N° 757

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »,

Par MM. Arnaud BAZIN et Éric BOCQUET,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le renforcement de la place des associations dans l'action publique traduit-il un engagement ou un désengagement de l'État ? MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet ont présenté le mercredi 21 juin 2023 les conclusions de leur rapport sur le conventionnement des associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dont ils sont rapporteurs spéciaux.

I. LE SOUTIEN AUX ASSOCIATIONS CONVENTIONNÉES : L'ÉTAT FACE À SON (DÉS)ENGAGEMENT

A. LES CONVENTIONS SIGNÉES AVEC LES ASSOCIATIONS : SIGNE D'UN ÉTAT QUI S'ENGAGE ?

« Au coeur de la société civile, les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de la Nation et le fonctionnement de notre modèle de société. Elles sont fréquemment amenées à anticiper, éclairer ou compléter l'action conduite par les pouvoirs publics, inspirant à l'État et aux collectivités territoriales de nouvelles formes d'intervention, aux avant-postes de l'innovation et de la créativité dans les territoires ».

Les premiers mots de la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 témoignent de l'importance prise par les associations dans la conduite de certaines politiques publiques.

D'une part, les associations sont consultées par l'État en tant qu'interlocuteurs représentatifs de la société civile pour comprendre les besoins des publics, concevoir les réponses collectives et individuelles et les évaluer. D'autre part, l'État, au niveau central comme au niveau déconcentré, s'appuie aussi parfois sur les associations en tant qu'auxiliaires pour la déclinaison opérationnelle des politiques publiques.

L'État verse alors des subventions à ses associations, le plus souvent au moyen d'une convention.

B. UNE TENDANCE HAUSSIÈRE DU SOUTIEN DE L'ÉTAT AUX ASSOCIATIONS AU TITRE DE LA MISSION, QUI MASQUE D'IMPORTANTES DISPARITÉS

Les associations subventionnées au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » portent des actions en faveur de l'aide alimentaire, de la lutte pour les droits des femmes ou les droits des personnes handicapées. Des actions visant à lutter contre la précarité menstruelle ou dédiées à la protection juridique des majeurs, par exemple, sont également financées sur les crédits de la mission.

La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) sont les administrations chargées, au niveau central, de l'attribution de ces subventions.

La mission subventionne des associations au titre de trois programmes : le programme 304 « inclusion sociale et protection des personnes », le programme 157 « Handicap et dépendance » et le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».

Évolution des subventions versées aux associations au titre de la mission
sur le dernier quinquennat

(en millions d'euros)

Le soutien de l'État à ces associations a crû sensiblement au cours du dernier quinquennat, au rythme des crises sanitaires et sociales en ce qui concerne le programme 304, au fur et à mesure de la montée en puissance de la politique de défense des droits des femmes, pour le programme 137 - le soutien aux associations représentant 93 % des crédits consacrés à cette politique sur la mission. Les crédits liés au handicap et à la dépendance sont stables, car principalement portés par la Sécurité sociale.

Il convient cependant de rappeler que les crédits dédiés au soutien aux associations représentent moins de 1 % des crédits d'une mission dotée d'environ 30 milliards d'euros, qui finance principalement des allocations de solidarité, comme la prime d'activité.

II. ENCORE INSATISFAISANT, LE CONVENTIONNEMENT PLACE DE NOMBREUSES ASSOCIATIONS EN DIFFICULTÉ

A. LA SUMMA DIVISIO : CONVENTIONS ANNUELLES ET PLURIANNUELLES

Aux termes de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, la conclusion d'une convention est obligatoire lorsque le montant de la subvention excède un seuil fixé par décret à 23 000 euros.

Lorsqu'il s'agit d'un projet ponctuel, cette convention est annuelle, ce qui permet d'attribuer et de verser les crédits selon le principe de l'annualité budgétaire. Cette option est souvent perçue peu favorablement par les associations : elles n'ont en effet, dans ce cas, aucune certitude quant à la pérennité du soutien financier de l'État.

Lorsque l'administration souhaite inscrire son soutien à une association dans la durée, soit qu'elle souhaite soutenir un projet structurant dont la mise en oeuvre s'étale sur plusieurs années, soit qu'elle finance des associations « têtes de réseaux », elle recourt à une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO). Le recours aux CPO s'est développé, en particulier sous l'impulsion de la circulaire du 29 septembre 2015, pour favoriser « dans la durée le soutien public aux association concourant à l'intérêt général. » Contrairement aux conventions annuelles, les CPO assurent aux associations une certaine stabilité du soutien de l'État.

B. LE PROCESSUS DE CONVENTIONNEMENT EST SOURCE DE DIFFICULTÉS POUR LES ASSOCIATIONS, PRINCIPALEMENT DU FAIT DES DÉLAIS QU'IL ENGENDRE

La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une grande complexité. L'administration est en effet tenue par de nombreuses normes, nationales et européennes, législatives et réglementaires, de procéder à de nombreuses vérifications. En miroir, les associations sont soumises à d'importantes exigences, et doivent fournir un nombre croissant de documents justificatifs.

Il est bien sûr important que ces vérifications soient réalisées. Cependant, l'administration indique que « la décision d'attribution est suspendue le temps que les contrôles des obligations légales, réglementaires et la production des pièces soient réalisés », ce qui implique parfois des retards importants dans l'attribution des subventions, dommageable pour les associations.

Paroles d'associations

« Nous avons commencé à négocier notre prochaine CPO en septembre 2022. Aujourd'hui [en avril 2023], la procédure n'a toujours pas abouti. Nous n'avons pas de nouvelles à ce stade. »

« Si vous êtes financés par une convention annuelle, au mieux le premier versement tombe en juillet - au pire en décembre... »

A contrario, les conventions pluriannuelles d'objectifs, une fois signées, sont assez sécurisantes. Les associations bénéficient ainsi de visibilité sur leurs financements sur plusieurs années ; en outre, les charges administratives sont moins importantes durant la mise en oeuvre de la convention que lors de sa négociation ou au moment de son renouvellement.

Depuis la circulaire du 29 septembre 2015, l'acompte doit être versé au plus tard en mars et le solde au plus tard en août, ce qui tranche avec les retards importants subis lors de la négociation des conventions.

Pour remédier à ces retards, identifiés aussi bien par les associations que par l'administration, la DGCS a élaboré en 2022 un nouveau calendrier de programmation des subventions, applicable à partir de 2023, dont l'objectif est de parvenir à signer les conventions et à mettre en paiement les subventions entre avril et juin.

C. L'ASSOCIATION, UN MODÈLE PRÉCAIRE PAR NATURE ?

Les auditions menées par les rapporteurs spéciaux ont fait apparaître la grande précarité qui caractérise l'action de nombreuses associations entendues, en particulier pour les associations de défense des droits des femmes et les associations d'aide alimentaire.

Les premières sont confrontées, notamment à la suite du mouvement « #MeToo », à une augmentation de files actives. À titre d'exemple, le rapport annuel d'activité pour 2022 du Collectif féministe contre le viol (CFCV) fait État d'une augmentation d'environ 10 % des appels pour viols reçus par l'association entre 2021 et 2022 sur la seule ligne d'écoute « Viols femmes informations ».

Les secondes font face à un important effet ciseau lié à l'inflation. D'une part, les demandeurs sont plus nombreux : entendus par les rapporteurs spéciaux, les Restos du Coeur font État d'une hausse de 22 % en 2022 du nombre de personnes accueillies dans leurs centres par rapport à l'année précédente. D'autre part, les denrées sont plus chères : la DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux que les coûts d'achat de denrées étaient passés en deux ans de 56 à 110 millions d'euros.

Toutes sont confrontées à la faible attractivité de leurs emplois. Comme la DGCS a pu le rappeler devant les rapporteurs spéciaux, le secteur des droits des femmes n'a été que partiellement concerné par l'application de la prime Ségur. En particulier, les juristes spécialisés en droit des femmes des centres d'informations sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), de même que les écoutantes des plateformes téléphoniques en demeurent exclus.

III. RÉÉQUILIBRER LES RAPPORTS ENTRE L'ÉTAT ET LES ASSOCIATIONS

Le conventionnement et ses modalités ont également des conséquences sur les relations entre l'État et les associations. Qualifiées par certains universitaires d'instruments d'un « gouvernement à distance », les conventions s'appuient sur des dispositifs tels que les appels à projets ou le dialogue de gestion pour orienter et contrôler l'activité des associations.

A. LES APPELS À PROJETS : COMMENT L'ÉTAT ORIENTE L'INITIATIVE ASSOCIATIVE

En principe, et même lorsque les associations participent pleinement à la conduite d'une politique publique promue par l'État, l'initiative du projet revient toujours à l'association. Mais le développement des appels à projets brouille quelque peu les lignes. Cette pratique consiste à « réserver une partie limitée des crédits versés sous forme de subventions à des appels à projets innovants et ponctuels, pour favoriser l'émergence de pratiques et d'acteurs nouveaux, en se fondant sur une liste de critères prédéfinis. »

Le recours aux appels à projets (AAP) conduit à un certain alignement des projets associatifs sur les commandes de l'administration. Celles qui se plient à ces incitations bénéficient d'un renforcement de leurs moyens par un accès à des financements supplémentaires. L'intérêt des associations est dès lors de se conformer aux attentes de l'État. Par le biais des appels à projets, la capacité des pouvoirs publics à diriger l'offre associative va croissant.

La logique des projets innovants est d'ailleurs discutable dans certains cas : d'une part, parce que certaines activités d'intérêt général ne se prêtent pas de manière systématique à l'innovation, d'autre part car il apparaît peu cohérent de financer des associations innovantes alors que certaines actions « socles » sont mal financées, enfin parce que les AAP peuvent paradoxalement contribuer à générer des besoins de financement pérennes.

Paroles d'associations

« À quoi bon financer de nouveaux dispositifs innovants quand l'existant est si mal financé ? »

B. DANS LE CADRE DU DIALOGUE DE GESTION, UNE ÉVALUATION QUI DOIT ÊTRE PLUS PARTENARIALE ET RENFORCÉE

Le contrôle et l'évaluation des actions menées dans le cadre des conventions sont parfois décevants, en particulier s'agissant des projets ponctuels. En particulier, le reporting constitue une charge importante pour les petites associations, et l'évaluation arrive trop tard dans l'année, lorsqu'elle n'est pas impossible du fait des retards pris en amont pour signer la convention.

À l'inverse, dans le cadre des conventions pluriannuelles, le dialogue de gestion consiste en un rendez-vous annuel entre l'administration et l'association, sur la base des documents justificatifs de l'année (compte-rendu quantitatif et qualitatif, rapport d'activité, etc.). D'une qualité satisfaisante dans ce cas, le dialogue de gestion permet également de faire face à certains imprévus : c'est dans ce cadre, par exemple, que le financement des marchés infructueux a été redirigé de l'établissement FranceAgriMer directement vers les associations.

Quelques points d'amélioration sont néanmoins identifiables :

D'une part, l'administration ne recourt que timidement à la notion « d'excédent raisonnable », qui permet à l'association de conserver un excédent dû à une bonne gestion plutôt que de le voir reversé à l'administration. Cette notion pourrait cependant permettre d'encourager la bonne gestion des deniers publics et consolider la trésorerie des associations. La frilosité de l'administration est d'autant plus dommageable que la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 a fait de cette notion un item obligatoire de la négociation des conventions.

D'autre part, la pertinence de certains indicateurs de suivi de l'action des associations est parfois mise en question. Certains sont même potentiellement porteurs d'effets pervers.

C. ÉMANCIPER LES ASSOCIATIONS DE L'ÉTAT : DÉVELOPPER LES CO-FINANCEMENTS DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Les associations moins dépendantes des financements de l'État sont évidemment moins durement affectées par les difficultés liées au conventionnement. Trouver d'autres sources de financement pour leurs actions permettrait ainsi aux associations de conserver leur initiative et leur indépendance vis-à-vis de l'administration.

La subvention attribuée par la DGCS ou les services déconcentrés de l'État ne dépasse jamais 80 % du coût du projet présenté. Cette règle « coutumière » permet d'imposer, projet par projet, la recherche de co-financements. Or le développement des co-financements peut s'accompagner d'effets pervers, en particulier s'il s'agit de financements privés : les associations doivent consacrer des ressources à la recherche de telles sources alternatives de financement, elles sont parfois amenées à faire participer les usagers, ce qui exclut les plus précaires, et elles s'exposent au « départ » de leurs mécènes, dont la charité n'est jamais acquise.

Pour fournir des co-financements aux associations, les collectivités locales, qui constituent des partenaires privilégiés et sûrs, sont incontournables.

LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 : Maintenir, voire augmenter, le niveau du financement des associations par la mission.

- maintenir, voire augmenter, les crédits destinés aux subventions aux associations, en particulier les associations financées par le programme 137, principal vecteur de la politique de défense des droits des femmes ;

- poursuivre le mouvement de hausse du montant moyen des subventions, pour éviter le saupoudrage.

Recommandation n° 2 : Améliorer la visibilité des associations sur leurs financements en provenance de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

- augmenter la durée moyenne des conventions en privilégiant les conventions pluriannuelle et en augmentant le nombre de conventions pluriannuelles signées pour une durée de quatre ans au lieu de trois ;

- procéder à une évaluation contradictoire, incluant les associations, du nouveau calendrier de programmation des subventions établi pour 2023 ;

- en fonction des résultats de l'évaluation, envisager d'avancer encore le calendrier, au cours de l'année N-1, afin que les premiers versements puissent avoir lieu au début de l'année N.

Recommandation n° 3 : Faire du conventionnement un instrument pour sortir les associations de la précarité qui caractérise leur modèle économique.

- prendre en compte l'impact de l'inflation dans la négociation des avenants modifiant les conventions pluriannuelles ;

- lorsque l'association en fait la demande, accepter de financer une partie plus importante de ses charges de gestion afin de permettre le recrutement pérenne de personnels salariés.

Recommandation n° 4 : Conforter l'initiative associative dans la définition des projets, actions et activités financés dans le cadre des conventions.

- réduire les financements destinés à être attribués à la suite d'un appel à projets pour privilégier les financements pérennes ;

- organiser les appels à projets de telle sorte que l'initiative associative puisse s'exprimer dans les meilleures conditions.

Recommandation n° 5 : Approfondir l'évaluation des actions menées dans le cadre des conventions, selon des modalités partenariales.

