B. ADAPTER LE SYSTÈME DE FORMATION INITIALE POUR RÉPONDRE AUX TENSIONS ET PRÉPARER L'AVENIR

L'impact attendu de ces grandes mutations de l'économie et des métiers plaide pour une rénovation en profondeur du système de formation initiale français.

D'une part, il convient d'assurer que les formations existantes répondront bien aux nouveaux besoins de compétences, le cas échéant en les adaptant, ou que de nouvelles formations pertinentes soient rapidement créés. D'autre part, en vue d'améliorer l'orientation des parcours vers les métiers les plus porteurs et d'utiliser au mieux les ressources, il convient de poursuivre les efforts de rationalisation de l'offre de formation initiale, en faisant progressivement évoluer celles n'attirant plus ou ne garantissant plus l'insertion professionnelle des jeunes entrant sur le marché du travail.

Or, les auditions des rapporteurs ont mis en évidence plusieurs faiblesses du système de formation initiale français qui ne lui permettent pas, aujourd'hui, de répondre à ces défis.

1. Inverser au plus vite la dégradation croissante de la maîtrise du socle de compétences, notamment scientifiques

Comme l'a signalé un récent rapport de la commission des Finances du Sénat, intitulé « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques » et présenté par M. Gérard Longuet100(*), le niveau moyen des élèves français en mathématiques a drastiquement baissé au cours des dernières décennies.

En trente ans, le niveau des élèves français a ainsi baissé de l'équivalent d'une année d'enseignement en mathématiques, selon les enquêtes menées par le ministère de l'Éducation nationale. La France se situe largement en-deçà de la moyenne de l'OCDE et de celle de l'Union européenne, à 483 points (contre 528 et 527 respectivement), en baisse de 47 points depuis 1995, selon l'étude internationale TIMSS.

Ces enquêtes démontrent, à temps égal, une efficacité relativement moins efficace de l'enseignement des mathématiques en France, qui se répercute ensuite sur l'attrait des jeunes français pour les carrières scientifiques, pourtant essentielles à notre économie. Si 60 % des élèves de troisième et de seconde sont « intéressés » par les métiers scientifiques et techniques, selon l'ONISEP, seulement 17 % d'entre eux envisagent sérieusement de s'orienter vers ces métiers. Les étudiants en sciences fondamentales sont ceux qui se réorientent le plus, selon l'enquête du ministère précité.

La faiblesse de la formation initiale en compétences scientifiques, techniques et mathématiques est donc particulièrement déplorée par les entreprises des secteurs de l'industrie et de l'informatique, confrontés à des évolutions technologiques majeures, telles que le cloud, l'intelligence artificielle, l'apprentissage automatique, mais aussi l'industrie 4.0 et l'innovation dans les procédés de fabrication. Ces secteurs sont aujourd'hui frappés par d'importantes tensions de recrutement, qui ne pourront que s'accroître à l'avenir faute d'un renforcement du socle de compétences scientifiques.

Face à ces constats, le retrait des mathématiques du tronc commun de l'enseignement en classe de première et de terminale, mis en oeuvre en 2019 dans le cadre de la réforme du baccalauréat défendue par le Gouvernement, est d'autant plus incompréhensible. Il a de fait conduit à une baisse de 90 à 59 % du nombre d'élèves suivant un enseignement de mathématiques au lycée, en particulier chez les jeunes femmes, et à une hausse des inégalités dans l'accès à cet enseignement ; alors même que celui-ci reste indispensable pour l'accès à de nombreux diplômes supérieurs101(*).

On ne peut donc que souhaiter que l'annonce du Gouvernement, en novembre 2022 dans le cadre de « l'année de promotion des mathématiques », de la réintroduction des mathématiques au tronc commun en classe de première, soit concrétisée dès la prochaine rentrée scolaire.

Recommandation 7 :

Réintégrer l'enseignement des mathématiques au sein du tronc commun en classe de première de filière générale.

