II. LES INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS DANS LES DÉBATS

Les interventions qui suivent sont présentées selon l'ordre chronologique dans lequel elles ont été prononcées, en fonction de l'ordre du jour adopté et des listes d'orateurs établies par la direction de la séance de l'APCE.

A. LES TENSIONS QUI MENACENT L'EUROPE

1. Le sommet de Reykjavik du Conseil de l'Europe : unis autour de valeurs face à des défis hors du commun
a) L'intervention de M. Bernard Fournier

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Le 4ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe, que nous appelions de nos voeux, aura finalement lieu les 16 et 17 mai prochain à Reykjavik. Il doit être l'occasion de réaffirmer notre attachement aux valeurs qui fondent notre Organisation, à savoir la démocratie, les droits de l'Homme et l'État de droit.

Ceci est d'autant plus nécessaire que nous assistons à une remise en cause de ces valeurs avec l'attitude agressive de la Russie, qui ramène la guerre sur notre continent, mais aussi de puissances comme la Chine.

Les manifestations violentes qui ont eu lieu au Brésil en début d'année ou l'attaque du Capitole aux États-Unis nous rappellent également la nécessité de défendre les valeurs démocratiques qui fondent nos sociétés européennes.

Pour cela, nous devons continuer à manifester notre soutien à l'Ukraine et à travailler en étroite coordination pour que les crimes commis par la Fédération de Russie ne restent pas impunis. Ce sommet doit être l'occasion de plaider pour la création d'un tribunal pénal international ad hoc chargé d'enquêter sur ces crimes. Les chefs d'État et de gouvernement réunis à Reykjavik devraient également apporter un soutien financier et humain afin de soutenir les enquêtes menées sur ces crimes et permettre de constituer un registre des dommages causés par l'agression russe.

Par ailleurs, la Fédération de Russie exerce actuellement de facto son autorité sur plusieurs territoires qui relèvent de la souveraineté d'États membres du Conseil de l'Europe : c'est le cas en Ukraine mais aussi en Géorgie et en Moldova. Lors de ce 4e Sommet, il faudrait exiger que la Fédération de Russie se retire de ces territoires dont les citoyens doivent pouvoir bénéficier de la protection de la Cour européenne des droits de l'Homme. De notre soutien à l'Ukraine et de notre fermeté face à la Russie dépendra notre crédibilité dans la défense de nos valeurs.

Un véritable engagement politique sur les questions qui relèvent de son champ de compétence doit rappeler à tous que le Conseil de l'Europe est une communauté politique à part entière.

Dès lors, il faudra sérieusement réfléchir à l'articulation entre le Conseil de l'Europe et la Communauté politique européenne, dont la seconde réunion aura lieu en Moldova peu après ce 4e Sommet. Pour ma part, je considère que les questions relatives aux droits de l'Homme, à la démocratie et à l'État de droit doivent demeurer traitées au sein du Conseil de l'Europe.

Je souhaite que ce sommet puisse donc faire valoir notre spécificité, notre crédibilité et notre utilité pour l'ensemble des citoyens européens. Je voterai donc ce projet de résolution.

Je vous remercie.

b) L'intervention de M. Bertrand Bouyx

Merci, Madame la Présidente.

Madame la Secrétaire Générale,

Mes chers collègues,

Le 4ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe devrait se tenir à Reykjavik les 16 et 17 mai prochains.

Ce sommet est nécessaire. En effet, lors de la fondation du Conseil de l'Europe en 1949, la protection des droits humains et le rejet des régimes totalitaires ont été placés au centre de notre identité commune, alors que les Européens étaient encore meurtris au sortir de la seconde guerre mondiale. Le Conseil de l'Europe était une réponse à une population qui aspirait à la paix, à la prospérité, à la démocratie. Or, aujourd'hui, qui ne voit pas que cette paix, cette démocratie, cet État de droit sont attaqués de toutes parts ? Attaqués de l'extérieur, la guerre sur notre continent est là pour nous le rappeler chaque jour. Attaqués de l'intérieur, même par des partis qui surfent sur ce qui est communément appelé « une fatigue démocratique » et sur des sociétés de plus en plus polarisées où les perdants des élections contestent parfois violemment le droit des gagnants de gouverner.

