Rapport d'information n° 442 (2022-2023) de Mme Christine LAVARDE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 mars 2023

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N° 442

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mars 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l' enquête de la Cour des comptes , transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l' adaptation des centrales nucléaires aux conséquences du changement climatique ,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, au titre de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001, d'une enquête relative à l'adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique.

Le rapport de la Cour des comptes porte sur les conséquences du changement climatique sur l'exploitation du parc nucléaire existant et à venir, ainsi que sur les coûts et les difficultés techniques rencontrées lors de la mise en oeuvre des dispositifs d'adaptation.

Pour donner suite à la remise de cette enquête, la commission a organisé le 21 mars 2023, une audition réunissant des magistrats de la Cour des comptes ainsi que M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction production nucléaire et thermique de l'entreprise Électricité de France (EDF).

Dans le prolongement des travaux de la Cour, le rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », Christine Lavarde, a mené des auditions complémentaires des acteurs du nucléaire. Ces auditions ont donné lieu au rapport d'information suivant, qui élargit notamment le sujet à la dimension systémique de l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.

I. IL FAUT ASSURER NON SEULEMENT L'ADAPTATION, MAIS AUSSI « L'ADAPTABILITÉ » DU PARC NUCLÉAIRE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

La prise en compte des conséquences du changement climatique dans le contrôle de la sûreté du parc nucléaire date du début des années 1990, au moment de la sortie du premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) .

Bien entendu, des mesures de protection face aux agressions météorologiques (tempêtes, inondations, canicules, etc .), qui sont utiles dans la perspective du changement climatique, étaient déjà mises en oeuvre pour des raisons de sûreté . Par exemple, en 1984, le service central de la sûreté des installations nucléaires avait publié une règle fondamentale de Sûreté (RFS 1.2-e) nommée « Prise en compte du risque d'inondation d'origine externe ».

Le changement climatique a néanmoins conduit à renforcer les mesures de protection face aux agressions météorologiques, et à davantage prendre en compte des phénomènes à évolution lente, comme l'élévation des températures et du niveau de la mer, qui étaient jusqu'alors moins traités . À ce titre, « la canicule de l'été 2003 a joué le rôle d'accélérateur dans la compréhension des risques physiques des changements climatiques et les actions d'adaptation aux enjeux de sûreté et de production nucléaire au sein d'EDF . » 1 ( * ) .

À cet égard, à mesure que les connaissances sur le changement climatique évolueront et deviendront plus précises, il sera nécessaire de mettre en place de nouveaux dispositifs d'adaptation. Pour cette raison, il convient de ne pas se placer seulement dans une logique « d'adaptation », mais aussi « d'adaptabilité » du parc nucléaire français au changement climatique .

A. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE A CONDUIT À UNE ADAPTATION DES DISPOSITIFS DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

1. Les protections contre les événements météorologiques extrêmes ont été renforcées à la suite de l'accident de Fukushima

Les événements climatiques comme les inondations, les tempêtes et les tornades, qui sont dits à « cinétique rapide », sont parmi ceux dont il est le plus difficile d'avoir des projections fiables au-delà d'une dizaine d'années. EDF considère qu'ils relèvent des « aléas dont aucune tendance d'évolution ne peut être identifiée pour notre territoire » 2 ( * ) .

Typologie des agressions liées au climat

Les agressions liées au climat sont réparties en 4 familles en fonction de leur sensibilité par rapport au changement climatique :

- famille 1 - les aléas climatiques dont l'évolution est certaine et peut être projetée (consensus de la communauté scientifique). Ce sont à ce jour les températures chaudes (air et eau) et le niveau marin ;

- famille 2 - les aléas climatiques dont l'évolution est possible, mais dont les projections sont encore incertaines . Il s'agit à ce jour de la sécheresse (dont l'étiage, caractérisé par le niveau et le débit d'eau au niveau des centrales nucléaires) ;

- famille 3 - les aléas dont aucune tendance d'évolution ne peut être identifiée pour notre territoire . Il s'agit à ce jour des régimes de tempêtes, des fortes pluies, de la foudre, de la grêle, des débits exceptionnels des fleuves, du vent et des tornades ;

- famille 4 - les aléas dont l'évolution identifiée rend la situation actuelle conservative . Il s'agit à ce jour des températures froides (air et eau), du frasil et de la neige.

Source : EDF, réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Néanmoins, à une échelle globale, le GIEC déclare qu'il « existe une relation directe entre l'amplification de nombreux changements au sein du système climatique et l'augmentation du réchauffement planétaire. Il s'agit notamment de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des extrêmes chauds, des vagues de chaleur marines, des précipitations » 3 ( * ) . La prévention face aux événements extrêmes est donc incluse dans la réflexion sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.

Les normes de sûreté nucléaire relatives aux phénomènes extrêmes sont élaborées de la manière suivante : les phénomènes survenus dans le passé sur le territoire de l'exploitation sont pris comme référence, et les protections sont dimensionnées en prenant une marge de sécurité significative par rapport à cette référence . Par exemple, une centrale nucléaire doit être capable de résister à des événements comme les tsunamis, dont la probabilité qu'ils surviennent en France est considérée comme pratiquement nulle en l'état actuel des connaissances.

À cet égard, davantage que le changement climatique, l'accident de Fukushima avait fait office de « déclencheur », et avait conduit au renforcement des protections et des normes de sûreté dans les centrales françaises . L'ASN a ainsi indiqué au rapporteur spécial que la norme en matière de sûreté est désormais « un domaine de conception étendue, issu du retour d'expérience de l'accident de la centrale de Fukushima, prenant en compte des agressions externes naturelles d'une plus grande sévérité encore que celles déjà considérées dans le domaine de conception de référence » 4 ( * ) . Ces normes sont détaillées aux articles 3.4.1.1 et 3.4.6 du guide n° 22 de l'ASN relatif à la conception des réacteurs à eau sous pression. 5 ( * )

L'IRSN précise qu'« à la suite de l'accident de la centrale de Fukushima Daiichi en mars 2011, les évaluations complémentaires de sûreté ont conduit à renforcer la robustesse des installations nucléaires par la mise en oeuvre d'un « noyau dur » de dispositions permettant d'assurer les fonctions vitales des installations dans des situations de séisme, d'inondation ou de conditions climatiques extrêmes (vents extrêmes, foudre, grêle et tornade) susceptibles d'entraîner une perte totale et durable des alimentations en eau et en électricité des installations . » 6 ( * ) . À la centrale de Golfech par exemple, l'un des moteurs de secours est situé en hauteur, afin de prévenir contre tout risque de submersion de la centrale.

EDF a également indiqué qu'en complément des modifications dites « Noyau dur » réalisées à la suite de l'accident de Fukushima, une Force d'action rapide nucléaire (FARN) a été mise en place. La FARN est en capacité d'accéder sur un site en moins de 12 heures, et elle est prévue pour être autonome (en termes d'hébergement, de carburant et de nourriture) pendant 72 heures. D'après EDF, « la FARN s'entraîne régulièrement dans le cadre d'exercices réalistes. Certains d'entre eux sont réalisés dans le cadre d'exercices de crise nationaux de grande ampleur avec les pouvoirs publics . » 7 ( * ) .

Ainsi, les dernières projections du GIEC n'appellent pas à une « révolution » dans la façon dont sont conçus aujourd'hui les programmes de sûreté du nucléaire relativement aux agressions météorologiques violentes . À l'heure actuelle, la prévention des risques en matière nucléaire est déjà fondée sur des scénarios extrêmement défavorables, allant nettement au-delà des projections climatiques les plus pessimistes.

2. L'augmentation des températures et l'élévation du niveau de la mer font l'objet d'adaptations en fonction de l'évolution des connaissances

L'augmentation de la température et l'élévation du niveau des mers font l'objet de projections par scénarios, qui sont utilisées dans l'adaptation des centrales nucléaires face au changement climatique.

a) Les projections de l'élévation du niveau des mers sont intégrées dans les normes de sûreté nucléaire

Les normes de sûreté actuelles face à l'élévation des mers intègrent les effets du changement climatique à l'horizon 2100 , et doivent permettre de résister à des aléas extrêmes dont la probabilité de réalisation est d'une fois tous les 10 000 ans 8 ( * ) .

Des adaptations continuent néanmoins à être réalisées sur les sites les plus exposés . Ainsi, l'IRSN a indiqué au rapporteur spécial que sur les centrales du Blayais et de Gravelines, qui sont les sites côtiers les plus vulnérables à l'élévation du niveau des mers : « Les digues ont été rehaussées de manière à limiter ce risque. De plus, à la suite de l'inondation partielle du Blayais, une protection volumétrique permettant de limiter les entrées d'eau dans les galeries et locaux du site contenant des équipements importants pour la sûreté a été mise en oeuvre sur la plupart des sites. Des batardeaux sont mis en place en cas d'alerte . » 9 ( * ) EDF a par ailleurs engagé une thèse en partenariat avec le BRGM et le CEREMA pour étudier la résilience de l'ensemble du territoire du Dunkerquois face à la montée des eaux, où se trouve la centrale de Gravelines.

Concernant l'EPR de Flamanville, l'IRSN a indiqué au rapporteur que l'évolution du niveau de la mer sur les 60 ans à venir a été prise en compte lors de la conception initiale de la centrale pour déterminer le niveau de la plateforme, à partir des prévisions au début des années 2000.

Les centrales nucléaires en exploitation en France

Source : IRSN

b) La multiplication des épisodes de canicule n'avait pas été suffisamment anticipée lors de la conception des centrales

Après la canicule de 2003, un référentiel « grand chaud » a été défini, et les canicules ont été ajoutées à la liste des agressions externes d'origine naturelle. Depuis, l'impact de chaque canicule sur le fonctionnement des centrales a fait l'objet d'une étude. Par exemple, le retour d'expérience des canicules de l'été 2019 a fait l'objet d'un avis spécifique de l'IRSN (avis 2020-00010) et a conduit à mettre à jour les niveaux d'aléas qui servent de référence.

Une période de canicule peut conduire à ce que les températures à l'intérieur de la centrale soient trop élevées pour que les installations puissent fonctionner correctement, et à une dégradation accélérée des composantes de la centrale . L'IRSN souligne ainsi que « pour les équipements les plus importants, EDF peut être amené à arrêter le réacteur » 10 ( * ) . Le cas ne s'est jamais présenté jusqu'à présent, mais l'augmentation de la fréquence des canicules fait de ce scénario une véritable possibilité.

À ce sujet, l'IRSN a indiqué au rapporteur spécial que des mesures avaient déjà été prises : « EDF a déjà remplacé certains composants sensibles aux température élevées ou équipé les locaux qui les abritent de moyens de conditionnement thermique permettant de maintenir la température à un niveau compatible avec le fonctionnement normal des équipements . » 11 ( * ) . Plus précisément, des groupes froids sont installés à l'intérieur des centrales pour faciliter la régulation de la température .