Outre les mathématiques, comme l'a souligné Mme Glenda Quintini, économiste à l'OCDE entendue par la délégation aux Entreprises, 20 % des adultes français présentent aujourd'hui un niveau faible de lecture-écriture ou de calcul. Ces faiblesses prennent racine très tôt, dès la formation initiale, et sont souvent liées au parcours de vie des élèves. Ainsi, les équipes des lycées professionnels visités par les rapporteurs ont souligné qu'une part significative des élèves n'est à l'origine pas francophone, et a de grandes difficultés avec l'écrit alors même qu'ils peuvent être excellents par ailleurs sur les gestes techniques. Cette fragilité au niveau des compétences socles limite le niveau de qualification atteint lors de la formation initiale, mais aussi les opportunités de formation ultérieure ou d'évolution de carrière.

COMPARAISON DES NIVEAUX DE LECTURE/ÉCRITURE ET DE CALCUL DES ADULTES DANS L'OCDE
(EN POURCENTAGE DE LA POPULATION ADULTE EN-DESSOUS DU NIVEAU 1)

Source : OECD « Skills studies » (2018), Glenda Quintini

2. Résoudre les déséquilibres marqués dans l'accès des femmes à certains emplois ou cursus

On constate aussi des déséquilibres marqués dans l'accès des jeunes femmes et des jeunes hommes aux formations initiales.

Alors même que les écarts historiques de taux de scolarisation et de résultats scolaires se sont drastiquement réduits, voire inversés (les jeunes filles réussissant aujourd'hui en moyenne mieux que les jeunes hommes à l'école et obtenant des diplômes correspondant à un plus haut niveau de qualification) ; certains cursus et métiers restent caractérisés par une très faible féminisation.

C'est le cas notamment des formations conduisant vers des métiers considérés comme « manuels » ou « traditionnellement masculins » (manutention, ouvrier de l'industrie, bâtiment) ; à l'inverse de celles menant vers des métiers des carrières sociales ou sanitaires (soin, enseignement, accompagnement...). Ainsi, les filières scientifiques et techniques attirent toujours majoritairement des jeunes hommes, et les filières littéraires ou de santé, des jeunes femmes : le taux de féminisation des écoles d'ingénieurs, par exemple, stagne à un niveau très bas (autour de 33 %)102(*).

TAUX DE FÉMINISATION COMPARATIFS
DES FORMATIONS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Source : INSEE, « Femmes et hommes », l'égalité en question, édition 2022

Il en résulte que sur 86 familles de métiers en France en 2011, seules 10 présentaient un taux de féminisation compris entre 40 et 60 % de femmes, c'est-à-dire un ratio équilibré. Selon une étude, « la ségrégation professionnelle entre femmes et hommes résulte dans une large mesure de choix d'orientation et de filières d'études [...] différenciés lors de la formation initiale. Paradoxalement, bon nombre d'inégalités d'accès au marché du travail se forgent à l'école ».103(*) Dans le secteur industriel, spécifiquement, la féminisation est faible : seules 30 % des personnes travaillant dans l'industrie sont des femmes, et seulement 17 % des ouvriers qualifiés.104(*) L'Université des métiers du nucléaire, entendue par les rapporteurs, a ainsi indiqué porter un effort particulier en faveur de l'attractivité auprès des femmes (le taux de féminisation de la filière est de 24 %).105(*)

Cette persistance d'un clivage entre « métiers masculins » et « métiers féminins » prive les entreprises de la moitié de la population active et de leurs compétences. À l'heure de la pénurie de main d'oeuvre, et d'un point de vue sociétal, c'est un frein immense.

Les rapporteurs formulent ainsi plusieurs propositions pour améliorer la mixité des formations. Cela peut passer par des mesures concrètes, visant par exemple à assurer des places pour les jeunes femmes au sein des internats, certaines personnes entendues ayant alerté sur la difficulté des jeunes femmes à accéder à certains internats et donc à certaines filières de formation. Des sensibilisations spécifiques aux filières scientifiques ou techniques sont déjà menées à destination des jeunes femmes, mais doivent être développées, dès l'école. Sandrine Berthet, coordinatrice du Conseil national de l'Industrie en matière de formation, a par exemple insisté sur l'importance de campagnes telles que « IndustriElles », qui permettent de donner aux jeunes femmes de véritables « role models » pour se projeter dans les métiers peu féminisés.106(*)

Enfin, les enseignants et formateurs doivent être formés de manière plus spécifique aux enjeux de lutte contre les discriminations de sexe et de mixité professionnelle.