Pour toutes ces raisons, il convient de repenser l'architecture institutionnelle de notre continent. Le Président de la République française, Emmanuel Macron, a proposé la création de la Communauté politique européenne. Elle a été portée sur les fonts baptismaux le 6 octobre dernier à Prague. Elle aura à assumer notamment des questions de paix et de sécurité mais aussi la crise énergétique par le biais d'une coopération accrue entre les pays membres de l'Union européenne et les pays non membres. C'est donc une organisation tournée vers l'extérieur.

Si la prise en charge des questions de sécurité est primordiale, il est au moins aussi important de maintenir nos standards en matière de droits de l'Homme et d'État de droit. Pour cela, notre Organisation doit être renforcée. Ce doit être le lieu où l'on doit apporter une réponse à cet essoufflement démocratique qui risque d'emporter nos droits les plus précieux.

Ce renforcement passe bien évidemment par un soutien sans faille à notre outil phare, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. En effet, nous le voyons bien : dès qu'un gouvernement populiste arrive au pouvoir, la première chose qu'il fait est de s'attaquer à l'indépendance de la justice. Il essaie de la soumettre à la volonté du politique au nom de la souveraineté populaire. Comme si la souveraineté devait s'opposer à l'État de droit.

S'il y a des avancées à opérer pour permettre l'application plus globale des décisions de la CEDH, alors procédons.

Quant à moi, je demeure persuadé qu'il faut impliquer plus largement nos concitoyens autour des valeurs qui nous réunissent. C'est pour cela qu'avec mes collègues, je voterai le projet de résolution.

Merci à toutes et tous.

c) L'intervention de M. Alain Milon

Merci, Madame la Présidente.

Merci à notre rapporteure qui rappelle que le Conseil de l'Europe a pour objectif de défendre les droits humains, la démocratie et l'État de droit. Il s'agit là de valeurs communes essentielles de l'Europe, fruit à la fois de la philosophie humaniste et de la tragique expérience de nos conflits politiques internes et de guerres qui ont ravagé notre continent.

Le 4ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement doit être l'occasion de poursuivre dans cette voie, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine qui a de fait, pour le moment, mis fin à la vocation paneuropéenne de l'Organisation.

La sécurité de l'Europe dépend de notre capacité à répondre à l'agression russe en soutenant fermement l'Ukraine, en s'engageant à ne pas reconnaître l'annexion illégale de territoires par la Fédération de Russie, mais aussi en travaillant à renforcer la démocratie et l'État de droit partout en Europe.

Les candidatures de l'Ukraine et de la Moldavie à l'Union européenne, ainsi que les perspectives données aux Balkans occidentaux, seront, je le souhaite, l'occasion de rapprocher davantage le Conseil de l'Europe de l'Union européenne. En effet, comme le souligne la résolution qui nous est proposée, le Conseil de l'Europe pourrait apporter à l'Union européenne et aux États candidats toute son expertise.

Parallèlement, de nouveaux défis émergent et les attentes de nos concitoyens évoluent. Le Conseil de l'Europe doit s'y appliquer. C'est le cas notamment en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique. Ainsi, le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle pour garantir le droit de vivre dans un environnement sain et durable.

Je pense que le Sommet des chefs d'État et de gouvernement pourrait s'appuyer sur les travaux menés par notre Assemblée, à l'initiative de notre Président, pour prendre une initiative en ce sens et se placer dans la perspective de l'élaboration d'un cadre juridiquement contraignant pour garantir le droit à un environnement propre, sain et durable. En France, la Charte de l'environnement est adossée à la Constitution depuis 2004.

Pour terminer, ce 4ème Sommet doit être l'occasion de rappeler le rôle essentiel du multilatéralisme dans les relations internationales et des instances de règlement des conflits.

Je vous remercie.

d) L'intervention de M. François Calvet

Madame la Présidente,

Mes chers collègues,

Je veux tout d'abord remercier la rapporteure pour la qualité de ce rapport qui dresse des perspectives claires en vue du Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe que nous avons appelé de nos voeux.

Ce sommet, disons-le clairement, est né dans des circonstances tragiques et signe, au moins à court terme, la fin de l'ambition paneuropéenne de notre Organisation.

Mais cette crise majeure est aussi l'occasion de se réinventer, de se renforcer, de projeter dans l'avenir le Conseil de l'Europe, à un moment où les menaces pesant sur la démocratie et l'État de droit se font plus vives.