B. LA DISPONIBILITÉ DES CENTRALES DANS LE CONTEXTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE N'EST PAS ENCORE TOTALEMENT ASSURÉE

L'enjeu du changement climatique ne doit pas s'apprécier seulement du point de vue de la sûreté nucléaire stricto sensu , c'est-à-dire de la prévention des accidents nucléaires, mais aussi de la disponibilité des centrales .

En effet, des événements climatiques peuvent conduire à la réduction de la puissance, voire à l'arrêt de centrales, soit parce que les conditions pour qu'elles puissent fonctionner avec toutes les garanties de sûreté ne sont pas remplies, soit parce qu'elles pourraient causer un risque à leur environnement proche, et en particulier à l'eau.

Cet enjeu de la disponibilité des centrales est majeur, dans la mesure où il touche à la souveraineté énergétique de la France . Au cours de l'été 2022, l'élévation des températures ou les niveaux d'étiage ou particulièrement les centrales de Golfech, Chooz, Bugey, Tricastin, Saint Alban et du Blayais. L'ASN a accordé une dérogation pour l'ensemble de ces sites, soit pour éviter l'arrêt des centrales, soit pour limiter les diminutions de puissance.

1. Le risque d'étiage doit faire l'objet d'investigations complémentaires

Les projections climatiques tendent à montrer que les sécheresses vont devenir de plus en plus fréquentes dans les décennies à venir. Une étude du BRGM de 2018, indique qu'une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050, une année sur deux entre 2050 et 2080, et deux années sur trois entre 2080 et 2100.

Toutefois, l'ASN a indiqué en audition qu'il existe peu d'études fiables sur l'évolution du débit des cours d'eau sur plusieurs décennies. En effet, le débit dépend de la pluviométrie, qui est difficilement prévisible sur le temps long. Le risque est néanmoins élevé et EDF considère ainsi l'évolution de l'étiage comme « défavorable » 12 ( * ) .

L'enjeu, d'un point de vue de la sûreté nucléaire, et de préserver une capacité de pompage d'eau minimale pour assurer le refroidissement. Jusqu'à présent, les fleuves n'ont jamais atteint des étiages amenant à avoir des craintes pour le fonctionnement des centrales , y compris lors de la sécheresse de 2003 et celle de l'été 2022, mais cette possibilité est intégrée dans les mesures de sûreté .

La situation d'étiage exceptionnelle a ainsi été prise en compte dès la conception des centrales . Par exemple, concernant la centrale nucléaire de Cattenom, un seuil hydraulique a été mis en place pour garantir un niveau d'eau minimum. En 2004 et en 2012, des scénarios complémentaires ont été intégrés dans la prévention du risque d'étiage afin de prendre en compte les risques de rupture de barrages.

Toutefois, l'IRSN considère que l'étiage fait partie des risques pour « lesquels l'état des connaissances évolue rapidement », et l'institut souligne dans ses avis « le besoin d'investigations complémentaires de la part d'EDF » (avis IRSN VD4900 2019-00019).

De plus, les mesures de rétention de l'eau face à la diminution du débit des fleuves peuvent conduire à des conflits portant sur l'usage de la ressource en eau .

2. Les normes relatives à l'impact des rejets des centrales sur le milieu naturel en période de forte chaleur doivent faire l'objet d'une révision

L'ensemble des enjeux environnementaux des centrales porte sur l'eau, et ils sont de trois ordres :

- les rejets d'effluents radioactifs liquides nécessitent un débit minimal du fleuve pour garantir leur dilution optimale , c'est-à-dire qu'ils ne soient plus présents en des quantités telles qu'ils auraient un impact sur l'environnement et la santé humaine. Bien entendu, les effluents radioactifs liquides ne sont jamais rejetés s'ils présentent un danger. Ainsi, il est possible de les entreposer en attendant que les conditions deviennent adéquates. Toutefois, « les épisodes de sécheresse récents (2019 et 2022) ont montré que les capacités d'entreposage dont dispose chaque centrale atteignent parfois leur limite de capacité » 13 ( * ) , ce qui peut conduire à l'arrêt de la centrale ;

- le réchauffement de l'eau et de l'air conduit au développement de micro-organismes pathogènes au niveau des tours aéroréfrigérantes , qui nécessitent des traitements biocides pouvant finir par aller dans le fleuve. Concernant ce point, l'ANS reconnaît qu'il s'agit d'un sujet préoccupant , et préconise : « qu'EDF développe des technologies qui préviennent le développement de ces microorganismes pathogènes ou mette au point des traitements biocides efficaces impliquant beaucoup moins de rejets chimiques dans l'environnement » 14 ( * ) ;

- enfin, les rejets de la centrale peuvent échauffer les cours d'eau, ce qui peut avoir des conséquences sur la biodiversité . Pour cette raison, les canicules de l'été 2022 ont failli conduire à l'arrêt de plusieurs centrales : « L'augmentation de la fréquence et de l'intensité des épisodes de sécheresse et de canicule est de nature à augmenter l'occurrence de situations d'arbitrage entre une nécessité publique de production d'électricité et la protection de la faune et de la flore des fleuves. » 15 ( * ) . Le seuil de référence de la température de l'eau en aval, c'est-à-dire après rejets de la centrale, à partir de laquelle il est considéré qu'elle présente un risque pour le milieu aquatique est de 28°.

Il faut cependant noter que les conséquences des rejets des centrales sur la température de l'eau diffèrent fortement selon le type de centrale considéré . Dans le cas des centrales à circuit « fermé », les tours aéroréfrigérantes permettent de limiter l'échauffement de l'eau à quelques dixièmes de degré .

En revanche, les centrales à circuits « ouverts » peuvent échauffer de manière significative les cours d'eau, ce qui a pu conduire à limiter leur puissance en période de fortes chaleurs. Les réacteurs concernés sont ceux de Tricastin, Saint-Alban et les réacteurs n° 2 et n° 3 de Bugey.

Centrales à circuit ouvert et centrales à circuit fermé

Les centrales nucléaires dîtes en « circuit fermé » possèdent une tour aéroréfrigérante, qui permet de refroidir l'eau qui a été réchauffée par le condenseur de la turbine. L'eau ainsi refroidie retourne ensuite vers le condensateur. On parle de circuit « fermé » car le refroidissement ne nécessite pas un passage par le fleuve. Une partie de l'eau s'évapore néanmoins au moment de son passage dans la tour aéroréfrigérante, et cette évaporation doit être compensée par un nouveau prélèvement dans le fleuve. L'eau rejetée n'a quasiment pas de conséquences sur l'échauffement du cours d'eau.

Les centrales nucléaires dîtes en « circuit ouvert » ne possèdent pas de tour aéroréfrigérante. Une fois que l'eau a traversé le condensateur de la turbine, elle est intégralement rejetée dans le fleuve. Ainsi, leurs rejets conduisent à une plus forte augmentation de la température des cours d'eau en comparaison des centrales en circuit fermé.

En France, la majorité des réacteurs sont en circuits fermés. On compte 8 réacteurs en circuit ouvert.

Source : commission des finances

Schéma d'une centrale nucléaire en circuit ouvert

Source : IRSN

Schéma d'une centrale nucléaire en circuit fermé

Source : IRSN

Pourtant, la limite de l'échauffement de l'eau est définie de manière absolue : si l'eau était déjà à 28° en amont de la centrale, même si l'influence des rejets sur la température de l'eau est minime, elle doit cesser sa production. Pour cette raison, la centrale de Golfech, qui est une centrale à circuit fermé, aurait dû s'arrêter durant l'été 2022, si l'ASN n'avait pas accordé une dérogation. Cette situation n'est pas satisfaisante ni du point de vue de la disponibilité des centrales, ni de celui de la protection de la biodiversité .

Le rapporteur spécial partage donc le constat de la Cour des comptes qui estime que « l'existence de seuils de températures pour les rejets des centrales est essentielle mais la fixation des valeurs est ancienne et mérite d'être interrogée ». Il est en particulier nécessaire de distinguer le cas des centrales à circuit fermé, où l'impact des rejets sur la température de l'eau est très faible, et celui des centrales à circuit ouvert, qui peuvent échauffer l'eau de plusieurs degrés .

La révision de ces normes devra également prendre en compte les dernières recherches menées sur les effets de la température de l'eau sur les êtres vivants aquatiques . L'ASN indique ainsi : « Un programme de recherche Thermie-Hydrobiologie a été mené entre 2016 et 2021 par plusieurs institutions scientifiques (dont notamment l'INRAE) et EDF au sujet du rapport entre la température des cours d'eau et les effets sur la biologie aquatique. Ce programme sera poursuivi sur la période 2023-2027 . » 16 ( * )

C. AU REGARD DE L'ÉVOLUTION CONTINUE DES CONNAISSANCES SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE, IL EST NÉCESSAIRE D'ASSURER NON SEULEMENT L'ADAPTATION MAIS AUSSI L'ADAPTABILITÉ DU PARC NUCLÉAIRE FRANÇAIS

1. Garantir l'adaptabilité du parc nucléaire au changement climatique suppose d'utiliser des dispositifs de protection flexibles

L'adaptation du parc nucléaire au changement climatique ne doit pas se faire uniquement en fonction des projections climatiques actuelles, mais également en gardant à l'esprit que d'anciennes projections deviendront obsolètes et des nouvelles données seront disponibles :

- certains événements climatiques extrêmes, comme des canicules d'une intensité et d'une durée plus importantes que celles de 2003 et 2022, qui sont aujourd'hui encore théoriques, vont vraisemblablement se réaliser dans les prochaines décennies. Certains dispositifs de protection vont ainsi se retrouver « confrontés à la pratique », et être amenés à évoluer ;

- il est possible que des phénomènes météorologiques encore mal connus et mal appréhendés adviennent dans le sillage du changement climatique.

La sûreté nucléaire impose ainsi l'exercice difficile de se prémunir contre « l'inconnu ». En cela, l'adaptabilité des dispositifs de sûreté nucléaire est un enjeu majeur : il ne suffit pas qu'il y ait une protection, il faut également qu'elle soit démontable et puisse être remplacée au cas où elle ne se révélerait pas adéquate pour faire face à un risque . L'ASN indique par exemple, en ce qui concerne les inondations, dans son guide n°13 « L'évolution de l'environnement de l'installation, notamment l'évolution climatique, peut amener l'exploitant à réévaluer les caractéristiques des situations d'inondation à considérer tout au long de la vie de son installation. Pour cette raison, il convient de privilégier des dispositions matérielles présentant des facilités d'adaptation ultérieure . » 17 ( * ) .