Recommandation 8 :

Améliorer la participation des jeunes femmes aux formations marquées par un faible taux de féminisation en :

 intensifiant les efforts en faveur de la mixité des établissements de formation initiale ;

 améliorant la formation des enseignants et des formateurs à l'orientation des jeunes femmes et à la réduction des discriminations éducatives ;

 accentuant la sensibilisation des jeunes femmes aux opportunités offertes par les parcours scientifiques et techniques, dès l'école.

3. Faire aboutir la simplification des procédures d'évolution de l'offre de formation, qui restent trop longues et rigides

La création de nouvelles formations, ou l'évolution des formations existantes, pourtant essentielles pour suivre les mutations de la société et de l'économie, se heurtent à la complexité et la longueur des procédures administratives applicables.

Créer une formation initiale certifiante

La création d'une formation certifiante est soumise à l'inscription de celle-ci au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou au Répertoire scientifique (RS) des certifications et des habilitations, gérés par France compétences.

Le RNCP liste l'ensemble des titres ou diplômes attestant d'une qualification professionnelle reconnue par l'État, sur l'ensemble du territoire français, et au niveau européen. L'inscription au RNCP ouvre également droit au bénéfice des fonds de la formation professionnelle, notamment du compte personnel de formation (CPF).

Il classifie les certifications en fonction du secteur d'activité et du niveau de qualification, au nombre de huit et définis selon une grille établie par arrêté (le niveau 1 correspond à l'instruction maternelle, le niveau 3 aux CAP/DNB, le niveau 4 au baccalauréat ou encore le niveau 8 au doctorat).

Chaque certification est composée de blocs de compétences précis et comporte un référentiel d'activité (situations de travail, activités exercées, métiers visés), un référentiel de compétences (connaissances dispensées) et un référentiel d'évaluation.

La procédure d'inscription d'une certification au RNCP ou au RS varie selon le type de certification concerné :

 Les diplômes délivrés par l'État (qui représentent environ la moitié des formations) sont inscrits de droit au RNCP, pour une durée de cinq ans, après avis des commissions professionnelles consultatives (CPC) ministérielles compétentes ;

 Les autres diplômes et certifications sont inscrits à la demande des organismes les ayant créés (branches professionnelles, organismes de formation privés), après avis de France compétences, pour une durée maximale de cinq ans ;

 Les certifications de qualification professionnelle (CQP) sont enregistrées à la demande des organismes les ayant créés, au terme d'une instruction par les services de France compétences puis d'un avis conforme de sa commission chargée de la certification, pour la même durée maximale de cinq ans.

L'article R. 6113-9 du code du travail prévoit que les demandes d'enregistrement au RNCP sont examinées selon plusieurs critères :

1° l'adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle ;

2° l'impact du projet de certification professionnelle en matière d'accès ou de retour à l'emploi ;

3° la qualité des référentiels d'activités, de compétences et d'évaluation ainsi que leur cohérence d'ensemble et l'absence de reproduction littérale de tout ou partie du contenu d'un référentiel existant ;

4° la mise en place de procédures de contrôle de l'ensemble des modalités d'organisation des épreuves d'évaluation ;

5° la prise en compte des contraintes légales et règlementaires liées à l'exercice du métier visé par le projet de certification professionnelle ;

6° la possibilité d'accéder au projet de certification professionnelle par la validation des acquis de l'expérience ;

7° la cohérence des blocs de compétences constitutifs du projet de certification professionnelle et de leurs modalités spécifiques d'évaluation ;

8° le cas échéant, la cohérence : des correspondances totales mises en place entre le projet de certification et des certifications équivalentes ; des correspondances partielles mises en place entre un ou plusieurs blocs de compétences de ce projet et ceux d'autres certifications ou habilitations enregistrées dans le répertoire spécifique ;

9° le cas échéant, les modalités d'association des commissions paritaires nationales de l'emploi de branches professionnelles dans l'élaboration ou la validation des référentiels.

Prévu par la loi « Avenir professionnel », le transfert à France compétences, nouvellement créée, de la gestion du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et de l'instruction des demandes de certification, a conduit à un fort engorgement des procédures administratives. L'enregistrement des certifications devant être renouvelé tous les cinq ans au plus tard, France compétences a fait face à un véritable afflux de dossier lors des premières années suivant le transfert (2 100 dossiers de RNCP en 2021, renouvellement intégral du RS et 1 000 dossiers de RNCP en 2021).