Le retour de la guerre sur le territoire de l'Europe constitue bien évidemment la première menace. Face à celle-ci, nous devons évidemment continuer à marquer notre solidarité à l'égard de l'Ukraine et affirmer notre attachement à nos valeurs. C'est à mon sens une condition essentielle pour maintenir la paix sur notre continent.

La tenue de ce 4ème Sommet des chefs d'État et de gouvernement doit être l'occasion de réaffirmer l'importance de la démocratie et de l'État de droit. Il doit conduire à réaffirmer également l'importance de la Cour européenne des droits de l'Homme et la nécessité de mettre en oeuvre ses arrêts, même quand cela nous en coûte.

La résolution qui nous est soumise souligne à juste titre que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne doivent travailler de concert pour promouvoir des valeurs communes.

L'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme est une perspective inscrite dans le Traité sur l'Union européenne depuis le Traité de Lisbonne. Les négociations sont en cours et elles peuvent parfois être très délicates, notamment du fait des règles et de la répartition des compétences des différentes institutions au sein de l'Union. Même si je sais que beaucoup aimeraient faire de l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'Homme un point de sortie très symbolique de ce sommet, je veux pour ma part affirmer que les négociations en cours ne sauraient être bâclées.

Enfin, je souhaite que le Sommet de Reykjavik contribue à clarifier l'articulation entre le Conseil de l'Europe et la Communauté politique européenne, dont la deuxième réunion aura lieu en Moldova 15 jours seulement après le Sommet de Reykjavik et qui ne comprend pas de dimension parlementaire. C'est un sujet de réflexion pour nos parlements nationaux.

e) L'intervention de Mme Marie-Christine Dalloz

Merci, Madame la Présidente.

Madame la rapporteure,

Chers collègues,

L'Europe est à la croisée des chemins. Elle est à la fois fragilisée par les conséquences économiques et politiques de la guerre en Ukraine et renforcée par l'attrait qu'elle continue de susciter, comme l'illustrent les demandes d'adhésion exprimées par l'Ukraine, la Géorgie et la République de Moldova.

Dans ce contexte mouvant, le rôle du Conseil de l'Europe doit être redéfini et, à cet égard, la décision du Comité des Ministres de convoquer un Sommet des chefs d'État et de gouvernement en mai prochain est bien sûr à saluer.

Concernant les objectifs de ce sommet, je souscris tout à fait à la proposition de Mme la rapporteure : il faut d'une part réaffirmer les valeurs historiques du Conseil de l'Europe - les droits humains, la démocratie et l'État de droit - et d'autre part définir une vision d'avenir élargie afin de tenir compte des nouvelles aspirations de la société.

Le rapport qui est soumis à notre examen, dont je tiens à souligner la qualité, recense de très nombreuses propositions. Certaines me semblent particulièrement importantes.

Tout d'abord, le Conseil de l'Europe doit réitérer sa condamnation totale de l'agression injustifiée de l'Ukraine. En excluant rapidement la Fédération de Russie, le Conseil de l'Europe a réagi de manière appropriée mais cela n'est pas suffisant. Le Conseil de l'Europe doit maintenant soutenir toutes les initiatives judiciaires visant à faire rendre des comptes au pays agresseur. La création d'un tribunal ad hoc permettant d'engager des poursuites sur le crime d'agression me semble devoir être encouragée.

Le Conseil de l'Europe doit également réaffirmer l'importance primordiale de la Convention européenne des droits de l'Homme, outil essentiel de défense des valeurs démocratiques, et oeuvrer pour que l'Union européenne devienne, le plus rapidement possible, partie à la Convention. Le sommet doit aussi être l'occasion d'insister sur la nature contraignante des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ainsi que sur leur primauté par rapport aux décisions des juridictions nationales.

Enfin, le Conseil de l'Europe doit s'ouvrir à de nouvelles thématiques, faute de quoi les demandes de la population resteront sans réponse et la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions publiques ne cessera de croître. Je pense notamment à la question environnementale, préoccupation de la jeunesse. Les nouvelles technologies - numérique et intelligence artificielle - me semblent aussi devoir être intégrées dans la sphère du Conseil de l'Europe. La population les plébiscite tout en réclamant également un cadre juridique équilibré assurant la protection de la vie privée et des données personnelles.

Je vous remercie de votre attention.

2. Questions juridiques et violations des droits de l'Homme liées à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine
a) L'intervention de M. André Gattolin

Merci, Monsieur le Président.