En d'autres termes, il convient non seulement de réfléchir à « l'adaptation » du parc nucléaire au changement climatique, mais aussi à son « adaptabilité ». L'adaptabilité signifie ici s'assurer que les acteurs français du nucléaire puissent réagir rapidement à l'évolution des connaissances et à l'intensification et apparition des phénomènes climatiques dangereux. Dans une véritable logique de prévention, il s'agit de rendre possible et de faciliter dès maintenant les adaptations futures . C'est dans cet esprit que le rapporteur spécial a examiné la question de l'adaptation du nouveau nucléaire au changement climatique dans la seconde partie de ce rapport.

2. Les capacités de recherche sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique doivent être assurées

Les programmes de recherche menés sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique sont donc fondamentaux . Un Comité d'orientation des recherches est ainsi rattaché à l'IRSN, et en octobre 2020, il a décidé de se saisir de la question des changements climatiques. L'objectif est « de s'interroger sur la manière dont les impacts de ces changements climatiques peuvent induire de nouveaux besoins de connaissances pour l'IRSN et au-delà de l'IRSN, pour l'évaluation et la maîtrise des risques radiologiques et nucléaires . » 18 ( * ) . Les recommandations du comité sont actuellement en cours de rédaction, et elles serviront à déterminer l'orientation des programmes de recherche de l'institut.

L'IRSN a également mis en place des partenariats avec des organismes comme Météo-France ou des instituts étrangers, afin de disposer des dernières connaissances sur la caractérisation des aléas naturels, et de participer au développement de la recherche sur ces sujets.

Partenariats de l'IRSN dans la recherche sur l'adaptation
du parc nucléaire au changement climatique

L'IRSN travaille depuis de nombreuses années sur la caractérisation des aléas naturels, essentiellement le séisme et l'inondation, en partenariat avec des organismes spécialisés dans ces domaines, par exemple le BRGM pour le séisme ou Météo-France pour les aléas météorologiques.

Avec la mise en place de nouveaux référentiels pour la prise en compte d'autres agressions d'origine naturelle, l'IRSN s'est organisé pour disposer des connaissances à l'état de l'art et développer des méthodes et des outils d'évaluation, dans le cadre de partenariats, notamment avec le milieu académique avec par exemple une thèse en cours avec Météo-France et le Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement.

L'IRSN a ainsi une activité de veille sur les scénarios possibles d'évolution du climat et ses impacts en termes de niveaux marins, de risque d'inondation, de températures, etc . Ces scénarios constituent des données d'entrée qu'il cherche à décliner à un niveau régional, en tenant compte des données historiques, pour statuer sur les risques au niveau des installations nucléaires. À titre d'exemple, l'IRSN s'est associé avec l'Université Gustave Eiffel et l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) du Québec pour poursuivre le développement d'une méthode plus précise d'évaluation du niveau marin au droit des centrales nucléaires françaises, en intégrant toutes les sources d'informations disponibles, qui corrige les biais d'anciennes approches. Ce type de méthode a été utilisé par l'IRSN dans le cadre de l'évaluation du niveau marin pris en compte par EDF pour les sites du Blayais et de Gravelines, sites vulnérables à une augmentation de ce niveau.

Source : réponses de l'IRSN au questionnaire du rapporteur spécial

Or, le maintien des capacités de recherche de l'IRSN représente l'angle mort du projet actuel de fusion entre l'ASN et l'IRSN. Quel que soit la suite de ce projet, il convient de garantir une capacité de recherche suffisante des acteurs du nucléaire français .

II. UNE NOUVELLE APPROCHE SYSTÉMIQUE À APPLIQUER AU PARC EXISTANT COMME AU « NOUVEAU NUCLÉAIRE »

A. LE BESOIN D'UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE PARTAGÉE ENTRE TOUS LES ACTEURS

1. L'électrochoc de l'été 2022 a « secoué EDF dans ses certitudes »

Si EDF travaille depuis les années 1990 sur les implications du changement climatique sur le parc nucléaire et qu'elle a créé un service climatique en son sein en 2014, l'année 2022 apparaît comme une année charnière dans la prise en compte par l'entreprise des conséquences du changement climatique.

En effet, lors de son audition, le directeur du parc nucléaire et thermique d'EDF a signifié au rapporteur que l'été 2022 avait été pour l'entreprise un vrai révélateur de l'accélération des conséquences du changement climatique sur le parc nucléaire national. Selon ses termes, il a « secoué l'entreprise dans ses certitudes » . Si les évènements survenus à l'été 2022 étaient bien anticipés par EDF, selon les prévisions de l'entreprise, ils ne devaient pas se produire avant une quinzaine d'années .

Si les cinquièmes visites décennales des centrales devront largement être consacrées à l'adaptation des centrales aux conséquences du changement climatique, l'été 2022 a convaincu EDF de conduire un travail intermédiaire avant la réalisation de ces visites visant à prendre des mesures de court terme certes moins structurantes que les aménagements prévus dans le cadre des visites décennales mais néanmoins indispensables pour répondre aux enjeux de cette accélération brutale des contraintes climatiques.

Les phénomènes observés lors de l'été 2022 ont ainsi été pris en compte par la direction du parc nucléaire et thermique (DPNT) dans la définition de son projet « ADAPT » dont la vocation est d'expertiser les fragilités du parc de réacteurs nucléaires existants au regard des conséquences du changement climatique à un horizon 2050, de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation pour remédier à ces fragilités puis de déployer un mécanisme de suivi.

Le rapporteur salue le fait que le projet ADAPT se singularise par une approche systémique 19 ( * ) mise en oeuvre site par site. Devenu pour EDF la pièce maîtresse de l'adaptation du parc nucléaire aux conséquences du changement climatique, ce projet doit être décliné sur chaque installation à horizon 2025.

Au-delà des capacités développées par l'opérateur EDF, il est essentiel que le régulateur dispose de toute l'expertise nécessaire pour évaluer les mesures proposées par le régulé en matière d'adaptation au changement climatique. Sur ce sujet, et plus encore dans le contexte de la réforme en cours de la sûreté nucléaire, le rapporteur ne peut que partager la mise en garde de la Cour des comptes qui engage le Gouvernement à veiller à ce que l'ASN et l'IRSN « disposent effectivement des compétences et des moyens humains nécessaires à l'anticipation et à la prise en compte concertées des questions liées à l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique » .

2. La nécessité d'une approche systémique

Pour traiter l'ensemble des problématiques posées par les conséquences du changement climatique au parc nucléaire, on ne peut s'en tenir à l'adaptation des seules centrales. Dans la mesure où ces conséquences sont susceptibles d'affecter leur environnement, plus ou moins périphérique 20 ( * ) , qui peut, en retour, s'avérer être une source de vulnérabilité secondaire pour les installations nucléaires, il apparaît indispensable d'adopter un raisonnement intégré, une approche systémique .

Cette approche systémique s'impose notamment par le fait que les centrales dépendent de prestataires qui leur livrent des produits et leur délivrent des services indispensables au bon fonctionnement des installations. Garantir la préservation de cette chaîne d'approvisionnement , y compris face aux incidences du changement climatique est ainsi en enjeu essentiel qui doit être expertisé et traité.

Les risques liés à l'écosystème qui gravite autour des centrales n'ont pas été traités dans l'enquête de la Cour des comptes et ils apparaissent aujourd'hui comme imparfaitement pris en compte , notamment en raison d'un manque de coordination entre les différents acteurs impliqués qui, chacun de leurs côtés mais sans approche et vision communes, conçoivent des programmes d'adaptation aux dérèglements climatiques.

En effet, si le besoin d'une telle vision fait désormais consensus, il apparaît nécessaire au rapporteur, comme le recommande l'ASN, de sortir d'un raisonnement en silo et d' adopter une approche réellement intégratrice à l'échelle de chaque territoire . Comme le suggère la Cour des comptes, le rapporteur considère que l'État doit , sur un sujet si sensible et régalien, assumer la responsabilité de coordonner les méthodologies et les approches de toutes les parties prenantes.

3. Créer les conditions d'une véritable coordination des acteurs

Si les acteurs impliqués dans l'adaptation du parc nucléaire aux dérèglements climatiques ont tous pour base de référence les travaux du GIEC, la Cour des comptes souligne qu'ils ne mettent pas pour autant en oeuvre « une démarche normalisée et commune ». Ainsi, le service climatique d'EDF réalise par exemple un travail complexe de sélection et de combinaison des modèles climatiques et des scénarios économiques qui, s'il semble pertinent, n'est pas à ce jour une base de référence partagée par l'ensemble des acteurs.

Le rapporteur a constaté qu'aujourd'hui, il n'existe pas d'instance de concertation et de coordination qui réunirait l'ensemble des acteurs impliqués autour des enjeux des changements climatiques sur le parc nucléaire national.

La conviction du rapporteur quant à la nécessité de créer les conditions d'une coordination beaucoup plus affirmée dans le domaine a été confortée par son audition du directeur général de l'IRSN qui lui a confirmé la réalité de ce besoin. Ce besoin a notamment émergé de travaux réalisés dans le cadre du comité d'orientation des recherches de l'IRSN.

Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, l'IRSN considère ainsi qu' « une instance permettant de mettre en commun les connaissances et de mobiliser les compétences disponibles sur le changement climatique serait très utile pour mieux anticiper les impacts possibles pour les installations nucléaires » .

Comme l'IRSN, le rapporteur considère que les enjeux d'adaptation du parc nucléaire au changement climatique devraient pouvoir faire l'objet d'échanges entre l'ensemble des acteurs concernés au sein d'une instance de concertation dédiée .

4. La nécessité de pouvoir chiffrer les besoins d'adaptation

Aujourd'hui, le rapporteur a pu le vérifier lors de ses auditions et de son déplacement à la centrale de Golfech, EDF n'est pas en mesure d'isoler précisément les dépenses qu'elle consacre à l'adaptation de son parc de réacteurs aux conséquences du changement climatique. Si cette situation pouvait historiquement se justifier à une époque où la connaissance de l'ampleur de ce phénomène n'était pas aussi développée qu'aujourd'hui et du fait d'une imbrication étroite avec la protection des installations des agressions naturelles extérieures, elle constitue un vrai manque aujourd'hui, à l'heure où la France s'apprête à s'engager dans la relance de son secteur nucléaire.

À ce stade EDF n'a été en mesure d'isoler qu'une part des dépenses d'investissements réalisées pour faire face à des évènements météorologiques extrêmes . Elle a ainsi recensé près d' un milliard d'euros d'investissements réalisés à cette fin entre 2006 et 2021 , pour l'essentiel (environ 780 millions d'euros), dans le cadre du projet « grands chauds » déployé après la canicule de 2003.

Investissements réalisés en lien avec des évènements météorologiques extrêmes (2006-2021)

Objets

Dépenses

(en millions d'euros)

Projet « grands chauds »

778,7

Sécurisation de la source froide

125,3

Protection contre les tornades

1,8

Renforcement des digues

52,3

Autres

3,8

Total

961,8

Source : EDF

Sur ce même périmètre, EDF a d'ores et déjà prévu la programmation, entre 2022 et 2038, d'environ 600 millions d'euros de nouveaux investissements sur son parc nucléaire existant.