- rendre plus réguliers les échanges dans le cadre du dialogue de gestion, afin de suivre en continu la progression des projets menés et d'en tirer en temps réel les enseignements pour le futur ;

- procéder à l'harmonisation des pièces justificatives et des indicateurs d'activités afin de garantir la qualité du reporting et l'identification des bonnes pratiques ;

- faire systématiquement porter la négociation sur la définition d'un « excédent raisonnable » de gestion qui pourra être conservé par l'association ;

- éviter les effets pervers associés à certains indicateurs quantitatifs et développer l'utilisation d'indicateurs permettant de rendre compte de l'impact non quantifiable de l'action associative.

Recommandation n° 6 : Développer les sources de financement complémentaires, sans toutefois qu'elles ne se substituent au soutien de l'État.

- associer les collectivités territoriales, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des documents justificatifs là où ils existent ;

- mobiliser le dispositif local d'accompagnement (DLA) pour accompagner au niveau local les associations qui cherchent à consolider leur modèle économique par la diversification de leurs sources de financement, en privilégiant les financements publics des collectivités territoriales.

I. LES CONVENTIONS SIGNÉES AVEC LES ASSOCIATIONS : LE VECTEUR D'UN RÉENGAGEMENT DE L'ÉTAT

A. LE SOUTIEN AUX ASSOCIATIONS : ENGAGEMENT, DÉSENGAGEMENT ET RÉENGAGEMENT DE L'ÉTAT

1. La subvention : modalité privilégiée du soutien de l'État aux associations

« Au coeur de la société civile, les associations occupent une place essentielle dans la vie collective de la Nation et le fonctionnement de notre modèle de société. Elles sont fréquemment amenées à anticiper, éclairer ou compléter l'action conduite par les pouvoirs publics, inspirant à l'État et aux collectivités territoriales de nouvelles formes d'intervention, aux avant-postes de l'innovation et de la créativité dans les territoires.1(*) »

Les premiers mots de la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 témoignent de l'importance prise par les associations dans la conduite de certaines politiques publiques.

D'une part, les associations sont consultées par l'État en tant qu'interlocuteurs représentatifs de la société civile pour comprendre les besoins des publics, concevoir les réponses collectives et individuelles et les évaluer. D'autre part, l'État, au niveau central comme au niveau déconcentré, s'appuie aussi parfois sur les associations en tant qu'auxiliaires pour la déclinaison opérationnelle des politiques publiques. L'État verse aux associations concernées des subventions, dont les caractéristiques ont été définies et codifiées par le Législateur2(*).

Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec les administrations

Article 9-1. - Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en oeuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires.

Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent.

Il ressort de cette définition que :

- l'objet de l'action ou de l'activité subventionnée doit être d'intérêt général, c'est-à-dire s'inscrire dans une politique d'intérêt général. Cette exigence implique en particulier la cohérence de la subvention avec le programme budgétaire sur lequel elle est inscrite ;

l'initiative de l'action ou de l'activité procède de l'association, ce qui distingue la subvention de la commande publique ;

- le montant de la subvention ne doit pas être la contrepartie d'un service identifié, ce qui la distingue de la prestation de service ;

la contribution de l'autorité est « facultative » : elle ne résulte pas d'un droit mais d'un pouvoir discrétionnaire de l'administration.

2. Le conventionnement avec les associations : signe d'un État qui s'engage ?

Certes, le recours aux associations par les pouvoirs publics n'est pas un phénomène récent. Dans sa thèse publiée en 1970, Jean-Marie Garrigou-Lagrange écrivait : « il suffit d'un examen rapide de la vie administrative française contemporaine pour constater l'utilisation fréquente de l'association comme instrument de l'administration.3(*) ». Le recours aux associations est parfois préféré à la gestion directe par l'administration en raison de son moindre coût, ou pour contourner les règles strictes du droit public. Ainsi, les « associations transparentes4(*) » dissimulent, sous une forme associative, l'administration.

Mais depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, la place des associations dans la conduite de certaines politiques publiques s'est renforcée. C'est par exemple le cas en ce qui concerne les actions en faveur de l'aide alimentaire, de la lutte contre la précarité menstruelle, de la lutte contre les violences conjugales, de l'accompagnement des personnes victimes de la prostitution et de l'accès aux droits des femmes - des politiques qui relèvent au moins pour partie de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.

Le renforcement de la place des associations dans l'action publique peut apparaître comme le signe d'un désengagement concomitant de l'État, ce qui a suscité l'intérêt des milieux universitaires. En 2017 la Revue française d'administration publique avait dédié l'une de ses publications au sujet: Quand les associations remplacent l'État ? 5(*

Lorsque l'État attribue une subvention à une association, il conclut souvent une convention, c'est-à-dire un acte contractuel qu'il négocie et signe avec l'association bénéficiaire. Aux termes de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, la conclusion d'une convention est obligatoire lorsque le montant de la subvention excède un seuil fixé par décret à 23 000 euros.

Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec les administrations

Article 10. - (...)

L'autorité administrative ou l'organisme chargé de la gestion d'un service public industriel et commercial mentionné au premier alinéa de l'article 9-1 qui attribue une subvention doit, lorsque cette subvention dépasse un seuil défini par décret, conclure une convention avec l'organisme de droit privé qui en bénéficie, définissant l'objet, le montant, les modalités de versement, les conditions d'utilisation et les modalités de contrôle et d'évaluation de la subvention attribuée ainsi que les conditions dans lesquelles l'organisme, s'il est à but non lucratif, peut conserver tout ou partie d'une subvention n'ayant pas été intégralement consommée. (...)

Au cours de leurs précédents travaux sur le financement de l'aide alimentaire6(*), de la lutte contre violences faites aux femmes7(*), mais aussi lors de l'examen des projets de loi de finances successifs8(*), les rapporteurs spéciaux avaient déjà pu entendre les associations engagées sur des politiques publiques relevant du champ de la mission. À plusieurs reprises, certaines d'entre elles ont évoqué les difficultés qu'elles rencontrent dans la conduite de leurs actions. Les modalités du conventionnement avec l'État étaient souvent mentionnées comme partiellement responsables de certaines de ces difficultés.

Dans la mesure où l'action associative correspond à une modalité de l'action publique, les rapporteurs spéciaux considèrent comme indispensable que le conventionnement puisse être l'instrument d'un soutien efficace du secteur associatif. Il convient également selon les rapporteurs spéciaux, dans la lignée de la Charte des engagements réciproques signée en 2014 entre l'État, les collectivités territoriales et le monde associatif, de faire du conventionnement le vecteur d'un véritable réengagement de l'État, aux côtés d'associations conçues comme des partenaires dans la conduite des politiques publiques.

B. UNE TENDANCE HAUSSIÈRE DU SOUTIEN AUX ASSOCIATIONS QUI MASQUE D'IMPORTANTES DISPARITÉS

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » subventionne des associations au titre de trois programmes :

le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » porte principalement des financements en faveur de l'aide alimentaire, mais il subventionne également des associations dans le champ de la protection juridique des majeurs, ou de l'économie sociale et solidaire ;

le programme 157 « Handicap et dépendance » finance principalement des associations de défense des droits des personnes handicapées ;

enfin, le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » porte les subventions destinées aux associations intervenant dans la défense des droits des femmes, de la lutte contre les violences faites aux femmes ou contre la prostitution.

Il convient cependant de rappeler que les crédits dédiés au soutien aux associations représentent moins de 1 % des crédits d'une mission dotée d'environ 30 milliards d'euros, qui finance principalement des allocations de solidarité, comme la prime d'activité.

Part des subventions aux associations dans les crédits de la mission

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux et les documents budgétaires

1. Les subventions aux associations : un poste de dépense marginal pour la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances »

Au sein des crédits de la mission, la part des crédits consacrés au subventionnement des associations est relativement modeste. Ainsi, sur les programmes dont la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) est responsable, le montant des crédits versés à des associations en 2022 s'élève à 200,8 millions d'euros en CP, soit 0,66 % des crédits totaux consommés. En évolution, on note une augmentation de cette part à partir de l'année 2020, liée essentiellement à la gestion de la crise sanitaire et au déploiement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : de 2017 à 2019, la part était stable à 0,3 % des crédits consommés ; en 2020, cette part est passée à 0,74 % et s'est stabilisé à 0,66 % en 2022.

Cette part varie néanmoins d'un programme à l'autre : 2,3 millions d'euros en CP, soit 0,02 % pour le programme 157 « Handicap et dépendance », 149 millions d'euros en CP soit 0,99 % pour le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » et 49,4 millions d'euros, soit 92,88 % pour le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ». L'action de l'État en matière de défense des droits des femmes repose donc très largement sur le soutien aux associations.

Part des crédits de la mission consacrés aux subventions

(en millions d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux

2. Une tendance haussière des crédits dédiés aux subventions, variable selon les champs d'intervention des associations

Le soutien de l'État à ces associations a crû sensiblement au cours du dernier quinquennat. Alors qu'en 2017 le montant total des subventions accordées via les trois programmes de la mission s'élevait à 60,7 millions d'euros, ce sont 200,8 millions d'euros en crédits de paiement (CP) qui ont été versés en 2022, soit plus qu'un triplement (+ 230,9 %).

Évolution des subventions versées aux associations au titre de la mission
sur le dernier quinquennat

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGCS

Cette hausse provient principalement du programme 304, et singulièrement de l'aide alimentaire. Les crédits de soutien aux associations sur l'action 14 du programme 304 « Aide alimentaire » ont ainsi connu une augmentation importante en 2020, pour faire face à l'impact de la crise sanitaire, et notamment les périodes de confinement, sur les populations vulnérables : 94 millions d'euros ont ainsi été ouverts en 2020 et 15 millions d'euros en 2021 à ce titre.

Une nouvelle hausse des crédits a eu lieu en 2022. La forte inflation touchant particulièrement les produits alimentaires et l'énergie a une nouvelle fois fragilisé les publics vulnérables, augmentant les files actives et nécessitant un soutien accru des associations de distribution de l'aide alimentaire, à hauteur de 28 millions d'euros. Enfin, pour faire face à la problématique des marchés infructueux, conséquence des tensions d'approvisionnements causées par la guerre en Ukraine, des subventions ont été versées aux associations concernées pour garantir leur approvisionnement (28,5 millions d'euros en 2022).

Des subventions ont également été attribuées pour désengorger les hôpitaux dans le cadre de la crise sanitaire (2,8 millions d'euros en 2022) et pour accompagner la montée en charge de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (80 millions d'euros en 2022).

Les crédits du programme 137 ont fortement augmenté au rythme de la montée en puissance - trop timorée aux yeux des rapporteurs spéciaux - de la politique de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes. Sur la période entre 2017 à 2020, le montant global du programme 137 a atteint un plateau autour de 30 millions d'euros. Il a ensuite augmenté sensiblement en 2021 (38,4 millions de subventions versées en exécution), ce dont les rapporteurs spéciaux, qui avaient appelé de leurs voeux une telle montée en charge dans un rapport d'information remis en 20209(*), se réjouissent.

Cette augmentation s'est poursuivie en 2022 (49,4 millions d'euros) et dans le PLF 2023 (57,7 millions d'euros initialement budgétés et 65,4 millions d'euros votées en LFI). Depuis 2018, la réserve de précaution est systématiquement levée pour pouvoir utiliser la totalité des crédits votés en loi de finances. Cette hausse des crédits a permis, sur une période de cinq ans, de mettre en oeuvre plusieurs actions nouvelles passant par des conventions avec le secteur associatif. Ainsi, la prise en charge des auteurs de violences conjugales a été renforcée à travers la création de centres de prise en charge (CPCA) via des appels à projets nationaux. Les services emploi des centres d'informations sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) ont aussi été renforcés pour offrir un accompagnement individualisé à l'insertion professionnelle des femmes.

Évolution des montants alloués aux subventions
au titre du programme 137

(en millions d'euros - CP - et en pourcentage)

Sources : commission des finances du Sénat d'après les réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux et les documents budgétaires

Les crédits liés au handicap et à la dépendance sont stables et leur niveau est peu élevé. Les associations intervenant dans ce secteur sont en effet souvent des gestionnaires d'équipement - c'est-à-dire qu'elles gèrent des établissements et des services qui accueillent des personnes en situation de handicap - et sont financées à ce titre par d'autres biais (principalement en provenance de la Sécurité sociale).

3. Une gestion des subventions largement déconcentrée

Les subventions financées par les programmes de la mission « Solidarités, insertion et égalité des chances » sont mises en oeuvre très majoritairement par les services déconcentrés, soit les directions régionales ou départementales de l'économie, de l'emploi du travail et des solidarités (DREETS et DDEETS) pour les programmes 304 et 157, soit les directions régionales des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE) pour le programme 137.

En 2022, 82 % des crédits de subvention ont ainsi été versés par les services déconcentrés (respectivement 84 % pour le programme 137, 45 % pour le programme 157 et 82 % pour le programme 137). Cette proportion est en hausse depuis 2022 - elle se situait précédemment autour de 70 % - du fait de la montée en charge du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » dont les crédits sont majoritairement exécutés en administration déconcentrée et du déploiement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, dont les crédits sont confiés à des commissaires à la lutte contre la pauvreté dans chaque préfecture, donnant plus de marge de manoeuvre à l'échelon déconcentré.

Au total, 7 159 associations ont été subventionnées en 2022 dont 316 « en centrale » et 6 843 en services déconcentrés.

Décomposition et évolutions des subventions
entre échelons central et déconcentrés

(en millions d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données fournies par la DGCS

II. UN DISPOSITIF DE CONVENTIONNEMENT PEU SÉCURISANT POUR L'ACTION ASSOCIATIVE

Certaines des difficultés rencontrées par les associations dans la conduite de leurs actions résultent des défauts de la procédure de conventionnement.

A. LES CONVENTIONS : PRINCIPAUX SUPPORTS JURIDIQUES DES SUBVENTIONS DE L'ÉTAT AUX ASSOCIATIONS

1. Pour les projets ponctuels, les conventions annuelles préférées aux actes unilatéraux
a) L'attribution par décision unilatérale : une option réservée aux petites subventions

Aux termes de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000, l'attribution d'une subvention par un acte unilatéral n'est possible que pour les montants les plus faibles, c'est-à-dire inférieurs à 23 000 euros. Le support juridique utilisé est généralement une décision attributive ou un arrêté de subvention.

Cette option présente plusieurs avantages : facile à rédiger pour l'administration, l'adoption de tels actes est également plus rapide que pour une convention. D'une part, s'agissant d'un acte unilatéral, la négociation avec l'association n'est pas nécessaire, seul un circuit interne à l'administration aboutissant à la signature. D'autre part, en raison des faibles montants, les décisions peuvent être prises à un échelon plus proche du terrain, celui du chef de bureau.

