous fais part de ma conviction profonde. Je suis profondément pour la solution à deux États. Mais je constate que celle-ci ne marche pas avec la méthode et les paramètres qui sont utilisés aujourd'hui. Alors que le Moyen-Orient a profondément changé au cours des vingt-cinq dernières années, nous en sommes restés aux paramètres de 1967 mâtinés par les accords d'Oslo. À titre strictement personnel, je pense que ce ne sont plus les bons paramètres.

Si les Occidentaux, qui n'ont pourtant de cesse de se prononcer en faveur de la solution à deux États, ne reconnaissent pas l'État palestinien, c'est tout simplement qu'ils savent - les Palestiniens l'ont également intégré - qu'un tel État n'aurait ni armée, ni contrôle du ciel, ni contrôle de l'immigration, ni contrôle de la monnaie... Si nous attendons que toutes les conditions de la pleine souveraineté d'un État palestinien soient réunies, nous risquons de ne pas le voir de notre vivant. Mais je pense sincèrement qu'il y a d'autres moyens d'arriver au résultat par des voies différentes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, qui parmi vous pense que la solution à deux États va être mise en oeuvre à échéance raisonnable dans les paramètres de 1967 ? Qui pense qu'il puisse y avoir une autre capitale pour Israël que Jérusalem ?

Bien entendu, tout cela relève d'une décision politique. Ce n'est pas l'ambassadeur qui va faire bouger les choses. Mon rôle est de décrire les évolutions qui sont intervenues depuis que les paramètres de 1967 ont été définis. C'est ensuite au politique d'agir.

M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, vous ne faites qu'aiguiser notre envie de venir en Israël dans le cadre de notre mission tant vos réponses ont été précises et passionnantes. Je vous remercie de votre sincérité et du respect que vous portez au Parlement.

Vous nous apportez des éléments de réflexion. J'adhère tout à fait à votre position selon laquelle c'est au politique, à l'échelle nationale comme à l'échelle européenne, de faire bouger les lignes.

Vous le savez, notre commission est compétente sur les questions relatives aux affaires étrangères, mais également à la défense. Nous serons très demandeurs de contacts avec des responsables militaires pour évoquer la coopération en matière de défense entre la France et Israël.

Nous sommes convaincus de l'importance de dialoguer et de se voir en face à face pour pouvoir échanger. Nous avons la volonté de vous aider et d'apporter notre modeste contribution à la présence française au Moyen-Orient.