Comme l'a relevé le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat, intitulé « France compétences face à une crise de croissance »107(*) :

« En 2021, le taux d'acceptation des demandes s'est élevé à 41 % pour le RNCP et 18 % pour le RS [...]. [...] les délais d'examen des demandes de certifications apparaissent trop longs pour les acteurs de la formation professionnelle. Certains d'entre eux regrettent aussi que France compétences n'ait pas suffisamment fait part en amont de la procédure et des critères requis pour l'enregistrement d'une certification, afin d'assurer la qualité des demandes et d'éviter de devoir les renouveler après un refus. La conjugaison de ces deux difficultés a abouti, pour certains organismes ou branches, à la péremption de leurs certifications et à leur déréférencement pendant plusieurs mois ».

En dépit de progrès notables, le temps moyen de traitement d'une demande de certification s'établissait toujours à environ 7 mois en 2022.

Cette complexité n'est pas nouvelle. Entendu par les rapporteurs, l'OPCO Entreprises de proximité a par exemple souligné le décalage croissant entre les procédures de certification dites de droit et celles sur demande : les premières doivent suivre un parcours long et lourd (deux sessions test, note d'opportunité, ingénierie de certification, instruction, déploiement, mise en oeuvre, bilan), et fait l'objet d'importantes vérifications par France compétences de la valeur d'usage économique et sociale ou de l'insertion professionnelle ; tandis que les deuxièmes sont bien moins étayées et contrôlées. Or, selon l'OPCO : « à ce jour les certifications de droit font souvent défaut : moins adaptées aux besoins des entreprises et des salariés, avec une obligation d'évolution tous les 5 ans en vigueur depuis deux ans seulement, un fort poids politique des ministères certificateurs dans les commissions qui arbitrent des créations, évolutions et abrogations des certifications de droit, faible ou incomplète prise en compte des branches et fédérations professionnelles... ».108(*)

Faisant le constat de procédures trop complexes d'enregistrement au RNCP, l'article 31 de la loi « Avenir professionnel » avait mis en place une « fast-track » (procédure accélérée d'examen) pour les « métiers et compétences identifiés comme particulièrement en évolution ou en émergence » (II de l'article L. 6113-5 du code du travail), définis annuellement par une liste établie par la commission de la certification professionnelle de France compétences.

Les métiers émergents retenus par France compétences

Selon les éléments transmis par France compétences, ont été retenus :

• Expert en digitalisation et exploitation des bâtiments ;

• Contrôleur technique qualité des installations et équipements des énergies décarbonées ;

• Intervenant médicotechnique à domicile pour les prestataires de santé à domicile ;

• Ouvrier de la construction modulaire hors-site ;

• Responsable de développement industriel en bioproduction ;

• Technicien en bioproduction ;

• Technicien valoriste du réemploi.

• Architecte des systèmes d'information dans les processus industriels ;

• Architecte Internet des objets ;

• Chargé de process numériques de production en plasturgie ;

• Chargé de recyclage en production plasturgie ;

• Diagnostiqueur produits matériaux déchets issus des bâtiments ;

• Ingénieur/Expert en numérisation des systèmes et processus de production ;

• Préparateur en déconstruction ;

• Technicien/Chef de projet en rénovation énergétique ;

• Technicien d'installation et de maintenance de systèmes énergétiques ;

• Technicien en conception d'études et développement électronique ;

• Technicien en électronique ;

• Animateur formateur en technologies agricoles ;

• Paysan-herboriste ;

• Agent valoriste des biens de consommation courante ;

• Animateur e-sport(s).

Les demandes d'inscription d'une certification relative à un de ces métiers sont alors dispensées de deux critères d'enregistrement, en contrepartie d'un enregistrement d'une durée réduite de trois ans avant qu'un renouvellement ne devienne nécessaire :

· Est levée pour le premier enregistrement l'exigence « d'adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle » (c'est-à-dire d'insertion effective des personnes formées dans les emplois visés), en se basant sur l'analyse d'au moins deux promotions de titulaires ;

· Est levée l'exigence d'analyse des performances de la certification en matière d'accès ou de retour à l'emploi (c'est-à-dire d'insertion professionnelle des personnes formées), en se basant sur deux promotions et en comparaison avec les formations existantes sur des métiers proches.

