N° 807

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif à la formation, aux compétences et à l'attractivité,

Par Mmes Martine BERTHET, Florence BLATRIX CONTAT
et M. Michel CANÉVET,

Sénatrices et Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Babary, président ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Gilbert Bouchet, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain-Larché, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Thomas Dossus, Fabien Gay, Jacques Le Nay, Dominique Théophile, vice-présidents ; MM. Rémi Cardon, Jean Hingray, Sébastien Meurant, Vincent Segouin, secrétaires ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Annick Billon, Nicole Bonnefoy, MM. Michel Canévet, Daniel Chasseing, Alain Chatillon, Mme Marie-Christine Chauvin, MM. Pierre Cuypers, Michel Dagbert, Alain Duffourg, Mme Pascale Gruny, MM. Christian Klinger, Daniel Laurent, Stéphane Le Rudulier, Martin Lévrier, Didier Mandelli, Jean-Pierre Moga, Albéric de Montgolfier, Claude Nougein, Mme Guylène Pantel, M. Sebastien Pla, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, MM. Christian Redon-Sarrazy, Olivier Rietmann, Daniel Salmon.

L'ESSENTIEL

Former pour aujourd'hui et pour demain :
les compétences, enjeu de croissance et de société

présenté par Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet

En 2022 et 2023, les tensions de recrutement déclarées par les entreprises ont atteint de nouveaux sommets : près des deux tiers des entreprises françaises rencontrent des difficultés à pourvoir les postes disponibles. Malgré des différences sectorielles ou géographiques, la pénurie aigüe de compétences est désormais généralisée.

L'incapacité à enrayer ces tensions au cours des dernières années, la difficulté à mettre en relation compétences et emploi est source de fragilité économique. Ces blocages sont d'autant plus incompréhensibles que le taux de chômage de la France reste élevé parmi les pays occidentaux, s`établissant autour de 7 % - bien loin du plein emploi. Le nombre de jeunes n'étant ni en études, ni en formation, ni en emploi est encore de 13 %.

Faut-il se résigner à cette situation insatisfaisante tant du point de vue de la croissance, puisqu'elle limite le développement du tissu économique français, que du point de vue social, chaque emploi vacant étant une opportunité ratée d'insertion professionnelle ? Faut-il accepter que des métiers essentiels à la vie de la Nation, comme les professions de la santé, de l'enseignement, les métiers de l'industrie ou du commerce, peinent à susciter des vocations ?

Les rapporteurs de la délégation aux Entreprises appellent à une action résolue en faveur des compétences, de la formation et de l'attractivité des métiers, pour transformer la crise actuelle en opportunité.

Une opportunité d'abord, parce que les grandes transitions qui s'annoncent entraîneront de nouveaux besoins et verront apparaître de nouveaux métiers : la transition environnementale bien sûr, mais aussi la transition numérique ou encore la transition démographique.

Une opportunité ensuite, parce que l'aspiration des Français à une vie professionnelle plus diversifiée, à la mobilité au cours de la carrière, et à de nouveaux modes d'organisation du travail peut contribuer à créer des passerelles entre secteurs et entre métiers : le potentiel de la reconversion et des transitions professionnelles est énorme.

Une opportunité enfin, parce que la prise de conscience des enjeux de réindustrialisation, de souveraineté sanitaire ou agricole peut redorer le blason de métiers souffrant aujourd'hui d'un fort déficit d'image. La rénovation de la formation initiale et l'effort d'attractivité seront des enjeux majeurs pour engager la jeunesse française.

La délégation aux Entreprises formule, à l'issue de ses travaux, des recommandations stratégiques et concrètes pour réagir et accentuer l'effort en faveur des compétences.

I. DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT CROISSANTES ET GÉNÉRALISÉES : UN ENJEU ÉCONOMIQUE, MAIS AUSSI SOCIAL

Les difficultés de recrutement ont atteint un niveau inédit depuis plus de vingt ans, et le nombre de métiers en tension augmente drastiquement. Cette dynamique n'a pas été enrayée par les politique de l'emploi, les plans du Gouvernement, ni même par la pandémie de Covid-19.

67 % des entreprises peinent à recruter en 2023

+ 138 %

en 2015...

50 métiers
en tension

en 2019...

119 métiers
en tension

Une pénurie qui touche des activités essentielles à la vie de la Nation : métiers du soin, de l'industrie, du bâtiment, des transports... C'est un enjeu de souveraineté.

13 % des jeunes ne sont
ni en études, ni en formation,
ni en emploi

Un enjeu social, la France étant encore bien loin du plein emploi. Chaque emploi vacant est une opportunité manquée d'insertion professionnelle.

22 % des PME et ETI estiment que les difficultés de recrutement ont un impact majeur sur le chiffre d'affaires

Un enjeu économique. Les difficultés de recrutement sont identifiées comme l'un des premiers freins à la croissance des entreprises, en particulier des TPE-PME. Il n'y aura en France pas de croissance sans compétences.

À l'heure où il faut reconstruire la souveraineté de la France, développer l'internationalisation des entreprises, s'engager pleinement dans les transitions environnementales et numériques, l'accès aux compétences doit faire l'objet d'une attention toute particulière des pouvoirs publics. C'est une cause nationale : dans cette période charnière, il faut réagir rapidement.

Pourtant, les différentes mesures annoncées depuis 2018 n'ont eu qu'un impact mitigé au mieux : elles n'ont pas réussi à inverser la tendance.

II. L'IMPÉRATIF DE L'ATTRACTIVITÉ : RÉ-ENCHANTER LE TRAVAIL, ADAPTER LES EMPLOIS

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière les évolutions des attentes des Français vis-à-vis de leur emploi. Sans qu'il n'existe réellement de « Grande démission » (« Big Quit ») ni de rejet du travail, les considérations relatives à la mobilité professionnelle, au travail à distance ou encore au « sens » du travail ont certainement pris de l'importance.

30 métiers subissent une crise d'attractivité

57 % des salariés envisagent une évolution professionnelle dans les deux ans à venir

Une trentaine de professions connaissent une réelle crise d'attractivité (notamment dans les métiers de l'hôtellerie-restauration ou de l'aide à domicile), qui s'explique par un déficit d'image ou des conditions organisationnelles et matérielles jugées insuffisantes.

L'adaptation des emplois à ces attentes nouvelles est un levier important d'attractivité et de fidélisation, pour enrayer cette dynamique de perte d'attractivité et renverser la tendance.

Il faut mobiliser tous les leviers pour INFORMER, COMMUNIQUER, et PROMOUVOIR les métiers en tension. Les rapporteurs recommandent de :

Ø À l'école...

faire de la connaissance des métiers un objectif à part entière de l'enseignement, dès le collège, via un temps dédié en classe de cinquième et de seconde ;

Ø améliorer l'information des élèves et de leurs familles aux périodes charnières de l'orientation, grâce à des éléments comparatifs entre filières de formation initiale (rémunération, insertion, débouchés...) ;

Ø mieux former les enseignants au monde professionnel, dès le début et tout au long de leur carrière ;

Dans les entreprises...

Ø mieux valoriser le sens des métiers, l'engagement sociétal des entreprises, et la « marque employeur », en particulier dans les PME ;

Ø accentuer la promotion des métiers et secteurs qui recrutent, notamment par le biais des opérateurs de compétences (OPCO).

Il faut aussi ACCOMPAGNER L'ÉVOLUTION DES EMPLOIS au regard des attentes nouvelles des Français.



Développer et simplifier le partage de la valeur au sein des entreprises, notamment les TPE-PME



Accompagner l'effort en faveur de la qualité de vie au travail


Promouvoir l'intégration de nouveaux modes
de management
et d'organisation
du travail

III. POURSUIVRE LA RÉNOVATION DE LA FORMATION INITIALE ET DE L'ALTERNANCE, POUR ALLIER INSERTION FACILITÉE VERS L'EMPLOI ET SOCLE DE COMPÉTENCES SOLIDE

La France fait face à trois grandes transitions, qui entraîneront à court terme une forte mutation des besoins de compétences de l'économie et de la société.

Afin de former les compétences et les jeunes de demain, le système de formation initiale doit très rapidement intégrer ces besoins nouveaux, pour s'assurer que les cursus existants les prennent bien en compte, ou créer de nouveaux cursus.

Mais la formation initiale en France peine à répondre à ses nombreux défis :

Une offre de formation évoluant trop peu et trop difficilement

Un maillage territorial et sectoriel fragilisé

La dégradation de la maîtrise
du socle de compétences

Seuls 59 % des élèves de lycée suivaient en 2022 un enseignement de mathématiques

Un moindre accès des femmes aux filières scientifiques

33 % de taux de féminisation des écoles d'ingénieur, contre 85 % des formations paramédicales et sociales

Zoom 1 - Pérenniser le succès de l'apprentissage

L'apprentissage est un succès indéniable dans les chiffres et dans les têtes.

L'instauration de nouvelles aides plus lisibles, l'élargissement des publics concernés et la libéralisation de l'offre ont entraîné un vrai « boom », salué par les entreprises, qui participe de la revalorisation de la voie professionnelle.

Mais deux défis doivent encore être relevés : le développement de l'apprentissage dans les formations à niveau de qualification baccalauréat ou infra-baccalauréat ; et la sécurisation d'un modèle de financement pérenne et adéquat.

Or, le financement actuel, basé sur les contributions des entreprises, ne suffit plus : France compétences a dû bénéficier de 14 milliards d'euros de « rallonges » de l'Etat depuis 2020 pour boucler son budget, et s'endetter fortement.

Les rapporteurs proposent :

Ø de maintenir l'aide exceptionnelle annoncée en 2020 et reconduite jusqu'en 2023 ; et éviter la tentation d'une augmentation des prélèvements sur les entreprises ;

Ø de sécuriser le financement de l'apprentissage en provisionnant annuellement une dotation budgétaire de l'État, pour équilibrer le budget de France compétences ;

Ø d'éviter une baisse insoutenable des niveaux de prise en charge (NPEC) et soutenir l'investissement dans les centres de formation d'apprentis.

980 000 contrats d'apprentissage fin 2022,
contre environ 450 000 entre 2012 et 2018.

Zoom 2 - Revaloriser la voie professionnelle
auprès des jeunes et des entreprises

Le lycée professionnel est encore perçu comme insuffisamment attirant, insérant et professionnalisant. Pourtant, une grande partie des métiers en tension et des métiers d'avenir relève de la voie professionnelle.

Les rapporteurs proposent :

Ø d'améliorer la qualité de l'orientation en amont, pour passer de parcours subis à des parcours choisis et susciter les vocations ;

Ø de développer les dispositifs de spécialisation concrète, comme les « colorations » et les « formations complémentaires d'initiative locale » ;

Ø surtout, d'inciter les lycées professionnels à aller vers les entreprises, par exemple en intégrant des éléments relatifs à la relation aux entreprises locales parmi les indicateurs de résultat des lycées professionnels ;

Ø enfin, pour prévenir le décrochage à la sortie du lycée, d'assurer un suivi et un accompagnement à l'insertion des jeunes diplômés de la voie professionnelle.

La moitié
des diplômés de CAP ne trouvent pas d'emploi sous deux ans

61 %
du décrochage intervient en lycée professionnel

1 lycéen sur 3
est scolarisé en lycée professionnel

mais...

IV. ACCOMPAGNER LA DIVERSITÉ DES PARCOURS : INVESTIR DANS LA FORMATION CONTINUE POUR TOUS ET DANS LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES

D'une part, ASSURER L'ACCÈS À LA FORMATION DES PUBLICS LES PLUS ÉLOIGNÉS DE L'EMPLOI est un impératif social et économique pour atteindre le plein emploi, et peut permettre d'alléger les tensions de recrutement qui pèsent sur certains métiers.

La formation des publics les plus éloignés de l'emploi est un levier important à double titre :

Formation des demandeurs d'emploi

Insertion professionnelle pour
les publics éloignés de l'emploi

Orientation vers les métiers en tension ou les métiers d'avenir

Le Gouvernement a annoncé le lancement d'un second Plan d'investissement dans les compétences et l'intégration des missions du Haut-commissaire aux compétences au nouveau « France Travail ». Dans le cadre de ces réformes, il faut veiller à lever les nombreux freins identifiés à la formation des publics éloignés de l'emploi.

Les freins identifiés

Des personnes très éloignées de l'emploi ne pouvant s'orienter vers la formation

Renforcer l'accompagnement
par le service public de l'emploi

Une offre de formation peu lisible et des dispositifs
mal articulés

Simplifier les dispositifs et éviter les « creux » de prise en charge


L'insuffisance des compétences socles

Former davantage aux compétences de base et aux
savoir-être

De nombreux freins périphériques à l'entrée en formation

Mieux diagnostiquer et prendre en charge ces freins (logement, transport...)

Les solutions à mettre en oeuvre

Il est également indispensable de mieux associer les Régions et les acteurs locaux, comme les missions locales, à la gouvernance de « France Travail », qui semble s'orienter vers une recentralisation de la formation des demandeurs d'emploi autour de l'actuel Pôle Emploi.

D'autre part, la FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE est un impératif et une opportunité, mais elle pourrait mieux rapprocher les aspirations des salariés et les besoins des entreprises.

La loi « Avenir professionnel » de 2018 ambitionnait de créer une « société de compétences », en développant les parcours individuels de formation et en libéralisant l'offre de formation. Si des succès ont été enregistrés, la réforme n'a pas garanti l'efficacité des actions de formation et l'accès à la formation reste en-deçà de la moyenne de l'OCDE.

La complémentarité entre formation individuelle et développement des compétences au sein de l'entreprise pourrait être encore améliorée.

2.

Inciter à une plus grande efficacité des projets
de formation

1.

Renforcer l'accompagnement
des entreprises dans leur
politique de formation

Développer l'abondement du CPF par l'employeur, notamment pour les métiers en tension

Recourir davantage à la clause de dédit-formation

Encourager les plans de développement des compétences (PDC)

Sécuriser leur financement par les fonds mutualisés

Enfin, les politiques publiques doivent AMÉLIORER LA FLUIDITÉ DES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, qui sont aujourd'hui l'angle mort des dernières réformes.

Un allongement des carrières qui fera évoluer les trajectoires professionnelles

Une aspiration croissante à la mobilité professionnelle, avec différents emplois exercés au cours d'une vie

Des mutations économiques qui modifieront les besoins de compétences et mèneront à des reconversions

44 % des actifs français souhaitent entamer une reconversion,
dont 22 % en changeant de secteur
et 25 % en changeant de métier

Mais les dispositifs de conseil et d'orientation en vue des transitions professionnelles sont considérés comme trop superficiels, méconnus et trop complexes à mettre en oeuvre.

Pour améliorer l'accompagnement des transitions, les rapporteurs recommandent notamment :

Ø de prévoir un bilan de compétences pour chaque salarié l'année de ses 45 ans ;

Ø de poursuivre la simplification de la validation des acquis de l'expérience (VAE) ;

Ø de faire évoluer les outils de reconversion par alternance ou en emploi ;

Ø de faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise.

V. LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION

Les rapporteurs formulent trente recommandations en vue de mieux former pour aujourd'hui comme pour demain. Parmi celles-ci, figurent notamment ces 15 recommandations principales :

· Systématiser l'intégration dans le cursus de cinquième et de seconde de temps de découverte des métiers et entreprises, notamment locaux. Créer une plateforme régionale de « Bourse aux stages » ;
· Mieux incarner l'entreprise au sein des collèges et lycées et améliorer la formation des enseignants au monde de l'entreprise (périodes d'immersion, formation dédiées...) ;
· Développer les dispositifs d'intéressement, de participation et de primes de partage de la valeur au sein des entreprises françaises, en traduisant l'ANI de février 2023, en simplifiant les procédures administratives de mise en oeuvre, et en accompagnant les petites entreprises dans leur déploiement ;
· Pour accélérer et faciliter la transformation de l'offre de formation initiale, prévoir un délai maximal de traitement des demandes par France compétences et étendre la liste des métiers et compétences éligibles à la « procédure accélérée » aux métiers en tension ;
· Préserver le financement dédié à l'apprentissage, pour soutenir l'investissement des centres de formation, garantir des niveaux de prise en charge soutenables et ne plus effectuer de prélèvements au profit du plan d'investissement dans les compétences (PIC) ;
· Sur la plateforme d'orientation en ligne dédiée, compléter dès la rentrée 2023 l'information des élèves sur les performances de la filière choisie ;
· Prévoir des rendez-vous d'étape réguliers entre chaque jeune diplômé issu de lycée professionnel et les conseillers du service public de l'emploi, jusqu'à deux ans après la sortie du lycée ;
· Veiller à assurer la pleine association des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion, en particulier les Régions et les Missions locales, aux réformes envisagées dans le cadre de la création de « France Travail » et du second Plan d'investissement dans les compétences (PIC) ;
· Intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension, et renforcer l'offre de formation correspondante ;
· Opérer un effort de simplification des dispositifs de formation faisant intervenir les entreprises, en vue de les déployer plus largement et plus rapidement ;
· Encourager le déploiement des plans de développement des compétences (PDC) au sein des entreprises et maintenir le niveau de financement des PDC par les fonds mutualisés ;
· Évaluer l'opportunité d'introduire des incitations fiscales pour les dépenses complémentaires de formation engagées par les entreprises, comme l'abondement du compte personnel de formation ;
· Instaurer un abondement du compte personnel de formation par l'État lorsqu'il est mobilisé pour financer des formations orientées vers les métiers d'avenir et en tension ;
· Prévoir que chaque salarié puisse suivre, l'année de ses 45 ans, un bilan de compétences ;
· Poursuivre la simplification du cadre juridique et administratif des parcours de VAE pour faciliter les transitions professionnelles et l'obtention de qualifications en cours de carrière.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 :

Systématiser et généraliser l'intégration, dans le cursus des élèves de cinquième et de seconde générale, de temps de découverte des métiers, incluant par exemple un « Objectif 15 métiers du territoire ».

Instituer, dans chaque région, une plateforme dénommée « Bourse aux stages » qui mette en lien les entreprises désireuses d'accueillir des jeunes pour des stages de découverte.

Recommandation n° 2 :

Mieux incarner les métiers et les entreprise au sein des collèges et lycées en :

 améliorant, au sein des établissements, la visibilité des interlocuteurs chargés du lien avec les entreprises, et en intensifiant les contacts avec les acteurs économiques locaux ;

 améliorant la formation et la sensibilisation des enseignants des collèges et lycées à l'orientation et au monde de l'entreprise, via des périodes d'immersion et de formation dédiées tout au long de la carrière.

Recommandation n° 3 :

Soutenir et inciter les entreprises, en particulier les TPE-PME, à mettre en valeur leurs engagements sociétaux et environnementaux auprès des candidats prospectifs et du public.

Renforcer l'accompagnement des TPE-PME par le service public de l'emploi, les branches professionnelles et les réseaux consulaires dans leurs processus de recrutement et dans le développement d'une « marque employeur ».

Recommandation n° 4 :

Systématiser l'élaboration d'un volet « Attractivité des métiers » au sein des EDEC, en particulier concernant les secteurs et métiers en tension.

Recommandation n° 5 :

Accompagner et soutenir, au plus haut niveau de l'État et notamment par l'ANACT, les travaux des branches et fédérations professionnelle en faveur de la qualité de vie au travail ; de l'intégration de nouveaux modes de management et d'organisation du travail ; et de la réduction de la pénibilité au travail.

Recommandation n° 6 :

Afin d'encourager à un développement plus large des dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises françaises :

 assurer une traduction fidèle de l'accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux en février 2023 ;

 améliorer l'accompagnement des petites entreprises par les branches professionnelles, les experts-comptables, les réseaux consulaires et les interlocuteurs institutionnels dans le déploiement de dispositifs d'intéressement ou de participation ;

 simplifier les dispositifs d'intéressement et de participation et les procédures administratives présidant à leur mise en oeuvre.

Recommandation n° 7 :

Réintégrer l'enseignement des mathématiques au sein du tronc commun en classe de première de filière générale.

Recommandation n° 8 :

Améliorer la participation des jeunes femmes aux formations marquées par un faible taux de féminisation en :

 intensifiant les efforts en faveur de la mixité des établissements de formation initiale ;

 améliorant la formation des enseignants et des formateurs à l'orientation des jeunes femmes et à la réduction des discriminations éducatives ;

 accentuant la sensibilisation des jeunes femmes aux opportunités offertes par les parcours scientifiques et techniques, dès l'école.

Recommandation n° 9 :

Pour accélérer et faciliter l'adaptation de l'offre de formation initiale :

 prévoir un délai maximal de quatre mois pour le traitement des demandes d'enregistrement par France compétences, et lui assurer les moyens nécessaires à la bonne exécution de cette mission ;

 étendre aux métiers en tension la liste des métiers et compétences éligibles à la procédure accélérée d'examen.

Recommandation n° 10 :

Dans le cadre de la refonte annoncée de la carte des formations et de l'octroi des aides publiques à la restructuration de l'offre de formation, veiller à garantir un maillage territorial et sectoriel adéquat, correspondant aux besoins des bassins d'emplois et des entreprises.

Recommandation n° 11 :

Poursuivre les efforts en faveur du développement de l'apprentissage dans le cadre des formations de niveau baccalauréat ou inférieur, notamment en facilitant les passerelles entre apprentissage et enseignement professionnel.

Recommandation n° 12 :

Préserver et stabiliser le financement de l'apprentissage en :

 pérennisant l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis pour soutenir la dynamique de croissance de l'apprentissage ;

 provisionnant, dans les projets de loi de finances annuels, une dotation budgétaire au bénéfice de France compétences, pour anticiper plus sincèrement les besoins de financement liés à la dynamique de l'apprentissage ;

 faisant évoluer la méthode de fixation des NPEC pour mieux prendre en compte les particularités des branches professionnelles, les besoins d'investissement des centres de formation, et garantir des niveaux de prise en charge soutenables.

Recommandation n° 13 :

Pour améliorer l'orientation des élèves, compléter dès la rentrée 2023 l'information disponible sur le service en ligne « Affectation après la 3e » et relative aux débouchés des filières de formation professionnelle, en :

 précisant pour chaque établissement les taux d'insertion professionnelle de chaque diplôme ou titre ;

 les complétant par des informations relatives au taux de poursuite d'études, aux rémunérations et au degré de tension du métier correspondant au niveau national et dans le bassin d'emploi.

Recommandation n° 14 :

Adapter davantage les parcours au sein du lycée professionnel pour :

 prévenir le décrochage avec des modules additionnels de renforcement du socle de compétences pour les élèves en difficulté ;

 faciliter la poursuite de la formation initiale pour les élèves qui le souhaitent, avec des modules additionnels de préparation des transitions (notamment entre Bac Pro et BTS) ;

 sensibiliser les élèves au recours à la « coloration » ou aux « formations complémentaires d'initiative locale » (FCIL) pour compléter les formations communes avec des angles sectoriels et des compétences spécifiques ;

 développer l'apprentissage au sein des lycées professionnels et augmenter, pour les élèves qui le souhaitent, la durée des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP).

Recommandation n° 15 :

Intégrer, parmi les indicateurs de suivi du fonctionnement des lycées professionnels, des éléments relatifs à la relation aux entreprises du tissu économique local et aux filières professionnelles.

Recommandation n° 16 :

Prévoir des rendez-vous d'étape réguliers entre chaque jeune diplômé issu de lycée professionnel et les conseillers du service public de l'emploi durant les deux ans suivant l'obtention du diplôme, afin de faciliter l'insertion professionnelle ou la réorientation.

Recommandation n° 17 :

Dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième plan d'investissement dans les compétences (PIC 2), préserver le financement dédié à la formation professionnelle en :

 plafonnant le prélèvement sur fonds mutualisés de France compétences opéré au profit du PIC, à un montant fixé après discussions entre les partenaires sociaux et l'État ;

 engageant dès 2024 une réduction du montant de la contribution de France compétences à la formation des demandeurs d'emploi.

Recommandation n° 18 :

Veiller à assurer la pleine association des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion, en particulier les Régions et les Missions locales, aux réformes envisagées dans le cadre de la création de « France Travail » et du second Plan d'investissement dans les compétences (PIC).

Recommandation n° 19 :

Dans le cadre du déploiement du « Plan d'investissement dans les compétences 2 », veiller à :

 améliorer le dialogue et la coopération entre l'ensemble des acteurs participant à la prise en charge des personnes éloignées de l'emploi, en assurant la continuité de l'action des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion ;

 soutenir sur le long-terme les démarches « d'aller vers », et mieux lier formation et accompagnement ;

 renforcer au niveau national comme régional l'offre de formation orientée vers les publics les plus éloignés de l'emploi.

Recommandation n° 20 :

Intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emplois une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension

Renforcer l'offre de formation à ces métiers.

Recommandation n° 21 :

Favoriser la simplification continue des dispositifs de formation, en particulier ceux faisant intervenir les entreprises, en vue de les déployer plus largement et plus rapidement.

Recommandation n° 22 :

Dans la conception et l'accompagnement des formations, veiller à l'identification et à la prise en charge des freins périphériques pour assurer l'accès le plus large à la formation.

Recommandation n° 23 :

Encourager le déploiement des plans de développement des compétences au sein des entreprises, notamment les plus petites.

Recommandation n° 24 :

Maintenir le niveau de financement des plans de développement des compétences par les fonds mutualisés, et assurer aux OPCO la visibilité nécessaire sur le montant annuel de leur dotation.

Recommandation n° 25 :

Par la sensibilisation, la simplification et l'incitation, développer le recours à l'abondement individuel ou collectif du CPF par les employeurs.

Évaluer notamment l'opportunité d'introduire des incitations fiscales pour les dépenses complémentaires engagées par les entreprises au titre de la formation, telles que l'abondement du CPF.

Recommandation n° 26 :

Instaurer un abondement du CPF par l'État lorsque celui-ci est mobilisé pour financer des formations orientées vers les métiers d'avenir et les métiers en tension.

Recommandation n° 27 :

Sensibiliser et accompagner les entreprises au recours à la clause de dédit-formation, afin d'inciter l'employeur à engager des dépenses complémentaires de formation.

Recommandation n° 28 :

Prévoir que chaque salarié puisse suivre, l'année de ses 45 ans, un bilan de compétences pris en charge à parts égales par le CPF, l'État et l'employeur par le biais d'abondements du CPF.

Recommandation n° 29 :

Poursuivre la simplification du cadre juridique et administratif des parcours de VAE, en renforçant l'accompagnement des demandeurs et en y dédiant les moyens nécessaires.

Recommandation n° 30 :

Faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise en :

 mettant en place des incitations pour les « salariés formateurs » ou les salariés acceptant des missions de mentorat au sein de l'entreprise ;

 « formant les formateurs », pour permettre aux salariés qui le souhaitent de prendre une plus grande part à la transmission des compétences au sein de l'entreprise.

INTRODUCTION

DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT TOUJOURS CROISSANTES : UN MAL FRANÇAIS ?

EN 2022 ET 2023, LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT DES ENTREPRISES ATTEIGNENT DE NOUVEAUX SOMMETS ET SE GÉNÉRALISENT

En augmentation continue depuis 2015, les tensions de recrutement ont atteint en 2022 et 2023 de nouveaux sommets.

Deux indicateurs offrent un éclairage précieux sur cette crise du recrutement dont témoignent unanimement les chefs d'entreprise : d'une part, les difficultés de recrutement déclarées par les entreprises, qui révèlent la perception des dirigeants ayant mené des processus d'embauche ; d'autre part, la vacance des emplois, qui traduit l'impossibilité effective de faire se rencontrer l'offre et la demande pour les emplois disponibles. Les difficultés de recrutement font l'objet de plusieurs enquêtes, notamment l'enquête annuelle « Besoins de Main d'oeuvre » (BMO) de Pôle emploi ou les enquêtes périodiques de conjoncture de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La vacance des emplois est notamment mesurée par l'enquête trimestrielle « Acemo » conduite par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion.

À la fin de l'année 2022, selon la DARES, le taux de vacance des emplois s'établissait autour de 2,5 % en France, ayant été multiplié par cinq environ par rapport au taux de croisière connu entre le début des années 2000 et l'année 2015 (autour de 0,5 %).

Interrogées par l'INSEE en juillet 2022, près de 67 % des entreprises de l'industrie manufacturière, 60 % des entreprises de service et 82 % des entreprises du bâtiment déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement. Ces taux sont inédits, la part des entreprises déclarant des difficultés entre 2001 et 2015 s'établissant entre 20 et 40 % en moyenne.1(*) Entre trois et quatre entreprises françaises sur cinq sont donc aujourd'hui confrontées à ces tensions particulièrement élevées. Selon le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), les difficultés sont encore plus marquées chez les ETI, 97 % d'entre elles se disant concernées par ces problèmes2(*). Dans le secteur de l'artisanat, des professions libérales et du commerce de proximité, l'Union des entreprises de proximité (U2P) a indiqué aux rapporteurs que 71 % des entreprises de proximité ne reçoivent actuellement aucune candidature pour les offres d'emploi publiées3(*).

L'apparition de difficultés de recrutement n'est certes pas nouvelle. En France, les tensions sur la main d'oeuvre sont en augmentation marquée et continue depuis l'année 2015 environ. La délégation aux Entreprises du Sénat s'était déjà fait l'écho, dans le rapport de Michel Canévet et de Guy-Dominique Kennel présenté en juin 2020 et intitulé « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises », de cette dynamique inquiétante.4(*)

ÉVOLUTION DU TAUX DE VACANCE DES EMPLOIS ENTRE 2003 ET 2022


Source 
: DARES, enquête Acemo trimestrielle

La situation s'est cependant encore dégradée au cours des trois dernières années, atteignant dans certains secteurs des proportions inédites depuis le début des séries statistiques de l'INSEE. Selon une étude de la DARES, 119 métiers sur 186 étudiés étaient en tension en 2019, contre seulement 50 en 2015 (soit une hausse de 138 % en quatre ans).5(*) C'est donc une crise aiguë de main d'oeuvre et de compétences qui touche l'économie française.

Pas même la crise sanitaire, ni la crise économique liées à l'épidémie de Covid-19, n'auront enrayé durablement cette dynamique. Bien que la part des entreprises en difficulté se soit réduite temporairement dans l'industrie et les services - s'étant toutefois maintenue autour de 70 % dans le bâtiment - elle a retrouvé dès 2022 ses niveaux d'avant-crise.

Malgré des différences sectorielles ou géographiques, la crise du recrutement est aujourd'hui généralisée. Elle touche aussi bien les petites et moyennes entreprises (PME) que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ; des postes qualifiés comme des postes à bas niveau de qualification ; et la quasi-totalité des secteurs de l'économie. Elle concerne tant des entreprises qui cherchent activement à recruter de nouveaux salariés pour croître, que les entreprises souhaitant simplement faire face au renouvellement générationnel ou au renouvellement de leur personnel. Enfin, bien qu'à des degrés variés, tous les bassins d'emploi sont aujourd'hui affectés.

ÉVOLUTION DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT DES ENTREPRISES 2000 ET 2023
(EN % DES ENTREPRISES DÉCLARANT DES DIFFICULTÉS, PAR SECTEUR D'ACTIVITÉ)

Source : DARES, « La France vit-elle une Grande démission ? », octobre 2022

DES MÉTIERS ESSENTIELS DÉSORMAIS EN TENSION, UN VÉRITABLE DÉFI DE SOCIÉTÉ

Si l'ensemble des entreprises françaises est touché par cette situation de tension, le taux de difficulté est particulièrement élevé pour certaines familles de métiers, qui incluent des métiers essentiels à la vie de la Nation.

L'enquête BMO, conduite annuellement par Pôle emploi, identifie les dix métiers les plus tendus. En 2022, il s'agit principalement de métiers d'aide aux personnes (aides à domicile et ménagères, infirmiers, puériculture) et de métiers manuels ou techniques de l'industrie ou du bâtiment (couvreurs, mécaniciens, menuisiers, chaudronniers...).

ÉVOLUTION DE L'INDICATEUR DE TENSION DES MÉTIERS ENTRE 2011 ET 2021

Source : Pôle emploi, DARES, « Les tensions sur le marché du travail en 2021 », septembre 2022

Une lecture comparée des dernières études BMO démontre que ces métiers souffrent de tensions durables, puisqu'ils figuraient en grande partie déjà dans le classement des métiers tendus des cinq dernières années, si ce n'est davantage. Un récent rapport de France Stratégie confirme ce constat, indiquant que « les difficultés de recrutement concernent plus particulièrement les métiers qualifiés de l'industrie et de la construction (ouvriers qualifiés, techniciens et ingénieurs), les métiers de l'informatique, de la santé et de l'aide à la personne »6(*).

MÉTIERS CONNAISSANT LE PLUS DE DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT
ENTRE 2018 ET 2022 EN FRANCE (PAR RANG)

Source : Délégation aux Entreprises, d'après les enquêtes BMO 2019, 2020, 2021, 2022, 2023 Pôle emploi

Au cours des dernières années, la situation s'est particulièrement détériorée pour les métiers d'infirmiers, cadres infirmiers et puéricultrices (+53 % de difficultés déclarées entre 2017 et 2022), d'éducateurs spécialisés (+41 %) et de conducteurs de transport en commun (+39 %)7(*).

Force est de constater que ne figurent pas uniquement, parmi ces listes, des métiers nouveaux, pour lesquels les difficultés pourraient s'expliquer par le manque de formation à de nouvelles technologies ou de nouvelles missions. Au contraire, ce sont des aussi des métiers bien identifiés, depuis longtemps essentiels pour la société, qui sont touchés : construction de logements, fonctionnement du système de santé, encadrement et garde des enfants, enseignement, services publics... La désaffection pour ces filières semble, dans certains cas, témoigner d'une crise d'attractivité de certains métiers, d'autant plus évidente que la situation du marché du travail est actuellement relativement favorable.

Dans le commerce de proximité, les tensions sont aigües pour les secteurs de la boucherie, de la boulangerie, mais aussi pour les coiffeurs et les esthéticiens, selon le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat.8(*) L'agriculture connaît aussi d'importantes difficultés à attirer des jeunes repreneurs pour les exploitations agricoles.

De fortes inquiétudes pour la transmission des entreprises :
les exemples de l'artisanat et de l'agriculture

La diminution du nombre de transmissions d'entreprise se poursuit, avec - 19 % entre 2010 et 2019 puis -16 % entre 2020 et 2021. Or, 25 % des dirigeants d'entreprise français ont plus de 60 ans, et 11 % ont plus de 66 ans. Selon les estimations, entre 250 000 et 700 000 entreprises seraient à céder au cours des dix prochaines années.

Dans le secteur artisanal, 333 000 entreprises sont à reprendre dans les cinq années à venir, mais le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat signale de vraies « difficultés à recruter de nouveaux porteurs de projets susceptibles de reprendre une entreprise ». Sans repreneurs intéressés par l'activité, certains savoir-faire pourraient disparaître, notamment dans les métiers d'art et le travail des métaux.

Dans le secteur agricole, plus d'un quart des exploitants en 2020 avaient plus de 60 ans, tandis que 58 % des actifs ont plus de 50 ans. Le renouvellement des générations est donc un enjeu majeur, car dans certaines régions, les deux tiers des agriculteurs actifs devront être remplacés dans les vingt ans à venir pour assurer la reprise des exploitations. Or, le manque de candidats à la reprise, en particulier parmi les jeunes en quête d'installation, conduit déjà dans certaines régions agricoles à une forme de déprise.

Sources : réponse des chambres des métiers et de l'artisanat au questionnaire de la délégation, rapport « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires » de la délégation sénatoriale aux Entreprises, rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » de
la commission des affaires économiques du Sénat

La transmission des entreprises est en effet un enjeu majeur de l'économie française, comme la délégation aux Entreprises l'a souvent souligné, notamment dans le rapport intitulé « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires » présenté en 2022 par Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann9(*).

Ces analyses semblent faire écho au phénomène du « Big Quit » (« Grande démission »), largement relayé par les médias et observateurs durant la crise sanitaire. Nombre de pays occidentaux ont connu une hausse sensible des démissions au cours des années 2020 et 2021, tant dans des métiers de service à faible niveau de qualification, que parmi les jeunes cadres. Certains y ont vu les conséquences de la crise sanitaire et des confinements, ayant marqué une rupture soudaine avec le monde du travail et suscité des envies de « changement de vie » ; tandis que d'autres y lisent une dynamique plus profonde d'évolution du rapport au travail, particulièrement chez les plus jeunes. L'aspiration à une plus grande mobilité professionnelle, la quête de sens, mais aussi d'un rééquilibrage entre vie professionnelle et vie privée, des plus jeunes entrants sur le marché du travail, est aujourd'hui indéniable, comme en ont témoigné les auditions menées par la mission.

Ces aspirations nouvelles peuvent expliquer une partie des difficultés rencontrées par les entreprises, mais n'en sont certainement pas l'explication unique. Au cours des nombreuses auditions des rapporteurs, a été réaffirmé le caractère multifactoriel des tensions de recrutement, que l'on ne saurait réduire à une question de salaire, de « sens du travail » ou d'image des métiers.

UNE INQUIÉTANTE SPÉCIFICITÉ FRANÇAISE : DES TENSIONS SUR LA MAIN D'oeUVRE EN HAUSSE, EN DÉPIT D'UN CHÔMAGE PERSISTANT

La France n'est pas un cas isolé : la pénurie de main d'oeuvre frappe la plupart des pays européens, dans un contexte économique plutôt dynamique - en dépit de la crise sanitaire - et de chômage réduit.

Comme l'ont rappelé les économistes et chercheurs entendus par la mission, les tensions sur le recrutement sont en effet en partie conjoncturelles, liées à l'évolution du taux de chômage. En période économique moins favorable, lorsque davantage de personnes recherchent un emploi, il est plus aisé de pourvoir les postes qu'en période de plein emploi, où les opportunités sont plus nombreuses pour les salariés. De fait, les entreprises implantées en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou en Espagne connaissent également de telles tensions de recrutement.

Néanmoins, de récentes études alertent qu'à taux de chômage comparable, la France connaît tendanciellement des difficultés de recrutement supérieures à celles de ses voisins européens, « ce qui y suggère un fonctionnement moins efficace du marché du travail ».10(*) En effet, à partir de 2015, malgré un ralentissement de la baisse du chômage, les tensions sur le recrutement ont continué à augmenter nettement. En 2019, les difficultés s'établissaient à un niveau inédit, en dépit d'un taux de chômage similaire à celui des années 2005 ou 2011. Selon une étude de la DARES publiée en 2021, « de 2015 à 2019, la France se caractérise par [...] une dégradation de la qualité de l'appariement sur le marché du travail. Cette dégradation est spécifique à la France et dans une moindre mesure à l'Espagne et à l'Italie. Elle est nettement plus limitée au Royaume-Uni et en Allemagne. »11(*) Comme l'a signalé l'U2P, la situation français est analogue à celle de l'Allemagne en termes de difficultés de recrutement, alors que le taux de chômage y est de 5 % contre 7,4 % en France12(*).

RELATION ENTRE TAUX DE CHÔMAGE ET TENSIONS DE MAIN D'oeUVRE


Source : Eurostat, Insee13(*)

Ces signaux d'alarme appellent une réaction rapide des pouvoirs publics, afin d'éviter qu'une pénurie durable de main d'oeuvre n'obère le développement des entreprise françaises et le potentiel de croissance de notre économie.

Interrogés par les rapporteurs de la délégation aux Entreprises, les économistes entendus ont estimé que les tensions de recrutement ne sont pas de nature à générer, dans l'immédiat, un risque économique de premier ordre : est estimé à 0,10 ou 0,15 % le déficit de productivité moyenne qu'elles entraînent dans l'industrie manufacturière.14(*)

Toutefois, il faut prendre la mesure, à l'échelle d'une TPE ou PME tout particulièrement, de l'impact très important qu'une seule vacance de poste peut avoir sur l'activité, voire la pérennité, de l'entreprise.

En 2021, 11,4 % des entreprises interrogées par l'Insee estimaient ainsi que l'insuffisance de main d'oeuvre limitait significativement leur capacité d'offre, niveau historiquement élevé. À la fin de l'année 2022, 59 % des TPE-PME citaient les difficultés de recrutement comme un frein significatif à leur activité15(*), les plaçant devant le coût des intrants ou l'accès aux financements ; tandis que 22 % des PME-ETI déclarent que les difficultés de recrutement ont un impact majeur sur leur chiffre d'affaires, comme l'a mis en évidence une étude de Bpifrance.16(*)

Si l'impact macroéconomique des difficultés de recrutement semble donc pour l'instant limité, si elles devaient perdurer, leurs conséquences concrètes pourraient être dramatiques pour les PME et ETI qui constituent la grande majorité du tissu économique français.

Comme l'a rappelé Bruno Bouygues, dirigeant de l'entreprise GYS, entendu par la délégation aux Entreprises lors de son évènement « La Parole aux entrepreneurs », il suffit de quelques années pour que des compétences essentielles pour l'économie se perdent, tandis que reconstituer ces savoir-faire une fois perdus peut prendre vingt à trente ans. Il est essentiel d'inverser la tendance actuelle.

De plus, l'impact social de la vacance - ou de l'absence de création - de plusieurs centaines de milliers d'emplois, alors même que la France compte toujours près de trois millions de chômeurs au début de l'année 2023, ne doit pas être négligé17(*). Ce sont autant d'opportunités perdues d'insertion sociale, d'accroissement des revenus et de développement individuel.

ALLER À LA RACINE DES TENSIONS DE RECRUTEMENT ET MOBILISER LES LEVIERS D'ACTION

Prévalentes depuis 2015, et ayant fait depuis l'objet d'alertes permanentes des entreprises, les tensions de recrutement ne se sont pas pour l'instant résorbées, en dépit des nombreuses annonces et réformes présentées par les pouvoirs publics.

La « politique de l'offre » portée par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dite loi « Avenir professionnel », qui avait notamment pour objet de massifier l'accès à la formation via le CPF, et de libéraliser la création de formations, n'a pas apporté de solution durable aux difficultés rencontrées par les entreprises françaises. Le modèle de financement mis en oeuvre, sous l'égide de la « gare de triage » que représente France compétences, est déjà fortement mis sous pression budgétaire.

À la fin de l'année 2017, dans le cadre du Grand plan d'investissement, avait en parallèle été annoncé un Plan d'investissement dans les compétences (PIC) pour la période 2018-2022, doté d'une enveloppe de 14,6 milliards d'euros. Ciblé sur la formation, en particulier des décrocheurs et des demandeurs d'emploi, il comportait un volet national et un volet régionalisé, par le biais de « pactes régionaux d'investissement dans les compétences ». Toutefois, le bilan du PIC est aujourd'hui mitigé, les entreprises estimant qu'il ne correspond pas aux besoins réels de compétences de l'économie, et l'impact réel auprès des publics les moins qualifiés étant disputé.

Face aux tensions persistantes, et même accrues lors du redémarrage de l'économie mondiale après la pandémie de Covid-19, le Gouvernement a annoncé un Plan de réduction des tensions de recrutement, mobilisant près de 1,4 milliard d'euros, destiné à intensifier les efforts de formation et à mieux accompagner les demandeurs d'emploi de longue et de très longue durée.18(*) En octobre 2022, une « phase 2 » de ce plan a été annoncée, ciblée sur la constitution de « viviers de demandeurs d'emploi immédiatement disponibles » spécifiques à certains secteurs, sur le renforcement de l'accompagnement des entreprises et sur un plus grand contrôle de la recherche d'emploi19(*). Ce plan s'appuie en partie sur le rapport remis par Philippe Dole, inspecteur général des affaires sociales honoraire, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement : Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

En parallèle, le Président de la République annonçait en juillet 2022 la transformation de Pôle emploi en « France Travail », ce nouvel intitulé emportant la réorganisation du service public de l'emploi à l'horizon 2024. Les pistes de réforme ont été présentées dans un rapport d'avril 2023, conduit par Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises - fonction nouvellement créée. Dans son prolongement, un projet de loi20(*) pour le plein emploi a été présenté le 7 juin dernier par le Gouvernement, pour acter législativement la transformation de Pôle emploi et de l'architecture globale des acteurs de l'emploi. Ce texte est en cours d'examen par le Sénat à la date de rédaction du présent rapport.

Enfin, durant le cours des travaux de la délégation aux Entreprises, une réforme des lycées professionnels a été annoncée par le président de la République le 4 mai 2023, visant entre autres à réorganiser de l'offre de formation de la voie professionnelle, à améliorer la correspondance entre offre de formation initiale et besoins exprimés par les entreprises, et à mieux intégrer l'apprentissage dans les cursus des lycées professionnels. Les premières évolutions devraient prendre effet à la rentrée 2024.

En dépit de ces efforts structurels et financiers, dont le bilan reste donc ambivalent, les difficultés de recrutement et les tensions sur les compétences déclarées par les entreprises n'ont eu de cesse de s'intensifier depuis 2017. La Commission européenne s'est même saisie du sujet, sa présidente Ursula Van der Leyen ayant déclaré l'année 2023 « Année européenne des compétences »21(*).

C'est pourquoi la délégation aux Entreprises a résolu d'initier un nouveau cycle de travail sur le sujet des difficultés de recrutement, de l'accès des entreprises aux compétences et de l'attractivité des métiers. En 2020, Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel avaient déjà formulé des propositions dans leur rapport « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises », la plupart restant encore d'une actualité pressante. En février dernier, la délégation a missionné les rapporteurs Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet pour mener un nouveau travail d'analyse, afin de remonter à la racine de ces tensions et d'identifier les différents leviers d'action pour y remédier.

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs, proposent un état des lieux actualisé et trente recommandations concrètes pour apporter des solutions aux difficultés de recrutement qui limitent depuis trop longtemps le développement des entreprises françaises. Former pour aujourd'hui et pour demain est un impératif de croissance et de société.

PREMIÈRE PARTIE

L'IMPÉRATIF DE L'ATTRACTIVITÉ :
RÉ-ENCHANTER LE TRAVAIL,
ADAPTER LES EMPLOIS

I. SI LA « GRANDE DÉMISSION » RELÈVE DU MYTHE, LE RAPPORT DES FRANÇAIS AU TRAVAIL ET À L'ENTREPRISE CONNAÎT D'IMPORTANTES ÉVOLUTIONS

Au cours des années 2021 et 2022, nombre de médias et de personnalités publiques sont se sont fait l'écho d'une « Grande démission ». C'est sous ce terme qu'a été désigné le nombre important de démissions et de ruptures conventionnelles à l'initiative des salariés constatées aux États-Unis (concernant plus de 38 millions de salariés en 2021) mais aussi en Europe.

En France, 520 000 démissions étaient observées chaque trimestre, dont 470 000 démissions de contrat à durée indéterminée (CDI), à la fin de l'année 2021 et au début de l'année 202222(*).

TAUX DE DÉMISSION EN FRANCE ENTRE 1993 ET 2022

Source : DARES, « La France vit-elle une Grande démission ? », octobre 2022

Cette observation a donné naissance à nombreuses analyses prédisant la fin du travail ou une révolution des relations de travail entre employeurs et employés.

A. UNE TENDANCE CONJONCTURELLE QUI NE MARQUE PAS UN REJET DU TRAVAIL...

Il faut toutefois relativiser la portée et la signification de cette « Grande démission ». Un taux de démissions ou de ruptures plus élevé n'est pas inhabituel dans une situation économique de faible chômage et de reprise économique.

Ce phénomène a en effet une dimension conjoncturelle, liée à l'amélioration des opportunités d'emploi. Ayant atteint 2,7 % en France au premier trimestre de l'année 2022, le taux de démissions est certes plus élevé qu'au coeur de la pandémie de Covid-19 (1,4 %) ou qu'antérieurement à celle-ci (2,3 %), mais il est comparable au niveau atteint avant la crise financière de 2008 (2,9 %) ou au niveau enregistré au début des années 200023(*).

TAUX D'EMPLOI ET TAUX D'ACTIVITÉ EN FRANCE

Source : DARES, données communiquées à la délégation aux Entreprises

La DARES relève ainsi, dans une récente étude, que la hausse des taux de démission n'est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail, l'emploi salarié total ainsi que le taux d'emploi de la population étant stables, voire en légère augmentation24(*). Toujours selon la DARES, 8 démissionnaires sur 10 sont à nouveau en emploi six mois après leur démission.25(*) La « Grande démission » traduit donc plutôt une mobilité professionnelle accrue des Français que leur rejet du travail salarié : ils n'hésitent pas à quitter leur emploi pour bénéficier des nombreuses opportunités alternatives, dans un contexte de tension sur les recrutements et de reprise économique.

La hausse des démissions constatée n'est pas non plus sans lien avec les nombreux bouleversements engendrés par l'épidémie mondiale de Covid-19, ayant conduit beaucoup de salariés à questionner leurs aspirations et leurs conditions de travail, et, dans certains cas, à quitter leur emploi. Les possibilités élargies de recours au télétravail et la perspective d'un rééquilibrage entre vie personnelle et professionnelle, après les périodes de confinement, ont pu pousser certains à s'orienter vers de nouveaux métiers offrant davantage de flexibilité en matière d'organisation du travail, ou davantage de sens.

B. ...MAIS QUI TRADUIT DES ASPIRATIONS DE FOND POUR DAVANTAGE DE MOBILITÉ, DE FLEXIBILITÉ ET DE SENS AU TRAVAIL

Si la « Grande démission » semble donc relever du mythe, entreprises comme chercheurs entendus par la délégation aux Entreprises confirment leur perception d'une évolution de fond de la relation des Français au travail. En période de chômage réduit, les préoccupations relatives à l'emploi semblent avoir recédé au profit d'interrogations sur le travail même, son organisation, sa forme et son sens. Comme l'a souligné M. Dupas-Amory, chercheur associé au Centre d'études et de recherches sociologiques (CERS) et chargé d'enseignement à l'ESCP Business School, entendu par la Délégation, « le sujet n'est pas une explosion inédite et subie des démissions. C'est l'augmentation chronique du taux de démissions : c'est elle qui pose l'énigme du consentement au travail »26(*).

Il est indéniable qu'il existe en effet une aspiration à une plus grande mobilité au cours des carrières. La plupart des jeunes personnes interrogées n'envisagent plus désormais d'occuper le même poste ou d'exercer au sein de la même durant toute une vie et considèrent les transitions professionnelles, voire les alternances entre période d'emploi et période de chômage, comme des étapes usuelles d'une vie professionnelle.

L'envie d'évolution professionnelle est forte, 57 % des salariés envisageant une évolution dans les deux ans à venir27(*). Une majorité d'entre eux (56 %) souhaitent toutefois évoluer au sein du même secteur d'activité, dénotant de l'absence de rejet du métier, mais plutôt d'une forme de « concurrence » entre postes ou entreprises équivalents pour attirer les talents.

LES MOTIVATIONS DE L'ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE
(réponses à la question : « Quel type d'évolution professionnelle souhaitez-vous ?)

Source : Baromètre territorial IFOP, Réseau EVA, août 2021

Les personnes entendues par la délégation témoignent aussi d'une plus grande quête de sens dans l'activité professionnelle, en particulier pour les jeunes entrants sur le marché du travail. La désaffection pour certains métiers perçus comme « ingrats » ou comme des « bullshit jobs »28(*) contraste avec l'intérêt pour les sujets liés à l'impact sociétal et environnemental des entreprises.

Les travaux de Coralie Pérez, économiste, ingénieur de recherche au Centre d'économie de la Sorbonne, entendue par la délégation, qui a étudié le lien entre le « sens » perçu du travail par le salarié et différents paramètres comme la souffrance psychique au travail, la probabilité de démission ou encore la motivation au travail, témoignent de ce phénomène. En 2016, 27 % des salariés estimaient ainsi n'avoir que rarement ou jamais l'impression de faire quelque chose d'utile aux autres29(*). La « perte de sens » serait liée à un risque de démission supérieur de 30 %, et pèserait autant dans la volonté de quitter son emploi que la pénibilité ou l'intensité du travail.30(*) Les débats sur les métiers « essentiels » durant la pandémie de Covid-19 ont certainement exacerbé ces réflexions individuelles et collectives sur l'utilité et le sens du travail.

Ces évolutions ne constituent toutefois, pour l'instant, pas une révolution. Entre 75 et 80 % des actifs occupés en France se déclarent satisfaits ou plutôt satisfaits de leur travail, ce pourcentage étant très stable dans le temps31(*). Il n'y a donc pas de remise en cause massive du travail par les salariés et indépendants français.

Nuançant l'impact de la « quête de sens », une récente étude de l'Institut Montaigne32(*) conclut à un poids toujours prépondérant des facteurs traditionnels de satisfaction au travail, c'est-à-dire ceux ayant trait à l'organisation du travail ou à ses conditions matérielles d'exercice (rémunération, pénibilité, modes de management), dans les choix d'emploi des Français. Selon M. Dupas-Amory, entendu par la délégation33(*), de fait, les secteurs dans lesquels les taux de démission sont les plus importants incluent l'enseignement, l'action sociale, et surtout l'hébergement et la restauration, « secteurs où les conditions de travail sont exigeantes, les niveaux de rémunération relativement faibles et la relation d'emploi est peu qualitative »34(*). Ces analyses appellent donc à ne pas sous-estimer le rôle des facteurs organisationnels et matériels dans la capacité d'une entreprise à attirer et à fidéliser ses salariés, même lorsque celle-ci offre un emploi « ayant du sens » et des perspectives d'évolution professionnelle intéressantes.

II. UNE CRISE D'ATTRACTIVITÉ AIGüE DE CERTAINS MÉTIERS ET SECTEURS D'ACTIVITÉ, DONT LES CAUSES SONT MULTIPLES

Ces analyses macroéconomiques ne permettent pas, néanmoins, d'observer plus finement les difficultés aiguës rencontrées par certains métiers ou secteurs. Dans plusieurs pans de l'économie française, les entreprises ne peuvent que constater le déficit d'attractivité de leurs offres d'emplois, pesant parfois très lourd sur leur capacité à exercer leur activité. Y compris lorsqu'elles prévoient des conditions matérielles avantageuses, ou des modalités de formation préalable pour les personnes non qualifiées pour le poste, de nombreux dirigeants d'entreprise indiquent ne pas recevoir une seule candidature aux offres de postes diffusées activement. Interrogé sur la pertinence de l'offre de formation, France compétences a indiqué à la délégation que « l'immense majorité des métiers en tension sont des métiers pour lesquels les certifications existent déjà, tout comme l'offre de formation. La question peut être celle du nombre de places dans ces formations, ou l'attractivité de ces filières de formation pour les jeunes »35(*).

Une étude récente menée par la DARES confirme que, pour une trentaine de métiers, c'est bien un problème d'attractivité qui est responsable des pénuries de main d'oeuvre, plutôt que des sujets de formation ou de mobilité géographique. L'étude cite notamment les métiers d'aide à domicile, de conducteur routier, d'ouvrier non qualifié de l'industrie (agroalimentaire, bois, métal) ou du bâtiment, ainsi que de les métiers de l'hôtellerie-restauration. Il est inquiétant de noter qu'aucun d'entre eux n'était en tension en 2015, ce qui semble témoigner d'une dégradation générale de l'attractivité de ces secteurs36(*).

Les difficultés rencontrées par les entreprises du transport routier

917 220 offres d'emploi ont été déposées par les filières du transport routier et de la logistique en 2021. Parmi celles-ci 41 100 offres de conducteurs routiers étaient considérées par Pôle emploi comme « en forte difficulté de recrutement », représentant le 16e métier le plus recherché en France.

Selon les représentants de la filière, entendus par les rapporteurs de la délégation aux Entreprises, deux facteurs viennent aggraver la situation déjà tendue :

 le poids des obligations administratives et réglementaires applicables à la formation initiale des conducteurs, qui rend extrêmement longue et complexe la formation des candidats prospectifs. Pourtant, les entreprises expriment leur difficulté à trouver des candidats préalablement qualifiés. Les entreprises estiment que « ces spécificités impliquent un long processus d'insertion professionnelle et génère une pression sur les candidats et les entreprises », l'attente des validations administratives (par exemple la délivrance des titres professionnels et des permis de conduire) pouvant retarder de plusieurs mois la prise de poste ou la remettre en cause en cours de processus ;

 la pénurie de formateurs et d'examinateurs, par exemple dans le cadre de la préparation des permis professionnels, qui font l'objet d'un processus spécifique. Il est d'autant plus compliqué de pouvoir garantir aux candidats aux offres d'emploi la possibilité de se former rapidement.

Ces difficultés de recrutement emportent de lourdes conséquences pour le secteur du transport routier, pourtant essentiel à la vie économique du pays. Elles génèrent pour les entreprises une incertitude forte, face à l'enjeu de renouvellement générationnel. En 2021, 44 % des salariés du secteur du transport de voyageurs sont âgés de 55 ans ou plus, contre seulement 12 % âges de moins de 35 ans.

Source : Réponses de la Fédération nationale des Transports Routiers (FNTR)

Les représentants des filières en tension, auditionnés par les rapporteurs, ont effectivement tous cité le manque d'attractivité comme l'une des raisons principales des difficultés de recrutement. La Fédération nationale du transport routier (FNTR), par exemple, a regretté le déficit d'image de la profession de conducteur routier, associée par les personnes candidats à des conditions de travail pénibles, des horaires décalés, à un impact environnemental négatif et à un manque de reconnaissance sociale du métier37(*).

Les métiers de l'aide à domicile, de la santé et de l'enseignement sont également frappés par la dégradation de leur attractivité, qui peut s'expliquer par une inadéquation des tâches avec les moyens et le temps qui y sont consacrées, par un encadrement hiérarchique dégradé ou par une rémunération insuffisante. La difficulté à pourvoir les emplois d'infirmiers, de puéricultrice ou d'éducateurs spécialisés s'est ainsi accrue de l'ordre de 40 à 50 % entre 2017 et 2022. Dès le stade formation initiale, les abandons sont en augmentation, une étude de la DREES notant que les étudiantes en formation d'infirmière sont trois fois plus nombreuses à abandonner en première année en 2021 qu'en 201138(*). Ce constat a d'ailleurs justifié la commande, par le Gouvernement, d'un rapport de l'IGAS et de l'IGEST, remis en juillet 2022, sur la qualité de vie des étudiants en santé39(*).

La crise d'attractivité subie par ces secteurs est d'autant plus inquiétante qu'elle touche des secteurs au poids économique important, tels le secteur du bâtiment ou celui de l'hôtellerie-restauration, et des activités essentielles à la vie de la Nation : soin des personnes âgées et des enfants, système de santé, industrie agroalimentaire, transports publics... Les conséquences de cette désaffection sont de plus en plus visibles dans la vie de tous les jours (comme a pu l'être la pénurie de chauffeurs pour le ramassage scolaire ou la difficulté à recruter des soignants lors de la pandémie), sans que cette visibilité n'ait pour l'instant conduit à un sursaut d'attractivité pourtant essentiel.

Sans renouer avec l'attractivité, les efforts en matière de formation des demandeurs d'emploi ou d'accompagnement des entreprises ne pourront rester que vains, or, la dégradation de l'image d'un métier est bien plus rapide que sa réhabilitation. Comme l'a exprimé le chef d'entreprise Bruno Bouygues, entendu par la délégation aux Entreprises : « Nous mettons vingt ans à développer une entreprise, à développer des compétences. L'inertie est forte »40(*).

III. RECONQUÉRIR L'ATTRACTIVITÉ DES MÉTIERS EN TENSION

Il est donc essentiel de mener un effort volontariste de reconquête de l'attractivité des métiers en tension, dans lequel chacun - entreprises, État, système d'enseignement, partenaires sociaux - ont leur rôle à jouer.

L'attractivité étant une caractéristique multifactorielle, il faut mobiliser l'ensemble des leviers pour inverser la tendance, tant au niveau des branches, des entreprises, que de chaque emploi.