Mes chers collègues,

Tout d'abord, Monsieur le Président, je tiens à vous remercier pour l'invitation qui a été faite à Mme Oleksandra Matviichuk de s'exprimer ici.

Madame, je veux dire toute l'émotion que nous ressentons pour, de manière souvent partielle, avoir été aussi défenseurs de personnes qui ont souffert. Ce que vous devez vous-même ressentir, au-delà de la dureté de ce que les personnes ont subi, est quelque chose de terrible et je tiens à vous féliciter, vous et votre organisation. Je crois que ce prix Nobel de la paix est pleinement mérité.

Vous l'avez dit, vous avez documenté 31 000 crimes de guerre. Vous l'avez évoqué sobrement, cela a été rappelé il y a quelques instants par notre collègue grec : il y a des crimes de guerre, des crimes - dirais-je - contre l'humanité que nous pouvons difficilement renseigner. C'est celui de la déportation massive de personnes dans les territoires annexés ou occupés par la Fédération de Russie ; des centaines de milliers d'enfants qu'on force à abandonner soit leur famille, parfois orphelins mais qui ont aussi des membres ukrainiens chez qui ils pourraient être accueillis, que l'on force à aller sur le territoire de la Fédération de Russie ; on crée des décrets spéciaux pour les faire adopter, dans une rhétorique qu'on retrouve dans la presse propagandiste du Kremlin « humanitaire ».

Ces enfants, que deviennent-ils ? Quel est l'objectif, quand on lit certains journaux qui nous expliquent que c'est pour procéder à la dénazification, qu'on fait la désukrainisation, qu'on va transformer ces enfants en bons petits Russes comme on le fait avec les enfants ouïghours en République soi-disant populaire de Chine ?

Je dis qu'il y a là un scandale. Il y a là des centaines de milliers de cas qui vont être très difficiles à renseigner, mais pour lesquels les autorités responsables - et pas seulement militaires, mais politiques, civiles de la Fédération de Russie - devront rendre des comptes. Cette situation est abominable parce qu'elle relève, à proprement dit, du cas de crime de génocide. À un moment, il va falloir que nous osions ce mot. Quand on procède à une épuration ethnique de territoires, soi-disant pour protéger les populations russophones d'un soi-disant crime génocidaire, on procède à un génocide de masse, à une destruction d'une culture, à l'asservissement d'enfants, à leur déportation. Parce qu'il ne s'agit pas de déplacement forcé : au sens strict du terme, quand on franchit une frontière, c'est une déportation. Eh bien, je crois que nous devons aussi nous emparer de cette question.

Et puis je conclurai bien évidemment en soulignant le travail excellent fait par notre rapporteur Damien Cottier que je soutiens pleinement. J'espère que nous voterons à l'unanimité, que les chefs d'État qui se réuniront à Reykjavik s'en empareront et que notre Commissaire aux droits de l'Homme dans cette institution, que je trouve un peu trop silencieuse, s'emparera pleinement aussi de cette question.

Je vous remercie.

b) L'intervention de M. Bertrand Bouyx

Merci, Monsieur le Président.

Mes chers collègues,

Tout d'abord saluer, comme il a été dit, notre rapporteur pour l'excellence de son rapport ainsi que tout le travail fait par la commission.

Les violations des droits de l'Homme sont quotidiennes en Ukraine. Elles sont le fait des membres réguliers des forces armées russes mais aussi des milices privées, notamment la milice Wagner qui fait parler de ses sinistres exploits dans le pays mais aussi ailleurs. La Fédération de Russie s'est rendue coupable d'exactions dont l'atrocité heurte la conscience et notre conception de la vie et de la dignité humaines.

Ces exactions de toutes natures - je l'ai déjà exprimé ici, crimes de guerre voire crimes contre l'humanité - appellent bien évidemment une condamnation de la part de la justice internationale.

La délégation française que je préside a eu l'honneur de recevoir la délégation ukrainienne conduite par Mme Mariia Mezentseva à l'Assemblée nationale mais aussi au Sénat pour évoquer la constitution d'un crime d'agression qui engloberait les différents crimes qu'a dû endurer l'Ukraine depuis le 24 février 2022.

Je veux redire ici ce que nous avons collectivement dit à nos collègues ukrainiens. Cette rencontre a été l'occasion d'échanges sur la création d'un Tribunal pénal international spécial, en charge de sanctionner les diverses exactions commises par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien.

