B. UNE LOGIQUE ÉCONOMIQUE

Les enjeux liés à la transition énergétique et climatique mobilisent d'autant plus les élus locaux que depuis la reprise économique consécutive à la pandémie de Covid-19, la France, comme les autres pays européens, connaît une forte hausse des prix de l'énergie, en particulier du gaz et de l'électricité, qui s'est aggravée depuis février 2022 du fait de la guerre en Ukraine et qui a fortement impacté les budgets de fonctionnement des collectivités territoriales au cours de ces derniers mois. La question de la sécurité des approvisionnements énergétiques a aussi suscité de vives inquiétudes et a conduit à engager une réflexion sur les mesures d'efficacité énergétique.

Or le secteur du bâtiment est à l'origine de 44% de l'énergie consommée en France. Les bâtiments représentent à eux seuls 75% des dépenses d'énergie des collectivités territoriales44(*).

Dans ce contexte, le coût de la consommation d'énergie représente un enjeu financier et budgétaire important pour les collectivités territoriales.

1. L'impact de la crise des prix de l'énergie sur les dépenses des collectivités territoriales
a) Une augmentation spectaculaire des factures énergétiques des collectivités territoriales malgré des disparités de situation

De façon générale, les budgets des collectivités territoriales ont été très fortement impactés par les prix de l'énergie, dont la hausse a atteint des proportions considérables au cours de l'année 202245(*), et qui devraient encore rester à des niveaux élevés dans les années à venir. Les collectivités ont ainsi subi une augmentation très importante, comme elles en avaient rarement connu, de leurs dépenses énergétiques au cours de ces derniers mois. Cette évolution pèse d'autant plus fortement sur leurs budgets de fonctionnement et leurs capacités d'investissement qu'elles doivent faire face à un contexte inflationniste et à la hausse des taux d'intérêt.

Selon l'Assemblée des départements de France, les augmentations des prix de l'énergie constatées (à deux ou trois chiffres) connaissent des variations importantes en fonction du mode de chauffage, des établissements et des modalités d'approvisionnement. Elles ont eu des conséquences variables selon les départements sur les dépenses d'énergie : « Les situations sont disparates, les hausses pouvant aller de 0% à 450% »46(*). La facture énergétique du département du Nord est, par exemple, passée de 11 M€ en 2021 à 35 M€ en 2022 (+218%) ; celle des Yvelines de 8 à 20 M€ (+150%).

Cette augmentation est confirmée, en ce qui concerne les communes, par une enquête réalisée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) auprès de ses adhérents, mettant en évidence une hausse des dépenses énergétiques, entre 2021 et 2022, comprise entre 30% et 300%. Selon Intercommunalités de France, la facture énergétique des trois quarts des intercommunalités a au moins doublé, voire quadruplé en un an. Ce constat est corroboré par l'Association des petites villes de France (APVF) qui indique que ces dépenses ont augmenté de plus de 50% dans certaines communes et dans 90% des petites villes.

Les collectivités territoriales ont ainsi été contraintes à mettre en oeuvre en urgence des mesures pour faire face à cette flambée des coûts de l'énergie et, par conséquent, à l'augmentation importante et imprévue de leurs dépenses énergétiques. Ces mesures ont essentiellement été orientées vers la réduction des consommations énergétiques : baisse du chauffage en période hivernale, limitation de l'éclairage, fermeture de certains équipements tels que les gymnases ou les piscines. Des plans de sobriété énergétique ont également été mis en place.

En octobre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi lancé un plan de sobriété énergétique pour les lycées, qui se décline en treize actions à court et moyen termes et concerne toutes les thématiques : la généralisation des contrats assortis de clause de performance, un plan d'actions de sobriété par l'usage, le respect des consignes de températures, le relampage LED, un grand plan massif de solarisation et l'accélération de la mise en place des marchés publics globaux de performance énergétique.

b) La mise en place bienvenue d'un « amortisseur électricité »

Pour contenir la hausse des prix de l'électricité, la France, à l'exemple d'autres pays européens, a mis en place un bouclier tarifaire réservé, dans un premier temps, aux ménages et aux petites collectivités territoriales. En effet, depuis la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui a pris acte de la suppression des tarifs réglementés de vente d'électricité pour les collectivités, seules les plus petites d'entre elles, répondant à deux critères cumulatifs (moins de dix employés et moins de deux millions d'euros de recettes), peuvent conserver leurs tarifs bleus (puissance inférieure ou égale à 36 kVA). À ce titre, ces collectivités sont susceptibles de bénéficier du bouclier tarifaire qui limite la hausse des tarifs d'électricité à 4% en moyenne. En revanche, depuis le 1er décembre 2020, elles ne bénéficient plus des tarifs réglementés de vente de gaz naturel.