A. INFORMER, COMMUNIQUER, PROMOUVOIR

1. Dès l'école, faire de la connaissance des métiers et du monde de l'entreprise un objectif à part entière de l'enseignement

La connaissance des métiers joue un rôle essentiel dans leur attractivité : parmi les métiers en tension depuis de nombreuses années figurent certains métiers méconnus des jeunes (comme le métier de chaudronnier) ou dont l'image ne correspond pas à la réalité actuelle (comme de nombreux métiers de l'industrie).

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs une trop grande étanchéité et une méconnaissance mutuelle entre école et entreprise, en dépit d'efforts récents pour faire dialoguer ces deux mondes. Une école de formation en pointe du secteur du numérique a ainsi relaté à la délégation s'être vue interdit l'accès aux salles de classes des lycées de la région pour présenter son cursus, en dépit d'un fort intérêt des élèves pour ce secteur d'avenir et en forte demande de compétences.

Ce « tabou » est dommageable, en ce qu'il limite le champ des possibles pour les élèves, peut entraîner des erreurs d'orientation, et participe d'une forme de concentration des parcours vers un certain nombre de métiers « connus » au détriment de ceux moins clairement identifiés. M. Tristan Dupas-Amory a ainsi signalé que les jeunes suivaient fréquemment des parcours d'études en « entonnoir de carrière », répondant souvent à des modèles préconçus et installés, laissant peu de place à l'orientation vers des métiers moins répandus41(*).

a) La découverte des métiers doit être intégrée au cursus scolaire, et les immersions en entreprises encouragées pour une meilleure orientation

Dans de nombreux pays au contraire, comme aux États-Unis, des ponts entre école et entreprise sont régulièrement organisés, voire institutionnalisés, comme le « Take your child to work day » annuel (« Emmenez votre enfant avec vous au travail ») : pour sa dernière édition, près de 3,5 millions d'entreprises ont reçu 37 millions d'enfants pour une brève immersion. Il est aussi fréquent que les parents y soient invités à échanger avec les classes scolaires sur leur propre métier afin de le présenter et de répondre aux questions des enfants.

En France, ce type de sensibilisation des élèves à l'orientation et à la diversité des métiers reste trop rare. En juin 2020, la délégation aux Entreprises avait recommandé, dans son rapport d'information « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises », d'organiser chaque année une « Journée nationale dédiée aux métiers ». Bien que des évènements comme la « Semaine École-Entreprise » existent depuis le début des années 2000, ils restent trop confidentiels et inégalement mis en oeuvre. Le renforcement au quotidien des liens entre école et entreprise reste un enjeu prioritaire. La Direction générale des entreprises (DGE) a indiqué travailler sur cet axe d'amélioration, par le biais d'un groupe de travail visant à produire une « charte d'engagements réciproques école-entreprise, pour développer des actions dès la rentrée prochaine »42(*).

Pour aller plus loin, les rapporteurs préconisent de proposer, en classe de cinquième et en classe de seconde, plusieurs journées de découverte des entreprises et des métiers, pleinement intégrées au cursus scolaire.

Selon les informations transmises à la délégation par la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), une démarche de découverte des métiers a été expérimentée cette année dans environ 600 collèges français (soit 10 % des établissements) à partir de la cinquième : les retours d'expérience pourront permettre de calibrer au plus juste le format et la fréquence de ces journées de découverte43(*). Le Gouvernement s'est d'ores et déjà prononcé en faveur de sa généralisation : c'est un pas dans le bon sens, mais les moyens adéquats devront être mobilisés.

Les rapporteurs suggèrent en outre que ce module obligatoire de découverte des métiers puisse inclure, par exemple, un « Objectif 15 métiers du territoire », séquence durant laquelle seraient présentés aux collégiens 15 métiers distincts présents sur le territoire, avec l'appui d'entreprises ou d'établissements locaux.

Afin d'approfondir l'accompagnement des élèves dans leur choix d'orientation, les rapporteurs recommandent aussi de promouvoir le dispositif de « 3ème Prépa métiers » que la loi « Avenir professionnel » était venue renforcer. Il permet à des élèves en dernière année de scolarité au collège, sur la base du volontariat, de découvrir des métiers pour se préparer, notamment, à une orientation vers l'apprentissage ou la voie professionnelle du lycée. Dans ce cadre, à raison de 5 heures hebdomadaires environ, sont notamment organisées des immersions au sein de centre de formation d'apprentis ou de lycées professionnels, et des stages en entreprise d'une durée d'une à quatre semaines, aux côtés des périodes d'enseignement classique. Environ 1 434 établissements offrent, à ce jour, le dispositif de « 3ème Prépa-métiers »44(*).

Permettant une plus grande sensibilisation à la diversité des métiers, ainsi qu'à la réalité des enseignements post-collège, ce dispositif est de nature à améliorer l'orientation des élèves et à revaloriser les parcours au sein de la voie professionnelle et en apprentissage. Il a été prolongé par des initiatives bienvenues telles que, depuis 2021, la « Semaine des lycées professionnels » organisée pour présenter la voie professionnelle aux jeunes collégiens. Toutefois, la « 3ème Prépa-métiers » reste encore trop méconnue des élèves, des familles et même des entreprises, qui peuvent être réticentes à ce type de parcours personnalisé : il faut donc accentuer les efforts de promotion du dispositif et le faire monter en puissance.

En dehors de la « 3ème Prépa-métiers », la seule période institutionnalisée de découverte de l'entreprise et des métiers reste, à ce jour, le stage prévu en troisième, d'une durée de trois à cinq jours. Il aura d'ailleurs fallu attendre la loi « Avenir professionnel » pour que les élèves de moins de 14 ans soient autorisés, comme leurs congénères, à effectuer cette période d'observation en entreprise.

Ce stage d'observation est néanmoins insuffisant à plusieurs égards :

· il arrive tardivement pour sensibiliser aux différents métiers, alors que le parcours d'orientation débute dès la sixième et que des choix sont déjà ouverts aux élèves (options linguistiques, « Prépa métiers » en classe de troisième par exemple) ;

· il n'existe aucune période systématique de découverte des métiers dans le cursus des lycées de la voie générale, alors même qu'il s'agit d'un moment clef de l'orientation des jeunes adultes vers les filières post-Bac.

Si des possibilités complémentaires de découverte existent, à l'initiative des parents, ou à l'impulsion des réseaux consulaires par exemple (le réseau des CCI proposant par exemple des « mini-stages » d'immersion à partir de quatorze ans), il est incompréhensible que ces initiatives ne soient pas mieux endossées et encouragées par les pouvoirs publics.

L'action des Chambres des métiers et de l'artisanat auprès des élèves

Dans le cadre de son action en faveur de la promotion et de la découverte des métiers de l'artisanat, le réseau des chambres des métiers et de l'artisanat conduit plusieurs types d'action visant à retisser le lien entre milieu scolaire et monde de l'entreprise :

 elles ont organisé environ de 16 000 stages de découverte des métiers et de périodes d'observation en milieu professionnel, permettant d'accueillir au sein d'une entreprise des élèves de collège ou de lycée ainsi que des étudiants, pendant une semaine durant les vacances scolaires. Les CMA notent que « l'objectif de ces stages de découverte est de permettre aux jeunes de tester un métier et de les aider à élaborer leur projet professionnel. Cela donne également l'occasion aux chefs d'entreprise de faire découvrir leurs savoir-faire et de créer des vocations. Ce dispositif a un réel succès auprès des jeunes. » Des immersions au sein des CFA sont aussi organisées, dans le cadre du temps scolaire ;

 elles ont aussi organisé près de 1850 réunions d'information et de sensibilisation en milieu scolaire, auprès des élèves et dans le cadre de la participation aux services régionaux de l'orientation, en lien avec leur mission d'organisation de l'apprentissage dans le secteur de l'artisanat et des métiers ;

 d'autres exemples d'action incluent des journées « portes ouvertes » à destination des jeunes et de leurs familles ou des stands itinérants.

Le réseau des CMA note toutefois la difficulté à atteindre un public large et à sensibiliser les établissements, notant que « l'engagement du réseau des CMA est limité par la « bonne volonté » des responsables d'établissements qui promeuvent le plus souvent les métiers et l'apprentissage auprès des élèves les plus en difficulté ».

Source : Réponses des CMA au questionnaire de la délégation

Les choix de stages de troisième restent encore souvent orientés en fonction des liens personnels (par exemple, selon les entreprises au sein desquelles les parents ou les connaissances travaillent), faute de visibilité des élèves sur la diversité des entreprises du territoire et en raison, parfois, de la difficulté à trouver une entreprise accueillante. Il appartient aux pouvoirs publics de soutenir les efforts des jeunes qui souhaitent réaliser des immersions en entreprise.

Les rapporteurs recommandent donc la mise en place, dans chaque région, d'une plateforme dénommée « Bourse aux stages », qui permettrait de répertorier les entreprises désireuses d'accueillir des jeunes stagiaires, et de les mettre en lien avec ces derniers. Les Régions semblent être les plus à même d'instituer ces plateformes, au regard de leur connaissance du tissu entrepreneurial liée à leurs compétences en matière de développement économique et d'orientation professionnelle.

Recommandation n° 1 :

Systématiser et généraliser l'intégration, dans le cursus des élèves de cinquième et de seconde générale, de temps de découverte des métiers, incluant par exemple un « Objectif 15 métiers du territoire ».

Instituer, dans chaque région, une plateforme dénommée « Bourse aux stages » qui mette en lien les entreprises désireuses d'accueillir des jeunes pour des stages de découverte.

b) Former les enseignants et faciliter le dialogue entre établissements et entreprises

Le déploiement de ces dispositifs de découverte des métiers et d'appui à l'orientation doit s'appuyer sur des équipes pédagogiques formées aux enjeux du monde professionnel, et sur la participation des entreprises du territoire.

Il existe déjà, dans la plupart des académies, une mission « École-entreprise », chargée d'animer des comités locaux « École-entreprise » en vue de développer de nouveaux partenariats entre Éducation nationale et monde économique.

Des obstacles persistent néanmoins : une trop grande disparité de mise en oeuvre de ces dispositifs en fonction des territoires ; un échelon de positionnement qui ne permette pas d'en faire un interlocuteur bien identifié au niveau des entreprises locales ou de chaque établissement ; une montée en puissance peu rapide. De plus, si les efforts menés au sein des lycées professionnels ont été conséquents, les lycées généraux restent un angle mort de la promotion des métiers et des entreprises. La formation des enseignants à l'existence de dispositifs de découverte des métiers et à leur mise en oeuvre reste par ailleurs insuffisante. Le schéma directeur de la formation continue des personnels du ministère de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports et le programme national de formation qui le décline ne font qu'une place minime à la relation école-entreprises dans la formation des enseignants.

Les rapporteurs formulent donc deux propositions pour remédier à ces blocages :

· d'une part, mieux former tout au long de leur carrière, l'ensemble des professeurs des collèges et des lycées (de la voie professionnelle comme générale), à l'orientation et à l'insertion professionnelle. Cela peut passer par la réalisation de périodes d'immersion au sein d'entreprises du territoire ou d'établissements de formation (CFA, lycées professionnels, IUT...) : cela contribuera à une meilleure compréhension mutuelle entre monde de l'enseignement et monde professionnel. Des formations dédiées, plus spécifiques et plus concrètes, pourraient ainsi être offertes aux enseignants dans le cadre du prochain programme national de formation et de la mise en oeuvre récente des nouvelles Écoles académiques de la formation continue (EAFC) ;

· d'autre part, améliorer la visibilité des interlocuteurs chargés, au sein des établissements, du lien entre école et entreprises. Il convient d'accentuer les efforts d'ouverture des établissements aux acteurs économiques locaux et aux différentes filières, ce qui contribue à créer des opportunités pour les élèves (stages, visites, immersions, sensibilisation aux métiers...) et permet d'engager davantage les entreprises dans l'effort d'attractivité de leurs métiers.

Concernant cette dernière proposition, le Gouvernement semble aller dans ce sens en ayant récemment annoncé, dans le cadre d'une future réforme de la voie professionnelle, la mise en place dans chaque lycée professionnel d'un « Bureau des entreprises »45(*). Il reste à voir si cette mesure apportera une réelle plus-value par rapport aux dispositifs et aux équipes déjà en place au sein des établissements, et si elle s'accompagnera de moyens adéquats, par exemple pour financer des visites ou des évènements.

Les rapporteurs notent que le dialogue entre monde professionnel et monde scolaire n'est pas un enjeu uniquement dans la voie professionnelle, ni au seul niveau du lycée : il serait pertinent de prévoir un point de contact dans chacun des établissements pour les entreprises du territoire.

Entendu par les rapporteurs, le METI a appuyé ce constat, insistant sur la nécessité de multiplier les contacts entre monde académique et monde économique, tout au long du parcours d'enseignement (par exemple en améliorant l'identification mutuelle des établissements et des entreprises, ou en organisant des temps d'échanges entre équipes éducatives et entreprises)46(*).

Recommandation n° 2 :

Mieux incarner les métiers et les entreprise au sein des collèges et lycées en :

 améliorant, au sein des établissements, la visibilité des interlocuteurs chargés du lien avec les entreprises, et en intensifiant les contacts avec les acteurs économiques locaux ;

 améliorant la formation et la sensibilisation des enseignants des collèges et lycées à l'orientation et au monde de l'entreprise, via des périodes d'immersion et de formation dédiées tout au long de la carrière.

c) Améliorer l'information sur les différents métiers et filières

Enfin, dans une même logique d'accompagnement de l'orientation, les rapporteurs appellent à poursuivre les efforts relatifs à l'affichage des taux de poursuite d'études, d'insertion professionnelle, de maintien dans l'emploi et de rémunération, relatifs aux divers métiers et formations, notamment sur les plateformes informatiques de choix d'orientation.

Si des efforts ont été réalisés depuis que la délégation aux Entreprises avait recommandé, en 2020, de « renforcer l'information des familles sur les débouchés professionnels et mieux les accompagner dans l'orientation de leurs enfants » et d'« inclure systématiquement les informations relatives à la formation initiale dans le système d'information Agora, et rendre publiques les statistiques nationales et régionales anonymes, en indiquant a minima le niveau de salaire et le taux d'emploi à la sortie de chaque formation »47(*), il faut améliorer encore l'information disponible concernant les divers métiers et filières, pour rectifier certaines idées préconçues concernant des formations désaffectées et orienter les élèves vers des formations réellement insérantes. Cette proposition est toujours aujourd'hui formulée par les organisations représentant les entreprises entendues par les rapporteurs48(*). Par exemple, le réseau des chambres de métiers et de l'artisanat a signalé qu'« il est indispensable que la réforme de la voie professionnelle annoncée par le Président de la République, pour laquelle des concertations ont déjà eu lieu, conduise à la présentation systématique et auprès de tous les élèves, de tous les métiers et des voies de formation qui permettent d'y parvenir »49(*).

Cet aspect sera détaillé plus bas, en ce qui concerne notamment l'orientation vers la voie professionnelle.

2. Mieux valoriser le sens des métiers, l'engagement des entreprises et la « marque employeur »

Si l'effort d'attractivité des métiers commence dès l'école, il appartient aussi aux entreprises de valoriser les atouts qui différencient leur activité, leur cadre de travail ou leurs emplois.

a) La RSE, un véritable facteur d'attractivité et de fidélisation

En particulier, l'engagement des entreprises en faveur de valeurs ou d'objectifs sociaux, environnementaux, ou encore d'inclusion, est un fort levier d'attractivité interne et externe, en particulier envers les jeunes entrant sur le marché du travail.

Nulle n'est question d'opposer « bonnes » et « mauvaises » entreprises, l'ensemble d'entre elles contribuant à remplir les besoins de nos sociétés ; ni non plus d'opposer « bullshit jobs » dénués de sens et « métiers engagés ». Comme en a témoigné Coralie Pérez entendue par les rapporteurs, certains des métiers qualifiés comme ayant le plus de « sens » social (métiers du domaine médical, de l'enseignement) sont néanmoins frappés par de fortes difficultés de recrutement.50(*) La plupart des métiers et emplois font en réalité intervenir des tâches et des objectifs divers, chacun à même d'apporter satisfaction aux personnes qui y travaillent.

Mais il est indéniable que les attentes des candidats prospectifs, en particulier des plus jeunes générations, vont croissant dans la recherche de « sens au travail » et d'engagement sociétal de la part de l'employeur. Comme l'ont relaté les chefs d'entreprises entendus par les rapporteurs, cela fait partie des questions très fréquemment posées en entretien d'embauche, et peut dans certains représenter un élément décisif pour le candidat. Selon le baromètre du Medef, 77 % des salariés indiquent avoir « plaisir à travailler » dans leur entreprise lorsqu'elle est dotée d'une fonction ou d'un service dédié à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), soit dix-sept points de plus que dans les entreprises qui n'en disposent pas51(*).

Mettre en valeur la source d'épanouissement personnel que peut représenter un emploi, présenter de manière attractive son impact sur la société ou sur l'environnement par exemple, au profit de candidats prospectifs n'est toutefois pas une tâche facile pour les entreprises, en particulier pour les plus petites d'entre elles. Ne disposant pas de ressources dédiées aux ressources humaines ou à l'engagement, mobilisées pleinement par les défis quotidiens de l'inflation ou des tensions d'approvisionnement, les petites entreprises peuvent être tentées de reléguer au second plan les enjeux de responsabilité sociétale des entreprises, comme l'avait souligné en 2022 le rapport de la délégation aux Entreprises « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise » de Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et M. Jacques Le Nay52(*).

Les rapporteurs estiment néanmoins qu'il est possible d'actionner encore davantage ce levier d'attractivité qu'est l'engagement sociétal des entreprises :

· d'abord, l'engagement des entreprises ne se limite pas aux enjeux environnementaux, qui sont les plus visibles mais aussi les plus difficiles à mettre en oeuvre dans certains secteurs. La diversité, l'inclusion, la parité au sein des équipes de sont également des atouts qui peuvent être mis en valeur au titre de la RSE et sont accessibles à davantage d'entreprises ;

· ensuite, il faut faire échec à l'idée que la RSE ne saurait concerner que les grandes entreprises : parmi le millier d'entreprises à mission créées depuis la loi Pacte, 91 % d'entre elles sont des microentreprises et des PME.53(*) Il est donc tout à fait possible de valoriser formellement les engagements sociétaux des petites entreprises ;

· enfin, l'accompagnement des entreprises dans ces démarches (labellisation RSE, modification des statuts, communication autour de l'engagement sociétal de l'entreprise...) doit être renforcé, tant par les filières économiques que par les réseaux consulaires ou les organisations patronales, car il peut s'agir d'un facteur déterminant pour la croissance et la pérennité d'une entreprise.

b) Accompagner les entreprises dans leurs recrutements

Plus généralement, de nombreuses entreprises expriment le besoin d'un accompagnement plus poussé dans la structuration et la mise en oeuvre de leurs processus de recrutement.

En France, seules 24 % entreprises de moins de 10 salariés ont un « processus RH » type, et 11 % ont un responsable des ressources humaines. Ces chiffres sont de 66 et de 60 % respectivement pour les entreprises de 50 à 100 salariés, et de 95 et 85 % pour les entreprises de plus de 250 salariés : les entreprises ne jouent pas toutes à armes égales dans la compétition pour attirer les talents.54(*)

PART DES ENTREPRISES AYANT UN RESPONSABLE DES RESSOURCES HUMAINES
ET AYANT MIS EN PLACE DES « PROCESS RH » (% DES RÉPONDANTS)
Source : Bpifrance Le Lab, « Attirer les talents dans les PME et les ETI », janvier 2018

Pourtant, les TPE-PME sont un gisement important d'emploi et un maillon essentiel du tissu économique français : selon l'INSEE, les PME et microentreprises représentent 99,7 % des entreprises françaises et 57,7 % de l'emploi dans le pays.55(*) Il est donc crucial de mieux accompagner les entreprises dans leurs processus de recrutement, à deux titres :

· d'abord, pour permettre à l'entreprise de développer une « marque employeur » en sachant mettre en valeur ses atouts et en améliorant la manière dont elle se présente au public. Dans une étude réalisée en 2018 et intitulée « Attirer les talents dans les PME et le ETI », Bpifrance Le Lab recommandait ainsi déjà de « mettre en place une stratégie RH au sein des PME pour accompagner la croissance », notant que seules 20 % des entreprises étaient présentes sur les réseaux sociaux, 25 % disposant d'une rubrique « employeur » sur leur site Internet, et que celles-ci étaient « souvent réticentes à communiquer sur elles-mêmes en tant qu'employeurs ».56(*)

Les PME disposent pourtant dans la représentation collective d'atouts importants en termes de proximité relationnelle aux équipes, de réputation et de pérennité57(*), qu'il faudrait davantage mettre en avant dans les offres d'emploi et la communication locale. Certains labels peuvent aussi jouer un rôle important dans la visibilité des entreprises, comme l'a démontré la démarche « French Fab » qui a contribué à moderniser l'image de l'industrie française ;

· ensuite, pour réduire la charge et le coût des « processus RH » pour les entreprises qui ne disposent pas des ressources ou du temps nécessaire. Un récent rapport de France Stratégie note à ce titre, au sujet d'un dispositif expérimental de Pôle emploi visant à déplacer la charge de prospection vers Pôle Emploi et à accompagner le entreprises dans les recrutements : « les entreprises qui ont bénéficié du programme ont augmenté de 24 % leur offres d'emploi via Pôle emploi, et de 10 % leurs embauches en CDI [...]. Un suivi douze mois plus tard confirme qu'une grande partie des embauchés en CDI étaient toujours en emploi »58(*).

Les auditions des rapporteurs ont confirmé qu'en dépit d'une amélioration de la perception par les entreprises de son action au cours des dernières années, l'accompagnement par Pôle emploi est toujours jugé insuffisant. Ainsi, le METI estime notamment qu'« à l'heure actuelle, la majorité des ETI ne trouvent pas, par exemple auprès du service public de l'emploi, de réponse satisfaisante pour surmonter ces difficultés. Elles observent une méconnaissance de leurs enjeux et de leur fonctionnement en matière de recrutement, également une complexité relationnelle induite par la multiplicité des interlocuteurs »59(*). L'U2P, entendu par les rapporteurs, estime que « dans les faits, il y a eu un décalage entre le service « VIP » accordé aux grandes entreprises et les autres. Avec France Travail, on nous redit que toutes les entreprises seront accompagnées dans leurs démarches de recrutement. Notre expérience passée nous a rendus sceptiques »60(*). Or, il est essentiel que le service public de l'emploi n'accompagne pas uniquement les demandeurs d'emplois, mais aussi les entreprises qui offrent ces emplois, en vue d'un meilleur appariement sur le marché du travail.

À cet égard, les rapporteurs se félicitent que le rapport présenté par Thibault Guilluy, relatif à la préfiguration de « France Travail », propose de renforcer l'accompagnement des entreprises, notamment en mettant en place des « équipes entreprises » de France Travail sur chaque territoire ; d'accélérer les démarches de prospection de France Travail vers les entreprises, en lien avec les réseaux consulaires, les OPCO et les collectivités ; de simplifier les démarches (notamment en ligne) des entreprises ayant des besoins de recrutement.61(*)

Les rapporteurs estiment qu'il serait particulièrement bienvenu, dans le cadre de la réorganisation de Pôle emploi, qu'un « Guichet PME » soit systématiquement mis en place. Celui-ci pourrait, pour chaque territoire, être l'interlocuteur privilégié des TPE-PME, qui se sentent souvent moins bien accompagnées par le service public de l'emploi que les grandes entreprises. Cela contribuerait grandement à ce que Pôle emploi puisse réellement remplir la mission qui lui est confiée par la loi en appui aux entreprises, celle de « procéder à la collecte des offres d'emploi, aider et conseiller les entreprises dans leur recrutement, assurer la mise en relation entre les offres et les demandes d'emploi » (article L. 5312-1 du code du travail).

Recommandation n° 3 :

Soutenir et inciter les entreprises, en particulier les TPE-PME, à mettre en valeur leurs engagements sociétaux et environnementaux auprès des candidats prospectifs et du public.

Renforcer l'accompagnement des TPE-PME par le service public de l'emploi, les branches professionnelles et les réseaux consulaires dans leurs processus de recrutement et dans le développement d'une « marque employeur ».

3. Accentuer la promotion des métiers et secteurs qui recrutent

Un effort particulier doit porter sur les métiers et secteurs de l'économie qui connaissent le plus de difficultés de recrutement.

Comme le démontre l'enquête BMO conduite annuellement par Pôle emploi, des tensions de recrutement durables se sont installées pour certaines familles de métiers, notamment celles de l'aide aux personnes et de la santé (aides à domicile et ménagères, infirmiers, puériculture) et de métiers manuels ou techniques de l'industrie ou du bâtiment (couvreurs, mécaniciens, menuisiers, chaudronniers...), ou encore des conducteurs routiers. Ces métiers en tension sont évoqués plus en détail dans l'introduction du présent rapport.

Pour éviter que le déficit d'attractivité de ces métiers ne se creuse, les rapporteurs appellent à renforcer les moyens dédiés à la promotion et à la valorisation des métiers en tension.

AFFICHE ISSUE DE LA CAMPAGNE « AVEC L'INDUSTRIE » DE L'OPCO 2I

Source : OPCO 2i

Des initiatives ont bien sûr déjà cours :

· des campagnes de sensibilisation sont menées par les OPCO dans le but de sensibiliser le public aux opportunités offertes par les différents secteurs économiques et leurs métiers, et à moderniser leur image auprès des jeunes notamment. L'OPCO 2i a par exemple récemment lancé une campagne de grande échelle en faveur de l'industrie, intitulée « Avec l'Industrie », diffusée dans les cinémas, à la télévision et dans les transports en commun. La « Semaine de l'Industrie », créée en 2011 et désormais bien identifiée, permet de coordonner près de 4 700 évènements dans toute la France (visites d'entreprise, job dating, forums des métiers, conférences web, interventions en classe, expositions...), au profit de 1,8 millions de personnes, en vue de présenter les métiers de l'industrie. Dans le secteur nucléaire, l'Université des métiers du nucléaire a établi à destination du grand public un portail web intitulé « Mon avenir dans le nucléaire » en 2022, qui comporte des fiches métiers et des vidéos de salariés, et propose des quizz d'orientations ou encore un recensement des formations et offres d'emploi disponibles62(*) ;

Les actions de l'OPCO Entreprises de proximité (OPCO EP)

En décembre 2020, l'OPCO EP a signé avec le ministère de l'Éducation nationale et celui de l'Enseignement supérieur une convention-cadre de coopération d'une durée de trois ans, afin de soutenir ensemble des actions en faveur de la promotion et l'attractivité des métiers, partant notamment du constat que l'ensemble des secteurs du champ de l'OPCO EP font face à des tensions de recrutement. Selon l'OPCO, certains de ces secteurs en tension, jugés moins attractifs, sont en effet délaissés au profit de filières tertiaires

Les actions suivantes de promotion, de sensibilisation et de communication ont été menées dans ce cadre :

 Immersions 360° dans le quotidien d'une entreprise avec casques de réalité virtuelle ;

 Campagne de communication sur les réseaux sociaux et sur des sites dédiés à l'orientation ;

 Vidéos de présentation des métiers : paroles d'experts, témoignages d'apprentis... ;

 Fiches métiers ;

 Organisations de rencontres écoles/entreprises dans les territoires (visites d'entreprises, témoignages de chefs d'entreprises) ;

 Participation à des salons et concours ;

 Caravane des métiers ;

 Développement de sites internet dédiés aux métiers d'un secteur d'activité ;

 Création d'un site dédié à la promotion des métiers : « Bouge ton avenir ».

L'Opco EP a également signé plus de 30 conventions avec les Conseils régionaux, l'office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP), les missions locales et l'Éducation nationale pour contribuer à l'amélioration de l'orientation des jeunes publics et l'attractivité des métiers.

En outre, des actions sont également menées pour la découverte de secteurs d'activités et des métiers associés auprès des demandeurs d'emploi et des salariés en reconversion dans le cadre de « Transco » en partenariat avec Transition Pro et Pôle emploi.

Source : Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation

· dans le cadre des engagements de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) conclus entre l'État et les organisations ou branches professionnelles, des actions de promotion et de valorisation des métiers peuvent être prévues et cofinancées ;

· les organisations professionnelles et les fédérations mènent de nombreuses actions afin d'améliorer la visibilité de leurs secteurs et métiers et de les valoriser, notamment auprès des élèves et des étudiants.

L'enjeu d'attractivité dans les EDEC

LA FILIÈRE NUCLÉAIRE

La relance de la production nucléaire, annoncée par le Président de la République en février 2022, ainsi que le « grand carénage » des réacteurs existants génère un fort besoin de compétences au sein de la filière française du nucléaire, qui souffre pourtant d'un déficit d'image auprès du grand public. Selon l'Université des métiers du nucléaire, entendue par les rapporteurs, les besoins en recrutement sont d'environ 100 000 recrutements d'ETP d'ici 2023 sur plus de 80 métiers, du niveau CAP à Bac+5.63(*) Certains des métiers indispensables sont en tension, notamment concernant l'électricité, le génie civil, la chaudronnerie-tuyauterie-soudage ou l'ingénierie systèmes.

Les entreprises de la filière (le GIFEN, l'UIMM, les Industries Électriques et Gazières), les organisations syndicales de salariés ont ainsi signé, avec l'État (le ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion), un accord-cadre national d'EDEC couvrant la période de mars 2021 à février 2023. Cette démarche a bénéficié des moyens mobilisés dans le cadre de l'appel à projets « Soutien aux démarches prospectives Compétences » financé par Plan d'Investissement dans les compétences (PIC).

L'attractivité de la filière fait l'objet d'un axe dédié au sein de l'EDEC. Celui-ci vise, en lien notamment avec l'OPCO 2i, à « accompagner les entreprises, notamment les TPE-PME, dans la mise en oeuvre d'actions leur permettant de » :

 « Identifier les perceptions du public sur les volets « image », « modalités de travail » et « perspectives professionnelles » ainsi que les leviers majeurs d'attractivité vis-à-vis des jeunes et des candidats potentiels vers les métiers en tension de la filière, au sein des territoires » ;

 « Mettre en oeuvre les actions pertinentes pour attirer vers les filières de formation, susciter les vocations » ;

 « Donner des perspectives et fidéliser les salariés dans la filière nucléaire » ;

 « Réaliser pour cela une étude d'image et élaborer une stratégie de communication pour promouvoir les métiers, parcours et formations ».

Sont notamment prévues des actions visant à développer la présence de la filière sur les réseaux sociaux (notamment YouTube), d'élaborer des fiches métiers en lien avec l'ONISEP en ce qui concerne les métiers les plus en tension, de préparer des portraits vidéos de salariés du secteur, de développer les interventions dans les collèges et lycées ou dans le cadre d'évènements pour faire découvrir les carrières attachées au nucléaire, ou encore, à développer l'attractivité du secteur auprès des femmes dans un objectif de plus grande mixité.

Cet axe aura bénéficié, entre 2021 et 2023, d'un financement de 350 000 euros, cofinancé à parts égales entre l'État et l'OPCO 2i.

LA FILIÈRE EAU

Comme prévu au sein de son EDEC, en date de 2021, la filière Eau a réalisé une étude relative à l'emploi, aux compétences et à la formation dans le secteur de l'eau et de l'assainissement d'ici 2025.

Cette étude a notamment permis d'appréhender les spécificités de la filière en termes de métiers et de dresser les perspectives d'évolution des emplois et des compétences.

La filière prévoyait 13 000 embauches sur la période 2020-2025, 8 métiers étant identifiés comme en tension.

LA FILIÈRE INFRASTRUCTURES NUMÉRIQUES

La filière a élaboré un EDEC en 2021, qui prévoit jusqu'en 2024 une action structurante pour développer l'attractivité des métiers et la qualité des formations.

Il comporte notamment un objectif de couverture de la hausse des besoins, estimée à 5 % par an environ. Il ambitionne également d'accompagner les nouveaux métiers de la filière, notamment en lien avec l'infrastructure de la fibre (plan France Très Haut Débit) ou de la 5G, mais aborde aussi le déclin anticipé de certaines technologies.

Dans le détail, il prévoit de définir les blocs de compétences non couverts par la formation existante, et, pour ces cas, de piloter l'évolution des certifications existantes pour les intégrer. Il mentionne aussi l'accompagnement de l'AFEST, la mise en place de tutorat au sein des entreprises ou encore l'aide aux processus RH des entreprises de la filière.

Source : EDEC des filières, réponses du Conseil national
de l'Industrie au questionnaire de la délégation

Alors que la plupart des EDEC arrivent à échéance au cours de l'année 2023 et devront être renouvelés pour la période à venir, les rapporteurs appellent à intensifier et pérenniser les efforts menés par les branches professionnelles et par l'État en faveur de l'attractivité des métiers en tension.

Toute d'abord, il conviendrait de systématiser l'existence d'un volet « attractivité » au sein de chaque nouvel EDEC, pour mieux anticiper et accompagner la réflexion autour de la promotion et de la valorisation des métiers. Ces volets renforcés permettraient de sanctuariser des moyens dédiés et d'associer l'ensemble des acteurs disposant de leviers directs d'action.

Afin d'accroître l'effort national en faveur de la promotion de ces métiers essentiels, et pourtant en tension, il serait également utile d'autoriser un cofinancement plus conséquent des actions des EDEC par l'État, celui-ci étant aujourd'hui limité à 30 % pour la plupart des actions prévues.

Enfin, il convient de noter que si la grande majorité des EDEC élaborés depuis 2020 avaient pu bénéficier des aides significatives du Plan d'investissement dans les compétences (PIC) - environ 30 EDEC sur 40 ayant été financés par ce biais - la fin du PIC en 2022 pourrait fragiliser le processus pourtant essentiel de renouvellement des EDEC en 2023 et 2024.

Recommandation n° 4 :

Systématiser l'élaboration d'un volet « Attractivité des métiers » au sein des EDEC, en particulier concernant les secteurs et métiers en tension.

D'autre part, les actions de promotion menées par les OPCO pâtissent aujourd'hui du manque de prévisibilité de leurs budgets annuels. Le dispositif de financement prévu par la loi « Avenir professionnel » en 2018 prévoit en effet que France compétences reverse aux OPCO les fonds dont ils disposeront chaque année pour conduire leurs actions de financement de la formation des entreprises et de promotion des métiers, sans toutefois que ces montants puissent être connus à l'avance (en raison du dynamisme des autres actions financées par France compétences, notamment l'apprentissage). En mai 2023, France compétences a ainsi annoncé à plusieurs OPCO que leur budget pour 2022 avait été revu à la baisse, alors même que les dépenses avaient déjà été engagées et exécutées64(*).

Il est indispensable de donner aux OPCO une visibilité pluriannuelle, ou a minima une garantie annuelle, sur les moyens dont ils disposent pour mener à bien leurs missions. S'ils deviennent la variable d'ajustement d'un système de financement des compétences par ailleurs peu abouti, les actions de prospective et de promotion des métiers en pâtiront.

B. ACCOMPAGNER L'ÉVOLUTION DES EMPLOIS ET DES ATTENTES

L'attractivité des emplois n'est pas une bataille à mener uniquement au niveau des secteurs d'activité et des familles de métiers. La difficulté à pourvoir un emploi peut aussi résulter d'un manque d'attractivité des conditions d'exercice du travail : un manque de diversité ou d'ambition des tâches confiées, une insatisfaction par rapport au cadre hiérarchique ou aux possibilités d'évolution professionnelle, ou encore un enjeu d'horaires de travail ou de rémunération. Ces facteurs tangibles sont d'importants leviers d'attractivité : ils ont pris une place particulièrement perceptible à l'aune de la pandémie de Covid-19, qui a entraîné de nombreux bouleversements de l'organisation du travail.

Une étude de l'Institut Montaigne présentée en février 2023, intitulée « Les Français au travail : dépasser les idées reçues » conclut que les facteurs ayant trait à l'organisation du travail ou à ses conditions matérielles d'exercice (rémunération, pénibilité, modes de management) conservent un poids prépondérant lorsque l'on cherche à expliquer la satisfaction ou l'insatisfaction des Français au travail65(*). De fait, la quête de nombreux salariés pour une plus grande flexibilité organisationnelle ou pour de nouveaux modes de management a certainement joué dans la hausse des démissions qui s'est esquissée au cours des dernières années, à la faveur d'un marché du travail plus favorable aux travailleurs.

Au-delà des efforts collectifs visant à redessiner l'image de certains métiers et à améliorer l'orientation des élèves et étudiants, il est essentiel de prendre en considérations ces facteurs concrets, attachés à chaque emploi et chaque entreprise, qui détermineront très directement s'ils sauront attirer ou non des candidats sur un marché du travail de plus en plus compétitif pour les employeurs.

1. Promouvoir l'intégration des nouveaux modes de management et d'organisation du travail et accompagner l'effort en faveur de la qualité de vie au travail
a) Des conditions d'exercice des emplois en forte mutation

L'organisation du travail a connu d'importantes mutations au cours des dernières années.

D'une part, comme le note le rapport de l'Institut Montaigne précité, il existe désormais une plus grande variance des modes d'organisation et des horaires de travail : « Le cadre traditionnel de la semaine à « 5 jours aux horaires de bureau » est devenu minoritaire et s'efface devant la multiplication des horaires atypiques, une tendance en forte croissance chez les cadres. De manière générale, la norme des 35 heures tend à disparaître. »66(*)

Cette tendance à l'intensification et à l'individualisation du travail est toutefois reliée à une hausse perçue de la charge de travail (chez 60 % des Français, 25 % la considérant excessive)67(*) et à la prévalence accrue de formes de souffrance psychique au travail. Elle pose la question de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et, comme l'a exprimé M. Tristan Dupas-Amory, entendu par les rapporteurs, du « consentement au travail »68(*). Les débats autour du « droit à la déconnexion » en ont été un exemple.

D'autre part, le fossé entre cadres et non-cadres se creuse à la faveur de nouveaux modes d'organisation. C'est particulièrement le cas du télétravail, « principale rupture de ces dernières années » selon l'Institut Montaigne, dont le déploiement a été fortement accélérée par la pandémie de Covid-19 : 3 % des Français déclaraient pratiquer le télétravail au moins occasionnellement en 2017 ; ils sont 33 % en 2022. 69(*) Si les emplois des cadres et « de bureau » semblent bénéficier majoritairement de la mise en oeuvre du télétravail, les métiers « non-télétravaillables », notamment dans les secteurs de l'industrie, du bâtiment ou encore de la vente, de l'accueil et de l'aide aux personnes en restent relativement exclus. L'Institut Montaigne souligne d'ailleurs « le formidable clivage que porte en lui le télétravail, à la fois facteur d'épanouissement et d'autonomie pour une immense majorité de ceux qui le pratiquent et motif de forte frustration pour une forte proportion des 60 % de travailleurs qui n'y ont pas accès. Le management et les négociations sociales doivent absolument s'adapter à cette nouvelle donne »70(*).

PART DES MÉTIERS « TÉLÉTRAVAILLABLES » DANS DIFFÉRENTS SECTEURS
D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023

De même, l'évolution des lieux de travail a elle aussi touché de manière inégale les différents types d'emplois et secteurs économiques : il est plus facile d'organiser un « flex office » ou des salles de détente dans un bâtiment de bureaux que dans une boutique de centre-ville ou sur un chantier de travaux publics.

Enfin, les débats autour de la réforme des retraites, particulièrement en ce qui concerne la pénibilité des emplois, participent de la même réflexion. La croissance du secteur tertiaire a certes fait décroître la part des emplois considérés comme pénibles, mais a aussi creusé l'écart entre les métiers exposés à la pénibilité et les autres. Comme le montre une étude récente de la DARES, la pénibilité des emplois est nettement corrélée aux difficultés de recrutement rencontrées71(*).

DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT SELON L'EXPOSITION DES SALARIÉS
AUX CONTRAINTES PHYSIQUES ET TEMPORELLES

Source : Analyse de la DARES, « Quelles sont les conditions de travail qui contribuent
le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ? », juin 2022

Il existe aujourd'hui une réelle demande des Français pour une flexibilisation de l'organisation du travail et la poursuite des efforts en faveur de la qualité de vie au travail. Selon l'étude de la DARES précitée, et comme l'ont confirmé les entreprises et organisations professionnelles entendues par les rapporteurs, un poste vacant sur deux dans les métiers en tension « connaissait un problème d'attractivité lié aux conditions de travail »72(*), comme des horaires de nuit ou décalés, l'impossibilité de télé-travailler, ou le difficile équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Sur une période type d'un mois, 36 % des salariés travaillent au moins une fois le samedi, 20 % le dimanche, 25 % le soir et 10 % la nuit.73(*) La difficulté à adapter ces emplois aux attentes nouvelles explique au moins en partie le manque d'attractivité de certains métiers en tension.

b) Un panel d'outils pour adapter les emplois aux attentes nouvelles

La mise en oeuvre généralisée du télétravail ou la disparition des horaires décalés n'est évidemment pas envisageable pour tous les emplois : l'essence de certains métiers est justement la proximité au client ou à l'outil de production ou la continuité de l'activité.

Mais il existe souvent des possibilités, même marginales, de repenser l'organisation des entreprises et de l'activité pour répondre à la demande de flexibilité exprimée par les employés, comme le recours au temps partiel, la réorganisation des emplois du temps ou le rééquilibrage des tâches ou des équipes afin de varier les sujétions horaires ou les missions. Il est aussi possible, pour les candidats qui parfois le souhaitent, de privilégier des contrats courts aux contrats longs ; ou bien de recourir à des groupements d'employeurs pour offrir aux candidats une plus grande diversité de tâches et d'employeurs.

Il est bien sûr plus difficile de mettre en oeuvre ces évolutions au sein des TPE-PME ou parmi les indépendants, qui disposent souvent d'équipes plus réduites et de marges de manoeuvre plus faible. Repenser son organisation demande des ressources et du temps, dont ne disposent pas toujours les chefs d'entreprises au vu des exigences quotidiennes de l'activité. L'accompagnement des entreprises dans cette mutation importante des emplois et des entreprises sera essentiel.

Les rapporteurs soutiennent donc les branches professionnelles et les fédérations dans l'approfondissement de la réflexion collective et dans l'accompagnement de la réflexion individuelle des chefs d'entreprises pour faire évoluer, lorsque cela est possible, l'organisation et les conditions de l'activité au profit d'une plus grande attractivité des métiers et d'une meilleure qualité de vie au travail.

La démarche initiée avec le rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles » est à ce titre fort intéressante. Elle visait à inscrire l'État dans un rôle de soutien et d'accompagnement à la négociation collective au sein des branches professionnelles en faveur de l'attractivité des métiers et de l'amélioration des conditions de travail, en partageant les bonnes pratiques, en sensibilisant à des objectifs partagés et en mobilisant les services et établissements publics de l'État à leur service.

De fait, d'importantes avancées sont déjà intervenues au cours des dernières années. En juin 2013, un accord national interprofessionnel (ANI) intitulé « Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnel » avait déjà fixé plusieurs objectifs en matière d'amélioration de la qualité de l'emploi et du bien-être au travail. Depuis, la branche de la métallurgie a par exemple rénové en profondeur son cadre conventionnel en 2022, en améliorant notamment la protection sociale des travailleurs. La branche des transports a également défini comme priorité l'amélioration des conditions de travail, et a noué un partenariat approfondi avec l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) afin de prévenir l'usure professionnelle et d'optimiser la durée du travail74(*).

Concernant le télétravail, le 26 novembre 2020, un accord national interprofessionnel en faveur de la mise en oeuvre réussie du télétravail a été conclu par les partenaires sociaux. Il s'inscrivait dans le contexte d'un recours massif et exceptionnel au télétravail durant les périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19. L'accord souligne que le télétravail, lorsqu'il est intégré au fonctionnement ordinaire de l'entreprise et repose sur des critères d'éligibilité déterminés par le dialogue social, « peut constituer un critère et un atout pour renforcer l'attractivité de l'entreprise confrontée à des difficultés récurrentes de recrutement, et un outil de fidélisation des salariés, notamment dans certains bassins d'emploi ».

Ces démarches de négociation collective s'inscrivent toutefois dans le temps long, et devront faire l'objet d'un soutien continu de l'État et de ses établissements publics, en particulier l'ANACT.

Les syndicats représentatifs des salariés, sollicités par la délégation, ont salué l'action de l'ANACT en faveur de la qualité de vie au travail. La Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) a par exemple indiqué que sa candidature avait été retenue dans le cadre d'un appel à projets lancé par l'ANACT en 2022, concernant les enjeux du travail hybride en entreprise et les mutations du travail, ainsi que le rôle du manager75(*). Force ouvrière (FO) a estimé que « le réseau ANACT-ARACT se positionne donc comme un véritable accompagnateur des entreprises en mettant à leur disposition des méthodes et des outils qui ont déjà su faire leurs preuves en matière d'amélioration des conditions de travail »76(*).

L'action de l'ANACT en faveur de la qualité de vie
et des conditions de travail (QVCT)

L'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et les agences régionales (ARACT), placées sous la tutelle du ministère du Travail, sont chargées de soutenir les entreprises et d'approfondir la réflexion en faveur de l'amélioration des conditions de travail (article L. 4642-1 du code du travail). Elle a notamment pour mission de financer des expérimentations innovantes conduites au sein des entreprises, et de contribuer à la diffusion des « bonnes pratiques » en la matière.

En mai 2019, un appel à projets intitulé « La QVCT, un levier pour agir sur les difficultés de recrutement et les problèmes d'attractivité », financé par le Fonds pour l'amélioration des conditions de travail (FACT) a été lancé sous l'égide de l'ANACT. Il visait à soutenir des expérimentations innovantes permettant de mieux prendre en compte la question des conditions de travail et de mobiliser différents leviers à cette fin.

25 projets ont été retenus, concernant aussi bien le temps de travail, la charge de travail ou l'ergonomie, que les projets de formation en situation de travail (AFEST). Ils permettront de tirer des enseignements et des « bonnes pratiques » pouvant être diffusées à l'ensemble des branches et des entreprises, en vue d'une mise en oeuvre à plus large échelle.

Quelques exemples de projets soutenus entre 2019 et 2023 incluent :

 La mise en oeuvre, dans plusieurs EHPAD, d'une gestion améliorée du management et des ressources humaines en vue de mieux organiser le travail et d'anticiper les absences et remplacement de personnel, ainsi que la construction d'un dispositif de reconnaissance au travail ;

 Dans le secteur ostréicole, la réalisation d'études ergonomiques pour faciliter les tâches au sein des parcs d'huîtres, et la réflexion sur l'intégration plus poussée d'une démarche de RSE ;

 La mise en oeuvre de l'AFEST et la diffusion d'outil à cette fin auprès de 850 structures et 1300 ateliers et chantiers d'insertion appartenant au réseau Chantier École Ile-de-France.

Un nouvel appel à projet national a été ouvert en mars 2023 et doit être clos en juin 2023. Il visera, selon l'ANACT, à « améliorer l'attractivité des entreprises en agissant sur les conditions de travail, en particulier dans les secteurs dits en tension ».

Source : Cahier de l'ANACT n°4, « La QCVT pour agir sur les problèmes d'attractivité »,
mai 2023

Comme la délégation aux Entreprises l'avait déjà souligné dans son rapport présenté en juillet 2021 par Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, intitulé « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », il est aussi essentiel de miser sur la formation des personnes occupant des postes d'encadrement au sein des entreprises, ainsi que des chefs d'entreprise eux-mêmes, afin d'améliorer la prise en compte de ces enjeux de réorganisation du travail et d'évolution des modes de management77(*).

Recommandation n° 5 :

Accompagner et soutenir, au plus haut niveau de l'État et notamment par l'ANACT, les travaux des branches et fédérations professionnelle en faveur de la qualité de vie au travail ; de l'intégration de nouveaux modes de management et d'organisation du travail ; et de la réduction de la pénibilité au travail.

2. Poursuivre le déploiement des outils de partage de la valeur

Un effort en faveur de l'attractivité des emplois, en particulier dans le contexte actuel de forte compétition entre employeurs sur un marché du travail tendu, doit intégrer une réflexion sur la rémunération du travail.

Selon l'Institut Montaigne, la rémunération figure parmi les trois principaux motifs générateurs de satisfaction au travail (46 % des Français se déclarant insatisfaits de leur rémunération).78(*) C'est aussi un facteur majeur d'attractivité ainsi que de fidélisation des salariés, puisqu'environ 83 % des jeunes placent la rémunération comme premier critère de choix d'une offre de travail, et qu'une part conséquente des mobilités professionnelles vise à obtenir une rémunération plus élevée ailleurs79(*).

Le contexte économique actuel, marqué par le retour de l'inflation, contribue aussi à donner davantage de poids aux conditions matérielles de l'emploi.

Les secteurs frappés par d'importantes difficultés de recrutement ont souvent déjà adapté leurs niveaux de rémunération. Selon une enquête de Bpifrance, pour remédier aux difficultés de recrutement, 26 % des TPE-PME ont proposé des salaires plus élevés sur les postes à pourvoir et 22 % d'entre elles ont cherché à fidéliser leurs équipes via des avantages monétaires (salaires, primes).80(*) Entendue par la délégation aux Entreprises du Sénat, la CPME a indiqué que 66 % des PME ont augmenté les salaires versés au premier trimestre 2023, avec, dans 20 % des cas, une hausse supérieure à 6 %. Le syndicat CFE-CGC estime néanmoins qu'« une vingtaine de branches professionnelles ont des minimas structurellement inférieurs au SMIC » et que « les politiques de revalorisation salariale ont lieu sur une partie de la grille seulement »81(*). 

La hausse des rémunérations ne saurait être une réponse unique ni universelle aux problèmes d'attractivité. D'une part, l'organisation du travail ou l'image des métiers jouent aussi un rôle extrêmement important, que le salaire seul ne suffit pas toujours à contrebalancer. D'autre part, l'insuffisance des rémunérations relève parfois davantage d'un préjugé que de la réalité, certains secteurs d'activité ou métiers souffrant d'une image persistante de « mauvais payeur » qui ne se vérifie plus. Par exemple, les salaires moyens nets de l'industrie ne sont aujourd'hui dépassés que par les salaires moyens des secteurs de l'assurance et de la finance ou de l'information et de la communication.82(*) Enfin, le levier de la revalorisation salariale n'est pas disponible en tout temps pour l'ensemble des entreprises, en particulier pour les plus fragiles d'entre elles.

La réflexion autour de la revalorisation salariale doit donc intervenir au cas par cas, dans le cadre de la négociation collective qui se tient au niveau des branches professionnelles, ou au niveau de chaque entreprise. Comme l'indique le rapport de Philippe Dole, inspecteur général des affaires sociales honoraire, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement : Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles », le secteur de la petite enfance, par exemple, est récemment parvenu à des accords portant sur la revalorisation des salaires dans les branches, dans le cadre d'avenants à la convention collective nationale ; et la branche du transport conduit actuellement de telles négociations83(*).

Les rapporteurs appellent à ne pas sous-estimer le levier important que représente la politique de rémunération au sens large, incluant les avantages sociaux (indemnité transport, prime de crèche, participation, tickets restaurants...) et la protection sociale (prévoyance, complémentaire...).

Plus spécifiquement, les différents dispositifs de partage de la valeur méritent d'être déployés plus largement au sein des entreprises françaises. Ils constituent en effet un levier complémentaire de rémunération pour les salariés, permettant de les associer plus étroitement à la performance mais aussi à la gouvernance de l'entreprise.

Il existe aujourd'hui plusieurs dispositifs de partage de la valeur au sein de l'entreprise :

· L'intéressement, qui permet aux salariés de percevoir une prime qui peut être versée sur un compte d'épargne salariale, et liée aux résultats ou aux performances de l'entreprise. Il est mis en place, de manière facultative, par voie d'accord avec les salariés ou, dans les entreprises de moins de 50 salariés, par décision de l'employeur. Les primes ne peuvent excéder 20 % du total du salaire versé, et font l'objet de plusieurs exonérations fiscales et sociales ;

· La participation, qui permet aux salariés de percevoir une prime correspondant à une part des bénéfices de l'entreprise. Ces primes peuvent être versées sur un compte d'épargne salariale. Sa mise en oeuvre est obligatoire dans les entreprises de 50 salariés ou plus. Les primes font l'objet de plusieurs exonérations fiscales et sociales ;

· La prime de partage de la valeur (PPV), créée en 2022 en remplacement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) introduite en 2018. Il s'agit d'une prime facultative, exonérée d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales ou contributions, pouvant être versée aux salariés et agents percevant moins de 3 SMIC, plafonnée à 3 000 euros sauf exceptions.

Les dispositifs d'intéressement ou de participation répondent à de véritables attentes et sont à la fois gage d'attractivité et de fidélisation : 36 % des Français citent le partage de la valeur parmi les changements prioritaires à opérer au sein des entreprises (19 % le citant comme priorité première)84(*).

LE PARTAGE DE LA VALEUR, UNE ATTENTE FORTE VIS-À-VIS DES ENTREPRISES

Source : Étude de Mazars, « Construire la sortie de crise : quelles sont les attentes
des Français vis-à-vis de l'entreprise ? » juin 2021

Or, ces dispositifs restent insuffisamment développés. Selon les chiffres de la DARES, le nombre de bénéficiaires de dispositifs de participation stagne depuis 2006 autour de 5 millions de personnes, pour un montant total brut de participation distribuée de 7 milliards d'euros environ. Pour l'intéressement, les montants distribués ont cru de 6 à 9 milliards d'euros, le nombre de bénéficiaires s'étant porté de 4 à 5 millions de personnes85(*). Selon l'économiste Sophie Piton entendue par la délégation aux Entreprises, si 19 % des entreprises ont recours au PEE et 8 % au PERCO, seules 11 % ont recours à l'intéressement et 9 % à la participation. Au global, les dispositifs de partage de la valeur représentent aujourd'hui environ 5 % de la rémunération totale du travail et 2,5 % de la valeur ajoutée, avec une contribution stable depuis 200686(*).

Le faible recours est particulièrement marqué dans les entreprises de petite taille ou de taille moyenne. Seules 3 % des entreprises de 10 à 49 salariés et 5,6 % des salariés de ces entreprises de 10 à 49 salariés avaient accès à un dispositif de participation en 2020. 12,1 % de ces mêmes salariés avaient accès à un dispositif d'intéressement. Les taux sont encore inférieurs au sein des entreprises de moins de 10 salariés. Selon la CFE-CGC, « le constat est très clair : la grande majorité des salariés exclus de ces dispositifs sont d'abord les salariés des petites entreprises »87(*).

MONTANTS VERSÉS AU TITRE DE L'ÉPARGNE SALARIALE (EN MILLIONS D'EUROS)

Source : DARES, « Participation, intéressement et épargne salariale », avril 2022

Selon Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la CPME et François Perret, ambassadeur à l'intéressement et à la participation, entendus par la délégation aux Entreprises, ce déploiement moins rapide des dispositifs de partage de la valeur au sein des petites entreprises s'explique par plusieurs facteurs88(*) :

· Des réticences liées à l'aspect collectif du dispositif, par opposition à des dispositifs individuels de rémunération de la performance ;

· Des freins administratifs, la mise en place des dispositifs étant difficile en raison de lourdeurs procédurales, difficiles à piloter et absorber pour des chefs d'entreprise et des équipes déjà très investis dans le quotidien de l'activité des entreprises. La CFE-CGC a également souligné cette complexité et cette rigidité89(*) ;

· Dans certains cas, par une santé financière plus fragile des TPE-PME, par rapport aux plus grandes entreprises ;

· Les besoins d'investissement très conséquents des TPE-PME, en particulier en vue des transitions environnementale, énergétique et numérique, qui nécessitent un important réinvestissement des profits d'activité ;

· Dans certains cas, un défaut de culture financière de la part des chefs d'entreprises et de leurs équipes, qui recourent plus facilement au paramètre des salaires.

Les rapporteurs estiment que l'accompagnement des petites et moyennes entreprises doit être un objectif de premier plan afin de développer le recours aux dispositifs d'intéressement et de participation : elles représentent une grande partie de l'activité et de l'emploi en France. Les branches professionnelles, mais aussi les experts-comptables, les réseaux consulaires, les fédérations, ont un rôle important à jouer pour cela. En particulier, des « accords-types » pourraient être proposés aux petites entreprises, comportant des indicateurs spécifiques aux différents secteurs.

En outre, un effort de simplification des dispositifs doit être mené Les formulaires pourraient être simplifiés et rendus plus accessibles. Les personnes entendues par la délégation ont également appelé à évaluer l'opportunité de faciliter la rectification ou l'évolution des accords d'intéressement, la complexité du processus étant un frein à leur adaptation au cours de la vie de l'entreprise.

La prime de partage de la valeur (auparavant prime exceptionnelle de pouvoir d'achat) connait, elle, une forte dynamique : alors qu'1,7 milliards d'euros avaient été versés en 2019, près de 4,1 milliards d'euros l'ont été au deuxième semestre 2022, selon l'INSEE. À cette date, près de 5 millions de salariés, soit 30 % du total, avaient perçu une prime, d'un montant moyen de 806 euros. Selon les informations communiquées par la CPME, les entreprises plébiscitent ce dispositif, particulièrement simple d'utilisation, ne nécessitant pas la conclusion d'une convention collective (mais pouvant néanmoins y être pleinement intégré, comme l'a fait le secteur de la cokéfaction-raffinage). 42 % des chefs d'entreprises entendaient verser une PPV en 2023, tandis que 24 % pensaient verser une prime d'intéressement ou de participation.90(*)

Les syndicats représentatifs des salariés consultés par les rapporteurs ont insisté sur la nécessité de ne pas substituer les mécanismes de type « prime » aux salaires, qui restent au fondement à la fois du système de retraites et de la fiscalité des entreprises ; et d'éviter la compétition entre PPV et dispositifs d'épargne salariale91(*). S'il est nécessaire de conserver un juste équilibre entre revalorisations salariales, les rapporteurs estiment néanmoins que la PPV peut être un outil d'attractivité et de fidélisation fort, à même d'apporter un complément de revenu immédiatement disponible aux salariés en cas de bonnes performances de l'entreprise.

Elle devrait d'ailleurs être confortée par le projet de loi visant à valider législativement l'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise, conclu le 10 février 2023 par les organisations syndicales et patronales représentatives.

L'ANI de février 2023 a pour objectif de généraliser et de développer les dispositifs de partage de la valeur en entreprise, en particulier au sein des petites entreprises. Parmi ses mesures phares figure l'obligation de mise en oeuvre d'au moins un système de partage de la valeur (intéressement, participation, prime de partage de la valeur) au sein des sociétés de 11 à 50 salariés, avant le 1er janvier 2025. Selon les organisations syndicales, cette extension de l'obligation existante pourrait permettre de faire bénéficier près d'un million supplémentaire de salariés d'un dispositif de partage de la valeur.

Il doit désormais faire l'objet d'une traduction législative pour certaines de ses mesures, et d'une extension réglementaire par voie d'arrêté avant de s'appliquer pleinement. Un projet de loi en ce sens a été présenté par le Gouvernement en Conseil des Ministres le 24 mai 2023 et devrait être examiné par le Parlement avant l'été.