Bien qu'il s'agisse d'une décision unilatérale de l'administration, elle inclut depuis 2018 quelques objectifs et indicateurs d'activité, quand bien même le montant de la subvention est peu élevé. Cette pratique doit permettre d'évaluer le résultat ex post du projet, après remise des pièces justificatives par l'association ; en pratique, cette évaluation demeure insatisfaisante.

b) Les conventions annuelles : une option privilégiée

Au-delà du seuil de 23 000 euros, la négociation et la signature d'une convention est obligatoire. Lorsqu'il s'agit d'un projet ponctuel, cette convention est annuelle, ce qui permet d'attribuer et de verser les crédits selon le principe de l'annualité budgétaire.

L'administration a tendance à privilégier, parfois même pour des montants inférieurs à 23 000 euros, le passage par une convention, qui permet d'impliquer l'association dans la rédaction de l'acte et, par extension, dans la définition du projet, de ses objectifs et des indicateurs d'activité.

Le recours aux conventions annuelles est souvent perçu peu favorablement par les associations. En effet, l'octroi d'une subvention étant un pouvoir discrétionnaire de l'autorité administrative et l'octroi antérieur d'une subvention annuelle ne conférant aucun droit à son renouvellement en application d'une jurisprudence bien établie des juridictions administratives10(*), les associations n'ont aucune certitude quant à la pérennité du soutien financier de l'État.

Il arrive que des associations subventionnées sur des projets ponctuels bénéficient de la reconduction de la convention l'année suivante lorsqu'elles reconduisent un projet ponctuel qui continue d'intéresser l'État. Elles n'ont néanmoins aucune garantie.

Alternativement, la convention annuelle peut être une étape avant d'inscrire le partenariat entre l'État et une association dans la durée. Par exemple, la direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE) des Hauts-de-France a indiqué aux rapporteurs spéciaux proposer des conventions pluriannuelles aux associations dont les résultats sont positifs dans le cadre de conventions annuelles.

2. Des conventions pluriannuelles pour financer les associations qui sont à la tête d'un réseau ou qui mènent des actions structurantes

Lorsque l'administration souhaite inscrire son soutien à une association dans la durée, soit qu'elle souhaite soutenir un projet structurant dont la mise en oeuvre s'étale sur plusieurs années, soit qu'elle finance des associations « têtes de réseaux », elle recourt à une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO).

La signature d'une telle convention pluriannuelle fait de l'association, qui prend ainsi pleinement part à la réalisation d'objectifs de politique publique, un partenaire durable de l'administration. Les associations « têtes de réseaux » sont ainsi des partenaires indispensables de l'État : elles participent à une politique publique identifiée dans les projets annuels de performance (PAP), elles sont représentatives (en nombre d'adhérents comme en maillage territorial), elles animent un réseau - c'est-à-dire qu'elles coordonnent l'action de plusieurs associations.

Plusieurs associations entendues par les rapporteurs spéciaux sont des têtes de réseaux : il est possible, à titre d'exemple, de citer l'Association nationale des épiceries solidaires (ANDES) dans le domaine de l'aide alimentaire, ou la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) en matière de défense des droits des femmes.

Le recours aux CPO s'est développé, en particulier sous l'impulsion de la circulaire du 29 septembre 2015, pour favoriser « dans la durée le soutien public aux associations concourant à l'intérêt général.11(*) » Contrairement aux conventions annuelles en effet, les CPO assurent aux associations une visibilité et une certaine stabilité du soutien de l'État.

Le principe d'annualité est préservé, mais ne fait en pratique jamais obstacle à la mise en oeuvre d'une convention pluriannuelle : si toutes les conventions comportent une clause selon laquelle les subventions pour les années N+ 1 et N+ 2 sont versées sous réserve de « l'inscription des crédits en loi de finances », la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a indiqué aux rapporteurs spéciaux ne jamais l'avoir invoquée.

Tableau récapitulant les intérêts et limite du recours
à différents actes attributifs de subventions

Source : Réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux

3. Des subventions nombreuses, des montants moyens peu élevés

Le nombre de subventions versées est en hausse, de 9 101 en 2017 à 14 928 en 2022, mais leur montant moyen est relativement faible : 25 290 euros (76 427 euros en centrale, 20 289 euros en administration déconcentrée). Ainsi, si la part de ces subventions devant donner lieu à une convention augmente, elle demeure peu élevée (5,68 % en 2017, 16,31 % en 2022).

Subventions dont le montant est supérieur à 23 000 euros

(en unités et en pourcentage)

Note de lecture : le nombre de subvention versé diffère du nombre d'associations subventionnées, certaines associations recevant plusieurs subventions.

Source : commission des finances du Sénat d'après les données fournies par la DGCS

Recommandation n° 1 : Maintenir, voire augmenter, le niveau du financement des associations par la mission.

- maintenir, voire augmenter, les crédits destinés aux subventions aux associations, en particulier les associations financées par le programme 137, principal vecteur de la politique de défense des droits des femmes ;

- poursuivre le mouvement de hausse du montant moyen des subventions, pour éviter le saupoudrage.

B. L'ATTRIBUTION DES SUBVENTIONS : COMPLEXITÉ, TARDIVETÉ ET MANQUE DE VISIBILITÉ

1. Une procédure d'attribution marquée par la complexité
a) La demande de subvention : des modalités simplifiées

L'annexe 4 à la circulaire du 29 septembre 2015 décrit « Les modalités d'instruction des demandes de subvention. » Il apparaît qu'en ce qui concerne les modalités de demande des subventions, la procédure est relativement simple.

Il existe un formulaire unique de demande de subvention : le formulaire Cerfa n° 1215612(*). Celui-ci doit être utilisé par toute association sollicitant une subvention auprès de l'État, de ses services déconcentrés et de ses établissements publics à défaut d'utiliser le téléservice. Son usage est également recommandé pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Conformément à la circulaire du 29 septembre 2015, une notice Cerfa n° 51781 précise les pièces indispensables à joindre par l'association pour une première demande ou pour une demande de renouvellement.

Chaque service gestionnaire conserve un dossier « permanent » pour chaque association, retraçant dans la durée l'ensemble des relations que l'association a entretenues et entretient dans le cadre de ce partenariat. Cela évite de demander plusieurs fois les mêmes informations ou documents probants dont la validité est permanente (sauf modifications que l'association est tenue de notifier à l'administration).

Les documents versés au dossier permanent dispensent l'association de reproduire les renseignements et les documents inchangés figurant dans son dossier permanent lors d'une nouvelle demande de subvention

b) L'instruction des demandes de subvention : une étape complexe, source de retards importants

La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une grande complexité. L'administration est en effet tenue par de nombreuses normes, nationales et européennes, législatives et réglementaires, de procéder à de nombreuses vérifications. En miroir, les associations sont soumises à d'importantes exigences, et doivent fournir un nombre croissant de documents justificatifs.

Tout d'abord, comme les rapporteurs spéciaux l'avaient déjà fait remarquer dans un précédent rapport13(*), les obligations déclaratives ont été complexifiées par les nouvelles exigences posées par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui implique notamment que soit fourni, avec la demande de subvention, le contrat d'engagement républicain mentionné à l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000.

La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics introduite par l'ordonnance du 23 mars 2022 réformant de la responsabilité des ordonnateurs fait peser sur les gestionnaires publics un risque de sanction en cas d'octroi de subvention injustifiée, à partir du 1er janvier 2023. Cette ordonnance impose donc de pouvoir justifier chaque décision sur la base de projets préalablement identifiés, sans reconduire automatiquement une subvention passée, ce qui implique pour les associations des formalités plus importantes pour obtenir le renouvellement de leurs subventions.

Enfin, la réglementation européenne en matière d'aides d'État impose également des vérifications minutieuses de la part de l'administration ; il s'agit bien souvent de s'assurer que l'activité subventionnée n'est pas une « activité économique » au sens du droit de l'Union européenne. Cette qualification d'activité non-économique peut être aisée dans certaines cas - la gratuité ou la tarification sociale d'un service en sont des éléments déterminants - elle peut, en cas d'erreur, placer la France en contrariété avec le droit européen.

Au niveau déconcentré, les rapporteurs spéciaux ont été informés des pratiques de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Corse, qui procède à une vérification spécifique pour toute demande de subvention présentée par une association « nouvelle » (nouvellement créée ou n'étant pas enregistrée dans les bases de données des services financiers de la DREETS). La liste des dirigeants de la structure et les statuts sont communiqués au coordonnateur sécurité de la préfecture qui procède à un examen de probité de la structure.

Les rapporteurs spéciaux ne nient pas l'importance de ces vérifications, qui permettent d'assurer le respect des exigences européennes, d'éviter les fraudes et de préserver les deniers publics en s'assurant de la pertinence des projets et de la probité des acteurs associatifs subventionnés. Cependant, l'administration indique que « la décision d'attribution est suspendue le temps que les contrôles des obligations légales, réglementaires et la production des pièces soient réalisés14(*) », ce qui implique parfois des retards importants dans l'attribution des subventions, dommageables pour les associations.

2. L'action associative paralysée par les retards pris pour signer les conventions et pour verser les subventions
a) Des retards importants dans l'attribution des subventions

Les rapporteurs spéciaux avaient choisi de s'intéresser au conventionnement des associations après avoir recueilli de nombreux témoignages concernant les retards pris dans la signature des conventions et dans l'attribution des subventions. Entendus dans le cadre du présent contrôle, les associations d'aide alimentaire et de défense des droits des femmes ont, sans exception, confirmé l'importance de ces retards et leurs conséquences délétères sur leur situation financière. Seules les associations de défense des droits des personnes handicapées, moins dépendantes des subventions de l'État du fait de leurs liens étroits avec la Sécurité sociale, échappent à ce constat.

Paroles d'associations
Les retards pris pour signer les conventions

« Concernant la FNCIDFF, nous renégocions actuellement notre CPO pour les années 2023-2025. Nous espérons qu'elle sera signée prochainement afin de recevoir la subvention et de nous permettre d'assurer le paiement des salaires. Le montant des fonds associatifs de la FNCIDFF nous permet de disposer de la trésorerie suffisante en attendant le versement de la subvention. En ce qui concerne les CIDFF, certains centres n'ont que trois à quatre mois de trésorerie. Passé ce délai, ils sont à découvert et sont contraints de recourir à des emprunts dont ils découlent des frais bancaires. Ces problématiques de trésorerie contribuent à la fragilisation des CIDFF et peuvent conduire à la cessation de paiement. En 2022, nous avons dû fermer un centre dans l'Aisne. Le temps de pouvoir en ouvrir un nouveau, il faudra compter deux ou trois ans, pour que l'ancien CIDFF soit définitivement liquidé. Durant cette période, les femmes n'ont plus accès à nos services. »

FNCIDFF

« Le décalage entre le début de la négociation et le premier versement nous précarise, et met nos bénévoles en difficulté. »

Secours populaire français

L'administration elle-même a confirmé, à demi-mot, cet État de fait. Lors de son audition, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a indiqué que, selon elle, « l'axe de progression principal mis en oeuvre pour améliorer l'exercice dans le cadre de la nouvelle procédure de programmation des crédits annuels, consiste à valider la programmation plus tôt dans l'année, idéalement en avril ». La validation de la programmation vise à lisser le traitement des dossiers de subvention sur le reste de l'année, pour éviter le phénomène du « pic de fin de gestion, où l'essentiel des dossiers sont traités entre octobre et décembre.15(*) »

b) Les conventions pluriannuelles plus protectrices des associations

A contrario, les conventions pluriannuelles d'objectifs, une fois signées, sont assez sécurisantes. Les associations bénéficient ainsi de visibilité sur leurs financements sur plusieurs années ; en outre, les charges administratives sont moins importantes durant la mise en oeuvre de la convention que lors de sa négociation ou au moment de son renouvellement.

Paroles d'associations
Les retards pris pour signer les conventions

« Il faut que l'administration recoure plus souvent aux CPO, y compris au niveau local. Pour nous, c'est l'assurance d'un financement pérenne et de moindres charges administratives. »

Mouvement du Nid

« Nous avons été financés par convention annuelle de 2019 à 2021. Pour la période 2022-2024, nous avons enfin une première convention pluriannuelle pour toutes nos activités sur le programme 304. Cela nous donne de la sécurité et de la visibilité. Par exemple, la deuxième année d'une convention pluriannuelle, on a le premier versement assez tôt. Sous convention annuelle, au mieux le premier versement tombe en juin - au pire en septembre... »

ANDES

Les conventions pluriannuelles sont en effet tenues d'organiser le versement de la subvention pour les années suivant l'année de signature de la CPO. Cela implique, outre de définir préalablement le montant de la subvention pour les années suivantes, de prévoir des dates pour les versements de l'acompte et du solde de chaque subvention annuelle. Depuis la circulaire du 29 septembre 2015, l'acompte doit être versé au plus tard en mars et le solde au plus tard en août, ce qui tranche avec les retards importants subis lors de la négociation des conventions.

Les conventions étant généralement établies pour trois ans, la tranquillité associée à la deuxième année, où ni négociation ni renouvellement n'est nécessaire, est particulièrement appréciée par les associations. Ces multiples vertus expliquent la préférence des associations pour les CPO. En ce sens, la circulaire du 29 septembre 2015 a appelé les administrations à privilégier « le recours aux conventions pluriannuelles ».

La signature des conventions pluriannuelles ne correspond cependant pas nécessairement aux besoins de l'administration. En effet, plus le ratio de subvention sous CPO augmente dans les enveloppes budgétaires, plus cela rigidifie la structure de la dépense et réduit la marge de manoeuvre de l'administration pour subventionner des projets ponctuels en phase avec l'évolution des politiques publiques ou le lancement de démarches ou projets novateurs. Plus l'administration signe de CPO, plus la part des dépenses « réellement discrétionnaires » diminue.

Les CPO : une meilleure visibilité sur les versements

Lorsque l'administration conclut une convention pluriannuelle d'objectifs, elle est tenue, en dehors de la subvention initiale correspondant à la première année d'exécution, d'organiser le versement pour les années suivantes. Ce dispositif de conventions s'accompagne de modalités spécifiques d'avances sur subvention pour les années suivant celle de la conclusion de la convention. En effet, en application de l'article 33 du décret du 7 novembre 2012 précité, des avances peuvent être consenties aux bénéficiaires de subventions. 50 % du montant de la subvention annuelle est automatiquement versé avant le 31 mars de chaque année sauf refus motivé, notamment eu égard à la liquidation judiciaire de l'organisme ou du défaut d'inscription des crédits en loi de finances.

Source : Annexe 4 à la circulaire du 29 septembre 2015 - « Les modalités d'instruction des demandes de subventions »

Cette rigidité pour l'administration, induite par la signature des CPO, explique sans doute la part relativement faible occupée par les CPO parmi les actes attributifs. Dans la mesure où seuls 16,31 % des subventions dépassent la somme minimale de 23 000 euros par an rendant obligatoire la signature d'une convention, on comprend sans peine que de peu de subventions fassent l'objet de conventions pluriannuelles.