Investissements programmés en lien avec des évènements météorologiques extrêmes (2022-2038)

Objets

Dépenses

(en millions d'euros)

Projet « grands chauds »

160,9

Sécurisation de la source froide

238,1

Protection contre les tornades

158,4

Renforcement des digues

53,6

Autres

1,6

Total

612,6

Source : EDF

Lors de son audition, le directeur du parc nucléaire et thermique d'EDF a indiqué au rapporteur qu' à la suite des phénomènes exceptionnels observés au cours de l'été 2022 et du premier retour sur expérience qui s'en est suivi, EDF a décidé de mettre en oeuvre , dans le cadre de son projet « ADAPT », un programme d'investissements supplémentaire qui est actuellement en cours de définition et dont le volume n'est pas encore connu.

EDF a également réalisé un travail d' estimation des budgets de son service climatique, de l'équipe du projet ADAPT et des actions de R&D dédiées à l'adaptation au changement climatique. Sur ces trois budgets, elle prévoit une montée en puissance de 6 millions d'euros entre 2021 et 2023 .

Estimation des budgets du service climatique, du projet ADAPT et de la R&D dédiée à l'adaptation au changement climatique (2021-2023)

(en millions d'euros)

Services

2021

2022

2023

Service climatique

1,5

1,6

2,0

Projet ADAPT

1,5

2,7

5,5

R&D adaptation

1,3

1,9

2,7

Total

4,3

6,2

10,2

Source : EDF

Ainsi, en présence de ces lacunes dans l'évaluation des coûts de l'adaptation aux dérèglements climatiques, le rapporteur considère-t-il comme légitime la recommandation formulée à EDF par la Cour des comptes visant à « identifier et mesurer les coûts d'adaptation au changement climatique du parc de production nucléaire en fonctionnement et en investissement » . Ces informations, d'autant plus essentielles au moment où l'entreprise s'apprête à être nationalisée, pourront être valorisées via sa communication extra-financière et sa politique de responsabilité sociale et environnementale.

B. L'ADAPTATION DU NOUVEAU NUCLÉAIRE AUX CONTRAINTES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

1. Le programme de nouveau nucléaire prend en compte les conséquences du changement climatique

Le futur parc de centrales qui sera issu du programme de nouveau nucléaire sera particulièrement exposé aux conséquences des dérèglements climatiques , à leur accélération et à leur intensification. Il était bien entendu indispensable de prendre en compte ces contraintes dès la phase de conception des installations. Pour ces futures installations, l'horizon 2100, le plus éloigné dans les prévisions du GIEC, est pris en compte .

Certains des grands principes qui président au design générique des EPR2 tiennent compte des principales contraintes climatiques. Ainsi, les centrales situées en bord de fleuve doivent-elles fonctionner grâce à un circuit de refroidissement fermé et systématiquement être dotées de tours aéroréfrigérantes.

Par ailleurs, et même si, comme le souligne la Cour des comptes, « l'adaptation au changement climatique ne fait pas l'objet d'une analyse ou d'une étude systémique ou structurée 21 ( * ) » , les contraintes climatiques sont intégrées dans l'appréciation des dix critères retenus pour le choix des implantations des six EPR2 prévus dans la première tranche du programme de nouveau nucléaire. L'appréciation des effets du changement climatique et leur prise en compte ne fait pas l'objet d'un examen autonome mais ils se trouvent indirectement intégrés , au même titre que d'autres paramètres, dans l'évaluation des critères d'implantation qui se trouvent être sensibles aux phénomènes des dérèglements climatiques. Aussi apparaît-il qu' au moins huit des dix critères retenus pour déterminer le lieu d'implantation des nouvelles centrales peuvent être considérés comme sensibles aux effets du changement climatique .

Le rapporteur note par ailleurs que les principes développés dans le projet ADAPT (voir supra ) doivent être appliqués, au stade de la conception, sur les projets relatifs au nouveau nucléaire.

En plus de la construction d'EPR2, dans le cadre du projet de nouveau nucléaire, le déploiement de petits réacteurs nucléaires modulaires, dits SMR (pour small modular reactor ), est également envisagé. Depuis 2019, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), EDF, Naval Group et TechnicAtome conduisent d'ailleurs un projet de SMR baptisé « Nuward TM ». À l'instar des EPR2, le rapporteur insiste sur le fait que bien évidemment, au stade de leur conception comme de leur éventuelle implantation, les projets de SMR devront prendre en considération les contraintes liées aux conséquences des dérèglements climatiques .

Alors que cette exigence lui apparaît comme particulièrement essentielle à l'heure de la relance du programme nucléaire, le rapporteur regrette que , faute d'une vision globale et partagée entre l'ensemble des acteurs impliqués dans l'adaptation des technologies de production d'énergie nucléaire au changement climatique, il ne soit pas possible à ce jour de disposer d'une estimation complète des coûts que représente cette adaptation dans les programmes du nouveau nucléaire . La Cour note ainsi que l'adaptation aux dérèglements climatiques « pâtit d'une approche fragmentée qui ne permet pas d'appréhender la démarche dans sa globalité et d'extraire un « coût » de l'adaptation au changement climatique dans l'architecture budgétaire des futurs programmes » .

L'adaptation du parc nucléaire au changement climatique suppose de garantir l'adaptabilité des installations pour que, le cas échéant, leur conception autorise des aménagements nouveaux rendus nécessaires par la réévaluation du niveau des contraintes climatiques. À ce titre la plasticité des installations est un enjeu essentiel. La conception initiale des locaux ne doit pas constituer une contrainte trop forte qui conduirait à ne pas pouvoir installer les aménagements complémentaires les plus appropriés.

Le rapporteur a notamment été sensibilisé à cet enjeu au cours de son audition de l'IRSN. Ainsi, d'après l'IRSN, s'agissant du parc existant, l'encombrement des locaux a-t-il pu, dans certains cas, empêcher l'installation d'aménagements qui étaient pourtant jugés nécessaires pour améliorer la résilience des installations aux conséquences du changement climatique.

Au regard de ce constat, et s'agissant du programme de nouveau nucléaire, le rapporteur insiste sur l'importance d'assurer une flexibilité suffisante des installations , notamment en ce qui concerne le volume des locaux, afin d' assurer leur capacité d'adaptabilité en cas de réévaluation des contraintes climatiques dans le futur.

2. Des précisions s'avèrent nécessaires pour la deuxième tranche optionnelle de huit EPR2

Si les sites d'implantation retenus pour accueillir les six EPR2 prévus dans le cadre de la première phase du projet de nouveau nucléaire font partie des sites les moins climato-sensibles, la Cour des comptes constate qu' aucune décision n'a été prise s'agissant de l'implantation de la phase optionnelle de huit autres EPR2 , aucun des sites existants, y compris les plus exposés aux effets du changement climatique, n'étant écarté à ce stade. Elle estime ainsi qu'il est « urgent d'éclairer au plus vite les choix d'implantation de ces huit EPR2 pour sécuriser leur planning de mise en service et la disponibilité d'électricité d'origine nucléaire des décennies à venir » .

Le rapporteur souscrit à la recommandation de la Cour des comptes selon laquelle l'État et EDF doivent rapidement « produire les études de préfaisabilité prenant en compte le changement climatique concernant les huit EPR2 en option » .

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mardi 21 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.

M. Claude Raynal , président . - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.

L'impact environnemental du nucléaire et son rôle dans la lutte contre le changement climatique font l'objet de nombreux débats, à l'inverse de la question relative aux conséquences du changement climatique sur la production d'électricité et sur la sûreté nucléaire.

La canicule de l'été dernier, qui a failli conduire à l'arrêt de plusieurs centrales sur notre territoire, montre qu'il s'agit là d'un enjeu majeur. C'est pourquoi nous débattons aujourd'hui des modalités d'adaptation du parc nucléaire français et des coûts d'investissement que celles-ci représentent.

Nous recevons Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de l'enquête réalisée par les magistrats de la Cour.

Pour nous éclairer sur le sujet et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial, sont également présents M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi que Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction production nucléaire et thermique à EDF.

Après avoir entendu Mme Podeur, notre collègue Christine Lavarde, en sa qualité de rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'elle tire de cette enquête. À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Vous nous avez saisis, par lettre en date du 18 janvier 2022, d'une demande d'enquête sur l'adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires.

Ce rapport s'inscrit à la suite de plusieurs travaux de la Cour des comptes relatifs au nucléaire civil, le rapport public thématique L'aval du cycle du combustible nucléaire , le rapport 58-2° L'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires , réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, et le rapport public thématique sur la filière EPR ( European Pressurized Reactors).

L'instruction s'est déroulée entre février et octobre 2022, au cours de laquelle nous avons visité la centrale de Nogent-sur-Seine et le centre de recherche du groupe EDF à Chatou. La liste des personnes rencontrées est indiquée à l'annexe n° 1 de notre rapport. La contradiction s'est déroulée entre novembre et décembre 2022. Le projet de communication a été délibéré le 18 janvier dernier, au sein de la deuxième chambre, puis validé le 31 janvier par le comité du rapport public et des programmes.

Cette enquête s'inscrit dans un contexte particulier, marqué, premièrement, par la prise de conscience accélérée du changement climatique, sans doute à la suite du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié au début de l'année 2022, mais surtout à la suite des épisodes caniculaires de l'été dernier.

Le deuxième élément de contexte est l'annonce du Président de la République en février 2022 d'un plan de relance du nucléaire.

Le troisième élément, c'est la baisse historique de la production du nucléaire en 2022, compte tenu des arrêts pour contrôle de la sûreté, en raison du défaut de corrosion sous contrainte - une nouvelle fissure a été récemment découverte dans les réacteurs de Penly, qui nécessite un examen par l'ASN et qui en reporte l'exploitation.

Il y a également des éléments liés à l'actualité législative. Votre assemblée a adopté en première lecture, le 24 janvier dernier, le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. De plus, nous nous préparons, dans le cadre de la future stratégie française sur l'énergie et le climat (Sfec), à ce que vous examiniez un projet de loi relatif à la programmation sur l'énergie et le climat, qui sera suivi de la nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC), du nouveau plan d'adaptation au changement climatique et de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Les conséquences du changement climatique vont affecter de façon croissante les réacteurs du parc national actuel et affecteront - je le dis de façon solennelle - encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d'entrer en service à partir de 2035.

Nous avons distingué trois cercles concentriques des effets du changement climatique sur les réacteurs.

Le premier cercle concerne la capacité des installations à fonctionner de façon sûre, puisque sont affectés la résistance des matériels, les équipements, mais également la compatibilité avec des conditions de travail acceptables pour le personnel sur site.

Le deuxième cercle est relatif à l'environnement extérieur proche, en lien avec l'exploitation et la sûreté - le débit et la température des cours d'eau ainsi que le niveau marin.