Cependant, dans le cadre des lois de finances pour 2022 et 2023, et de la loi de finances rectificative d'août 2022, toutes les collectivités territoriales ont été éligibles à la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), mise en oeuvre dans le cadre du bouclier tarifaire, et ont pu bénéficier, à titre exceptionnel pour l'année 2022, de l'augmentation du volume de l'Arenh (Accès régulé à l'énergie nucléaire historique) qui a contribué à réduire de moitié la hausse des prix les concernant.

Puis, à compter du 1er janvier 2023 et jusqu'à la fin de cette année, le Gouvernement a décidé de mettre en place un « amortisseur électricité » pour les collectivités territoriales, qui s'applique notamment à celles qui ont signé un contrat professionnel mais ne sont pas éligibles aux boucliers tarifaires, sans condition de masse salariale ou d'activité économique. L'État prend ainsi en charge une partie de la facture d'électricité dès lors que le tarif souscrit dépasse un certain niveau de prix.

2. La consommation énergétique des bâtiments scolaires
a) Le poids important du bâti scolaire dans les dépenses énergétiques des collectivités

Construits à différentes époques, et souvent mal - ou peu - isolés, les bâtiments scolaires sont de gros consommateurs d'énergie, comme tous les bâtiments publics. Certains d'entre eux sont même considérés comme « énergivores ». Selon l'Association des maires de France :

- « il y a encore un long chemin à parcourir pour améliorer l'efficacité énergétique de la plupart des bâtiments scolaires en France » ;

- « les besoins de réhabilitation sont particulièrement importants dans les écoles construites entre les années 1950 et 1970 » ;

- « Les problèmes les plus courants sont les problèmes d'isolation thermique et phonique, les problèmes de vétusté des équipements et des installations sanitaires, ainsi que les problèmes de sécurité incendie »47(*).

Les consommations énergétiques des bâtiments scolaires constituent ainsi une part importante de celles des collectivités territoriales, même si cette proportion dépend naturellement de la structure même du patrimoine immobilier des différents niveaux de collectivités. Le chauffage et l'eau chaude ainsi que l'éclairage représentent les principaux postes de consommation.

La dernière enquête « Énergie et patrimoine communal », réalisée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)48(*) (désormais dénommée Agence de la transition écologique) et relative aux dépenses énergétiques du « bloc communal », établie à partir d'un état des lieux effectué en 2017, montre que les bâtiments scolaires représentaient alors :

- environ 12% de la consommation d'énergie du secteur public en France ;

- 82% des consommations énergétiques des communes de métropole, alors que leur part dans le patrimoine immobilier communal ne dépassait pas 31% de ce patrimoine.

Cette même étude révélait aussi une consommation unitaire des bâtiments scolaires du même ordre que celle des bâtiments administratifs, soit environ 135 kWh d'énergie finale par m2 et par an.

Quant aux lycées, leur part dans les dépenses d'énergie des régions liées aux bâtiments publics est supérieure à 90%49(*), ce taux devant s'analyser eu égard à la composition du patrimoine immobilier des régions, qui regroupe essentiellement les bâtiments occupés par les lycées.

b) Des établissements scolaires principalement chauffés au gaz et à l'électricité

Toutes les sources d'énergie sont utilisées pour le chauffage des établissements scolaires, mais l'électricité et le gaz dominent. Par conséquent, ces établissements sont aussi responsables d'une part importante des émissions nationales de gaz à effet de serre.

Selon une enquête menée par Régions de France au printemps 202250(*), l'électricité est utilisée pour chauffer près de la moitié des lycées (47,6% de la facture 2021), devant le gaz (45,8%) et le fuel (6,6%). Un nombre plus ou moins important de ces établissements, en fonction des régions, est aussi raccordé aux réseaux de chaleur. Certaines régions sont en mesure de suivre précisément leurs consommations énergétiques. C'est par exemple le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui dispose d'un outil de suivi des consommations avec la plateforme Savee, gérée par une société privée, ce qui permet de disposer de statistiques sur les dépenses de chauffage afin de réaliser des économies de consommation.

Les données publiées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEEP) du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, à l'occasion de la rentrée scolaire 2018, indiquaient que plus de trois quarts des collèges étaient chauffés au gaz. Le chauffage urbain (9%), le fuel (6%), le bois (4%), l'électricité (3%), la climatisation réversible et les autres modes (biomasse, solaire...) étaient ensuite cités. Cette répartition des différents modes de chauffage n'a sans doute connu pas d'importants bouleversements depuis la publication de cette étude.