L'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur

Le 10 février 2023, un accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur a été conclu par les organisations syndicales et patronales représentatives après plusieurs mois de négociation, répondant à une lettre de cadrage transmise par le Gouvernement et s'inscrivant dans le prolongement de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

Cet accord prévoit notamment :

 Une obligation de mise en oeuvre d'au moins un système de partage de la valeur (intéressement, participation, prime de partage de la valeur) au sein des sociétés de 11 à 50 salariés, avant le 1er janvier 2025, dès lors que les entreprises réalisent un bénéfice fiscal positif égal à au moins 1 % du chiffre d'affaire pendant 3 ans consécutifs ;

 Une ouverture de négociations avant le 30 juin 2024 dans certaines branches, en vue de mettre en oeuvre un dispositif facultatif de participation (qui pourra, le cas échéant, déroger à la hausse comme à la baisse au cadre légal actuel) dans les entreprises de moins de 50 salariés ;

 Une accélération de la mise en place obligatoire de la participation, en supprimant certaines dispositions en permettant le report et en assouplissant les règles relatives aux seuils de nombre de salariés ;

 Une obligation, pour les entreprises de plus de 50 salariés, de prévoir des modalités spécifiques de partage de la valeur en cas de résultats exceptionnels réalisés en France (sous forme d'un supplément d'intéressement ou d'un nouveau dispositif de partage de la valeur) ;

 Une articulation entre la PPV et des dispositifs d'épargne salariale existants (PEE, PER), en pérennisant cette prime et en lui conservant un régime fiscal et social favorable. L'accord permet aussi l'octroi de deux PPV chaque année ;

 L'ouverture d'une réflexion sur le taux du forfait social (contribution patronale sur le partage de la valeur versé par l'employeur) ;

 La mise en place facultative de plans de partage de la valorisation de l'entreprise permettant, sous forme de bons, de rémunérer les salariés via une prime qui sera fonction de la hausse de valorisation de l'entreprise.

Ayant été signé par des organisations syndicales représentatives de plus de 50 % des suffrages, l'accord doit désormais faire l'objet d'une traduction législative pour certaines de ses mesures : un projet de loi en ce sens a été présenté par le Gouvernement en Conseil des Ministres le 24 mai 2023 et devrait être examiné par le Parlement avant l'été. Une extension réglementaire, par voie d'arrêté, est également attendue avant que l'accord ne s'applique pleinement sur l'ensemble de son champ.

Les rapporteurs estiment qu'il est important que cet accord, conclu grâce à la mobilisation et à l'approche constructive des partenaires sociaux, soit traduit fidèlement dans la loi. Le respect de ces équilibres sera garant du déploiement rapide et efficace des dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises françaises, contribuant à améliorer l'attractivité des plus petites entreprises.

Recommandation n° 6 :

Afin d'encourager à un développement plus large des dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises françaises :

 assurer une traduction fidèle de l'accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux en février 2023 ;

 améliorer l'accompagnement des petites entreprises par les branches professionnelles, les experts-comptables, les réseaux consulaires et les interlocuteurs institutionnels dans le déploiement de dispositifs d'intéressement ou de participation ;

 simplifier les dispositifs d'intéressement et de participation et les procédures administratives présidant à leur mise en oeuvre.

DEUXIÈME PARTIE

POURSUIVRE LA RÉNOVATION
DE LA FORMATION INITIALE ET DE L'ALTERNANCE
POUR ALLIER INSERTION FACILITÉE VERS L'EMPLOI
ET SOCLE DE COMPÉTENCES SOLIDE

I. ADAPTER L'OFFRE DE FORMATION INITIALE ET DE FORMATION PROFESSIONNELLE AUX BESOINS D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN

A. LA FRANCE FAIT FACE À DES BESOINS DE COMPÉTENCES NOUVEAUX SOUS L'IMPULSION DES GRANDES TRANSITIONS

La France fait face à de grandes transitions qui entraîneront, à court terme, une forte mutation des besoins de compétences de l'économie et de la société française.

1. La transition démographique

La transition démographique est un premier défi, alors qu'un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans en 2035, contre un sur cinq en 2005. La « silver economy » engendrera d'importants besoins d'accompagnement de la population vieillissante, mais aussi une forte demande vis-à-vis des secteurs des loisirs ou des équipements domestiques. Selon certaines études, elle pourrait représenter jusqu'à 2,4 % du PIB français à terme.92(*) Les métiers de l'accompagnement et du soin seraient particulièrement dynamiques dans ce contexte, avec 370 000 postes de médecins, infirmiers, aides à domicile et aides-soignants créés d'ici 2030.93(*)

À l'autre bout de la pyramide démographique, la baisse de la fertilité et la réduction des cohortes d'âge - qui touche déjà les établissements scolaires - entraînera dès 2040 une contraction de la population active, avec le départ de 7,4 millions de personnes du marché du travail d'ici 2030. Cela pourrait accentuer encore les difficultés de recrutement de certains secteurs économiques, notamment les services à la personne ou l'industrie. À titre d'exemple, France Stratégie estime que 49 % des ouvriers des industries graphiques et que 37 % des aides à domicile actuellement en poste partiront à la retraite d'ici 2030 : c'est un défi énorme de renouvellement générationnel.

ÉVOLUTION DE LA PART DES PLUS DE 60 ANS DANS LA POPULATION FRANÇAISE

(PROJECTIONS)

Source : INSEE, « Tableaux de l'économie française », Population par âge, 2020

Les entreprises entendues ont aussi souligné l'impact de l'allongement du temps d'études moyen des jeunes Français, qui implique une entrée de plus en plus tardive sur le marché du travail et peut compliquer les dynamiques de renouvellement générationnel au sein de l'entreprise.

VARIATION ANNUELLE DE LA POPULATION ACTIVE

(JUSQU'EN 2021 CHIFFRES CONSTATÉS, À PARTIR DE 2021 PROJECTIONS)

Source : INSEE, « Projections de la population active à l'horizon 2080 », juillet 2022

2. La transition environnementale

La transition environnementale fera appel à de nouvelles énergies, modifiera les modes de production et accélérera l'innovation.

Selon France Stratégie, le respect de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) stimulerait notamment le secteur de la construction, en raison des efforts d'efficacité énergétique des bâtiments (130 000 emplois d'ici 2030), ainsi que les métiers de service aux entreprises, de conseil et de recherche et de développement (50 000 emplois). Dans toute l'économie, de nouveaux métiers émergeront afin de conseiller les entreprises et les particuliers dans le déploiement de solutions plus économes en ressources.

EFFET SUR L'EMPLOI ENTRE 2019 ET 2030 DU
« SCÉNARIO BAS CARBONE » DE FRANCE STRATÉGIE

(PROJECTIONS)

Source : France Stratégie, « Les métiers en 2030 », mars 2022

Comme l'a relevé le CEREQ, entendu par les rapporteurs, certains métiers subiront aussi une forme « d'hybridation des compétences » sous l'effet des grandes transitions. Les métiers du secteur de l'énergie, par exemple, peuvent trouver de nouveaux liens avec la chimie ou l'agriculture (méthanisation, hydrogène), tandis que la prise en compte des normes environnementales nouvelles - qui ont déjà modifié l'activité d'un salarié sur dix - engendre de nouvelles formes de transversalité.94(*)

Des filières se structurent et se développent, par exemple dans les domaines de la dépollution, du traitement de l'eau ou des énergies renouvelables. À l'inverse, certains secteurs industriels intensifs en carbone, tels la chimie, le textile ou la production d'énergie seraient moins dynamiques au regard des mutations attendues, mais ceux-ci font parfois l'objet d'idées reçues : le secteur de la métallurgie par exemple serait dynamique, en raison de la « relocalisation » de certaines productions et d'évolutions technologiques positives.

L'exemple des Tech'académies de FNAC Darty

Le groupe FNAC Darty a créé de sa propre initiative, au cours des dernières années, de nombreux centres de formations, en lien avec le réseau Ducretet.

Entendu par les rapporteurs, le groupe a indiqué que son engagement en faveur de l'économie circulaire et de la réparabilité des produits électroniques et informatiques augmentera de manière drastique ses besoins de compétences. Le groupe proposant notamment un abonnement à la réparation (visant 2 millions d'abonnés) et entendant créer une direction « Seconde vie » dédiée à la réutilisation des produits (visant 2,5 millions de produits réparés en 2025), le groupe a un fort besoin de techniciens formés, dans un contexte de forte tension sur les recrutements. Il vise l'embauche d'au moins 500 techniciens d'ici 2025 (techniciens d'intervention à domicile et techniciens d'atelier de réparation).

L'académie de Formation de FNAC Darty a obtenu la certification Qualiopi en novembre 2022, au titre de la formation continue. L'activité CFA fait l'objet d'une seconde procédure.

La formation proposée s'effectue dans treize villes, en douze mois, en alternance, et permet l'obtention d'un titre de niveau 4 (technicien Service en électroménager connecté). À son issue, un contrat à durée indéterminée est automatiquement proposé à tout académicien ayant validé sa formation. Le groupe indique viser le développement d'autres certifications dans les années à venir (réparateur conseil d'équipements électriques et électroniques, chauffeur livreur véhicules utilitaires légers, technicien services de l'électroménager connecté), et même à développer ses propres certifications, ces procédures étant en cours de validation.

Depuis 2019, 608 participants ont été formés, débouchant sur 282 contrats à durée indéterminée (CDI). Pour la seule année 2023, la formation a enregistré 307 participations. Certains participants étaient des profils très éloignés de l'emploi, orientés notamment par les associations d'aides aux retours à l'emploi, d'inclusion, d'aide aux réfugiés et de réinsertion professionnelle. Des personnes en reconversion ont également été accueillies.

Le groupe a signalé n'avoir reçu aucune aide de l'État dans la création et la mise en place de ces formations. À l'inverse, il finance de nombreuses aides au profit des participants à la formation : frais de déplacement, d'hébergement, de restauration, d'équipement, de matériels pour la formation, et même de participation aux frais de permis de conduire. Au total, le groupe a engagé plusieurs millions d'euros dans ces projets de centres de formation.

Source : Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation

Concernant par exemple les ingénieurs, la DGE a indiqué à la délégation que « dans le cadre du projet de loi industrie verte, nous avons engagé une réflexion globale sur la formation et l'attractivité des métiers industriels. Cette démarche doit notamment nous permettre de répondre à la pénurie d'ingénieurs dans le champ de l'industrie et de l'informatique en augmentant les places de formation, et de mettre en adéquation les formations avec les besoins des entreprises. L'Institut Mines-Télécom et Mines Paris vont ainsi augmenter de 22 % leur nombre de places afin de former davantage d'élèves chaque année »95(*).

Alors que le pays a subi une importante désindustrialisation au cours des trente dernières années, et perdu 2 millions d'emplois industriels sur la même période, il est aussi nécessaire d'interrompre la perte de compétences qui frappe plusieurs secteurs traditionnels, qui retrouvent toute leur pertinence dans la période actuelle. Selon Sandrine Berthet, secrétaire générale du Conseil national de l'industrie (CNI) entendue par les rapporteurs, « les déséquilibres entre les besoins de recrutement et la main d'oeuvre disponible concernent une cinquantaine de métiers de l'industrie. Quinze métiers de l'industrie sont particulièrement menacés à l'horizon 2030 par la pénurie de main d'oeuvre qualifiée et compétente », ces derniers faisant pour certains déjà partie des métiers en tension.96(*) La CFE-CGC a également rappelé aux rapporteurs que : « des filières entières en soudage ou en chaudronnerie ont pu être fermées il y a une quinzaine d'années. À l'heure d'une politique volontariste de réindustrialisation, nous payons le prix de ces compétences perdues »97(*).

3. La transition numérique

La transition numérique, enfin, engendrera une forte demande pour les métiers de l'informatique. Selon France Stratégie, les métiers des activités informatiques et de services d'information bénéficieront ainsi de la création d'environ 160 000 postes d'ici 2030, soit une croissance de 27 % par rapport à 2022. Le métier d'ingénieur de l'information sera le plus dynamique, avec la création de plus de 115 000 postes, c'est-à-dire une hausse d'un quart. Les usages croissants du numérique accroîtront la demande pour des métiers de maintenance, de l'analyse de données, mais aussi dans le secteur de la cybersécurité : comme l'a relevé le rapport d'information de la délégation aux Entreprises intitulé « La cybersécurité des entreprises - Prévenir et guérir : quels remèdes contre les cybervirus ? », présenté en 2021 par MM. Meurant et Cardon, 80 % des entreprises françaises ont déjà connu une cyberattaque mais seule la moitié se disent aujourd'hui confiantes dans leur capacité à y faire face.98(*) Le développement du secteur sera aussi porté par la numérisation des usages, et notamment le développement des plateformes en ligne, dans le secteur de la vente mais aussi pour nombre de démarches quotidiennes.

À l'inverse, la transition numérique et les derniers développements technologiques pourraient réduire la demande pour certains métiers administratifs ou de traitement de la donnée, plus facilement automatisables ou substituables. Une étude de France Stratégie estimait ainsi à environ 15 % le nombre d'emplois pouvant être automatisés (notamment dans les secteurs de la banque et de l'assurance, de la vente ou de l'industrie), tandis que Mme Glenda Quintini, économiste à l'OCDE, le situe plutôt autour de 10 %99(*). Les débats récents autour de « ChatGPT » et d'autres outils similaires utilisant l'intelligence artificielle témoignent de ces mutations importantes.

B. ADAPTER LE SYSTÈME DE FORMATION INITIALE POUR RÉPONDRE AUX TENSIONS ET PRÉPARER L'AVENIR

L'impact attendu de ces grandes mutations de l'économie et des métiers plaide pour une rénovation en profondeur du système de formation initiale français.

D'une part, il convient d'assurer que les formations existantes répondront bien aux nouveaux besoins de compétences, le cas échéant en les adaptant, ou que de nouvelles formations pertinentes soient rapidement créés. D'autre part, en vue d'améliorer l'orientation des parcours vers les métiers les plus porteurs et d'utiliser au mieux les ressources, il convient de poursuivre les efforts de rationalisation de l'offre de formation initiale, en faisant progressivement évoluer celles n'attirant plus ou ne garantissant plus l'insertion professionnelle des jeunes entrant sur le marché du travail.

Or, les auditions des rapporteurs ont mis en évidence plusieurs faiblesses du système de formation initiale français qui ne lui permettent pas, aujourd'hui, de répondre à ces défis.

1. Inverser au plus vite la dégradation croissante de la maîtrise du socle de compétences, notamment scientifiques

Comme l'a signalé un récent rapport de la commission des Finances du Sénat, intitulé « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques » et présenté par M. Gérard Longuet100(*), le niveau moyen des élèves français en mathématiques a drastiquement baissé au cours des dernières décennies.

En trente ans, le niveau des élèves français a ainsi baissé de l'équivalent d'une année d'enseignement en mathématiques, selon les enquêtes menées par le ministère de l'Éducation nationale. La France se situe largement en-deçà de la moyenne de l'OCDE et de celle de l'Union européenne, à 483 points (contre 528 et 527 respectivement), en baisse de 47 points depuis 1995, selon l'étude internationale TIMSS.

Ces enquêtes démontrent, à temps égal, une efficacité relativement moins efficace de l'enseignement des mathématiques en France, qui se répercute ensuite sur l'attrait des jeunes français pour les carrières scientifiques, pourtant essentielles à notre économie. Si 60 % des élèves de troisième et de seconde sont « intéressés » par les métiers scientifiques et techniques, selon l'ONISEP, seulement 17 % d'entre eux envisagent sérieusement de s'orienter vers ces métiers. Les étudiants en sciences fondamentales sont ceux qui se réorientent le plus, selon l'enquête du ministère précité.

La faiblesse de la formation initiale en compétences scientifiques, techniques et mathématiques est donc particulièrement déplorée par les entreprises des secteurs de l'industrie et de l'informatique, confrontés à des évolutions technologiques majeures, telles que le cloud, l'intelligence artificielle, l'apprentissage automatique, mais aussi l'industrie 4.0 et l'innovation dans les procédés de fabrication. Ces secteurs sont aujourd'hui frappés par d'importantes tensions de recrutement, qui ne pourront que s'accroître à l'avenir faute d'un renforcement du socle de compétences scientifiques.

Face à ces constats, le retrait des mathématiques du tronc commun de l'enseignement en classe de première et de terminale, mis en oeuvre en 2019 dans le cadre de la réforme du baccalauréat défendue par le Gouvernement, est d'autant plus incompréhensible. Il a de fait conduit à une baisse de 90 à 59 % du nombre d'élèves suivant un enseignement de mathématiques au lycée, en particulier chez les jeunes femmes, et à une hausse des inégalités dans l'accès à cet enseignement ; alors même que celui-ci reste indispensable pour l'accès à de nombreux diplômes supérieurs101(*).

On ne peut donc que souhaiter que l'annonce du Gouvernement, en novembre 2022 dans le cadre de « l'année de promotion des mathématiques », de la réintroduction des mathématiques au tronc commun en classe de première, soit concrétisée dès la prochaine rentrée scolaire.

Recommandation 7 :

Réintégrer l'enseignement des mathématiques au sein du tronc commun en classe de première de filière générale.

Outre les mathématiques, comme l'a souligné Mme Glenda Quintini, économiste à l'OCDE entendue par la délégation aux Entreprises, 20 % des adultes français présentent aujourd'hui un niveau faible de lecture-écriture ou de calcul. Ces faiblesses prennent racine très tôt, dès la formation initiale, et sont souvent liées au parcours de vie des élèves. Ainsi, les équipes des lycées professionnels visités par les rapporteurs ont souligné qu'une part significative des élèves n'est à l'origine pas francophone, et a de grandes difficultés avec l'écrit alors même qu'ils peuvent être excellents par ailleurs sur les gestes techniques. Cette fragilité au niveau des compétences socles limite le niveau de qualification atteint lors de la formation initiale, mais aussi les opportunités de formation ultérieure ou d'évolution de carrière.

COMPARAISON DES NIVEAUX DE LECTURE/ÉCRITURE ET DE CALCUL DES ADULTES DANS L'OCDE
(EN POURCENTAGE DE LA POPULATION ADULTE EN-DESSOUS DU NIVEAU 1)

Source : OECD « Skills studies » (2018), Glenda Quintini

2. Résoudre les déséquilibres marqués dans l'accès des femmes à certains emplois ou cursus

On constate aussi des déséquilibres marqués dans l'accès des jeunes femmes et des jeunes hommes aux formations initiales.

Alors même que les écarts historiques de taux de scolarisation et de résultats scolaires se sont drastiquement réduits, voire inversés (les jeunes filles réussissant aujourd'hui en moyenne mieux que les jeunes hommes à l'école et obtenant des diplômes correspondant à un plus haut niveau de qualification) ; certains cursus et métiers restent caractérisés par une très faible féminisation.

C'est le cas notamment des formations conduisant vers des métiers considérés comme « manuels » ou « traditionnellement masculins » (manutention, ouvrier de l'industrie, bâtiment) ; à l'inverse de celles menant vers des métiers des carrières sociales ou sanitaires (soin, enseignement, accompagnement...). Ainsi, les filières scientifiques et techniques attirent toujours majoritairement des jeunes hommes, et les filières littéraires ou de santé, des jeunes femmes : le taux de féminisation des écoles d'ingénieurs, par exemple, stagne à un niveau très bas (autour de 33 %)102(*).

TAUX DE FÉMINISATION COMPARATIFS
DES FORMATIONS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Source : INSEE, « Femmes et hommes », l'égalité en question, édition 2022

Il en résulte que sur 86 familles de métiers en France en 2011, seules 10 présentaient un taux de féminisation compris entre 40 et 60 % de femmes, c'est-à-dire un ratio équilibré. Selon une étude, « la ségrégation professionnelle entre femmes et hommes résulte dans une large mesure de choix d'orientation et de filières d'études [...] différenciés lors de la formation initiale. Paradoxalement, bon nombre d'inégalités d'accès au marché du travail se forgent à l'école ».103(*) Dans le secteur industriel, spécifiquement, la féminisation est faible : seules 30 % des personnes travaillant dans l'industrie sont des femmes, et seulement 17 % des ouvriers qualifiés.104(*) L'Université des métiers du nucléaire, entendue par les rapporteurs, a ainsi indiqué porter un effort particulier en faveur de l'attractivité auprès des femmes (le taux de féminisation de la filière est de 24 %).105(*)

Cette persistance d'un clivage entre « métiers masculins » et « métiers féminins » prive les entreprises de la moitié de la population active et de leurs compétences. À l'heure de la pénurie de main d'oeuvre, et d'un point de vue sociétal, c'est un frein immense.

Les rapporteurs formulent ainsi plusieurs propositions pour améliorer la mixité des formations. Cela peut passer par des mesures concrètes, visant par exemple à assurer des places pour les jeunes femmes au sein des internats, certaines personnes entendues ayant alerté sur la difficulté des jeunes femmes à accéder à certains internats et donc à certaines filières de formation. Des sensibilisations spécifiques aux filières scientifiques ou techniques sont déjà menées à destination des jeunes femmes, mais doivent être développées, dès l'école. Sandrine Berthet, coordinatrice du Conseil national de l'Industrie en matière de formation, a par exemple insisté sur l'importance de campagnes telles que « IndustriElles », qui permettent de donner aux jeunes femmes de véritables « role models » pour se projeter dans les métiers peu féminisés.106(*)

Enfin, les enseignants et formateurs doivent être formés de manière plus spécifique aux enjeux de lutte contre les discriminations de sexe et de mixité professionnelle.

Recommandation 8 :

Améliorer la participation des jeunes femmes aux formations marquées par un faible taux de féminisation en :

 intensifiant les efforts en faveur de la mixité des établissements de formation initiale ;

 améliorant la formation des enseignants et des formateurs à l'orientation des jeunes femmes et à la réduction des discriminations éducatives ;

 accentuant la sensibilisation des jeunes femmes aux opportunités offertes par les parcours scientifiques et techniques, dès l'école.

3. Faire aboutir la simplification des procédures d'évolution de l'offre de formation, qui restent trop longues et rigides

La création de nouvelles formations, ou l'évolution des formations existantes, pourtant essentielles pour suivre les mutations de la société et de l'économie, se heurtent à la complexité et la longueur des procédures administratives applicables.

Créer une formation initiale certifiante

La création d'une formation certifiante est soumise à l'inscription de celle-ci au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) ou au Répertoire scientifique (RS) des certifications et des habilitations, gérés par France compétences.

Le RNCP liste l'ensemble des titres ou diplômes attestant d'une qualification professionnelle reconnue par l'État, sur l'ensemble du territoire français, et au niveau européen. L'inscription au RNCP ouvre également droit au bénéfice des fonds de la formation professionnelle, notamment du compte personnel de formation (CPF).

Il classifie les certifications en fonction du secteur d'activité et du niveau de qualification, au nombre de huit et définis selon une grille établie par arrêté (le niveau 1 correspond à l'instruction maternelle, le niveau 3 aux CAP/DNB, le niveau 4 au baccalauréat ou encore le niveau 8 au doctorat).

Chaque certification est composée de blocs de compétences précis et comporte un référentiel d'activité (situations de travail, activités exercées, métiers visés), un référentiel de compétences (connaissances dispensées) et un référentiel d'évaluation.

La procédure d'inscription d'une certification au RNCP ou au RS varie selon le type de certification concerné :

 Les diplômes délivrés par l'État (qui représentent environ la moitié des formations) sont inscrits de droit au RNCP, pour une durée de cinq ans, après avis des commissions professionnelles consultatives (CPC) ministérielles compétentes ;

 Les autres diplômes et certifications sont inscrits à la demande des organismes les ayant créés (branches professionnelles, organismes de formation privés), après avis de France compétences, pour une durée maximale de cinq ans ;

 Les certifications de qualification professionnelle (CQP) sont enregistrées à la demande des organismes les ayant créés, au terme d'une instruction par les services de France compétences puis d'un avis conforme de sa commission chargée de la certification, pour la même durée maximale de cinq ans.

L'article R. 6113-9 du code du travail prévoit que les demandes d'enregistrement au RNCP sont examinées selon plusieurs critères :

1° l'adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle ;

2° l'impact du projet de certification professionnelle en matière d'accès ou de retour à l'emploi ;

3° la qualité des référentiels d'activités, de compétences et d'évaluation ainsi que leur cohérence d'ensemble et l'absence de reproduction littérale de tout ou partie du contenu d'un référentiel existant ;

4° la mise en place de procédures de contrôle de l'ensemble des modalités d'organisation des épreuves d'évaluation ;

5° la prise en compte des contraintes légales et règlementaires liées à l'exercice du métier visé par le projet de certification professionnelle ;

6° la possibilité d'accéder au projet de certification professionnelle par la validation des acquis de l'expérience ;

7° la cohérence des blocs de compétences constitutifs du projet de certification professionnelle et de leurs modalités spécifiques d'évaluation ;

8° le cas échéant, la cohérence : des correspondances totales mises en place entre le projet de certification et des certifications équivalentes ; des correspondances partielles mises en place entre un ou plusieurs blocs de compétences de ce projet et ceux d'autres certifications ou habilitations enregistrées dans le répertoire spécifique ;

9° le cas échéant, les modalités d'association des commissions paritaires nationales de l'emploi de branches professionnelles dans l'élaboration ou la validation des référentiels.

Prévu par la loi « Avenir professionnel », le transfert à France compétences, nouvellement créée, de la gestion du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et de l'instruction des demandes de certification, a conduit à un fort engorgement des procédures administratives. L'enregistrement des certifications devant être renouvelé tous les cinq ans au plus tard, France compétences a fait face à un véritable afflux de dossier lors des premières années suivant le transfert (2 100 dossiers de RNCP en 2021, renouvellement intégral du RS et 1 000 dossiers de RNCP en 2021).

Comme l'a relevé le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat, intitulé « France compétences face à une crise de croissance »107(*) :

« En 2021, le taux d'acceptation des demandes s'est élevé à 41 % pour le RNCP et 18 % pour le RS [...]. [...] les délais d'examen des demandes de certifications apparaissent trop longs pour les acteurs de la formation professionnelle. Certains d'entre eux regrettent aussi que France compétences n'ait pas suffisamment fait part en amont de la procédure et des critères requis pour l'enregistrement d'une certification, afin d'assurer la qualité des demandes et d'éviter de devoir les renouveler après un refus. La conjugaison de ces deux difficultés a abouti, pour certains organismes ou branches, à la péremption de leurs certifications et à leur déréférencement pendant plusieurs mois ».

En dépit de progrès notables, le temps moyen de traitement d'une demande de certification s'établissait toujours à environ 7 mois en 2022.

Cette complexité n'est pas nouvelle. Entendu par les rapporteurs, l'OPCO Entreprises de proximité a par exemple souligné le décalage croissant entre les procédures de certification dites de droit et celles sur demande : les premières doivent suivre un parcours long et lourd (deux sessions test, note d'opportunité, ingénierie de certification, instruction, déploiement, mise en oeuvre, bilan), et fait l'objet d'importantes vérifications par France compétences de la valeur d'usage économique et sociale ou de l'insertion professionnelle ; tandis que les deuxièmes sont bien moins étayées et contrôlées. Or, selon l'OPCO : « à ce jour les certifications de droit font souvent défaut : moins adaptées aux besoins des entreprises et des salariés, avec une obligation d'évolution tous les 5 ans en vigueur depuis deux ans seulement, un fort poids politique des ministères certificateurs dans les commissions qui arbitrent des créations, évolutions et abrogations des certifications de droit, faible ou incomplète prise en compte des branches et fédérations professionnelles... ».108(*)

Faisant le constat de procédures trop complexes d'enregistrement au RNCP, l'article 31 de la loi « Avenir professionnel » avait mis en place une « fast-track » (procédure accélérée d'examen) pour les « métiers et compétences identifiés comme particulièrement en évolution ou en émergence » (II de l'article L. 6113-5 du code du travail), définis annuellement par une liste établie par la commission de la certification professionnelle de France compétences.

Les métiers émergents retenus par France compétences

Selon les éléments transmis par France compétences, ont été retenus :

• Expert en digitalisation et exploitation des bâtiments ;

• Contrôleur technique qualité des installations et équipements des énergies décarbonées ;

• Intervenant médicotechnique à domicile pour les prestataires de santé à domicile ;

• Ouvrier de la construction modulaire hors-site ;

• Responsable de développement industriel en bioproduction ;

• Technicien en bioproduction ;

• Technicien valoriste du réemploi.

• Architecte des systèmes d'information dans les processus industriels ;

• Architecte Internet des objets ;

• Chargé de process numériques de production en plasturgie ;

• Chargé de recyclage en production plasturgie ;

• Diagnostiqueur produits matériaux déchets issus des bâtiments ;

• Ingénieur/Expert en numérisation des systèmes et processus de production ;

• Préparateur en déconstruction ;

• Technicien/Chef de projet en rénovation énergétique ;

• Technicien d'installation et de maintenance de systèmes énergétiques ;

• Technicien en conception d'études et développement électronique ;

• Technicien en électronique ;

• Animateur formateur en technologies agricoles ;

• Paysan-herboriste ;

• Agent valoriste des biens de consommation courante ;

• Animateur e-sport(s).

Les demandes d'inscription d'une certification relative à un de ces métiers sont alors dispensées de deux critères d'enregistrement, en contrepartie d'un enregistrement d'une durée réduite de trois ans avant qu'un renouvellement ne devienne nécessaire :

· Est levée pour le premier enregistrement l'exigence « d'adéquation des emplois occupés par rapport au métier visé par le projet de certification professionnelle » (c'est-à-dire d'insertion effective des personnes formées dans les emplois visés), en se basant sur l'analyse d'au moins deux promotions de titulaires ;

· Est levée l'exigence d'analyse des performances de la certification en matière d'accès ou de retour à l'emploi (c'est-à-dire d'insertion professionnelle des personnes formées), en se basant sur deux promotions et en comparaison avec les formations existantes sur des métiers proches.

L'intention traduite par cette procédure simplifiée - celle de faciliter l'adaptation de l'offre de formation disponible - est tout à fait louable. Mais elle s'est encore peu concrétisée et ne suffira pas, seule, à impulser une vraie dynamique de rénovation des titres et des diplômes.

Ainsi, lors de son déplacement dans le Cher, la délégation aux Entreprises s'est entretenue avec le fondateur d'une école d'informatique, qui a exprimé ses plus grandes difficultés à obtenir la certification de son projet - et ce, alors même qu'elle entendait offrir une formation reconnue et de premier rang en matière de programmation, compétence tendue et extrêmement recherchée sur le marché de l'emploi français comme international. L'ensemble des démarches auront duré, en tout, plusieurs années avant que la formation ne puisse être enregistrée.

La loi ne prévoit l'application de la « fast-track » qu'aux métiers en émergence ou en forte évolution, mais pas, par exemple, aux métiers en tension, pour lesquels il pourrait toutefois être pertinent de créer de nouvelles formations ou de faire évoluer les caractéristiques des diplômes existants, notamment eu égard aux enjeux d'attractivité et d'accessibilité de ces formations. La procédure accélérée d'examen par France compétences pourrait être étendue à ces métiers en tension. De manière générale, les rapporteurs recommandent de mettre en place un délai maximal d'examen, par France compétences, des demandes de création ou d'évolution de titres et diplômes, qui pourrait être fixé à quatre mois.

Les rapporteurs soulignent néanmoins le rôle crucial et difficile confié à France compétences en matière de contrôle de l'offre de certifications. Alors que la loi « Avenir professionnel » a apporté une forme de libéralisation de l'offre de formation initiale, on a pu voir apparaître certaines « écoles » privées d'enseignement supérieur, dont la qualité de la formation peut laisser à désirer, et présentant des taux d'insertion extrêmement faibles.

Afin d'éviter tout abus, pour assurer que les étudiants s'orientent vers des établissements leur dispensant des enseignements sérieux, leur apportant une réelle plus-value en termes de compétences, et leur garantissant des débouchés professionnels, il est nécessaire que France compétences dispose des moyens humains et budgétaires nécessaires à la bonne conduite de ses missions de contrôle.

Recommandation n° 9 :

Pour accélérer et faciliter l'adaptation de l'offre de formation initiale :

 prévoir un délai maximal de quatre mois pour le traitement des demandes d'enregistrement par France compétences, et lui assurer les moyens nécessaires à la bonne exécution de cette mission ;

 étendre aux métiers en tension la liste des métiers et compétences éligibles à la procédure accélérée d'examen.

Si le contenu des formations doit évoluer pour s'adapter aux nouveaux besoins des compétences, la présentation et les intitulés des diplômes et titre doit aussi être rénovée. Il s'agit d'un levier de visibilité et d'attractivité, qui peut permettre de mettre en valeur le sens et les tâches du métier. La ministre Grandjean a ainsi annoncé s'être fixé pour objectif la rénovation d'un quart des formations d'ici 2025, soit près de 150 diplômes en deux ans. Ces efforts devraient notamment porter sur le secteur de la construction (par exemple pour rendre plus visible l'enjeu de la rénovation thermique), du numérique, ou encore de l'aide aux personnes âgées. La DGESCO a par exemple indiqué avoir conduit des travaux précis avec l'UIMM, en vue de rénover les diplômes de Bac Pro et de BTS autour de la maintenance des systèmes et de l'électrotechnique ; ou encore la rénovation de la mention complémentaire « Systèmes numériques aux organisations », lancée en 2022, qui fait place à la cybersécurité parallèlement à la rénovation du BTS correspondant109(*).

Dans le même ordre d'idée, il peut être intéressant de travailler à la lisibilité croisée des diplôme et titres, par exemple en mettant en avant la transversalité de certaines compétences. Par exemple, certains diplômes relevant d'une même famille de métiers peuvent être rassemblés en un diplôme unique, auquel s'adossent plusieurs options ou colorations spécifiques, réflexion qu'a déjà engagée la DGESCO. Cette dernière a souligné que : « les compétences transversales sont essentielles à l'insertion professionnelle et sont très demandées par les employeurs » 110(*). Dans le même ordre d'idées, France compétences a indiqué être favorable à développer des certifications de qualification professionnels inter-branches, ceux-ci « contribuant à mieux réguler l'offre [de certifications], offrant une meilleure lisibilité et facilitant les parcours professionnels et les mobilités d'une branche à l'autre »111(*).

Les rapporteurs appellent à veiller à associer les branches professionnelles à ces travaux de rénovation des titres et diplômes, afin de s'assurer qu'ils correspondent au plus près aux besoins des entreprises.

4. Garantir un maillage adapté de l'offre de formation initiale

Les rapporteurs ont également été alertés sur la nécessité de veiller à conserver - ou à recréer - un maillage adapté de l'offre de formation initiale, qu'il s'agisse du maillage sectoriel ou du maillage géographique.

Lors de leur déplacement dans le Cher, a par exemple été évoqué l'enjeu de veiller à maintenir une offre de formation initiale pertinente au sein des zones rurales. Les fermetures de classes ou de formations au profit de celles se développant dans les centres urbains et grandes villes entraînent plusieurs effets délétères :

· une réduction de l'attractivité des formations en raison des temps de trajets accrus (voire l'impossibilité de se déplacer en voiture ou transport en commun pour les plus jeunes) et des difficultés à se loger dans les centres urbains en raison du coût de la vie ;

· un effet d'entraînement des jeunes vers les zones urbaines, qui contribue à une forme d'exode rural, ceux-ci revenant ensuite rarement dans leur bassin d'origine ;

· à l'inverse, pour les élèves les plus ancrés, une perte réelle d'opportunité lorsque ceux-ci ne peuvent ou ne souhaitent poursuivre leur formation dans une autre ville. Ils peuvent alors être contraints à choisir une voie ou une certification ne leur convenant pas, ce qui complique leur insertion et peut conduire jusqu'au décrochage.

Développer l'offre de formation dans les quartiers prioritaires de la ville doit aussi être une priorité, afin d'améliorer l'insertion des jeunes en étant issus.

Selon les éléments transmis par la DGESCO aux rapporteurs, le travail de transformation de l'offre de formation initiale a commencé : « depuis plusieurs années, un travail est mené sur les filières peu insérantes. La transformation de cartes a été initiée en 2018 à l'échelle de l'État pour la filière du tertiaire administratif », avec un resserrement de l'offre à hauteur de 25 % en 5 ans.112(*)

Alors que le Président de la République et la ministre de la Formation et de l'Enseignement professionnels, Carole Grandjean, ont annoncé une refonte à venir de la carte des formations professionnelles - la ministre ayant par exemple annoncé 146 fermetures et 212 ouvertures de formation à la rentrée 2023 - les rapporteurs appellent à la plus grande vigilance sur ces équilibres territoriaux délicats.

D'autre part, cette refonte devra tenir compte de l'évolution des besoins et des caractéristiques des différentes formations. Certaines formations sont aujourd'hui très peu insérantes, orientant vers des domaines d'activités où de nombreux candidats existent pour peu de postes. Afin d'éviter de conduire les jeunes vers des parcours professionnels difficiles, il convient de réfléchir sans tabou à la rationalisation de l'offre de certaines formations au vu des besoins. L'information transparente, lors de l'orientation, sur les débouchés et l'insertion des différents diplômes et établissements, participera de cette évolution, mais la réduction progressive des cohortes de certaines formations ne doit effectivement pas être écartée.

Pour les métiers d'avenir ou en tension, à l'inverse, un travail spécifique doit être fait pour assurer que des formations spécifiques, adaptées aux besoins des entreprises, existent bien sur l'ensemble du territoire. Ainsi, dans le rapport de la commission des affaires économiques du Sénat intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »113(*), l'UIMM estimait que certains territoires se trouvent aujourd'hui en France « à la limite de la désertification de l'offre ». Elle citait l'existence de deux établissements seulement offrant, en Bretagne, un Bac Pro et un BTS Outillage. De même, le métier de soudeur, pourtant identifié depuis plusieurs années comme particulièrement tendu, ne peut aujourd'hui plus compter que sur de très rares formations en France ; ainsi que les formations du secteur de l'électronique. Entendue par les rapporteurs, la filière du nucléaire faisait aussi le constat d'une offre insuffisante dans certaines régions, à rebours du besoin de proximité indispensable au regard du peu de mobilité géographique des élèves114(*).

Recommandation n° 10 :

Dans le cadre de la refonte annoncée de la carte des formations et de l'octroi des aides publiques à la restructuration de l'offre de formation, veiller à garantir un maillage territorial et sectoriel adéquat, correspondant aux besoins des bassins d'emplois et des entreprises.

Des efforts ont été entrepris pour donner l'impulsion nécessaire à cette restructuration. Via les EDEC des filières industrielles, les comités stratégiques de filière, ou encore France stratégie, des études de cartographie des formations et des besoins en métiers ont été financées et menées à bien.

Le plan France Relance avait identifié plusieurs secteurs à forts enjeux en termes de création et d'adaptation de formation. Parmi ceux-ci, le secteur du nucléaire a bénéficié de fonds à hauteur de 34,7 millions d'euros (appel à projet « Renforcement des compétences de la filière nucléaire »), ayant par exemple permis de créer six écoles de soudage dans quatre régions différentes, et de créer un titre professionnel. L'Université des métiers du nucléaire indique que « des efforts similaires doivent être réalisés sur d'autres métiers en tension tels que les tuyauteurs, les chaudronniers et les END CND, pour lesquels il y a encore à créer des formations »115(*).

Dans le cadre du plan « France 2030 », a été créé un appel à manifestation d'intérêt (AMI) « Compétences et métiers d'avenir », doté de 2,5 milliards d'euros pour une durée de cinq ans. Il est consacré à la création ou l'adaptation de l'offre de formation en réponse aux besoins d'avenir, et doit permettre de financer des actions de diagnostic des besoins de compétences, ainsi que des projets concrets de création de formations. 136 premiers projets ont été financés depuis la fin de l'année 2021, pour un montant total d'environ 480 millions d'euros. Parmi les domaines concernés figurent notamment la ville durable et le bâtiment innovant, l'alimentation, l'agriculture durable, la cybersécurité ou encore les batteries électriques116(*). L'AMI « Compétences et métiers d'avenir » finance notamment les Campus des métiers et des qualifications.

Après une troisième vague en mars 2023 (avec environ 40 projets retenus), un deuxième volet a été annoncé par le Gouvernement le 1er juin dernier, avec pour objectif de simplifier les procédures et de cibler plus particulièrement certains défis d'avenir (science, technologie, ingénierie et mathématiques ; transition écologique)117(*).

Si l'évolution du système de formation initiale portée par les acteurs publics et privés de la formation n'est pas assez rapide ou efficace, une partie croissante de la charge de l'adaptation de la formation initiale risque de peser sur les entreprises françaises. Or, si celles-ci ont évidemment pour mission et obligation de contribuer à la formation de leurs salariés, elles ne pourraient se substituer à l'enseignement secondaire ou supérieur, ni se voir transférer la charge financière qui incombe à l'État en matière de formation initiale.

La simplification de l'ouverture de centres de formation d'apprentis (CFA), apportée par la loi « Avenir professionnel », est regardée très positivement par les branches professionnelles et les entreprises. Elle doit néanmoins s'accompagner d'un dynamisme et d'un renouveau similaire de l'offre au sein des autres voies de formation, notamment des lycées professionnels.

De fait, on constate que les CFA ont conduit d'importants efforts pour intégrer à leurs formations et enseignements de nouvelles compétences (en matière de numérique ou de transition environnementale notamment). Les branches professionnelles ont rapidement su adapter le nombre et la répartition géographique des CFA pour répondre à la forte hausse du nombre d'apprentis en France depuis 2018.

Depuis 2018, de nombreuses entreprises ont aussi saisi les opportunités nouvelles offertes par la loi pour ouvrir des CFA d'entreprises, axés spécifiquement sur leurs besoins et leurs métiers. De fait, la tendance à la création de « campus d'entreprise » ou d'« écoles d'entreprise » est notable. Ces derniers répondent indéniablement à la demande des entreprises, mais ne doivent pas fragiliser par ailleurs le maillage existant des CFA de branche ou contribuer à fragiliser l'enseignement en lycée professionnel. L'effort mené par les entreprises et les branches doit être répliqué par les établissements de formation initiale dépendant de l'État et soutenu par une simplification des procédures d'évolution de l'offre de formations, comme évoqué plus haut.

Les actions de la Fondation Innovations pour les apprentissages (FIPA)

La délégation s'est entretenue avec la Fondation Innovations pour les apprentissages, fondation interentreprises qui rassemble depuis 2018 de nombreuses grandes entreprises françaises engagées en faveur de l'apprentissage et visant à développer des initiatives innovantes en sa faveur. Présidée par Jean-Bernard Lévy, elle compte notamment parmi ses fondateurs Engie, Leroy Merlin, Lactalis, Saint-Gobain, la SNCF, La Poste ou encore Orange.

Ont par exemple été financés au cours des dernières années les initiatives suivantes :

 Valeurs et apprentissages : Mener une analyse concertée pour faire évoluer certains niveaux et modalités de financement de l'apprentissage.

 LNDLG : Proposer à des alternants, le temps d'une nuit, un hackathon pour leur permettre de développer des valeurs entrepreneuriales.

 Altern'up : encourager la création d'entreprises par des alternants

 PRO-pulseur : accompagner individuellement vers un emploi, des jeunes éloignés de toute activité (NEET), grâce à un dispositif d'inclusion disruptif

 Parcours d'Alternance Partagée : organiser une formation alternée qui débute dans une grande entreprise et se termine au sein d'une PME ;

 L'alternance numérique : construire, pour des salariés, une formation interentreprises en alternance répondant aux besoins impulsés par la « transition numérique ». (analyste cybersécurité et data analyst) ;

 Apprentis sans frontières : concevoir et déployer auprès des parties prenantes, le guide de l'Alternant en Mobilité Internationale ;

 Hub de l'alternance : concevoir une structure digitale regroupant des plateformes numériques dédiées à l'alternance ;

 Parcours Accompagné vers l'Emploi : apporter un accompagnement individualisé à des alternants sortants ;

 Observatoire régional des formations en alternance : analyser l'offre et les modes de financement de l'apprentissage sur un territoire régional.

La FIPA organise et finance aussi le programme « Ingénieuses », qui permet à des jeunes femmes en formation en alternance BTS Technique de séjourner à New York durant un mois et y suivre une formation spécifique, visant à les orienter vers une formation ultérieure d'ingénieure. 13 entreprises y ont pour l'instant participé, permettant à 32 jeunes femmes de participer au programme.

Source : Réponses de la FIPA au questionnaire de la délégation

À ce titre, l'État pourrait mettre en place un interlocuteur unique, au niveau de l'administration centrale, chargé d'assister les entreprises et de répondre à leurs questions dans le cadre de la création de CFA d'entreprise. Dans le cadre de leurs auditions, les rapporteurs ont plusieurs fois été alertés sur le défaut d'accompagnement par l'administration, alors même que l'enjeu d'articulation entre les initiatives des entreprises et les filières de formation existantes - y compris relevant des lycées professionnels - est majeur.

II. DEUX DÉFIS À COURT-TERME : PÉRENNISER LE SUCCÈS DE L'APPRENTISSAGE ET REVALORISER LE LYCÉE PROFESSIONNEL

Au-delà des tendances de fond et des obstacles structurels à l'adaptation de l'offre de formation initiale évoqués plus haut, la France fait face à deux défis à court-terme.

D'une part, comment soutenir la dynamique réelle en faveur de l'apprentissage, alors que son modèle de financement n'est aujourd'hui pas pérenne ? L'apprentissage a en effet fait ses preuves tant auprès des entreprises qui y recourent et le plébiscitent, qu'auprès des jeunes comme vecteur de transmission des compétences et d'insertion professionnelle.

D'autre part, comment revaloriser le rôle et l'image du lycée professionnel, encore trop peu attractif pour les élèves vis-à-vis des voies générales ou techniques, et dont les entreprises doutent de la capacité à répondre à leurs besoins de compétences ?

A. LA RÉNOVATION DE L'APPRENTISSAGE EST UN SUCCÈS, MAIS SON AVENIR DOIT ÊTRE ASSURÉ

1. L'apprentissage depuis 2018, un succès dans les chiffres et dans les têtes...

Parmi les objectifs majeurs de la loi « Avenir professionnel » figurait l'ambition de réformer en profondeur le modèle français de l'apprentissage.

S'appuyant sur le constat des bonnes performances de l'apprentissage en termes d'insertion professionnelle, la loi visait à simplifier sa mise en oeuvre pour le rendre plus attractif tant pour les élèves que pour les entreprises et à rénover son mode de financement.

En cela, elle avait largement repris les propositions portées par la délégation aux Entreprises et formulées dans la proposition de loi visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite, présentée par Élizabeth Lamure et Michel Forissier, qui préconisait notamment de développer la co-construction des diplômes entre État et branches professionnelles ; de permettre la libre création de centre de formations d'apprentis par des personnes privées ; ou encore de dispenser des classes de préparation à l'apprentissage en 4e et en 3e118(*).

Quatre mesures majeures ont ainsi été adoptées dans le cadre de la loi « Avenir professionnel », puis mises en oeuvre progressivement entre 2018 et 2020 :

· l'élargissement du public cible et l'ajout de souplesses procédurales, avec un assouplissement des conditions applicables : possibilité d'entrer en apprentissage de 16 à 29 ans (contre 25 auparavant) et tout au long de l'année, durée minimale réduite par deux (d'un an à six mois) et durée totale variable selon le niveau de l'apprenti ; dépôt du contrat auprès de l'opérateur de compétences (OPCO, nouvellement créés) ;

· la libéralisation de l'offre de formation, en permettant à l'implantation de centres de formations d'apprentis (CFA) de se faire librement, sans autorisation spécifique des Régions, dès lors qu'ils obtiennent une certification qualité et qu'ils respectent un certain nombre de règles de base ;

· un financement des contrats d'apprentissage selon un « niveau de prise en charge » (NPEC) : ce sont les OPCO qui perçoivent le produit des contributions dues par les entreprises, puis financent chaque contrat en fonction du NPEC déterminé par les branches professionnelles mais sous le contrôle de France compétences ;

· enfin, une plus grande lisibilité des aides à l'apprentissage : l'ensemble des aides versées par les Régions, l'aide à l'emploi d'apprentis handicapés, et le crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage ont été regroupées sous forme d'une « aide unique », réservée aux entreprises de moins de 250 salariés et aux apprentis préparant des formations de niveau infra-Bac.

La loi « Avenir professionnel » a indubitablement conduit à un essor de l'apprentissage en France. D'environ 450 000 entre 2012 et 2018, le nombre d'apprentis s'établissait fin 2022 à 980 000, soit plus du double en cinq ans. Environ 1500 CFA ont été créés depuis 2018 pour les accueillir et les former, soit 55 % du total des centres existant à la date de rédaction du rapport.

Constatée dans toutes les régions, la hausse du nombre d'apprentis a également touché tous les secteurs. Elle a aussi contribué à développer l'apprentissage dans des secteurs qui y avaient traditionnellement moins recours, tels les secteurs du tertiaire.

Si le nombre d'apprentis a augmenté pour l'ensemble des niveaux de qualifications, la hausse a toutefois été plus faible dans les formations de niveau baccalauréat ou inférieur. Certains estiment qu'il s'agit là d'un échec de la réforme, alors que beaucoup de métiers en forte tension relèvent de qualifications de niveau baccalauréat ou inférieur, et que les difficultés d'accès à l'emploi sont dans le même temps souvent concentrées autour de ces niveaux de qualification.

NOMBRE DE CONTRATS D'APPRENTISSAGE EN FRANCE ENTRE 2012 ET 2022

Source : Données de la DARES, « Le contrat d'apprentissage », 3 mars 2023

RÉPARTITION DES CONTRATS D'APPRENTISSAGE PAR NIVEAU DE DIPLÔME PRÉPARÉ
(2012-2021)

Source : Données de la DARES, « Le contrat d'apprentissage », 3 mars 2023

Par exemple, l'économiste Pierre Cahuc exprimait récemment dans les Échos que : « il s'agit d'une véritable aubaine pour les établissements d'enseignement supérieur, dont les coûts de formation sont pris en charge par l'État s'ils créent des CFA », tandis que « l'apprentissage améliore les perspectives d'emploi pour les jeunes peu qualifiés, jusqu'au niveau du bac professionnel, mais n'a pas d'impact significatif au-delà ».119(*)

Selon le METI, « l'apprentissage n'est pas exempté des problématiques d'accès aux compétences recherchées. Cela concerne notamment les niveaux de qualification pré-bac : les ETI, surtout industrielles, témoignent d'importantes difficultés à pourvoir leurs postes d'alternants à ce niveau de qualification »120(*). L'U2P a alerté les rapporteurs sur le fait que « l'effort doit porter sur les niveaux infra-Bac ».121(*) Les syndicats représentatifs des salariés entendus par les rapporteurs ont dans l'ensemble partagé cette appréciation, la CFE-CGC rappelant notamment qu'« il y a dix ans, 75 % des apprentis préparaient un diplôme équivalent au baccalauréat ou inférieur, contre moins de 40 % aujourd'hui ». Cette dernière recommande notamment de faire porter un effort particulier sur l'apprentissage au niveau BTS, démontrant de meilleurs taux d'insertion et de maintien en emploi122(*).

Les rapporteurs estiment nécessaire de poursuivre les efforts de promotion et de développement de l'apprentissage au niveaux de qualification inférieurs au baccalauréat, à la fois en sensibilisant les jeunes à cette voie de formation efficace, et en encourageant les entreprises à accueillir des apprentis. Le développement de l'apprentissage au sein des lycées professionnels, en dépit des difficultés organisationnelles qu'il peut entraîner, sera un levier important pour toucher un public plus large.

Recommandation n° 11 :

Poursuivre les efforts en faveur du développement de l'apprentissage dans le cadre des formations de niveau baccalauréat ou inférieur, notamment en facilitant les passerelles entre apprentissage et enseignement professionnel.

Il n'en reste pas moins que la popularité de l'apprentissage dans le supérieur (y compris dans les grandes écoles), a certainement contribué à revaloriser son image auprès des jeunes Français. La crise sanitaire et les chocs économiques liés au Covid-19 n'ont eu, d'ailleurs, aucune influence notable sur la dynamique favorable de l'apprentissage, puisqu'aucun « creux » de vague ni d'inversion n'a été constaté : la tendance semble bien s'inscrire dans la durée.

2. ... mais dont le modèle de financement n'est pas pérenne

Le succès de l'apprentissage repose toutefois, à l'heure actuelle, sur un modèle de financement fragile, peu compatible avec une augmentation durable du nombre d'apprentis.

L'apprentissage devait initialement bénéficier de trois sources principales de financement :

· L'aide unique, aide ciblée versée par l'État aux employeurs d'apprentis, pour un montant total d'environ 214 millions d'euros en 2021. Il s'agit d'une aide d'un montant maximal de 6 000 euros, octroyée la première année du contrat, pour les contrats d'apprentissage au sein des entreprises de moins de 250 salariés et préparant un diplôme ou titre professionnel de niveau baccalauréat ou moins  ;

· Le financement des contrats d'apprentissage, reversé par France compétences aux OPCO. Ce financement se répartit en deux enveloppes : une enveloppe d'attribution initiale, et une enveloppe complémentaire de péréquation interbranches. Il représentait environ 5,9 milliards d'euros en 2021 ;

· Une enveloppe complémentaire, reversée par France compétences aux Régions, afin que celles-ci apportent un investissement complémentaire dans les centres de formation d'apprentis lorsque les besoins d'aménagement du territoire et de développement économique le justifient. Son montant était de 310 millions d'euros en 2021.

Dès 2020 toutefois, de nouvelles aides ont été mobilisées afin d'éviter que les contrats d'apprentissage ne pâtissent de la crise liée au Covid-19. Une aide exceptionnelle a donc été mise en place, financée par l'État, au champ d'application plus étendu que l'aide unique. En 2023, sa reconduction a été annoncée.

De plus, face à la forte hausse du nombre d'apprentis constatée dès les premières années de mise en oeuvre de la réforme, les ressources de France compétences se sont rapidement avérées trop réduites pour répondre à l'ensemble des besoins de financement au titre du coût-contrat. En 2022, les seuls besoins de financement de l'apprentissage par France compétences étaient estimés entre 8 et 10 milliards d'euros. Les recettes totales de France compétences n'étaient dans le même temps que de 9,6 milliards d'euros, devant pourtant couvrir également le financement du CPF (2,6 milliards d'euros), la formation des demandeurs d'emploi (1,7 milliard d'euros) et d'autres postes de montant plus réduit.

En conséquence, France compétences s'est retrouvée contraint à recourir plusieurs fois à l'emprunt, ainsi qu'à des abondements issus du budget général de l'État. Depuis 2020, le montant de ces « rallonges » a dépassé les 14 milliards d'euros.

Comme l'avait déjà signalé en 2022 le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat intitulé « France compétences face à une crise de croissance », « l'équilibre financier est l'impensé absolu de la loi de 2018 ». Il est en effet d'autant plus difficile de maîtriser la hausse des dépenses publiques relatives à l'apprentissage que les trois principales dépenses en sa faveur répondent toutes à une logique de « guichet » (tout contrat d'apprentissage éligible en bénéficie automatiquement), par nature imprévisible.

FINANCEMENTS SUPPLÉMENTAIRES À FRANCE COMPÉTENCES DEPUIS 2020
(EN MILLIARDS)

Source : Délégation aux Entreprises du Sénat

3. Les entreprises attendent une sécurisation du financement de l'apprentissage et une meilleure prévisibilité

L'absence de visibilité à moyen-terme sur le modèle de financement de l'apprentissage fait peser de réels risques sur la dynamique favorable enregistrée depuis 2018.

En effet, on peut craindre que pour maîtriser la croissance de la dépense publique en faveur de l'apprentissage, l'État ne cède à des tentations délétères :

· Premièrement, la suppression de l'aide exceptionnelle, en vue de dégager des moyens budgétaires additionnels. Cette aide s'est avérée essentielle pour éviter la chute du nombre d'apprentis durant la crise liée au Covid-19. Mais les représentants des entreprises entendus par les rapporteurs ont aussi rappelé qu'elle joue un rôle de « déclencheur psychologique » très important, qui convainc de nombreuses entreprises de « sauter le pas » pour embaucher un apprenti. Sa suppression serait un très mauvais signal, en particulier dans un contexte économique toujours tendu. À cet égard, la promesse du Gouvernement de prolonger jusqu'à la fin du quinquennat de l'aide exceptionnelle doit être tenue. De même, son périmètre actuel, qui permet d'englober notamment les ETI, doit être stabilisé. Selon l'U2P, entendu par les rapporteurs, l'État doit « prendre sa part du financement de l'apprentissage, qui ne peut reposer sur les seules contributions des entreprises [...] car il s'agit d'un cursus de formation initiale »123(*) ;

· Deuxièmement, le renvoi systématique à la contraction de dettes par France compétences. Les opérateurs de compétences ont alerté la mission sur une situation qui devient désormais difficilement tenable : au vu des nombreux crédits contractés au cours des dernières années et de l'incapacité de France compétences à tenir un budget équilibré, les banques sont de plus en plus réticentes à lui accorder des prêts. La charge de la dette pourrait bientôt atteindre 16 millions d'euros par an. Il faut briser ce cercle vicieux et assurer à l'établissement un fonctionnement plus sain et prévisible ;

· Troisièmement, la hausse de la contribution des entreprises à l'apprentissage. Il n'est pas souhaitable de modifier à nouveau l'état du droit, moins de cinq ans après la réforme de la taxe d'apprentissage par la loi « Avenir professionnel ». Les augmenter, alors que les entreprises françaises souffrent déjà d'un poids de la fiscalité plus élevé qu'ailleurs en Europe, serait un mauvais signal pour l'attractivité et la compétitivité, surtout en période d'inflation et de fragilité économique. Mais de manière plus générale, les entreprises, par l'apprentissage, jouent un rôle fondamental dans la formation initiale des jeunes Français. Elles ne sauraient porter seules le financement de l'apprentissage, qui sert des missions d'intérêt général.

À ce titre, les rapporteurs soulignent que plusieurs secteurs d'activités, catégories d'employeurs ou zones géographiques bénéficient d'exonérations ou de réductions de taux de taxe d'apprentissage, alors même qu'ils accueillent des apprentis. Comme la commission des affaires sociales du Sénat l'avait déjà relevé dans son rapport relatif à France compétences, il conviendrait, à terme, d'éteindre ces spécificités dans objectif de plus grande équité fiscale entre employeurs d'apprentis.124(*) Cette nécessité a notamment été rappelée par l'U2P125(*).

· Quatrièmement, le rattrapage sur les autres financements transitant par France compétences et intervenant en appui des branches professionnelles. Les OPCO ont alerté les rapporteurs sur les incertitudes qui entourent leurs budgets annuels, France compétences le percevant comme une « variable d'ajustement » et le révisant chaque année en fonction des contraintes budgétaires. Or, les financements en faveur des entreprises transitant par France compétences ne peuvent être vus comme des vases communicants : il est nécessaire de sanctuariser les montants versés aux OPCO et dédiés, par exemple, à l'appui aux PME dans la gestion de leurs compétences ou aux actions en faveur de l'attractivité des métiers, car ces missions sont essentielles ;

· Cinquièment, enfin, le pilotage par la baisse déraisonnée des niveaux de prise en charge du coût-contrat. Alors que les NPEC ont déjà connu une révision depuis leur première fixation, et qu'une seconde révision est annoncée pour septembre 2023, il convient de prendre garde à ne pas réduire la prise en charge des contrats à des niveaux insoutenables à seules fins de pilotage budgétaire global. Certes, il est important d'assurer la cohérence et la pertinence des financements des contrats. Mais plusieurs CFA rencontrés par les rapporteurs ont exprimé de fortes inquiétudes quant à la méthode de fixation de ces NPEC et à une trajectoire toujours baissière.

Le contexte d'inflation et les forts besoins d'investissement dans les CFA pour les adapter aux enjeux d'aujourd'hui appellent à un travail plus nuancé, afin de garantir la pérennité et la qualité de la formation par apprentissage. Par exemple, les chambres de métiers et de l'artisanat ont indiqué aux rapporteurs que : « l'application d'une démarche paramétrique indifférenciée ne peut permettre en effet de prendre en compte la spécificité et l'impact des formations. [...] France compétences doit construire une nouvelle manière d'aborder la prise en charge des contrats d'apprentissage [...] et se concentrer sur le renouvellement de la méthode ».