Pour l'administration, la durée d'usage de trois ans des CPO constitue la durée optimale, permettant de « réinterroger l'opportunité et la pertinence de la relation contractuelle avec les associations concernées, en relation avec l'évolution des politiques publiques et des priorités politiques, et du déroulement des projets et activités des organismes financés. » Les rapporteurs spéciaux ne partagent pas ce point de vue : dans le cadre d'une CPO de quatre ans, l'action associative peut également être réorientée et réinterrogée annuellement, au cours du dialogue de gestion, tout en assurant un engagement plus pérenne de l'administration. La question du renforcement du dialogue de gestion fait d'ailleurs l'objet de développements infra.

3. Un nouveau calendrier de conventionnement dont la logique devrait être prolongée

Pour remédier à ces retards, identifiés aussi bien par les associations que par l'administration, la DGCS a élaboré en 2022 un nouveau calendrier de programmation des subventions, applicable à partir de 2023. Ainsi, une fiche de procédure a été diffusée en décembre 2022 à l'ensemble des services métiers de la direction pour préciser le processus de conventionnement pour 2023.

Le nouveau calendrier de programmation
des subventions au niveau central

Décembre N-1 : appels à propositions des bureaux métiers pour faire émerger les avant-projets à financer en année N.

Janvier : période de dépôt des avant-projets par les associations.

Février : instruction des avant-projets par les bureaux métiers.

Mars : retour des tableaux de programmation à SD5A16(*) (avec une éventuelle mise à jour des têtes de réseau).

Avril : validation de la programmation en « comités de programmation », associant le directeur général, la sous-direction métier et SD5.

Mai : transmission de la programmation aux cabinets.

Entre avril et juin : pré-notification, instructions, signature et mise en paiement des subventions.

Celui-ci distingue les conventions pluriannuelles avec les « têtes de réseaux », partenaires durables et indispensables de l'État, et les subventions visant à financer des projets ponctuels.

Pour la programmation des subventions concernant les projets ponctuels de l'année 2023, il a été demandé à chaque service métier, dès la fin d'année 2022 :

- de définir les priorités de financement retenues pour 2023 telles qu'identifiées dans les projets annuels de performance (PAP) soumis au Parlement, dans une fiche précisant les « lignes directrices » pour chaque politique publique (aide alimentaire, enfance et famille, personnes âgées, personnes handicapées, droits des femmes) ;

- de solliciter les associations pour qu'elles présentent des avant-projets (avec les montants et les cofinancements pressentis), avant une date butoir fixée au 15 février 2023.

La DGCS a informé les rapporteurs spéciaux que cette nouvelle programmation avait suscité un « appel d'air très conséquent », les demandes de subventions se chiffrant, pour certaines politiques publiques, en centaines.

Selon la DGCS, le calendrier prévisionnel a été « globalement respecté » en ce qui concerne la première phase de l'exercice de passation des conventions 2023. Les lignes directrices ont bien été diffusées dès janvier, la phase de dépôt des demandes de subventions par les porteurs de projets s'est bien tenue jusqu'au 15 février. Quant à l'examen et la présélection des demandes, elle s'est déroulée, comme prévu, de février à avril.

La seconde phase des travaux a cependant pris du retard, notamment du fait du déménagement des services de la DGCS de son site de Montparnasse, intervenu en avril :

les comités de programmation, prévus pour avril, se sont tenus les 9 et 16 mai 2023. La programmation des projets retenus, validée dans le cadre de ces comités, a été transmise au cabinet du ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées ;

les pré-notifications des subventions ont été réalisées entre fin mai et fin juin, le retard du début de la phase ayant semble-t-il été rattrapé ; dès lors, les associations ont pu débuter les démarches administratives nécessaires à l'obtention de la subvention, notamment le dépôt du formulaire Cerfa ;

depuis la fin juin et début juillet 2023, les premières conventions sont en cours de passation.

L'objectif de la DGCS, passer les conventions au cours des prochains mois pour éviter le « pic de fin de gestion » dans lequel les conventions sont validées tardivement, entre novembre et décembre, semble donc en voie d'être atteint. Il serait utile d'évaluer, dans un futur proche, la part des conventions dont la passation a pu être avancée grâce à l'application de ce calendrier. Les rapporteurs spéciaux recommandent ainsi a minima de procéder à une évaluation contradictoire, incluant les associations, du nouveau calendrier de programmation des subventions établi pour 2023.

Ils relèvent également que ce calendrier, qui implique que les subventions soient versées à la moitié de l'exercice de référence, expose toujours les associations à des périodes de forte fragilité durant les premiers mois de l'année. Certes, l'administration indique qu'il est « difficile d'envisager de démarrer la procédure beaucoup plus en amont l'année N-1, compte tenu du frein de l'annualité budgétaire », les enveloppes n'étant pas connues dans le détail avant l'adoption de la loi de finances.

Cet argument n'a toutefois pas convaincu les rapporteurs spéciaux. En effet, s'il est vrai que la sélection définitive des dossiers et la pré-notification des subventions doit avoir lieu une fois la loi de finances adoptée et l'enveloppe budgétaire définie, il apparaît possible de conduire la phase amont de la procédure (publication des appels à propositions, dépôt des avant-projets par les associations, et l'examen de la pertinence des projets...) avant l'adoption de la loi de finances, sur la base des montants inscrits en PLF.

La difficulté reste la charge de travail importante que représente la procédure de conventionnement pour les services de la DGCS, a fortiori compte-tenu du « pic de fin de gestion » souvent évoqué. Concrètement, il apparaît très difficile voire contreproductif pour l'administration de commencer la programmation des subventions de l'année N+ 1 alors que la passation des conventions de l'année N n'est pas terminée.

C'est tout l'objet du nouveau calendrier de programmation des subventions. Si sa mise en oeuvre permettait d'avancer l'attribution des subventions et la passation des conventions plus tôt dans l'année, la fin de l'exercice pourrait être mise à profit pour débuter la programmation pour l'année suivante. La DGCS a d'ailleurs reconnu que « si la procédure de conventionnement commençait beaucoup plus en amont, cela permettrait en effet un lissage de la charge de travail avec probablement un nombre moins important de dossiers à traiter en fin de gestion. »

A maxima, les rapporteurs spéciaux proposent donc d'avancer à nouveau le calendrier de programmation afin que les premiers versements puissent avoir lieu plus tôt dans l'année N.

Recommandation n° 2 : Améliorer la visibilité des associations sur leurs financements en provenance de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

- augmenter la durée moyenne des conventions en privilégiant les conventions pluriannuelle et en augmentant le nombre de conventions pluriannuelles signées pour une durée de quatre ans au lieu de trois ;

- procéder à une évaluation contradictoire, incluant les associations, du nouveau calendrier de programmation des subventions établi pour 2023 ;

- en fonction des résultats de l'évaluation, envisager d'avancer encore le calendrier, au cours de l'année N-1, afin que les premiers versements puissent avoir lieu au début de l'année N.

C. L'ASSOCIATION : UN MODÈLE PRÉCAIRE PAR NATURE ?

1. Hausse des besoins et hausse des prix : une « équation insoluble » pour les associations

Les auditions menées par les rapporteurs spéciaux ont fait apparaître la grande précarité qui caractérise l'action de nombreuses associations entendues. Les difficultés sont les plus sensibles pour les associations de défense des droits des femmes et les associations d'aide alimentaire.

a) Les associations de défense des droits des femmes face à la libération de la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles

Les premières sont confrontées, notamment à la suite du mouvement « #MeToo », à une augmentation de files actives. La DGCS, entendue par les rapporteurs spéciaux, a elle-même reconnu que les associations de défense des droits des femmes actives dans « le secteur violences/accès aux droits ont vu leur activité augmenter sans que cela soit suivi d'un renforcement du soutien financier. »

À titre d'exemple, le rapport annuel d'activité pour 2022 du Collectif féministe contre le viol (CFCV) fait État d'une augmentation d'environ 10 % des appels pour viols reçus par l'association entre 2021 et 2022 sur la seule ligne d'écoute « Viols femmes informations »17(*).

b) L'aide alimentaire confrontée à un « effet ciseau » inflationniste

Les associations d'aide alimentaire sont pour leur part confrontées à un effet ciseau dû à l'inflation. En d'autres termes, l'augmentation généralisée du niveau des prix a pour effet d'augmenter les charges des associations et de diminuer les moyens à leur disposition pour y faire face.

Entendus par les rapporteurs spéciaux, les Restos du Coeur font État d'une hausse de 22 % en 2022 du nombre de personnes accueillies dans leurs centres par rapport à l'année précédente. Cette augmentation des besoins est à comparer avec la hausse observée en 2008 durant la crise financière, qui s'était établie à 15 % la première année. Cela représente en tout 200 000 personnes de plus en 2022, soit un total de 2,4 millions de personnes selon la Fédération française des banques alimentaires (FFBA).

Les associations font également face à une augmentation des coûts d'achat de denrées alimentaires et à des surcoûts en matière d'énergie. La DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux que les coûts d'achat de denrées étaient passés en deux ans de 56 à 110 millions d'euros.

Paroles d'associations :
« L'équation insoluble »

« Les écoutantes et chargées de pré-accueil, comme leurs collègues des autres services qui les appuient dans leurs activités, ne sont pas concernées par la prime Ségur. C'est incompréhensible pour elles, car elles sont en lien constant avec les femmes victimes. Et ce alors que d'autres salariés qui accompagnent les publics en difficultés ont pu en bénéficier. Dans les associations Solidarité Femmes, il existe aussi des différences entre structures, selon qu'elles ont ou non bénéficié d'une prime (souvent car elles gèrent des centres d'hébergement), et selon que les salariés sont en contact direct ou pas avec le public, ce qui crée des tensions. Certaines structures se trouvent obligées de compenser des revalorisations sur leurs fonds propres, ce qui accentue leur fragilité... Une augmentation des financements est prévue en ce sens. Nous ne savons pas si ce sera pérennisé. »

Fédération nationale solidarité femmes

« Les épiceries solidaires font face à une équation insoluble : une tendance à la baisse des dons, une hausse de la fréquentation, la hausse des prix d'achat et des subventions d'approvisionnement non indexées sur l'inflation ou le nombre de bénéficiaire, qui stagnent depuis plusieurs années. »

ANDES

« Nous négocions depuis septembre 2022 avec le service des droits des femmes et de l'égalité [SDFE] pour obtenir un avenant afin de faire financer une partie de nos charges de personnels pour recruter et répondre davantage sur nos lignes d'écoute. (...) Aujourd'hui [en avril 2023], et malgré la qualité du dialogue avec le SDFE, la procédure n'a toujours pas abouti. »

Collectif féministe contre le viol

Enfin, les associations enregistrent une baisse des dons : c'est notamment le cas pour les épiceries sociales. Pour les 83 épiceries sociales les plus touchées, la baisse des volumes entre 2019 et 2021 représente - 36 %.

Les autres associations sont également touchées par la hausse générale des prix. Le Collectif féministe contre le viol a par exemple indiqué aux rapporteurs spéciaux avoir réalisé en 2022 un résultat déficitaire de 16 652 euros, contre 6 338 euros en 2021, principalement dû aux charges de personnel et à l'inflation.

Ces difficultés cumulées ont ainsi pu faire dire aux associations, qu'elles étaient actuellement confrontées à une « équation insoluble ».

c) Adapter le conventionnement pour apporter une solution à la difficile équation des associations

Face à ces difficultés, l'État n'a pas été inactif. En particulier, une enveloppe de 40 millions d'euros a été ouverte en loi de finances rectificative de fin d'année 202218(*) pour soutenir les associations d'aide alimentaire dans le contexte inflationniste. Il s'agit néanmoins d'une réponse exceptionnelle, alors que le soutien aux associations doit s'inscrire dans la durée.

Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont été nombreuses à faire État de difficultés pour obtenir des revalorisations des subventions négociées dans une convention pluriannuelle. Il s'agit d'ailleurs de la principale limite des conventions pluriannuelles soulignée par les acteurs associatifs : la subvention négociée en année N peut ne plus être adaptée aux besoins des années N+ 1 et N+ 2.

Certaines associations ont indiqué aux rapporteurs spéciaux qu'elles souhaitaient l'indexation des subventions sur l'inflation : les revalorisations des montants des subventions qui en résulteraient seraient ainsi automatiques. Toutefois, un tel mécanisme de réévaluation automatique des subventions pourrait placer l'administration dans une situation délicate, dans la mesure où elle est également sujette à l'inflation. Au demeurant, en présence d'une inflation importante, l'ampleur des revalorisations automatiques nécessiterait en tout État de cause de revenir devant le Parlement pour ouvrir de nouveaux crédits.

Il convient plutôt de préférer des solutions négociées et adaptées à chaque situation, au plus près des réalités concrètes des associations et de l'administration. C'est pourquoi les rapporteurs spéciaux, plutôt qu'une indexation des subventions sur l'inflation, appellent plutôt à privilégier l'usage des avenants pour pouvoir répondre, au cas par cas et selon les besoins identifiés, aux difficultés des associations.

2. Une précarité qui renforce la faible attractivité des emplois dans le monde associatif

Enfin, les associations sont confrontées à la faible attractivité des emplois offerts dans le secteur, particulièrement celles qui sont financées par le programme 137.

Comme la DGCS a pu le rappeler devant les rapporteurs spéciaux, le secteur des droits des femmes n'a été que partiellement concerné par l'application de la prime Ségur. Lorsque certaines salariées - car il s'agit principalement de femmes - en relèvent néanmoins, par exemple lorsqu'elles exercent un métier d'accompagnement socio-éducatif, cette revalorisation conduit à une augmentation des salaires qui n'est pas entièrement compensée par l'État de l'aveu même de la DGCS.

En particulier, les juristes spécialisés en droit des femmes des centres d'informations sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), de même que les écoutantes des plateformes téléphoniques, gérées par le Collectif féministe contre le viol, le Mouvement français du planning familial ou encore la Fédération nationale solidarité femmes, restent exclus de l'application de la prime Ségur. Cela entraîne aussi des difficultés de recrutement et de fidélisation des équipes, au regard de salaires peu attractifs et de problématiques lourdes à traiter - à l'instar des violences faites aux femmes.