Nous soutenons sans réserve le principe d'un jugement des responsables de ces crimes, quels que soient les moyens choisis pour y parvenir. En effet, le fait que ni la Russie, ni l'Ukraine ne soient parties au Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale, il sera nécessaire d'explorer les voies et les moyens pour la création d'un tribunal ad hoc.

Le 30 novembre dernier, l'Assemblée nationale française a appuyé cette position en votant une résolution appelant, je cite : « l'Union européenne et ses États membres à continuer de soutenir sans retenue la Cour pénale internationale dans son travail d'enquête sur tout possible crime de guerre ou crime contre l'humanité commis sur le territoire ukrainien depuis le début de l'agression, afin que les coupables de tels crimes puissent être jugés par la CPI ou, le cas échéant, par un tribunal ad hoc à l'issue du conflit ».

D'ores et déjà, le Gouvernement français a décidé de déployer des enquêteurs de la gendarmerie nationale française dans la région d'Izioum - et je salue l'engagement de la gendarmerie. Il faut bien évidemment poursuivre la collecte et la conservation sur le terrain des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Je rejoins mon collègue M. André Gattolin pour que notre Commissaire aux droits de l'Homme se saisisse de cette situation.

C'est au prix de la justice pour les victimes et de la sanction pour les bourreaux que notre continent retrouvera la paix, une paix pérenne.

La France et son Parlement se tiennent prêts à appuyer toute démarche allant dans ce sens.

Je vous remercie.

c) L'intervention de M. Bernard Fournier

L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine se poursuit malheureusement, occasionnant chaque jour de nombreux décès, mais aussi de nombreux blessés qui, pour certains, garderont des séquelles à vie.

Les bombardements russes, sciemment conçus pour saper le moral de la population, détruisent des infrastructures essentielles du pays, telles que les hôpitaux ou les écoles. De fait, les conditions de vie sur place sont de plus en plus difficiles.

Les droits fondamentaux des Ukrainiens sont bafoués, et j'ai une pensée toute particulière pour les enfants.

En novembre dernier, la Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe dénonçait le sort fait aux enfants par cette guerre. Des millions d'entre eux ont été déplacés et séparés de leurs proches. De nombreuses sources affirment également que certains ont été transférés de force vers la Russie. Suite à un changement législatif visant à faciliter l'octroi de la citoyenneté russe aux enfants ukrainiens, certains d'entre eux ont même été adoptés en Russie. Cette situation n'est pas acceptable et nous devons la condamne avec force. La Convention de Genève interdit les transferts de population d'un territoire occupé vers le territoire de la puissance occupante, tout comme elle interdit le changement du statut personnel des enfants, y compris leur nationalité, par une force d'occupation.

Les violences exercées contre les femmes sont également préoccupantes, comme nous l'a rappelé avec des exemples poignants le rapport présenté mardi matin par notre collègue Petra Bayr.

Plus globalement, les exécutions sommaires se multiplient. Un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme, qui s'appuie sur le travail de la mission de surveillance des droits de l'Homme en Ukraine instituée par les Nations Unies, détaille ces actions atroces qui touchent les populations civiles.

Dans ce contexte, il est nécessaire de continuer à soutenir l'Ukraine. L'Union européenne a adopté plusieurs paquets de sanctions, personnelles mais aussi à caractère commercial, dont les effets sont majeurs dans la durée. Elle déploie également des aides importantes sur les plans humanitaire, financier et militaire.

De son côté, le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle essentiel pour permettre la mise en place d'un tribunal pénal international spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine. Le rapport que nous examinons aujourd'hui présente les caractéristiques envisageables pour ce tribunal.

Je forme le voeu que les chefs d'État et de gouvernement apportent leur soutien à la création d'un tel tribunal lors du Sommet de Reykjavik.

d) L'intervention de Mme Mireille Clapot

Monsieur le président, mes chers collègues,

Il ne fait aucun doute que la Russie a commis un crime d'agression à l'égard de l'Ukraine. L'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, avec le soutien de la Biélorussie, constitue une violation flagrante du droit international : à la fois de la Charte des Nations-Unies dont la Russie est pourtant censée être le garant en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU ; et du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques comme le considère le Comité des droits de l'Homme des Nations-Unies étant donné que son article 6 garantissant le droit à la vie a été honteusement violé par l'État russe.