En particulier, elles appellent à prendre en compte différents facteurs comme le niveau de la formation, l'organisation pédagogique, l'implantation du CFA, les difficultés de recrutement du secteur ou encore les effectifs accueillis, mais aussi les réalités locales (comme l'accessibilité du centre).126(*) Les syndicats représentatifs des salariés ont aussi insisté sur l'enjeu de ne pas affaiblir le modèle économique des petits CFA moins rentables, en particulier dans la ruralité, par une baisse inconsidérée des NPEC127(*).

Les annonces récentes du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire, lors des Assises du Travail, impliquant une baisse des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, sont donc source d'inquiétude pour la capacité des CFA à soutenir la forte dynamique de l'apprentissage.

Recommandation n° 12 :

Préserver et stabiliser le financement de l'apprentissage en :

 pérennisant l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis pour soutenir la dynamique de croissance de l'apprentissage ;

 provisionnant, dans les projets de loi de finances annuels, une dotation budgétaire au bénéfice de France compétences, pour anticiper plus sincèrement les besoins de financement liés à la dynamique de l'apprentissage ;

 faisant évoluer la méthode de fixation des NPEC pour mieux prendre en compte les particularités des branches professionnelles, les besoins d'investissement des centres de formation, et garantir des niveaux de prise en charge soutenables.

De plus, le Gouvernement n'a pas, à la date de rédaction du présent rapport, pris le décret prévu par la loi « Avenir professionnel » (article 39), qui doit permettre de moduler le NPEC à la baisse lorsque l'établissement de formation bénéficie d'autres sources de financement public. En particulier, les lycées professionnels ou les établissements publics de l'enseignement supérieur, déjà financés sur le budget général de l'État, bénéficient d'un NPEC plein. Si la loi avait prévu, à l'initiative du Sénat, la possibilité de moduler ces financements, on peut s'interroger sur l'absence d'application de cette mesure qui pourrait pourtant être source d'économies pour le modèle de financement de l'apprentissage, en particulier au vu de la dynamique de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur. Selon l'U2P par exemple, le fait que cet abattement n'ait jamais été mis en place est une « anomalie »128(*).

B. REVALORISER LA VOIE PROFESSIONNELLE POUR ALLIER INSERTION FACILITÉE ET SOCLE SOLIDE DE COMPÉTENCES

1. Le lycée professionnel est perçu comme insuffisamment attirant, insérant et professionnalisant

Le nombre d'élèves qui suivent des formations professionnelles au sein de lycées professionnels en France est en diminution continue, s'établissant aujourd'hui autour de 620 000 élèves contre 807 000 en 1980. Un collégien sur trois s'oriente aujourd'hui vers une formation professionnelle, dont environ 20 % en Bac Pro et 10 % en CAP.129(*) Près de 2 090 établissements accueillent des lycéens suivant des formations professionnelles, se répartissant entre lycées professionnels et lycées polyvalents. Le pourcentage d'élèves scolarisés en lycée professionnel est de 38 % en France, contre 49 % en moyenne dans l'Union européenne et jusqu'à 68 % en Autriche, en Finlande ou aux Pays-Bas130(*).

De l'avis de la plupart des personnes auditionnées, le lycée professionnel souffre aujourd'hui d'une image détériorée auprès des jeunes et des employeurs. Il est perçu comme insuffisamment accueillant, insérant et professionnalisant, a fortiori en comparaison avec la voie de l'apprentissage, qui s'est fortement développé ces dernières années.

PERCEPTION PAR LES ENTREPRISES DE L'ADÉQUATION À LEURS BESOINS
DE LA FORMATION DISPENSÉE EN LYCÉE PROFESSIONNEL

Source : Sondage OpinionWay pour CCI France, La Tribune, LCI, juin 2023

Selon un sondage récent de CCI France auprès d'un millier d'entreprises, 34 % des chefs d'entreprises estiment que les jeunes issus de lycée professionnel ne sont pas suffisamment formés ou pas du tout formés aux besoins concrets de l'entreprise à leur sortie du lycée professionnel. Ces taux sont particulièrement élevés dans l'industrie et dans la construction.131(*)

De fait, les taux d'insertion à la sortie du lycée professionnel sont peu élevés. Ils sont particulièrement bas pour les pour les diplômes de niveau inférieur : ainsi, en 2020, 47 % des diplômés de CAP n'avaient pas trouvé d'emploi au cours des deux années suivant la fin de leur formation, contre 18 % des diplômés de BTS132(*). 34 % des diplômés de BTS étaient en emploi stable durant les deux premières années suivant leurs études, mais seulement 13 % des diplômés de CAP.

TAUX D'INSERTION DES ÉLÈVES DIPLÔMÉS DE LYCÉES PROFESSIONNELS PAR FILIÈRE EN 2021

Source : DEPP, « Repères et références statistiques Enseignements, Formation, Recherche 2021 »

Pis, 61 % du décrochage des jeunes en France intervient au sein des lycées professionnels.133(*) Jusqu'au tiers des élèves de lycée professionnel ne terminent pas leur formation et interrompent leurs études sans obtenir de diplôme ni titre. Dans un système éducatif français qui reste fortement déterminé par le diplôme134(*), il s'agit d'un désavantage majeur sur le marché de l'emploi et pour les parcours de vie. Alors qu'en 2023, 13 % des jeunes en France ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (« NEET »), la prévention du décrochage et de l'éloignement du marché de l'emploi est un enjeu de société majeur.135(*) Elle doit commencer dès le secondaire, en améliorant l'orientation au sein de la voie professionnelle et en accompagnant les élèves en difficulté avant qu'ils n'abandonnent leur formation initiale.

Il est essentiel d'améliorer l'insertion à la sortie des lycées professionnels, ceux-ci devant justement former les élèves à l'entrée dans l'entreprise dans les meilleures circonstances. Parmi les métiers les plus recherchés, les plus en tensions, et ceux qui se développeront le plus dans la décennie à venir, la grande majorité sont des métiers correspondant à des diplômes délivrés par les lycées professionnels : c'est un enjeu à la fois social et économique.

Selon les personnes entendues par les rapporteurs, les difficultés du lycée professionnel peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs :

· un fort manque d'attractivité de la voie professionnelle, perçue comme une « voie de garage » ou « voie part défaut », par opposition à la voie générale. Les élèves et leurs parents sont souvent réticents à s'y orienter, même lorsque leur projet professionnel est cohérent avec les formations dispensées au sein des lycées professionnels ;

· une orientation insuffisamment accompagnée et choisie, dès le collège, vis-à-vis des diplômes et titres professionnels. De nombreux élèves choisissent ainsi, faute de connaissance réelle des cursus ou de soutien, des formations ou des secteurs qui ne leur conviennent pas puis sont contraints de se réorienter, voire décrochent ;

· en conséquence, un cumul de difficultés scolaires et sociales au sein des lycées professionnels, qui peut compliquer les conditions d'enseignement et accroître le déficit d'image des établissements. Certains des enseignants entendus par les rapporteurs ont notamment évoqué l'augmentation du nombre d'élèves très peu à l'aise avec la lecture et l'écriture, non-francophones, ou connaissant des situations familiales très difficiles pesant fortement sur leur scolarité ;

· le jeune âge des élèves des lycées professionnels, la proportion des élèves de 15 ans ou moins à l'entrée en première année de CAP ou en seconde professionnelle étant passée de 25 % en 2005 à 58 % en 2019.136(*) Ce jeune âge peut compliquer l'insertion professionnelle et l'acquisition des savoir-être de plus en plus valorisés par les employeurs ;

· une insuffisance des « passerelles » entre modes de formation (apprentissage/pas d'apprentissage) et entre diplômes, qui n'est pas de nature à rassurer les élèves et les familles sur la possibilité à « retomber sur leurs pieds » en cas de difficulté. De fait, seuls 12 % des lycéens sortis de BTS reprennent leurs études, et seulement 5 % des diplômés de CAP. Les diplômés de Bac Pro peinent souvent à s'orienter vers un BTS, et l'on constate de nombreux décrochages aux moments de transition de ces parcours ;

· un fort engouement des jeunes pour l'apprentissage depuis la réforme de 2018, qui peut contribuer à attirer les élèves aux meilleurs résultats vers les centres de formation d'apprentis au détriment des lycées professionnels, même lorsque ceux-ci forment des apprentis ;

· un manque de pertinence ou d'adaptation du contenu de l'enseignement en lycée professionnel aux outils, aux techniques ou aux enjeux les plus récents. Ce point a souvent été relevé lors des auditions des rapporteurs, les entreprises déplorant un manque de réactivité de l'Éducation nationale qui contraint les entreprises à « re-former » les jeunes à leur entrée dans l'entreprise et peut désinciter à l'embauche. Ce manque de pertinence s'expliquerait aussi par un lien insuffisant entre lycées professionnels et tissu économique local, qui nuit à la prise en compte des besoins de compétences et des opportunités d'insertion réelles du bassin d'emploi.

2. Rénover enfin l'enseignement professionnel pour améliorer l'orientation, flexibiliser les parcours, renforcer les liens avec les entreprises et mieux accompagner l'insertion professionnelle

En dépit de ces difficultés identifiées de longue date, le lycée professionnel a été l'angle mort des dernières réformes de l'enseignement scolaire et secondaire. Il était le grand absent de la loi « Avenir professionnel » en 2018, bien qu'indirectement impacté par la libéralisation, la croissance et le succès de l'offre de formation en apprentissage.

Les rapporteurs estiment donc qu'il est urgent de rénover le lycée professionnel pour en refaire une voie attractive, insérante, correspondant aux attentes des élèves et des entreprises. Ils formulent à cet égard plusieurs recommandations.

a) Améliorer la qualité de l'orientation vers la voie professionnelle

D'abord, pour améliorer la qualité de l'orientation des élèves vers la voir professionnelle, et comme évoqué dans la première partie du présent rapport, développer la sensibilisation aux métiers dès le collège, sans attendre la troisième. Il convient à cet égard de systématiser les temps de découverte des métiers et des entreprises, en les intégrant pleinement dans le temps scolaire.

Pour compléter ce contact avec les professionnels et les entreprises, il faut approfondir les efforts d'information aux élèves et à leurs familles quant aux débouchés des formations vers lesquelles ils envisagent de s'orienter. Si beaucoup de ressources existent déjà en ligne, notamment grâce aux documents de l'ONISEP, il convient de développer l'accessibilité immédiate de ces données, notamment sur le service en ligne « Affectation après la 3e » utilisé par les élèves pour transmettre leurs demandes d'affectation en lycée professionnel. Ne sont aujourd'hui affichés que les taux d'insertion par filière au niveau régional : ils devraient être détaillés pour chaque établissement et diplôme, et contextualisés grâce à des niveaux de rémunération moyens ou au degré de tension du métier.

Recommandation n° 13 :

Pour améliorer l'orientation des élèves, compléter dès la rentrée 2023 l'information disponible sur le service en ligne « Affectation après la 3e » et relative aux débouchés des filières de formation professionnelle, en :

 précisant pour chaque établissement les taux d'insertion professionnelle de chaque diplôme ou titre ;

 les complétant par des informations relatives au taux de poursuite d'études, aux rémunérations et au degré de tension du métier correspondant au niveau national et dans le bassin d'emploi.

b) Permettre une plus grande individualisation des parcours pour éviter le décrochage et améliorer l'insertion

Ensuite, élèves et entreprises expriment un besoin de plus grande souplesse et d'individualisation des parcours au sein du lycée professionnel.

Pour certains élèves en difficulté sur les compétences de base, notamment vis-à-vis de la lecture et de l'écriture ou de certains savoir-être, des modules additionnels de renforcement pourraient être prévus pour prévenir le décrochage ou l'échec.

Pour les élèves envisageant de poursuivre leurs études à l'issue de leur CAP ou de leur Bac Pro, des modules pourraient consolider et approfondir la formation reçue afin de préparer au mieux la transition entre une formation et une autre, notamment avant un BTS - transition trop souvent difficile pour les élèves issus de Bac Pro.

Pour les élèves ayant identifié un secteur les intéressant particulièrement et ayant un projet professionnel bien identifié, il serait utile de développer encore les mécanismes complémentaires de spécialisation, comme la « coloration » et les « formations complémentaires d'initiative locale » (FCIL). Face à la rigidité des contenus des diplômes et titres, à l'impulsion des collectivités territoriales et des branches professionnelles, ont été créées des « colorations » qui permettent d'adosser une spécialisation sectorielle ou métier à un diplôme existant ; ainsi que les FCIL, qui viennent compléter la formation grâce à des enseignements complémentaires ciblés137(*). Ces dispositifs doivent être encouragés, car ils favorisent l'insertion professionnelle des élèves en contribuant à rendre leur formation plus concrète et plus ciblée sur les besoins précis des entreprises, qui sont plus étroitement associées au parcours de formation. Par exemple, l'Université des métiers du nucléaire, entendue par les rapporteurs, a indiqué que « la coloration sectorielle est une alternative efficace à la création de nouvelles formations. Il s'agit de développer et d'intégrer des modules d'acculturation au nucléaire dans certains cursus pour contribuer à attirer, plutôt que de créer de nouvelles formations. [Elle vise] à donner aux apprenants des notions sur le contexte de l'industrie nucléaire (connaissances des enjeux, des métiers, une visite terrain dans une entreprise de la filière). Elle s'adresse aux formations du CAP au Bac+5 à des étudiants et des demandeurs d'emplois ou salariés en reconversion. L'étape suivante est de travailler le contenu de ces formations plus en profondeur pour les adapter aux besoins des industriels de la filière. Ce projet est piloté au niveau national avec une coordination régionale. L'objectif est de démarrer des expérimentations dès la rentrée 2023. ».138(*)

Enfin, pour les élèves souhaitant gagner davantage d'expérience en entreprise et disposant d'un socle de compétences solide, le temps dédié à l'immersion en entreprise ou à l'alternance pourrait être augmenté. Au niveau CAP, la durée des « périodes de formation en milieu professionnel » (PFMP) est fixée de 12 à 14 semaines pour deux ans, et de 18 à 22 semaines pour trois ans au niveau Bac Pro. C'est peu, en particulier en comparaison avec l'apprentissage qui permet une immersion plus longue en entreprise. Selon les éléments transmis aux rapporteurs par la DGESCO, la réforme du lycée professionnel annoncée par le Président de la République en avril dernier prévoirait une augmentation jusqu'à 50 % du nombre de semaines de PFMP en terminale professionnelle139(*).

Recommandation n° 14 :

Adapter davantage les parcours au sein du lycée professionnel pour :

 prévenir le décrochage avec des modules additionnels de renforcement du socle de compétences pour les élèves en difficulté ;

 faciliter la poursuite de la formation initiale pour les élèves qui le souhaitent, avec des modules additionnels de préparation des transitions (notamment entre Bac Pro et BTS) ;

 sensibiliser les élèves au recours à la « coloration » ou aux « formations complémentaires d'initiative locale » (FCIL) pour compléter les formations communes avec des angles sectoriels et des compétences spécifiques ;

 développer l'apprentissage au sein des lycées professionnels et augmenter, pour les élèves qui le souhaitent, la durée des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP).

c) Resserrer les liens entre acteurs économiques et lycée professionnel

Resserrer encore les liens entre tissu économique local et lycée professionnel doit être une priorité. Lors de ses auditions et déplacements, les rapporteurs ont pu constater qu'il existe encore une méconnaissance mutuelle encore établissements et chefs d'entreprise.

L'action proactive des lycées pour aller à la rencontre des entreprises, préparer et faciliter l'accueil de leurs élèves, et adapter le contenu de leurs enseignements est encore trop rare, en dépit des efforts des directeurs délégués aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT) et de la mise en place des comités école-entreprise, dont le bilan est mitigé. Ces efforts manquent de visibilité et d'incarnation : trop souvent, les entreprises déplorent encore le manque d'information sur le « contact » ou le « point d'entrée » adéquat pour prendre l'attache des établissements.

La ministre Grandjean a annoncé, dans le cadre de la réforme de la voie professionnelle, la mise en place d'un « Bureau des entreprises » dans chaque établissement : il reste à démontrer que cette entité nouvelle sera plus à même de développer la relation aux entreprises que les acteurs existants, à fortiori si elle ne s'accompagne pas de moyens nouveaux ou d'incitations particulières.

À ce titre, les rapporteurs proposent d'intégrer de manière plus explicite, parmi les indicateurs de suivi des lycées professionnels, des éléments relatifs à la relation aux entreprises du tissu économique local et aux filières professionnelles. Le lycée professionnel doit préparer à l'exercice d'un métier et à l'insertion dans l'entreprise : il est normal que le bon fonctionnement de l'établissement passe par des efforts particuliers de contact avec les entreprises, par exemple en vue de préparer l'accueil des élèves au sein d'entreprises. Cela doit être mieux évalué et mis en valeur au niveau de chaque établissement, avec des objectifs clairs.

Il faut aussi encourager la mobilisation des entreprises en faveur de l'accueil des élèves dans le cadre des PFMP, de stages, d'apprentissage ou d'actions de découverte des métiers.

Recommandation 15 :

Intégrer, parmi les indicateurs de suivi du fonctionnement des lycées professionnels, des éléments relatifs à la relation aux entreprises du tissu économique local et aux filières professionnelles.

d) Renforcer l'accompagnement des jeunes diplômés lors de leur insertion professionnelle

Enfin, à l'issue de la formation initiale, il est indispensable de continuer à accompagner les jeunes dans la période critique d'insertion dans l'emploi qui suit l'obtention du diplôme. 47 % des diplômés de CAP n'avaient pas trouvé d'emploi au cours des deux années suivant la fin de leur formation, 31 % des diplômés de Bac Pro, et 18 % des diplômés de BTS. Le service public de l'emploi doit pouvoir agir en soutien de ces jeunes, pour éviter les décrochages et l'éloignement de l'emploi dans cette période charnière.

Les rapporteurs proposent donc de confier au service public de l'emploi, dans le cadre de la création prochaine de « France Travail », la tâche d'accompagner les diplômés issus de lycée professionnel dans les premières années de leur insertion dans le monde du travail. Un rendez-vous d'étape à trois mois, à six mois, à un an puis à deux ans devrait être organisé avec un conseiller de Pôle emploi, afin d'accompagner le diplômé vers un emploi, vers une reprise d'étude ou une formation complémentaire. Les rapporteurs défendront cette proposition dans le cadre du projet de loi « Plein emploi », qui sera examiné très prochainement par le Sénat.

L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES ÉLÈVES DIPLÔMÉS DE LYCÉES PROFESSIONNELS EN 2020

Source : DEPP, « Repères et références statistiques Enseignements, Formation, Recherche 2020 »

Recommandation 16 :

Prévoir des rendez-vous d'étape réguliers entre chaque jeune diplômé issu de lycée professionnel et les conseillers du service public de l'emploi durant les deux ans suivant l'obtention du diplôme, afin de faciliter l'insertion professionnelle ou la réorientation.

Le 4 mai 2023, le Président de la République a annoncé qu'une réforme du lycée professionnel interviendrait progressivement à compter de la rentrée 2023 et jusqu'en 2024, avec pour objectifs de « lutter contre le décrochage scolaire, améliorer de l'insertion professionnelle reconnaître le travail et de l'engagement du corps enseignant ».

Les rapporteurs saluent cette volonté de réforme et le travail de concertation mené depuis plus d'un an140(*) par la Ministre déléguée chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean. Beaucoup des propositions présentées en mai dernier rejoignent les recommandations formulées au sein du présent rapport, en matière d'accompagnement de l'insertion professionnelle, de développement de la relation école-entreprise et de flexibilisation des parcours.

La délégation aux Entreprises sera néanmoins vigilante sur l'association des acteurs économiques et des partenaires sociaux à cette réforme de l'un des leviers stratégiques pour l'emploi et les compétences de demain. Cette réforme, si elle entend réellement développer l'accompagnement des jeunes et rénover la formation, devra aussi s'accompagner de moyens budgétaires adéquats.

TROISIÈME PARTIE

ACCOMPAGNER LA DIVERSITÉ DES PARCOURS : INVESTIR DANS LA FORMATION CONTINUE POUR TOUS
ET DANS LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES

I. ASSURER L'ACCÈS À LA FORMATION DES PUBLICS ÉLOIGNÉS DE L'EMPLOI : UN IMPÉRATIF SOCIAL ET ÉCONOMIQUE

A. INVESTIR DANS LA FORMATION POUR TOUS

1. Un halo du chômage persistant qui appelle des mesures volontaristes pour atteindre les publics les plus éloignés de l'emploi

Au premier trimestre 2023, la France comptait 3 millions de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT), soit 7,1 % de la population active. Bien qu'il s'agisse d'un taux historiquement bas au cours des vingt dernières années, il reste plus élevé que celui d'autres pays européens.

Surtout, le halo du chômage - c'est-à-dire les personnes sans emploi mais n'en recherchant pas, ou non disponibles pour occuper un emploi - s'accroît de manière continue : il regroupe près de 4,6 % de la population des 15-64 ans, soit près de 2 millions de personnes.141(*) Près de 13 % des jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.

Ces chiffres peuvent surprendre dans une période de dynamisme économique, marquée par d'importantes tensions de recrutement dans l'ensemble des secteurs d'activité. Pour avancer vers le plein emploi et pourvoir les besoins de notre économie, il est impératif d'aller plus loin dans l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi afin qu'elles puissent accéder plus facilement à la formation.

En effet, la formation est déterminante dans l'accès ou le retour à l'emploi. Les chômeurs formés présentent un taux d'accès à l'emploi supérieur de l'ordre de 6 points à ceux qui ne se sont pas formés, à profils comparable. Cet avantage comparatif peut même s'élever à 8 points pour les profils peu diplômés et jusqu'à 17 points pour les seniors142(*).

De nombreux obstacles à la formation des chômeurs et des personnes éloignées de l'emploi existent cependant :

· un éloignement, voire une méfiance envers les institutions et le service public de l'emploi, qui complique l'établissement d'un dialogue et l'identification de ces personnes ;

· dans certains cas, des freins psychologiques à l'entrée en formation, liés à l'éloignement du marché de l'emploi ;

· des outils insuffisamment lisibles ou accessibles aux personnes éloignées de l'emploi ou peu qualifiées (manque de clarté ou de visibilité sur l'offre de formation, technicité des procédures administratives...) ;

· une priorisation parfois insuffisante de ces publics perçus comme plus « difficiles » à accompagner au sein des dispositifs de formation existants ;

· l'insuffisance du « bagage » ou des compétences socles, notamment dans le cas des personnes n'ayant pas mené à terme la formation initiale ; ou l'obsolescence des compétences acquises il y a longtemps ;

· l'existence de nombreux « freins périphériques » à l'entrée en formation, liés notamment à des considérations financières, à la difficulté à trouver un logement ou une modalité de garde d'enfants, au manque de mobilité géographique... ;

· des cadres administratifs trop ciblés sur les chômeurs143(*), et qui tendent à « punir » les ruptures de parcours, en ne permettant pas d'interrompre temporairement des formations par exemple ; ce, alors même que l'existence de multiples acteurs de la formation engendre nécessairement des ruptures de prise en charge. Par exemple, le groupe FNAC Darty a cité les critères encadrant le recours au contrat de professionnalisation, qui ne peut concerner que les demandeurs d'emploi et non les personnes dont l'emploi est menacé et cherchant à se reconvertir préventivement.144(*)

2. Accentuer l'accompagnement vers la formation

La formation des personnes éloignées de l'emploi figurait parmi les priorités annoncées du grand Plan d'investissement dans les compétences (PIC), présenté par le Gouvernement en 2018145(*). Doté de 13,6 milliards d'euros, cofinancés par l'État et le fonds de concours de France compétences (abondé via la contribution des entreprises), ce plan a été déployé à deux niveaux, via l'intensification ou le lancement d'actions nationales d'une part, et par la mise en oeuvre régionale d'actions décidées par des « pactes régionaux d'investissement » entre État et Région d'autre part.

L'investissement du PIC a indéniablement permis de susciter et de soutenir de nombreuses initiatives innovantes permettant d'intensifier l'accompagnement vers l'emploi et la formation de personnes éloignées de l'emploi. Selon les chiffres transmis par Catherine Seiler, précédemment haut-commissaire aux compétences, « les personnes en recherche d'emploi vulnérables (niveau de formation infra-baccalauréat, demandeurs d'emploi de longue durée, bénéficiaires du revenu de solidarité active, résidents de quartiers prioritaires de la ville, personnes en situation de handicap, seniors) ont représenté deux tiers des entrées en formation sur la période 2018-2021, concernant 913 100 personnes sur un total de 2,63 millions. Ceux-ci étaient identifiés comme publics prioritaires dans de nombreux appels à projets financés par le PIC, comme « 100 % inclusion » ou « Repérer les invisibles »146(*).

PART DES PUBLICS VULNÉRABLES DANS LES ENTRÉES EN FORMATION FINANCÉES
PAR LE PIC ENTRE 2018 ET 2021

Source : Délégation aux Entreprises, selon les éléments transmis par Catherine Seiler, précédemment haut-commissaire aux compétences

Toutefois, le rapport de préfiguration de « France Travail » dessine un bilan mitigé du PIC et répertorie plusieurs insuffisances des dispositifs existants, estimant que « malgré les progrès réalisés, la formation apparaît aujourd'hui encore insuffisamment ciblée sur les publics les plus éloignés de l'emploi. L'accès aux formations dites « préalables » (savoirs de base, compétences clés, préqualification) demeure inégal sur le territoire national. En outre, la formation ne répond encore qu'imparfaitement aux tensions sur le marché du travail et, plus largement, aux besoins directs des entreprises. Les formations avant embauche ne se développent que très lentement, alors que leur efficacité est reconnue. ». Le référé de la Cour des comptes, en date du 2 avril 2021, relevait aussi un « fort éparpillement » des actions menées et des acteurs impliqués.

Les auditions des rapporteurs ont confirmé ces constats. De manière générale, les acteurs économiques entendus saluent l'investissement opéré dans la formation des demandeurs d'emploi mais estiment que ses résultats ont été insuffisants. Ont été cités, en particulier, la complexité de certains dispositifs ou l'insuffisance des formations relatives au « socle de compétences », pourtant indispensable à toute embauche. Surtout, les dispositifs de formation financés par le PIC ne sont pas perçus comme ayant été particulièrement aptes à répondre aux besoins de compétences des entreprises.

L'impact du PIC sur le financement de la formation professionnelle est aussi mis en cause. Pour le financer, l'État a choisi de prélever une partie des fonds mutualisés gérés par France compétences (par le biais d'un prélèvement sur le produit de la Cufpa), à hauteur de 1,6 milliard d'euros en 2021 et 1,7 milliard d'euros en 2022. Au total, selon France compétences, plus de 6,4 milliards d'euros ont été prélevés entre 2019 et 2022 sur les ressources de France compétences au titre de la formation des demandeurs d'emploi147(*).

Ce prélèvement est fortement contesté par les entreprises, qui estiment qu'il affaiblit le modèle global de financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle par effet de « vase communicant », sans pour autant apporter de réelle amélioration en matière de retour à l'activité des demandeurs d'emploi. La contribution de l'État au financement du PIC n'était en 2022, à titre de comparaison, que de 648 millions d'euros, dont 551 au bénéfice exclusif du financement du contrat d'engagement jeune (CEJ).

Les syndicats représentatifs des salariés entendus par les rapporteurs partagent en cela le point de vue des organisations professionnelles, la CGT ayant par exemple indiqué que : « le PIC ne doit pas être financé par la contribution à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Le financement du PIC doit revenir à l'État au titre de dépenses qui relèvent de la solidarité nationale ». Selon la CFE-CGC, la sous-consommation des crédits prévus pour le PIC, documentée par la Cour des comptes en 2022, résulte en ce que « France Compétences a versé des fonds à l'État qu'il n'a pas utilisé, pendant que l'État attribuait à France compétences une subvention pour limiter son déficit »148(*).

Comme l'avait déjà relevé le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat intitulé « France compétences face à une crise de croissance » : « La légitimité de ces versements est contestée : le pilotage du plan étant maîtrisé par l'État, en s'inscrivant pour partie dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC), les entreprises ont le sentiment d'être « payeurs aveugles » sur ce volet où ils ne voient pas de retour sur investissement. Les partenaires sociaux appellent ainsi à distinguer, au sein du PIC, ce qui relève de dispositifs apportant des réponses concrètes aux besoins de compétences des entreprises, que peuvent financer les contributions des employeurs, et les priorités d'ordre national relevant de la responsabilité financière de l'État »149(*). La répartition de l'effort entre budget de l'État et fonds mutualisés fait donc débat.

Alors que semble avoir été actée, dans le cadre de la reconfiguration de Pôle emploi en « France Travail », le lancement d'un deuxième PIC150(*), ces déséquilibres doivent être corrigés, et l'État doit prendre pleinement part à son financement. Au regard de l'important déséquilibre qui touche déjà le budget de France compétences, il faut veiller à ce que les prélèvements conséquents opérés au cours des dernières années sur les financements gérés par ce dernier, collectés auprès des entreprises, restent soutenables. Il est primordial que l'État participe pleinement au financement de la formation des demandeurs d'emploi, comme il lui incombe au regard de sa compétence nationale en matière de politique de l'emploi. Il conviendra donc de garantir une participation budgétaire adaptée de l'État pour éviter toute ponction disproportionnée des fonds destinés au financement de la formation professionnelle - notamment à l'apprentissage.

En conséquence, les rapporteurs recommandent de plafonner le prélèvement sur fonds mutualisés au bénéfice du PIC, voire d'acter une réduction sensible du niveau de contribution des fonds mutualisés.

D'ores et déjà, il convient de signaler que la loi de finances pour 2023 a divisé par deux la dotation versée par France compétences à l'État au titre du PIC, en la portant à 800 millions d'euros et compensant cette baisse de la dotation par une augmentation équivalente du budget du ministère du Travail au sein du budget général de l'1tat : c'est là un signal positif qu'il convient de confirmer. Les rapporteurs défendront cette position dans le cadre du projet de loi « Plein emploi », examiné très prochainement par le Sénat.

Recommandation n° 17 :

Dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième plan d'investissement dans les compétences (PIC 2), préserver le financement dédié à la formation professionnelle en :

 plafonnant le prélèvement sur fonds mutualisés de France compétences opéré au profit du PIC, à un montant fixé après discussions entre les partenaires sociaux et l'État ;

 engageant dès 2024 une réduction du montant de la contribution de France compétences à la formation des demandeurs d'emploi.

B. MOBILISER TOUS LES LEVIERS ET CIBLER LES MÉTIERS EN TENSION

1. Allier formation et accompagnement dans une approche coordonnée et continue

Dans le déploiement du second plan d'investissement dans les compétences, et plus généralement dans la politique de formation des demandeurs d'emploi, les rapporteurs appellent à prendre en compte les priorités suivantes.

· l'amélioration du dialogue entre l'ensemble des acteurs participant, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la prise en charge des personnes éloignées de l'emploi. Lors des auditions, a souvent été signalé une forme de cloisonnement des approches entre prescripteurs de formation et financeurs ou créateurs de formation, notamment concernant l'accompagnement des publics vulnérables. Par exemple, Catherine Seiler a indiqué que : « la dichotomie entre les fonctions d'orientation en formation et de financement de la formation cloisonne les approches. De nombreuses régions déplorent que les conseillers du service public de l'emploi (Pôle emploi et Mission locales principalement) n'orientent pas suffisamment les personnes peu qualifiées vers les programmes régionaux, tandis que les conseillers du service public de l'emploi regrettent souvent que l'offre de formation ne soit pas suffisamment adaptée aux besoins de ces publics. Ce sujet constitue un irritant récurrent du pilotage des politiques de formation »151(*).

À ce titre, les rapporteurs soulignent que les acteurs territoriaux jouent et continueront à jouer un rôle essentiel dans l'accompagnement de proximité des publics vulnérables. La maille intercommunale ou départementale permet souvent d'agir au plus près des personnes vulnérables ou des jeunes en situation de décrochage. La réforme annoncée du service public de l'emploi, présentée dans le cadre du projet de loi « Plein emploi » prochainement examiné au Sénat, devra donc assurer son ancrage territorial et préserver l'action et les moyens des régions et des Missions locales notamment. Les collectivités territoriales devront être associées à la gouvernance de la nouvelle architecture de « France Travail », et ce à tous les échelons.

La complémentarité et la permanence des missions devront aussi être préservée pour éviter la dispersion des efforts. Entendue par les rapporteurs, l'Alliance Villes Emploi notait que « la dynamique partenariale avec Pôle emploi est parfois entravée par le fait que l'opérateur est soumis à des injonctions fortes de la part de l'État, qui varient dans le temps selon les priorité. Cela ne facilite pas la continuité de l'action publique et la coordination des acteurs »152(*). Outre ces inefficacités et redondances, il convient de souligner l'agilité de l'action des collectivités territoriales, jusqu'au niveau du bloc communal, qui peut permettre une réponse « sur mesure » en termes d'accompagnement à la formation. L'Alliance Ville Emploi citait par exemple le cas du montage d'une formation en opérateurs de production en pharmacie, à défaut de certification sur ce métier : l'ensemble des acteurs locaux et régionaux se sont alliés pour créer une formation, identifier des candidats intéressés via les acteurs du PLIE, les Missions locales, Cap emploi, les associations d'insertion, et enfin pour travailler avec les entreprises sur leur attractivité en vue du recrutement153(*).

Recommandation n° 18 :

Veiller à assurer la pleine association des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion, en particulier les Régions et les Missions locales, aux réformes envisagées dans le cadre de la création de « France Travail » et du second Plan d'investissement dans les compétences (PIC).

· soutenant sur le long-terme les démarches « d'aller-vers » et de « sans-couture » ayant fait leurs preuves, permettant d'inscrire les publics les plus éloignés de l'emploi dans une démarche insérante, d'éviter les ruptures de prise en charge entre différents moments et différents acteurs, et alliant plus systématiquement accompagnement et formation. Selon l'Alliance Villes Emploi, par exemple, l'outil du CPF n'est pas réellement accessible aux publics les plus fragiles, qui ne peuvent s'en saisir seuls mais nécessitent un réel accompagnement ;

Des exemples de démarches engagées dans le cadre
du plan d'investissement dans les compétences

Plusieurs démarches initiées dans le cadre du PIC et ayant bénéficié de financements dédiés ont eu pour objectif d'atteindre les publics les plus éloignés de l'emploi ou les plus vulnérables :

 l'appel à projet « Repérer les invisibles » et l'appel à projet « Maraudes numériques », visant à identifier sur les réseaux sociaux, les plateformes de jeu en ligne, au sein de clubs de sports, d'association de quartiers ou grâce aux acteurs de terrain, des jeunes en situation de décrochage dans les zones urbaines comme rurales. Selon les chiffres transmis par l'ancienne Haut-commissaire aux compétences, près de 85 000 jeunes ont ainsi été contactés, dont environ la moitié s'est ensuite inscrite dans un parcours de remobilisation vers l'emploi ;

 l'appel à projet « 100 % inclusion », visant à mettre en place des parcours « sans couture » au profit des demandeurs d'emploi vulnérables (chômeurs de longue durée, peu ou pas qualifiés, femmes en difficulté, jeunes, personnes en situation de handicap ou d'illettrisme...). L'objectif est d'assurer une prise en charge continue dans une dynamique de retour à l'emploi, grâce à de nouveaux parcours alliant accompagnement, levée des freins périphériques à la formation, formation aux compétences socles, ou encore immersions en entreprise. 24 300 personnes ont été accompagnées dans le cadre de cet appel à projet, dont 42 % ont pu trouver un emploi (dont 60 % avec un contrat d'une durée de plus de six mois) et 18 % se sont inscrits en formation ;

 l'appel à projets « Intégration professionnelle des réfugiés », qui a permis d'accompagner 18 000 réfugiés vers un emploi, grâce notamment à la levée des freins périphériques matériels comme immatériels. 50 % ont pu trouver un emploi et 16 % sont entrés en formation qualifiante ou certifiante ;

 de nombreux projets de parcours « sans couture » portés par les régions en faveur des publics éloignés de l'emploi. Ainsi, la région Nouvelle Aquitaine a proposé un dispositif de formation intégrant des temps d'accompagnement sur mesure, et ciblant les publics les plus fragiles. 67 % des personnes accompagnées ont trouvé un emploi au cours des six mois suivant la fin de la formation.

· veillant à inclure dans l'accompagnement des publics vulnérables et éloignés de l'emploi un diagnostic des « freins périphériques » à l'emploi et à améliorer leur prise en charge dans le cadre des dispositifs de formation (voir plus bas) ;

· renforçant l'offre de formation orientée vers les publics les plus éloignés de l'emploi, notamment en ce qui concerne le socle de compétences et les « soft skills », qui sont des portes d'accès vers l'emploi ou la poursuite de la formation. En effet, si l'on a noté une augmentation de 30 % des entrées en formation préparatoire (remise à niveau, remobilisation, préqualification) en 2021 par rapport à 2017, ainsi qu'une meilleure insertion ou poursuite de formation à leur issue (+ 8 points) le comité scientifique d'évaluation du PIC a noté que le plan a simplement « permis d'interrompre la tendance à la baisse de ces formations » : l'effort de création de formations doit donc être maintenu et accentué.154(*) Il conviendra également de veiller au bon maillage territorial de cette offre de formation, pour qu'aucun territoire ne soit oublié : ce point a été particulièrement souligné par les syndicats représentatifs des salariés sollicités par les rapporteurs155(*).

Recommandation n° 19 :

Dans le cadre du déploiement du « Plan d'investissement dans les compétences 2 », veiller à :

 améliorer le dialogue et la coopération entre l'ensemble des acteurs participant à la prise en charge des personnes éloignées de l'emploi, en assurant la continuité de l'action des acteurs territoriaux de l'emploi et de l'insertion ;

 soutenir sur le long-terme les démarches « d'aller vers », et mieux lier formation et accompagnement ;

 renforcer au niveau national comme régional l'offre de formation orientée vers les publics les plus éloignés de l'emploi.

2. Intensifier l'effort d'orientation et de formation vers les métiers en tension

Plusieurs des personnes entendues par les rapporteurs ont aussi appelé à une plus grande orientation des dispositifs de formation vers les métiers en tension, qui représentent un gisement d'emploi immédiat pour ces personnes en quête d'insertion professionnelle.

Il pourrait ainsi être envisagé d'intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension, afin d'améliorer la connaissance des métiers qui recrutent et, pour les personnes intéressées, de les orienter immédiatement vers les formations et les emplois correspondants. Les rapporteurs défendront un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi « Plein emploi » qui sera prochainement examiné au Sénat.

L'approche introduite par le second volet du « Plan de réduction des tensions de recrutement », présenté en octobre 2022 par le Gouvernement, est à ce titre intéressante. Elle propose d'expérimenter des « viviers de recrutement », rassemblant environ une centaine de personnes en recherche d'emploi, en mesure d'être rapidement formées pour occuper un poste parmi l'un des 23 métiers connaissant le plus de difficultés de recrutement (aides-soignants, infirmiers, accompagnants éducatifs et sociaux, conducteurs routiers, serveurs, commis de cuisine, cuisiniers, personnels d'étage...) au niveau national mais aussi local.156(*) Selon les éléments communiqués par le Gouvernement, trois secteurs seraient particulièrement ciblés : l'hôtellerie-restauration, le transport routier, et la santé et l'action sociale.

Cette sensibilisation accrue doit aller de pair avec un renforcement de l'offre de formation et une simplification de l'accès aux formations menant vers ces métiers en tension, notamment grâce aux financements issus du plan France 2030, comme évoqué plus haut.

Recommandation n° 20 :

Intégrer à l'orientation et à l'accompagnement des demandeurs d'emplois une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension

Renforcer l'offre de formation à ces métiers.

II. SE FORMER TOUT AU LONG DE LA VIE : RAPPROCHER LES ASPIRATIONS DES SALARIÉS ET LES BESOINS DES ENTREPRISES

Face aux grandes mutations de l'économie et de la société française, les emplois sont en évolution rapide, de même que les attentes des Français.

L'intégration de nouvelles technologies et de nouvelles organisations au sein des entreprises modifie les tâches et les rapports de travail. L'internationalisation et la digitalisation des activités rendent essentielle l'acquisition de nouvelles compétences linguistiques ou informatiques. Améliorer les modes de management demande une formation spécifique des personnes en poste de responsabilité.

En parallèle, la préparation et la gestion des périodes de transition professionnelle devient un enjeu de plus en plus important, alors que les Français aspirent à une plus grande mobilité professionnelle au cours de la vie et que les carrières professionnelles sont appelées à s'allonger au cours des prochaines années. La plupart des jeunes personnes interrogées n'envisagent plus désormais d'occuper le même poste ou d'exercer au sein de la même durant toute une vie et considèrent les transitions professionnelles, voire les alternances entre période d'emploi et période de chômage, comme des étapes usuelles d'une vie professionnelle. L'envie d'évolution professionnelle est forte, 57 % des salariés envisageant une évolution dans les deux ans à venir157(*), et les démarches telles que le bilan de compétences connaissent en conséquence une forte croissance (50 000 personnes accompagnées en 2020, 85 000 en 2021 et 100 000 en 2022).

La formation est un levier indispensable pour anticiper et s'adapter au mieux à ces évolutions. Selon un récent « Baromètre de la formation professionnelle », 86 % des Français se sentent concernés par la formation professionnelle continue et 64 % la voient comme un levier stratégique158(*).

En 2018, la loi « Avenir professionnel » de 2018 ambitionnait de créer une « société de compétences », en développant les parcours individuels de formation et en libéralisant l'offre de formation. Si des succès ont été enregistrés, notamment en matière d'accès à la formation, la réforme n'a pas garanti l'efficacité des actions de formation et ne semble pas être allée assez loin en matière d'accompagnement des transitions professionnelles. Elle n'a pas garanti un accès égal à la formation, les salariés des grandes entreprises et ceux en CDI à temps plein ont été plus nombreux à se former, comparativement à ceux des petites entreprises, en CDD ou à temps partiel159(*).

Pis, la réforme semble avoir entraîné une contraction du financement dédié à la formation des salariés en poste, notamment par le biais des plans de développement de compétences (PDC) au sein des entreprises. La CFE-CGC estime ainsi que « la part des fonds destinés aux salariés en poste a perdu, d'un point de vue macroéconomique, plus de 20 points en dix ans »160(*).

A. AMÉLIORER LA VISIBILITÉ DE L'OFFRE DE FORMATION, SIMPLIFIER LES PROCÉDURES ET LEVER LES OBSTACLES PÉRIPHÉRIQUES À LA FORMATION

1. Une offre de formation très vaste et dispensée par de nombreux acteurs, qui a pu conduire à un manque de lisibilité et à une qualité inégale

Les économistes travaillant sur la formation avaient identifié de longue date une faiblesse française en matière de formation continue. La part des salariés se formant au cours de leur vie professionnelle y est plus faible que dans la moyenne des pays de l'OCDE. Elle est particulièrement basse pour les personnes disposant de niveaux de qualification faibles. Selon les chiffres fournis par Glenda Quintini, les Français sont aussi plus nombreux à déclarer souhaiter se former mais ne pas pouvoir le faire, ou à ne pas se former car ils ne le souhaitent pas.

PARTICIPATION DES ADULTES À LA FORMATION CONTINUE (EN % DES ADULTES)

Source : Éléments transmis par Glenda Quitini, source PIAAC

Mesure structurante de la loi « Avenir professionnel », la réforme du compte personnel de formation (CPF) visait à développer le recours des salariés à la formation continue.

De fait, la part de la population active ayant eu recours au CPF pour réaliser une formation professionnelle continue a augmenté de 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019 à 2,8 % en 2020. Les demandeurs d'emploi et les jeunes ont particulièrement fait usage de ces nouvelles possibilités (38 % des dossiers financés par le CPF concernent des demandeurs d'emplois et la part des moins de 30 ans ayant recours au CPF a doublé). Le recours des employés et des ouvriers a fortement cru (+56 et +73 % entre 2019 et 2020), davantage que chez les cadres (+24 %). Selon le rapport d'évaluation de la loi « Avenir professionnel » réalisé par l'Assemblée nationale, ces chiffres témoignent d'une « démocratisation » de la formation continue via le saut quantitatif opéré par le CPF. D'un point de vue culturel et psychologique, cet engouement pour la formation doit être salué.

Toutefois, le développement de l'offre a également conduit à l'apparition de fraudes (fraude à l'éligibilité, démarches commerciales agressives, usurpations d'identité...), au préjudice estimé à 43 millions d'euros en 2021, et à une plus grande difficulté à contrôler la qualité des formations dispensées. De manière générale, beaucoup de salariés se disent « perdus » face à une offre foisonnante, parfois redondante, de formation. La multiplicité des prescripteurs et des prestataires de formation contribue à ce sentiment.

Pour soutenir la dynamique positive en faveur de la formation continue, il est important de mener un véritable effort de lisibilité de l'offre. Certaines collectivités territoires se sont déjà engagées dans des initiatives de « cartographie » ou de « carte virtuelle » de l'offre de formation, faisant apparaître nettement les compétences visées, le secteur de formation, le lieu géographique, la durée...

Outre la lisibilité, les efforts doivent porter sur la visibilité de cette offre de formation. Beaucoup de salariés estiment ne pas être suffisamment au fait de l'offre existant autour d'eux : aux catalogues doivent s'ajouter des actions d'information et de sensibilisation, portées notamment par les partenaires sociaux et les entreprises.

Les rapporteurs soulignent que la qualité des données recueillies en matière de formation (offre de formation, résultats des formations en termes d'évolution professionnelle, salariale, sur les missions...) est primordiale pour pouvoir orienter les politiques publiques de manière informée. À ce titre, on peut regretter que certaines études telles que l'enquête Défis menée par le CEREQ entre 2014 et 2021, qui couplait la vision des entreprises et celle des salariés, n'aient pas été reconduites. La fin du financement du Plan d'investissement dans les compétences, qui finançaient de nombreuses études, devra être compensée par de nouvelles sources de financement pour ces travaux161(*).

2. Veiller à la simplification des dispositifs de formation, parfois perçus comme rigides et complexes

Les conditions administratives encadrant les dispositifs de formation proposés ou financés par les pouvoirs publics sont souvent perçues comme trop complexes et trop rigides.

En particulier, l'exigence d'entrée en formation à échéances précises ne permet pas d'accommoder la diversité des parcours des demandeurs de formation, en cas de contrainte liée à l'emploi en cours ou à une fin de contrat. Il conviendrait de prévoir plusieurs sessions de certification chaque année, pour faciliter la fluidité des parcours de formation.162(*)

De même, l'impossibilité d'interrompre temporairement une formation, pour la reprendre par la suite est une difficulté en cas de parcours complexe ou fractionné, puisqu'elle contraint à « reprendre à zéro » les formations interrompues. Or, les formations les plus professionnalisantes sont souvent les plus longues, et donc les plus facilement soumises aux aléas.

Enfin, l'existence de nombreux acteurs intervenant dans les parcours de formation conduit souvent les demandeurs de formation à devoir répéter certaines étapes administratives et remplir de nombreux formulaires : Catherine Seiler, ancienne Haut-commissaire aux compétences, recommandait ainsi de déployer un principe de « dites-le nous une fois » en matière de formation pour fluidifier les parcours163(*).

Surtout, la complexité des dispositifs nuit à leur prise en main par les chefs d'entreprise, en particulier au sein des TPE-PME, moins outillés face aux exigences juridiques ou administratives. Il est impératif d'opérer un effort de simplification continue des dispositifs de formation, notamment lorsqu'ils incluent des périodes de formation en entreprise. Très appréciés des entreprises et des fédérations entendues par les rapporteurs, ces dispositifs de formation améliorent grandement la qualité des transitions entre formation et emploi, et assurent l'adéquation des compétences obtenues avec les besoins concrets des entreprises. Ils restent néanmoins souvent inaccessibles pour les entreprises, au vu des contraintes et des nombreuses conditions les entourant.

Recommandation n° 21 :

Favoriser la simplification continue des dispositifs de formation, en particulier ceux faisant intervenir les entreprises, en vue de les déployer plus largement et plus rapidement.

3. Lever les freins périphériques à la formation

Le faible recours à la formation peut aussi s'expliquer par la prévalence d'obstacles matériels et immatériels, non liés à la formation elle-même mais à l'environnement et le contexte dans lequel celle-ci intervient. Faute d'accompagnement, ces obstacles peuvent s'avérer dissuasifs. Pis, l'action de formation peut dans ces cas-là entraîner une rupture dans les parcours professionnels, et s'avérer aussi dommageable qu'une période de chômage.

Il est donc important de prévenir et de lever les freins périphériques à la formation, tels que :

· l'insuffisance de l'offre de logement ou d'hébergement à proximité du lieu de la formation ;

· l'absence de solution de garde d'enfants, en particulier déterminant dans l'accès des femmes à la formation ;

· l'existence de transports permettant d'accéder facilement au lieu de la formation, en particulier pour les personnes ne disposant pas de véhicule ou de permis de conduire.

Lever ces obstacles implique un effort concret et concerté de la part de plusieurs acteurs. D'abord, les acteurs privés comme publics du conseil et de l'accompagnement vers la formation (acteurs des ressources humaines au sein de l'entreprise, service public de l'emploi, acteurs locaux de l'emploi et de l'insertion...), afin d'identifier correctement les obstacles empêchant chaque personne d'accéder à la formation. Les rapporteurs défendront ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de loi « Plein emploi », un amendement prévoyant un diagnostic systématique des freins périphériques lors de l'accueil d'un demandeur d'emploi.

Ensuite, une action plus large des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État est nécessaire, pour s'assurer de l'offre adéquate de services, de logement et de transport au niveau de chaque bassin d'emploi (commune, établissement public de coopération intercommunale, département et en particulier la Région). Le projet de loi « Plein emploi » opère ce lien, en comportant notamment des mesures sur la garde d'enfants.

Enfin, dans la conception de l'offre de formation, des aides ponctuelles peuvent être prévues dans le cadre de chaque dispositif, quel que soit leur prescripteur, afin de faciliter la participation des publics pour lesquels les freins périphériques sont les plus dissuasifs.

Comme l'a indiqué Catherine Seiler : « L'animation est essentielle pour [...] mettre en place des démarches centrées sur les retours des usagers et recueillir de façon plus systémique les freins auxquels ils sont confrontés. Cela suppose de se positionner comme faiseur de solutions pour lever ces freins très concrets [...] »164(*).

Recommandation n° 22 :

Dans la conception et l'accompagnement des formations, veiller à l'identification et à la prise en charge des freins périphériques pour assurer l'accès le plus large à la formation.

B. AMÉLIORER LA COMPLÉMENTARITÉ ENTRE FORMATION INDIVIDUELLE ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES AU SEIN DE L'ENTREPRISE

1. Renforcer l'accompagnement des entreprises dans leur politique de formation et de gestion des compétences

Toute entreprise, quelle que soit sa taille peut aujourd'hui mettre en oeuvre un plan de développement des compétences (PDC). Le PDC recense de manière annuelle ou pluriannuelle l'ensemble des actions de formations qui seront mises en place par l'employeur au bénéfice de ses salariés, dans le cadre de la politique de développement des compétences et de la formation dans l'entreprise.

Le Plan de développement des compétences (PDC)

Successeur du plan de formation, le plan de développement des compétences recense de manière annuelle ou pluriannuelle l'ensemble des actions de formations qui seront mises en place par l'employeur au bénéfice de ses salariés, dans le cadre de la politique de développement des compétences et de la formation dans l'entreprise. Il est facultatif pour toutes les entreprises.

Le PDC inclut tant les formations obligatoires auxquelles sont tenus les employeurs (par exemple en matière de sécurité, d'adaptation au poste de travail ou de maintien dans l'emploi), que les formations non obligatoires, que l'entreprise prévoit de mettre en oeuvre de sa propre initiative (par exemple pour certifier certains salariés ou anticiper certains besoins de compétences).

Tous les types d'action de formation reconnus par la loi peuvent y être portés (validation des acquis de l'expérience, actions de formation en situation de travail, bilan de compétences), ainsi que toute autre action relevant de la stratégie de l'entreprise en matière de développement des compétences des salariés (tutorat, mise en situation...). L'ensemble des salariés de l'entreprise sont concernés par le PDC, quel que soit leur contrat (CDI, CDD, apprentissage...).

Les formations prévues par le plan de développement des compétences sont alors considérées comme faisant partie de l'exécution normale du contrat de travail, et à ce titre, doivent, sauf exceptions être suivies par le salarié, être réalisées sur le temps de travail, et être financées par l'employeur. Tout salarié peut aussi demander, de sa propre initiative, à son employeur de bénéficier d'une formation qui y est inscrite.

Dans les entreprises de 50 salariés ou plus, le comité social et économique (CSE) est consulté sur le plan de développement des compétences. Des éléments d'information lui sont transmis afin d'évaluer le bilan des plans passés et la politique de formation mise en oeuvre dans l'entreprise.

Les entreprises ayant élaboré un plan de développement des compétences peuvent prétendre à un financement complémentaire de l'opérateur de compétences (OPCO), qui pourra prendre en charge une partie du coût des actions formations prévues par le plan. Faisant le diagnostic d'un besoin moins prioritaire au sein des entreprises de taille moyenne ou de grande taille, disposant de services de ressources humaines plus structurés, d'une « taille critique » plus avantageuse et de moyens supérieurs, la loi « Avenir professionnel » a néanmoins recentré les aides mutualisées aux plans de développement des compétences sur les seules entreprises de moins de 50 salariés.

Ce mécanisme de fonds mutualisés consiste depuis 2018 en un reversement par France compétences d'une part du financement collecté auprès de l'ensemble des entreprises, de l'ordre environ 540 millions d'euros en 2022, aux onze OPCO. La répartition de ces fonds mutualisés entre OPCO s'opère en fonction du nombre d'entreprises de moins de 50 salariés couvertes par l'OPCO (pesant pour 10 % de la clef de répartition) et de leur nombre de salariés (90 %). Les OPCO prennent ensuite en charge une partie des actions de formation inscrites au plan de développement des compétences des entreprises.

Ce recentrage du financement des PDC par les OPCO sur les plus petites entreprises n'apparaît toutefois pas aujourd'hui, faute de moyens, apporter une pleine satisfaction aux acteurs entendus par les rapporteurs :

· les montants versés aux entreprises de moins de 50 salariés apparaissent largement insuffisants pour réellement contribuer à l'ambition de développement des compétences. L'effet incitatif s'avère insuffisant, et de nombreuses petites entreprises sont toujours hésitantes à élaborer des PDC. Les plans de développement des compétences, au bénéfice des salariés en poste, sont aujourd'hui financés par environ 540 millions d'euros de fonds mutualisés, tandis que la formation des demandeurs d'emploi est financée à hauteur de 1,6 milliards d'euros : c'est un décalage très conséquent. Selon l'U2P, « pour certains métiers, la moitié du budget du plan de développement des compétences des OPCO est parfois consommée dès la fin du premier trimestre »165(*).

Cette insuffisance semble résulter, entre autres, des déséquilibres du financement de la formation professionnelle tel que l'a mis en place la réforme de 2018 sous l'égide de France compétences. Les montants de financement très importants dédiés au CPF et à l'apprentissage, assis en outre sur une forte visibilité politique, laissent craindre que les plans de développement des compétences ne soient le parent pauvre de la réforme. Comme le notait le rapport de la commission des affaires sociales, on peut penser que « la réforme a été faite au détriment du financement du développement des compétences des salariés en poste »166(*) ;

· cette réforme a eu des effets redistributifs importants mais non anticipés, liés à la structure économique des différentes branches. Ainsi, les entreprises industrielles, comptant en moyenne plus de salariés par entreprise, ont été désavantagées par la répartition des fonds mutualisées introduite en 2018.167(*) Un premier changement est intervenu par décret en décembre 2021, prévoyant une nouvelle clef de répartition dépendant du nombre d'équivalents temps plein (ETP) dans chaque OPCO, et non du nombre de salariés ;

· la capacité des OPCO à assurer l'accompagnement de l'ensemble des entreprises dans l'élaboration de leur politique de formation a été obérée par le recentrage du financement et de leur action au profit des seules entreprises de moins de 50 salariés, et par le manque de moyens. Dans l'accord national interprofessionnel, les partenaires sociaux notent ainsi : « le passage du plan de formation au plan de développement des compétences est aujourd'hui inégalement pris en compte et mis en perspective dans la stratégie des entreprises. Cela d'autant que l'appui des OPCO en la matière a été ralenti en raison du processus de transformation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) en OPCO que la loi a imposée. Cette transformation est d'ailleurs parfois toujours en cours, du fait notamment de la crise sanitaire et économique. Certains d'entre eux viennent seulement de déployer leur offre de services auprès des branches professionnelles et des entreprises sur l'ensemble du territoire »168(*).

D'ailleurs, selon certains éléments transmis aux rapporteurs, les entreprises de 50 à 300 salariés seraient sorties fragilisées de la réforme, faute d'accès au fonds mutualisés mais aussi de ressources humaines structurées en interne, et l'on constaterait depuis une chute des dépenses engagées par elles en matière de formation. Ce constat est partagé, les syndicats représentatifs des salariés sollicités par la délégation ayant par exemple indiqué que « les OPCO ont une action plutôt efficace en termes de financement de la formation professionnelle mais ils manquent de moyens, particulièrement pour financer les plans de développement des compétences [...] Il faut remettre de la mutualisation sur le PDC des entreprises de 50 à 250 salariés » et ayant souligné les procédures complexes de décaissement des fonds reversés aux OPCO à cette fin169(*).

En particulier, la gestion financière de France compétences a pour conséquence un inadmissible manque de visibilité des OPCO sur le budget dont ils disposeront annuellement pour financer des actions de formation.

En avril 2023, l'OPCO des entreprises de proximité (OPCO EP) a ainsi été alerté par France compétences que sa dotation de 188 millions d'euros au titre de l'année 2022 avait été révisée à 123 millions d'euros, soit une baisse a posteriori de plus de 35 %170(*). L'OPCO, qui couvre 3 millions de salariés, a été contraint d'absorber le résultat négatif sur ses fonds propres, mais aussi de revoir drastiquement à la baisse le financement des actions de formation inscrites au PDC des entreprises de la branche pour 2023, avec pour conséquence des coupes dans les programmes de formation dans les secteurs de l'immobilier, de l'artisanat ou de la coiffure par exemple.

Les rapporteurs estiment qu'il est indispensable de garantir aux OPCO, et par conséquence, aux entreprises, une visibilité réelle sur la dotation dont ils disposeront chaque année au titre du financement des plans de développement des compétences (PDC). Il convient de garantir que les fonds dédiés au développement des PDC ne soient pas sacrifiés au cours des arbitrages à venir autour du financement de l'apprentissage et du CPF.

Recommandation n° 23 :

Encourager le déploiement des plans de développement des compétences au sein des entreprises, notamment les plus petites.

Recommandation n° 24 :

Maintenir le niveau de financement des plans de développement des compétences par les fonds mutualisés, et assurer aux OPCO la visibilité nécessaire sur le montant annuel de leur dotation.

2. Mieux co-construire les parcours de formation

L'efficacité de la formation continue au service du développement des compétences passera par un bon équilibre entre formation à l'initiative du salarié et formation à l'initiative de l'employeur. En 2022, selon un récent « Baromètre de la formation professionnelle », 75 % des Français interrogés pensaient que la responsabilité de la formation devait être équitablement partagée entre l'entreprise et le salarié171(*).

a) L'abondement du CPF offre un potentiel sous-utilisé

Afin d'assurer cet équilibre, et au regard de la place importante qu'a acquis le compte personnel de formation (CPF) dans la formation continue en France - avec près de 2,1 millions de dossiers validés en 2021172(*) - les acteurs économiques appellent à une meilleure co-construction des projets de formation financés grâce au CPF.