L'administration n'ignore pas cet État de fait. La direction régionale des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (DRDFE) des Hauts-de-France, a par exemple indiqué avoir connaissance de ces difficultés, soulignant que « les crédits du budget opérationnel du programme 137 [BOP 137] ne viennent financer que des projets (...) cela peut mettre en difficulté les associations sur leurs frais de fonctionnement. » Au niveau central, l'administration indique « assumer parfois de financer les dépenses de fonctionnement directement par des subventions, notamment pour les associations têtes de réseaux. Les associations déplorent souvent que ça ne soit pas suffisant. » Selon le directeur général de la cohésion sociale, ces difficultés seraient la manifestation d'une « fragilité structurelle », consubstantielle au modèle de l'association.

Cet État d'esprit reflète l'évolution de l'action de l'État telle qu'elle a été observée par le monde universitaire. Ainsi, « l'État suscite le bénévolat en remplacement de l'emploi public, puis de l'emploi associatif pour la délivrance de services publics (...). En effet, si, par exemple, le développement des agences a pu favoriser le développement des emplois contractuels (...), le passage par les associations ouvre encore plus largement la palette des formes de mise à disposition de travailleurs et de précarité de l'emploi.19(*) »

D'aucuns parlent même d'une véritable « "bénévolisation" de l'activité publique.20(*) » Des études statistiques ont ainsi souligné la croissance soutenue du bénévolat dans le monde associatif : en 2017, les associations (tous secteurs d'activité confondus), ont bénéficié du travail de 31 272 000 bénévoles, représentant un volume de travail de l'ordre de 1 425 000 emplois en équivalent temps-plein21(*).

Sans prétendre à l'exhaustivité, il ressort des auditions conduites par les rapporteurs spéciaux que les associations exerçant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont également sujettes à ce mouvement de « bénévolisation ». À titre d'exemple, l'ANDES bénéficie du travail de 9 500 bénévoles, ce nombre s'élevant à 20 000 pour la Croix-Rouge française ou encore à 70 000 pour les Restos du Coeur.

Les rapporteurs spéciaux s'inscrivent en faux contre l'idée selon laquelle la fragilité des associations serait consubstantielle à leur modèle. Ils appellent l'État à faire du conventionnement un instrument pour sortir les associations de la précarité.

Recommandation n° 3 : Faire du conventionnement un instrument pour sortir les associations de la précarité qui caractérise leur modèle économique.

- prendre en compte l'impact de l'inflation dans la négociation des avenants modifiant les conventions pluriannuelles ;

- lorsque l'association en fait la demande, accepter de financer une partie plus importante de ses charges de gestion afin de permettre le recrutement pérenne de personnels salariés.

III. LES RELATIONS ENTRE ÉTAT ET ASSOCIATIONS DANS LE CADRE DES CONVENTIONS : D'UN « GOUVERNEMENT À DISTANCE » À UN ACCOMPAGNEMENT DE PROXIMITÉ

Le conventionnement et ses modalités ont également des conséquences sur les relations entre l'État et les associations. Qualifiées par certains universitaires d'instruments d'un « gouvernement à distance », les conventions s'appuient sur des dispositifs tels que les appels à projets ou le dialogue de gestion pour orienter et contrôler l'activité des associations. Les rapporteurs spéciaux insistent sur la nécessité de faire du conventionnement le vecteur d'un partenariat équilibré entre l'État et le monde associatif.

A. CONTRAINDRE L'INITIATIVE POUR STIMULER L'INNOVATION : LE PARADOXE DES APPELS À PROJETS

1. Les appels à projets (APP) : l'initiative associative orientée par l'État

En principe, et même lorsque les associations participent pleinement à la conduite d'une politique publique promue par l'État, l'initiative du projet revient toujours à l'association. Comme l'a souligné la DGCS, entendue par les rapporteurs spéciaux : « Il convient de noter que l'État ne fait pas le choix de confier une nouvelle politique publique à des associations. Seulement, l'État décide parfois de participer au financement d'actions déjà mises en oeuvre par des associations. » L'action en matière de précarité menstruelle en constitue un bon exemple. Des actions avait été développées de longue date par des associations telles que Règles élémentaires ou Lulu dans ma rue. Lorsque l'État a souhaité conduire une véritable politique dans ce domaine, il l'a fait en soutenant les initiatives déjà existantes de ces associations.

Ce principe a acquis valeur législative en 2014 : l'article 9-1 de la loi n° 2020-321 du 12 avril 2023 relative aux droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose désormais que les « actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en oeuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. » Il s'agit d'un élément important de distinction entre la subvention et la commande publique ; dans cette dernière, c'est d'administration qui est à l'initiative du projet ou de l'action.

Dans ce cadre, le développement des appels à projets comme méthode de sélection des associations et des actions ou activités qui seront financées brouille quelque peu les lignes. Selon une fiche interne à l'administration en date de 2019, cette pratique consiste à « réserver une partie limitée des crédits versés sous forme de subventions à des appels à projets innovants et ponctuels, pour favoriser l'émergence de pratiques et d'acteurs nouveaux, en se fondant sur une liste de critères prédéfinis. »

Sur le plan juridique, l'appel à projets se distingue de la commande publique. Alors que dans ce dernier cas la collectivité a clairement identifié un besoin, dans le cadre d'un appel à projets, l'administration se borne à mettre en avant un certain nombre de thématiques ou d'objectifs qui lui apparaissent d'un intérêt particulier ; s'il revient aux associations de présenter des projets s'inscrivant dans ce cadre, ce sont en principe toujours elles qui prennent l'initiative des projets et en définissent le contenu. Dans la pratique toutefois, la frontière peut s'avérer ténue, et il existe toujours un risque de requalification en marché public dans le cadre d'un appel à projets.

Cette proximité avec la logique de la commande publique a fait l'objet d'analyses de la part de certains universitaires. D'aucuns ont vu dans le développement du conventionnement, et plus encore dans l'émergence de la pratique des appels à projets, l'essor d'un « gouvernement à distance22(*) », dans lequel l'État, sans contrôler directement l'action des associations, oriente néanmoins fortement leurs activités en fonction de ses propres priorités.

Par le biais des appels à projets la capacité des pouvoirs publics à diriger l'offre associative va croissant. Les associations elles-mêmes en ont conscience. Entendues par les rapporteurs spéciaux, certaines ont indiqué que les appels à projets n'étaient pas, selon elles, l'instrument le plus respectueux de l'initiative associative.

Paroles d'associations :
Comment les AAP contraignent l'initiative associative

« Comme il faut trouver un projet qui plaise à l'administration, bien souvent on oriente nos projets, dès leur conception, en fonction de ce que veut l'État. »

Secours populaire français

« Lorsqu'il répond à un AAP, le CIDFF doit s'adapter aux priorités de l'administration en présentant un projet qu'il a lui-même défini, ce qui reste préférable à un appel d'offres. Toutefois, seuls les projets qui s'inscrivent dans les priorités de l'appel à projet pourront être financés, ce qui réduit la liberté d'initiative des CIDFF. »

FNCIDFF

Le recours aux appels à projets conduit à un certain alignement des projets associatifs sur les commandes de l'administration. Celles qui se plient à ces incitations bénéficient d'un renforcement de leurs moyens par un accès à des financements supplémentaires. L'intérêt des associations est dès lors de se conformer aux attentes de l'État - qui ne sont jamais des obligations mais toujours des opportunités à saisir.

2. Innover pour innover ? La pertinence des projets innovants en question

Les associations ne sont pas pour autant hostiles, sur le principe, aux appels à projets. « Nous les considérons comme des processus pertinents dès lors qu'ils sont ciblés et ne se substituent pas aux financements socles dont les associations ont besoin pour fonctionner », a ainsi écrit l'ANDES dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

Il se dégage toutefois des travaux conduits par les rapporteurs que les appels à projets présentent plusieurs défauts ; ils aboutissent en particulier à une valorisation excessive de l'innovation et à une mise en concurrence mal maîtrisée des associations.

Les appels à projets ont pour objet de faire émerger des solutions innovantes à des problématiques identifiées par les associations. Les rapporteurs spéciaux considèrent, comme l'ANDES, que les appels à projets « permettent alors d'innover, de proposer de nouveaux projets, de renforcer les moyens des associations ». Dans le domaine de l'aide alimentaire, les actions innovantes consistent par exemple en la promotion de produits issus de circuits courts, ou à forte qualité nutritionnelle.

Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont cependant souvent souligné les limites de la logique consistant à susciter l'innovation des associations.

La première est que les activités d'intérêt général ne se prêtent pas de manière systématique à l'innovation : il importe parfois de financer des actions simples et efficaces qui répondent aux besoins des publics visés. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de l'aide alimentaire : très concrètement, une distribution de repas n'est certes pas « innovante », elle n'en mérite pas moins d'être financée.

Ceci amène à une deuxième limite : il apparaît peu cohérent de financer des associations innovantes alors que certaines actions « socles » sont mal financées.

Enfin, les AAP peuvent paradoxalement contribuer à générer des besoins de financement pérennes, auxquels il convient de trouver une réponse dans la durée.

La création d'épiceries solidaires en est un bon exemple : fortement encouragée dans des AAP, notamment au cours de la mise en oeuvre du plan « France Relance », elle doit s'accompagner d'une hausse du Crédit national pour les épiceries sociales (CNES) au niveau national, sous peine de fragiliser l'ensemble du secteur.

Entendue par les rapporteurs spéciaux, la Croix-Rouge française a de même pris l'exemple de l'un de ses programmes pour illustrer cette difficulté. À la suite d'un AAP, la Croix-Rouge a mis en oeuvre un projet visant à favoriser la réunion de familles séparées par des conflits armés ou par suite de migrations. Des financements, en l'espèce européens, ont été alloués au programme jusqu'en 2024, mais leur pérennité n'est pas garantie au-delà de cette date - alors que les besoins promettent de ne pas faiblir.

Paroles d'associations :
Les AAP : innover pour innover

« Le problème des actions innovantes, c'est qu'au bout d'un an elles ne sont plus innovantes. L'action est parfois obsolète au moment où la subvention est versée, parfois elle l'est déjà au moment où l'administration s'y intéresse »

Secours populaire français

« Pour répondre à un AAP, on monte un projet, on essaye d'être innovant, on crée une activité qui répond parfois à un besoin social, et l'État finance au maximum sur deux ou trois ans. Après, soit on arrête l'activité, qui n'est plus « innovante », soit on cherche des financements ailleurs. »

Croix Rouge française

« À quoi bon financer de nouveaux dispositifs quand l'existant est si mal financé ? »

Mouvement français pour le planning familial

Plus prosaïquement, les associations ont pu parfois constater, dans la pratique de l'administration, des difficultés à organiser cette concurrence entre associations, de telle sorte que ces effets en sont exacerbés.

En particulier, une certaine opacité a été relevée par certains acteurs historiques de l'humanitaire, de l'aide alimentaire et de l'insertion des publics vulnérables dans l'organisation des récents appels à projets visant à lutter contre la précarité étudiante ou la précarité menstruelle. La Croix-Rouge française, par exemple, n'a pas été informée de l'ouverture de l'appel à projets alors qu'elle conduit de longue date des actions dans ces domaines.

Surtout, de multiples associations ont éprouvé des difficultés du fait des conditions calendaires d'organisation des appels à projets. Le Mouvement du Nid a par exemple indiqué aux rapporteurs spéciaux que les appels à projets étaient souvent ouverts en août, juste avant la pause estivale, avec un délai de réponse fixé en septembre. Pour des organisations se reposant largement sur le bénévolat, un tel calendrier impose des contraintes très importantes.

Enfin, les délais de négociation des conventions, évoqués plus haut dans ce rapport, sont particulièrement dommageables lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre des actions innovantes, dont le caractère innovant est fragilisé par une mise en oeuvre tardive.

3. Conforter l'initiative associative : pour une utilisation parcimonieuse des appels à projets

Pour conforter l'initiative des associations dans la définition de leurs projets et de leurs activités, les rapporteurs spéciaux recommandent de réduire la part des financements destinés à être attribués aux associations sous forme d'appels à projets.

Cette recommandation s'inscrit en quelque sorte « en miroir » de la Recommandation n° 1, par laquelle les rapporteurs spéciaux proposent d'augmenter la durée moyenne des conventions, en particulier en augmentant la part des financements attribués via des conventions pluriannuelles.

Cette recommandation-ci présente le même inconvénient que cette recommandation-là : augmenter la part des financements attribués par des conventions pluriannuelles priverait l'administration d'une part de flexibilité dans l'attribution de crédits, par définition en nombre toujours contraint, pour des projets ponctuels et pour susciter l'innovation du monde associatif.

Néanmoins, les rapporteurs spéciaux considèrent que la pérennité des financements associée aux CPO et la sécurité que ces conventions offrent aux associations constituent une compensation plus qu'adéquate pour cet inconvénient. C'est une fois leur situation matérielle stabilisée que les associations peuvent se concentrer sur leur coeur de métier et être force d'innovation.

Les rapporteurs spéciaux souhaitent en outre que l'organisation des appels à projets ait lieu dans des conditions propices pour les associations, en termes de transparence et de délais de traitement. Ils espèrent que le nouveau calendrier de programmation des subventions le permettra.

Recommandation n° 4 : Conforter l'initiative associative dans la définition des projets, actions et activités financés dans le cadre des conventions.

- réduire les financements destinés à être attribués à la suite d'un appel à projets pour privilégier les financements pérennes ;

- organiser les appels à projets de telle sorte que l'initiative associative puisse s'exprimer dans les meilleures conditions.

B. LE DIALOGUE DE GESTION : UNE ÉVALUATION PARTENARIALE DES CONVENTIONS À RENFORCER

1. Une évaluation peu satisfaisante des projets ponctuels

Les modalités du contrôle et de l'évaluation des actions menées dans le cadre des conventions sont fixées par les conventions : avant le terme de la convention, une évaluation contradictoire a lieu, portant sur la réalisation du projet et sur son impact ; après la clôture de chaque exercice, les associations fournissent à l'administration un compte-rendu financier, leurs comptes annuels et le rapport d'un commissaire aux comptes, ainsi que leur rapport d'activité.

Clauses relatives à l'évaluation et au contrôle des actions
menées dans le cadre des conventions

ARTICLE 6 - JUSTIFICATIFS

L'Association s'engage à fournir dans les six mois suivant la clôture de chaque exercice les documents ci-après :

§ Le compte rendu financier conforme à l'arrêté du 11 octobre 2006 pris en application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (Cerfa n° 15059). Ce document est accompagné d'un compte rendu quantitatif et qualitatif du projet comprenant les éléments mentionnés à l'annexe II et définis d'un commun accord entre l'Administration et l'Association. Ces documents sont signés par le président ou toute personne habilitée.

§ Les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes prévus par l'article L 612-4 du code de commerce ou, le cas échéant, la référence de leur publication au Journal officiel ;

§ Le rapport d'activité.