Le troisième cercle a pour objet des conséquences plus périphériques, telles que le risque accru d'incendies de forêt ou de végétation, ou encore le risque de submersion d'axes routiers à proximité des centrales. Nous ne traitons pas des risques affectant la périphérie des centrales dans cette enquête, mais nous les aborderons dans de futurs rapports.

Nous insistons sur la nécessité d'avoir une approche intégrée et territorialisée pour faire face à l'ensemble des conséquences du changement climatique.

Le rapport concerne exclusivement le parc de production nucléaire actuel, à l'exclusion des réacteurs de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des installations militaires et des installations nucléaires relatives à la fabrication du combustible, à son retraitement ou au stockage des matières et des déchets radioactifs.

Le parc nucléaire actuel est composé de dix-huit centrales qui regroupent cinquante-six réacteurs à eau pressurisée en exploitation, d'une puissance comprise entre 900 mégawatts et 1 400 mégawatts, selon les paliers, pour une puissance totale installée de 61,4 gigawatts. Concrètement, treize centrales sont situées en bord de rivière, quatre en bord de mer et une en bord d'estuaire.

Le parc est très dépendant de la ressource en eau, parce que c'est le seul moyen de refroidir les réacteurs. Il existe d'ailleurs deux types de systèmes de refroidissement, en circuit ouvert et en circuit fermé.

En circuit ouvert, l'eau prélevée est utilisée pour refroidir le réacteur puis rejetée dans son milieu naturel. Les prélèvements sont importants, mais la consommation nette en eau est très faible. En revanche, les rejets augmentent la température des cours d'eau.

En circuit fermé - cela concerne exclusivement les trente réacteurs situés en bord de fleuve -, la quantité d'eau prélevée circule dans l'aéroréfrigérant. La quantité d'eau prélevée est donc beaucoup plus faible, mais il y a une évaporation, que nous avons évaluée, en 2001, à 24 %.

Le Président de la République a annoncé la construction d'une première tranche, ferme, de six EPR2 d'une capacité de 1 650 mégawatts, puis d'une seconde tranche, optionnelle, de huit EPR2, en sus de l'EPR de Flamanville, dont nous attendons toujours la mise en service.

Le présent rapport est structuré en deux chapitres. Le premier présente les enjeux climatiques auxquels doit faire face le parc nucléaire actuel et l'organisation mise en place par EDF. Le second examine concrètement comment les dispositifs de sûreté nucléaire prennent en compte le changement climatique, analyse les contraintes que fait peser la disponibilité de la ressource en eau sur l'exploitation du parc, et identifie les risques qui affectent les projets de construction des futurs réacteurs.

Comment appréhender le changement climatique ? La perspective de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels jusqu'à soixante ans fera fonctionner le parc jusqu'à 2045, ce qui l'expose non seulement aux aléas climatiques d'aujourd'hui, mais également à leur accentuation au cours des vingt à trente prochaines années.

Par comparaison, les futurs réacteurs, dont la durée d'exploitation pourrait aller jusqu'en 2100, voire au-delà, seront confrontés à des conséquences plus lourdes du changement climatique.

Compte tenu de ces éléments, le premier constat que nous faisons est qu'EDF - le seul exploitant - s'appuie fortement sur les rapports du GIEC, à l'instar de l'ensemble des acteurs du nucléaire en France, ainsi que sur les modèles de Météo-France et les travaux de l'Institut Pierre-Simon Laplace, que nous avons mentionnés dans la première partie du rapport. EDF exclut le scénario le plus optimiste du GIEC, analyse les scénarios les plus pessimistes, ce qui est cohérent pour des installations à très longue durée de vie, et mentionne le scénario médian, qui est considéré comme le plus probable.

Ces études et ces projections climatiques, faites sur la longue durée, sont peu adaptées aux échéances plus proches - entre dix et quinze ans -, lesquelles sont pourtant utilisées par l'exploitant pour décider et calibrer de nouveaux investissements, lors de chacune des visites décennales des réacteurs. La Cour des comptes pointe que c'est l'une des difficultés rencontrées par EDF pour adapter le parc actuel dans une logique économique optimale.

Deuxième constat, la disponibilité de la ressource en eau représente le principal enjeu pour le parc nucléaire. Le volume d'eau douce prélevé pour satisfaire les différents usages de la population s'élève chaque année à 33,5 milliards de mètres cubes ; un peu plus de la moitié de ce volume prélevé est destiné au refroidissement des centrales électronucléaires. Ce n'est pas de la consommation nette, puisqu'elles restituent 98 % de ces prélèvements aux milieux naturels, à proximité du point de prélèvement, mais à une température plus élevée. Dès lors, les enjeux liés à la ressource en eau prennent des formes différentes, selon qu'il s'agisse des cours d'eau ou des littoraux.

Pour les centrales en bord des cours d'eau, la moindre disponibilité de la ressource en eau va accentuer les conflits d'usage - agricole, touristique, industriel ou lié à la navigation. Le réchauffement des fleuves, en amont et en aval des centrales, va représenter une contrainte d'exploitation supplémentaire. Les niveaux d'étiage vont réduire la capacité de dilution des rejets en aval des centrales. Ce sont des contraintes lourdes.

Pour les centrales en bord de mer, l'enjeu est de faire face à la montée du niveau de la mer et au risque de submersion qui en découle. Il s'agit d'un phénomène plus lent, qui concernera surtout les futures centrales situées en littoral, dans la seconde moitié du XXI e siècle.

Troisième constat, les politiques et les organisations mises en place par l'État et par EDF abordent bien la question de l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique, ce qui n'est pas le cas dans l'ensemble des secteurs publics. De la prise de conscience à la traduction opérationnelle, il faut du temps, et nous en sommes encore aux balbutiements.

En ce qui concerne l'État, le premier plan national d'adaptation au changement climatique 2011-2015 comporte 200 recommandations - plusieurs portaient sur l'énergie et l'industrie et incluaient les centrales nucléaires. Pourtant, les travaux de Jean Jouzel avaient permis de mettre à disposition des données climatiques détaillées, propres à la France, et déclinées à l'échelle régionale.

En ce qui concerne EDF, la direction de la recherche et du développement s'est engagée dès 1990 dans plusieurs travaux relatifs au changement climatique. Mais ce n'est que plus récemment, en 2014, qu'EDF a créé un service climatique, en appui des principales directions concernées du groupe. Depuis l'an dernier, EDF met en oeuvre un plan d'adaptation au changement climatique, modifiable tous les cinq ans. Concrètement, la direction de la production nucléaire et thermique a élaboré le projet Adapt, qui doit être décliné dans chaque centrale nucléaire et la direction ingénierie et projets du nouveau nucléaire intègre également dans la conception, une analyse de l'impact potentiel du changement climatique. Il y a donc des progrès, une prise de conscience, des moyens et des méthodes mis en oeuvre. Il manque une approche de l'adaptation plus intégrée, plus adaptée, plus territorialisée qui soit partagée par l'ensemble des acteurs - l'État, l'ASN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'exploitant EDF - nous y reviendrons ultérieurement.

Quatrième constat, les effets du changement climatique sont pris en compte au titre de la sûreté. C'est un point important. En fait, la conception initiale des centrales aujourd'hui en fonctionnement est antérieure à l'émergence de la notion de changement climatique, mais les aléas climatiques étaient alors appréhendés à travers la notion d'agressions externes naturelles, comme les températures de l'air et de l'eau, les inondations et les étiages. D'ailleurs les importantes marges retenues à la conception de ces centrales pour la résistance à ces phénomènes ont de fait permis d'intégrer les évolutions climatiques. Progressivement, néanmoins nous avons pris en compte l'évolution climatique comme un élément clé de la sûreté. Elle est désormais intégrée dans les référentiels imposés par l'ASN, qu'il s'agisse des intégrations dans le cadre du grand froid au cours des années 1980, des inondations après l'accident du Blayais en 1999 ou encore du référentiel grand chaud après la canicule de 2003.

L'accident de Fukushima en 2011 et les évaluations de sûreté complémentaires ont conduit à renforcer davantage ces référentiels et à les mettre à jour à chaque visite décennale. Ainsi intégrés dans les démonstrations de sûreté et régulièrement évalués, on peut considérer que les risques que comporte le changement climatique ne doivent pas affecter le niveau de sûreté du parc nucléaire.

D'ailleurs, cinquième constat, le coût estimé de cette adaptation au changement climatique demeure extrêmement modeste en termes d'investissements. Du reste, EDF ne l'a pas évalué complètement et précisément parce que, à leur décharge, un même investissement peut concomitamment relever de la sûreté et de l'adaptation au changement climatique, je viens d'en faire la démonstration en vous exposant la prise en compte de la sûreté.

Pour autant, l'entreprise a tout de même réussi, après moult recherches à nous indiquer que les investissements relatifs au climat et à la météo, comme la rénovation d'aéroréfrigérant ou la construction et le rehaussement de digues représentent un montant d'investissements déjà réalisés de 960 millions d'euros, sur la période 2006-2021, donc à peine un milliard en quinze ans.

Les dépenses programmées en lien avec l'adaptation au changement climatique sur la période 2022-2038 s'élèveraient à environ 612 millions d'euros en fonctionnement - c'est l'épaisseur du trait. Lorsque l'on ajoute les budgets de fonctionnement du service climatique, le programme Adapt, les actions de recherche et développement dédiées à l'adaptation, on arrive à moins de 5 millions d'euros par an. Ce ne sont donc pas de lourds enjeux financiers.

Pour autant - nous y insistons -, il nous semble nécessaire qu'EDF puisse justifier dans l'avenir des coûts d'adaptation au changement climatique et de sa performance sur ce point, à la fois au titre de de sa responsabilité sociale et environnementale (RSE) et de ses obligations de communication financière et extrafinancière, c'est le sens de notre recommandation n° 1.

Sixième constat, il faut convenir que le changement climatique et notamment les épisodes plus fréquents de sécheresse et de canicule peuvent altérer la disponibilité du parc nucléaire. Ces effets sont aujourd'hui limités, mais augmentent. Ils résultent de deux contraintes de production : d'une part, l'application des normes environnementales pour protéger les milieux aquatiques, d'autre part, l'application des accords transfrontaliers qui limitent dans certains cas la capacité de prélèvement.

Les pertes de production qui résultent des normes environnementales demeurent à ce jour limitées, elles sont en moyenne annuelle de l'ordre de 1 % avec un pic à 1,4 % au cours de l'année 2003. Les sites concernés par ces pertes de production sont, dans le jargon d'EDF, des sites thermosensibles, c'est-à-dire des sites sensibles aux limites de température en bord de rivière ou d'estuaire. Il s'agit de Saint-Alban, de Tricastin, du Bugey, de Blayais et de Golfech. Les pertes de production liées aux contraintes de prélèvements, notamment par les accords transfrontaliers, sont concentrées sur la centrale de Chooz, très sensible au débit de la Meuse et soumise à l'application du fameux accord transfrontalier avec la Belgique.