En effet, selon les éléments d'évaluation du CPF disponibles, la plupart des formations financées par le CPF sont courtes, et donc, en général, peu professionnalisantes - bien qu'utiles par d'autres égards - telles les formations au permis de conduire ou en langue étrangère (représentant respectivement environ 15 % des dossiers financés). Selon la DARES, 17 % des formations financées par le CPF sont suivies par des personnes ne déclarant ni objectif professionnel, ni finalité professionnelle ; et 11 % des formations CPF débutées sont abandonnées, en particulier celles délivrées à distance173(*). L'U2P s'est dit « préoccupée par l'évolution du CPF qui est de moins en moins professionnalisant »174(*).

Selon un sondage mené par CCI France auprès de 600 chefs d'entreprises, seuls 28 % des entreprises estiment que leurs salariés développent des compétences grâce à leur compte personnel de formation (CPF), et seuls 21 % estiment que les compétences développées sont utiles à l'entreprise. Le sentiment d'utilité limitée est plus élevé dans les secteurs de l'industrie et du commerce, et dans les entreprises de plus de 50 salariés175(*).

UTILITÉ DU COMPTE PERSONNEL DE FORMATION PERÇUE PAR LES ENTREPRISES

(Réponse à la question : « D'après votre expérience, vos salariés développent-ils
des compétences grâce à leur compte personnel de formation ? »
)

Source : Sondage OpinionWay pour CCI France, La Tribune, LCI, juin 2023

Les chefs d'entreprise regrettent ainsi de se retrouver parfois dans le rôle de « financeur aveugle » du CPF, sans dialogue avec les actions de formation individuelle du salarié et sans moyen de pouvoir encourager les formations les plus pertinentes pour le développement des compétences au sein de l'entreprise ou pour l'évolution professionnelle interne du salarié. Ce constat est d'autant plus dommageable à leurs yeux que le besoin de financement du CPF - dépense de guichet non pilotable comme l'a rappelé la Cour des comptes176(*) - croît d'année en année, financé par les prélèvements sur les entreprises, au détriment d'autres leviers de formation professionnelle. Initialement situé autour de 1,7 milliard d'euros, le coût total annuel des dossiers de CPF avoisine désormais les 3 milliards d'euros.

RÉPARTITION DES FINALITÉS DES FORMATIONS FINANCÉES PAR LE CPF EN 2021
(en %)

Source : France compétences, « Le compte personnel de formation », 2022177(*)

Depuis 2018, la loi permet certes à l'employeur d'abonder le CPF de son salarié, à la demande de ce dernier, lorsque le coût de la formation visée est supérieur au montant des droits acquis ou de certains plafonds. Cet abondement est également ouvert aux OPCO, à Pôle emploi, aux Régions ou encore aux chambres consulaires.

L'abondement du compte personnel de formation (CPF)

L'article L. 6323-4 de code du travail prévoit les modalités selon lesquelles le CPF du titulaire peut être abondé. Dans les cas où le coût de la formation dépasse les droits acquis par le titulaire, ou lorsqu'elle dépasse le plafond de prise en charge, des droits complémentaires peuvent être octroyés par abondement de la part de :

1° du titulaire lui-même ;

2° de l'employeur, lorsque le titulaire du compte est salarié ;

3° d'un opérateur de compétences ;

4° de l'organisme mentionné à l'article L. 4163-14, chargé de la gestion du compte professionnel de prévention ;

5° les organismes chargés de la gestion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles en application de l'article L. 221-1 du code de la sécurité sociale ;

6° l'État ;

7° les régions ;

8° pôle emploi ;

9° l'institution mentionnée à l'article L. 5214-1 du présent code ;

10° un fonds d'assurance-formation de non-salariés défini à l'article L. 6332-9 du présent code ou à l'article L. 718-2-1 du code rural et de la pêche maritime ;

11° une chambre régionale de métiers et de l'artisanat ou une chambre de métiers et de l'artisanat de région ;

12° une autre collectivité territoriale ;

13° l'établissement public chargé de la gestion de la réserve sanitaire mentionné à l'article L. 1413-1 du code de la santé publique ;

14° l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage mentionné à l'article L. 5427-1 du présent code.

Mais cette faculté d'abondement reste encore sous-utilisée, par manque de notoriété ou par manque de moyens. Selon le rapport d'information de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale dédié à l'évaluation de la loi « Avenir professionnel », à fin 2021, seuls 6 000 employeurs environ avaient initié des dotations complémentaires, pour un total d'environ 49 millions d'euros en 2021 (contre 105 millions d'euros d'abondement par Pôle emploi)178(*). Dans l'accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi « Avenir professionnel », les partenaires sociaux estimaient que : « la réforme de 2018 n'a pas atteint ses objectifs en matière de co-construction et de co-investissement : les pratiques d'abondement par les entreprises se développent mais demeurent marginales, peu connues et difficiles à mettre en oeuvre »179(*).

Pouvant être mis en oeuvre de manière individuelle ou dans une approche collective - par des accords de branche, l'abondement est pourtant un outil utile. Il permet notamment de rendre plus incitatives les formations professionnalisantes, souvent plus longues et plus coûteuses. Il est aussi un outil intéressant pour les entreprises de plus de 50 salariés ne pouvant bénéficier des financements des fonds mutualisés au titre du plan de développement des compétences.

Exemples d'abondements collectifs mis en oeuvre
par les entreprises et les branches professionnelles

Depuis juillet 2021, l'opérateur de compétences OCAPIAT (opérateur de compétences pour la coopération agricole, l'agriculture, la pêche, l'industrie agroalimentaire et les territoires) a signé un accord permettant d'abonder les CPF pour les entreprises de moins de 50 salariés, en particulier les TPE, en provisionnant à cette fin une enveloppe de 5 millions d'euros. 94 % des montants dédiés ont été utilisés quelques mois après sa mise en oeuvre.

OCAPIAT a également signé un accord d'abondement conventionnel à hauteur d'un million d'euros pour le secteur alimentaire. Les abondements sont ciblés sur des formations répondant aux besoins de ces branches et les métiers en tension, concernant toutes les entreprises.

De grandes entreprises, comme L'Oréal ou Schneider Electric ont fait le choix d'abonder les dossiers CPF à la hauteur du reste à charge. Schneider Electric a ainsi conclu un accord avec les partenaires sociaux permettant de financer en totalité les dossiers CPF spécifiquement pour les salariés dont le niveau est infra bac, et à plus de 50 % pour ceux ayant un niveau supérieur au bac.

Source : Rapport d'information de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur l'évaluation de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, Mmes Catherine Fabre, Carole Grandjean, Michèle de Vaucouleurs, et MM. Gérard Cherpion, Sylvain Maillard, Joël Aviragnet, janvier 2022

Les rapporteurs estiment que trois leviers principaux existent aujourd'hui pour développer le recours à l'abondement par l'employeur : premièrement, la sensibilisation à l'existence de ce dispositif d'abondement, encore méconnu ; deuxièmement, la simplification du traitement de l'abondement, en lien avec la Caisse des dépôts, les procédures applicables étant encore complexes ; et enfin troisièmement, le développement d'accords de branche visant à abonder de manière collective les CPF des salariés plutôt qu'au cas par cas.

Afin d'inciter à la mobilisation de ressources supplémentaires en faveur de la dépense de formation des employeurs, l'accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi « Avenir professionnel » mentionne également la possibilité de mettre en oeuvre une aide ou une incitation fiscale. Celle-ci aurait pour finalité de compenser une partie du coût encouru par l'entreprise en faveur de la formation de ses salariés (au titre de la gestion des emplois et des parcours professionnels, des diagnostics RH, des versements volontaires, de l'abondement...)180(*). Les rapporteurs estiment que cette proposition doit être étudiée plus au fond afin de garantir le levier fiscal ou social le plus adapté et le bon calibrage.

Recommandation n° 25 :

Par la sensibilisation, la simplification et l'incitation, développer le recours à l'abondement individuel ou collectif du CPF par les employeurs.

Évaluer notamment l'opportunité d'introduire des incitations fiscales pour les dépenses complémentaires engagées par les entreprises au titre de la formation, telles que l'abondement du CPF.

b) Un abondement par l'État pour les formations prioritaires

L'abondement du CPF est également ouvert à l'État et à ses opérateurs. Les rapporteurs estiment qu'au regard des enjeux collectifs de souveraineté et de développement économique attachés aux compétences nécessaires aux métiers d'avenir et aux métiers en tension, des programmes nationaux d'abondement par l'État pourraient être mis en oeuvre de manière ciblée.

Cette méthode avait été expérimentée dans le cadre du plan France Relance, présenté en septembre 2020. L'un des axes du plan France Relance étant le renforcement des compétences, notamment dans les secteurs stratégiques. L'État avait donc mis en oeuvre un dispositif d'abondement du CPF au bénéfice des formations du domaine du numérique (développeur web, technicien de maintenance ou d'assistance, développeur informatique, créateur ou administrateur de sites web...), pouvant atteindre 100 % du reste à charge dans la limite de 1 000 euros. De tels abondements ont aussi été déployés dans les métiers de la santé et de la transition écologique. Au total, 22,5 millions d'euros ont été dédiés au financement de ces actions de formation en 2021.

Recommandation n° 26 :

Instaurer un abondement du CPF par l'État lorsque celui-ci est mobilisé pour financer des formations orientées vers les métiers d'avenir et les métiers en tension.

c) Des hésitations autour de l'instauration d'un reste à charge

En outre, la loi de finances pour 2023 a consacré le principe de la participation du titulaire au financement de la formation financée par le CPF, à l'article L. 6323-4 du code du travail. L'article L. 6323-7 prévoit que cette participation peut être proportionnelle au coût total de la formation, limitée par un plafond, ou bien forfaitaire. Il en exonère les demandeurs d'emploi ainsi que les salariés faisant l'objet d'un abondement dans les conditions précisées plus haut. Pour s'appliquer, ces articles nécessitent toutefois la prise de mesures réglementaires d'application. À la date de rédaction de ce rapport, le décret en Conseil d'État attendu n'avait pas été présenté par le Gouvernement, celui-ci renvoyant sans davantage de détails aux « concertations à venir » : la participation des salariés au financement de leurs formations n'est donc pas applicable.

Ce dispositif de reste à charge, dès lors que la hauteur de la participation du salarié sera justement calibrée, pourrait assurer un meilleur ciblage des formations en limitant les effets d'aubaine. Toutefois, il convient d'assurer que le niveau de reste à charge qui sera fixé, après dialogue avec les partenaires sociaux, ne sera pas de nature à remettre en cause le droit individuel à la formation : il s'agit d'inciter les entreprises et les opérateurs à abonder les formations qui leur seraient les plus utiles et de faciliter la priorisation des choix de formation du salarié. Les syndicats représentatifs des salariés entendus par la délégation ont insisté sur la nécessité de préserver l'accès de tous à la formation, notant qu'un reste à charge uniforme plutôt que proportionnel, par exemple, défavoriserait nécessairement les personnes à la rémunération plus faible.181(*)

d) Développer le recours à la clause de dédit-formation

L'un des obstacles importants à la croissance de l'investissement des entreprises dans la formation de leurs salariés est la crainte que le salarié formé ne quitte l'établissement pour trouver un nouvel emploi, fort de ses compétences nouvellement acquises. Ainsi, lors des auditions réalisées par les rapporteurs, des représentants de petites entreprises ont indiqué qu'il était fréquent que l'entreprise prenne en charge financièrement la formation d'un jeune aux performances prometteuses sur des compétences importantes pour le développement de l'entreprise, avant que celui-ci ne parte pour rejoindre une grande entreprise, celle-ci n'ayant aucunement participé à cette formation.

Un outil juridique existe pourtant de longue date pour limiter ce risque : la clause de dédit-formation, clause contractuelle qui prévoit qu'en cas de démission du salarié avant l'expiration d'une période donnée (en général 2 à 5 ans), celui-ci soit tenu de rembourser tout ou partie des sommes complémentaires182(*) dépensées par l'entreprise en faveur d'actions de formation exceptionnelles. Le salarié peut ainsi profiter du bénéfice immédiat de la formation, tandis que l'entreprise s'assure du « retour sur investissement » de la prise en charge consentie. Ce dispositif est particulièrement utile en ce qui concerne les formations longues, plus certifiantes et professionnalisantes, mais aussi plus coûteuses et complexes à mettre en oeuvre pour l'entreprise.

Il appartient aux branches professionnelles - qui peuvent élaborer des accords de branches encadrant la mise en oeuvre du dédit-formation en son sein -, aux conseils des entreprises et aux fédérations de sensibiliser les entreprises, notamment les plus petites, à l'existence de cet outil, et de les accompagner dans sa mise en oeuvre. Les partenaires sociaux l'ont d'ailleurs rappelé dans l'accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 précité183(*).

Recommandation n° 27 :

Sensibiliser et accompagner les entreprises au recours à la clause de dédit-formation, afin d'inciter l'employeur à engager des dépenses complémentaires de formation.

III. LE DÉFI DE L'ACCOMPAGNEMENT DES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, À L'HEURE DE LA MOBILITÉ ET DE L'ALLONGEMENT DES CARRIÈRES

A. LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, L'ANGLE MORT DE LA RÉFORME DE LA LOI « AVENIR PROFESSIONNEL » EN 2018

Selon une étude du Centre européen de Formation, en janvier 2023, 44 % des actifs français souhaitent entamer une reconversion, dont 22 % en changeant de secteur d'activité et 25 % en changeant de métier.184(*) Déjà, près d'un Français sur dix avait exercé plus de 5 métiers au cours de sa vie professionnelle passée en 2018.

Souhaits de reconversion (en %)

Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023

NOMBRE DE MÉTIERS EXERCÉS À DATE (2018)

Source : Enquête IFOP « Les Français et la mobilité professionnelle », mars 2018185(*)

Comme évoqué dans la première partie de ce rapport, ces chiffres traduisent une plus grande aspiration à la mobilité professionnelle au cours de la vie et une certaine normalisation des parcours professionnels diversifiés chez les Français. Chez les moins de 35 ans, la proportion de personnes envisageant une reconversion atteint plus de 70 % de la tranche d'âge. Dans un marché du travail plus favorable, les salariés sont plus enclins à chercher des opportunités d'évolution professionnelle en dehors de leur entreprise, voire en dehors de leur secteur d'activité.

L'allongement des carrières que l'on peut anticiper, avec la réforme des retraites adoptée par la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, est susceptible d'augmenter la diversité des métiers exercés au cours de la vie, et pose la question de l'adaptation des emplois aux aspirations et aux compétences des seniors. Déjà, le taux d'emploi des seniors est passé de 30 à 56 % entre 2000 et 2021, conduisant à de nombreuses reconversions professionnelles186(*).

Les grandes transitions qui s'annoncent - et les mutations qui touchent déjà l'économie française - conduiront en outre à une recomposition de l'emploi et à une évolution des compétences attendues. La reconversion professionnelle, au-delà des opportunités personnelles qu'elle offre, est aussi un enjeu de société, puisqu'il faudra à la fois accompagner la décroissance de certains secteurs et de certains métiers et préparer l'essor des filières d'avenir.

Pourtant, les transitions professionnelles ont été l'angle mort de la réforme portée par la loi « Avenir professionnel » en 2018. Selon le rapport de l'Institut Montaigne consacré aux Français au travail, « les freins à la reconversion professionnelle apparaissent considérables, et ce problème n'a pas reçu l'attention qu'il méritait lors de la réforme de la formation professionnelle de 2018 ».

Les recommandations du rapport de l'Institut Montaigne
pour améliorer l'accompagnement des transitions professionnelles

L'Institut Montaigne formule plusieurs critiques à l'égard de la réforme de la formation professionnelle opérée en 2018, estimant notamment qu'elle a « trop fait porter l'effort sur les formations initiales (notamment l'apprentissage) » et qu'elle a « restreint les possibilités de financement des parcours professionnels longs en formation continue ». Le conseil en évolution professionnel est vu comme « n'ayant pas encore trouvé son régime de croisière, notamment en raison d'un niveau d'information parfois considéré comme trop généraliste ». Enfin, le CPF, « dans son économie actuelle, n'est pas taillé pour financer des parcours de reconversion ».

Le rapport formule quatre pistes d'amélioration de l'accompagnement des reconversions, et plus généralement des transitions professionnelles :

« (1) mieux conseiller les individus dans la construction de leur parcours ;

(2) mieux assurer la sécurisation des parcours (rémunération et coût de la formation) ;

(3) adosser davantage les parcours de formation à l'activité de travail dans une entreprise d'accueil qui sera aussi l'entreprise qui embauchera à la sortie 50 ;

(4) adapter notre système de certification professionnelle (notamment de nombreux diplômes professionnels de l'Éducation nationale) et les modalités pédagogiques de formation trop souvent conçus pour des jeunes en formation professionnelle initiale plutôt que pour des adultes en reconversion ».

Celle-ci ne l'avait abordé qu'indirectement sous l'angle du CPF - outil de financement de la formation continue des salariés - et du conseil en évolution professionnelle (CEP). Or, les dispositifs institutionnels publics de conseil et d'accompagnement aux transitions professionnelles, et notamment le CEP, jugés trop généralistes, sont cités en dernière position parmi les salariés aspirant à une évolution professionnelle. Seuls 36 % des personnes en cours de reconversion professionnelle ont bénéficié d'un accompagnement public.187(*) L'action de Pôle emploi ne s'étend pas aux salariés en reconversion, ou à ceux dont les métiers sont menacés. En outre, l'accès à la reconversion réussie est inégal selon les catégories socio-professionnelles et le niveau de qualification : un salarié peu qualifié sur cinq réussira sa reconversion, contre un ouvrier ou employé qualifié sur quatre et un cadre ou profession intermédiaire sur trois188(*). Selon le CEREQ, « les constats concernant les inégalités d'accès à la formation en entreprise et à une potentielle reconversion professionnelle demeurent donc accablants et jusqu'à présent peu modifiés par la loi Avenir professionnel »189(*).

B. DÉVELOPPER LES DISPOSITIFS DE CONSEIL ET D'ORIENTATION EN VUE DES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, NOTAMMENT EN FIN DE CARRIÈRE

1. Le conseil en évolution professionnelle (CEP), une « porte d'entrée » encore peu identifiée et en cours de structuration

Créé en 2014, le CEP entend jouer le rôle de « porte d'entrée » de l'accompagnement des transitions professionnelles, permettant d'offrir, au titre de service public, un conseil aux personnes envisageant une évolution professionnelle, et les orientant vers les interlocuteurs ou formations adaptées.

Le Conseil en évolution professionnelle (CEP)

Le CEP avait été introduit à l'article L. 6111-6 du code du travail à la suite de la transposition législative de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés.

Gratuit et accessible à « toute personne » au long de sa vie professionnelle, le CEP doit permettre « d'accompagner la formalisation et la mise en oeuvre des projets d'évolution professionnelle », en identifiant les formations et qualifications répondant aux besoins d'évolution des compétences et de carrière formulés, ainsi que les financements disponibles.

Le CEP s'inscrit dans le cadre du service public régional de l'orientation. Les organismes autorisés à dispenser le CEP sont ainsi sélectionnés dans chaque région, à l'issue d'un appel d'offres piloté par France compétences, se basant sur un cahier des charges national. Il peut aussi être dispensé par Pôle emploi, par les organismes chargés de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, par les missions locales, par l'association pour l'emploi des cadres (APEC).

Toutefois, le CEP est méconnu, mal identifié, et encore trop souvent regardé comme une étape peu concrète, généraliste agissant comme simple « orienteur » vers d'autres dispositifs ou interlocuteurs. Comme l'a exprimé la CFE-CGC, « aujourd'hui, le CEP reste en-deçà de ses possibilités »190(*).

Une première évaluation du dispositif, en 2018, avait conclu à un déploiement très insuffisant auprès des actifs occupés (représentant seulement 7 % des bénéficiaires), en raison notamment d'une capacité d'accueil et d'un maillage territorial insuffisants191(*). En conséquence, la loi « Avenir professionnel » avait confié à France compétences le pilotage, l'organisation et le financement du CEP, autour d'un nouveau cahier des charges commun à l'ensemble des opérateurs sélectionnés dans chaque région pour proposer ce service public.

Depuis, si le recours s'est quelque peu développé entre 2018 et 2022, atteignant 155 000 entrées environ en 2022 (102 000 en 2020), il reste très limité. Moins d'1 % des actifs se sont orientés vers le CEP chaque année, ce taux étant encore inférieur pour les personnes les moins qualifiées (0,4 %)192(*).

Selon la CGT, sollicitée par les rapporteurs, « les opérateurs actuels [...] font un travail de qualité. La CGT regrette que les CEP ne bénéficient pas d'autant de publicité que le CPF de la part du gouvernement car l'accompagnement reste essentiel dans un projet de formation ». Le syndicat appelle ainsi à « communiquer sur le CEP pour améliorer l'accompagnement des salariés. Pour la CGT, c'est à l'État de financer une campagne de promotion du CEP à la hauteur de celle qu'il a financé pour le CPF ». 193(*) Ce point de vue est partagé par FO, qui estime que « le CEP est un merveilleux dispositif qui, s'il était réellement promu par les politiques publiques, régulerait le dispositif de formation professionnelle. Toutefois, faute de moyens suffisants, le CEP n'a fait l'objet d'aucune campagne de communication de grande ampleur »194(*).

UTILITÉ PERÇUE DES CONSEILS EN ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE (en %)

Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023

De plus, une étude commandée par France compétences en 2022 témoigne de la persistance de « zones blanches du CEP », notamment en Picardie ou dans l'ancienne région Champagne-Ardenne195(*). L'action parallèle de différents réseaux d'opérateurs - il existe 18 opérateurs régionaux - nuit aussi à la lisibilité du dispositif et à sa bonne identification par les demandeurs196(*).

Alors que le marché relatif au CEP doit être renouvelé par France compétences en 2023 afin de prendre effet en 2024, les rapporteurs recommandent en conséquence de veiller au maillage territorial de l'offre de CEP et à la promotion d'une « marque CEP » cohérente et lisible. Ces deux facteurs apparaissent aujourd'hui indispensables au développement du recours au CEP, par ailleurs pertinent pour éviter les erreurs d'orientation et les inefficacités des parcours de transition professionnelle.

Un exemple d'initiative pour accompagner les reconversions : « TestunMétier »

Les rapporteurs ont rencontré la présidente de « TestUnMétier », Mme Carine Celnik. « TestUnMétier » propose de mettre en relation, sur une plateforme informatique, des personnes souhaitant se reconvertir, mais manquant d'information sur les métiers visés, avec des personnes exerçant ces métiers. 80 % des personnes recourant à la plateforme s'engagent dans une formation, une création d'entreprise ou une prise de poste, que cela soit dans le métier initialement identifié ou dans un autre.

Elle a exprimé la nécessité de « rassurer » les personnes en cours de reconversion, de « remettre de l'humain dans le processus et de se (re)donner envie de travailler ensemble », notant que les outils actuels de conseil en évolution professionnelle ne suffisent plus, en particulier pour les personnes les plus hésitantes.

Mme Celnik a par exemple témoigné de la démarche réalisée par une entreprise du secteur bancaire dans la région Grand Est : l'entreprise a « créé une plateforme pour accélérer le recrutement sur un métier en tension en interne (conseiller multimédia) car tous les dispositifs existants ne fonctionnaient pas (Forum métiers, « job board »...). Les rencontres entre pairs ont permis de rassurer et de recruter 35 personnes, qui sont satisfaites car les métiers présentés lors des échanges sont conformes aux tâches à réaliser une fois en poste ».  

« TestUnMétier » propose aussi des rendez-vous en visio entre entreprise en candidats en transition professionnelle, pour des entretiens de recrutement sans CV : ce sont souvent des candidatures qui n'auraient pas été étudiées ou reçu de suite si elles avaient été reçues selon des procédures « classiques ». De grandes entreprises du secteur bancaire ou de la restauration rapide y ont régulièrement recours, notamment pour des métiers en tension.

Sources : Audition de Mme Carine Celnik par la délégation aux Entreprises,
réponses au questionnaire

2. Le bilan de compétences, un dispositif dynamique mais insuffisamment mobilisé en faveur des seniors

Dans un contexte propice à la réflexion sur la mobilité professionnelle, le bilan de compétences connaît une dynamique très favorable. Près de 100 000 bilans de compétence auraient été réalisés en 2022, contre seulement 33 000 en 2019.

Outil ancien, le bilan de compétences a bénéficié d'un regain de visibilité grâce à son inscription parmi les actions de formation dans la loi « Avenir professionnel » et son éligibilité au CPF, qui permet à un grand nombre de salariés de financer seuls le coût du bilan (environ 1 500 euros).

Le bilan de compétences

Au titre de l'article L. 6313-4 du code du travail, les bilans de compétence ont pour objet de permettre aux salariés et aux demandeurs d'emploi d'analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation.

Le bilan de compétences se réalise sur une durée maximum de 24h, répartie sur plusieurs jours voir semaines (en général, environ trois mois). Il s'organise en trois phases (phase de diagnostic ; phase d'investigation et phase de conclusion). Les organismes habilités à bénéficier de fonds publics ou mutualisés pour opérer des bilans de compétences sont certifiés.

Le bilan de compétences peut être financé grâce au CPF. Il peut aussi être réalisé dans le cadre d'un plan de développement des compétences d'entreprise, avec le consentement du salarié. Enfin, il peut être conseillé à l'occasion d'un conseil en évolution professionnelle.

Le bilan de compétences bénéficie d'une forte visibilité auprès des Français et d'une bonne image, puisque 73,7 % des personnes interrogées dans le cadre d'une étude récente estiment qu'il a eu un impact sur leur situation professionnelle. Il conduit dans 43 % des cas à un changement de métier, dans 31 % des cas à un changement de secteur, dans 17,5 % des cas à une évolution professionnelle et dans 7,5 % des cas à une progression salariale.

NOMBRE DE BILANS DE COMPÉTENCES RÉALISÉS CHAQUE ANNÉE (2019-2022)

Source : Délégation aux entreprises, données communiquées par la FNCIBC.

Toutefois, si le recours au bilan de compétences s'est étendu à la fois en termes de volume et en termes de public cible - la progression chez les jeunes est notable - il reste encore insuffisamment mobilisé au profit des reconversions professionnelles des seniors. Les plus de 45 ans ne représentent ainsi qu'entre 15 et 20 % des personnes ayant eu recours au bilan de compétences.

Selon certaines des personnes interrogées, cela tiendrait à la faible intégration du bilan de compétences dans les plans de développement des compétences des entreprises. Le président du MEDEF avait évoqué dès 2022 la réflexion encore trop embryonnaire sur les fins de carrière et l'emploi des seniors, estimant que « l'on doit pouvoir faire un lien entre la formation proposée dans les entreprises et le bilan de compétences : c'est pour cela que l'on estime nécessaire de rendre ce bilan de compétences obligatoire »197(*).

Les rapporteurs estiment qu'il pourrait toutefois s'agir d'un levier intéressant à mobiliser à des étapes clefs de la vie professionnelle, comme par exemple autour de 45 ans, moment déjà identifié par la loi comme propice à la visite médicale obligatoire de mi-carrière. Selon la Fédération nationale des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (FNCIBC), 55 % des personnes recourant au bilan de compétences souhaitent rester dans l'entreprise qui les emploie : il faut donc éviter de le considérer comme un risque pour l'entreprise, mais plutôt comme une opportunité d'anticiper les évolutions de carrière et les reconversions éventuelles, en complément avec le conseil en évolution professionnelle.

Pour les seniors, le bilan de compétences peut être un outil pour valoriser leurs compétences déjà acquises et orienter leur projet d'évolution ou de reconversion de seconde partie de carrière.

Recommandation n° 28 :

Prévoir que chaque salarié puisse suivre, l'année de ses 45 ans, un bilan de compétences pris en charge à parts égales par le CPF, l'État et l'employeur par le biais d'abondements du CPF.

C. DANS UNE DÉMARCHE D'ANTICIPATION, FAIRE MONTER EN PUISSANCE LES FORMATIONS QUALIFIANTES POUR LES PUBLICS EN QUÊTE DE RECONVERSION

1. La validation des acquis est un levier puissant, mais qui pâtit de complexités administratives et d'un manque d'investissement dans l'accompagnement

La validation des acquis de l'expérience (VAE) pourrait être un levier puissant d'accompagnement des transitions professionnelles, puisqu'elle s'adresse par nature à des personnes disposant déjà d'une expérience professionnelle et souhaitant faire reconnaître par une certification formelle leurs compétences. Il s'agit en d'une troisième voie d'obtention de diplômes, en cours de carrière, qui renforce l'employabilité et favorise l'évolution professionnelle dans le cadre de carrières diversifiées.

La validation des acquis de l'expérience (VAE)

Créée en 2002, la validation des acquis de l'expérience a pour objet d'accompagner une personne vers l'acquisition d'une certification professionnelle, en s'appuyant sur les compétences acquises grâce à son expérience préalable (article L. 6313-5 du code du travail).

La certification visée doit être enregistrée au RNCP ou consister en un bloc de compétences de l'une de ces certifications. La personne doit pouvoir justifier d'au moins un an d'expérience professionnelle à temps complet en lien avec la certification obtenue.

La certification ou le bloc est validé par l'organisme certificateur sur dossier et sur examen d'un jury au terme d'un parcours caractérisé par un accompagnement (orientation, information) et par des actions de formation ou de mise en situation professionnelle.

La validation des acquis de l'expérience peut donner lieu à un congé spécifique et peut être considérée comme du temps de travail effectif. Elle peut bénéficier d'aides provenant de l'employeur, des OPCO, de la région, ou le cas échéant, peut être financée grâce au CPF, son coût moyen variant entre 800 et 5 000 euros)

Toutefois, comme l'avait relevé le Sénat dans le cadre des débats autour de la loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, la VAE connaît une dynamique de régression, faute de notoriété, mais aussi en raison de la complexité du processus : «  le nombre de personnes s'engageant dans une démarche de validation des acquis de l'expérience diminue depuis plusieurs années. Les parcours de VAE se caractérisent par une forte diminution du nombre de candidats à chaque étape : entre le dépôt du dossier et son examen par un jury puis entre le passage devant le jury et l'obtention de la certification. Le taux d'obtention d'une certification complète des candidats ayant déposé un dossier s'est ainsi élevé à 43 % en 2020 »198(*). 30 000 parcours de VAE ont été initiés en 2021, contre 67 000 en 2018. 30 % des dossiers ne sont validés que partiellement, et 10 % ne sont pas validés. Le nombre d'abandons est aussi significatif : seuls 10 % des candidats initialement intéressés par la VAE mèneraient à bien leur projet.

En outre, la VAE bénéficie aujourd'hui principalement à des personnes en situation d'emploi, bien qu'elle représente une opportunité réelle pour certifier les compétences demandeurs d'emploi en vue de leur insertion professionnelle.

Enfin, les organismes certificateurs ont aujourd'hui de grandes difficultés à mobiliser des jurys, faute de moyens dédiés.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DOSSIERS DE VAE PRÉSENTÉS ENTRE 2018 ET 2021
(EN %)

Source : Délégation aux Entreprises, chiffres extraits du rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (2022)199(*)

SITUATION DES PERSONNES PRÉSENTANT DES DOSSIERS DE VAE EN 2019 (EN %)

Source : Délégation aux Entreprises, chiffres extraits du rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail
en vue du plein emploi (2022)200(*)

Le rapport au Gouvernent rendu en 2022 par Claire Khecha, Yanic Soubien et David Rivoire faisait donc le constat d'une « VAE arrivée à un point d'essoufflement ». Il recommandait donc de développer les outils numériques, mais surtout de passer d'une « VAE sanction », chemin solitaire de constitution d'un dossier validé par un jury, à une « VAE parcours », accompagnée tout au long d'une procédure simplifiée.201(*)

En réaction, la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a ainsi apporté plusieurs évolutions de fond au dispositif de VAE, afin de développer le recours à cet outil de certification :

· elle a créé un service public de la VAE, piloté au niveau national par un groupement d'intérêt public (GIP) associant notamment l'État, les régions, Pôle emploi, l'AFPA, les OPCO et les associations de transition professionnelle. Le rôle de ce GIP est de mettre en oeuvre un « guichet unique et numérique » pour la VAE, d'animer le réseau territorial et d'amplifier les efforts de promotion de la VAE auprès des publics cibles ;

· elle a simplifié la procédure applicable à la VAE, notamment afin de raccourcir le parcours de validation et de faciliter l'étape de recevabilité ;

· elle a élargi l'éligibilité de la VAE aux proches aidants et aux aidants familiaux ;

· elle a permis de prendre en compte les périodes de mise en situation professionnelle au titre de la durée minimale d'expérience d'un an, requise pour prétendre à la certification ;

· elle a étendu l'accompagnement à la VAE (proposé notamment par les régions) à la période précédant la recevabilité du dossier de candidature, afin que celui-ci couvre bien la totalité de la démarche de VAE depuis son initiation ;

· elle a pérennisé la possibilité, tout d'abord ouverte à titre exceptionnel, pour les associations Transitions Pro de financer la VAE ;

· elle a permis de viser non pas l'obtention d'une certification complète, mais d'un bloc de compétences composant cette certification ;

· elle a doublé à 48 heures la durée maximale du congé de VAE ;

· enfin, elle a permis à titre expérimental (pour une durée de trois ans) que les contrats de professionnalisation puissent comporter des actions en vue de la validation des acquis de l'expérience, dans des conditions dérogatoires et pour certaines qualifications uniquement. Cette expérimentation dite de « VAE inversée », sera menée à compter de mai 2023 dans les secteurs particulièrement touchés par des difficultés de recrutement, et permettra donc de former au sein de l'entreprise par le contrat de professionnalisation en y adossant une VAE. 5 000 parcours individuels devraient être pris en charge dans le cadre d'un appel à projet national à venir, en bénéficiant de financements par l'OPCO202(*).

En outre, de septembre 2022 à juin 2023, une expérimentation dite « REVA » (Reconnaissance et valorisation) a été conduite par le Gouvernement en lien avec l'incubateur des services numériques de l'État. Elle a proposé un parcours numérique de VAE, simplifié, bénéficiant d'un accompagnement renforcé et pris en charge entièrement par l'État du point de vue du financement. L'expérimentation a d'abord porté sur certains métiers de services à la personne et du soin, visant environ 3 000 personnes203(*).

Toutefois, on peut douter que ces seules expérimentations permettront d'atteindre l'objectif fixé par le Gouvernement de 100 000 parcours de VAE par an, soit un triplement par rapport à 2021. Le dispositif semble à ce stade encore insuffisamment accompagné, en particulier pour les demandeurs d'emploi.

La délégation note en outre les motifs d'insatisfaction exprimés par les syndicats représentatifs des salariés vis-à-vis de certaines évolutions de la VAE, notamment la réduction du nombre d'années d'expérience préalable, perçue comme affaiblissant la valeur des diplômes obtenus à travers la VAE204(*).

Les rapporteurs recommandent donc d'intensifier l'accompagnement proposé dans le cadre des parcours de VAE, de renforcer les moyens budgétaires des acteurs de la VAE et de poursuivre les efforts de simplification des parcours. Les résultats des expérimentations lancées récemment, qui vont dans le bon sens, devront être évalués avec précision au cours des années à venir.

Recommandation n° 29 :

Poursuivre la simplification du cadre juridique et administratif des parcours de VAE, en renforçant l'accompagnement des demandeurs et en y dédiant les moyens nécessaires.

2. Pour éviter les ruptures, reconvertir en alternance ou en emploi

Il est ressorti nettement des auditions des rapporteurs un sentiment d'inefficacité de la formation dans le contexte des reconversions et des évolutions professionnelles, en raison des « ruptures de parcours » que demande implicitement le système. Ainsi, de nombreux interlocuteurs ont regretté que l'accompagnement par Pôle emploi, le bénéfice de certains financements ou de certains dispositifs de formation, soient plus facilement accessibles aux personnes ayant quitté leur emploi, qu'aux personnes encore en activité préparant leur transition professionnelle.

Par exemple, le contrat de professionnalisation, très apprécié des entreprises et permettant une formation par alternance dans le cadre d'un contrat de travail, n'avait pas jusqu'à récemment d'équivalent pour les salariés déjà en poste : il visait principalement les jeunes sortant de formation initiale, les demandeurs d'emplois ou les bénéficiaires de certains minimas.

Le contrat de professionnalisation

Le contrat de professionnalisation, prévu à l'article L. 6325-1 du code du travail, permet à un jeune de 16 à 25 ans, à un demandeur d'emploi de 26 ans ou plus, ou aux bénéficiaires de certains minimas d'être embauchés au sein d'une entreprise en vue d'acquérir, en formation continue, une qualification professionnelle reconnue par l'État ou la branche (diplômes ou certifications inscrites au RNCP, certificat de qualification professionnelle...). L'employeur s'engage à ce que l'emploi occupé soit en relation avec l'objet de la qualification visée.

Le contrat s'étend sur une période de six à douze mois, sauf exceptions (non diplômés, chômeurs de longue durée...), ou bien de douze à vingt-quatre mois s'il s'agit d'un CDI qui se poursuivra ensuite. S'y alternent temps de formation théorique (au moins 15 à 25 % et 150 heures) réalisées en organisme de formation ou dans l'entreprise si elle dispose des compétences ; et formation pratique en entreprise. Le salarié est accompagné par un tuteur au sein de l'entreprise, et dispose du statut d'étudiant des métiers.

Pour la durée du contrat, selon l'âge du salarié et le niveau de diplôme visé, le montant de la rémunération peut être inférieur au SMIC, sauf dispositif plus favorable mis en oeuvre par la branche. L'OPCO peut prendre en charge une partie des dépenses de la formation. Les employeurs bénéficient d'autres dispositifs incitatifs aux contrats de professionnalisation : exonérations de certaines aides, aide à l'embauche (6 000 euros, comme pour les apprentis), crédit de taxe d'apprentissage... Depuis le 1er juillet 2020, des aides exceptionnelles à l'embauche ont été prévues dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », à hauteur de 5 000 à 8 000 euros. En outre, une aide de 2 000 euros est versée aux employeurs recourant au contrat de professionnalisation pour un demandeur d'emploi de plus de 45 ans.

La création de la « Pro-A », dispositif de reconversion ou promotion par alternance, est à ce titre une évolution bienvenue apportée par la loi « Avenir professionnel » de 2018. Il permet justement de convenir, entre employé et employeur et à l'initiative de l'un ou de l'autre, d'une formation qualifiante par alternance pouvant être réalisée dans le cadre du contrat de travail existant, voire sur les horaires de travail.

Les entreprises regrettent toutefois que ce dispositif reste, pour l'instant, encore trop complexe à mettre en oeuvre.

La Pro-A a connu un certain « retard au démarrage », qu'ont relayé les OPCO. Dès 2019, une ordonnance est donc venue apporter certains assouplissements au dispositif, comme la possibilité pour les OPCO de prendre en charge les rémunérations des salariés concernés, l'éligibilité de la VAE à la Pro-A, ou encore la possibilité d'y recourir en activité partielle. L''instruction du 7 septembre 2021205(*) a également augmenté le niveau de prise en charge de la Pro-A de 3 000 à 9 000 euros, dans le cadre spécifique du plan France Relance. En effet, la Pro-A a bénéficié d'importants fonds issus de ce plan, à hauteur de 270 millions d'euros (dont 74 millions d'euros pour financer spécifiquement des formations dans le domaine de la santé).

La « Pro-A »

Créé en 2018 par la loi « Avenir professionnel » (à l'article L. 6324-1 du code du travail), la reconversion ou promotion par alternance (Pro-A) est un dispositif de professionnalisation en alternance, au bénéfice des salariés en CDI ou en contrat unique d'insertion.

Elle concerne les salariés ne disposant pas d'une qualification enregistrée au RNCP ou inférieure au grade de la licence, et vise à leur permettre de changer de métier ou d'évoluer professionnellement grâce à des actions de formation qualifiantes (visant justement des diplômes ou certifications inscrites au RNCP, ou bien une VAE).

La liste des formations éligibles à la Pro-A est définie par des accords de branche étendus, dans les secteurs concernés par d'importantes mutations économiques et par une forte évolution des compétences. L'OPCO peut prendre en charge une partie des frais encourus par l'entreprise dans le cadre de la Pro-A (hébergement, transport, frais pédagogiques), selon le montant forfaitaire fixé par la branche.

La Pro-A peut être utilisée à l'initiative du salarié ou de l'employeur, dans le cadre d'un projet d'évolution professionnelle, de reconversion, ou de projet de formation co-construit. Elle peut aussi être prévue par un plan de développement des compétences (PDC).

La Pro-A s'étend sur une période de six à douze mois, sauf exceptions, pouvant se réaliser sur le temps de travail ou en dehors. S'y alternent temps de formation théorique (au moins 15 à 25 % et 150 heures) réalisées en CFA ou en organisme de formation ; et formation pratique en entreprise. L'alternant est accompagné par un tuteur au sein de l'entreprise, et conserve son contrat de travail qui fait l'objet d'un avenant.

FINANCEMENT DE LA PRO-A PAR LE PLAN FRANCE RELANCE

Source : Plan France Relance

Selon l'OCPO EP, entendu par les rapporteurs, le dispositif gagnerait à être assoupli, notamment eu égard à son financement (qui n'est pas suffisant pour couvrir la durée de formation nécessaire), aux salariés et certifications visés, et aux contraintes impliquées pour les TPE, qui sont trop peu prises en compte (remplacement du salarié absent notamment)206(*). Le groupe FNAC Darty a aussi regretté que ses critères soient très restrictifs, la durée de formation étant forcément comprise entre 15 à 25 % de la durée totale de reconversion, et le temps de formation devant être supérieur à 150 heures précisément. Le groupe propose notamment de donner un plus grand rôle à l'entreprise dans la coordination du programme de la formation207(*). Selon FO, « s'agissant du dispositif Pro-A, celui-ci est exposé à un obstacle procédural de taille : l'obligation d'extension de l'accord collectif pour devenir effectif et opposable aux salariés et aux entreprises. Ainsi, il est clair que les conditions de forme doivent être revues pour que dispositif puisse fonctionner »208(*).

À la fin de l'année 2021, 91 branches professionnelles (comme les branches des secteurs de l'hôtellerie-restauration, du tourisme ou de la santé) avaient conclu des accords étendus permettant d'accéder au dispositif Pro-A et de désigner les formations éligibles, et 5 accords étaient en cours d'extension.

D'autre part, le plan France Relance a vu naître le dispositif « Transitions Collectives » (TransCo) financé via le FNE et piloté par les associations Transition pro (ATPro) au niveau régional. Ce dispositif vise spécifiquement les transitions des salariés d'entreprises frappées par des mutations économiques, afin qu'ils puissent se reconvertir au sein d'autres entreprises et d'autres secteurs du bassin d'emploi.

« Transitions collectives »

Le dispositif « Transitions collectives » (TransCo) vise à faciliter la reconversion des salariés dont l'emploi est fragilisé au sein de leur entreprise actuelle. Selon l'instruction du Gouvernement, son objectif est de « favoriser la mobilité professionnelle, en particulier intersectorielle, et les reconversions à l'échelle d'un territoire ».

Le dispositif a été défini par l'instruction du 11 janvier 2021209(*) relative au déploiement du dispositif « Transitions collectives », en application d'un dispositif annoncé et financé par le plan France Relance et « Co-construit avec les partenaires sociaux dans le cadre d'une concertation ». Il a été précisé par de multiples instructions gouvernementales depuis 2021.

Il est proposé aux salariés volontaires de ces entreprises fragilisées de développer leurs compétences dans le cadre d'une formation qualifiante de deux ans maximum. Les formations doivent être inscrites au RNCP, au RS, concerner un bloc de compétences ou être éligible à la VAE.

Elles doivent viser la réorientation vers des métiers « porteurs » de leurs bassins d'emploi, notamment ceux connaissant des tensions de recrutement. Ces métiers porteurs sont définis par une liste élaborée au niveau régional et déclinée par bassin, et doivent être identifiés, au sein de l'entreprise, par un accord de type Gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP). Le dispositif est couplé à un accompagnement par le conseil en évolution professionnel, et éventuellement, à son issue, à un accompagnement vers l'insertion par Pôle emploi.

Les associations de Transition Pro (ATPro), déjà chargées des transitions professionnelles de droit commun, sont chargées d'instruire et d'autoriser les projets, sur la base du dossier préparé par l'OPCO et l'entreprise. En parallèle, un réseau de « délégués à l'accompagnement des reconversions professionnelles » ont été mis en place au niveau départemental et régional, afin d'accompagner le déploiement de TransCo.

La formation est prise en charge par les ATPro, via des fonds dédiés issus de l'enveloppe FNE-Formation, alimenté par le plan France Relance (c'est-à-dire par abondement de l'État), et cofinancée par l'entreprise concernée (pour les entreprises de plus de 300 salariés). L'instruction du 18 mars 2022 a renforcé la prise en charge de la formation par le FNE-Formation.

Le contrat de travail est suspendu et la rémunération est maintenue durant la formation, dans les conditions applicables au projet de transition professionnelle prévu par la loi.

L'instruction du 7 février 2022210(*) a ouvert la possibilité aux entreprises de moins de 300 salariés d'intégrer le dispositif par accord collectif ou par décision de l'employeur. Elle a aussi renforcé la prise en charge des formations relatives au socle de connaissances et de compétences pour les salariés les moins qualifiés. Elle a introduit un « Transco-congé de mobilité » permettant aux salariés de se reconvertir dans le cadre d'une rupture conventionnelle ou d'un congé prévu par la GEPP, c'est-à-dire dans le cadre d'une reconversion « à chaud ». Enfin, elle entend développer les « plateformes d'appui aux transitions professionnelles », qui ont pour objectif de faciliter la mise en relation des entreprises ayant des salariés en reconversion et des entreprises rencontrant des difficultés de recrutement.

Monoprix a par exemple eu recours au dispositif pour offrir des perspectives de reconversion à ses agents de caisse, dont les métiers évoluent avec l'automatisation des caisses. Le dispositif mis en oeuvre avec l'entreprise partenaire Korian vise à offrir une formation vers des métiers d'aides-soignants, qui subissent de fortes tensions, afin que les salariés intéressés puissent rejoindre Korian en fin de formation. L'entreprise Derichebourg a également offert à ses salariés cette option. À la fin de la première session de formation, 11 salariés de Derichebourg et 60 salariés de Monoprix ont rejoint l'entreprise Korian.

Le dispositif ne s'est toutefois pas encore démocratisé. Deux instructions successives ont élargi le dispositif, notamment pour l'ouvrir aux petites entreprises : il gagnerait à monter en puissance, pour fluidifier la reconversion vers des métiers porteurs au sein des territoires, mais se heurte encore à des conditions de mise en oeuvre trop complexes. Par exemple, le groupe FNAC Darty, entendu par les rapporteurs, estime que : « les entreprises ne se saisissent pas de ce dispositif car il demande un investissement trop important sans apporter la garantie que le salarié aille jusqu'au bout de sa formation ». Il propose par exemple d'instaurer une période d'essai et une garantie d'engagement au sein du dispositif.211(*) Selon la CFE-CGC, ayant participé à la création de TransCo, « le dispositif est resté assez confidentiel. [...] les différents acteurs ont ajouté leur touche au fur et à mesure des discussions. Il en est ressorti un dispositif qui ne correspondait plus véritablement aux ambitions [...] Néanmoins, nous continuons de considérer cet outil comme nécessaire même s'il convient de le simplifier ».212(*)

En outre, les entreprises ont indiqué qu'il était souvent perçu comme destiné exclusivement aux entreprises en grande difficulté structurelle et donc mal accueilli par les salariés, alors qu'il peut aussi être utilisé à fins d'anticipation de l'évolution des métiers. L'OPCO EP a indiqué que « l'OPCO s'est particulièrement distingué en étant le seul à se positionner sur l'appel à manifestation d'intérêt de l'État et en tant que pilote ou contributeur sur plus de 50 plateformes de transition professionnelle »213(*).

D. FACILITER LA TRANSMISSION DES COMPÉTENCES AU SEIN DE L'ENTREPRISE

Dans bien des cas, l'entreprise est le lieu où la formation peut-être la plus efficace, grâce au contact entre salariés plus expérimentés et nouveaux arrivants, et grâce à l'expérience concrète des gestes et des tâches quotidiens.

Pourtant, les dynamiques démographiques et les difficultés de recrutement peuvent mettre en péril la transmission des compétences au sein de l'entreprise. Dans l'industrie, par exemple, environ 30 % des salariés avaient plus de 50 ans en 2012, et sont aujourd'hui proches de la retraite ; contre environ 18 % de moins de trente ans.

La transmission des compétences au sein de l'entreprise est un levier puissant pour assurer la pérennité de l'activité et des savoir-faire, comme le relève par exemple le METI : il « participe entre autres de la transmission intergénérationnelle qui importe tout particulièrement aux ETI, entreprises de long-terme, souvent détentrices de savoirs très spécifiques qui conditionnent la robustesse de leur positionnement sur le marché »214(*). Le Conseil national de l'industrie a également pris note de cet enjeu primordial, indiquant qu'un « groupe de travail sur cette question a été créée au sein du CNI afin de proposer des mesures pour aider les entreprises de l'industrie à maintenir en emploi et à recruter des salariés expérimentés ». Parmi les trois grandes mesures priorisées par le groupe de travail figure « la valorisation de l'expérience professionnelle des seniors en favorisant la transmission des savoirs »215(*).

Pourtant, peu de dispositifs existent pour valoriser et favoriser explicitement cette transmission au sein de l'entreprise.

Avec l'allongement prévu des carrières consécutif à la réforme des retraites opérée par la loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2023, de nombreux seniors peuvent chercher à réinventer leur rôle au sein de l'entreprise, par exemple si leur santé ne leur permet plus d'assurer leurs missions antérieures.

Les rapporteurs appellent donc à approfondir la réflexion sur les modes de transmission de compétences qui existent au sein de l'entreprise. À ce titre, les dispositifs mis en place par certains établissements de « tutorat » ou de « mentorat » paraissent intéressants.

Une proposition du METI : le « contrat de mentorat »

Le METI a par exemple de créer des « contrats de mentorat », visant à faire travailler un jeune possédant des compétences nouvelles avec un senior expérimenté au sein de l'entreprise et déjà formé aux postes existants.

Ces contrats pourraient bénéficier d'une modulation à la baisse de la contribution à la formation professionnelle ou des cotisations sociales, voire d'une réduction du temps de travail du salarié senior, afin de prendre en compte leur intérêt en termes de formation et d'être plus incitatif vis-à-vis des salariés déjà en emploi dans l'entreprise.

Source : Réponses du METI au questionnaire de la délégation

L'opportunité de mettre en place des dispositifs incitatifs à de tels modes de transmission pourrait être évaluée. On pourrait par exemple envisager d'octroyer une « aide aux salariés formateurs », pour les salariés acceptant de conduire des missions de formation ou de mentorat au sein de leur entreprise et à destination des collègues moins expérimentés. De même, la « formation à la formation » pourrait être développée, car la transmission des compétences, elle-même, s'apprend.

De manière générale, l'ensemble des personnes entendues par les rapporteurs, représentants des entreprises comme de leurs salariés, s'est déclaré favorable à encourager la transmission des compétences au sein de l'entreprise. L'Université des métiers du nucléaire a ainsi insisté sur la nécessité de « dédier du temps à la montée en compétence », d'« organisation la capitalisation et la transmission des connaissances, grâce à des outils et à des méthodologies de transfert », de « promouvoir et valoriser le mentorat et le tutorat pour accompagner et compagnonner les nouveaux arrivants », ou encore d'« encourager les salariés à enseigner, s'engager dans la formation, leur allouer du temps et valoriser cet engagement, car en plus d'être compétents, ils sont passionnés ».216(*) La CFE-CGC, sollicitée par les rapporteurs, a indiqué que « le tutorat, pourtant essentiel dans le cadre de l'alternance, est globalement peu reconnu ni valorisé en entreprise et il est encore plus rarement rémunéré, ce qui n'est pas du tout incitatif, ni très cohérent au regard des ambitions affichées par les pouvoirs publics » 217(*), tandis que la CGT, s'est déclarée « très favorable à l'accueil des nouveaux salariés au sein d'une entreprise par des salariés plus expérimentés. Cela doit se faire obligatoirement avec leur accord, qu'ils aient un allègement de la charge de travail, qu'ils soient formés et que cet accompagnement soit valorisé et reconnu au niveau de leur classification et de leur rémunération »218(*).

Recommandation n° 30 :

Faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise en :

 mettant en place des incitations pour les « salariés formateurs » ou les salariés acceptant des missions de mentorat au sein de l'entreprise ;

 « formant les formateurs », pour permettre aux salariés qui le souhaitent de prendre une plus grande part à la transmission des compétences au sein de l'entreprise.

Enfin, la loi « Avenir professionnel » a récemment donné une base légale à l'AFEST, ou « actions de formation en situation de travail ». Il s'agit d'une modalité de formation permettant à la personne de se former directement sur les machines ou dans les circonstances habituelles du poste, dans l'entreprise accueillante.

L'AFEST présente l'avantage de répondre ainsi à des besoins de formation très spécifiques, mais aussi de développer le volet « concret » de la formation, parfois perçue comme trop « scolaire » ou « hors sol » par les entreprises rencontrées par les rapporteurs ou les candidats eux-mêmes. Selon le CEREQ, « les modalités de formation restent encore dominées par la forme stage/cours, malgré les innovations introduites par la loi Avenir professionnel »219(*).

À titre d'exemple, l'OPCO Akto a accompagné en 2021 et 2022 une quinzaine de TPE-PME de région Ile-de-France, actives dans les secteurs de la restauration, du traitement des déchets entre autres - dans le déploiement d'AFEST. Des formations de soudeurs ont aussi été lancées en Nouvelle-Aquitaine, avec le soutien de Pôle emploi. L'OPCO EP accompagne également quatre branches professionnelles pour développer le recours à l'AFEST dans les entreprises (miroiterie, automobile, imprimerie...), tandis que 21 branches de son périmètre ont défini des modalités de financement de l'AFEST par les plans de développement des compétences220(*).

De tels dispositifs sont déjà fréquemment utilisés dans d'autres pays européens, mais restent peu développés en France. Centre Inffo estime par exemple que l'on se situe « encore dans une période d'expérimentation et d'exploration » de l'AFEST, « tant du côté des entreprises que des financeurs ». Là encore, la complexité du dispositif est souvent citée comme obstacle à sa mise en oeuvre, notamment dans les petites entreprises ne disposant pas de ressources dédiées ; et l'accompagnement est clé. Des référents pourraient être mis en place au niveau des branches ou des fédérations, pour accompagner son développement lorsque cela est pertinent et former des interlocuteurs dédiés au sein des entreprises intéressées.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

29 juin 2023

M. Serge Babary, président. - Chers collègues, je suis heureux que nous nous retrouvions aujourd'hui pour la dernière réunion plénière de cette session parlementaire et de cette législature.

L'ordre du jour de cette réunion appelle l'examen du rapport de nos collègues Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet sur le thème « Formation, compétences, attractivité ».

Je souhaite rappeler en préambule que c'est là un thème très important pour notre délégation. Nous avions déjà adopté et publié en 2020 un rapport alarmant intitulé « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises ».

Mais nous avons tous pu constater, dans nos circonscriptions et surtout lors des déplacements de notre délégation, que le problème ne faiblit pas, et au contraire, semble s'aggraver. Il faut dire que peu de choses ont été faites par le gouvernement à ce sujet depuis la loi Avenir professionnel de 2018, qui s'était concentrée sur l'apprentissage et sur le compte personnel de formation. Nombre des recommandations que nous avions formulées en 2020 restent tout à fait d'actualité.

C'est pour cela que nous avions souhaité lancer un nouveau rapport d'information sur ce sujet, pour réaliser un nouveau diagnostic et surtout formuler une nouvelle fois des propositions de solutions concrètes.

Le moment est propice. Nous avons pu noter la grande mobilisation des partenaires sociaux, qui ont proposé récemment des avancées importantes sur le thème du partage de la valeur ou de l'organisation du travail. Le sujet des compétences commence à être saisi par le gouvernement, qui a proposé plusieurs réformes. Le Sénat examinera d'ici quelques jours le projet de loi Plein emploi, dont notre collègue Pascale Gruny est rapporteure, qui comprend notamment la refonte du service public de l'emploi. Une réforme des lycées professionnels a aussi été annoncée pour la rentrée prochaine. Mais l'action du gouvernement reste embryonnaire par rapport à l'étendue des sujets.

Il me semble donc que le travail de nos collègues va nourrir utilement la réflexion du Sénat, mais aussi du gouvernement, sur ces sujets, et ouvrir de nouvelles perspectives.

D'ailleurs, la ministre Grandjean nous a d'ores et déjà proposé d'échanger avec les rapporteurs de notre délégation autour des propositions de leur rapport : je me félicite que la délégation aux Entreprises joue ainsi son rôle de relais et d'alerte sur les préoccupations et les difficultés des entreprises.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons intitulé notre rapport « Former pour aujourd'hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société ».

Il a été beaucoup question, au cours des derniers mois et années, des multiples « crises » qui ont frappé la France : crise sanitaire, crise économique, crise de l'énergie, crise environnementale... Mais il y a une crise qui fait moins de bruit, et qui devrait pourtant nous alarmer tout autant : c'est la crise des compétences.

Nous avons pu constater, lors de tous nos déplacements sur le terrain, à quel point ce sujet est systématiquement cité par les chefs d'entreprise parmi leurs préoccupations premières. Pourtant, dans le débat public, et même, dans l'agenda législatif, il est inexplicablement peu présent.

Nous avons donc abordé le sujet de notre rapport par trois mots clefs : formation, compétences et attractivité. Ces trois approches sont complémentaires. Les compétences sont la clef pour les entreprises qui recrutent, mais elles doivent s'appuyer sur des écoles, des universités, une formation continue qui fonctionne. La formation permet d'acquérir les compétences manquantes, mais elle n'est pas la réponse unique aux difficultés de recrutement : encore faut-il savoir à quoi l'on forme, pour demain, dans une société en évolution rapide. Enfin, lorsque les compétences sont rares, l'attractivité des emplois et des entreprises est le facteur différenciant pour assurer que les talents aient envie de répondre aux offres d'emploi.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Depuis le début de nos travaux en février dernier, des évolutions notables sont intervenues : pour n'en citer que deux, le gouvernement a annoncé la refonte du service public de l'emploi, avec la création de France Travail, et une nouvelle réforme du lycée professionnel est attendue à la rentrée prochaine.

Ces annonces tranchent avec le relatif silence du gouvernement sur le sujet des compétences depuis près de cinq ans. Aucune évolution majeure n'était intervenue depuis 2018 et la loi Avenir professionnel qui avait refondu l'apprentissage et la formation continue. La période du Covid-19, le plan de relance et le plan d'investissement dans les compétences avaient certes permis de mieux financer la formation, mais le résultat n'est pas au rendez-vous : les difficultés de recrutement des entreprises s'accentuent.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Nous avons mené une trentaine d'auditions au cours des derniers mois, d'entreprises bien sûr et des fédérations qui les représentent, mais aussi des administrations, des acteurs de la formation initiale comme continue, des collectivités territoriales, des experts et des économistes. Nous avons pu nous appuyer sur les témoignages recueillis lors de nos déplacements au sein d'entreprises et d'organismes de formation dans le Cher, en Vendée, dans un lycée professionnel et dans un centre de formation d'apprentis (CFA) participant à un Campus des métiers et des qualifications.