L'intention traduite par cette procédure simplifiée - celle de faciliter l'adaptation de l'offre de formation disponible - est tout à fait louable. Mais elle s'est encore peu concrétisée et ne suffira pas, seule, à impulser une vraie dynamique de rénovation des titres et des diplômes.

Ainsi, lors de son déplacement dans le Cher, la délégation aux Entreprises s'est entretenue avec le fondateur d'une école d'informatique, qui a exprimé ses plus grandes difficultés à obtenir la certification de son projet - et ce, alors même qu'elle entendait offrir une formation reconnue et de premier rang en matière de programmation, compétence tendue et extrêmement recherchée sur le marché de l'emploi français comme international. L'ensemble des démarches auront duré, en tout, plusieurs années avant que la formation ne puisse être enregistrée.

La loi ne prévoit l'application de la « fast-track » qu'aux métiers en émergence ou en forte évolution, mais pas, par exemple, aux métiers en tension, pour lesquels il pourrait toutefois être pertinent de créer de nouvelles formations ou de faire évoluer les caractéristiques des diplômes existants, notamment eu égard aux enjeux d'attractivité et d'accessibilité de ces formations. La procédure accélérée d'examen par France compétences pourrait être étendue à ces métiers en tension. De manière générale, les rapporteurs recommandent de mettre en place un délai maximal d'examen, par France compétences, des demandes de création ou d'évolution de titres et diplômes, qui pourrait être fixé à quatre mois.

Les rapporteurs soulignent néanmoins le rôle crucial et difficile confié à France compétences en matière de contrôle de l'offre de certifications. Alors que la loi « Avenir professionnel » a apporté une forme de libéralisation de l'offre de formation initiale, on a pu voir apparaître certaines « écoles » privées d'enseignement supérieur, dont la qualité de la formation peut laisser à désirer, et présentant des taux d'insertion extrêmement faibles.

Afin d'éviter tout abus, pour assurer que les étudiants s'orientent vers des établissements leur dispensant des enseignements sérieux, leur apportant une réelle plus-value en termes de compétences, et leur garantissant des débouchés professionnels, il est nécessaire que France compétences dispose des moyens humains et budgétaires nécessaires à la bonne conduite de ses missions de contrôle.

Recommandation n° 9 :

Pour accélérer et faciliter l'adaptation de l'offre de formation initiale :

 prévoir un délai maximal de quatre mois pour le traitement des demandes d'enregistrement par France compétences, et lui assurer les moyens nécessaires à la bonne exécution de cette mission ;

 étendre aux métiers en tension la liste des métiers et compétences éligibles à la procédure accélérée d'examen.

Si le contenu des formations doit évoluer pour s'adapter aux nouveaux besoins des compétences, la présentation et les intitulés des diplômes et titre doit aussi être rénovée. Il s'agit d'un levier de visibilité et d'attractivité, qui peut permettre de mettre en valeur le sens et les tâches du métier. La ministre Grandjean a ainsi annoncé s'être fixé pour objectif la rénovation d'un quart des formations d'ici 2025, soit près de 150 diplômes en deux ans. Ces efforts devraient notamment porter sur le secteur de la construction (par exemple pour rendre plus visible l'enjeu de la rénovation thermique), du numérique, ou encore de l'aide aux personnes âgées. La DGESCO a par exemple indiqué avoir conduit des travaux précis avec l'UIMM, en vue de rénover les diplômes de Bac Pro et de BTS autour de la maintenance des systèmes et de l'électrotechnique ; ou encore la rénovation de la mention complémentaire « Systèmes numériques aux organisations », lancée en 2022, qui fait place à la cybersécurité parallèlement à la rénovation du BTS correspondant109(*).