Dès lors, les pertes d'opportunités économiques, qui résultent de ces pertes de production sont également limitées. Ces indisponibilités sont concentrées certes sur des périodes brèves et estivales, mais de plus en plus longues, et elles peuvent s'avérer critiques, en accroissant les risques de tension sur le réseau, alors exposé à une demande accrue d'électricité, surtout dans un contexte d'électrification majeure des usages. En outre, au cours de ces dernières années, une augmentation significative des arrêts pour cause climatique a été constatée sur certains sites avec des pertes s'élevant à plusieurs térawattheures par an. Les études prospectives mettent en évidence une multiplication par un facteur de trois à quatre des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050.

Ainsi, pour gérer au mieux ces risques d'une production moindre, il faut d'abord mieux connaître l'évolution du débit des fleuves à échéance de quelques années, ce que les projections climatiques actuelles ne permettent pas de bien appréhender. De plus, il faut que, en période de faible débit, l'exploitant puisse disposer d'une plus forte capacité d'entreposage des effluents liquides, dans l'attente de pouvoir les rejeter sans risque pour l'environnement. Ces constats conduisent à la recommandation n° 2 du rapport.

Il s'agit ensuite - c'est la recommandation n° 3 - de consolider et de mettre à jour les fondements scientifiques qui justifient les limites réglementaires des rejets thermiques, dont la fixation sera d'autant plus sensible que les épisodes chauds se multiplieront - voilà longtemps que ces limites réglementaires n'ont pas été actualisées, cela doit être fait de manière concertée.

Enfin, il s'agit, pour EDF, de renforcer son effort de recherche sur les systèmes de refroidissement, afin de limiter la consommation en eau et l'emploi de réactifs chimiques qui sont ensuite rejetés dans le milieu naturel. Cette invitation à la sobriété en tous genres est l'objet de la recommandation n° 4.

En matière de recherche, on observe qu'il y a beaucoup d'innovations émergentes, mais aucune innovation technique notable n'a été mise en oeuvre sur le parc existant pour limiter la consommation en eau. Ainsi, EDF nous a simplement indiqué avoir réalisé en 2022 une analyse préliminaire d'un procédé de récupération d'eau des panaches d'aéroréfrigérant et nous a assuré qu'un démonstrateur de ce procédé interviendrait à partir de 2023 sur le site du Bugey.

Septième constat, les futurs réacteurs seront soumis à des exigences beaucoup plus fortes au regard du changement climatique et il faut considérer que cette dernière partie est une forme d'alerte adressée à l'ensemble des acteurs du nucléaire.

Il existe à travers le monde des réacteurs qui fonctionnent sous des climats très chauds, comparables sans doute aux épisodes que notre pays pourrait connaître dans la seconde moitié du XXI e siècle. Ces centrales fonctionnent avec des dispositifs adaptés, comme celle de Palo Verde, et il nous semble que ces expériences pourraient être utilement examinées attentivement.

Par ailleurs, on parle d'installer des SMR - Small Modular Reactors -, c'est-à-dire des petits réacteurs modulaires, en complément du programme d'EPR2. Il conviendrait sans attendre de prendre en compte justement les contraintes du changement climatique, dès la conception de ce type d'équipements, sachant que la mise au point d'un premier démonstrateur serait envisageable d'après les indications dont nous disposons à horizon de dix ans.

Nous soulignons dans le rapport que la conception des EPR2 intègre bien des marges de sécurité face au changement climatique et que cette conception s'appuie sur une analyse précise des référentiels de sûreté en vigueur, qui seraient donc incrémentés tant de la part d'EDF que de l'ASN. C'est positif. Pour autant, la Cour a constaté, premièrement, que les EPR2 ne comportent pas d'évolution technologique marquée, en particulier sur les systèmes de refroidissement sobre en eau, deuxièmement que l'hypothèse certes estimée peu probable par le GIEC d'une fonte des calottes glaciaires ne soit pas prise en compte, alors que cela provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer. Cette hypothèse extrême pourrait peser sur le choix des sites littoraux et sur la façon surtout d'engager de futurs chantiers. Troisièmement, il manque sur ces questions d'adaptation une approche qui soit réellement intégrée et commune à l'ensemble des acteurs directement concernés, d'où la recommandation n° 5, par laquelle nous appelons de nos voeux cette approche intégrée et commune, qui soit surtout territorialisée et concrète. Chaque site a, sur ce point, ses particularités et on ne peut pas rester à un niveau exclusivement conceptuel et à une échelle nationale.

Enfin le rapport constate que pour les huit EPR2 en option, EDF n'envisage pas de site nouveau, mais n'exclut non plus à ce stade aucun des sites en exploitation. S'il est normal que le choix des sites découle d'une analyse multicritères et notamment de la prise en compte de préoccupations d'aménagement du territoire, il nous semble que les incidences du changement climatique pour des réacteurs qui fonctionneront pour l'essentiel lors de la seconde moitié du XXI e siècle justifient de produire rapidement des études de préfaisabilité qui prennent en compte le changement climatique. C'est l'objet de la sixième et dernière recommandation adressée à la fois à EDF et au ministère chargé de la transition écologique.

L'adaptation au changement climatique des réacteurs nucléaires est non pas un enjeu financier, mais un défi d'anticipation, surtout à l'heure où notre pays s'engage dans le projet ambitieux du nouveau nucléaire, qui nécessite une coordination renforcée des principaux acteurs, à l'échelon national, dans chaque site de production, et dans les chantiers à venir pour définir des réponses communes.

Nous espérons que ce travail pourra utilement éclairer vos propres réflexions. Ce travail a conduit la Cour à un exercice inhabituel. Nous ne nous sommes pas limités à une approche financière, mais nous avons tenté une synthèse scientifique et nous avons essayé d'appréhender au mieux, avec le concours des principaux acteurs, les enjeux techniques qui définissent cette appréhension du changement climatique.

Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial. - Ce rapport sort des sentiers habituellement battus par la Cour, puisqu'il a pour objet des enjeux moins financiers que technologiques et prospectifs.

La question des événements exceptionnels a été prise en compte dès l'origine de la construction des centrales nucléaires - je pense aux normes de résistance au vent et au seuil de construction des réacteurs au-dessus du niveau de la mer. Nos centrales sont déjà prêtes à résister à des événements extrêmes, dont la probabilité de survenance est très faible - elles sont capables de résister à un tsunami du même type que celui qui s'est produit à Fukushima, alors que la probabilité d'un tel tsunami est très faible en France. Aussi, nous pouvons considérer que nous sommes prêts sur les aspects liés à la sûreté.

En revanche, nous serions moins prêts pour les événements qui s'inscrivent dans le temps long. Les centrales sont en effet concernées par l'élévation des températures, ce qui soulève le problème de la disponibilité de la ressource en eau nécessaire pour faire fonctionner le cycle du combustible nucléaire.

Ainsi, EDF pourrait être amenée à arbitrer entre produire de l'hydroélectricité ou garder l'eau pour assurer la production nucléaire, sachant que dans les deux cas la production est décarbonée - l'une répond à la taxonomie européenne, l'autre reste à ce stade dans les marges de cette taxonomie -, même si le coût de l'électricité ne sera pas le même. Ce choix relève non pas seulement de l'exploitant, mais également d'une décision politique.

La gestion de la ressource en eau soulève également le problème de la réutilisation des eaux usées. À ce titre, l'exemple de la centrale de Palo Verde, dont le fonctionnement est bien décrit dans le rapport de la Cour, ouvre des perspectives sur une utilisation possible des eaux usées, puisque cette centrale, située dans le désert, se refroidit en réutilisant les eaux usées.

Il faut également se demander comment diminuer, à l'avenir, l'empreinte environnementale du nucléaire, au-delà de la question du retraitement des déchets qui n'entrait pas dans le périmètre du rapport, ce qui nécessite d'augmenter les moyens publics dédiés à la recherche. Par exemple dans le but de diminuer l'utilisation de biocides dans les tours aéroréfrigérantes ou d'optimiser le rendement de ces tours, notamment en utilisant une partie de la chaleur qui s'échappe de celles-ci sous forme d'évaporation.

Par ailleurs, la question des capacités de recherche de l'IRSN n'avait pas été abordée dans l'amendement du Gouvernement portant sur la fusion entre l'IRSN et l'ASN déposé dans le cadre du projet de loi d'accélération du nucléaire ; or ce sujet est au coeur de notre discussion du jour.

Pour finir, je souscris pleinement au constat de la Cour selon lequel ce sujet doit être envisagé de manière systémique. Au-delà de la prise en compte de l'environnement proche des centrales, de la préemption des terrains voisins de la centrale et de la construction de digues, c'est l'ensemble de la chaîne du nucléaire qui doit être appréhendée. En effet, il faut pouvoir construire les installations et extraire du combustible, ce qui a des conséquences sur l'environnement, et doit répondre aux exigences des directives européennes, notamment sur le devoir de vigilance.

Notre travail sur ce pan de l'économie pourra s'appliquer à d'autres conflits d'usage entre des ressources environnementales finies et les besoins des consommateurs et des industriels.

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -

M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire . - Je vous prie de bien vouloir excuser MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, qui sont à Vienne pour assister à la réunion d'examen des parties contractantes à la Convention sur la sûreté nucléaire, dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Je suis accompagné par Cyril Bernardet, qui dirige, au sein de l'ASN, l'équipe des spécialistes de l'impact du fonctionnement des centrales nucléaires sur l'environnement.

L'ASN partage les conclusions de la Cour des comptes. Premièrement, le changement climatique a des conséquences sur la sûreté des centrales et sur l'impact de leur fonctionnement sur l'environnement.

Par sûreté, on entend le risque d'accident nucléaire. Les agressions climatiques - canicules, tornades, submersions, périodes d'étiage sévère - sont susceptibles de créer un accident, mais les centrales sont dimensionnées pour cela. Ces agressions sont réévaluées pour chaque site selon le réexamen périodique décennal : rehaussement de digues, renforcement de la climatisation, protection contre les tornades. Ce processus itératif est adapté à un risque en évolution, mais le réchauffement climatique complique les projections. Certains risques sont plus simples, comme les séismes. Lorsqu'il y a trop d'incertitudes, on retient des valeurs pénalisantes.

Les agressions climatiques sont un des sujets du quatrième réexamen périodique décennal, souvent soulevé par les associations. L'ASN, dans ce cadre, consulte le public au début et à la fin de chaque réexamen, site par site. Elle participe aux concertations, notamment celles du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). L'ASN tient compte des enquêtes publiques. C'est donc un enjeu fort de transparence, de pédagogie et d'écoute pour nous.

Hors échéances décennales, l'ASN demande la prise en compte de tout évènement exceptionnel, comme l'inondation du Blayais en 1999 et les canicules de 2003 et de 2006.