Nous avons d'ailleurs pu constater le nombre important d'acteurs différents qui interviennent sur les questions de compétences et de formation, et la difficile coordination des efforts pour « tirer dans le même sens ». Souvent, nous avons eu l'impression d'une communication difficile entre administration, établissements et entreprises, alors que ce dialogue est primordial pour relever le défi des compétences.

À la fin de nos travaux, nous vous présentons trente propositions, dont quinze que nous souhaitons particulièrement mettre en relief.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - D'abord, il nous faut dire d'entrée que le constat est aujourd'hui inquiétant et justifie une action d'urgence.

Les tensions de recrutement ont atteint un niveau inédit depuis plus de vingt ans. 67 % des entreprises, soit plus des deux tiers, peinent à recruter, et ce, dans l'ensemble des secteurs de l'économie.

Le nombre de métiers en tension augmente fortement et rapidement : alors que 50 métiers sur 186 métiers étudiés étaient tendus en 2015, ils sont aujourd'hui 119. De nouveaux métiers sont touchés, mais les métiers qui étaient en tension il y a dix ans le sont toujours aujourd'hui : on ne sait pas régler ce problème. Les difficultés n'ont pas été enrayées par les initiatives gouvernementales, comme les deux plans de réduction des tensions de recrutement, ni même par la pandémie de Covid-19.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Il faut prendre la mesure de ce que ces difficultés persistantes signifient. D'abord, cette pénurie de main-d'oeuvre touche des activités essentielles à la vie de la Nation : les métiers du soin, de l'industrie, du bâtiment, ou encore du secteur des transports. Il y a là une dimension de souveraineté.

Ensuite, c'est aussi un enjeu social, puisque la France est encore bien loin du plein emploi. Chaque emploi vacant est une opportunité manquée d'insertion professionnelle, alors que l'on compte cette année encore 3 millions de demandeurs d'emploi et que 13 % des jeunes Français ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi.

Enfin, les entreprises nous ont dit l'impact économique de ces tensions pour leur activité. Pour 59 % des entreprises interrogées, c'est l'un des problèmes principaux qu'elles rencontrent. Pire, un quart des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) indiquent que la difficulté à recruter a un impact majeur sur leur chiffre d'affaires : c'est énorme. Nous savons l'importance de consolider et de faire croître notre tissu de PME et très petites entreprises (TPE) : mais il n'y aura pas de croissance sans compétences, c'est une certitude.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Au-delà des difficultés actuelles, auxquelles il faut apporter une réponse urgente, il faut aussi préparer l'avenir.

Nous savons que notre pays aborde trois grandes transitions qui vont bouleverser notre société et notre économie.

D'abord, la transition démographique. Près d'un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2035, générant un boom de la silver economy. 370 000 emplois d'accompagnement, de soin, de loisirs seront créés d'ici là. Mais en parallèle, la population active diminuera, ce qui accentuera les tensions sur les compétences. Il faudra s'assurer que l'offre de formation se maintiendra sur le territoire et que les entreprises puissent trouver les talents dont elles auront besoin.

Ensuite, la transition numérique, avec là aussi, une croissance des besoins en emploi de l'ordre de 25 % d'ici 2030. Notre délégation a travaillé sur le besoin de cybersécurité ; mais il y a aussi l'industrie 4.0, l'analyse des données, etc. L'irruption de ChatGPT dans l'entreprise, et plus généralement l'automatisation et l'intelligence artificielle, promettent aussi des bouleversements profonds.

La transition environnementale enfin : des filières entières se structurent et se développent, comme la dépollution, la rénovation énergétique ou les énergies renouvelables, tandis que d'autres vont connaître une importante mutation, comme l'automobile et l'aéronautique. Cela fera appel à des compétences nouvelles que le système de formation devra intégrer, mais engendrera aussi de nombreuses reconversions qu'il faudra accompagner.

Ce constat nous amène à la conclusion suivante : il faut agir rapidement, pour répondre dès aujourd'hui aux difficultés des entreprises, mais surtout préparer l'avenir. Les compétences ne se forment pas en un jour, mais en vingt ans, parfois trente. Pour contrer cette inertie et anticiper, il faut une action résolue de l'État en ce moment charnière. Les compétences sont le socle de notre économie et de notre société.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nos principales propositions s'organisent autour de trois axes.

Le premier axe concerne l'impératif de l'attractivité.

Dans un contexte de tensions, il faut aider et accompagner les entreprises à valoriser leur activité et les emplois qu'elles offrent. L'objectif est triple : revaloriser les métiers qui souffrent d'une crise d'attractivité, mieux communiquer sur les opportunités, et fidéliser les salariés en poste.

Notons au passage que la « grande démission » reste, en France, au stade du mythe. Mais il est vrai que certaines considérations ont pris de l'importance à l'aune de la crise sanitaire, notamment la mobilité professionnelle et l'organisation du travail : les derniers travaux des branches montrent que cela est de plus en plus intégré par les partenaires sociaux.

Le premier levier que nous identifions est celui de l'information, de la communication, de la promotion.

À l'école, nous souhaitons que la connaissance des métiers devienne un objectif à part entière de l'enseignement, dès le collège. L'information des élèves au sujet des métiers et de l'entreprise est encore trop rare et trop contingente. Nous proposons donc un temps dédié dans le cursus scolaire, en classe de cinquième et en classe de seconde générale, qui pourrait être adapté aux spécificités du tissu économique local. Pour faciliter les immersions en entreprise des élèves, une plateforme de bourse aux stages régionale doit être mise en place en s'appuyant sur les compétences de la région.

L'information des élèves et de leurs familles aux périodes charnières de l'orientation reste un vrai angle mort. Il faut afficher de manière transparente des éléments de comparaison entre filières de formation initiale, quant à la rémunération, l'insertion, les débouchés, pour éviter les erreurs de parcours et les désillusions.

Nous souhaitons que les enseignants soient davantage formés au monde professionnel et aux métiers, ce dès le début et tout au long de leur carrière. Il faut aussi améliorer la visibilité des interlocuteurs chargés de la relation aux entreprises au sein des établissements pour resserrer les liens et améliorer le dialogue. Nous avons entendu que dans certains cas, l'accès d'entreprises souhaitant présenter leur activité et leurs métiers au sein des lycées et collèges est refusé : c'est incompréhensible et inacceptable !

Du côté de l'entreprise, nous appelons à mieux valoriser le sens des métiers proposés et l'engagement sociétal des entreprises, en développant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), notamment dans les PME. C'est un vrai levier d'attractivité et de « ré-enchantement » de l'entreprise pour les jeunes. Il faut aussi soutenir l'effort de ressources humaines des petites entreprises dans le recrutement, pour construire une « marque employeur » et mieux communiquer. Enfin, les branches ont un important rôle à jouer dans la promotion des métiers.

Le second levier que nous identifions consiste à accompagner l'évolution des emplois, au regard des nouvelles attentes des Français.

Il faut promouvoir l'intégration des nouveaux modes de management et d'organisation du travail, en fonction des spécificités de l'entreprise et de son activité. Il faut aussi poursuivre la prise en compte de la qualité de vie au travail, pour lesquels les branches professionnelles sont très actives. Enfin, nous appelons à développer le partage de la valeur au sein de l'entreprise, en cohérence avec l'accord national interprofessionnel de février 2023. Nous demandons une simplification de ces dispositifs de partage de la valeur : la confédération des PME (CPME) nous a confirmé lors de notre audition plénière à ce sujet qu'ils restaient encore bien trop lourds.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Le deuxième axe de notre rapport appelle à poursuivre la rénovation de la formation initiale et de l'alternance, pour allier insertion facilitée vers l'emploi et socle de compétences solide.

Nous faisons le constat d'un système de formation initiale qui pâtit toujours des mêmes faiblesses, pourtant soulignées depuis de nombreuses années.

Tout d'abord, la dégradation croissante de la maîtrise du socle de compétences, surtout en matière scientifique, est inquiétante. Nous sommes parmi les mauvais élèves de l'OCDE. Seuls 59 % des élèves de lycée suivaient en 2022 un enseignement de mathématiques.

La féminisation des filières et des carrières scientifiques est toujours insuffisante ; tandis que le déséquilibre est inverse dans les professions du soin et de l'aide aux personnes. C'est un gisement de compétences inutilisé, et une source d'inégalités.

Concernant l'offre de formation initiale elle-même, les procédures d'évolution de l'offre restent trop longues et trop rigides. La validation des nouvelles formations par France compétences prend énormément de temps, alors que l'enjeu de l'adaptation aux transitions et aux métiers de demain relève de l'urgence.

Enfin, il faut prendre garde au maillage sectoriel et territorial des formations initiales, car nous avons entendu que certains territoires étaient à la limite de la « désertification ».

Sur ces quatre points, nous formulons des propositions pour renforcer le socle de compétences et assurer l'agilité de notre système de formation initiale.

Nous avons aussi souhaité réaliser deux « focus » spécifiques : l'un sur l'apprentissage, l'autre sur les lycées professionnels.

Concernant l'apprentissage, qui avait été rénové en 2018, nous notons qu'il s'agit d'un succès dans les chiffres et dans les têtes. Les entreprises le plébiscitent et les jeunes désormais aussi. Mais il reste selon nous deux défis de taille.

Le premier est le développement de l'apprentissage dans les formations à niveau de qualification baccalauréat ou infra-bac, car c'est là que la formation a le plus fort impact et là que se trouvent les métiers porteurs.

Le deuxième défi est celui du financement. La loi Avenir professionnel a fait les choses à moitié sur ce point. Comme l'apprentissage consomme une part de plus en plus grande du pot commun de France compétences, on rogne sur les autres postes de dépenses, comme le financement de la formation en entreprise ; et les budgets sont déficitaires de manière chronique. Depuis 2020, France compétences a dû bénéficier de 14 milliards d'euros de rallonges de l'État et s'est fortement endettée ! Ce n'est pas tenable et cela met en péril la dynamique de l'apprentissage. En effet, la tentation est grande d'accroître les prélèvements fiscaux sur les entreprises ou de réduire la prise en charge de l'apprentissage. Nous pensons que si l'État veut réellement faire de l'apprentissage une voie importante de formation initiale, il doit contribuer à son financement - et pas seulement les entreprises. Nous recommandons donc, à court terme, et en l'attente d'une solution plus globale, de maintenir l'aide à l'embauche d'apprentis, de veiller à maintenir des niveaux de prise en charge soutenables pour les CFA, et de garantir le financement de France compétences.

Le gouvernement a annoncé, au cours de nos travaux, une réforme de la voie professionnelle. Ce n'est pas la première, mais le lycée professionnel souffre encore d'une image très dégradée, bien qu'il accueille un lycéen sur trois en France !

Il est considéré comme insuffisamment attirant, insérant et professionnalisant. Cela est confirmé par les chiffres. Seule la moitié des diplômés de CAP trouve un emploi au cours des deux années suivant la fin de leur formation. Les chefs d'entreprise nous ont dit souvent devoir « re-former » les jeunes diplômés sur des compétences de base. 61 % du « décrochage » des jeunes en France intervient au sein des lycées professionnels. C'est donc un enjeu majeur, surtout qu'une grande partie des métiers en tension relève de la voie professionnelle !

La réforme du lycée professionnel devra donc faire ses preuves. Nous appelons à faire de l'orientation une priorité, pour passer des parcours subis à des parcours choisis. Il nous semble qu'il faut aussi développer les dispositifs de spécialisation concrète au sein des lycées, comme les colorations qui permettent d'adapter un diplôme général à un métier ou secteur particulier, ou bien les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL) qui, en partenariat avec les collectivités, donnent un « petit plus » de formation adaptée au tissu économique local. Évidemment, nous souhaitons que les lycées soient incités à dialoguer davantage avec les entreprises, pour faciliter l'insertion des élèves et aussi l'évolution des formations. Il faut que les établissements s'organisent pour cela, et nous recommandons que des indicateurs de suivi soient définis en la matière. Enfin, nous recommandons qu'un suivi par Pôle Emploi des jeunes diplômés soit mis en place pendant deux ans après leurs études, pour assurer leur bonne insertion et les accompagner vers l'emploi.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le troisième et dernier axe de notre rapport concerne la formation continue.

La formation initiale ne fait pas tout : la formation continue est un réel levier, à la fois pour le retour vers l'emploi des personnes éloignées du monde du travail ou peu qualifiées ; et pour l'évolution professionnelle des personnes déjà en poste.

Nous avons évoqué tout à l'heure une inquiétante spécificité française : nous comptons toujours aujourd'hui trois millions de chômeurs, mais les entreprises ne parviennent pas à recruter. Cela suggère que nous pouvons, et devons, faire mieux en matière d'accompagnement et de formation des demandeurs d'emploi, surtout pour les personnes les plus éloignées de l'emploi.

Les freins restent nombreux. On peut citer le manque d'accompagnement, car il ne suffit pas de former au métier, il faut souvent accompagner dans les démarches administratives et de recrutement. L'offre de formation reste pour beaucoup de personnes complexe, peu lisible, et parfois inadaptée aux besoins. L'insuffisance du socle de compétences, dont nous avons déjà parlé, limite aussi l'accès aux formations plus qualifiantes. Enfin, nous avons beaucoup évoqué lors des auditions les freins périphériques à l'entrée en formation : manque de mobilité géographique, difficultés de logement, de garde d'enfant, coûts indirects...

Depuis le début de nos travaux, le gouvernement a annoncé la refonte du service public de l'emploi au sein de France Travail, et le lancement d'un second plan d'investissement dans les compétences. Nous appelons, dans le cadre de ces réformes à prendre en compte quatre aspects essentiels.

D'abord, il faut soutenir les démarches visant à aller vers les demandeurs d'emploi, pour les amener vers la formation ; et les logiques dites sans couture, c'est-à-dire de prise en charge continue, sans rupture de parcours.

L'offre de formation concernant le socle de compétences, mais aussi les savoir-être, doit être renforcée : c'est un préalable absolument nécessaire à toute action ultérieure de formation qualifiante. C'est un prérequis dans la société comme dans l'entreprise.

Nous souhaitons que l'orientation et l'accompagnement des demandeurs d'emploi comprennent une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension, afin d'améliorer l'information sur ces métiers et d'inciter les personnes en recherche de travail à s'orienter vers ceux-ci.

Enfin, les régions et les acteurs locaux du service public de l'emploi (les missions locales notamment) devront être pleinement associés à la gouvernance du futur France Travail. Il serait très dommageable de recentraliser la compétence, alors qu'on sait que l'échelon de proximité est absolument indispensable pour un accompagnement de qualité.

Concernant ensuite la formation continue, la réforme de 2018 n'a pas atteint tous ses objectifs.

Certes, la création du compte personnel de formation (CPF), financé en grande partie par les entreprises rappelons le, a permis d'améliorer l'accès quantitatif à la formation. Mais la réforme n'a pas garanti l'efficacité des actions de formation, qui apparaissent parfois très peu professionnalisantes. Nous appelons à une plus grande co-construction des projets de formation, afin que l'investissement en vaille la chandelle pour le salarié comme pour les entreprises.

Par exemple, l'abondement ciblé du CPF serait une bonne incitation à s'orienter vers des formations réellement professionnalisantes. Il peut être apporté par l'entreprise, mais pourrait aussi être apporté par l'État, par exemple pour des formations en faveur des métiers en tension.

Nous proposons aussi, lorsque l'entreprise finance une formation, de recourir davantage à la clause de dédit-formation, qui assure que le salarié rembourse une partie des frais supplémentaires de formation engagés par l'entreprise s'il la quitte peu de temps après.

Enfin, nous appelons à ce que les plans de développement des compétences (PDC) soient davantage utilisés, notamment dans les petites entreprises. Il est impératif à ce titre de sécuriser leur financement par les fonds mutualisés, qui sont aujourd'hui en péril au vu du manque de moyens de France compétences. Je précise que les opérateurs de compétences (OPCO) ont été informés par l'État en 2023 du budget de formation dont ils disposent pour 2022... Comment avoir une approche stratégique et globale dans ces conditions ?

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons enfin souhaité faire ressortir l'enjeu des transitions professionnelles, qui est l'angle mort des dernières réformes.

44 % des actifs français interrogés aujourd'hui souhaitent entamer une reconversion, dont 22 % en changeant de secteur et 25 % en changeant de métier. L'allongement prévu des carrières consécutif à la réforme des retraites met en question l'évolution professionnelle des seniors. Les mutations économiques pourraient aussi rendre plus fréquentes les reconversions, entre secteurs en déclin et secteurs porteurs.

Mais les dispositifs existants de conseil et d'orientation en vue des transitions professionnelles sont trop superficiels, méconnus et trop complexes à mettre en oeuvre. Nous pensons notamment au conseil en évolution professionnelle (CEP), encore trop confidentiel et de qualité disparate, ou encore à la validation des acquis de l'expérience (VAE), qui est de moins en moins utilisée.

Il nous paraît indispensable de s'atteler dès aujourd'hui à mettre en place les outils pour accompagner ces transitions professionnelles et ces reconversions, qui vont se multiplier.

Nous recommandons notamment de simplifier la validation des acquis de l'expérience (VAE), qui est un outil puissant de qualification en cours de vie professionnelle ; de faire évoluer les outils de reconversion par l'alternance ou dans le cadre de l'emploi, comme la « Pro-A » ou les « Transitions collectives », pour qu'ils puissent être plus largement utilisés ; en lien avec l'évolution de l'emploi des seniors, de prévoir un bilan de compétences pour chaque salarié l'année de ses 45 ans, afin d'anticiper les fins de carrière et les souhaits de reconversion ; ou encore de faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise, par exemple en mettant en place des incitations pour les salariés formateurs qui accepteraient de « mentorer » ou de former des jeunes intégrant l'entreprise.

Voilà les constats et propositions que nous vous soumettons aujourd'hui. Nous souhaitons interpeller le gouvernement sur le sujet critique que sont les compétences, enjeu de croissance et de société, et demander des actions urgentes. Il nous semble que le Sénat devra porter cette voix, et relayer les inquiétudes des entreprises, dans le cadre des réformes importantes à venir.

M. Serge Babary, président. - Merci pour ce travail excellent. Le président du Sénat Gérard Larcher a récemment félicité la délégation pour l'ensemble de ses travaux et le document que vous venez de nous présenter en est un exemple.

Mme Annick Billon. - Je partage vos constats et vos recommandations.

Je pense que l'orientation est au coeur des problèmes aujourd'hui. Ce sujet n'est pas traité dans le parcours des élèves et des étudiants et on ne leur ouvre pas suffisamment les portes. Pour avoir une orientation éclairée et se diriger vers des métiers d'avenir, il faut en effet disposer de conseils et aller à la rencontre de professionnels : les algorithmes de Parcoursup ne peuvent pas pallier ces difficultés d'orientation. Les professeurs et les acteurs de l'orientation au sein du système de l'éducation nationale ne sont majoritairement pas formés à cette orientation, laquelle se fait en dehors des métiers d'avenir et avec des stéréotypes (de genre notamment).

Il faut donc travailler sur l'orientation, mais également sur la mobilité et le logement qui restent un frein à l'embauche aujourd'hui.

Il conviendrait par ailleurs de mettre fin au fonctionnement en silo et de se demander de quels métiers nous avons besoin dans tel ou tel territoire. Tous les acteurs de la formation professionnelle doivent se mettre autour de la table.

Il me paraîtrait intéressant que votre travail soit communiqué à nos établissements en région.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Je suis l'une des rares à défendre Parcoursup au sein du Sénat, car il donne aujourd'hui des informations qui n'étaient pas accessibles aux jeunes auparavant, même s'il est évidemment nécessaire de travailler sur l'orientation en amont.

Mme Annick Billon. - Certes, Parcoursup s'est amélioré, mais ce dispositif mérite d'être clarifié, car aujourd'hui, les lycéens n'ont pas les mêmes opportunités selon le lycée duquel ils sortent.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Cela relève du processus de sélection mis en place par les établissements et pas de Parcoursup. Je suis cependant d'accord sur le problème existant quant à l'orientation des élèves en amont dès le lycée. Nombre de familles ont recours à des entreprises privées pour faire réaliser des bilans de compétences pour leurs enfants, ce qui illustre l'existence d'un défaut du système d'orientation publique.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons souligné la nécessité d'une plus grande réactivité pour mettre en place les formations nouvelles dont les entreprises ont besoin dans le cadre de la transition environnementale. J'ajoute que les temps de découverte des différents métiers dispensés aux élèves doivent comporter une dimension territoriale, afin que ceux-ci connaissent mieux le tissu économique local.

M. Serge Babary, président. - Passons à l'adoption de ce rapport, qui portera le titre « Former pour aujourd'hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société ».

Il n'y a pas d'opposition pour l'adoption et la publication de ce rapport ?

Le rapport est adopté et sa publication est autorisée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

JEUDI 26 JANVIER 2023

Réunion plénière

- M. Gilbert CETTE, professeur d'économie à NEOMA Business School ;

- M. Dimitri MAVRIDIS, économiste à la division des Compétences et de l'Employabilité de la direction de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques ;

- M. Michael ORAND, économiste-statisticien, chef de la mission d'analyse économique à la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques ;

- Mme Coralie PÉREZ, économiste, ingénieure de recherche à l'UMR 8174, Centre d'économie de la Sorbonne.

MARDI 31 JANVIER 2023

Audition

- Mme Marie-Laure COLLET, présidente de l'association pour l'emploi des cadres (APEC).

MARDI 14 FÉVRIER 2023

Table ronde

- Mme Adeline CROYÈRE, sous-directrice des lycées et de la formation professionnelle au sein de la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale ;

- Mme Rachel BECUWE, cheffe de service adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle au sein du ministère du travail, du Plein emploi et de l'Insertion ;

- Mme Solène Le COZ-FORTIS, cheffe de projets « Entrepreneuriat et développement des entreprises » au sein de la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

JEUDI 2 MARS 2023

Réunion plénière

- M. Tristan DUPAS-AMORY, chercheur associé au Centre d'études et de recherches sociologiques et chargé d'enseignement à l'ESCP Business School ;

- Dr Glenda QUINTINI, économiste senior à l'OCDE ;

- M. Philippe DOLE, inspecteur général des affaires sociales honoraire, auteur du rapport au Gouvernement intitulé « Résoudre les tensions de recrutement : bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

Réunion plénière

- M. Hugues de BALATHIER, Directeur général adjoint de France Compétences ;

- M. Paul BAZIN, directeur général adjoint chargé de l'offre de services au sein de Pôle Emploi ;

- Mme Adeline CROYÈRE, sous-directrice des lycées et de la formation professionnelle au sein de la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale ;

- M. Bruno LUCAS, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle au sein du ministère du travail, du Plein emploi et de l'Insertion.

MARDI 7 MARS 2023

Audition

- Mme Carine SEILER, ancienne Haut-commissaire aux compétences et à l'inclusion pour l'emploi.

Audition

- Mme Florence LEFRESNE, Directrice  du centre d'étude et de recherches sur les qualifications.

Audition

- M. Charles TOROSSIAN, Directeur de l'institut des hautes études de l'éducation et de la formation (IH2EF).

MARDI 14 MARS 2023

Audition

- M. Serge VOLKOFF, ancien directeur de recherche au Centre d'études de l'emploi, co-auteur avec Mme Corine GAUDART de l'ouvrage Le travail pressé.

MARDI 21 MARS 2023

Audition

- Mme Hélène BADIA, Présidente de l'université des métiers du nucléaire.

Table ronde

- Mme Carine CELNIK, fondatrice de TestUnMétier ;

- M. Franck DELALANDE, dirigeant de Talents tube.

Audition

- M. Vincent HUOT, vice-président de Les Acteurs de la Compétence.

MARDI 28 MARS 2023

Audition

- M. Yann BOUVIER, chargé de mission à la fondation innovations pour les apprentissages.

Audition

- M. Régis KOENIG, directeur de la réparation et de la durabilité et Mme Claire PIEROT BICHAT, directrice des affaires publiques entreprises au sein du groupe FNAC DARTY.

MARDI 4 AVRIL 2023

Table ronde

- Mme Florence BERTHELOT, déléguée générale de la fédération nationale des transports routiers ;

- Fédération Française du Bâtiment (FFB) : M. Christophe POSSÉMÉ, président du CCCA-BTP et président de l'UMGO-FFB, M. Jean-François GORRE, directeur de la formation de la FFB ;

- Mme Stéphanie MORVAN, présidente de la fédération du service aux particuliers.

MARDI 11 AVRIL 2023

Table ronde

- M. Philippe BAILBÉ, délégué général  de Régions de France ;

- Mme Élyse CASTAING, directrice associée au sein du Cabinet Elezia Conseil, auteur d'une étude intitulée : « Vers un Service public régional de l'emploi et de la formation professionnelle ? ».

Table ronde

- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : M. Stéphane HEIT, président de la commission Formation, éducation, emploi, Mme Karine JAN, responsable formation ;

- Union des entreprises de proximité (U2P) : M. Laurent MUNEROT, vice-président, M. Pierre BURBAN, secrétaire général ;

- Mme Dorothée ROMBAUX, directrice générale adjointe de la chambre de métiers et de l'artisanat.

JEUDI 13 AVRIL 2023

Table ronde

- Opérateur de compétences (OPCO) Santé : Mme Christine SCHIBLER, déléguée générale de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), Mme Fabienne SEGEUNOT, administratrice de l'OPCO Santé et directrice des relations sociales et des ressources humaines de la FHP, et Mme Émilie LECERF, secrétaire générale de l'OPCO Santé ;

- OPCO Entreprises de proximité (OPCO EP) : M. Arnaud MURET, directeur général, Mme Émilie MARTINEZ, chargée de mission ;

- OPCO 2i : M. Pascal LE GUYADER, président, Mme Stéphanie LAGALLE-BARANES, directrice générale ;

- Centre pour le développement de l'information sur la formation permanente (Centre Inffo) : Mme Pascale ROMENTEAU, directrice générale, Mme Françoise GERARD, directrice générale adjointe.

Audition

- Mme Lucie BECDELIEVRE, déléguée générale de Alliance Villes Emploi.

Audition

- Fédération nationale des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (FNCIBC) : M. Philippe COTTET, président, Mme Sophie CLAMENS, déléguée générale.

JEUDI 11 MAI 2023

Réunion plénière : Table ronde conjointe avec la délégation sénatoriale aux Outre-mer sur le thème de l'attractivité, pour les jeunes diplômés, des emplois et des opportunités entrepreneuriales dans les territoires d'outre-mer

Table ronde sur l'état des lieux des difficultés rencontrées par les entreprises et les diplômés :

- Mme Sophie BROCAS, directrice générale des outre-mer (DGOM) au ministère des outre-mer;

- M. Didier FAUCHARD, vice-président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), président du Mouvement des Entreprises de France Réunion (MEDEF Réunion) ;

- M. Yannick L'HORTY, professeur de sciences économiques à l'université Gustave Eiffel, auteur d'études sur la discrimination à l'embauche des jeunes ultramarins ;

- Mme Cynthia-Renée SAGNE, co-fondatrice de l'association Guyan'Envol.

Table ronde sur les initiatives et perspectives d'évolution :

- M. Pascal CHAVIGNAT, directeur des ressources humaines du groupe Bernard Hayot (GBH) ;

- Mme Jeanne LOYHER, directrice-adjointe de Clinifutur, pour évoquer l'initiative sur mesure réalisée en partenariat avec LADOM ;

- Mme Mitchelle MALEZIEU, fondatrice de la plateforme « Retour au peyi » ;

- M. Feyçoil MOUHOUSSOUNE, président fondateur de Mayotte In Tech.

MERCREDI 17 MAI 2023

Audition

- M. Thibault GUILLUY, Haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises.

JEUDI 25 MAI 2023

Audition

- Mme Sandrine BERTHET, secrétaire générale du Conseil national de l'industrie, directrice de projets à la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Table ronde

- Association française des entreprises privées (AFEP) : Mme Julie LEROY, directrice des affaires sociales, et Mme Amina TARMIL, responsable des affaires parlementaires ;

- Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : M. Max ROCHE, président de la commission Éducation-formation, Mme France HENRY-LABORDERE, responsable du Pôle social ;

- M. Alexandre MONTAY, délégué général du mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI).

JEUDI 1ER JUIN 2023

Réunion plénière

- Mme Carole GRANDJEAN, ministre déléguée auprès du ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES LORS DES DÉPLACEMENTS DE LA DÉLÉGATION

MERCREDI 16 FÉVRIER 2023 - DÉPLACEMENT DANS LE CHER

Entreprise Georges MONIN SAS

- M. Olivier MONIN, président ;

- M. Philippe BERGERAULT, directeur Général ;

- M. Ludovic LANOUGUÈRE, responsable de projets environnement ;

- M. Martin CHERAMY, directeur juridique.

Déjeuner de travail et visite du chantier du futur Campus numérique

- M. Franck JEANNIN, directeur de l'école ALGOSUP ;

- M. Philippe HUBERT, membre de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du Cher ;

- M. Frédéric DAUPHIN, directeur territorial à la chambre de métiers et de l'artisanat (CMA) du Cher.

École ALGOSUP

- M. Franck JEANNIN, directeur ;

Entreprise Ledger

- Mme Céline BALLAND, Global Production manager.

MARDI 4 AVRIL 2023 - DÉPLACEMENT AU LYCÉE POLYVALENT LÉONARD DE VINCI DE PARIS

Table ronde

- Mme Dalila DJENANI, proviseure du lycée polyvalent Léonard de Vinci ;

- Mme Magali DELHOM, Proviseure adjointe du lycée polyvalent Léonard de Vinci ;

- M. Alain SCHNEIDER, directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT) du lycée polyvalent Léonard de Vinci ;

- M. Antoine DESTRES, directeur de l'académie de Paris ;

- M. Anthony DE CASTRO, délégué académique à la formation professionnelle initiale et continue (DAFPIC) de l'académie de Paris ;

- M. Alexandre ESMAELI, DAFPIC adjoint à l'apprentissage ;

- M. Djibril TACHEFINE, coordonnateur opérationnel à la délégation académique à la formation professionnelle initiale et continue.

- M. Guillaume PIN, DAFPIC adjoint à la formation initiale, responsable de la Mission académique éducation-économie (Ma2e) et Mme Isabelle UNVOAS, chargée de mission Ma2e.

MARDI 16 MAI 2023 - DÉPLACEMENT SUR LE THÈME DU CAMPUS DES MÉTIERS ET DES QUALIFICATIONS (CMQ) « TRANSITION NUMÉRIQUE ET ÉCOLOGIQUE DANS LA CONSTRUCTION » DE SEINE-ET-MARNE, SUR LE SITE DU CFA BTP D'OCQUERRE

Table ronde

- M. Lionel CORREIA, directeur du Centre de formations d'apprentis (CFA) Bâtiments Travaux Publics d'Ocquerre ;

- M. Patrick WAYMEL, directeur opérationnel du Campus des métiers et des qualifications « Transition numérique et écologique dans la construction » de Seine et Marne ;

- M. Philippe LAMARQUE, président de l'entreprise Wall'up Préfa ;

- M. Teddy DUSAUSAYE, directeur général de l'entreprise Cycle Terre ;

- M. Slaven GIRARD, dirigeant de l'entreprise Girard Couverture, président de la commission Emploi-formation de la Fédération française du bâtiment (FFB) Ile-de-France Est ;

- Mme Séverine BASTARD, directrice innovation et coopérations, chargée de la formation initale et de l'enseignement supérieur de la FFB Ile-de-France Est ;

- M. Christophe PASSERIEUX, responsable qualité, communication et partenariats du centre de formation Cesame de l'entreprise VINCI Construction France ;

- Mme Delphine VANISCOTTE, dirigeante de l'entreprise Tetard ;

- Mme Lucie BARBANCHON, responsable des ressources humaines, de la communication et de la RSE de l'entreprise Climage ;

- M. Pascal FOURESTIER, adjoint à la déléguée régionale académique à la formation professionnelle initiale et continue d'Ile-de-France (DRAFPIC), conseiller du recteur de Créteil ;

- Mme Sabah LAMECHE, adjointe à la DRAFPIC ;

- Mme Katia JOYEUX, proviseure du lycée des métiers du bâtiment Benjamin Franklin à La Rochette ;

- M. Olivier LEFEVRE, chargé de mission Éducation Économie Campus à la sous-direction des lycées et de la formation professionnelle de la DGESCO ;

- M. Amilcar BERNARDINO, vice-président du conseil d'administration de l'Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne.

JEUDI 11 ET VENDREDI 12 MAI 2023 - DÉPLACEMENT EN VENDÉE :

JEUDI 11 MAI 2023

Groupe BRIAND

- M. Gil BRIAND, président du groupe BRIAND ;

- M. Roger BRIAND, président honoraire du groupe BRIAND ;

Conseil départemental de la Vendée

- M. Alain LEBOEUF, président du Conseil départemental de Vendée ;

- M. Arnaud RINGEARD, président de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Vendée ;

- Mme Chantal GOICHON, vice-présidente de la Chambre de métiers et de l'artisanat de Vendée ;

- Mme Lucie AMELINEAU, Présidente de la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment de Vendée ;

- Mme Hélène BOURCIER, Présidente de la Fédération du bâtiment de Vendée ;

- Mme Sophie GEORGER MENEREAU, Présidente du MEDEF de Vendée ;

- Mme Marie-Agnès MANDIN, Présidente de la CPME de Vendée ;

- M. Thierry LIEGON, Président de l'Union Industrie Métallurgie Vendee (UIMV) ;

- M. Bertrand BILLAUD, Président de l'U2P de Vendée.

VENDREDI 12 MAI 2023

Groupe BENETEAU

- M. Bruno THIVOYON, Directeur général ;

- M. Calixte de LA MARTINIERE, Directeur de la transformation et des ressources humaines ;

- M. Jean-Paul CHAPELEAU, Conseiller du groupe BENETEAU, Président de la fédération des industries nautiques ;

- Mme Barbara BIDAN, Directrice de la communication corporate.

- M. Guillaume ROBIN, Directeur de site de production de Bellevigny ;

BTP CFA VENDÉE

- M. Thierry DUBIN, Directeur de BTP CFA VENDÉE ;

- M. Olivier CHARRIER, directeur de l'Université des métiers et de l'artisanat de Vendée ;

École ICAM

- Mme Élodie ROULLAND, Responsable « services aux entreprises » ;

- M. Fabien NOUAIS, Responsable délégué de l'École de Production ;

- M. Rémi LEBIEZ, Responsable Enseignement Supérieur & Recherche.

COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION

I. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 26 JANVIER 2023 181

II. COMPTE RENDU DES TABLES RONDES DU 2 MARS 2023 195

III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DU 1ER JUIN 2023 229

I. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 26 JANVIER 2023

M. Serge Babary, président. - Cette table ronde est consacrée à la mission « Formation, compétences et attractivité », pour laquelle Martine Berthet, Florence Blatrix-Contat et Michel Canévet ont été désignés rapporteurs. Leurs travaux s'inscrivent dans la continuité des initiatives du Sénat, notamment de celles de la Délégation qui s'est emparée du sujet dès 2019. Ainsi, dans le rapport intitulé Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises de Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel, figuraient 24 propositions visant des objectifs tels que la suppression du cloisonnement entre le monde de l'Éducation Nationale et le monde de l'entreprise, l'adaptation plus rapide des compétences aux besoins des entreprises avec la mise en oeuvre de plans de reconversion et de procédures de certification accélérées ou encore la bonne coordination des acteurs publics de l'emploi via un pilotage des régions.

Le rapport du 8 juillet 2021, conduit par Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, intitulé Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ?, analysait l'impact de la récente crise sanitaire sur la relation au travail et l'attractivité du monde de l'entreprise.

La présente mission vise à faire le point sur les travaux passés, mais surtout à analyser les raisons de l'amplification récente des difficultés de recrutement, que certains journalistes qualifient désormais de « cauchemar numéro 1 des entreprises ». Les raisons données sont multiples, allant des formations inadaptées à l'inadéquation géographique entre compétences et besoins des entreprises, en passant par les nouvelles attentes des actifs à la recherche de sens, l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et le bien-être au travail. L'évolution de la situation depuis nos derniers travaux est telle, que l'on évoque désormais une « Grande démission ».

Afin de dresser un premier état des lieux, sont entendus aujourd'hui Monsieur Gilbert Cette, professeur d'économie à NEOMA Business School et M. Dimitris Mavridis, économiste de la Direction de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à la division des compétences et de l'employabilité. Tous deux ont publié des études sur les difficultés de recrutement. M. Michaël ORAND, économiste-statisticien, chef de la mission d'analyses économiques de la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, sera lui entendu sur le thème de la « Grande démission », au coeur d'une récente publication de la DARES. Enfin, Mme Coralie Perez, économiste, ingénieure de recherche au centre d'économie de la Sorbonne, co-auteur d'un ouvrage intitulé Redonner du sens au travail conclura les interventions.

M. Gilbert Cette, professeur d'économie à NEOMA Business School. - Nous observons une augmentation des difficultés de recrutement antérieure à la crise sanitaire. En France, cette augmentation s'observe depuis 2015, à l'amorçage d'une baisse de taux de chômage, avant une pause durant la crise sanitaire. Les difficultés de recrutement, actuellement très élevées, ont fortement repris depuis 2021. Elles s'observent dans les trois grands secteurs d'activité que sont l'industrie, les services marchands et la construction. Les sources statistiques disponibles confirment ce phénomène, mesuré par les enquêtes de la Commission européenne pratiquées en France par l'INSEE, ainsi que par d'autres sources comme la Banque de France ou les indicateurs du taux d'emploi vacant.

Ces difficultés de recrutement, qui s'observent dans tous les grands pays européens, sont très fortes en Allemagne et aux Pays-Bas où le taux de chômage est très faible, et moins fortes en Italie et en Espagne où le taux de chômage est fort. En comparaison, la situation française est étonnante. Bien que le taux de chômage y soit élevé, à 7,3 % les difficultés de recrutement le sont aussi, reflet d'un mauvais fonctionnement du marché du travail.

Ces difficultés de recrutement concernent les postes qualifiés, révélant des problèmes de formation, et, en nombre plus important, les postes peu qualifiés, signe d'un possible problème d'attractivité, notamment dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants, de la construction et des aides à domicile.

Ces difficultés de recrutement peuvent aboutir à des problèmes d'allocation des facteurs de production. Des entreprises dynamiques trouvent ainsi difficilement la main-d'oeuvre nécessaire à leur croissance, celle-ci étant davantage captée par des entreprises moins dynamiques. Une étude parue dans Économie et statistiques fin 2022, basée sur une enquête réalisée par la Banque de France, souligne que les firmes rencontrant des difficultés de recrutement sont plus productives que les autres, avec un écart non négligeable de 7 %.

Néanmoins, même en supposant que les entreprises rencontrant ces difficultés recrutent tous les effectifs dont elles ont besoin, l'effet sur la productivité moyenne serait de 0,15 %. Le problème d'allocation des ressources ne semble donc pas avoir de conséquence sur la performance globale de l'économie et sur le niveau moyen de la productivité.

L'enquête de la Banque de France relève que pour 54 % des entreprises rencontrant des difficultés de recrutement, le manque d'attractivité salariale est mis en cause, notamment une rémunération insuffisante à l'embauche. Les entreprises payant moins que la moyenne sont dans une situation financière moins favorable, expliquant leurs difficultés à augmenter les rémunérations.

31 % des entreprises déclarant des difficultés de recrutement signalent également des problèmes de conditions de travail et de pénibilité, facteur relevant de la négociation collective et du dialogue social. Un travail en ce sens est d'ailleurs en cours dans certaines branches comme celle des hôtels-cafés-restaurants.

Ces difficultés de recrutement peuvent également être liées à une offre de travail insuffisamment dynamique, notamment pour des questions de mobilité géographique, qui est très faible en France.

Un écart insuffisant entre les revenus du travail pour des postes peu qualifiés et les revenus associés au non-travail est aussi à noter. Des pistes de réformes doivent être étudiées afin d'augmenter l'intérêt et l'attractivité financière de ces postes. Le suivi individuel des personnes en recherche d'emploi peut également s'avérer insuffisant. Ces éléments inspirent des réformes, à l'image de celles de l'indemnisation chômage, du RSA, ou encore de Pôle Emploi, et doivent être considérés sereinement.

Les économistes regardent souvent le fonctionnement du marché du travail en mobilisant des outils comme les courbes de Beveridge, qui mettent en relation les difficultés de recrutement avec le taux de chômage. Un cadran élevé refléterait un mauvais fonctionnement du marché du travail. Les courbes de Beveridge des cinq grands pays européens, Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas, font ressortir un positionnement élevé de la France, symptôme d'un marché du travail moins performant qu'en Allemagne ou aux Pays-Bas. Pour le même taux de chômage, la France connaîtrait ainsi des difficultés de recrutement supérieures à celles des entreprises allemandes et néerlandaises.

M. Dimitri Mavridis, économiste, Direction de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l'OCDE, division des Compétences et de l'Employabilité. - Le marché du travail combine un taux de chômage important et des entreprises rencontrant des difficultés de recrutement, selon un modèle d'appariement classique. Mais actuellement, les difficultés de recrutement sont à un niveau plus élevé que précédemment. En comparaison avec l'Union européenne, elles se situent à niveau similaire à celui de l'Allemagne et des Pays-Bas qui présentent un taux de chômage très faible, alors que la France présente un taux de chômage plus élevé. L'appariement du marché du travail est donc moins fluide. Ce problème a des conséquences tangibles pour les travailleurs et le développement des entreprises, leur croissance et les coûts de recrutement. Quand 5 % de recrutements ne se font pas, la masse salariale totale de l'économie est touchée.

Quatre grands leviers d'action publique sont nécessaires pour traiter ce problème :

- Accroître les incitations à l'emploi ;

- Améliorer la politique de formation tout au long de la vie ;

- Améliorer la relation contractuelle de travail ;

- Soutenir les petites entreprises dans leur processus de recrutement.

Les taux d'emploi en France sont parmi les moins élevés de tous les pays de l'OCDE pour les moins qualifiés et les seniors qui quittent le marché du travail plus tôt. Parmi les 59-64 ans, les taux d'emploi sont à 33 % en France contre 70 % aux Pays-Bas. La moitié de la population de cette tranche d'âge n'est plus sur le marché du travail. En France, les passerelles vers la retraite sont beaucoup plus aisées qu'ailleurs. Les règles d'éligibilité au chômage dépendent de l'âge, alors que l'on sait que c'est un paramètre qui joue sur l'emploi des seniors depuis plusieurs décennies. Le travail doit payer plus que l'inactivité. En France, les taux marginaux d'imposition sur le travail sont très élevés, surtout pour les moins qualifiés, ce qui constitue une désincitation à l'emploi.

La politique de formation n'est pas égale tout au long de la vie. La formation initiale de base est relativement performante, mais les travailleurs sont formés moins souvent que dans les autres pays de l'OCDE. En France, seuls 20 % des travailleurs ont suivi une formation dans les 12 derniers mois, ce taux étant de 40 % dans les autres pays de l'OCDE. Comme dans tous les pays de l'OCDE, l'accès à la formation est inégal, avec des écarts similaires. En outre, les formations sont peu alignées sur les besoins des entreprises : moins de 10 % des entreprises et moins de 50 % des travailleurs estiment que les formations correspondent à leurs besoins. La France est toujours dans l'extrême négatif de tous les pays de l'OCDE. Enfin, le financement des formations est contraignant pour les entreprises.

Concernant l'amélioration de la relation contractuelle au travail, les indices de protection de l'emploi sont toujours parmi les plus élevés de l'OCDE, malgré les réformes positives qui ont permis de les faire baisser. Ces indices ont un effet sur le risque lié au recrutement, ne fluidifiant pas les relations et pesant subjectivement sur les entreprises. Ainsi les PME ont souvent peur de lancer des recrutements.

Les travaux ont montré que plus les entreprises étaient grandes, moins elles rencontraient de difficultés liées au recrutement. Les petites entreprises souffrent plus et ne sont pas suffisamment suivies et aidées par les pouvoirs publics.

M. Michael Orand, économiste-statisticien, chef de la mission d'analyse économique à la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). - Je viens vous apporter de bonnes nouvelles. La théorie économique identifie cinq causes liées aux difficultés de recrutement. Quatre ont déjà été évoquées : l'inadéquation géographique, l'inadéquation des compétences, les problèmes d'attractivité et l'offre de travail.

La cinquième est le dynamisme intrinsèque du marché du travail. Quand le marché du travail fonctionne bien, les entreprises recrutent beaucoup, ce qui peut engendrer des difficultés de recrutement. Quand toutes les entreprises d'un secteur recrutent, il devient plus difficile de trouver des profils disponibles. Moins les chômeurs sont nombreux, plus les recherches sont longues.

Actuellement, le marché du travail en France est très dynamique. L'emploi salarié a retrouvé la tendance d'avant la crise Covid. 100 000 emplois sont créés par trimestre, soit un rythme soutenu avec un climat d'emploi élevé. Le taux d'attractivité mesuré par l'INSEE est au plus haut historique, porté à la fois par la hausse de l'emploi des seniors et le recul de l'âge de départ à la retraite. La France figure encore parmi les pays européens ou le taux d'emploi des seniors est le plus faible, mais celui-ci progresse. L'apprentissage a également ramené beaucoup de jeunes sur le marché du travail. Le taux d'emploi est au plus haut niveau mesuré, et le taux de chômage de 7,5 % est à un niveau historiquement bas, déjà atteint en 2008. Depuis les crises pétrolières, ce niveau est le plancher de l'économie française. En conséquence de ce cycle favorable, les difficultés de recrutement ont augmenté depuis fin 2015 alors que la courbe du chômage s'inversait. La théorie économique explique bien que quand le taux de chômage diminue, que l'activité reprend, il devient de plus en plus difficile de recruter, car la main-d'oeuvre est moins disponible et la concurrence est accrue entre les entreprises.

Les démissions ont augmenté, mais il s'agit d'un effet mécanique. Quand les tensions de recrutement augmentent, le rapport de négociation entre les salariés et les employeurs est modifié. Quand la situation est plus favorable pour les salariés, démissionner est moins risqué et les opportunités de changer d'emploi plus importantes. Si les démissionnaires sont plus nombreux, six mois après leur démission, 8 sur 10 sont en emploi, en ayant changé de travail. Quand le nombre de chômeurs diminue, les profils peuvent être recrutés dans les entreprises concurrentes. Le nombre de démissions, y compris en CDI, est donc historiquement haut, mais tout à fait en lien avec le niveau de tension mesuré par ailleurs.

Les tensions sur le marché changent le rapport de force des négociations pour les salariés, se traduisant par des salaires qui augmentent, bien que le niveau de l'inflation soit également très élevé. Les conditions d'emploi s'améliorent, avec moins de temps partiel. Les recrutements se font plus souvent en CDI.

Les problèmes d'attractivité intrinsèque à certains métiers, d'inadéquation géographique, de formation sont toujours présents, mais la dynamique actuelle et la croissance des tensions sont plutôt liées à la dynamique du marché du travail. Celle-ci est rassurante, même s'il peut exister des problèmes sous-jacents sectoriels, par métiers ou régions.

Mme Coralie Pérez, économiste, ingénieure de recherche à l'UMR 8174, Centre d'économie de la Sorbonne (CES). - Et si le mouvement de démissions que nous observons depuis la pandémie, conjugué aux difficultés de recrutement dans de nombreux secteurs, reflétait finalement une profonde insatisfaction et un refus de supporter des conditions de travail jugées difficiles, que les augmentations de salaire ne parviendraient pas à compenser ? C'est ce que nous amènent à penser les résultats de notre étude sur le sens du travail, conduite en lien avec mon co-auteur Thomas Coutrot.

Au préalable, il est nécessaire de préciser que nous nous intéressons au travail comme activité et non pas à l'emploi. La distinction est importante, car les politiques publiques ont tendance à se focaliser sur l'emploi, son volume, ses attributs, la rémunération, le contrat de travail, éventuellement les droits sociaux auxquels il donne accès ; mais à négliger l'activité de travail et son intérêt intrinsèque pour les travailleurs. Or le travail réel diffère toujours du travail prescrit, et la personne qui travaille met toujours plus de temps, de compétences, d'intelligence, de créativité dans son travail que ce qui lui est demandé. La question du sens du travail paraît donc importante. Quand, dans des études préalables, les salariés étaient interrogés sur la question du rapport au travail, ils indiquaient souvent ne plus trouver de sens dans leur travail. Cette réflexion est à l'origine de notre questionnement, atypique pour des économistes.

Un travail a du sens s'il donne à celui qui l'exerce le sentiment d'être utile, si la personne peut se reconnaître dans ce qu'elle fait, qu'elle a la capacité de bien effectuer son travail selon des normes professionnelles et l'éthique commune, et si elle peut développer ses compétences dans le travail, (point communément appelé capacité de développement). Selon les professions, certaines des dimensions seront affectées et conduiront à ce que le salarié trouve moins de sens à son travail.

Sur la base de cette définition, un score individuel de sens du travail a été construit à partir des réponses apportées par un échantillon représentatif de salariés du public et du privé aux questions de l'enquête Conditions de travail de l'INSEE et de la DARES. En 2016, 27 % des salariés n'avaient que parfois ou jamais l'impression de faire quelque chose d'utile aux autres. 26 % n'éprouvaient que parfois ou jamais la fierté du travail bien fait. 25 % des salariés disaient n'avoir que parfois ou jamais l'occasion de développer leurs compétences dans le travail.

À un premier niveau, très descriptif, ce score permet d'établir un palmarès des professions et métiers trouvant le plus de sens à leur travail. En 2016 les assistantes maternelles, les ouvriers qualifiés du gros oeuvre du bâtiment, les formateurs, les enseignants, les aides à domicile ou encore les aide-ménagères ont un fort sentiment d'utilité sociale, malgré une faible capacité de développement. Le sens du travail n'est donc pas l'apanage des professions les plus qualifiées et les plus exigeantes en diplômes. Ces professions ont souvent en commun de travailler en relation avec le public. Les infirmières ne figurent pas dans ce palmarès en raison d'un score bas en matière de cohérence éthique : elles n'estiment pas avoir la capacité de bien effectuer leur travail.

Les professions trouvant le moins de sens à leur travail sont les employés de la banque et des assurances, les ouvriers de la manutention, ceux des industries de process, les caissières, les agents de gardiennage et de sécurité, les employés et les agents de maitrise de l'hôtellerie-restauration, surtout du fait d'une faible capacité de développement.

À caractéristique observée similaire, le sens du travail est en moyenne plus élevé pour les cadres, mais aussi pour les salariés travaillant dans des établissements de moins de 50 personnes, et pour les personnes travaillant dans la fonction publique et les associations plutôt que dans le secteur privé. À métier identique, les femmes ne voient pas plus de sens à leur travail que les hommes, et les plus de 50 ans ont un sentiment d'utilité sociale et une cohérence éthique plus élevée que les autres salariés.

Le sens que les salariés trouvent à leur travail dépend de la manière dont il est organisé. Les changements organisationnels récurrents, la fixation d'objectifs chiffrés sur lesquels les salariés n'ont rien à dire, le fait de travailler en sous-traitance contribuent à dégrader le sens du travail.

Les résultats confortent l'hypothèse d'un lien entre faible sens du travail et démission. À caractéristiques similaires, la probabilité de quitter son emploi est accrue de 30 % pour les salariés trouvant peu de sens à leur travail. D'autres dimensions jouent également, comme l'exposition à une forte intensité du travail et le manque de soutien hiérarchique. Avoir le sentiment d'être mal payé n'a pas d'effet statistique significatif sur la probabilité de quitter son emploi.

Parmi les dimensions du sens, la capacité de développement est la plus corrélée à la décision de mobilité. Pour ceux ne pouvant pas partir, face à un travail perdant de son sens, la probabilité d'être absent pour maladie s'accroît significativement en termes d'incidence et de nombre de jours. La question de la soutenabilité se pose pour ceux dont les conditions de travail ne permettent pas de construire du sens.

La crise écologique taraude de plus en plus les consciences. Une question en ce sens a été introduite dans l'Enquête sur les conditions de travail 2019 afin de savoir si les salariés avaient le sentiment par leur travail de contribuer à nuire à l'environnement. 7 % répondent devoir souvent dégrader l'environnement et affirment qu'ils ne pourront tenir ce travail jusqu'à la retraite, envisageant une bifurcation professionnelle dans les 3 ans à venir. Trouver peu de sens à son travail multiplie par deux la probabilité de déclarer ne pas pouvoir exercer le même travail jusqu'à la retraite, soit un facteur aussi important qu'être exposé à la pénibilité physique ou au travail intensif.

Les résultats corroborent et complètent ceux mis en évidence par la DARES sur le rôle des conditions de travail dans les difficultés rencontrées par les employeurs à recruter, mais aussi à fidéliser. L'accent est mis sur une dimension des risques psychosociaux émergente. En mettant au premier plan du débat public la question de l'utilité sociale des métiers, la pandémie a sans doute renforcé un questionnement déjà présent sur le sens du travail.

M. Serge Babary, président. - La parole est aux rapporteurs, à commencer par Michel CANÉVET qui a travaillé sur ce thème à deux reprises.

M. Michel Canévet, rapporteur. - En France le taux de chômage est au plus bas et les difficultés de recrutement au plus haut. Beaucoup de facteurs ont été évoqués, mais pas la question de la formation initiale. Celle-ci est-elle adéquate pour faire face aux besoins des entreprises ? Dans les études préalables, cette question s'est posée constamment, notamment quant à la capacité d'adaptation de l'Éducation nationale aux besoins effectifs d'emplois des entreprises. Les politiques publiques du Gouvernement veulent réindustrialiser la France, mais comment le permettre quand 80 % des entreprises du secteur de l'industrie avancent des difficultés de recrutement ?

Selon vous, la récente réforme de l'assurance chômage est-elle de nature à apporter des correctifs quant aux écarts de revenus entre le travail et les prestations de solidarité ? D'autres modifications peuvent-elles être envisagées sur ce point ? Bien qu'une réforme ait conduit à la fusion de l'ANPE et des Assedic pour former Pôle Emploi voilà quelques années, les difficultés d'accompagnement des TPE persistent. Pôle Emploi est-il suffisamment adapté aux besoins des entreprises, l'un des objectifs de la réforme annoncée par le gouvernement étant de créer France Travail ?

Faut-il faire un lien entre les difficultés de recrutement et le haut niveau de création d'entreprises en France, solution vers laquelle s'orientent peut-être un certain nombre de personnes employables ? La création d'entreprises peut aussi être un facteur de dynamisme prometteur pour l'avenir.

Le faible niveau de recours à l'apprentissage était dans nos rapports antérieurs un sujet majeur de préoccupation. Ce niveau a fortement évolué en 5 ans, passant de 400 000 à 800 000 apprentis. Cette évolution traduit-elle un réel effet de direction vers le travail, ou est-ce une manifestation d'effets d'opportunités ?

M. Gilbert Cette. - Le taux de chômage bas peut en partie expliquer les difficultés de recrutement, mais celui-ci reste élevé comparé à l'ensemble des pays de l'OCDE. Le taux de chômage italien, orienté à la baisse, n'est pas très différent de celui de la France et les difficultés de recrutement sont pourtant singulièrement plus basses en Italie. Les difficultés de recrutement dans le secteur de la construction sont structurellement plus élevées en France qu'en Allemagne et aux Pays-Bas où le taux de chômage est à 3 %. Un ensemble de difficultés spécifiques quant au fonctionnement du marché du travail en France est donc à prendre en compte. La formation est certes une dimension importante, mais la masse des difficultés de recrutement concerne des postes très peu qualifiés.

Concernant la réforme de l'indemnisation chômage, le seuil des 9 % sous lequel la durée d'indemnisation serait réduite est une option, mais sans doute pas la meilleure. Un suivi individualisé, exigeant et bienveillant de chaque personne au chômage prenant en compte les spécificités de la qualification serait probablement plus performant. Une réforme en profondeur du fonctionnement de Pôle Emploi est sans doute à envisager et en ce sens, une réflexion est engagée qu'il faut regarder de façon sereine.

Le taux d'emploi bas pour certaines catégories de population, notamment les seniors, ne résulte pas d'un problème de taux de chômage, mais de comportement d'activité. Au niveau global de l'ensemble de la population en âge de travailler, soit entre 15 et 64 ans, sur la tranche des seniors, la France se situe 10 points en deçà de certains pays, générant de la richesse en moins, du pouvoir d'achat et des rentrées fiscales amoindries. Néanmoins sur les 20 dernières années, le taux d'emploi des séniors a augmenté de quasiment un point par an en France. Rester sur cette pente permettra une amélioration du pouvoir d'achat, du PIB, des finances publiques.

M. Dimitris Mavridis. - L'évolution de l'emploi des seniors est très positive, passant de 10 à 30 % pour les 60-64 ans. Même si elle reste le pays avec le taux d'emploi des seniors le plus faible, la France se situe dans la moyenne de l'évolution des membres de l'OCDE.

Les problèmes de recrutement dans de nombreux métiers non qualifiés sont essentiellement liés à la question de la formation continue plutôt qu'à celle de la formation initiale. Les indicateurs de la formation initiale placent la France dans la moyenne, même s'il est nécessaire de se recentrer sur le recours à l'apprentissage. Les réformes récentes en ce sens semblent positives, à la fois par le nombre de personnes entrant en apprentissage et sur le ciblage.

Le travail et les prestations d'assistance constituent un sujet particulièrement français. Pour augmenter l'offre de travail, celui-ci doit payer plus que l'inactivité. Les minimas d'assistance sont parmi les plus élevés, ce qui est positif, mais en contrepartie, le taux marginal d'imposition au travail pour les moins qualifiés est paradoxalement plus élevé. Pour les faibles revenus, augmenter l'offre de travail conduit à renoncer à des minimas sociaux. Le taux marginal d'imposition sur le travail est plus élevé pour les faibles revenus, ce qui constitue une désincitation au travail plus importante que pour les personnes très formées ou gagnant très bien leur vie.

M. Gilbert Cette. - Cet aspect est lié à la dégressivité des prestations.

M. Vincent Segouin. - Je trouve étonnant d'avancer que le minima social est la référence et que la prestation est normale, tandis que le travail serait une dérogation.

M. Gilbert Cette. - Il ne s'agit pas d'un jugement, mais d'une comparaison statistique d'une situation avec revenus du travail et sans. Personne ne dit que le minima social est la référence. Quand les prestations dégressives diminuent alors que les revenus du travail augmentent, la question du gain des revenus du travail par rapport à une prestation sociale se pose. C'est cet aspect que le taux de prélèvement marginal d'imposition examine. Le gain de retour au travail doit prendre en compte cette perte de prestation. Les prestations sont fortes en France, ce qui réduit l'appétence du gain financier au travail. Il ne s'agit que d'un constat statistique.

M. Michaël Orand. - Les créations d'entreprises sont pour nous aussi le symptôme d'un marché du travail dynamique, tout comme l'est l'emploi salarié. L'un ne semble pas progresser au détriment de l'autre.

L'aide au recrutement que pourrait apporter Pôle Emploi serait un outil très utile. Les besoins de recrutement sont plus importants que par le passé, il est donc important d'accompagner toutes les entreprises, à commencer par les plus petites. Les grandes entreprises ont souvent une force de frappe plus importante avec un département des ressources humaines conséquent. Les gains de productivité se trouvent aussi dans les petites entreprises, qu'il faut aider à engager des salariés pour se développer.

Mme Coralie Pérez. - La moitié des jeunes trouvent un emploi en adéquation avec leur formation initiale. Le problème vient moins du fait d'une inadéquation de la formation initiale ou d'une insuffisance du système éducatif, que des demandes de compétences spécifiques en entreprise.

L'entreprise peut être un environnement apprenant. Pour compenser les faibles taux d'accès à la formation de la France par rapport aux autres pays européens, la loi de 2018 a créé la formation en situation de travail. Il serait intéressant de voir comment les entreprises s'en emparent.