Dans le même ordre d'idée, il peut être intéressant de travailler à la lisibilité croisée des diplôme et titres, par exemple en mettant en avant la transversalité de certaines compétences. Par exemple, certains diplômes relevant d'une même famille de métiers peuvent être rassemblés en un diplôme unique, auquel s'adossent plusieurs options ou colorations spécifiques, réflexion qu'a déjà engagée la DGESCO. Cette dernière a souligné que : « les compétences transversales sont essentielles à l'insertion professionnelle et sont très demandées par les employeurs » 110(*). Dans le même ordre d'idées, France compétences a indiqué être favorable à développer des certifications de qualification professionnels inter-branches, ceux-ci « contribuant à mieux réguler l'offre [de certifications], offrant une meilleure lisibilité et facilitant les parcours professionnels et les mobilités d'une branche à l'autre »111(*).

Les rapporteurs appellent à veiller à associer les branches professionnelles à ces travaux de rénovation des titres et diplômes, afin de s'assurer qu'ils correspondent au plus près aux besoins des entreprises.

4. Garantir un maillage adapté de l'offre de formation initiale

Les rapporteurs ont également été alertés sur la nécessité de veiller à conserver - ou à recréer - un maillage adapté de l'offre de formation initiale, qu'il s'agisse du maillage sectoriel ou du maillage géographique.

Lors de leur déplacement dans le Cher, a par exemple été évoqué l'enjeu de veiller à maintenir une offre de formation initiale pertinente au sein des zones rurales. Les fermetures de classes ou de formations au profit de celles se développant dans les centres urbains et grandes villes entraînent plusieurs effets délétères :

· une réduction de l'attractivité des formations en raison des temps de trajets accrus (voire l'impossibilité de se déplacer en voiture ou transport en commun pour les plus jeunes) et des difficultés à se loger dans les centres urbains en raison du coût de la vie ;

· un effet d'entraînement des jeunes vers les zones urbaines, qui contribue à une forme d'exode rural, ceux-ci revenant ensuite rarement dans leur bassin d'origine ;

· à l'inverse, pour les élèves les plus ancrés, une perte réelle d'opportunité lorsque ceux-ci ne peuvent ou ne souhaitent poursuivre leur formation dans une autre ville. Ils peuvent alors être contraints à choisir une voie ou une certification ne leur convenant pas, ce qui complique leur insertion et peut conduire jusqu'au décrochage.

Développer l'offre de formation dans les quartiers prioritaires de la ville doit aussi être une priorité, afin d'améliorer l'insertion des jeunes en étant issus.

Selon les éléments transmis par la DGESCO aux rapporteurs, le travail de transformation de l'offre de formation initiale a commencé : « depuis plusieurs années, un travail est mené sur les filières peu insérantes. La transformation de cartes a été initiée en 2018 à l'échelle de l'État pour la filière du tertiaire administratif », avec un resserrement de l'offre à hauteur de 25 % en 5 ans.112(*)

Alors que le Président de la République et la ministre de la Formation et de l'Enseignement professionnels, Carole Grandjean, ont annoncé une refonte à venir de la carte des formations professionnelles - la ministre ayant par exemple annoncé 146 fermetures et 212 ouvertures de formation à la rentrée 2023 - les rapporteurs appellent à la plus grande vigilance sur ces équilibres territoriaux délicats.

D'autre part, cette refonte devra tenir compte de l'évolution des besoins et des caractéristiques des différentes formations. Certaines formations sont aujourd'hui très peu insérantes, orientant vers des domaines d'activités où de nombreux candidats existent pour peu de postes. Afin d'éviter de conduire les jeunes vers des parcours professionnels difficiles, il convient de réfléchir sans tabou à la rationalisation de l'offre de certaines formations au vu des besoins. L'information transparente, lors de l'orientation, sur les débouchés et l'insertion des différents diplômes et établissements, participera de cette évolution, mais la réduction progressive des cohortes de certaines formations ne doit effectivement pas être écartée.

Pour les métiers d'avenir ou en tension, à l'inverse, un travail spécifique doit être fait pour assurer que des formations spécifiques, adaptées aux besoins des entreprises, existent bien sur l'ensemble du territoire. Ainsi, dans le rapport de la commission des affaires économiques du Sénat intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »113(*), l'UIMM estimait que certains territoires se trouvent aujourd'hui en France « à la limite de la désertification de l'offre ». Elle citait l'existence de deux établissements seulement offrant, en Bretagne, un Bac Pro et un BTS Outillage. De même, le métier de soudeur, pourtant identifié depuis plusieurs années comme particulièrement tendu, ne peut aujourd'hui plus compter que sur de très rares formations en France ; ainsi que les formations du secteur de l'électronique. Entendue par les rapporteurs, la filière du nucléaire faisait aussi le constat d'une offre insuffisante dans certaines régions, à rebours du besoin de proximité indispensable au regard du peu de mobilité géographique des élèves114(*).