(...)

ARTICLE 9 - EVALUATION

9.1 L'évaluation contradictoire porte notamment sur la réalisation du projet d'intérêt économique général et, le cas échéant, sur son impact au regard de l'intérêt général.

9.2 L'Association s'engage à fournir, au moins trois mois avant le terme de la convention, un bilan d'ensemble, qualitatif et quantitatif, de la mise en oeuvre du projet dans les conditions précisées en annexe II de la présente convention.

9.3 L'Administration procède à la réalisation d'une évaluation contradictoire avec l'Association, de la réalisation du projet auquel elle a apporté son concours, sur un plan quantitatif comme qualitatif.

ARTICLE 10 - CONTROLE DE L'ADMINISTRATION

10.1 Pendant et au terme de la présente convention, un contrôle sur place peut être réalisé par l'Administration. L'Association s'engage à faciliter l'accès à toutes pièces justificatives des dépenses et tous autres documents dont la production serait jugée utile dans le cadre de ce contrôle conformément au décret du 25 juin 1934 relatif aux subventions aux sociétés privées. Le refus de leur communication entraîne la suppression de la subvention conformément à l'article 14 du décret-loi du 2 mai 1938.

10.2 L'Administration contrôle annuellement et à l'issue de la convention que la contribution financière n'excède pas le coût de la mise en oeuvre du projet. Conformément à l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, l'Administration peut exiger le remboursement de la partie de la subvention supérieure aux coûts éligibles du projet.

Source : Modèle de convention pluriannuel d'objectif (annexe 3 à la circulaire du 29 septembre 2015)

Les projets ponctuels font cependant d'une évaluation décevante, qui se limite bien souvent à la vérification que les actions ont bien été menées. Certes, il s'agit là d'un contrôle nécessaire. D'ailleurs, lorsque les conditions d'octroi de la subvention n'ont pas été remplies, la décision d'attribution peut être retirée sans condition de délai, entrainant le remboursement à l'administration du montant de la subvention23(*) - une faculté peu utilisée, les abus étant rares.

Les exigences de reporting constituent une charge importante pour les petites associations, qui sont souvent financées pour des projets ponctuels, par décision attributive ou convention annuelle. L'administration note que « de manière empirique, la qualité et l'exhaustivité des justificatifs fournis par les associations sont inégales. » Elle ajoute que « l'effet taille de l'association peut jouer, sans en faire une généralité (plus une association est petite, avec un fonctionnement assuré essentiellement ou exclusivement par des bénévoles, plus les justificatifs risquent d'être de moindre qualité et exhaustivité).24(*) »

Lorsque la subvention concerne des montants très faibles, de quelques millions d'euros, les exigences d'évaluation et de reporting deviennent même « disproportionnées », aux termes mêmes de l'administration. Pour cette raison, la DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux éviter d'attribuer des montants inférieurs à 30 000 euros ; les services déconcentrés de l'État se sont quant à eux vu fixer un seuil de 20 000 euros pour l'attribution de subventions. Cette mesure, qui vise à limiter la disproportion des exigences de reporting tout en limitant le saupoudrage, a le soutien des rapporteurs spéciaux.

Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont également souligné les effets quelque peu kafkaïens pour l'évaluation des retards pris pour la signature des conventions annuelles et pour le versement des subventions. De fait, plus la signature de la convention a lieu tard dans l'année, plus la subvention est versée tardivement et plus le projet porté par l'association accumule des délais pour son lancement.

Les obligations de reporting, qui impliquent la transmission à l'administration de documents justificatifs à des dates précises, sont ainsi affectées par ces retards. Par exemple, le « bilan d'ensemble, qualitatif et quantitatif, de la mise en oeuvre du projet » mentionné à l'article 9.2 des conventions doit être adressé à l'administration « au moins trois mois avant le terme de la convention ». Mais lorsque du fait des délais de signature et de versement, le projet a commencé avec plusieurs mois de retard, il n'est pas encore mûr pour être évalué à la date fixée. Et lorsque le projet arrive enfin à son terme, et qu'il serait temps de l'évaluer, un nouvel exercice a commencé, avec ses propres difficultés de conventionnement et de reporting, de telle sorte qu'il est trop tard pour revenir sur un exercice précédent.

Il est regrettable que l'évaluation des projets ponctuels souffre de tant de limites ; les associations ont en effet fait part aux rapporteurs spéciaux de leur souhait d'être poussées à développer leurs capacités, à réfléchir à leur action et à améliorer leurs méthodes - en d'autres termes, à être « challengées », selon le vocable anglicisant souvent utilisé.

Paroles d'associations :
Pour un dialogue de gestion plus « musclé »

« Les décalages calendaires peuvent mener à des situations absurdes : quand on doit rendre le compte-rendu financier, l'action n'est pas finie ; quand l'action est finie, il n'y a plus d'obligation de reporting... »

« On aimerait avoir un dialogue plus régulier et approfondi avec l'administration - trimestriel par exemple - au lieu d'un échange annuel qui se restreint parfois à la remise des comptes rendus financiers. »

Mouvement du Nid

2. Le dialogue de gestion dans le cadre des CPO : une évaluation partenariale satisfaisante, des bonnes pratiques à développer
a) Mieux tirer parti des enseignements du dialogue de gestion

Dans le cadre des conventions, le dialogue de gestion consiste en un rendez-vous annuel entre l'administration et l'association, sur la base des documents justificatifs de l'année (compte-rendu quantitatif et qualitatif, rapport d'activité, etc.). L'administration et les associations, entendues par les rapporteurs spéciaux, ont fait part de leurs impressions globalement positives du dialogue de gestion comme une rencontre partenariale.

Le dialogue de gestion constitue notamment une instance de contrôle contradictoire de l'action associative. Ainsi, lorsque l'exécution des actions convenues dans la convention pose problème (en cas de mauvaise exécution par exemple), le dialogue de gestion est l'instance dans laquelle le financement peut être redéployé ou l'action reportée, à l'issue d'une négociation entre l'État et la structure associative. Par exemple, la DGCS a indiqué aux rapporteurs spéciaux que lorsqu'étaient repérés des marchés infructueux25(*), certains financements avaient été redéployés pour permettre aux associations de procéder elles-mêmes à leurs achats, sans l'intermédiation de l'établissement public FranceAgriMer. Le dialogue de gestion permet ainsi de manière assez satisfaisante de tirer parti des enseignements de la gestion passée pour améliorer la gestion future.

La qualité du dialogue de gestion est d'autant plus importante que les conventions pluriannuelles présentent le risque, en s'inscrivant dans le temps long, de générer un mode de fonctionnement routinier peu propice à l'évaluation critique et partagée des objectifs de politiques publiques et des actions menées.

Partageant le constat de l'administration selon lequel « le suivi régulier et attentif de l'administration est une des clés d'un partenariat fructueux26(*) », les rapporteurs spéciaux proposent de rendre plus réguliers les échanges dans le cadre du dialogue de gestion, afin que l'administration comme les associations puissent suivre en continu la progression de leur action et en tirer en temps réel les enseignements.

En outre, les rapporteurs spéciaux ont été informés par la DGCS que les directions régionale et départementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS et DDEETS) de Corse avaient lancé des travaux d'harmonisation et d'uniformisation des indicateurs d'aide alimentaire et des pièces justificatives. Ce travail permettrait de créer un socle partagé d'indicateurs permettant de repérer les structures performantes et d'en partager les bonnes pratiques. Quant à l'harmonisation des rapports d'activité, elle faciliterait le recueil de données quantitatives et qualitatives de qualité.

Les rapporteurs spéciaux sont favorables à ce que de tels travaux soient, sous l'égide de la DGCS, menés dans l'ensemble des services déconcentrés.

b) La notion « d'excédent raisonnable » : récompenser la bonne gestion et conforter la trésorerie des associations

Encore récemment, durant l'évaluation de fin de gestion, lorsqu'une partie de la subvention n'avait pas été utilisée, l'administration la récupérait systématiquement en application de l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

Loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions
d'ordre économique et financier

Article 43. - (...)

IV. - Lorsqu'il apparaît, notamment à la suite d'un contrôle de l'inspection générale des finances, qu'un concours accordé par l'État, un établissement public de l'État ou un organisme soumis au contrôle économique et financier de l'État, au profit de l'un des organismes visés au I et au II du présent article, n'a pas reçu l'emploi auquel il avait été destiné, le ministre compétent ou le représentant légal de l'établissement ou de l'organisme peut en ordonner la répétition à concurrence des sommes qui ont été employées à un objet différent de celui qui avait été prévu.

Cette pratique, légitime lorsque le coût effectif du projet avait mal été estimé au moment de l'attribution de la subvention, aboutissait toutefois, dans certains cas, à ce que l'administration retire à l'association un excédent résultant de sa bonne gestion des deniers publics. Cette situation a pu apparaître comme regrettable dans la mesure où, outre qu'elle ne permet pas à l'association de se constituer une trésorerie, elle incite les récipiendaires des subventions à les dépenser jusqu'au dernier euro au lieu de trouver des solutions pour les économiser.

L'article 1er de la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations a modifié l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, qui prévoit désormais que les conventions mentionnent « les conditions dans lesquelles l'organisme, s'il est à but non lucratif, peut conserver tout ou partie d'une subvention n'ayant pas été intégralement consommée. » La possibilité pour l'association de conserver un « excédent raisonnable » est ainsi consacré par le Législateur. La mention obligatoire de cette faculté dans les conventions est censée inciter à ce qu'il y soit fait recours.

Désormais, le modèle de CPO mis à disposition des services de l'État comporte, à de multiples reprises, cette mention. Elle a au demeurant fait ses premières apparitions dans certaines conventions signées après l'entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 2021, ce à quoi les rapporteurs spéciaux sont favorables.

La DGCS a toutefois indiqué veiller à « ne pas laisser d'excédent aux associations. » Lorsqu'elle constate qu'un excédent apparaît dans les comptes d'une association, l'administration le reprend ou le déduit de subventions à venir.

- dans le cas d'une convention pluriannuelle en cours, l'association peut demander de reporter les fonds non consommés sur l'exercice suivant ;

- dans le cas d'une convention arrivant à échéance et faisant l'objet d'un renouvellement, la somme non consommée est déduite de la subvention versée au titre de la nouvelle convention ;

- dans le cas où aucun renouvellement n'est prévu, l'administration émet à l'encontre de l'association un ordre de reversement pour indus.

Si les rapporteurs spéciaux conçoivent qu'il soit nécessaire de prévenir des abus, notamment lorsque la convention n'est pas renouvelée, ils insistent sur la nécessité d'appliquer pleinement la loi votée par le Parlement. Les conventions ne mentionnent en effet pas systématiquement l'excédent raisonnable, mention pourtant rendue obligatoire par le Législateur. Surtout, la politique de la DGCS en la matière revient à systématiquement neutraliser les effets pour l'association de sa bonne gestion des deniers publics.

S'il revient à la négociation entre l'administration et l'association de fixer au cas par cas le quantum de cet « excédent raisonnable », le principe selon lequel ce point fait l'objet d'une négociation et donne effectivement lieu à la conservation par une association vertueuse d'excédents de bonne gestion doit être respecté. Les rapporteurs spéciaux se montreront vigilants à cet égard.

Clauses relative à « l'excédent raisonnable » dans une convention
signée après l'entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 2021

ARTICLE 3 - CONDITIONS DE DETERMINATION DU COÛT DU PROJET

(...)

3.5 Le financement public prend en compte, le cas échéant, un excédent raisonnable, constaté dans le compte-rendu financier prévu à l'article 6. C'est excédent ne peut être supérieur à 10 % du total des coûts éligibles du projet effectivement supporté.

(...)

ARTICLE 10 - CONTROLE DE L'ADMINISTRATION

(...)

10.2 L'Administration contrôle annuellement et à l'issue de la convention que la contribution financière n'excède pas le coût de la mise en oeuvre du projet. Conformément à l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, l'Administration peut exiger le remboursement de la partie de la subvention supérieure aux coûts éligibles du projet augmentés d'un excédent raisonnable prévu par l'article 3.5 ou la déduire du montant de la nouvelle subvention en cas de renouvellement.

Source : convention pluriannuelle d'objectifs 2021-2023 signée entre la DGCS et le Collectif féministe contre le viol (CFCV), comportant une clause relative à l'excédent raisonnable.

c) Les indicateurs : comment évaluer l'évaluation ?

Les actions réalisées par les associations sont évaluées à l'aide d'indicateurs établis dans la convention27(*). Définis conjointement par l'administration et l'association, ces indicateurs doivent permettre d'évaluer le résultat ex post du projet, après remise des pièces justificatives par l'association.

Ce suivi par les indicateurs est bien accepté par les associations, qui y voient dans leur majorité un juste contrôle de l'utilisation des fonds publics. Le processus est également jugé relativement « satisfaisant, permettant d'aboutir à des objectifs ambitieux mais correspondant à la réalité28(*) ». Concrètement, ces indicateurs servent principalement à vérifier que les actions subventionnées sont effectivement réalisées. Il s'agit d'indicateurs assez simples : une date butoir à laquelle une action doit avoir été menée, une quantité d'actions à réaliser ou de denrées à acheter au cours de l'année...

Modalités d'évaluation et indicateur - Exemple

Source : convention pluriannuelle d'objectifs 2020-2022 signée entre la DGCS et la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF)

Bilan partiel de la mise en oeuvre des indicateurs - Exemple

Source : bilan partiel pour l'année 2021 de la convention pluriannuelle d'objectifs 2020-2022 signée entre la DGCS et la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF)

Si l'évaluation des actions et l'existence d'indicateurs est d'avis général nécessaire, la pertinence de certains indicateurs est parfois mise en question. Les associations entendues par les rapporteurs spéciaux n'ont pas manqué d'exemples d'indicateurs problématiques, insuffisamment pertinents voire porteurs d'effets pervers. Sur ce point, la critique développée par la commission des finances du Sénat sur les indicateurs de performance à la suite de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) n'a rien perdu de son actualité29(*).