Une partie des seniors n'est pas en emploi au moment de la retraite, obligés de quitter le marché du travail à cause de conditions difficiles et d'une faible adaptation de leur emploi à leur caractère vieillissant. Corinne Gaudardt et Serge Volkoff, dans Le travail pressé, montrent que les entreprises pourraient offrir de nouveaux rôles aux seniors à mesure de leur avancée en âge, notamment dans le transfert de compétences, la transmission des savoirs par des tutorats, des ateliers de formation en entreprise. Leurs postes pourraient ainsi être adaptés et les jeunes recrues bénéficier de l'expérience des seniors.

L'un des principaux obstacles à la formation en entreprise relevé dans les différentes enquêtes est celui de la charge de travail et du temps. Des formations formelles sont prévues, mais abandonnées avant terme, car le salarié n'a pas le temps de les suivre.

La forte croissance de l'apprentissage est à mon sens en partie due au recours à l'apprentissage dans l'enseignement supérieur, plutôt que pour les personnes à qui cette mesure était initialement destinée. La pertinence du ciblage peut interroger.

Les différents travaux sociologiques montrent également que travailler à son compte permet parfois d'échapper aux contraintes salariales, notamment à l'organisation temporelle du travail. Il serait intéressant d'examiner la question de l'auto-entreprenariat sous cet angle. Pour exemple, de plus en plus de coiffeurs, précédemment salariés, louent des fauteuils dans des salons afin d'aménager leurs plannings. Ce point est à mettre en relation avec les difficultés de recrutement et de fidélisation. Les emplois peu qualifiés, exposés à des difficultés de recrutement, connaissent souvent un fort taux de roulement du personnel.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Merci pour ces éléments. Je constate que ne parvenant pas à recruter, beaucoup d'hôteliers-restaurateurs passent par des plateformes et signent des contrats de prestations avec des auto-entrepreneurs.

Quelle part les écoles de la seconde chance, les missions locales jeunes (MLJ), les dispositifs d'insertion peuvent-ils prendre dans la formation et le recrutement de nouveaux salariés ? Ces dispositifs ont-ils été évalués et doivent-ils être renforcés ?

Je milite pour que la mobilité géographique soit facilitée. En Savoie où le taux de chômage est de 5 à 6 %, soit proche d'un taux plancher, la mobilité géographique est un sujet important. Dans les années 1980 à 1990, beaucoup de personnes du secteur industriel sont venues en Savoie trouver de l'emploi. Est-il possible d'inciter à la mobilité géographique ? Comment faciliter la mobilité de bassins offrant peu d'emplois vers des bassins en recherche ?

Nous travaillons sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Pensez-vous que cet aspect soit pris en compte au moment des embauches, en fonction des conséquences de l'activité de l'entreprise vis-à-vis de l'environnement par exemple ?

M. Gilbert Cette. - Sur les cartes, nous observons qu'il existe des bassins d'emplois à fort taux de chômage limitrophes de bassins d'emplois à faible taux de chômage, soit un réel symptôme de faible mobilité géographique, qui ne progresse pas avec les années.

Jusqu'en 2021, dans l'ensemble des pays de l'OCDE, la part de l'emploi non salarié dans l'emploi total était en baisse, sauf aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en France qui se singularisent par la mise en oeuvre de politiques incitatives pour les auto-entrepreneurs, qui n'ont pas les mêmes protections que les salariés. Dans certaines activités, comme pour les plateformes de livraison, des mesures protectrices se développent. Un accord a récemment été signé pour des rémunérations minimales pour les voitures de transport avec chauffeur (VTC). La négociation collective parvient à créer des normes protectrices sur le plan salarial. La crainte d'une substitution des emplois salariés doit être écartée.

M. Dimitris Mavridis. - La question de la mobilité géographique est fondamentale. Les zones d'emplois en tension actuellement sont les mêmes qu'il y a 20 ans. Tout est fait en France pour entraver la mobilité, notamment par la politique fiscale, la politique du logement et la politique de l'urbanisme, par exemple via des plans locaux d'urbanisme qui ne permettent pas de construire dans les zones de fort emploi. Les personnes qui se déplacent et font louer leurs logements sont taxées sur la location, et sont taxées à hauteur de 15 % si elles le vendent, alors que c'est souvent le seul bien qu'elles possèdent. De plus, les personnes ayant un logement social ne veulent pas prendre le risque de le perdre en se déplaçant. Favoriser la mobilité géographique nécessite de jouer sur ces trois dimensions.

Mme Coralie Pérez. - L'Enquête sur les conditions de travail 2019 montre que 29 % des salariés travaillent dans une entreprise possédant une certification portant sur l'environnement ou un label éthique. Ils ne trouvent pourtant pas plus de sens à leur travail. La RSE ne constitue pas un signal pertinent pour les salariés d'une entreprise. Certains jeunes diplômés de grandes écoles attachent beaucoup d'importance au comportement des entreprises vis-à-vis de l'environnement. Des organisations pour un réveil écologique fournissent des documents aux futurs candidats pour challenger les entreprises sur leurs financeurs.

Mme Florence Blatrix-Contat, rapporteure. -- Je suis surprise d'entendre que pour les jeunes, la formation initiale est optimum. Si seuls 50 % des jeunes trouvent un emploi en adéquation avec leur formation initiale, à l'inverse, 50 % ne trouvent pas d'emploi en adéquation avec celle-ci. Le taux de chômage est par ailleurs très élevé chez les jeunes.

Selon vous, les entreprises les plus productives seraient celles rencontrant le plus de difficultés de recrutement. Cet aspect est-il sectoriel et comment l'expliquez-vous ?

Vous indiquez que les salariés trouvent plus de sens au travail dans les PME, qui pourtant rencontrent le plus de difficultés à recruter. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Quelle est votre analyse sur notre niveau de chômage structurel ? Sommes-nous habitués à un niveau de chômage conjoncturel élevé ? Quel est le niveau de chômage structurel acceptable pour la France et comment faire pour le réduire ?

Mme Coralie Pérez. - De nombreux travaux du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) documentent les questions d'adéquation à l'emploi, expliquant que pour des formations généralistes offrant des compétences transférables, les jeunes diplômés trouvent des opportunités au gré des mobilités et de leurs réseaux, même si les emplois ne correspondent pas exactement à leur formation initiale.

Les salariés trouvent en moyenne plus de sens dans les PME, car ils voient probablement davantage la finalité de leur travail et ont plus d'autonomie. Le concept d'employeur habilité montre que les difficultés de recrutement sont souvent regardées du point de vue des caractéristiques des demandeurs d'emploi, mais il est aussi nécessaire d'observer les difficultés rencontrées par les employeurs pour définir leurs besoins, cibler les bonnes personnes et les bons canaux de recrutement en fonction des postes qu'ils ont à pourvoir.

M. Michaël Orand. - Plutôt que l'indicateur du taux de chômage élevé des jeunes, il est préférable de tenir compte de l'indicateur des jeunes entre 15 et 29 ans qui ne sont ni en emplois ni en formation, soit 10 à 12 %. Ce taux est dans la moyenne des autres pays européens.

Du point de vue macro-économique, les indicateurs montrent que le niveau d'équilibre conjoncturel du chômage est atteint, avec 7,5 %. Seules des mesures structurelles pourraient le faire baisser.

M. Gilbert Cette. - Les entreprises qui signalent des difficultés de recrutement sont 7 % plus productives. Les difficultés de recrutement plombent donc en partie la croissance, mais pas le niveau de productivité.

Par le passé, personne n'aurait parié atteindre un taux de chômage structurel de 7,3 % sans tensions salariales importantes sur l'économie. L'indicateur à privilégier est celui du taux d'emploi. Il est difficile de comprendre pourquoi la France, comparée à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou aux pays scandinaves est vouée à ce taux d'emploi bas en particulier pour les personnes de plus de 60 ans. Pourquoi les résidents français âgés de 60 à 64 ans auraient-ils moins la possibilité physique ou psychologique d'être au travail que les Néerlandais ou les Allemands ?

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Trouver du travail en France pour les seniors relève d'un véritable parcours du combattant.

M. Gilbert Cette. - D'autant qu'une liste considérable de mauvaises incitations existe pour pousser les seniors en dehors de l'emploi, à commencer par les durées d'indemnisation.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie de votre contribution à cette première table ronde, riche d'ouvertures et de questionnements. Nous aurons l'occasion de revenir vers vous pour poursuivre ce débat.

II. COMPTE RENDU DES TABLES RONDES DU 2 MARS 2023

M. Serge Babary, président. - Mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour une deuxième séquence d'auditions en réunion plénière dans le cadre de la mission sur le thème Formation, compétences, attractivité. Nos rapporteurs se sont donnés pour objectif d'approfondir les travaux relatifs aux tensions sur les recrutements et aux pénuries de compétences que rencontrent les entreprises françaises. En 2019 et 2020, nous avons publié un rapport intitulé Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises. Il a appelé à un sursaut pour s'assurer que notre économie, à l'heure des grandes transitions et de la relocalisation, trouve les talents dont elle a besoin. En 2021, la délégation a également adopté un rapport sur l'évolution des modes de travail et les défis managériaux visant à tirer les conséquences des changements profonds du travail et des formes d'emploi et à mieux accompagner les entreprises et les travailleurs. Nous souhaitons aujourd'hui faire le point sur la situation, alors que les difficultés de recrutement persistent, surtout dans certains secteurs comme la construction ou l'industrie. Par ailleurs, le concept de grande démission s'est invité dans le débat. La quête de sens apparaît encore plus forte.

Afin de mener cette réflexion, nous avons le plaisir d'accueillir trois invités :

- Mme Glenda Quintini, économiste senior à l'OCDE, spécialiste des questions d'emploi et de travail, notamment des questions de compétences. Madame, vous avez étudié les systèmes de formation des adultes en comparaison internationale et la structure du marché du travail au regard des qualifications. Nous sommes ravis de vous entendre à nouveau aujourd'hui, car nous vous avions déjà sollicitée en novembre 2019 pour intervenir sur les compétences à l'heure de l'intelligence artificielle ;

- M. Tristan Dupas-Amory, chercheur associé au centre d'études et de recherches sociologiques, chargé d'enseignement à l'ESCP Business School. Vous avez publié plusieurs articles sur la manière dont les jeunes abordent le marché du travail, sur la grande démission et le sens du travail ;

- M. Philippe Dole, inspecteur général des affaires sociales honoraire, qui est auteur du rapport Résorption des tensions de recrutement : bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles, rendu en novembre dernier au ministre du Travail. Ce rapport fait état des efforts et initiatives menés par les entreprises de différents secteurs. Il pourra nous présenter ses recommandations à cet égard.

Avec trois regards croisés, nous souhaiterions répondre aux questions suivantes : les difficultés actuelles sont-elles une conséquence normale d'une période de quasi plein emploi et des bouleversements liés à la crise économique et sanitaire de 2020 ? Ou traduisent-elles des phénomènes plus profonds, qu'il s'agisse d'une évolution sociétale du rapport au travail ou d'inefficacité structurelle de nos systèmes de formation et de soutien à l'emploi ? Quel doit être, selon vous, le rôle et la réponse des pouvoirs publics ?

Mme Glenda Quintini, économiste senior à l'OCDE. - Je placerai la France dans un contexte international. Les mégatendances continuent de transformer les besoins de compétences. Nous observons des changements structurels sur le marché du travail, qui font évoluer les besoins de compétences.

La crise du Covid-19 a accéléré l'adoption de nouvelles technologies et a changé la formation. Par ailleurs, la crise du coût de la vie affecte particulièrement certains secteurs. Toutes ces mégatendances ont également augmenté les inégalités qui existaient déjà auparavant. Ces évolutions affectent la demande et l'offre de compétences et génèrent des déséquilibres.

Je me focaliserai sur deux tendances en particulier : d'un côté, les avancées technologiques, et de l'autre, la transition verte.

Nous avons mis à jour l'étude que je vous ai présentée en 2019, en nous concentrant spécifiquement sur l'intelligence artificielle. Nous avons observé, au cours des dernières années, que de plus en plus de tâches sont automatisées.

Dans le passé, la dextérité manuelle était difficilement automatisable. Désormais, certaines compétences, qui correspondent à des emplois mieux qualifiés, sont automatisables grâce à l'intelligence artificielle. C'est le cas du raisonnement déductif - inductif, de la capacité de lecture et même de la créativité. Cette automatisation affecte davantage les emplois à haut niveau de qualification. Il reste encore des goulots d'étranglement, dont la capacité de résoudre des problèmes complexes, la gestion de haut niveau et les interactions sociales.

Tous les emplois sont donc affectés, même si les emplois peu qualifiés le sont davantage. Tous les emplois incluent des aptitudes et des compétences facilement automatisables et des compétences qui constituent des goulots d'étranglement. Dans les emplois peu qualifiés, les compétences sont facilement automatisables. Sauf exceptions, ils ne risquent pas de disparaître. En revanche, ils évolueront fortement.

En parallèle, certains emplois comportent une grande partie de tâches qui ne sont toujours pas automatisables. Ils sont affectés par l'intelligence artificielle, mais le remplacement par la technologie n'aura pas lieu.

En France, les emplois qui comportent une partie importante de tâches qui peuvent être automatisées constituent environ 10 % des emplois. Ce taux est de 18 % en Hongrie et de 6 % au Royaume-Uni.

Sur le sujet de la transition verte, le discours est encore mixte. Il n'est pas clairement établi si les emplois créés par cette transition sont des emplois à très haut niveau de compétences ou s'il s'agit principalement d'emplois de techniciens. Les études soutiennent que la demande se concentrera sur des compétences plus élevées, sans atteindre les plus hauts niveaux. Nous ignorons quels types d'emplois seront créés.

Les pénuries professionnelles qui résultent de ces tendances sont assez mélangées. Elles sont observées dans la santé, dans l'enseignement, au niveau des ingénieurs et des scientifiques, de même que dans des emplois dont le niveau de qualification est relativement faible.

L'enjeu pour les adultes est relativement important. En France, 20 % d'entre eux présentent un niveau de littératie et de numératie faible. Même s'ils ont un emploi, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens à disposition pour assurer leur transition vers des emplois qui demanderont des qualifications plus élevées. Ces adultes peuvent interpréter les chiffres les plus simples, mais ils sont incapables de s'engager sur des tâches plus complexes. Le manque d'action représente un coût pour les individus, pour les entreprises et au niveau national.

Malheureusement, le nombre d'adultes qui participent à la formation reste limité. En France, chaque année, 32 % des adultes participent à la formation. 10 % déclarent qu'ils auraient souhaité y participer, mais ont fait face à des barrières (principalement le manque de temps). Par ailleurs, 12 % des adultes déclarent qu'ils n'ont pas reçu de soutien de leur employeur, contre 5 % dans la moyenne de l'OCDE. 60 % des adultes n'ont pas souhaité participer à une formation. Il se peut qu'ils aient manqué de motivation ; c'est toutefois assez réducteur, car ils peuvent également penser que les barrières sont très élevées. Certains n'ont probablement pas su identifier des formations vraiment adaptées à leurs besoins.

Ceux qui ne se forment pas sont principalement les adultes qui ont le plus besoin d'une formation. Ce sont les moins qualifiés et les plus âgés.

Nous savons également que les formations ne sont pas nécessairement adaptées aux besoins du marché du travail. Les entreprises n'évaluent pas toujours leurs besoins de compétences. Pour des raisons réglementaires, elles assurent uniquement les formations obligatoires. Or, le contenu des formations ne correspond pas aux enjeux stratégiques de l'entreprise.

Nous avons mis en place un cadre d'actions. Certaines ont pour objectif d'augmenter la participation et l'inclusivité de la formation. D'autres éléments visent à augmenter l'alignement de la formation aux besoins du marché du travail. Certaines actions ont été imaginées pour augmenter l'impact et la qualité de la formation.

L'importance du financement et la co-responsabilité de tous les acteurs sont mises en exergue. Il est également nécessaire d'accorder de l'importance à la gouvernance du système. La formation des adultes est plus complexe, à ce niveau, que pour les jeunes. De nombreux acteurs (entreprises, syndicats, particuliers, instituts de formation) doivent collaborer à la gouvernance du système.

M. Tristan Dupas-Amory, chercheur associé au centre d'études et de recherches sociologiques, chargé d'enseignement à l'ESCP Business School. - Je suis chercheur en sciences sociales et on m'a régulièrement demandé de réagir sur le phénomène de grande démission et sur ce qu'il nous dit du rapport à l'emploi.

Cette expression est toujours accompagnée d'un certain flou. Rien n'est plus simple, en réalité, que le début d'une grande démission. Il suffit, à la suite d'une crise sanitaire, d'attirer l'attention sur une hausse des démissions observées dans une grande économie occidentale. Aux États-Unis, 38 millions de salariés ont quitté leur emploi en 2021. Il s'agit ensuite de désigner ce phénomène par plusieurs expressions dont le succès spectaculaire est proportionnel au mystère qui les entoure : the great resignation, the big quit, the great reshuffle. Utilisez-les pour signaler l'augmentation des démissions constatées dans d'autres pays, dont la France. La contamination menaçante du virus du désengagement salarial s'exportera et cette situation inédite deviendra sans frontières. Est-elle liée à un simple effet de rattrapage à la suite d'une crise sanitaire qui a tout figé ? Faut-il plutôt y voir le signe d'une démotivation brutale des salariés, ou d'un désenchantement antérieur, que la crise ne fait que révéler ? Remet-elle en cause des conditions ou une organisation du travail particulières ?

Prenez donc, en somme, un phénomène observable, des noms facilement consommables, une contamination internationale, des interrogations politiques et sociales. La grande démission, au sens de « raz-de-marée imprévu », n'existe pourtant qu'en première analyse. En France, le nombre de démissions est élevé, mais il n'est pas inédit ni inattendu, compte tenu du contexte économique. Comme le rappelle la DARES, le taux de démissions est un indicateur cyclique. Bas durant les crises, il augmente en période de reprise, car les opportunités d'emploi se font plus nombreuses : il est plus aisé de prendre la décision de démissionner. La hausse du taux de démissions apparaît normale, en lien avec la reprise économique.

Le phénomène n'est pas plus avéré aux États-Unis. Des professeurs à la Harvard Business School constatent que, sur une période longue, la tendance des démissions est à la hausse depuis plus d'une décennie. Le sujet n'est donc pas une explosion inédite et subie des démissions. Il s'agit d'une augmentation chronique du taux de démissions. C'est elle qui pose l'énigme du consentement au travail, plutôt que le phénomène ponctuel qui occupe l'espace du débat.

De là, deux hypothèses.

Première hypothèse : le taux croissant de démissions manifeste la vitalité de l'économie et les opportunités offertes par le marché du travail aux salariés.

Deuxième hypothèse, et c'est celle qui est souvent retenue : c'est un marqueur de l'insatisfaction grandissante des salariés vis-à-vis de leur travail et de la relation de travail qui leur est proposée.

Ces deux hypothèses sont probablement vraies dans une certaine mesure. Des questionnements profonds sont devant les entreprises et les organisations, et beaucoup d'entre elles, pour des raisons de performance notamment, apportent un réel soin à comprendre ce qui se joue actuellement pour s'adapter. Au fond, les principaux leviers pour les entreprises sont connus. Ils concernent les conditions transactionnelles (salaire, temps de travail, accès à la formation) et le contenu et l'organisation du travail (intérêt du travail, qualité du management et des relations au travail).

C'est surtout tout le contrat psychologique, c'est-à-dire les conditions subjectives du travail, qu'il faut repenser pour parer cette difficulté croissante à attirer et retenir les salariés. La fin du travail n'est pas pour tout de suite. Dans certaines communautés grecques, seuls ceux qui ne travaillaient pas vivaient vraiment. Malgré le catastrophisme parfois lié à la grande démission, nous n'en sommes pas là. La grande démission n'a que l'allure d'une révolution, au sens de changements brusques. Mais nous devons l'empêcher de se transformer en simple révolution (un tour complet sur soi).

Grande démission et crise sanitaire ont permis le surgissement dans l'actualité des mutations du rapport au travail. C'est dans un processus historique au long cours qu'il s'agit de les réinscrire. Ce que j'ai appelé « la grande rétention » représente la tentation d'empêcher un nouveau rapport au travail de naître, alors même que l'ancien se meurt. De cette tentative parfois désespérée ne peut sortir que l'insensé. Malgré les incompréhensions qui existent entre les aspirations des entreprises et des salariés, la transformation en cours pourrait être conforme à l'intérêt des deux parties. La construction du rapport au travail est individuelle, mais repose également sur la construction de cette relation profondément collective. Ensemble, les salariés dessinent les fondations d'une critique collective du marché du travail et de l'organisation des entreprises, qu'il ne tient qu'à nous d'entendre, de reformuler et d'accepter.

M. Serge Babary, président. - Merci pour cet éclairage. Je propose de passer aux questions de nos rapporteurs.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Mme Quintini, vous avez évoqué la question de l'automatisation des tâches. Effectivement, nous percevons un nombre croissant d'automatisations dans l'industrie. Mais les tâches de certains métiers sont difficilement automatisables. Or, pour ceux-ci il apparait une réelle pénurie de main d'oeuvre. Je parle notamment des métiers de l'aide à domicile, de l'aide aux personnes, du travail dans les institutions sociales et médicosociales, des conducteurs routiers, des serveurs et des cuisiniers dans l'hôtellerie et dans la restauration.

Les employeurs nous font état de leurs difficultés à trouver la main d'oeuvre dont ils ont besoin, malgré le fait qu'il y ait 3 millions d'inscrits à Pôle Emploi au sein des catégories A, B et C de demandeurs d'emploi, et 5,4 millions d'inscrits de manière globale. Ce chiffre est considérable.

Jusqu'où pensez-vous que l'on puisse faire baisser le chômage ? À quel niveau situez-vous le plein emploi ?

Mme Glenda Quintini. - Concernant le plein emploi, je ne sais pas spécifiquement pour la France. Je ne m'exprimerai donc pas sur ce point, mais je trouve que vos déclarations sont très intéressantes. Effectivement, nous avons vérifié si l'automatisation pourrait aider les emplois en pénurie. Dans le secteur du soin aux personnes, il est particulièrement difficile de mettre en place des automatisations. Les interactions sociales sont primordiales. La mécanique des soins pourra être automatisée, mais il reste tout l'aspect relationnel. De plus, ces métiers de soins aux personnes âgées et de garde d'enfants incluent un élément d'acceptabilité sociale. Dans les maisons de retraite, certaines tâches peuvent être automatisées, mais dans la plupart des pays, les personnes n'accepteront pas de confier leurs parents âgés ou leurs enfants en bas âge au soin unique automatisé.

Pour les autres catégories d'emplois, la situation varie selon les secteurs. Nous avons vu l'apparition de machines automatiques dans certains restaurants, pour prendre les commandes plus rapidement. J'ai également su qu'il existe à Paris un restaurant dont le cuisinier est un robot. Dans ce contexte, nous devons considérer l'attractivité des emplois. Aux États-Unis, nous avons vu des pénuries très importantes dans le secteur des préparations alimentaires. Nous nous demandons où sont passés les travailleurs, et de quelle manière ils peuvent se permettre de quitter leur travail. Certaines études ont constaté qu'ils sont entrés dans le secteur commercial. La vente en magasin rapporte davantage et les conditions de travail sont meilleures. Les horaires sont plus encadrés.

Les raisons des pénuries sont donc relativement complexes.

M. Michel Canévet, rapporteur. - M. Dupas-Amory, le phénomène de démission que vous avez évoqué dans votre propos introductif est-il plus marqué en France que dans d'autres pays ? Quelles explications pouvez-vous apporter au phénomène observé ?

M. Tristan Dupas-Amory. - Des études comparatives se sont intéressées à cette hausse du taux de démission, à la fois en Europe et aux États-Unis. Une accélération a été observée au Royaume-Uni, en France, et même en Espagne, alors que le chômage y est plus élevé. En revanche, nous avons constaté que dans des pays où la codétermination est un peu plus institutionnalisée au sein des entreprises, l'accélération est plus faible. C'est notamment le cas de l'Autriche et de l'Allemagne.

Il faut toujours se méfier de la cause unique. Je ne peux donc pas garantir que si nous instaurions la culture de la codétermination en France, nous parviendrions à freiner la tendance. Ceci-dit, nous pouvons nous y intéresser.

L'augmentation du taux de démission est notamment due au rattrapage de la crise sanitaire. Les chiffres après la pandémie sont semblables à ceux d'avant la crise.

Intéressons-nous aux secteurs qui concentrent les taux de démission les plus élevés en France. Vous en avez cité quelques-uns. Nous avons le secteur de l'enseignement, de la santé et de l'action sociale, le commerce, la réparation automobile, la fabrication agroalimentaire, et loin devant, le secteur de l'hébergement et la restauration. Ce sont des secteurs où les conditions de travail sont exigeantes, les niveaux de rémunération sont relativement faibles, et la relation d'emploi est peu qualitative. Nous pouvons chercher des raisons extrêmement complexes, mais la réalité est simple. Il me semble important de distinguer le levier des conditions transactionnelles - c'est-à-dire le salaire et le temps de travail (augmentations de salaire, semaine de quatre jours) - des éléments davantage liés à l'organisation du travail.

Cependant, le facteur central est la notion de contrat psychologique. C'est un courant de recherches qui est apparu dans les années 1950. Nous le connaissons très bien en gestion des ressources humaines. Il part de l'hypothèse selon laquelle la motivation du salarié vient d'un équilibre entre ses contributions et ses rétributions. Or, c'est un contrat subjectif. Nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur les données économiques et augmenter tous les salaires. Dans de nombreux secteurs, les salaires sont augmentés, et pourtant, le phénomène persiste.

La manière dont nous considérons l'emploi est le levier qui est en train de changer. Or, la tentation de mettre fin à cette évolution peut aboutir à des choix contre-productifs. Le nouveau défi des entreprises est d'attirer et de retenir les salariés. Elles activent différents leviers, notamment au niveau de l'organisation du travail et des salaires. Cependant, retenir un salarié dans une telle situation ne fait que retarder l'échéance, et certains risques psychosociaux apparaîtront.

Les entreprises doivent ainsi composer avec la problématique du « laisser faire » et celle du rééquilibrage. Les salariés, comme les entreprises, essaient d'établir ce nouvel équilibre. La situation est à la fois très simple et très complexe, car nous avons affaire à de la matière humaine et à de la subjectivité.

M. Serge Babary, président. - Une étude a divisé le corps des salariés en trois tiers : un tiers très motivé, proactif et personnellement impliqué, un tiers qui se contente de remplir les missions qui lui sont demandées, et un tiers qui adopte une attitude négative. Disposez-vous d'éléments sur la répartition ? Est-ce une réalité ?

M. Tristan Dupas-Amory. - Je me méfie des typologies, car elles ne sont jamais très fines. En revanche, la crise générale de l'engagement n'est pas nouvelle. Des enquêtes annuelles sont conduites à l'échelle mondiale : depuis plusieurs décennies, les salariés en Europe sont ceux qui se déclarent le moins investis ; en outre, les Français arrivent en dernière position parmi les Européens. L'actualité met en avant une réalité déjà ancienne.

Le premier réflexe pour rééquilibrer le contrat psychologique est d'en faire un peu moins. Cette tendance peut être observée dans des écrits du 19ème siècle.

Il est difficile de répondre à votre question, car il existe des différences selon les groupes professionnels. Par exemple, nous observons des critiques liées à l'overwork (le travail à outrance) chez les surinvestis. Le rapport agonistique au travail est remis en question, notamment par les jeunes générations.

Ce genre de typologie est utile pour échanger, mais je me garderai de confirmer ou d'infirmer une proportion.

Mme Glenda Quintini. - Les modes de travail en entreprise peuvent être plus motivants. La possibilité de travailler en équipe, l'autonomie dans le choix de l'ordre des tâches et l'apprentissage par l'échange avec les collègues permettent aux collaborateurs de mieux s'engager et de mieux utiliser leurs compétences. Le retour sur la formation est également plus important. Apprendre au travail de manière informelle est essentiel. L'apprentissage est mis en pratique, la productivité et le salaire augmentent en conséquence. En s'impliquant davantage, les salariés utilisent mieux leurs compétences au travail.

M. Philippe Dole, inspecteur général des affaires sociales honoraire, qui est auteur du rapport Résorption des tensions de recrutement : bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles. - La démarche qui a été la nôtre dans le cadre de ce rapport est inédite. Le premier ministre, Jean Castex, et les partenaires sociaux ont souhaité travailler à la résorption des difficultés de recrutement à partir des prérogatives et des capacités d'intervention des branches professionnelles. Or, les branches professionnelles sont les acteurs paritaires négociateurs de l'accord collectif de travail. Ils déterminent également des dispositifs qui contribuent à l'attractivité de l'emploi.

Les plans successifs mis en place par les pouvoirs publics n'ont pas réellement porté leurs fruits en termes d'emploi. Lorsque l'on engage des efforts de formation, il est nécessaire de travailler à la fois sur la production de compétences et sur la préparation à des activités nouvelles. Cependant, cette démarche éloigne les personnes de l'emploi. Des travaux indiquent qu'au-delà de six mois, l'avantage que procure la formation est contrecarré par l'éloignement du marché du travail. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre. C'est la raison pour laquelle les formations en alternance sont particulièrement appréciables.

Plusieurs leviers d'action permettent de résorber les difficultés de recrutement. La négociation collective porte sur les rémunérations, sur les classifications et sur les conditions de travail. Les branches disposent d'un outil important d'analyse et de prospective, qui est l'observatoire de branches. Il permet de réfléchir à l'évolution des métiers et de déterminer les futurs référentiels de compétences, pour des métiers en transformation et pour des métiers en création. La branche dispose également de prérogatives en matière de certification (production des diplômes, des titres, des certificats de qualification professionnelle).

Les branches professionnelles ont également la capacité à définir la politique de financement de l'apprentissage et des contrats de professionnalisation. Même si la question de l'apprentissage fait également l'objet d'un dialogue avec France compétences, d'une branche à l'autre, ces questions sont décidées dans un cadre paritaire.

Enfin, la branche dispose d'une capacité d'intervention, avec l'appui des pouvoirs publics et du service public de l'emploi, pour mobiliser les entreprises comme pour mobiliser les demandeurs d'emplois. Cette approche structurelle est évidemment complémentaire des travaux menés au niveau local. L'emploi se joue dans la proximité, au niveau de l'entreprise et du bassin d'emplois. Cependant, si l'on ne travaille pas sur les éléments structurels, on peut s'épuiser à chercher des personnes et leur offrir un cadre qui ne les satisfait pas.

Par ailleurs, les recrutements s'opèrent dans un marché à la fois concurrentiel et contraint, avec des facteurs spécifiques, des problématiques d'âge, d'accès à la formation dans les professions réglementées, des employeurs qui recherchent un candidat répondant à tous les critères recherchés, et des actifs qui recherchent les meilleurs salaires et conditions d'emploi ou qui ne veulent absolument pas se tourner vers certains métiers pourtant en tension.

Nous observons donc un manque de candidatures et parfois une inadéquation du profil des candidats. De plus, certains métiers sont encore méconnus. Nous constatons également de fortes attentes et déceptions quant à l'orientation dès l'école. On peut s'interroger sur les motifs pour lesquels tant de personnes quittent leur emploi dans les trois premières années. Vous parliez de l'hôtellerie et de la restauration : c'est un exemple.

L'orientation et la formation initiale sont également en cause, de même que la question de l'attractivité, avec une problématique de classification, de rémunération et de capacité à évoluer professionnellement. Les conditions de travail sont également mises en cause. Ces questions doivent être mieux prises en compte dans les politiques de branche et dans les pratiques des entreprises.

La crise sanitaire a été porteuse d'une remise en question professionnelle. Les gens ont eu le temps de réfléchir et de s'intéresser à exercer une autre activité. Plusieurs instruments permettent de procéder de la sorte : le bilan de compétences, le conseil en évolution professionnelle et les dispositifs d'accompagnement à la reconversion.

Les données démographiques publiées par France stratégie sont préoccupantes, car la ressource de travail se raréfie. Le premier accès à l'emploi se trouve décalé par la poursuite d'études. En outre, 42 % des personnes qui poursuivent leurs études ont entre 14 et 24 ans. Selon France stratégie, cette proportion atteindra 48 % en 2030. Les jeunes en capacité d'entrer sur le marché du travail seront donc encore moins nombreux qu'aujourd'hui.

Les solutions élaborées ont débouché sur des diagnostics partagés avec les partenaires sociaux de la métallurgie, des métiers de bouche, des transports, du conseil en numérique et du bâtiment. Tous les métiers concernés allaient de la production à la petite maîtrise.

Agir pour résorber les difficultés de recrutement, c'est agir simultanément sur plusieurs facteurs : la promotion de la profession, la préparation des jeunes générations, l'intégration des jeunes et des adultes disponibles, la qualité de vie au travail. Les liens avec l'école doivent également être resserrés ; les politiques de formation doivent être fluidifiées et leur qualité doit être améliorée. Enfin, il est nécessaire de développer l'apprentissage. C'est un dispositif interactif, qui doit être piloté. La temporalité n'est pas la même pour des jeunes devant être formés et pour des personnes qui sont disponibles tout de suite. Cependant, il est important d'agir simultanément sur tous ces facteurs afin de ne pas perdre de temps.

Les plans d'action ont été construits avec les partenaires sociaux sur les mêmes modèles. Ils reprennent les éléments suivants :

- la problématique de la relation école - entreprise ;

- l'attractivité, les rémunérations et la qualité de vie au travail dans le cadre de la négociation collective. Certains secteurs se sont engagés dans un processus de négociations avec succès, comme dans la branche du conseil, dans le champ du numérique et dans le secteur des transports. Ces négociations ne concernaient pas que des problématiques de rémunération, mais également la qualité de vie au travail, et particulièrement la conciliation vie familiale - vie professionnelle, qui intéresse particulièrement les jeunes entrants sur le marché du travail ;

- une meilleure performance des dispositifs de formation. Pôle Emploi et les régions travaillent ensemble avec beaucoup de sérieux. Nous avons un problème avec les opérateurs de compétences (OPCO), qui, pour des raisons liées à la disponibilité de leur budget annuel, ne sont pas intégrés dans un processus suffisamment anticipé. C'est une des préconisations que nous avons partagées. Pour anticiper, ajuster et réguler l'effort de formation, un travail programmatique doit être mené plus d'un an à l'avance. Les mises à jour doivent être régulières auprès des acheteurs et des organisateurs ;

- un pilotage bien organisé. Peut-être avez-vous entendu parler de la démarche L'industrie recrute en Bretagne. Elle réunit les acteurs de l'industrie, le rectorat, Pôle Emploi et la région, dans chaque bassin d'emploi. Ce travail permet à la fois d'agir en amont sur la sensibilisation et la connaissance des métiers, et en aval, sur la régulation des dispositifs permettant de répondre aux besoins des entreprises et des populations. Cette démarche permet de multiplier par 3 les résultats habituellement constatés dans d'autres secteurs, avec des méthodes bien moins pilotées et régulées collectivement.

France compétences a mis en place une initiative intéressante avec la « Grande bibliothèque ». Elle permettra peut-être aux différents observatoires existants en France de partager leurs données avec tous les acteurs concernés et avec le grand public. Nous y trouvons des informations d'un grand intérêt sur le contenu des emplois et leurs évolutions.

Il est important de consolider le dialogue entre les branches professionnelles, les régions, les rectorats et Pôle Emploi, à la fois sur la politique d'orientation scolaire et professionnelle et sur la politique de formation initiale et continue.

Il est également important de veiller à la représentation des branches à l'échelon territorial de proximité dans les territoires. Ce n'est pas toujours le cas. Les personnes qui représentent les secteurs professionnels ne sont pas toujours mandatées par la branche au niveau national.

Nous proposons de mettre en place des protocoles de liaison entre les entreprises et le service public de l'emploi. C'est une approche relativement classique, qui n'est pas liée à la négociation de branche. Il s'agit principalement de bonnes pratiques permettant un dialogue territorial construit de qualité.

Les branches sont invitées à promouvoir et développer l'apprentissage et la professionnalisation, et à améliorer les dispositifs d'intégration et de suivi dans l'entreprise. Elles doivent également veiller à ce que les indicateurs de qualité du référentiel national qualité (Qualiopi) soient appliqués, afin de réduire les abandons. Il est important de s'intéresser à la qualité d'intégration des jeunes dans les entreprises pour ne pas gaspiller ces ressources, qui sont de plus en plus rares.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Merci, M. Dole, vous avez parlé de la nécessité de fournir aux jeunes une meilleure connaissance de tous les métiers qui existent, et de renforcer le lien entre les entreprises, les branches et l'Éducation nationale. Vous nous proposez également une plus grande adéquation entre le premier emploi et les formations.

Les jeunes ont une approche différente du travail. Ils sont plus ouverts à la mobilité et donnent plus d'importance aux valeurs de l'entreprise. Considérez-vous que la RSE améliorere les recrutements ?

Mme Quintini et M. Dupas-Amory, quel est votre regard par rapport à ce qui vient d'être dit sur la nécessité d'une mise en adéquation des formations ?

Mme Glenda Quintini. - Le conseil en évolution professionnelle, le bilan de compétences et l'orientation professionnelle sont très importants pour les jeunes et pour les adultes. D'une certaine manière, les deux sont liés, car nous constatons souvent qu'une bonne orientation professionnelle pendant l'école permet une expérience positive d'accès à ces services. Les adultes, par la suite, continuent d'accéder à ces services.

Du fait du vieillissement de la population, la vie professionnelle sera plus longue, et de ce fait, les reconversions professionnelles seront plus fréquentes. Il est donc très important de garantir l'accès aux informations tout au long de la vie. Actuellement, de nombreux adultes ne se forment pas, parce qu'ils n'ont ni la connaissance de cette possibilité, ni la motivation. D'autres ne savent pas identifier une formation adaptée à leurs besoins. Le fait qu'un expert puisse aider à dresser un bilan est essentiel.

La transition de l'école à l'emploi est très importante, mais il ne faut pas oublier que les jeunes s'intéressent à la mobilité. Le marché du travail connaîtra bien plus de changements qu'auparavant.

Les éléments présentés sur l'apprentissage en classe et en entreprise et sur la formation professionnelle sont très justes. Nous constatons cependant que dans ces filières, il y a moins de formations de base. L'entrée sur le marché du travail est facilitée, mais les transitions sont plus difficiles. Les professionnels sont formés à un métier très spécifique, leurs compétences sont excellentes et leur ont permis de trouver un emploi bien plus facilement que d'autres personnes, qui ont suivi des études plus générales. Cependant, que ferons-nous quand ces emplois seront en partie automatisés ? Les professionnels qui ont été préparés pour ces métiers n'ont pas toujours été préparés à reprendre la formation.

M. Tristan Dupas-Amory. - Je souhaite d'abord rebondir sur le volet RSE. En filigrane, nous identifions la question du sens et de l'écart générationnel. Effectivement, nous mettons la question du sens dans cette nouvelle équation de la rétention, notamment chez les jeunes générations. Je suis étonné que l'on dise que ces jeunes générations sont en quête de sens, alors que les anciennes n'en auraient aucun. Je pense que les équilibres changent et que nous avons toujours construit un sens par rapport à ce que nous faisons dans notre vie privée et dans notre vie professionnelle. Je pense que la RSE est à la fois une partie de la solution et du problème. La crise sanitaire a été un moment de révélation pour ceux qui ont eu le luxe d'y penser.

En creux, on peut voir une contestation de la valeur identitaire du travail et des velléités d'une relation plus équilibrée. Cependant, tout cela se mêle à des tentatives de « sens washing ». Les entreprises ont compris qu'il s'agit d'une partie de la solution pour attirer et fidéliser les jeunes travailleurs. Ils vendent du sens jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus le moindre. Je travaille avec de nombreuses organisations : aucune ne m'a jamais dit « ce que nous faisons n'a aucun sens ».

Je me méfie de cette tentative de placer le sens au centre du problème. Ce n'est qu'une partie de l'équation, et nous sommes confrontés à des subjectivités.

Dans l'intervention de M. Dole, j'ai beaucoup apprécié les éléments liés au poids démesuré de la formation initiale. Elle rend difficile l'accès à l'information et à la bifurcation. Les études montrent que même chez les diplômés des plus grandes écoles, l'éventail d'options professionnelles est particulièrement étroit. Toutes les catégories sont touchées. Des sociologues américains ont identifié ce problème d'entonnoir à carrières et se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles les écoles qui ouvrent toutes les portes n'aboutissent qu'à un nombre restreint de métiers. Ils ont mis l'accent sur le manque de connaissances des carrières possibles, même chez les étudiants d'élite. Ils ont également étudié l'esprit de compétition, alimenté par la frénésie de recrutement, et l'intériorisation de niveaux de prestige différenciés des carrières professionnelles. Les étudiants cherchent des métiers dignes de leurs diplômes. Même chez ces populations d'élite, les étudiants choisissent leur carrière en fonction de ce qu'on attend d'eux.

À l'intérieur des entreprises, certains mécanismes prennent le relais. Ils pérennisent l'étroitesse des choix. Le manque d'ouverture est lié à la détermination sociale, aux problèmes d'accès à l'information et à des retenues psychologiques.

De nombreux professionnels souhaitent bifurquer, mais le pourcentage de personnes qui concrétisent ce souhait est faible. Je suis persuadé que nous disposons de tous les outils pour bifurquer, mais les freins psychologiques sont trop importants. La France est particulièrement sujette à ce problème. Ce que l'on étudie à l'université détermine notre futur professionnel. Dans les pays anglo-saxons, des personnes qui ont étudié l'histoire intellectuelle au XIXème siècle peuvent, par la suite, travailler dans la finance. Comment voulez-vous envisager de telles carrières en France ? Ce n'est pas dans nos mentalités.

Mme Glenda Quintini. - Je souhaite ajouter que nous raisonnons davantage sur les métiers que sur les compétences. Le gouvernement commence à réfléchir aux professions comme un ensemble de tâches. La reconversion n'est alors plus aussi difficile qu'il n'y parait. Un adulte n'envisage pas de retourner à l'université pour se former à un autre métier. Les transitions peuvent se faire plus simplement si nous nous intéressons aux aptitudes nécessaires. Les candidats doivent simplement identifier leurs manques et les résoudre par le biais de formations bien plus courtes et plus adaptées aux besoins des adultes.

En outre, les personnes peu qualifiées n'ont pas une expérience très positive de l'école. Il est donc difficile de leur demander de suivre une formation longue, au-delà des conséquences financières. En revanche, une formation courte leur permettra de se focaliser sur leurs faiblesses et de basculer sur des emplois plus prometteurs.

La mentalité des entreprises et de toutes les institutions qui facilitent la transition change. Pôle Emploi est l'un des services publics de l'emploi qui met en avant cette approche nouvelle. L'objectif n'est plus de connaître l'historique professionnel, mais de vérifier les compétences du candidat. Les entreprises doivent, quant à elles, savoir exprimer leurs besoins en termes de compétences. C'est ainsi que nous pourrons considérer un ensemble plus élargi de professions et de candidats. Par ailleurs, cela peut également permettre de résoudre les pénuries. Les entreprises peuvent chercher des professionnels en provenance d'autres catégories.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - M. Dupas-Amory, vous avez évoqué le sujet du contrat psychologique, qui induit une part individuelle. Comment peut-on construire des politiques publiques à partir de cela ? Comment pouvons-nous mettre en place une action globale en prenant en compte ce contrat ?

Vous avez également évoqué la question du sens, qui a déjà été abordée auparavant. Il arrive qu'une entreprise qui a du sens propose des emplois qui n'en ont pas. Récemment, une étude a indiqué qu'une grande partie des réunions ne sont pas d'une grande utilité. Les organisations s'interrogent-elles sur le sens au travail ?

La notion de salaire d'efficience, qui a été évoquée il y a quelques années par des économistes, a-t-elle toujours du sens pour ceux qui recherchent un emploi ? Derrière le manque de sens, peut-on pointer du doigt un salaire insuffisant ?

M. Tristan Dupas-Amory. - Il n'existe pas de meilleure organisation dans l'absolu. En revanche, il est possible de mettre en place des politiques publiques. Le volet organisationnel est très important, mais il doit être contextualisé dans un secteur ou dans une entreprise. Le télétravail n'est pas positif s'il permet la reproduction d'une division genrée du ménage. De même, la semaine de quatre jours ne résoudra pas le problème des personnes qui ne s'épanouissent pas dans leur travail.

Nous devons mener une réflexion sur le volet organisationnel comme on réfléchit à un mix énergétique. Nous devons travailler sur la compatibilité et l'équilibre entre différents dispositifs d'organisation du travail. Le salaire d'efficience n'est qu'une partie de l'équation. La redéfinition du management est un autre levier important. Susciter un engagement positif au travail nécessite de former les managers. L'objectif n'est pas de faire en sorte que le manager devienne un psychologue des salariés, mais de lui fournir un socle de compétences.

Nous ne pouvons pas freiner la mutation au long cours, mais nous pouvons l'accompagner et susciter l'engagement de cette manière.

M. Pierre Cuypers. - À aucun moment depuis le début de cette séance je n'ai entendu l'expression« aimer son travail ». Comment faire pour inciter les gens à trouver un travail qui leur plaise ? Il me semble que le télétravail rompt l'intérêt de travailler dans une entreprise et d'échanger. Le télétravail ne permet pas de développer l'esprit d'entreprise. Il ne facilite pas non plus l'emploi. Les formations peuvent-elles mieux orienter les gens ?

M. Vincent Segouin. - Ne paie-t-on pas les effets de la culture de l'élite permanente ? Les jeunes souhaitent désormais gagner de l'argent très vite, sans faire trop d'efforts. Or, ils s'aperçoivent que cette vie est réservée à peu de gens. On ne met jamais la lumière sur ceux qui se lèvent le matin, qui vont travailler et qui prennent plaisir à travailler.

Lorsque ces gens se rendent compte qu'ils ne pourront pas appartenir à cette élite, ils arrivent à la conclusion que le chômage et les aides sociales leur suffisent.

Le goût de l'effort existe-t-il encore ? Peut-on l'entretenir ?

Mme Glenda Quintini. - Je pense que la question d'aimer son travail est liée à la qualité du conseil professionnel. Les orientations doivent prendre en compte les préférences des gens. Les jeunes doivent être informés des opportunités ; il est également important de les motiver, sans les forcer à entreprendre des carrières. Ces dernières sont porteuses, mais ne sont pas toujours en lien avec leurs désirs et leurs aspirations.

Souvent, l'orientation pour les adultes se fait au sein des services publics de l'emploi. Il y a un aspect utilitaire, qui laisse de côté les intérêts des candidats et les efforts qu'ils doivent fournir pour y parvenir.

En parallèle, il est possible d'organiser le travail d'une manière plus motivante. Les salariés seront plus investis et aimeront ce qu'ils font, parce qu'ils continueront d'apprendre et bénéficieront d'une plus grande autonomie.

M. Tristan Dupas-Amory. - Il me semble que des métiers sont plus faciles à aimer que d'autres. Pour une partie de la population, la question ne se pose pas. Ils travaillent pour subvenir à leurs besoins. En revanche, je perçois un problème lorsque les conditions sont si dégradées que les professionnels n'aiment plus leur travail. C'est notamment le cas des métiers de la santé. Eux-mêmes ne perçoivent plus l'utilité sociale de leur métier.

M. Vincent Segouin. - Cette tendance s'est accentuée après la pandémie, car pendant cette période, la lumière a été mise sur la pénibilité du travail. On a probablement trop insisté sur cette pénibilité et les commentaires ont été trop négatifs.

M. Tristan Dupas-Amory. - C'est un dilemme éthique. Les professionnels aiment leur activité, mais ils n'ont plus les moyens de continuer.

Je tiens à rebondir sur le côté élitiste. Effectivement, c'est une des modalités de la grande démission. On a mis le projecteur sur les cadres et sur les jeunes diplômés. La traduction qu'il y a eu chez nous est intéressante. Je suis d'accord sur le fait que nous devons étudier le panel plus largement.

M. Serge Babary, président. - Merci. Nous terminons ainsi nos échanges. Je vous remercie de votre participation.

Fin de la première réunion.

M. Serge Babary, président. - Pour cette seconde table ronde de la matinée, nous avons le plaisir d'accueillir :

- M. Bruno Lucas, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle au ministère du Travail, du plein emploi et de l'insertion ;

- M. Paul Bazin, directeur général adjoint en charge de l'offre de services de Pôle Emploi ;

- M. Hugues De Balathier, directeur général adjoint de France compétences ;

- Mme Adeline Croyère, sous-directrice des lycées et de la formation professionnelle au sein de la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

M. Bruno Lucas, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle au ministère du Travail, du plein emploi et de l'insertion. - Les enjeux que vous abordez au sein de la délégation sont portés par le ministère du Travail, du plein emploi et de l'insertion. Ces questions sont à la fois d'ordre économique et social. Le thème même de votre mission, Formation, compétences et attractivité, indique la nécessité de travailler plusieurs leviers, car de nombreuses problématiques doivent être traitées et des points de vue différents des parties prenantes impliquées doivent être pris en compte.

Pour se développer, les entreprises doivent intégrer les compétences aujourd'hui et demain, et développer les compétences de leurs actifs.

La question présente aussi des enjeux pour les actifs, qui ont besoin de perspectives pour leur développement individuel.

Enfin, elle présente des enjeux pour l'ensemble des acteurs publics, qui doivent résoudre les problèmes de tensions pour aboutir au plein emploi.

Un effort très important a été engagé au début du quinquennat précédent, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle visait à traiter certaines des questions que vous soulevez. Une approche pratique et pragmatique a été mise en place pour lever les obstacles à l'accès à la formation, notamment pour les personnes les moins qualifiées. La rénovation du compte personnel de formation (CPF) a porté ses fruits en matière d'accès à la formation pour cette population.

Nous avions également un objectif de développement visant à passer à l'échelle supérieure sur un dispositif unanimement reconnu comme vertueux : l'apprentissage. Une régulation de l'apprentissage a été conçue et déployée pour en faire un outil massif de formation initiale et d'intégration des compétences dans les entreprises.

Nous avons mené une réflexion sur les acteurs, notamment les structures dont la gouvernance fait intervenir les branches professionnelles. Je pense en particulier à la structuration d'opérateurs de compétences sur onze secteurs cohérents, qui partagent des enjeux communs en matière d'emploi et de compétences. Je pense, d'autre part, à la mise en place d'un lieu de concertation et de coordination quadripartite, qui est France compétences.

Je citerai également l'effort décisif qui a été conduit après la crise sanitaire pour dynamiser le marché du travail et éviter une génération sacrifiée. Des initiatives ont été mises en place :

- le plan Un jeune, une solution ;

- le soutien renforcé à l'apprentissage, avec des primes exceptionnelles qui ont été pérennisées, simplifiées et clarifiées pour les cinq prochaines années ;

- la mobilisation du service public de l'emploi ;

- la politique contractuelle dynamique du ministère du Travail avec les branches professionnelles pour appréhender les questions de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, de certification ou encore d'outillage RH des entreprises, qui sont indispensables pour traiter les questions qui vous préoccupent.

Plus récemment, un effort particulier a été mené par Pôle Emploi sur la manière de valoriser les viviers de compétences en direction des secteurs confrontés aux plus grandes difficultés de recrutement.

Une réflexion est en cours sur une meilleure coordination du service de l'emploi et de l'ensemble des acteurs qui interviennent en matière d'emploi (collectivités territoriales au niveau régional, départemental, intercommunal et communal) et l'ensemble des acteurs de l'insertion, avec la concertation engagée sur le projet France Travail. L'objectif est d'additionner les outils et les efforts de l'ensemble des acteurs et des parties prenantes, sans rentrer dans une logique de construction de cathédrale, mais plutôt dans une logique de patrimoine commun.

M. Paul Bazin, directeur général adjoint en charge de l'offre de services de Pôle Emploi. - Merci, Monsieur le Président, de nous donner l'occasion de présenter l'action de Pôle Emploi en matière de développement des compétences et d'attractivité des métiers et des entreprises.

S'agissant du développement des compétences, Pôle Emploi intervient pour le compte de l'État et des partenaires sociaux sur plusieurs champs :

- en matière de diagnostic des besoins de développement de compétences, des ateliers sont programmés pour identifier et pour valoriser ces compétences, en particulier les savoir-être recherchés par les entreprises en situation de tension ;

- pour valoriser l'ensemble de ces compétences au sein d'un outil, le profil de compétences, qui est le passeport avec lequel le demandeur d'emploi peut se présenter aux entreprises. Elles peuvent ainsi aller chercher les candidats grâce à l'exposition de ces compétences ;

- Pôle Emploi achète de la formation sur des fonds de l'État et sur des fonds de la région, avec un accent particulier mis sur les formations courtes, préparatoires à l'emploi. Près de 100 000 formations de ce type ont été proposées en 2022. Elles ont été accélérées par les fonds dédiés par l'État au plan de lutte contre les tensions de recrutement de 2021 ;

- en matière d'ingénierie des formations, le développement de la formation à distance a permis à des demandeurs d'emploi de bénéficier de prestations de formation sans se rendre physiquement dans un centre ;

- pendant leur formation, les demandeurs d'emploi se voient verser une rémunération lorsqu'ils n'ont pas de droit à l'assurance chômage et lorsqu'ils y sont éligibles.

Une fois la formation réalisée, nous intervenons en valorisation des compétences auprès des entreprises. Nous cherchons, dans d'anciennes expériences professionnelles, une confirmation des compétences acquises par la personne. Il est intéressant pour un dirigeant d'entreprise de savoir qu'un autre chef d'entreprise valide les compétences acquises par un candidat dans un précédent emploi. Les systèmes d'immersion professionnelle permettent également à un candidat de présenter ses compétences à l'entreprise qui s'apprête à le recruter. Naturellement, nous travaillons avec la Caisse des Dépôts, qui réalise le passeport de compétences, sur l'intégration des compétences certifiées par les services de l'Éducation nationale. Le profil des demandeurs d'emploi sera ainsi enrichi.

Nous devons encore progresser sur ce champ du développement de compétences des demandeurs d'emploi. Nous pouvons prescrire davantage de formations, ce qui implique de bien savoir mesurer l'écart entre la situation du candidat et les compétences attendues sur le métier qu'il vise. Des outils sont en cours de développement. Par ailleurs, nous pouvons insister sur le fait que la formation est un levier d'intégration des jeunes sur le marché du travail.

En matière d'attractivité des métiers et des entreprises, Pôle Emploi est en train de mettre sur pied une nouvelle encyclopédie des métiers et des compétences. Elle décrit très finement toutes les compétences attendues sur chacun des 532 métiers répertoriés au sein de cette encyclopédie. Ces fiches ont été travaillées en proximité avec les branches professionnelles et avec les opérateurs de compétences pour que la manière dont nous présentons les métiers aux demandeurs d'emploi soit le plus fidèle possible par rapport à la réalité du marché du travail.

Nous présentons des suggestions de métiers, sur la base des compétences des demandeurs d'emploi, car il est possible de transférer les compétences d'un métier à un autre. Nous permettons à des entreprises de valoriser leur métier, sur une page dédiée du site Internet de Pôle Emploi. Elles ont la possibilité de faire découvrir leurs métiers à l'occasion d'ateliers appelés #tousmobilisés. Il y a un atelier par agence et par semaine, dans chacune des 900 agences du territoire. Des semaines thématiques dédiées à une industrie sont également organisées : par exemple, la semaine du nucléaire débute la semaine prochaine.

La rencontre entre les notions de compétence et d'attractivité se cristallise en ce moment avec le plan « vivier de recrutements ». Il a été lancé en octobre 2022 par le ministre du Travail, du plein emploi et de l'insertion. C'est la deuxième étape de la mobilisation post-crise contre les tensions de recrutement. Le Gouvernement a choisi trois secteurs et 23 métiers sur lesquels l'ensemble des agences de Pôle Emploi bâtissent des viviers de candidats disponibles, motivés et qui présentent les compétences de base pour exercer ces métiers. Ce portrait-robot de base du candidat a été bâti avec les fédérations professionnelles de ces trois secteurs :

- hôtellerie, café, restauration ;

- santé et action sociale ;

- transport et entreposage.

Nous mettons en relation ces candidats avec les entreprises. Nous proposons des formations d'adaptation au poste à ceux pour lesquels il manque une partie des compétences. Elles leur permettent d'être pleinement opérationnels en moins de 400 heures.

Les premiers résultats commencent à être intéressants en termes de retour à l'emploi, de baisse des délais de recrutement et de degré de satisfaction des entreprises. Plus de 90 % d'entre elles se disent satisfaites de cette opération. Elles sont toujours plus nombreuses à confier des offres à Pôle Emploi. Cela indique l'intérêt pour ces viviers de recrutements, que nous sommes en train d'élargir aux métiers de l'industrie en travaillant avec les conseils régionaux, responsables du développement économique, et les fédérations industrielles. Nous sélectionnerons les métiers pour lesquels nous bâtirons ces viviers.

M. Hugues de Balathier, directeur général adjoint de France compétences. - France compétences est un établissement public un peu plus récent et moins connu que Pôle Emploi. Je propose donc de présenter ses principales missions, que sont le financement et la régulation. France compétences est l'un des principaux financeurs de ce système au titre de la répartition de la contribution pour la formation et l'apprentissage des entreprises (environ 10 milliards d'euros). Nous jouons également un rôle dans la répartition de cette collecte :

- vers la Caisse des Dépôts pour le CPF ;

- vers l'État pour le plan d'investissement dans les compétences ;

- vers les associations de transition professionnelle pour les projets de transition ;

- vers les OPCO pour tout ce qui relève du plan de développement des entreprises de moins de 50 salariés et de l'alternance, notamment l'apprentissage.

France compétences joue également un rôle important de réassureur de certains de ces financeurs intermédiaires, par le mécanisme de péréquation. Nous venons endosser le déficit des OPCO dans leur propre financement de l'apprentissage. Nos prévisions indiquent qu'il baissera en 2023. En outre, il reflète très largement trois éléments :

- l'effort sans précédent des dernières années en faveur de la formation des demandeurs d'emploi ;

- la dynamique très forte du CPF ;

- le développement très fort de l'apprentissage.

Il existe également d'autres financeurs : l'État, Pôle Emploi, les conseils régionaux, les ménages et les entreprises.

France compétences joue également un rôle important de régulateur du marché de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Nos deux principaux leviers sont la régulation des certifications professionnelles et la régulation des niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage. La loi de 2018 a profondément rénové le système de régulation de l'apprentissage. On est passé d'une régulation par les volumes, dans le cadre d'enveloppes financières fermées, à une régulation qui permet une libération des volumes. C'est ce qui explique en partie le succès de l'apprentissage ces dernières années. France compétences, via les OPCO, accepte le financement, dès lors qu'il y a cet accord entre un jeune, une entreprise et un centre de formation d'apprentis (CFA). Une régulation des niveaux de prise en charge a été nécessaire pour maitriser le coût du dispositif.

Nous avons connu un succès sur les certifications professionnelles. Les exigences en termes de qualité des certifications professionnelles ont été renforcées par la réforme de 2018, notamment sur le critère de la valeur d'usage sur le marché du travail. Nous avons maitrisé le nombre de certifications, amélioré leur qualité et réduit les délais par rapport à l'ancien système.

Mme Adeline Croyère, sous-directrice des lycées et de la formation professionnelle au sein de la direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse. - Dans le contexte de grande tension sur le marché de l'emploi que vous avez cité, et en prenant en compte le fait que plus d'un million de jeunes n'a ni emploi, ni compétence, ni formation, nous comprenons que l'enjeu est clairement ministériel ; l'Éducation nationale prend toute sa place. Elle apporte une réponse structurante sur le début de la chaîne et l'amont de la question, qui est celle de la formation professionnelle initiale. Nous comptons 650 000 jeunes élèves de la voix professionnelle et 65 000 apprentis.