Recommandation n° 10 :

Dans le cadre de la refonte annoncée de la carte des formations et de l'octroi des aides publiques à la restructuration de l'offre de formation, veiller à garantir un maillage territorial et sectoriel adéquat, correspondant aux besoins des bassins d'emplois et des entreprises.

Des efforts ont été entrepris pour donner l'impulsion nécessaire à cette restructuration. Via les EDEC des filières industrielles, les comités stratégiques de filière, ou encore France stratégie, des études de cartographie des formations et des besoins en métiers ont été financées et menées à bien.

Le plan France Relance avait identifié plusieurs secteurs à forts enjeux en termes de création et d'adaptation de formation. Parmi ceux-ci, le secteur du nucléaire a bénéficié de fonds à hauteur de 34,7 millions d'euros (appel à projet « Renforcement des compétences de la filière nucléaire »), ayant par exemple permis de créer six écoles de soudage dans quatre régions différentes, et de créer un titre professionnel. L'Université des métiers du nucléaire indique que « des efforts similaires doivent être réalisés sur d'autres métiers en tension tels que les tuyauteurs, les chaudronniers et les END CND, pour lesquels il y a encore à créer des formations »115(*).

Dans le cadre du plan « France 2030 », a été créé un appel à manifestation d'intérêt (AMI) « Compétences et métiers d'avenir », doté de 2,5 milliards d'euros pour une durée de cinq ans. Il est consacré à la création ou l'adaptation de l'offre de formation en réponse aux besoins d'avenir, et doit permettre de financer des actions de diagnostic des besoins de compétences, ainsi que des projets concrets de création de formations. 136 premiers projets ont été financés depuis la fin de l'année 2021, pour un montant total d'environ 480 millions d'euros. Parmi les domaines concernés figurent notamment la ville durable et le bâtiment innovant, l'alimentation, l'agriculture durable, la cybersécurité ou encore les batteries électriques116(*). L'AMI « Compétences et métiers d'avenir » finance notamment les Campus des métiers et des qualifications.

Après une troisième vague en mars 2023 (avec environ 40 projets retenus), un deuxième volet a été annoncé par le Gouvernement le 1er juin dernier, avec pour objectif de simplifier les procédures et de cibler plus particulièrement certains défis d'avenir (science, technologie, ingénierie et mathématiques ; transition écologique)117(*).

Si l'évolution du système de formation initiale portée par les acteurs publics et privés de la formation n'est pas assez rapide ou efficace, une partie croissante de la charge de l'adaptation de la formation initiale risque de peser sur les entreprises françaises. Or, si celles-ci ont évidemment pour mission et obligation de contribuer à la formation de leurs salariés, elles ne pourraient se substituer à l'enseignement secondaire ou supérieur, ni se voir transférer la charge financière qui incombe à l'État en matière de formation initiale.

La simplification de l'ouverture de centres de formation d'apprentis (CFA), apportée par la loi « Avenir professionnel », est regardée très positivement par les branches professionnelles et les entreprises. Elle doit néanmoins s'accompagner d'un dynamisme et d'un renouveau similaire de l'offre au sein des autres voies de formation, notamment des lycées professionnels.

De fait, on constate que les CFA ont conduit d'importants efforts pour intégrer à leurs formations et enseignements de nouvelles compétences (en matière de numérique ou de transition environnementale notamment). Les branches professionnelles ont rapidement su adapter le nombre et la répartition géographique des CFA pour répondre à la forte hausse du nombre d'apprentis en France depuis 2018.