Le changement climatique influence aussi les effets de la centrale sur l'environnement, surtout celles refroidies par cours d'eau et non par la mer. Certaines centrales restituent toute l'eau à une température de deux ou trois degrés plus élevée, d'où un effet sur la faune et la flore aquatiques. D'autres n'en restituent qu'une partie, refroidie en tour aéroréfrigérante, pour un réchauffement de quelques dixièmes de degré, et donc un impact plus faible. L'ASN fixe des valeurs maximales d'échauffement du milieu naturel pour chaque centrale. Le réchauffement climatique rend plus critique l'impact des centrales sur le volume et la température de l'eau. EDF réduit ou arrête donc les réacteurs en cas de besoin, même si l'ASN peut augmenter temporairement les températures autorisées, en cas de besoin, à la suite d'un retour d'expérience issu des canicules de 2003 et de 2006.

La Cour recommande de consolider les fondements scientifiques de ces limites. Or, elles résultent déjà de travaux scientifiques, avec une étude d'impact d'EDF pour chaque site. Mettre à jour ces limites - à la hausse, si je comprends le rapport - suppose une nouvelle étude d'impact le justifiant. En outre, les difficultés d'étiage limitent les possibilités de rejet des effluents liquides nécessaires à l'exploitation. L'ASN fixe en effet un débit minimal du cours d'eau où ils sont rejetés pour permettre leur dispersion, en deçà duquel les effluents doivent être entreposés. Nous souscrivons à la recommandation n° 2 de la Cour sur l'adaptation de ces capacités d'entreposage : l'été dernier a montré la sous-estimation des capacités d'EDF.

Enfin, la température élevée a un effet sur la colonisation des tours par des microorganismes pathogènes : légionelles, amibes. Des biocides pourraient être plus souvent requis, avec un plafond de rejet décidé par l'ASN. Nous partageons toutefois la recommandation n° 5 sur le renforcement de la recherche et développement pour des traitements biocides plus sobres en réactifs chimiques rejetés.

Deuxièmement, l'ASN partage le besoin d'une approche systémique de l'adaptation des centrales au changement climatique. L'approche critère par critère n'est pas transparente pour le public, et l'adaptation au changement climatique ne peut être pensée sans approche territoriale intégratrice et multisectorielle, ce qui dépasse les prérogatives restreintes de l'ASN. C'est particulièrement nécessaire pour les cinq centrales du bassin de la Loire et les quatre du bassin du Rhône. Il en va de même pour le choix du site d'un nouveau réacteur, qui dépend aussi d'autres paramètres comme la sismicité. Quoiqu'il en soit, tout nouveau site passe par l'ASN, avec une procédure de demande d'autorisation.

Troisièmement, à la suite du rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE), le Gouvernement semble privilégier des scénarios de poursuite de l'exploitation des réacteurs actuels au-delà de 60 ans. Selon l'ASN, il faut sans tarder engager une réflexion avec EDF et l'IRSN sur la durée maximale de fonctionnement dans des conditions acceptables, au-delà du cadre formel des réexamens décennaux. En effet, ces derniers ne sont pas adaptés aux besoins d'anticipation, notamment pour les composants irremplaçables ou difficilement remplaçables.

L'ASN a demandé à EDF d'inclure, en vue de la prochaine politique pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin 2026, la liste des réacteurs pouvant fonctionner après 2050, en prenant en compte les nouveaux réacteurs à construire en bord de fleuve.

Il ne faut pas écarter l'accélération des phénomènes climatiques pour un parc en extension pour les prochaines années, s'il en est décidé ainsi. L'ASN doit donc instruire ces sujets pour anticiper et que le Gouvernement et le Parlement les prennent en compte. Nous prévoyons une démarche renforcée d'association du public, comme nous l'avons fait pour le passage à 40 ans des réacteurs.

Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction Production nucléaire et thermique d'EDF . - M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe, est mobilisé par diverses problématiques, comme vous le savez. Je vous prie de bien vouloir l'excuser.

La Cour nous a demandé un travail important. EDF en partage la majorité des recommandations et conclusions. Cet excellent travail alimente nos réflexions.

Le dérèglement climatique et l'adaptation concernent tout le monde, pas le seul parc nucléaire. L'approche systémique mise en exergue de la Cour est majeure, parce qu'elle comprend la totalité des infrastructures nécessaires au nucléaire : entre autres, réseaux de transports d'électricité, de télécommunications, d'eau potable. Un tel travail devrait être conduit sur toutes les infrastructures publiques.

Nous travaillons sur la préservation de l'habitabilité des territoires. Toutes les centrales de la direction du parc nucléaire et thermique (DPNT), nucléaires comme émettrices de gaz à effet de serre, sont concernées. Ainsi, la disponibilité de l'eau touche une centrale nucléaire comme une centrale à gaz, charbon ou fioul. Toute production pilotable a besoin d'une source froide, essentiellement pour le refroidissement de la partie électrique. Le développement des énergies renouvelables impose cette réflexion autour de ces énergies pilotables, enjeu national.

Les incertitudes sont fortes. EDF travaille sur un scénario médian, dont nous rêvons tous eu égard aux recommandations d'atténuation et d'adaptation du GIEC. Si l'on veut éviter un monde à quatre degrés de plus, quasi invivable - la France serait à six degrés supplémentaires -, nous devons réduire nos gaz à effet de serre. Le nucléaire est une réponse parmi d'autres. Nous retrouvons cette incertitude dans nos travaux avec l'ASN, mais il n'y a pas de retour possible à la normale. Nous sommes, non dans une crise, mais dans une dérive climatique. À EDF, les prémices du service climatique remontent aux années 1990.

Comme le dit Jean Pisani-Ferry, la stabilité du climat, qui est à la base de notre économie, n'existe plus, il faut consentir à des dépenses d'investissement. Nous jouons la transparence, mais, malheureusement, des dépenses importantes doivent arriver, surtout si l'on attend du nucléaire qu'il assure la sécurité du réseau. Une centrale qui, comme aux États-Unis, replie ses tranches parce qu'elle ne peut plus produire, ne remplit pas ses obligations vis-à-vis du réseau. Nous n'avons pas cette approche en France. Nous avons beaucoup de relations avec les centrales de Palo Verde et de Barakah, mais elles diffèrent d'une centrale classique qui met sa production sur les marchés.

Madame la sénatrice, il y a bien une réalité politique à intégrer pour le rôle du nucléaire.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie la Cour pour la qualité de son rapport, et partage l'avis du rapporteur spécial. Au-delà des seuls éléments comptables, il enrichit le débat. Je remercie aussi l'ASN et EDF, ainsi que Christine Lavarde, qui est à l'initiative de ces travaux. Au lendemain d'un nouveau rapport du GIEC, cela met l'accent sur le choix hasardeux, mais qui a été dans l'air du temps, celui de la condamnation du nucléaire. J'espère que nous revenons vers plus d'objectivité. Ce rapport y concourt.

La Cour a établi ce rapport avant l'introduction par le Gouvernement, dans la navette parlementaire du texte relatif à la construction de nouvelles centrales nucléaires, d'un projet de fusion entre l'ASN et l'IRSN. Quelles en seraient les conséquences sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique ?

Ensuite, il est difficile d'isoler les dépenses d'adaptation au changement climatique du parc. Quels obstacles faut-il lever pour progresser sur ce sujet ?

Madame la présidente, votre rapport souligne le besoin d'une démarche commune aux acteurs concernés pour adapter le parc au changement climatique. Comment mieux coordonner l'action ? Faut-il une structure spécifique, existante ou nouvelle, même si je me méfie des strates supplémentaires ?

Enfin, en 2019, l'IRSN abordait les risques d'étiage. Les récentes sécheresses y font écho. Avez-vous identifié des éléments nouveaux ? Reste-t-il des recherches à mener ?

M. Michel Canévet . - Le nucléaire est certes moins vertueux que les énergies renouvelables, mais il reste indispensable à la stratégie de production énergétique de notre pays. À l'instar des déchets, y a-t-il une valorisation du rejet de chaleur en milieu naturel ?

Monsieur Catteau, l'ASN a-t-elle les compétences pour analyser la situation ? Je pose cette question dans la perspective d'un regroupement avec l'IRSN.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je remercie la Cour pour son important rapport, ainsi que les intervenants.

Vous avez parlé des arbitrages d'EDF sur la production hydraulique ou nucléaire, mais la Cour a aussi mentionné d'autres enjeux, dont la préservation de sites environnementaux, de la production agricole et du tourisme. Irait-on jusqu'à menacer ces enjeux ?

M. Daniel Breuiller . - Une fois n'est pas coutume, je ne partage pas le point de vue du rapporteur général : le nucléaire est décarboné, mais il a d'autres inconvénients.

Je remercie la Cour d'avoir dépassé les enjeux comptables. Le futur est difficile à prévoir : quels scénarios sont en préparation, en plus de la prolongation - en dépit des avis de leurs constructeurs - des centrales à, par exemple, 64 ans ? En particulier, quelles sont les hypothèses en termes d'étiage ? J'avais déposé un amendement, considéré comme satisfait, à ce sujet. Maintenant que le ministre Béchu parle d'une France à quatre degrés de hausse, quelles sont vos hypothèses ?

Ensuite, le risque de submersion - un amendement d'une collègue députée n'a pas été retenu - serait maîtrisé, mais c'était aussi le cas à Fukushima. En 1999, nous sommes passés très près d'une catastrophe en France. Quand on observe les trajectoires du GIEC, quels niveaux garantissent la sécurité ? En matière de sûreté, le risque de submersion me paraît plus grave que celui qui est lié à l'étiage.

Enfin, selon moi, il faut garder la double expertise de l'IRSN et de l'ASN. Monsieur Catteau, combien de fois cet été avons-nous dérogé aux règles de préservation de l'environnement ? Dans les étés qui viennent, privilégiera-t-on la production d'électricité ou la biodiversité ?

M. Christian Bilhac . - Je vous remercie pour ces informations.

Tout d'abord, on ne peut se passer du nucléaire, pour des raisons d'indépendance et de décarbonation, alors que la consommation électrique augmentera inéluctablement. La table ronde que nous avons récemment consacrée aux cryptoactifs en atteste.

Toutefois, le tout nucléaire serait une erreur. Le mix est la solution : ne mettons pas tous les oeufs dans le même panier. Madame la présidente, vous parliez de complémentarité entre hydraulique et nucléaire. Est-ce bien judicieux ? C'est l'été qu'on souffre des problèmes d'étiage, qui concernent les centrales et les barrages. Mais la nature fait bien les choses : l'été, on consomme moins d'électricité, et on a du soleil. Une complémentarité entre les énergies solaire et nucléaire est-elle possible ? Le photovoltaïque peut-il compenser les pertes de production ? Il est dangereux de déroger sans cesse à la température des cours d'eau. Le solaire n'est-il pas la réponse ?