Il est nécessaire que notre Assemblée réunie aujourd'hui affirme clairement, au nom de nos principes démocratiques et du respect des droits humains, que ces crimes ne seront pas impunis. Au-delà de la reconnaissance de ces crimes, il nous faut mettre en oeuvre des moyens pour enquêter, poursuivre et condamner les coupables de ces crimes odieux.

Si l'Ukraine n'est pas un État-partie au Statut de Rome, elle a reconnu la compétence de la Cour Pénale Internationale à l'égard des crimes commis sur son territoire. Suite aux atrocités commises par l'armée russe à l'encontre du peuple ukrainien et de sa population civile, la CPI a déjà lancé des enquêtes pour crime de guerre, crime contre l'humanité et génocide. Nous devons soutenir ce travail. La France a par exemple déployé des enquêteurs de la gendarmerie nationale en Ukraine pour soutenir la collecte et la conservation de preuve de ces crimes.

Mais la CPI demeure incompétente quant au crime d'agression commis par la Russie à l'égard de l'Ukraine. Il nous faut réformer ses statuts pour qu'elle puisse jouer pleinement son rôle. Il est inadmissible qu'un membre du Conseil de Sécurité de l'ONU accusé des crimes les plus graves puisse bloquer toute saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité grâce à son droit de veto.

Ni la Russie ni son complice biélorusse n'ont ratifié le Statut de Rome, mais cela ne doit pas empêcher leurs dirigeants qui ont planifié, initié et exécuté ces actes d'être poursuivis et jugés. Il en va de la justice envers le peuple ukrainien. Il en va aussi de la crédibilité du système international pour garantir la paix et la sécurité dans le monde.

Pour cela, nous devons créer un tribunal spécial qui réponde à l'agression criminelle en cours contre l'Ukraine. Je remercie à ce titre Monsieur le rapporteur M. Damien Cottier pour son travail qui dresse les grandes lignes que pourrait avoir un tel tribunal sans s'arroger les prérogatives de la CPI. Il nous faudra nous assurer du soutien d'un grand nombre de pays à son égard pour lui conférer une forte légitimité.

Enfin, je soutiens également la mise en oeuvre d'un mécanisme international d'indemnisation pour les dommages causés par cette agression brutale, dont la création d'un registre international visant à consigner les preuves et les demandes de réparation.

Cela ne pourra se faire qu'avec l'aide de la société civile ukrainienne, comme Mme Oleksandra Matviichuk et vos équipes de au Centre pour les libertés civiles. Vos actions que je salue sont indispensables pour témoigner au monde entier les atrocités commises en Ukraine et plus tard pour rendre justice au peuple ukrainien.

3. Les tensions récentes entre Pristina et Belgrade
L'intervention de Mme Liliana Tanguy, au nom du groupe ADLE

Merci, Madame la Présidente.

Chers collègues,

Le groupe ADLE, au nom duquel je m'exprime aujourd'hui, tient à faire part de ses profondes préoccupations devant la situation actuelle au Kosovo et tient également à féliciter les deux délégations de Serbie et du Kosovo pour leur présence aujourd'hui.

Le divorce entre la Serbie et son ancienne province autonome proclamée indépendante en 2008 s'est avéré un processus complexe et douloureux, marqué par la guerre qui l'a initié, les blessures infligées de part et d'autre, les rancoeurs persistantes et la trop longue stérilité des relations réciproques qui en a découlé.

Si les armes se sont tues depuis bien longtemps, jamais n'a été instaurée une véritable paix. Serbes et Kosovars paraissent toujours vivre, penser et agir comme si le conflit pouvait reprendre à tout moment, comme s'ils s'y préparaient sans relâche. Les peuples et les États des Balkans dans leur ensemble n'ont jamais cessé de redouter que ce brasier-là ne se rallume.

Certes, Belgrade et Pristina ont renoué un dialogue depuis le début de la décennie 2010 ; les Accords de Bruxelles conclus en 2013 ont constitué une étape importante vers la normalisation des relations entre les deux pays. Or, nous le constatons avec regret, leur mise en oeuvre n'a pas donné les résultats escomptés. Peu de progrès ont été réalisés depuis 10 ans. Pire, les tensions entre les deux pays sont montées d'un cran ces derniers mois, ces dernières semaines en particulier ; des tensions qui prennent une dimension particulière dans le contexte de l'agression perpétrée contre l'Ukraine ; des tensions dont nous n'avons pas le droit de sous-estimer la gravité.