Depuis 2018, de nombreuses entreprises ont aussi saisi les opportunités nouvelles offertes par la loi pour ouvrir des CFA d'entreprises, axés spécifiquement sur leurs besoins et leurs métiers. De fait, la tendance à la création de « campus d'entreprise » ou d'« écoles d'entreprise » est notable. Ces derniers répondent indéniablement à la demande des entreprises, mais ne doivent pas fragiliser par ailleurs le maillage existant des CFA de branche ou contribuer à fragiliser l'enseignement en lycée professionnel. L'effort mené par les entreprises et les branches doit être répliqué par les établissements de formation initiale dépendant de l'État et soutenu par une simplification des procédures d'évolution de l'offre de formations, comme évoqué plus haut.

Les actions de la Fondation Innovations pour les apprentissages (FIPA)

La délégation s'est entretenue avec la Fondation Innovations pour les apprentissages, fondation interentreprises qui rassemble depuis 2018 de nombreuses grandes entreprises françaises engagées en faveur de l'apprentissage et visant à développer des initiatives innovantes en sa faveur. Présidée par Jean-Bernard Lévy, elle compte notamment parmi ses fondateurs Engie, Leroy Merlin, Lactalis, Saint-Gobain, la SNCF, La Poste ou encore Orange.

Ont par exemple été financés au cours des dernières années les initiatives suivantes :

 Valeurs et apprentissages : Mener une analyse concertée pour faire évoluer certains niveaux et modalités de financement de l'apprentissage.

 LNDLG : Proposer à des alternants, le temps d'une nuit, un hackathon pour leur permettre de développer des valeurs entrepreneuriales.

 Altern'up : encourager la création d'entreprises par des alternants

 PRO-pulseur : accompagner individuellement vers un emploi, des jeunes éloignés de toute activité (NEET), grâce à un dispositif d'inclusion disruptif

 Parcours d'Alternance Partagée : organiser une formation alternée qui débute dans une grande entreprise et se termine au sein d'une PME ;

 L'alternance numérique : construire, pour des salariés, une formation interentreprises en alternance répondant aux besoins impulsés par la « transition numérique ». (analyste cybersécurité et data analyst) ;

 Apprentis sans frontières : concevoir et déployer auprès des parties prenantes, le guide de l'Alternant en Mobilité Internationale ;

 Hub de l'alternance : concevoir une structure digitale regroupant des plateformes numériques dédiées à l'alternance ;

 Parcours Accompagné vers l'Emploi : apporter un accompagnement individualisé à des alternants sortants ;

 Observatoire régional des formations en alternance : analyser l'offre et les modes de financement de l'apprentissage sur un territoire régional.

La FIPA organise et finance aussi le programme « Ingénieuses », qui permet à des jeunes femmes en formation en alternance BTS Technique de séjourner à New York durant un mois et y suivre une formation spécifique, visant à les orienter vers une formation ultérieure d'ingénieure. 13 entreprises y ont pour l'instant participé, permettant à 32 jeunes femmes de participer au programme.

Source : Réponses de la FIPA au questionnaire de la délégation

À ce titre, l'État pourrait mettre en place un interlocuteur unique, au niveau de l'administration centrale, chargé d'assister les entreprises et de répondre à leurs questions dans le cadre de la création de CFA d'entreprise. Dans le cadre de leurs auditions, les rapporteurs ont plusieurs fois été alertés sur le défaut d'accompagnement par l'administration, alors même que l'enjeu d'articulation entre les initiatives des entreprises et les filières de formation existantes - y compris relevant des lycées professionnels - est majeur.


* 100 Rapport d'information n° 691 (2020-2021) de M. Gérard Longuet , fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 juin 2021, intitulé : « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant ».

* 101 Article paru le 4 février 2022 dans Le Monde, intitulé : « L'inquiétant recul des mathématiques au lycée », par Sylvie Lecherbonnier.

* 102 Baromètre égalité femmes-hommes 2022 de la conférence des grandes écoles.

* 103 « Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme sur le marché du travail », paru dans « Idées économiques et sociales », par Anne Châteauneuf-Malclès.

* 104 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 105 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 106 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 107 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».

* 108 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

* 109 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 110 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 111 Réponses de France compétences au questionnaire de la délégation.

* 112 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 113 Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022, intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».

* 114 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 115 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 116 Dossier de presse du Gouvernement « France 2030 : 70 nouveaux lauréats pour la 2ème vague de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir » (CMA) », 18 novembre 2022.

* 117 Dossier de présentation du deuxième volet de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir », mai 2023.

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