Paroles d'associations
Les limites des indicateurs

« Le taux de réponses de nos écoutantes porte un effet pervers : plus nous sommes proactifs et plus nous nous faisons connaître, plus les appels sont nombreux pour nos écoutantes, et plus le taux de réponse baisse... »

Collectif féministe contre le viol

« Le taux de plaintes ne peut être le seul indicateur. Nous donnons toutes les informations pour que les femmes puissent porter plainte, si elles le souhaitent, mais cela doit rester leur entière liberté. Parce qu'elles ne sont pas toutes prêtes à engager des démarches, nous respectons les choix et la temporalité des femmes. »

« Certains indicateurs devraient être interrogés : le nombre de femmes reçues par une juriste par exemple, est un indicateur qui mérite d'être précisé. Certaines femmes font l'objet de plusieurs entretiens et certains entretiens nécessitent plus de temps que d'autres. L'objectif des associations de notre réseau n'est pas de faire du chiffre ! Les conditions d'accueil conditionnent la qualité des entretiens et des informations délivrées. Il convient également de tenir compte des temps de déplacements des juristes pour animer les permanences, notamment dans les territoires ruraux. L'objectif du maillage territorial qui répond à une demande de l'État nous amène à animer des permanences sur des territoires faiblement peuplés. »

FNCIDFF

« Le nombre de tampons hygiéniques achetés permet de prouver que l'action a bien été menée. Mais il serait plus intéressant d'avoir un indicateur sur le nombre de femmes aidées, sur les coûts évités par la prévention de la mauvaise hygiène... Là on verrait l'impact de nos actions ! »

Une association ayant répondu à l'appel à projets « Précarité menstruelle »

Des indicateurs tels que le taux de réponses des écoutantes ou le taux de plaintes déposées à la suite d'une visite de l'association présentent de sérieuses limites : ils reposent en partie sur des éléments hors du contrôle direct de l'association (le nombre d'appels, la volonté des victimes de porter plainte). Pire, ces indicateurs sont porteurs d'effets pervers : leur amélioration peut résulter d'une moins bonne performance de l'association et leur dégradation d'une meilleure performance. Comme le préconisait en 2005 Jean Arthuis, dans son rapport d'information sur les indicateurs, les rapporteurs spéciaux recommandent que les associations et les services de l'État prennent soin de neutraliser les effets pervers, soit en remplaçant les indicateurs porteurs d'effets pervers, soit en leur associant un second indicateur.

Par exemple, le possible effet pervers lié au taux de réponses des écoutantes pourrait être neutralisé en y associant un autre indicateur mesurant, en valeur absolue, le nombre d'appels reçus par l'association. Cela permettrait en outre de mesurer la proactivité de l'association pour se faire connaître des publics visés.

Deux indicateurs jugés problématiques par les associations - le taux de réponse des écoutantes et le nombre de femmes reçues par des juristes des CIDFF - figurent d'ailleurs parmi des indicateurs de performance du programme 13730(*), ce qui suggère que la volonté d'inclure ces indicateurs provient de l'administration. La nécessité d'une détermination plus partenariale des modalités d'évaluation de l'action associative apparaît donc renforcée.

Les indicateurs qualitatifs, sans être totalement ignorés par l'administration, ne sont que peu utilisés. Certaines associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont en effet déploré l'importance, excessive à leurs yeux, donnée par l'administration aux indicateurs quantitatifs. La Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) ou encore l'Association nationale des épiceries solidaires (ANDES) ont ainsi indiqué travailler au développement d'indicateurs d'impact social31(*), qu'elles mobilisent en complément des indicateurs quantitatifs traditionnels. La FNCIDFF mesure ainsi l'évolution de l'audience de ses réseaux sociaux et la fréquentation de son site Internet.

De tels indicateurs sont de nature à valoriser des aspects difficilement quantifiables de l'action associative. Le changement des mentalités, crucial en ce qui concerne les droits des femmes et la lutte contre les violences faites aux femmes, ne se laisse guère saisir par des indicateurs quantitatifs.

Recommandation n° 5 : Approfondir l'évaluation des actions menées dans le cadre des conventions, selon des modalités partenariales.

- rendre plus réguliers les échanges dans le cadre du dialogue de gestion, afin de suivre en continu la progression des projets menés et d'en tirer en temps réel les enseignements pour le futur ;

- procéder à l'harmonisation des pièces justificatives et des indicateurs d'activités afin de garantir la qualité du reporting et l'identification des bonnes pratiques ;

- faire systématiquement porter la négociation sur la définition d'un « excédent raisonnable » de gestion qui pourra être conservé par l'association ;

- éviter les effets pervers associés à certains indicateurs quantitatifs et développer l'utilisation d'indicateurs permettant de rendre compte de l'impact non quantifiable de l'action associative.

C. LES FINANCEMENTS COMPLÉMENTAIRES : UN POTENTIEL LEVIER D'ÉMANCIPATION DES ASSOCIATIONS ?

1. Des modèles de financement très différents, qui impliquent des degrés variables de dépendance envers l'État

La DGCS ne dispose pas des outils permettant de connaître la place qu'occupent les financements de l'État par rapport aux autres financements publics ou privés. Connaître la part des financements de l'État dans les ressources des associations s'avère donc difficile.

Empiriquement, il est néanmoins possible d'affirmer que les modèles de financement des associations sont très variables selon la taille de la structure, son objet ou encore sa qualité ou non de tête de réseau. Certaines associations, notamment des têtes de réseaux dans le domaine de l'aide alimentaire, bénéficient de financements privés importants (dons, legs, donations, vente de produits, organisations d'événements...). D'autres sont au contraire très dépendantes des financements de l'État.

Par exemple, les Restos du Coeur sont relativement peu dépendants des financements de l'État : le budget présenté dans la CPO 2022-2024 atteint plus de 92 millions d'euros, pour un financement FranceAgriMer valorisé à presque 6 millions d'euros et une subvention DGCS de seulement 225 000 euros. A l'inverse, pour le Collectif féministe contre le viol, 88 % des financements proviennent de l'État, seulement 8 % des collectivités territoriales, et 4 % de financeurs privés.

Paroles d'associations
Des difficultés de rechercher des co-financements

« Chercher de nouvelles sources de financement est difficile. Les indicateurs et les dossiers à constituer varient selon les collectivités territoriales par exemple... Dans ces conditions, rechercher des co-financements représente une charge importante. »

Collectif féministe contre le viol

« C'est plus souple au niveau local, la proximité permet souvent de surmonter certaines difficultés. Le principal problème reste l'absence d'harmonisation entre collectivités pour les formalités administratives. Plus on a de co-financements, plus cela pèse lourd en constitution de dossier et en reporting... »

Mouvement français pour le planning familial

« Depuis le Covid, nous développons les dons financiers auprès du grand public, pour environ 2 millions d'euros en 2022, mais ça reste encore marginal. »

Fédération française des banques alimentaires

2. Le développement des co-financements, synonyme non de « moins d'argent public », mais « d'argent public autrement32(*) »
a) Des financements qui doivent s'ajouter, et non se substituer, aux financements de l'État

La subvention attribuée par la DGCS ou les services déconcentrés de l'État ne dépasse jamais 80 % du coût du projet présenté. Entendue par les rapporteurs spéciaux, l'administration a indiqué s'astreindre à cette discipline pour éviter la requalification de subventions en marchés publics par des juges tatillons. Cette règle « coutumière » permet en outre d'imposer, projet par projet, la recherche de co-financements.

L'État conçoit en effet de plus en plus ses financements comme un « levier » pour susciter des financements complémentaires. Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux, la DGCS a par exemple souligné que « le tissu associatif soutenu par le programme 137 [Égalité entre les femmes et les hommes] est divers mais fragile sachant que nos financements sont des crédits à effet levier avec des montants relativement faibles. » Le co-financement est ainsi l'un des critères de l'attribution d'une subvention.

Les rapporteurs spéciaux considèrent cette logique comme porteuse d'une ambivalence. D'une part, le développement de co-financements peut permettre aux associations, dans un contexte de financements publics contraints, de s'émanciper partiellement de l'influence de l'État en trouvant d'autres partenaires disposés à financer des projets pour lesquels l'État ne montre pas d'intérêt. Les associations de défense des personnes handicapées, dont les financements proviennent principalement de la Sécurité sociale, ont ainsi été bien moins affectées par les difficultés dues aux limites du conventionnement.

Cependant, le développement des co-financements peut s'accompagner d'effets pervers, en particulier s'il s'agit de financements privés. D'abord, comme l'ont relevé des universitaires, le développement des co-financements privés peut se traduire par l'augmentation de la participation financière des usagers, et présente le risque « d'une sélection des clientèles [par l'argent] et d'une transformation des finalités de l'action associative.33(*) »

Enfin, la charité privée ne créant aucun droit au profit de celui qui la reçoit, les financements privés constituent par nature des sources de revenus très instables, alors que les associations répondent à des besoins qui ne disparaissent pas. Ainsi, du fait de la baisse des dons durant la pandémie, l'État a dû soutenir les associations dont les ressources en provenance de financements privés s'étaient trouvées amenuisées : dans certaines situations, la DGCS a ainsi été sollicitée par des associations telles que le Centre Primo Levi, qui ont subi un désengagement financier de certains de leurs co-financeurs.

Les rapporteurs spéciaux mettent donc en garde contre le développement indiscriminé des co-financements et insistent sur la nécessité que ces derniers ne se substituent pas aux financements de l'État.

Paroles d'associations
La précarité des financements privés

« Nous sommes assez dépendants des financements Étatiques. Les financements privés ont tendance à augmenter, mais ils sont source de précarité car le financeur privé peut « s'en aller » du jour au lendemain. »

ANDES

« Le mécénat reste un financement marginal et très volatile. Il faut en effet constamment solliciter de nouveaux partenariats, construire des relations de confiance pour des financements qui restent très ponctuels. Pour être efficace, la recherche de mécénat nécessite des compétences spécifiques et un travail à temps plein d'une personne. »

FNCIDFF

« Les financements privés ne sont pas pérennes ; les besoins auxquels nous répondons le sont. »

Mouvement du Nid

b) Privilégier les co-financements publics, particulièrement avec les collectivités territoriales, qui apparaissent comme l'échelon le plus adapté

Comme le relève la recherche universitaire sur le sujet, sous l'effet « de la poursuite de la décentralisation, le poids de l'État dans les financements du secteur associatif n'a cessé de baisser tandis que le poids des collectivités locales augmentait.34(*) ».

Certaines associations entendues par les rapporteurs spéciaux ont indiqué développer de tels co-financements locaux : c'est notamment le cas du Secours populaire français, dont la recherche de financement est largement axée sur les départements et les communes, mais aussi de nombreuses associations locales : en 2021, le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) a perçu 5 589 887 euros de subventions en provenance des conseils départementaux.

C'est là, selon les rapporteurs spéciaux, que réside la solution pour dépasser l'ambivalence inhérente aux co-financements : dans la mobilisation des collectivités territoriales. Il convient néanmoins de faciliter la recherche de co-financements locaux pour les associations les plus fragiles et les plus en difficulté. Ainsi, les rapporteurs spéciaux recommandent d'associer les collectivités territoriales, dans le respect de leur libre d'administration, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des documents justificatifs là où ils existent. Une telle uniformisation permettra aux associations de diversifier les sources de financement sans multiplier les exigences de reporting et les charges administratives.

Enfin, les rapporteurs spéciaux ont eu connaissance d'une pratique qui leur a semblé intéressante et qu'ils souhaiteraient voir se développer. La direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Corse, a mobilisé son « dispositif local d'accompagnement » (DLA) pour accompagner des associations repérées en situation de fragilité par les services instructeurs. Le DLA, créé en 2002, propose aux associations employeuses de bénéficier gratuitement d'un accompagnement pour « consolider leur modèle économique et pérenniser leurs emplois35(*) ». Dans ce cadre, les services déconcentrés de l'État pourraient accompagner les associations locales en difficulté dans la recherche de co-financements venant des collectivités territoriales.

Les rapporteurs spéciaux expriment le souhait que de telles initiatives soient de nature à renforcer les partenariats entre l'État, les collectivités territoriales et le monde associatif.

Recommandation n° 6 : Développer les sources de financement complémentaires, sans toutefois qu'elles ne se substituent au soutien de l'État.

- associer les collectivités territoriales, dans le respect de leur autonomie, aux travaux d'harmonisation des formalités administratives, des indicateurs et des documents justificatifs là où ils existent ;

- mobiliser le dispositif local d'accompagnement (DLA) pour accompagner au niveau local les associations qui cherchent à consolider leur modèle économique par la diversification de leurs sources de financement, en privilégiant les financements publics des collectivités territoriales.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 juin 2023, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, la commission a entendu une communication de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec la présentation, par Éric Bocquet, des conclusions du contrôle budgétaire qu'il a mené avec Arnaud Bazin sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Je vais m'exprimer à la première personne du pluriel, non pas par effet d'emphase, mais simplement parce que mon collègue Arnaud Bazin ne peut pas être présent ce matin et que je présente ce rapport en notre nom à tous les deux.

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » finance des subventions en faveur d'associations intervenant dans des domaines aussi variés que l'aide alimentaire, la lutte contre les violences faites aux femmes ou la défense des droits des personnes handicapées. Lorsque l'État - c'est-à-dire, à la fois, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE), mais également les administrations déconcentrées - subventionne une de ces associations, il signe le plus souvent avec elle une convention, fixant le montant de la somme versée, les contours du projet financé et les modalités de contrôle de l'administration.

Au cours de nos précédents travaux, Arnaud Bazin et moi-même avons entendu des associations signaler l'existence de difficultés, dont certaines étaient directement ou indirectement liées aux modalités de conventionnement avec l'État. Nous sommes dès lors convenus de profiter du présent contrôle budgétaire pour donner la parole aux associations, recueillir leurs témoignages et tenter de leur apporter des solutions.

Nous constatons tout d'abord une tendance haussière du soutien de l'État aux associations par le biais de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » au cours du dernier quinquennat. Les subventions sont passées de 61 millions d'euros en 2017 à 201 millions d'euros en 2022. S'il s'agit de sommes modestes - moins de 1 % des crédits d'une mission dotée d'environ 30 milliards d'euros - nous sommes du moins satisfaits qu'elles progressent.

La majorité de ces crédits concerne les associations relevant du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes ». Il s'agit principalement d'un soutien aux associations d'aide alimentaire, lequel croît au rythme des crises sanitaires et sociales. Le pic a été atteint en 2020 avec un montant de 179 millions d'euros de subventions versées, un nouveau pic ayant été enregistré en 2022.

Une part croissante de ces crédits va également aux associations financées au titre du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ». Cette hausse progressive est liée à la montrée en puissance, trop lente à notre goût, de la politique en faveur des droits des femmes.

En outre, une part importante de ces crédits - 80,7 % en 2022 - est allouée à l'échelon déconcentré.

Les chiffres suggèrent un engagement renouvelé de l'État en faveur des associations. Mais le recours aux associations n'est-il pas le symptôme d'une forme de désengagement de l'État, qui fait faire à la société civile ce qu'il ne peut plus - ou ne veut plus - faire lui-même ? Cette question a suivi en filigrane tous nos travaux.