Sans agiter à la hâte le spectre d'une nouvelle guerre, nous ne pouvons nous permettre d'en ignorer le risque. La menace existe : il est de notre devoir de la juguler de toute urgence, si possible durablement.

Nous déplorons l'escalade commencée cet été à la suite de la décision du Gouvernement de Pristina d'interdire les plaques d'immatriculation serbes au nord du Kosovo. La crise ainsi ouverte n'a toujours pas trouvé d'issue. Depuis des mois, les accès de fièvre et les apaisements obtenus in extremis se succèdent, tandis que la Kfor peine à remplir ses missions.

La fracture entre les deux communautés en présence se creuse de plus en plus à chaque incident. Les Serbes du pays se sentent menacés et force est de constater que les violences à leur encontre se multiplient. Ils n'hésitent plus à recourir aux barricades, aux barrages routiers. Les démissions massives de leurs représentants au sein des institutions et de l'administration kosovare ont paralysé de fait les processus de normalisation entamés. À cet égard, la vacance des pouvoirs municipaux est particulièrement dommageable.

Cependant, malgré les graves difficultés que connaît la région, le dialogue entre la Serbie et le Kosovo n'est pas rompu : il est tendu et conflictuel, mais il existe.

Notre groupe appelle ces deux pays à le poursuivre coûte que coûte, sous l'égide de l'Union européenne, à prendre leurs responsabilités et à faire preuve de courage politique. Notre groupe soutient toutes les initiatives visant à maintenir la paix et rétablir la stabilité dans cette partie fragile des Balkans occidentaux. Le groupe ADLE approuve le nouveau plan de normalisation finalisé sous l'égide de l'Union européenne et des États-Unis et à l'élaboration duquel la France a pris une part conséquente.

Je vous remercie.

4. Répondre aux conséquences humanitaires du blocus du corridor de Latchine : l' intervention de M. Bertrand Bouyx, au nom du groupe ADLE

Merci, Monsieur le Président.

Mes chers collègues,

Ce débat d'actualité est essentiel. En effet, le corridor de Latchine est une ligne de vie pour la population du Haut-Karabakh. Cette voie reliant le territoire à l'Arménie permet l'accès et les approvisionnements du Haut-Karabakh.

Conformément à la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020, la République d'Azerbaïdjan s'est engagée à garantir la sécurité des déplacements des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux directions.

À la suite d'une initiative française, la Communauté politique européenne qui s'est réunie pour la première fois à Prague le 6 octobre dernier en présence des Premier ministre arménien et Président azerbaïdjanais a permis des avancées, notamment le déploiement d'une mission d'observation de l'Union européenne.

Le Conseil de l'Europe, bâti sur le socle des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, doit pouvoir participer à ces missions d'observation. En effet, se rendre compte par nous-mêmes de l'état de la situation sur place me semble absolument nécessaire. En tout état de cause, d'une part, les entraves mises à la circulation sur le corridor entraînent des conséquences humanitaires graves pour la population locale ; je n'ai besoin ici de décrire les effets du manque de nourriture, de médicaments ou de combustibles de chauffage. D'autre part, le corridor ne peut être utilisé pour encourager les départs sans retour de la population arménienne du Haut-Karabakh, du fait d'une vie devenue impossible dans cette enclave.

Toute évolution sur le terrain ne peut résulter que d'un dialogue politique entre les deux parties. Mon pays, la France, en tant que membre du Groupe de Minsk, reste pleinement engagé en soutien aux négociations en cours à la suite des rencontres de Bruxelles, Prague et Washington. Quant à nous, pays européens et singulièrement les pays membres de l'Union européenne, nous devons tenir les deux bouts de cette corde.

Maintenir la coopération avec l'Azerbaïdjan est certes important mais tout accord, aussi nécessaire soit-il pour les deux parties, ne doit pas nous faire oublier que notre continent est d'abord une communauté d'esprits, une communauté qui met en partage le respect des droits de l'Homme, des principes démocratiques, des libertés fondamentales et notamment de la liberté d'expression. Cette liberté doit être garantie à la population azerbaïdjanaise mais également arménienne, quel que soit son lieu de résidence.

J'appelle donc les pays de notre continent à un engagement fort pour régler ce conflit qui est un peu oublié mais qui a cependant déjà trop duré.

Merci.

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