Mme Catherine Halbwachs . - Sur la valorisation de l'ensemble de l'énergie produite, il n'y a pas d'incitation spécifique, même si des exemples existent, comme la production de bars et de soles à Gravelines. Nous y travaillons, mais il faut des productions capables de supporter des arrêts de tranches.

Sur les arbitrages de la ressource en eau, notre démarche environnementale est forte. Nous ne vous avons pas présenté les 7 millions d'euros consacrés chaque année à la recherche et au développement autour de la biodiversité. Autour de nos centrales, le programme thermie-hydrobiologie, sur les populations de poissons, est la plus grande séquence de suivi biologique en France. Les travaux, publics, montrent que les centrales nucléaires n'ont pas d'impact majeur, et en tout cas, pour les populations de poissons, bien inférieur à celui du réchauffement climatique. Il faut un projet global pour préserver la production d'électricité et l'agriculture.

En effet, la production varie entre été et hiver, et le mètre cube d'eau n'a pas la même valeur selon les saisons. Gérer cela passe par la protection de l'environnement et du cycle de l'eau. Nous serons heureux de vous présenter notre travail autour des barrages et des centrales pour protéger les zones humides.

Nous travaillons sur plusieurs scénarios. Il faut différencier les scénarios du GIEC des modèles climatiques. Ces derniers sont une quarantaine : nous en testons une vingtaine, les plus applicables aux climats français, à chaque nouveau scénario du GIEC, dont nous retenons les hypothèses les plus pénalisantes.

En revanche, si les trajectoires de températures sont assez bien cernées, chaque modèle est différent quant aux prévisions en matière de précipitations. Cela rend difficile la simulation des étiages pour demain.

C'est une vraie question : une série de verrous scientifiques doivent encore être levés. Globalement, depuis plusieurs années, et particulièrement cet hiver, on observe une tendance de l'anticyclone des Açores à remonter vers le Nord. Le sud de la Loire s'oriente vers un climat ressemblant à celui de l'Espagne, avec des précipitations plutôt hivernales, et très peu de précipitations estivales. Cette tendance météorologique correspond avec ce qu'on vit depuis 2015, mais elle ne peut pas être totalement certifiée par la science, et on ne peut pas affirmer qu'elle est due au dérèglement climatique.

Je laisse M. Catteau se positionner sur la dualité entre l'ASN et l'IRSN, et indiquer combien de fois nous avons dérogé aux règles environnementales cet été.

En pensant ensemble l'hydraulique et les centrales nucléaires dès l'origine, nos grands anciens ont fait le choix qui nous a permis de bénéficier du système électrique le plus résilient, et pendant longtemps de l'électricité la moins chère d'Europe. Le modèle électrique français a consisté à imaginer ensemble l'hydraulique et le nucléaire. On peut évidemment faire évoluer le mix énergétique, mais les équipes de Marcel Boiteux et des grands ministres ayant mis en place notre parc nucléaire ont raisonné en ces termes. Dans la plupart des pays qui connaissent un très fort développement du nucléaire dans leur mix énergétique, cette démarche est aujourd'hui reprise. Il y a donc une cohérence, qui n'exclut pas un travail sur le photovoltaïque - même si, sans chercher à taquiner le solaire, on ne peut pas produire la nuit. Une démarche autour du solaire doit absolument être développée : le maintien du nucléaire n'exclut évidemment pas le développement des énergies renouvelables.

M. Rémy Catteau . - Concernant les compétences, l'ASN souffre de la sectorisation. Nous avons évidemment des spécialistes des agressions climatiques, tout comme des spécialistes de la protection de l'environnement, mais une vision intégratrice nous manque peut-être. Je ne saurais vous dire s'il s'agit d'un problème de compétences ou d'organisation, mais le sujet, bien identifié, a été largement mis en lumière par le rapport de la Cour des comptes.

Lors de la démonstration de sûreté des réacteurs, nous prenons en compte diverses hypothèses pour définir les niveaux d'étiage. Le retour d'expérience établit que les étiages actuels n'ont pas un impact direct sur la sûreté des réacteurs. Nous sommes très loin des niveaux minimaux à prendre en compte, qui sont définis sur la base du retour d'expérience, auquel nous rajoutons des marges assez importantes. Les étiages ont un impact non sur le risque accidentel, mais plutôt sur l'environnement.

Concernant le risque de submersion, l'ASN a publié un guide concernant les risques d'inondation des sites nucléaires, en prenant en compte la probabilité de chaque type d'inondation. Les périodes de retour d'expérience s'étendent sur 1 000 ans, et nous y rajoutons des marges, pour prendre en compte les marées les plus importantes ou les grands vents. En empilant des marges sur des marges, cela peut conduire au renforcement de digues : des travaux sont en cours, notamment à Gravelines et au Blayais.

Par ailleurs, il est toujours possible qu'un événement exceptionnel dépasse les valeurs retenues. Dans ce cas, les moyens ajoutés sur l'ensemble des sites nucléaires à la suite de l'accident de Fukushima apportent une réponse. C'est l'idée de ce que nous avons appelé le « noyau dur », c'est-à-dire de dispositifs permettant d'aller au-delà des niveaux de dimensionnement de la centrale, pour apporter de la résilience et fournir de l'eau et de l'électricité, éléments essentiels pour gérer une crise nucléaire. Ces niveaux sont réévalués tous les dix ans, pour que nous les adaptions à l'évolution des connaissances.

Permettez-moi de ne pas répondre précisément sur la réforme du contrôle. Évidemment, une telle réforme doit prendre en compte l'ensemble des missions de l'instance de contrôle, qui doivent être assurées dans la durée. Il n'y a pas d'ambiguïté, ni dans la situation actuelle ni dans le projet mis sur la table par le Gouvernement.

Mme Annie Podeur . - Je répondrai brièvement, en trois points, sur la méthode, sur les arbitrages, et sur les dérogations. Je commencerai par ce dernier point.

Il y a eu cinq dérogations, pour autant de centrales, entre la mi-juillet et le 11 septembre ; elles ont concerné les centrales thermosensibles du Bugey, du Blayais, de Saint-Alban, de Golfech et du Tricastin, que j'ai citées dans mon diaporama. Je rassure tout le monde : l'utilisation effective a duré très peu longtemps. Il n'y a pas lieu d'affoler sur les dérogations consenties à l'application des normes environnementales.

Sur la méthode, et pour répondre aux interrogations du rapporteur général, comment identifier les investissements relevant du changement climatique ? La comptabilité repose sur un ensemble de conventions ; la comptabilité analytique permet d'identifier certaines dépenses. Aujourd'hui, compte tenu des préoccupations environnementales, toute grande entreprise, publique ou privée, se doit d'identifier les investissements, dans l'exercice de sa responsabilité environnementale et sociale. J'ai été rassurée, car la représentante d'EDF indiquait que les investissements sont à venir. Pour l'instant, ils ont été un peu infimes, mais il faut du volontarisme, compte tenu de l'ambition portée par l'exploitant sur le parc tant existant qu'à venir.

Sur la question des structures, la Cour des comptes a produit en 2018 un rapport sur l'ASN, en 2021 un autre sur l'IRSN ; ces rapports, qui ne sont pas publics, ont été communiqués au Sénat. L'affaire nous semble relever non des structures, mais plutôt, dans une approche systémique, de la capacité des acteurs à se parler, à utiliser le même vocabulaire, à définir des méthodes communes, que cela soit pour les grands principes à l'échelle nationale, ou dans leur déclinaison à l'échelon local. M. Catteau a illustré, lors de son exposé, des raisons d'être confiants en nos capacités. C'est souvent la difficulté : on préconise toujours de nouvelles structures, mais cela tient souvent à l'art de se parler et d'échanger en toute franchise. Aujourd'hui, les rôles sont clairs : l'IRSN a un rôle d'expertise et rend des avis publics, de manière totalement transparente, tandis que l'ASN, sur la base de ces avis, prend des décisions. La Cour ne peut en dire davantage.

Sur les arbitrages entre l'hydraulique et le nucléaire sur un même cours d'eau, notre Premier président a annoncé un rapport public annuel sur l'adaptation au changement climatique à partir de 2024, et cette problématique y sera abordée. Sur les arbitrages avec les autres usages, nous venons également de publier une insertion dans le rapport public annuel sur la politique de l'eau, annonçant un rapport approfondi sur la gestion quantitative de l'eau, qui sortira les prochains mois, et qui abordera directement ces sujets.

M. Bernard Delcros, vice-président. - Je vous remercie.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information du rapporteur spécial Christine Lavarde.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

- M. Olivier GUPTA, directeur général ;

- M. Daniel DELALANDE, directeur général adjoint.

Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)

- M. Jean-Christophe NIEL, directeur général ;

- Mme Karine HERVIOU, directrice générale adjointe en charge de la sûreté nucléaire ;

- M. Patrice BUESO, directeur de la Stratégie.

Électricité de France (EDF)

- M. Cédric LEWANDOWSKI, directeur du parc nucléaire et thermique ;

- Mme Catherine HALBWACHS, directrice RSE et projet ADAPT à la direction de la production nucléaire et thermique ;

- M. Philippe MERCEL, conseiller auprès du directeur exécutif groupe en charge de la production nucléaire et thermique ;

- M. Bertrand LE THIEC, directeur des affaires publiques.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Centrale nucléaire de Golfech - 10 février 2023

- M. Cyril HISBACQ, directeur de la centrale ;

- M. Karel TESSARO, responsable du sous projet tranche en marche ;

- M. Stéphane DERVINS, ingénieur environnement ;

- M. Arnaud GAUTRON, ingénieur modifications ;

- M. Romain PHILIPPEAU, responsable communication.

ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 Réponses d'EDF au questionnaire du rapporteur spécial.

* 2 Ibidem.

* 3 GIEC, 6 ème rapport, « Changement climatique 2021 - Les bases scientifiques physiques », A.3.5, cité par la Cour des comptes dans son rapport sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique, page 22.

* 4 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 5 Le guide est disponible à cette adresse : https://www.asn.fr/l-asn-reglemente/guides-de-l-asn/guide-de-l-asn-n-22-conception-des-reacteurs-a-eau-sous-pression.

* 6 Réponses de l'IRSN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 7 Réponses d'EDF au questionnaire du rapporteur spécial.

* 8 Réponses d'EDF au questionnaire du rapporteur.

* 9 Réponses de l'IRSN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 10 Réponses de l'IRSN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 11 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 12 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 13 Réponses de l'ANS au questionnaire du rapporteur spécial

* 14 Réponses de l'ANS au questionnaire du rapporteur spécial

* 15 Réponses de l'ASN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 16 Réponses de l'ASN.

* 17 Guide inondation, page 33.

* 18 Réponses de l'IRSN au questionnaire du rapporteur spécial.

* 19 Dont la nécessité est décrite infra.

* 20 Incendies de forêts, submersions d'axes routiers, etc.

* 21 Au sens d'une distinction des autres conditions qui déterminent l'implantation des installations.

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