Pour les écoles, les modes de chauffage se répartissaient ainsi : gaz 38%, électricité 32%, chauffage urbain 10%, fioul 9% et bois 7%51(*).

c) Les établissements scolaires face au défi de la hausse des prix de l'énergie

Compte tenu de la hausse des prix de l'énergie et de la diversité des modes de chauffage, les dépenses d'énergie liées aux établissements scolaires peuvent connaître des variations plus ou moins importantes selon les collectivités. Toutefois, les informations recueillies par la mission d'information montrent qu'au sein des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, les dépenses d'énergie destinées aux établissements scolaires ont fortement progressé, que ce soit pour les lycées, les collèges ou les écoles.

Les dépenses énergétiques des lycées sont ainsi passées de 271 M€ en 2020 (11 régions métropole hors Île-de-France) à 288 M€ en 2021 et sont estimées à 388 M€ en 2022, soit près de 35% d'augmentation sur une seule année, indépendamment de la hausse attendue en 202352(*).

À titre d'exemple, les données communiquées par la région Auvergne-Rhône-Alpes montrent une hausse très nette des dépenses énergétiques destinées aux lycées entre 2021 et 2022.

Dépenses d'énergie liées aux lycées - région Auvergne-Rhône-Alpes53(*)

(en millions d'euros TTC)

Année

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Dépenses

48,1

52,6

41,8

47,3

83,854(*)

78,255(*)

Dans le Grand Est, le budget dédié aux fluides en lien avec la gestion des lycées (235 lycées et plus de 5 millions de m²) a récemment connu l'évolution suivante :

- entre 2021 et 2022, il est passé de 40 M€ à 61,5 M€ (+21,5 M€) ;

- la facture totale devrait largement dépasser 100 M€ en 202356(*).

Dans son enquête réalisée à la rentrée 2022, l'Assemblée des départements de France a constaté des augmentations des coûts des fluides très importantes dans les collèges, avec de fortes variations en fonction notamment du mode de chauffage, des établissements, des modalités d'approvisionnement et des clauses contractuelles négociées. Les dépenses d'électricité ont ainsi progressé jusqu'à 300% au sein de certains établissements et jusqu'à 400% pour le gaz.

L'étude de l'ADEME précédemment citée estimait déjà que la consommation d'énergie dans les bâtiments scolaires pourrait être réduite de 30 à 50% grâce à des mesures d'efficacité énergétique. Dans le même esprit, le rapport Demarcq de 2020 constatait la « rentabilité élevée aux actions de bonne gestion et de pilotage fin du chauffage, portant particulièrement sur l'intermittence de l'utilisation » et appelait à « lancer partout et rapidement » les « actions de bonne gestion du premier type (souvent à temps de retour faible) ».

Il faut noter que certaines mesures ont été mises en place de façon plus ou moins formalisée à l'occasion de cette hausse inédite des prix de l'énergie au cours de l'année 2022. Le contexte actuel ne peut qu'encourager de telles démarches, comme l'ont confirmé les élus rencontrés par la mission d'information.


* 44 Financement de la transition écologique et énergétique - Enjeux, recommandations et propositions des intercommunalité, ADCF, septembre 2022.

* 45 En juillet 2022, l'Association des petites villes de France (APVF) considérait que dans certaines de ses communes membres les dépenses énergétiques avaient bondi de 50%, ces hausses oscillant entre 30% et 300% pour l'Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Dans une étude réalisée auprès des intercommunalités en janvier 2022, Intercommunalités de France a mis en lumière un doublement ou plus du montant de la facture énergétique pour les trois quarts des intercommunalités, une intercommunalité sur deux rapportant un impact supérieur à 5% sur ses charges de fonctionnement (Source : Les collectivités territoriales face à la hausse du coût de l'énergie, rapport d'information fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales par Mme François Gatel, n° 836, 2021-2022).

* 46 Compte rendu du 28 mars 2023.

* 47 Source : réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.

* 48 ADEME, Caisse des dépôts, FNCCR, AITF et « Conseil en énergie partagé » - Dépenses énergétiques des collectivités locales - État des lieux en 2017 - sept. 2019.

* 49 Source : réponses écrites de Régions de France au questionnaire de la rapporteure.

* 50 11 régions métropolitaines ont participé à cette enquête.

* 51 Source : étude du Commissariat général au développement durable de 2018 citée par les réponses écrites de l'AMF au questionnaire de la rapporteure.

* 52 Source : réponses écrites de Régions de France au questionnaire de la rapporteure.

* 53 Source : audition de Régions de France.

* 54 Montant estimé pour l'année 2022.

* 55 Montant estimé pour l'année 2023.

* 56 Voir en annexe le compte rendu du déplacement de la mission d'information en Meurthe-et-Moselle (intervention de M. Jean-François Husson au nom du Conseil régional de Grand Est).