S'agissant des modalités concrètes de conventionnement, il convient de distinguer deux types de conventions : les conventions annuelles permettant le financement de projets ponctuels et les conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO) ayant vocation à financer des projets structurants ou l'activité des grandes associations « têtes de réseaux ». Le recours à ces CPO s'est accru avec la circulaire « Valls » du 29 septembre 2015 car elles assurent aux associations une certaine visibilité sur leurs financements, le soutien de l'État étant inscrit dans la durée.

La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une très grande complexité, avec des retards parfois importants dans le versement des fonds. Certaines associations ont mentionné des subventions versées au mieux en juillet, au pire en décembre de l'exercice de référence, ce qui fragilise évidemment les structures. Pour y remédier, la DGCS a élaboré un nouveau calendrier de programmation, applicable à partir de cette année, avec l'objectif de parvenir à un paiement des subventions entre avril et juin. Si cet effort traduit une prise de conscience de l'administration, il faudrait a minima que ce calendrier soit respecté. On pourrait également prévoir un calendrier encore plus ambitieux.

Le recours aux CPO limiterait ces inconvénients dans la mesure où, une fois la convention signée, les versements sont prévus pour les années suivantes et réalisés aux dates définies : un acompte en mars et le solde en août. On pourrait envisager par ailleurs que ces conventions soient signées pour une durée de quatre ans, au lieu de trois, ce qui conforterait la visibilité des associations.

Cela est nécessaire, car leur situation est trop souvent précaire. En particulier, elles sont soumises à un effet ciseau lié à l'inflation, à l'image des Restos du coeur, qui ont vu le nombre des personnes accueillies s'accroître de 22 % tandis que le coût des achats de denrées augmente, passant de 56 millions d'euros à 110 millions d'euros entre 2022 et 2023. Leurs emplois sont en outre peu attractifs, du fait des faibles rémunérations.

Il convient donc de faire du conventionnement un instrument permettant de conforter le modèle économique des associations. Lorsqu'elles portent, comme ici, de véritables politiques publiques, on ne peut pas admettre de les laisser dans la précarité. L'État doit compenser régulièrement l'impact de l'inflation et accepter de financer une partie de leurs dépenses de personnel - il ne l'a jusqu'ici que ponctuellement fait.

L'enjeu de ce contrôle aura été, en dernière analyse, de trouver les voies d'un rééquilibrage des relations, les associations se trouvant dans une dépendance parfois aiguë envers l'État, ce qui permet à ce dernier de contrôler l'action associative, phénomène que des universitaires ont qualifié de « gouvernement à distance ».

Je prendrai l'exemple des appels à projets (AAP), pratique consistant à réserver une partie limitée des crédits pour verser des subventions à des projets innovants ou ponctuels fournis par les associations selon un cadre déterminé par l'administration. Même si, en principe, l'initiative du projet revient toujours à l'association, le développement de ces appels à projets brouille les lignes : les associations ont tout intérêt à se conformer aux attentes de l'État, car elles bénéficieront ainsi d'un renforcement de leurs moyens. Nous recommandons donc de recourir à ces dispositifs avec parcimonie, toujours en complément et jamais en substitution des financements socles.

Le contrôle de l'administration sur les associations se traduit également par une évaluation des actions menées dans le cadre d'un dialogue de gestion. De qualité discutable pour les projets ponctuels, ce dialogue est globalement regardé comme satisfaisant par les parties prenantes s'agissant des conventions pluriannuelles.

Quelques points d'amélioration ont néanmoins été identifiés : l'administration doit recourir plus régulièrement à la notion d'« excédent raisonnable » ; les indicateurs retenus pour évaluer les actions, pas toujours pertinents, sont parfois même porteurs d'effets pervers ; enfin, le rééquilibrage des rapports entre l'État et les associations pourrait passer par une moindre dépendance des secondes aux financements du premier, par exemple en faisant appel aux collectivités locales. Nous recommandons donc de faciliter le développement de cofinancements locaux.

En conclusion, c'est dans les modalités concrètes du conventionnement que réside la réponse cherchée. À la question de savoir si le recours aux associations traduit un désengagement ou un réengagement de l'État, nous répondons qu'un État qui s'engage est un État permettant aux associations, via les conventions, de faire correctement leur travail.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie les rapporteurs spéciaux. Le sujet que nous examinons est sérieux et d'une actualité brûlante, puisqu'un autre fonds fait parler de lui en ce moment, et ce également sous l'angle de la rigueur de gestion. Le schéma consistant à conserver un socle et, pour certaines actions ponctuelles ou nouvelles, passer par des appels à projets peut s'entendre. Mais, à nouveau, il faut une gestion rigoureuse de nos finances publiques et une façon de faire permettant aux associations de piloter correctement leur budget. Je partage donc les préoccupations exprimées dans ce rapport et l'esprit des recommandations des rapporteurs.

M. Philippe Dominati. - Le périmètre des associations concernées évolue-t-il assez fortement d'année budgétaire en année budgétaire ? Pourrait-on avoir une vision sur plusieurs exercices ?

M. Rémi Féraud. - Le recours aux associations présente des intérêts manifestes - nous le savons tous en tant qu'élus locaux -, mais aussi de nombreux dangers. Il y a cette forme de « sous-traitance » précédemment évoquée, mais il est aussi très facile, en période d'économies budgétaires, de commencer par réduire les crédits aux associations. Est-ce un risque élevé aujourd'hui ?

Sécuriser et stabiliser les associations est tout de même complexe à faire. Les conventions n'empêchent pas les annualités budgétaires et la durée de trois ans est extrêmement courte. Votre proposition consistant à accroître cette durée est positive, mais, parallèlement, les appels à projets montent en puissance. Pouvez-vous nous indiquer l'évolution de leur part budgétaire dans les subventions ?

Mme Isabelle Briquet. - Il est noté dans le rapport que le renforcement de la place des associations dans l'action publique peut apparaître comme le signe d'un désengagement concomitant de l'État. N'avez-vous pas vu, dans ces évolutions, le signe d'un plus grand engagement citoyen ?

Mme Christine Lavarde. - Effectivement, la durée des conventions est un sujet. Les rapporteurs spéciaux connaissent-ils la périodicité selon laquelle ces associations sont contrôlées par la Cour des comptes ?

M. Michel Canévet. - Nous le savons, le travail mené par les associations dans le domaine social est absolument essentiel pour répondre aux besoins. Ces conventions pluriannuelles d'objectifs sont-elles une garantie véritable pour les partenaires associatifs de bénéficier d'un soutien effectif de l'État sur la durée ? Ou ne sont-ils, en définitive, jamais assurés d'un financement dans l'avenir du fait de l'annualité budgétaire ? Dans le Finistère, certaines associations liées par ces conventions rencontrent de grandes difficultés, car l'évolution des charges, notamment des salaires, est totalement déconnectée des financements obtenus .

Par ailleurs, avez-vous des éléments d'information sur le versement des subventions ? Le nouveau dispositif apporte-t-il des améliorations ?

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Philippe Dominati, c'est le contexte social et économique actuel qui bouscule les associations, avec une hausse de la pauvreté, d'un côté, et, de l'autre, l'enclenchement du mouvement MeToo et du mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes. Si le nombre des associations subventionnées suit une tendance haussière - elles sont 7 159 en 2022 - le périmètre n'évolue que peu.

Rémi Féraud, les associations sont effectivement inquiètes, notamment du fait de la fin du « quoi qu'il en coûte » et des mesures annoncées par le Gouvernement en vue de la prochaine loi de finances. On sait que les subventions peuvent être remises en question d'une année sur l'autre, au nom du nécessaire rétablissement des comptes publics, alors que l'utilité de ces associations est incontestable et incontestée. Cela explique la demande insistante de ces dernières d'avoir une visibilité à trois ou quatre ans, notamment lorsqu'elles emploient des salariés. Néanmoins la tendance actuelle, je l'ai dit, est plutôt à une augmentation du soutien de l'État aux associations.

Les évolutions marquent-elles un renouveau de l'engagement citoyen, comme l'a demandé Isabelle Briquet ? Je suis frappé depuis plusieurs années par la force de la mobilisation et de la motivation des personnes travaillant dans ces associations. Il faut absolument les soutenir.

Certains ont parlé d'une « bénévolisation » de l'action publique. Des études statistiques ont ainsi souligné la croissance soutenue du bénévolat dans le monde associatif. En 2017, les associations, tous secteurs d'activité confondus, ont bénéficié du travail de 31,272 millions de bénévoles, représentant un volume de travail de l'ordre de 1,425 million d'emplois en équivalent temps plein. On ne pourrait pas se passer de cet engagement !

Par ailleurs, Christine Lavarde, la Cour des comptes ne procède à aucun contrôle systématique, mais les administrations centrales opèrent bien un contrôle annuel.

Michel Canévet, je suis convaincu que la visibilité est essentielle pour les associations, notamment celles qui ont des salariés. Cela explique leur demande de voir la durée des conventions passer de trois à quatre ans. En principe, un avenant permet de réévaluer les montants chaque année, mais on y a difficilement recours actuellement, du fait du contexte inflationniste, et nous recommandons une réévaluation plus fréquente.

S'agissant de l'efficacité du nouveau calendrier d'attribution des subventions, nous sommes encore en attente d'éléments de la DGCS.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

- M. Jean-Benoît DUJOL, directeur général ;

- Mme Katarina MILETIC-LACROIX, adjointe à la sous-direction Affaires financières et Modernisation.

Table ronde - Associations de défense des droits des femmes

Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF)

- M. Grégoire LERAY, directeur administratif et financier.

Fédération nationale solidarité femmes (FNSF)

- Mme Françoise BRIÉ, directrice générale.

Collectif féministe contre le viol (CFCV)

- Mme Gabriela BRAVO, coordinatrice administrative ;

- Mme Elodie COZIC, coordinatrice de la ligne d'écoute « Violences sexuelles dans l'enfance ».

Mouvement du Nid

- Mme Stéphanie CARADEC, directrice.

Mouvement français du planning familial (MFPF)

- Mme Sarah DUROCHER, présidente ;

- Mme Sacha CALINE, trésorière.

Table ronde - Association d'aide alimentaire

Les Restos du Coeur

- M. Louis CANTUEL, responsable des relations institutionnelles ;

- M. Yves MÉRILLON, membre du bureau national.

Fédération française des banques alimentaires (FFBA)

- Mme Laurence CHAMPIER, directrices fédérale ;

- Mme Barbara MAUVILAIN, responsable du service des relations institutionnelles.

Secours populaire français

- M. Nicolas CHAMPION, membres du bureau national ;

- Mme Mathilde COURCY, responsable du service Dotations et financements publics.

Croix-Rouge française

- M. Marc VANNESSON, directeur du développement des programmes ;

- Mme Charlotte GUIFFARD, responsable du département Inclusion par l'accès aux biens essentiels.

Association nationale des épiceries sociales (ANDES)

- M. Yann AUGER, directeur général.

Table ronde - Associations de défense des droits des personnes handicapées

Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH)

- M. Jean-Louis GARCIA, président ;

- M. Yoan HADADI, directeur de cabinet du président.

Association nationale des équipes et centres d'action médico-sociale précoce (ANESCAMP)

- Mme Geneviève LAURENT, présidente ;

- M. Axel MORCH, secrétaire général.

Fédération 3977 de lutte contre la maltraitance

- Mme Murielle BLONDEAU, directrice ;

- M. Bernard CROZAT, trésorier.


* 1 Circulaire n° 5811-SG du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations : déclinaisons de la charte des engagements réciproques et soutien public aux associations.

* 2 Article 59 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.

* 3 Jean-Marie Garrigou-Lagrange, Recherches sur les rapports des associations avec les pouvoirs publics, Paris, LGDJ, 1970.

* 4 Conseil d'État, 11 mai 1987, n° 62459, Divier

* 5 « Quand les associations remplacent l'État ? », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 6 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, sur le financement de l'aide alimentaire, n° 34 (2018-2019) - 10 octobre 2018.

* 7 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, relatif au financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 8 Par exemple : MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 115 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 9 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, relatif au financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 10 Tribunal administratif de Paris, 26 février 1964, Union nationale des étudiants de France, Lebon 686.

* 11 Circulaire n° 5811-SG du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations : déclinaisons de la charte des engagements réciproques et soutien public aux associations.

* 12 Téléchargeable dans la rubrique associations du site www.service-public.fr.

* 13 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 115 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 14 Selon la DREETS de Corse. Réponses de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 15 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 16 SD5A désigne le bureau A « Budgets et performances » de la 5ème sous-direction « Affaires financières et modernisation » de la DGCS.

* 17 Collectif féministe contre le viol, Rapport d'activité 2022, page 9. En 2022, le CFCV indique avoir reçu 6 149 appels pour viols et autres agressions sexuelles, contre 5 567 en 2021.

* 18 Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 19 Simon Cottin-Marx, Matthieu Hély, Gilles Jeannot et Maud Simonet, « La recomposition des relations entre l'État et les associations : désengagements et réengagements », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 20 Ibid.

* 21 Lionel Prouteau et Viviane Tchernonog, « Le paysage associatif français - Mesures et évolutions », 3ème édition, Dalloz Juris Association, mai 2019.

* 22 Magali Robelet, « Les transformations des modes de contrôle croisés entre associations et autorités publiques dans le secteur du handicap », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 23 Article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration.

* 24 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 25 Voir à ce sujet l'annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 115 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 novembre 2022.

* 26 Réponse de la DGCS au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 27 Lorsque la subvention est accordée par une décision unilatérale, cette dernière inclut également des objectifs et des indicateurs fixée par l'administration seule.

* 28 Réponse de l'ANDES au questionnaire des rapporteurs spéciaux.

* 29 Rapport d'information du 2 mars 2005, fait par M. Jean Arthuis au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur les objectifs et les indicateurs de performance de la LOLF du 2 mars 2005.

* 30 Rapport annuel de performance de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » 2023.

* 31 Le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire (CSESS), dans un rapport sur « La mesure de l'impact social paru en 2011 », définit l'impact social comme « l'ensemble des conséquences (évolutions, inflexions, changements, ruptures) des activités d'une organisation tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, usagers, clients) directes ou indirectes de son territoire et internes (salariés, bénévoles, volontaires), que sur la société en général ».

* 32 Simon Cottin-Marx, Matthieu Hély, Gilles Jeannot et Maud Simonet, « La recomposition des relations entre l'État et les associations : désengagements et réengagements », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 33 Lionel Prouteau et Viviane Tchernonog, « Évolutions et transformations des financements publics des associations », Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.

* 34 Ibid.

* 35 Simon Cottin-Marx, Les associations au service des politiques de l'emploi, genèse du dispositif local d'accompagnement Revue française d'administration publique, n° 163, 2017.