Vous aurez également noté le positionnement de ce cabinet délégué, avec une ministre déléguée à la formation professionnelle. J'aurai l'occasion d'évoquer les travaux en cours qui dynamisent le renforcement de la relation entre écoles et entreprises et l'offre de formation sur les territoires, en adéquation avec leurs besoins.

Les travaux menés répondent à trois enjeux :

- mieux insérer les jeunes formés ;

- prévenir leur décrochage ;

- améliorer l'accompagnement à la poursuite d'études.

Je souhaite mettre en avant quatre grands axes à propos de la question de l'amélioration de l'insertion professionnelle.

Le premier grand axe est la relation entre écoles et entreprises. Cette relation doit être toujours plus soutenue. Elle se traduit au collège, avec la question de la découverte des métiers dès la cinquième. Les jeunes visitent des entreprises, mais les solutions sont plus variées et donnent la possibilité aux jeunes de voir de différentes manières les secteurs professionnels dans lesquels ils pourraient avoir envie de poursuivre leur parcours de vie. Nous pouvons notamment envisager la visite de lycées professionnels, l'échange avec des professionnels en classe et le recours aux outils élaborés par l'office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep). Cette question est essentielle, car c'est ainsi que nous forgeons la culture de l'entreprise et la projection dans le monde du travail. Je pense notamment aux lycées professionnels, car les jeunes participent à des stages. Les dynamiques de territoires posées par les lycées des métiers et par les campus des métiers ne sont probablement pas encore suffisamment mises en valeur. Les régions ont la possibilité de créer un lien entre les secteurs économiques et les entreprises.

Le deuxième grand axe est la rénovation des diplômes professionnels, au plus près des attentes des territoires. L'objectif est d'accélérer le rythme de rénovation de ces diplômes, pour mieux suivre les évolutions et les attentes en compétences du secteur professionnel. C'est également de mieux cibler les secteurs professionnels dans lesquels ces rénovations sont faites, pour mieux répondre aux enjeux. Par ailleurs, les intitulés des diplômes doivent être plus lisibles à la fois pour les futurs employeurs et pour les jeunes et leur famille. Ils seront ainsi plus attractifs.

Le troisième axe est celui de l'apprentissage. Son succès auprès des lycées professionnels est important. En moins de trois ans, le nombre d'apprentis accueillis par les lycées professionnels est passé de 43 000 à 65 000. L'objectif est d'offrir un parcours de formation.

Le quatrième axe est la question de l'offre sur les territoires, au plus près des jeunes, des familles et des bassins d'emplois. Cette question se traduit par la notion de carte des formations professionnelles. C'est un outil piloté à la fois par les rectorats et par les régions.

Ces axes de travail positionnent l'Éducation nationale de manière multi-partenariale, avec les autres ministères certificateurs, avec France compétences et avec Pôle Emploi. Des partenariats sont également mis en place avec les régions, les structures au niveau territorial, les établissements et avec les élèves, pour que la question de la tension d'emplois trouve une réponse.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Les retours dont nous disposons indiquent une plus grande exigence des personnes en recherche d'emploi, particulièrement en matière de mobilité géographique et d'organisation du travail. Cette tendance est-elle confirmée par Pôle Emploi ?

Pouvez-vous nous présenter un premier bilan des CFA d'entreprise qui ont été autorisés par la loi Avenir professionnel de 2018 ? Comment s'organise la formation professionnelle au sein des entreprises ? Lors de la première table ronde, un intervenant a confirmé que les formations longues hors de l'entreprise ont un impact négatif sur l'emploi. Quelle réflexion menez-vous sur le sujet des seniors, qui resteront plus longtemps au travail à cause de la réforme des retraites ?

M. Paul Bazin. - Nous ne disposons pas encore d'études sur l'évolution des comportements et des attentes des demandeurs d'emploi dans le cadre de la négociation de leur contrat avec les entreprises. Cependant, nous en percevons quelques indices dans le cadre du plan « vivier ». Ces personnes sont motivées et disposent du socle de compétences nécessaire. Pourtant, quelques mois après le lancement de l'opération, tous ces demandeurs d'emploi n'ont pas été recrutés. Certains d'entre eux sont confrontés à une barrière que nous n'avions pas identifiée. De plus, lorsque l'offre d'emplois est supérieure à la demande, les exigences peuvent être supérieures dans la négociation avec l'entreprise.

C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec les entreprises. Elles nous expliquent quels leviers peuvent être activés pour réussir leurs recrutements. Nous avons mis en place une prestation de conseil en ressources humaines, qui aide les entreprises dans ce sens.

Nous organisons également des opérations de découverte des métiers, qui permettent de changer l'image de certains métiers.

Nous disposerons bientôt d'un système permettant aux entreprises qui nous confient une offre de se comparer aux offres sur le même métier, dans le même bassin d'emplois. Elles pourront vérifier si leurs concurrents proposent plutôt des CDI ou des CDD, le type d'expérience qu'ils demandent et le salaire qu'ils promettent. Les employeurs sauront si l'offre qu'ils proposent est en décalage par rapport à la réalité du marché du travail.

La réforme des retraites s'accompagne d'une réflexion sur l'emploi des seniors. À Pôle Emploi, nous estimons que définir une modalité d'accompagnement spécifique pour les seniors n'est pas la bonne réponse. Tout d'abord, il y a un côté stigmatisant. De plus, alors que les jeunes peuvent partager des caractéristiques communes au moment de leur première intégration sur le marché du travail, les parcours de vie professionnels et personnels des personnes âgées de 50 ans et plus sont spécifiques. Dégager des caractéristiques communes est donc, à notre sens, une mauvaise piste. À l'inverse, nous avons des prestations dans notre offre de services qui sont particulièrement utiles pour les demandeurs d'emplois de 50 ans et plus. Un accompagnement psychologique sera proposé aux demandeurs qui ont travaillé plusieurs décennies dans une même entreprise et qui y ont acquis des responsabilités. Nous pouvons les aider à comprendre qu'ils ont acquis, pendant leur carrière professionnelle, des compétences pouvant être valorisées dans d'autres secteurs d'activité. Nous avons des prestations qui permettent de réfléchir à ces compétences transférables.

Par ailleurs, il est important de prendre en considération les problématiques de santé pour les professionnels le plus âgés. Dans le cadre du plan « tensions » de 2021, et grâce à un financement européen, nous avons mis en oeuvre une prestation dédiée, nommée « Parcours emploi santé ». Elle permet à un demandeur d'emploi senior ou de longue durée de faire le point sur ses problématiques de santé et de comprendre dans quelle mesure elles peuvent constituer un frein à la recherche d'un emploi. Un double accompagnement, physique et psychologique, sera assuré par des professionnels de santé. Il sera également accompagné dans ses choix professionnels, de sorte à obtenir un emploi durable.

Nous disposons donc de leviers sur lesquels nous pourrons nous appuyer au lendemain de la réforme des retraites.

M. Bruno Lucas. - La nouvelle régulation de l'apprentissage, qui a été mise en place en 2018, a eu pour but d'ouvrir très largement la capacité et l'offre de formation. Il était prévu de réserver un compartiment pour les entreprises, en fonction de leurs propres enjeux et de leurs propres besoins métiers. Cette logique de libération de l'offre s'est traduite par la création de centres CFA d'entreprise. Actuellement, nous avons 3 000 CFA et 111 CFA d'entreprise, qui ont été créés majoritairement par des grands groupes. C'est une contribution intéressante pour les entreprises d'une taille significative à leur propre gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, mais elle n'est pas majoritaire dans l'offre de CFA.

À propos de l'emploi des seniors, les enjeux sont les mêmes pour les actifs et pour les salariés : avoir une capacité à partir des compétences des personnes, et surtout, les aider à se réorienter ou à opérer les transitions nécessaires vers les entreprises ou vers les métiers qui recrutent. Cela suppose de disposer d'outils de transition professionnelle au niveau des entreprises. En 2018, la « Pro-A » (promotion ou reconversion par l'alternance) a été mise en place. Plus récemment, le dispositif « Transition collective » a bénéficié d'une forte implication de l'ensemble des partenaires sociaux. Par ailleurs, l'ensemble des dispositifs de formation des salariés ont été soutenus par l'État ces dernières années, avec le FNE-Formation (Fonds National Européen-Formation).

Nous devons leur apporter une prestation de conseil dans cette réflexion très singulière qu'est la transition professionnelle. C'est l'offre de conseil en évolution professionnelle qui est opérée par Pôle Emploi pour les demandeurs d'emploi. Elle est également conduite par des opérateurs. Elle est donc financée et régulée par France compétences, avec un passage progressif à l'échelle supérieure. Cela permet d'offrir une prestation sur l'ensemble du territoire.

Il est important que les seniors disposent de ce conseil ou qu'ils mobilisent une prestation de compétence au titre de leur CPF.

Enfin, sur ce sujet de l'emploi des seniors, la dimension dans l'entreprise ou dans la branche, le dialogue sur ces questions est central. Les outils de politique contractuelle dont nous disposons au niveau de la branche, qui permettent de contractualiser avec l'État une réflexion sur la gestion prioritaire de l'emploi et des compétences dans la branche, l'évolution des métiers, l'élaboration des référentiels de compétences et des certifications associées, et l'outillage RH des entreprises, est important. Au niveau de l'entreprise, nous avons un ensemble de prestations d'appui à la réflexion RH des petites et moyennes entreprises, sur la manière dont elles organisent l'accueil des nouveaux employés ou sur la manière dont elles gèrent les parcours des seniors. C'est la prestation « Conseils en ressources humaines ». Elle est opérée en partenariat avec les OPCO. Elle sera promue par Pôle Emploi en direction des entreprises.

M. Hugues de Balathier. - M. Bruno LUCAS vient de mentionner le conseil en évolution professionnelle. C'est un dispositif très important pour les seniors. Il peut être actionné pour la prolongation de parcours professionnels des seniors qui ont besoin de reconversion ou de réflexion sur leurs conditions de travail. Cela passe parfois par des reconversions professionnelles, avec des dispositifs financés par le projet de transition professionnelle de France compétences.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Vous avez indiqué le succès de l'apprentissage. Le revers de la médaille est probablement le fait que les coûts ont explosé, ce qui a conduit aux régulations que vous avez évoquées. Nous devons le dire, cet apprentissage a en grande partie bénéficié à l'enseignement supérieur et a constitué un véritable filon pour l'enseignement supérieur privé.

Existe-t-il une évaluation de la formation offerte par certaines écoles privées, dont les coûts sont souvent élevés ? L'investissement est supérieur à 10 000 euros par an. Avec les nouvelles règles, tout n'est pas pris en charge, mais la prise en charge est complétée par l'entreprise qui accueille. Ces écoles répondent-elles réellement à des besoins ?

Par ailleurs, nombreux sont ceux qui estiment que les nouvelles réformes ne vont pas dans le bon sens. On évoque la réforme des lycées, avec la problématique des mathématiques. Les élèves qui prennent des sciences économiques et sociales (SES), mais pas des mathématiques, posent un problème quant à leur orientation. La suppression de la technologie en sixième interroge également. Il semble qu'il y ait des injonctions contraires.

Au niveau de l'enseignement professionnel, dans la dernière table ronde, on nous a indiqué que les formations professionnelles et les métiers les moins qualifiés allaient être de plus en plus automatisés. L'automatisation concernera les métiers les moins qualifiés. Il faut que les salariés puissent s'adapter à d'autres formations et qu'ils aient des bases de calcul et de littérature suffisantes. Désormais le lycée professionnel comprend davantage de stages. La question de l'enseignement général et de l'adaptabilité des élèves se pose donc.

Les lycées professionnels ont de plus en plus de succès, et on peut s'en réjouir. Ouvrirez-vous davantage de places ? De fait, les élèves les plus en difficulté risquent de ne pas avoir de place. Comment peut-on travailler avec eux ? Ne faudrait-il pas ouvrir davantage de places si l'on veut que le lycée professionnel devienne une filière d'excellence et y laisser suffisamment d'enseignement général ? Cela me semble important pour que les jeunes puissent s'adapter ensuite.

Mme Adeline Croyère. - Merci pour toutes ces questions. Je souhaite d'abord me concentrer sur le sujet de l'apprentissage dans les lycées professionnels. Un élément socle posé en 2020 est la mise en lumière dans Affelnet (l'outil de choix d'orientation des jeunes en fin de collège pour aller vers le lycée général technologique ou professionnel) des taux d'insertion professionnelle sur chacune des formations visées. C'est un outil qui s'exprime simplement, qui permet aux familles et aux jeunes d'être informés et rassurés sur les choix qu'elles s'apprêtent à faire. Depuis 2020, cet outil permet également aux jeunes de matérialiser leurs choix entre un statut scolaire et un statut par apprentissage.

En 2022, nous avons observé +1,9 point de voeux vers la formation professionnelle et une augmentation des choix en faveur de l'apprentissage. Le fait de présenter les options aux familles permet de mieux éclairer les choix opérés par la suite.

Vous avez posé une question relative aux métiers automatisés. Cela fait le lien avec la capacité d'un diplôme à offrir un socle de connaissances générales, tout en proposant des connaissances spécialisées. C'est cet équilibre entre les deux attentes qui doit être maintenu.

Les difficultés des élèves en français et en mathématiques lors de leur entrée en sixième doivent être prises en compte. C'est la raison pour laquelle l'Éducation nationale a renforcé les heures de mathématiques et de français par un accompagnement différencié. Les tests de positionnement à l'arrivée en sixième donnent à voir le niveau de chaque élève. En fonction du niveau de celui-ci, il est possible de réduire ces difficultés. Si elles ne sont pas prises en compte à ce moment-là, elles s'aggravent par la suite.

La technologie n'a pas été supprimée au collège, mais les heures dédiées à la technologie sont concentrées sur les classes de cinquième, de quatrième et de troisième pour laisser plus de place à l'accompagnement renforcé en sixième.

Vous vous interrogez sur les moyens à disposition pour renforcer le socle en mathématiques et en français dans les compétences transversales, tout en maintenant l'équilibre avec la professionnalisation. Au lycée général, la nouvelle organisation donne à ceux qui n'ont pas choisi la spécialité mathématiques de composer leur panel d'enseignement, en fonction de leur niveau et de leur choix d'orientation. Les élèves qui n'ont pas retenu l'enseignement de spécialité ont la possibilité d'ajouter une heure et demie de mathématiques, afin de disposer d'un socle commun. Ces cours permettent de comprendre ce que sont les mathématiques dans la vie quotidienne. Les élèves apprennent à quoi servent les statistiques et comment exploiter les informations chiffrées qui apparaissent dans la presse et dans leur quotidien.

Désormais, les soft skills sont quasiment les compétences les plus attendues des entreprises : savoir restituer une information, savoir bien se comporter, savoir rédiger, comprendre une consigne, savoir interagir en projet et en groupes... Ces compétences se travaillent à la fois dans le cadre de la classe, mais également dans le milieu de l'entreprise, quand le jeune est en stage. C'est la raison pour laquelle nous avons eu l'idée de renforcer ces compétences, avant leur insertion professionnelle.

Cet équilibre entre renforcement du socle et spécialisation s'est également traduit dans le cadre de la transformation de la voie professionnelle par la mise en oeuvre des familles de métiers en seconde professionnelle. C'est d'ailleurs un des points qui ont fait que les jeunes en post-troisième s'acheminent plus vers la voie professionnelle. Ces familles de métiers sont ouvertes à de nombreux métiers, ce qui permet un moindre enfermement dès la seconde et de préciser le choix un peu plus tard.

Ces familles de métiers se calquent sur les grands secteurs professionnels. Les jeunes qui connaissent le plus de difficultés sont accueillis et accompagnés. Nous réfléchissons à renforcer le socle des compétences générales, qui leur permettra ensuite de rebondir vers d'autres métiers.

Actuellement, un travail est mené sur les CAP et sur les bacs professionnels avec une approche transversale des compétences en entreprise. Après ces diplômes professionnels socles, les jeunes auraient la possibilité d'opter pour une spécialisation, des mentions complémentaires, voire un titre professionnel. Nous souhaitons également proposer une année supplémentaire après le diplôme, pour spécialiser les jeunes. C'est d'autant plus utile que la plupart des bacheliers professionnels n'ont pas 18 ans. Pour le marché de l'emploi, c'est une difficulté conséquente. Les jeunes cherchent des spécialités complémentaires, qui peuvent être faites dans le cadre des formations complémentaires à l'initiative locale. Elles sont montées très finement au niveau d'un territoire, entre un lycée professionnel et une entreprise. La durée de ces formations varie. Actuellement, il existe une centaine de formations de ce type en France. Quand ces formations complémentaires d'initiative locale se pérennisent, elles sont transformées en certification professionnelle, afin d'être davantage reconnues au niveau national.

M. Bruno Lucas. - Je souhaite apporter des compléments à propos de votre question sur le développement de l'apprentissage dans certaines écoles du supérieur. Plusieurs éléments doivent être pris en compte : la dimension de l'égalité des chances, et le profil des jeunes qui passent par ces parcours d'apprentissage. Le contrat d'apprentissage, sa pédagogie de l'alternance particulière et le fait qu'il garantisse une rémunération permettent d'élargir l'offre. Par ailleurs, nous offrons des possibilités de parcours vers le supérieur.

Nous avons au moins une certitude : le développement de l'apprentissage dans le supérieur a une image considérable sur l'ensemble de l'apprentissage. Récemment, le directeur des ressources humaines d'une grande entreprise industrielle m'a dit que développer l'apprentissage a fait bouger le management sur l'élargissement des viviers. Il était confronté à des tensions importantes. Prendre un apprenti dans cette entreprise au niveau ingénieur ou commercial (bac +5 et plus) donne une image positive pour chercher des populations que le management n'allait pas chercher autrefois. Il sera toutefois important de le mesurer.

M. Hugues de Balathier. - Avant la réforme, l'essentiel de la croissance de l'apprentissage était déjà tiré par l'enseignement supérieur. Par ailleurs, tous les niveaux de qualification profitent de cet essor du nombre d'apprentis. Auparavant, nous observions une quasi-stabilité, voire des baisses sur certains niveaux plus bas de qualification.

Les écoles de l'enseignement supérieur privé mettent en oeuvre des formations qui aboutissent à des certifications qui doivent être reconnues au répertoire national des certifications professionnelles. L'adaptation aux besoins de l'économie est d'abord vérifiée en amont par France compétences.

Vous avez évoqué la question du coût de ces formations. Pour un contrat d'apprentissage, nous finançons des niveaux de prise en charge, et pas l'intégralité du coût de la formation. Il sera le même, que la formation soit dispensée dans un CFA, dans une université ou dans un établissement privé. Si l'entreprise est prête à payer davantage, j'imagine qu'elle fera preuve d'exigence dans ces décisions.

Certaines écoles peuvent adopter des pratiques commerciales abusives. Le marché de la formation professionnelle est un marché concurrentiel. Il entre dans le champ de compétences de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; elle a mené de nombreux contrôles au cours des deux dernières années sur les pratiques commerciales de ce type d'établissement. De plus, le ministère de l'Enseignement supérieur a lancé des travaux dans l'enseignement supérieur privé.

France compétences analyse les coûts de l'ensemble des CFA, dont ces établissements. Cela nous permet de mieux déterminer les bons niveaux de prise en charge. Nous nous intéressons notamment aux marges qui peuvent être dégagées et aux pratiques de certains CFA. L'idée d'appliquer des marges n'est pas choquante, si les fonds d'investissement ont investi pour développer la partie CFA de l'établissement. À l'inverse, nous serons interpelés si les marges dégagées sont le résultat d'une baisse des coûts, et notamment parce que des formations sont proposées uniquement à distance. Nous disposons d'éléments d'analyse qui nous permettront de creuser davantage dans les prochaines années. Peut-être pourrons-nous mettre en place notre propre méthodologie des niveaux de prise en charge.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Depuis la création de la délégation sénatoriale aux Entreprises en 2014, nous avons régulièrement rencontré des chefs d'entreprise. Ils ont toujours évoqué les difficultés de recrutement.

Il y a quelques jours, nous nous sommes déplacés dans le Cher. Les deux entreprises que nous avons visitées n'ont pas évoqué de difficultés de recrutement, mais un problème de qualification des personnels. Nous devons donc nous interroger sur l'adéquation des formations aux besoins réels des entreprises. Nous avons visité un campus numérique. Les formations qui y sont proposées visent des métiers qui évoluent très rapidement. Il est donc important de faire preuve de réactivité au niveau de la labellisation de ces formations. France compétences est-elle capable d'une telle réactivité ?

Nous pouvons tous nous satisfaire du fait que le taux de chômage soit en baisse. Restent néanmoins plus de 3 millions d'inscrits à Pôle Emploi dans les catégories A, B et C. Ils sont 5,4 millions dans l'ensemble des catégories. Il reste donc un vivier, sur lequel nous devons nous pencher pour répondre aux besoins des entreprises et pour permettre à nos concitoyens de trouver un emploi.

Quels freins avez-vous identifiés ? Nous savons que la question de la mobilité doit être prise en considération et que les questions de logement sont également centrales.

Lors de la table ronde précédente, la nécessité d'une meilleure performance des procédés de formation a été évoquée. On le retrouve pour les niveaux de formation initiale dans les classements internationaux de la France : nous restons encore en-deçà et les études de l'OCDE évoquent la difficulté de nos concitoyens à se former. La formation des adultes est cruciale, mais de nombreux adultes ne se forment pas. Nous avons beaucoup de retard par rapport aux autres pays. Que pouvons-nous faire pour résoudre ce retard ? Il est certainement nécessaire de mieux accompagner les personnes en reconversion. Le conseil en évolution professionnelle accroît le nombre de personnes impliquées, mais est-ce suffisant ?

La question de l'emploi des seniors est également importante. Quelles dispositions voyez-vous pour permettre aux seniors de travailler ? Là encore, la France est en retard par rapport à ses voisins. Faut-il mettre en place un contrat dédié, pour que cela ne pèse pas pour les entreprises ?

M. Hugues de Balathier. - Les difficultés de recrutement ne se résument pas à des enjeux de compétences. Parmi celles qui sont le plus souvent citées par les employeurs, se trouve le sujet de l'adéquation des compétences.

Pour prendre le périmètre de compétences de mon établissement, je souhaite aborder le sujet de la réactivité de l'adaptation des certifications professionnelles, en amont de l'évolution de l'offre de formations. Avant même que les formations n'évoluent, les titres et les diplômes doivent exister et doivent être adaptés aux nouveaux contenus de certains métiers.

La question souvent posée est celle des délais d'adaptation des certifications professionnelles. Il est important de s'interroger sur le moment au cours duquel les organismes certificateurs peuvent déposer un dossier pour l'enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), qui est géré par France compétences. Nous nous interrogeons ensuite sur les délais d'instruction propres à cet établissement public.

Pour qu'une certification soit enregistrée au RNCP, France compétences exige d'avoir un dossier de demande qui fait valoir des taux d'insertion sur deux promotions. Deux années de formations sont donc nécessaires. Cela nous permet de vérifier que la formation répond réellement à des besoins du marché du travail, attestée par des taux d'insertion des personnes qui ont suivi ces formations.

Or, ce délai peut sembler long pour des métiers qui évoluent rapidement ou qui sont totalement nouveaux. Lorsque nous renouvelons des certifications déjà existantes, des changements peuvent être apportés. Ils peuvent intégrer des adaptations assez fortes des différents référentiels de ces certifications. Si la certification dispose déjà de deux ans d'ancienneté, il ne sera pas demandé de présenter les taux d'insertion sur le nouveau format. Ainsi, les évolutions peuvent être adoptées assez rapidement.

En revanche, se pose la question des métiers émergents, ou qui évoluent si fortement que la certification antérieure ne peut plus être prise en compte. Dans ce cas, nous avons mis en place une procédure dérogatoire. Nous prenons le risque d'autoriser l'enregistrement d'une certification, sans connaitre ses taux d'insertion sur deux années précédentes. Chaque année, France compétences établit une liste de ces métiers émergents ou en forte évolution. Entre 20 et 25 métiers sont concernés, notamment dans le domaine de la transition numérique ou de la transition énergétique.

Les délais d'instruction par France compétences sont encore probablement trop longs. En 2022, ils étaient de 6,5 mois en moyenne. Cependant, avant la réforme, les délais de l'ancienne commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) étaient de 10 mois, voire plus. En outre, la tendance est à la baisse, alors même que les flux de création de certifications augmentent.

En 2022, nous avons fortement réduit les stocks de demande de certifications, en traitant des dossiers plus anciens. Notre objectif pour l'année prochaine est de garantir une réponse en 5 mois. Un tel délai peut encore paraître trop long, mais nous faisons preuve de pédagogie auprès des organismes certificateurs pour qu'ils déposent leurs dossiers suffisamment en amont de l'ouverture des formations.

M. Paul Bazin. - Nous nous efforçons d'agir sur les freins à l'emploi afin de permettre l'intégration. Il existe deux types de mobilité : la mobilité du quotidien et les mobilités qui impliquent un déménagement.

Sur la mobilité du quotidien, nous proposons des aides aux personnes qui souhaitent partir en formation. Nous nous appuyons également sur des partenaires, pour des financements de véhicules et de permis de conduire.

Depuis un an, 16 000 demandeurs d'emploi ont eu recours à une prestation qui leur permet d'établir un diagnostic des difficultés de mobilité. Pour certains d'entre eux, la mobilité est une « peur panique ». Nous leur enseignons notamment à utiliser des transports en commun.

Pendant un an, nous avons testé une prestation pour les chercheurs d'emplois qui se trouvaient dans l'obligation de déménager. Nous avons proposé une combinaison « logement - emploi ». Or, très peu de demandeurs ont saisi cette prestation. Ils sont trop attachés à leur région, à leur famille, à leur cercle d'amis et à leurs repères. Nous n'avons pas encore trouvé de solution à ce frein. En revanche, nous essayons de promouvoir les territoires qui recrutent par le biais de l'outil Mobiville, que nous avons développé avec Action logement. Il présente l'intégralité des bassins d'emplois du territoire, les emplois qu'ils proposent et les caractéristiques des territoires. Cela permet de valoriser l'image des territoires et d'en renforcer l'attractivité.

Le manque de compétences numériques est un frein supplémentaire. Nous donnons la possibilité à tous les demandeurs d'emploi de faire le point sur ces compétences par le biais d'un test. Selon les résultats, nous pouvons proposer des ateliers, afin de les développer.

Nous expérimentons actuellement la création d'une autre startup d'État, qui développe un test permettant de repérer les signes de l'illettrisme d'une manière peu stigmatisante pour la personne. L'objectif est de démontrer que les problèmes de lecture et d'écriture ne sont pas une catastrophe, et que régler ces freins permettront d'augmenter les chances de recrutement. Nous comptons étendre ce test dans tous les diagnostics des demandeurs d'emploi, dès lors que nous repérons les signes de l'illettrisme.

Nous souhaitons mettre à la disposition de tous les demandeurs d'emploi une cartographie de l'ensemble des formations et présenter clairement ce à quoi elles aboutissent.

Nous pouvons travailler sur différentes pédagogies. Dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences financé par l'État et porté par les conseils régionaux et par Pôle Emploi, des pédagogies particulières ont commencé à être testées pour rendre la formation plus attractive, notamment pour des publics qui ont quitté le banc de l'école depuis longtemps.

Au sujet des seniors, je pense que nous pouvons agir sur quatre leviers :

- diagnostiquer le risque d'enfermement dans le chômage de longue durée. Pôle Emploi a mis en place des parcours de remobilisation des demandeurs d'emploi de très longue durée. Un parcours intensif d'accompagnement en sortie leur est proposé. 450 000 demandeurs d'emploi de très longue durée ont déjà bénéficié de ce parcours. Les résultats sur le retour à l'emploi ont été très positifs ;

- préparer les chercheurs d'emploi par le biais de formations ;

- proposer des immersions professionnelles. Nous en proposons 200 000 à Pôle Emploi et les missions locales en proposent également un grand nombre pour les jeunes. Nous observons 70 % de retour à l'emploi à l'issue d'une immersion professionnelle. Les entreprises observent les professionnels, et notamment les seniors, en situation de travail. Cette étape produit des résultats intéressants. C'est la raison pour laquelle nous développons depuis quelques mois des actions de formation en situation de travail (AFEST) ;

- lever les stéréotypes des entreprises sur le recrutement de salariés seniors. Nous sommes en train de développer un kit qui nous permettra de déconstruire les stéréotypes des recruteurs. En miroir, nous luttons ainsi contre l'autocensure des demandeurs d'emploi seniors.

Mme Adeline Croyère. - Je souhaite rebondir sur la question cruciale de la mobilité et de l'accès à la formation, qui s'exprime dès le collège et le lycée. Des études ont indiqué une diminution du choix de poursuite d'études lorsque les options sont trop éloignées géographiquement.

Forte de ce constat, l'Éducation nationale a posé plusieurs projets, dont celui des « Territoires éducatifs ruraux », qui répondent à la problématique de l'égalité des chances. Ce projet s'appuie sur des coopérations avec les collectivités, pour mieux mailler le réseau des transports. Il répond également à la question des internats.

La cordée de la réussite est un exemple marquant, qui a porté ses fruits. Des collégiens sont « encordés » avec des lycéens et avec des jeunes de l'enseignement supérieur dans une forme de mentorat de pair à pair. Ils ouvrent leurs perspectives par ces échanges avec des jeunes qui ont tracé la voie. Nous aimerions reproduire plus largement ce type d'initiative.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Merci pour vos présentations et pour vos réponses. Sauf erreur de ma part, l'enseignement dans les lycées et dans les grandes écoles qui dépendent du ministère de l'Agriculture n'a pas été évoqué. Des formations de premier niveau à l'enseignement supérieur y sont proposées. Comment les enseignants de l'enseignement général sont-ils sensibilisés à découvrir cette filière, qui répond à des besoins de territoires ? Je perçois un manque de lien entre l'enseignement général et cet enseignement. Comment pouvons-nous faire découvrir les entreprises qui recrutent sur ces métiers ? Certaines d'entre elles me disent que les enseignants ne veulent pas les rencontrer. Des améliorations sont nécessaires, car les débouchés sur le terrain sont réels, à tous les niveaux.

Mme Pascale Gruny. - Quand je vous écoute, je suis impressionnée par les actions mises en place. Pourtant, sur le terrain, la réalité n'est pas aussi reluisante. Le CPF concerne principalement les cadres. Dans les petites entreprises, lorsqu'une personne part en formation, il manque 50 % de l'effectif. Comment résoudre une telle difficulté ?

Je perçois un manque d'accompagnement, dans les entreprises, sur les plans de formation. L'OPCO est avant tout une trésorerie. Je ne me réfère pas aux multinationales. Je vous parle des TPE et des PME.

Je m'aperçois que vous avez une vision comptable des CFA. Ne nous enlevez pas les CFA de proximité. Même s'ils ne sont pas rentables, ils donnent la possibilité aux jeunes de suivre des formations sans avoir à quitter leur domicile.

Je souhaite également savoir comment les enseignants sont familiarisés aux entreprises.

J'aimerais consulter des chiffres relatifs à l'apprentissage sur trois années. Je souhaite savoir quels montants partent vers les filières supérieures, en effectifs et en euros, et sur celles qui restent pour former nos métiers de bouche et notre hôtellerie.

Il sera nécessaire d'apporter des changements à la vision des chefs d'entreprise sur les seniors. Je constate de nombreux efforts de communication de la part de Pôle Emploi. Je crains cependant que ce soit toujours les mêmes qui y aient recours, car le suivi me semble encore très décevant. Les personnes de plus de 45 ans n'intéressent pas beaucoup Pôle Emploi. J'ai demandé à l'antenne territoriale de Pôle Emploi dans ma circonscription de me faire un point de l'accompagnement des personnes âgées de 45 à 62 ans.

Nous venons du terrain et la situation n'est pas idyllique.

M. Serge Babary, président. - Merci, mes chers collègues, d'avoir rappelé les sujets qui nous remontent du terrain. Je me souviens d'une entreprise localisée dans le Jura qui proposait de beaux emplois. L'école située à proximité n'y avait jamais mis les pieds, malgré des sollicitations répétées...

Mme Adeline Croyère. - Concernant l'enseignement agricole, un partenariat-cadre national avec l'Éducation nationale se décline dans toutes les académies, avec les régions. Tout collège qui organise des portes ouvertes ou des informations aux jeunes associe systématiquement l'enseignement agricole. Les professeurs principaux des collèges doivent connaître à la fois les formations et les métiers de l'enseignement agricole. En 2020 et en 2021, a été mise en ligne sur Affelnet toute l'offre de formation de l'enseignement agricole public et privé sous contrat. Cela a permis aux jeunes et aux familles d'avoir une bonne visibilité de cette offre, qu'ils méconnaissaient jusqu'alors.

Nos lycées travaillent avec des PME. C'est principalement le cas de ceux qui sont labellisés « lycées des métiers ». Ils cherchent des partenariats et créent des liens avec les PME.

Par ailleurs, le dispositif P-TECH porté par IBM met en oeuvre des mentorats d'entreprises avec des jeunes, qui seront accompagnés sur le long terme.

La formation des enseignants est essentielle pour la formation professionnelle. Si l'enseignant en face du jeune n'est pas sensibilisé au secteur professionnel, il y a un souci. Il existe deux axes de réflexion : l'axe du travail au collège, dont j'ai déjà parlé, et l'axe de renforcement des formations, notamment en immersion d'entreprise, que l'on peut offrir aux professeurs de lycées professionnels.

Les campus des métiers des qualifications ont pour mission de proposer des formations aux enseignants et de les accueillir sur leurs plateaux techniques.

M. Hugues de Balathier. - Je souhaite aborder le sujet des CFA de proximité. Les opposants à la réforme craignaient une grande vague de fermetures des CFA, notamment dans les territoires. Cela n'a pas eu lieu. Globalement, nous avons constaté une augmentation du nombre de CFA en France. Même s'ils sont concentrés dans les grandes agglomérations, le maillage territorial est désormais plus important.

France compétences verse aux régions une enveloppe financière de plus de 300 millions d'euros pour majorer les niveaux de prise en charge ou pour financer de l'investissement, notamment au titre de l'aménagement du territoire.

M. Paul Bazin. - Nous produisons des éléments de communication qui nous semblent importants pour que davantage d'entreprises fassent appel à Pôle Emploi. En parallèle, nos efforts se concentrent sur le développement d'une offre de services qui s'adapte à la situation individuelle de chaque personne. Je pense que cela produit des résultats. 84 % des demandeurs d'emploi et des entreprises sont satisfaites de leur accompagnement par Pôle Emploi. C'est une augmentation de 15 à 20 points en dix ans. Néanmoins, il nous reste de nombreuses marges de progrès. J'en ai moi-même évoqué quelques-unes.

Nous pouvons également mieux mobiliser notre offre de services et celle de nos partenaires, pour chaque personne. Ce n'est pas toujours simple au regard du nombre de demandeurs d'emploi, mais nous avons des partenaires dans tous les territoires qui fournissent des solutions d'accompagnement. Nous avons l'espoir de mieux partager ces services et de lever ainsi les freins. Il est important que les différents acteurs se coordonnent mieux.

M. Bruno Lucas. - Je tiens à remercier l'ensemble des membres de la délégation pour cet échange. Je suis convaincu que de nombreux travaux ont été accomplis et que beaucoup reste à faire. La transformation de l'apprentissage a permis des résultats que nous n'imaginions pas il y a encore cinq ans. Les jeunes s'apprêtent à commencer leur vie professionnelle en connaissant déjà le monde de l'entreprise et en ayant des perspectives de développement intéressantes.

Nous avons devant nous un enjeu très important : 800 000 recrutements par an d'ici 2030. C'est une très belle opportunité de mettre fin à cette période au cours de laquelle le sujet principal concernait le chômage de masse. L'enjeu est désormais de faire en sorte que l'ensemble des concitoyens puissent bénéficier des solutions proposées.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie de vous être prêtés à cet échange.

III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DU 1ER JUIN 2023

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux Entreprises. - Nous accueillons ce matin la ministre Carole Grandjean, chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels, pour une audition qui vient clore les travaux de la mission d'information de notre délégation sur le thème « Formation, compétences, attractivité ».

Madame la ministre, c'est en février dernier que notre délégation a initié ce cycle de travail dédié à l'enjeu des compétences. Nos trois rapporteurs, Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet, sont partis d'un constat persistant et alarmant, celui de difficultés de recrutement croissantes des entreprises. Elles peinent à pourvoir les emplois et à attirer les talents, alors même que nous comptons 3 millions de demandeurs d'emploi dans le pays, et que 13 % des jeunes entre 15 et 30 ans ne sont ni en activité, ni en formation, ni en études.

Certains secteurs et métiers sont particulièrement en tension, y compris des métiers essentiels pour la vie de notre Nation et son économie (dans le domaine de la santé, des transports, de l'enseignement, du petit commerce, etc.).

Face à ce paradoxe, il nous est apparu indispensable de nous pencher à nouveau sur cet enjeu de société - à nouveau, car notre délégation avait déjà « tiré la sonnette d'alarme » en 2020 avec un rapport intitulé « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises ». Vous pourrez nous rappeler les mesures prises par le Gouvernement depuis lors pour endiguer ces tensions.

Qui plus est, depuis notre rapport de 2020, la crise de la Covid-19 est intervenue. Nous savons qu'elle a entraîné de nouveaux questionnements sur le sens du travail, sur son organisation et sur l'équilibre des temps professionnel et personnel. Se profilent également, à l'horizon, d'importantes évolutions technologiques et sectorielles, qui changeront les métiers et les tâches, à savoir les transitions numériques et environnementales (je pense à l'intelligence artificielle ou aux métiers liés à la décarbonation de l'industrie).

Les rapporteurs auront, tout à l'heure, l'opportunité de vous interroger sur la manière dont le Gouvernement appréhende ces défis d'avenir et sur les actions que vous avez mises en oeuvre pour amorcer l'adaptation de nos systèmes d'enseignement, de formation et d'accompagnement des demandeurs d'emploi.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle à nos collègues que vous êtes chargée, au sein du Gouvernement, spécifiquement de l'enseignement et de la formation professionnels depuis le 4 juillet 2022. Votre positionnement est atypique, puisque vous êtes ministre déléguée à la fois auprès du ministre du travail, du Plein emploi et de l'Insertion et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

Au cours de la trentaine d'auditions menées par les rapporteurs, deux messages sont souvent revenus : d'une part, le constat de l'éclatement de l'action publique en matière d'enseignement et de formation professionnels, répartie entre de très nombreux acteurs selon des modalités complexes ; et d'autre part - je tiens à le souligner car les appréciations positives sont parfois rares - votre « regard croisé » sur ces enjeux depuis votre arrivée au Gouvernement, souvent salué par les interlocuteurs.

Au Sénat, nous appelons régulièrement l'État à dépasser son « fonctionnement en silos », encore trop fréquent. J'exprime d'ailleurs le voeu devant vous, madame la ministre, que les entreprises soient également associées à ce « regard croisé » par le Gouvernement et l'administration dans la mise en oeuvre des réformes importantes qui se profilent à un proche horizon, notamment la réforme du lycée professionnel, la création de France Travail et le projet de loi Plein emploi.

Nous sommes dans une période charnière et stratégique pour les compétences, qui mérite un vrai dialogue entre État, école et entreprises.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnels auprès du ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse. - Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour évoquer le sujet des compétences, de la formation professionnelle et, plus globalement, de l'attractivité des métiers, qui sont au coeur d'un certain nombre de développements économiques et sociétaux. Ils sont également au coeur de ma feuille de route en tant que ministre chargée de l'Enseignement et de la formation professionnels, trait d'union entre le ministère du Travail et le ministère de l'Éducation nationale, aux côtés des ministres Olivier Dussopt et Pap Ndiaye.

Nous partageons une conviction, le fait que notre système de formation doit mieux permettre aux actifs de faire face aux mutations en cours ou à venir. Vous l'avez évoqué dans vos derniers rapports. Nos perceptions du monde du travail ont été bouleversées dans nos méthodes comme dans nos pratiques professionnelles. Il est évident que le marché du travail évolue. Cette accélération s'est intensifiée au cours des années écoulées. Notre système de formation doit refléter ces évolutions, afin de préparer les grandes transitions que vous avez évoquées. Il s'agit de surcroît de s'adapter aux aspirations grandissantes des citoyens à prendre le contrôle de leur avenir professionnel. Il nous faut donc mettre en oeuvre un ajustement permanent et cohérent entre l'offre de formation proposée aux actifs et les besoins réels des entreprises, avec une rénovation de notre appareil de formation qui ne doit pas seulement combler ses retards, mais également aller de l'avant et surtout être plus agile et plus accessible pour nos concitoyens.

En premier lieu, nous devons absolument renforcer la capacité d'insertion professionnelle de la voie professionnelle, qui a été trop longtemps délaissée. Je porte cet enjeu au travers de la réforme du lycée professionnel. Les lycées professionnels accueillent chaque année un lycéen sur trois, c'est-à-dire 121 000 élèves en lycée professionnel, auxquels s'ajoutent 64 000 apprentis. Pourtant, la voie professionnelle concentre davantage de difficultés que la voie générale et technologique. Nous devons accompagner davantage ces jeunes trop souvent en échec. Aujourd'hui, moins d'un bachelier professionnel sur deux parvient à s'insérer dans un poste six mois après l'obtention de son diplôme. Il s'agit clairement d'une injustice et d'un enjeu de cohésion sociale et économique pour notre pays, notamment eu égard aux tensions de recrutement qui peuvent exister sur les secteurs essentiels pour notre économie que sont l'industrie, l'énergie, la restauration ou le BTP. Dix des quinze métiers les plus en tension sont issus de la voie professionnelle.

Nous nous donnons les moyens de réussir. Plus d'un milliard d'euros supplémentaires iront chaque année à la voie professionnelle. Aujourd'hui, le budget consacré à la voie professionnelle est de 4,9 milliards d'euros. S'y ajouteront évidemment les revalorisations socles versées à l'ensemble des enseignants. De surcroît, un chargé de relations « Entreprises » sera positionné dans chaque lycée professionnel. J'ai également formulé des annonces sur le maintien du nombre des enseignants en lycée professionnel à la rentrée prochaine, auxquels viendront s'ajouter 400 ETP supplémentaires pour accompagner les équipes enseignantes (CPE, infirmiers, assistants sociaux) et un accompagnement par France 2030, puisque 2,5 milliards d'euros seront mis à disposition dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir ». L'objectif sera d'accompagner la mise en place, avec les régions, de nombreux plateaux techniques et la formation des enseignants, ainsi que l'attractivité et la mise en visibilité de certains métiers d'avenir.

La réforme, annoncée par le Président de la République le 4 mai dernier, possède trois grands leviers. Le premier vise à mieux accompagner les jeunes dont les fragilités scolaires sont plus grandes. Il s'agit de lutter contre le décrochage. Le deuxième levier consiste à accompagner mieux l'insertion professionnelle de ces jeunes, avec un système de formation répondant davantage aux enjeux économiques. Le troisième et dernier levier est également essentiel. Il s'agit de donner aux équipes éducatives les moyens d'agir et de valoriser l'engagement des professeurs.

Je détaillerai devant vous le deuxième levier de cette réforme structurelle, dont l'objectif est l'évolution des formations proposées en lycée professionnel, pour les adapter aux besoins de l'économie et pour fermer des formations insuffisamment cohérentes par rapport aux métiers d'aujourd'hui et de demain. L'objectif est clair. Le Président de la République l'a rappelé lors de l'annonce de la réforme. Il s'agit de fermer d'ici la rentrée 2026 l'ensemble des formations qui n'ouvrent ni perspectives d'emploi, ni poursuites d'études suffisantes. Il s'agit par conséquent de transformer la carte des formations, l'offre de formation dans les lycées professionnels. L'opération est évidemment difficile. Elle existe cependant déjà. Chaque année, des fermetures et des ouvertures de formations ont lieu. Lorsque nous constatons une insertion professionnelle objectivement insuffisante après l'obtention du diplôme, nous devons cependant agir et réagir davantage.

Pour accompagner l'évolution de l'offre de formation, nous mettrons en place, par le biais de France 2030, des appels à manifestation d'intérêt. L'objectif sera d'accompagner la mise en place de nouveaux plateaux techniques. Cette accélération est certes de la compétence des régions en matière de financements. Comme nous souhaitons une accélération forte, nous avons cependant pris l'engagement de cofinancer ces plateaux techniques avec les régions. Les budgets des appels à manifestation d'intérêt permettront en outre d'améliorer la formation des professeurs et des proviseurs, pour accompagner l'évolution culturelle et technique de l'offre de formation.

Un budget conséquent sera également mis en place pour améliorer la visibilité et l'attractivité de certaines filières d'avenir, souvent méconnues par les élèves, les familles, les professeurs et la société. Il s'agit de mettre en visibilité ces nouvelles filières métiers.

Des outils de pilotage seront également déployés pour mesurer les taux d'insertion et les taux de poursuite d'études, formation par formation. Il s'agit de bénéficier d'un suivi et d'une mise en transparence pour les familles et les élèves, ainsi que pour les établissements, afin de faire évoluer l'offre de formation et de mieux répondre aux enjeux économiques.

La création de formations post-Bac complémentaires, en cohérence avec les entreprises locales est également très attendue par les entreprises. Elle permet aux lycées de parfaire leurs formations après le Bac professionnel, avec un effet significatif sur l'insertion professionnelle. En effet, dans certains territoires, nous observons une hausse de 20 points de l'employabilité à l'issue de ces formations complémentaires. Aujourd'hui, 4 500 places de formation de ce type sont disponibles en France. Nous avons un objectif de 20 000 places d'ici la rentrée 2026.

Enfin, bien que les élèves de lycée professionnel alternent cours et stages en entreprise, il n'est pas toujours facile pour eux de trouver un stage cohérent avec leur formation et de qualité. Il s'agit pour moi de travailler sur ce réseau professionnel par la mise en place d'un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel dès la rentrée prochaine. Il permettra aux entreprises des territoires de facilement proposer des stages aux jeunes et d'organiser un dialogue avec les établissements par la mise à disposition d'une personne dédiée et identifiée pour ces échanges.

Le deuxième volet de mon action concerne l'apprentissage. Notre effort, dans le domaine, est massif. Les résultats sont incontestables. Nous sommes passés de 280 000 contrats d'apprentissage en 2017 à près de 840 000 contrats en 2022. Notre détermination ne doit cependant pas faillir. Notre objectif, fixé par le Président de la République, est d'atteindre un million d'apprentis par an d'ici la fin du quinquennat. Cet objectif quantitatif doit de surcroît être doublé d'un objectif qualitatif. Des travaux sont d'ores et déjà engagés avec les acteurs de la formation, notamment les centres de formation par l'apprentissage, sur la qualité de l'apprentissage.

Concernant le financement de l'apprentissage, nous pouvons partager trois éléments. En premier lieu, en 2023, l'État investit aux côtés des entreprises dans le financement de l'apprentissage à travers une subvention votée en loi de finance initiale. Il s'agit d'envoyer un signal puissant de soutien de l'État dans le financement de la formation initiale par la voie de l'apprentissage.

Le deuxième point que je souhaite valoriser a trait à notre volonté de soutenir la mobilisation des entreprises dans l'accueil des apprentis. Nous avons décidé de prolonger l'aide accordée pour le recrutement d'un apprenti jusqu'à la fin du quinquennat. Nous donnons, pour la première fois, une visibilité de ce type de manière pluriannuelle.

Je tiens également à souligner un engagement fort au travers d'un dispositif simple, unique et lisible. Il s'agit de l'aide d'un montant de 6 000 euros accordée à l'ensemble des apprentis, indépendamment de la taille de l'entreprise ou du niveau de qualification. Nous produisons ainsi un effort supplémentaire notamment pour les apprentis mineurs, souvent les plus faiblement qualifiés.

Enfin, le troisième point que je souhaite souligner concernant le financement de l'apprentissage a trait à la prise en charge des contrats. Nous devons poursuivre les travaux engagés en septembre 2021 pour viser le juste prix de chaque certification. En septembre 2022, nous avions connu un premier niveau de baisse. Nous avons décalé la seconde baisse au mois de septembre prochain, afin de ne pas mettre en difficulté la rentrée des centres de formation par apprentissage et de nous laisser le temps de documenter l'impact de l'inflation sur le modèle économique des CFA.

Le troisième point que je souhaite évoquer ce matin concerne le contenu des formations. L'enjeu de la révision des certifications professionnelles est structurant dans la rénovation de la formation. Nous ne posséderons pas des formations de qualité si les objectifs ne sont pas définis d'une manière suffisamment précise et ambitieuse. Ce point peut paraître technique. Pour autant, il est fondamental. Je souhaite citer quelques diplômes qui ont déjà été révisés. Les diplômes de Bac et de BTS de la filière « Cybersécurité informatique et réseaux électroniques » l'ont déjà été, tout comme le CAP « Grand âge » ou la formation complémentaire « Aide à domicile », conçus pour répondre au défi du vieillissement démographique. Il est essentiel que nos contenus s'adaptent aux évolutions sociétales et du marché du travail.

Il est indispensable d'amener plus systématiquement les ministères certificateurs et les onze commissions professionnelles consultatives à s'aligner sur les standards exigeants de France compétences. C'est pourquoi j'ai proposé à la Première ministre de mandater l'établissement public France Compétences pour réalisation d'un point sur la diversité des pratiques et sur l'expérience accumulée depuis plusieurs années. D'ici l'été 2023, cette mission devra nous adresser des propositions sur les évolutions à apporter pour que notre système gagne encore en pertinence, en efficacité et en agilité. Il importe par ailleurs que les certifications évoluent au même rythme que la transformation des métiers. Il s'agit d'un enjeu majeur que vous avez déjà soulevé. Je partage ce point avec vous. C'est pourquoi j'ai d'ailleurs décidé l'installation à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) d'une mission interministérielle qui proposera ses services pour accélérer la transformation des titres et des diplômes et en améliorer la qualité.

Je souhaite, en quatrième point, aborder la nature des compétences, qui est également de garantir une formation continue permettant d'accompagner chaque jour un peu mieux les trajectoires professionnelles et les reconversions des actifs. Je continue de soutenir le compte personnel de formation (CPF). Le CPF est désormais connu de 9 Français sur 10. Il a incontestablement trouvé son public, puisque les Français y ont fortement recours. Nous sommes en effet passés de 600 000 dossiers en 2019 à plus de 2 millions de dossiers en 2022 et 4,5 millions de téléchargements de l'application. Entre le démarchage abusif, les formations de loisirs et la fraude, cependant, la notoriété positive du CPF a été altérée. Ce dispositif reste pourtant un très bel outil situé au carrefour de nombreux enjeux de compétences. C'est pourquoi, depuis plus d'un an, nous avons mené des actions fortes pour réguler l'offre disponible. Aujourd'hui, plus aucun Français ne reçoit quotidiennement des SMS de démarchage. Nous avons agi. Les résultats sont au rendez-vous. Le CPF constitue une avancée sociale importante dans la démocratisation du droit à la formation. Notre action de régulation vise avant tout à créer les conditions de sa pérennité et une meilleure articulation entre les dispositifs.

Avec la nouvelle version de la validation des acquis de l'expérience (VAE), nous valoriserons les compétences acquises au cours de la vie pour fluidifier les parcours des actifs. À ce jour, seulement 10 % des personnes qui s'engagent dans une VAE vont au terme de leur parcours et obtiennent l'intégralité de la certification visée. Surtout, la durée moyenne d'un parcours est de 18 mois. Elle n'est pas adaptée à la réalité des parcours professionnels et de vie des actifs. Il n'est donc guère étonnant qu'elle soit deux fois moins mobilisée qu'il y a 10 ans, avec seulement 30 000 parcours par an. J'ai par conséquent décidé en 2022 de conduire une transformation de la VAE initiée par le vote de la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Nous pourrons ainsi multiplier par trois le nombre de bénéficiaires de VAE d'ici la fin du quinquennat. L'objectif est clair. Un dispositif plus moderne est visé. Il doit être allégé du point de vue administratif. Nous le doterons en outre d'une plateforme numérique dédiée plus rapide qui se conclura par des succès plus nombreux.

J'ai également souhaité, sur tout le territoire et pour l'ensemble des métiers en tension, une expérimentation dite de VAE inversée. Elle est fondée sur le principe de l'acquisition de l'expérience en cours de parcours, et non en amont de celui-ci. Cette expérimentation traduit la volonté marquée de mon ministère d'innover en matière de formation et de répondre, à court terme, aux enjeux de tension sur certains métiers.

Ces évolutions traduisent un changement de culture, plaçant la reconnaissance des compétences acquises au coeur des trajectoires professionnelles.

Nous souhaitons en outre profondément simplifier les dispositifs de transition professionnelle. Ils sont nombreux. Les entreprises et les actifs peinent à s'y retrouver. Les parcours de transition professionnelle ne concernent ainsi aujourd'hui que 0,3 % des salariés du privé chaque année. Il est question de 60 000 parcours annuels. Nous sommes donc loin de la réalité de l'enjeu des mutations professionnelles et des reconversions qui doivent pouvoir être engagées. Il y a de quoi s'interroger. Un jeune qui entre aujourd'hui dans un parcours professionnel, en particulier, changera de métier entre 13 et 15 fois. Nous ne sommes donc pas à la hauteur de l'enjeu des transitions professionnelles. Il convient de poser la question des transitions professionnelles, qui représentent un enjeu de cohésion sociétale et de compétitivité économique. Il est de notre devoir, en l'occurrence, d'apporter des réponses aux conséquences parfois brutales des changements de modèle qui s'accélèrent.

Ces constats sont largement partagés avec les partenaires sociaux. Nous verrons, dans les prochaines semaines, dans quelle mesure ils placent ces éléments dans l'agenda social qu'ils élaborent.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous avez compris que nos chantiers sont immenses. Pour les traiter, nous avons besoin d'ambition et de conviction, mais également d'une certaine humilité. La réponse n'est pas unique face aux besoins des entreprises et de notre économie. Les mesures offrent des réponses de court, de moyen et de plus long terme. Elles doivent pouvoir s'articuler, de manière à apporter une réponse d'ampleur adaptée s'inscrivant dans les espaces temporels que j'évoquais.

Avec la réforme de la VAE, nous nous mettons en situation d'apporter à court terme une réponse aux besoins des secteurs en tension, tout en sécurisant les parcours des individus. Avec l'apprentissage et la réforme du lycée professionnel, nous apportons des réponses à moyen terme pour toute une jeunesse qui sera formée à des métiers garantissant une insertion durable dans l'emploi dans des secteurs d'avenir. Enfin, en s'appuyant sur des leviers comme France 2030, l'offre de formation initiale et continue est en évolution pour donner à notre pays le capital humain nécessaire et être au rendez-vous de la compétition mondiale de 2030.

Pour terminer, je souhaite ajouter que, s'il appartient à l'État de proposer un horizon et de fixer les principales règles, c'est avec les entreprises, les partenaires sociaux, les acteurs territoriaux et l'ensemble des acteurs impliqués que nous devons penser et conduire ce changement de manière concrète.

M. Serge Babary, président. - Merci, Madame la ministre, pour ce tour d'horizon. Beaucoup d'éléments positifs nous intéressent. Nous avons évidemment des questionnements. Je passe la parole aux rapporteurs.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Le sujet est vaste. Ma première question concerne France compétences, à qui vous confiez des missions supplémentaires. Cependant, France compétences est en situation de déficit de plusieurs milliards d'euros chaque année. Les banques hésitent désormais à lui faire crédit. Comment l'État compte-t-il combler ce déficit ?

Ma seconde question porte sur le CPF. Les entreprises regrettent qu'il n'existe pas de dialogue sur les formations retenues par leurs salariés dans le cadre du CPF, en particulier au vu des enjeux ayant trait aux reconversions professionnelles ou à l'emploi des séniors. Comment comptez-vous par conséquent faire évoluer le CPF ?

Mme Carole Grandjean, ministre. - Concernant le déficit de France compétences, l'investissement réalisé dans la formation des jeunes et des actifs se situe au coeur de notre projet politique. La réforme de 2018 a notamment permis le développement à l'échelle de l'apprentissage et la démocratisation du CPF. L'impact sur la dépense en formation a été significatif. Il a également été significatif sur l'accès la formation de publics jusqu'alors plus éloignés des dispositifs, comme les ouvriers et employés ou les femmes - aujourd'hui, 7 bénéficiaires sur 10 sont ouvriers ou employés, contre 7 cadres sur 10 bénéficiaires par le passé - tandis que l'apprentissage permet à 7 jeunes sur 10 d'entrer dans l'emploi. Pourtant, la cotisation des entreprises (CUFPA) ne permet pas de couvrir l'entièreté des dépenses. C'est pourquoi l'État a agi par effet de responsabilité en octroyant 4,7 milliards d'euros à France compétences en 2022. Ce soutien s'accompagne de mesures concrètes de régulation qui visent à mieux maîtriser la trajectoire financière de France compétences, à savoir la baisse des coûts contrat (respectivement en septembre 2022 et en septembre 2023) et l'assainissement de l'offre (notamment sur les formations à la création d'entreprise). De son côté, l'accès au CPF a été sécurisé de manière à éviter les fraudes.

Le CPF compte 2 millions d'utilisateurs par an. Cette démocratisation de la formation est inédite. Il est connu de 90 % des Français. Il s'agit par conséquent d'une vraie réussite, qui s'est accompagnée également de fraudes et de démarchages abusifs contre lesquels nous avons travaillé. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que plus personne ne reçoit de SMS de démarchage. Nous ne constatons plus de fraude. Nous souhaitons à présent engager des discussions avec les partenaires sociaux, qui ont émis un certain nombre de propositions susceptibles de faire l'objet de discussions. Nous souhaitons engager des discussions avec les partenaires sociaux car nous devons travailler à faire en sorte de mieux orienter le CPF vers les projets professionnels. Le CPF doit mieux accompagner les projets de reconversion professionnelle. Il doit en outre être mieux articulé avec les autres dispositifs que j'évoquais précédemment (validation des acquis d'expérience, dispositifs de transition professionnelle).

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'ai également deux questions. La première d'entre elles porte sur l'orientation. De nombreuses personnes, au cours de nos auditions, nous ont indiqué que l'orientation était l'angle mort des politiques du Gouvernement. Les avancées ont été peu nombreuses au cours des dix dernières années sur ce point, tandis que les difficultés sont connues. L'image de la voie professionnelle reste notamment extrêmement dégradée, tandis qu'elle insère, est porteuse de sens et peut être rémunératrice. En outre, la féminisation de certaines formations professionnelles, notamment scientifiques, demeure insuffisante. Les personnels d'enseignement, de leur côté, souffrent d'une méconnaissance des métiers. Les compétences d'orientation, enfin, sont éclatées entre régions et État. Il nous semble utile d'aller plus loin sur ce point, pour rapprocher encore l'école du monde de l'entreprise. Quelles sont vos propositions en la matière ? Le Gouvernement est-il prêt à intégrer davantage la découverte des métiers dans le cursus scolaire ?

Il semble, par ailleurs, que l'effort de simplification n'ait pas été suffisant. Du côté de France compétences, par exemple, la certification des formations professionnelles nécessite encore trop de temps. De leur côté, les abus, les clauses abusives, de faux diplômes continuent d'exister. Comment accentuerez-vous le contrôle ? N'existe-t-il pas en particulier des lacunes dans les offres publiques, au niveau de l'université et de l'enseignement supérieur ?

Mme Carole Grandjean, ministre. - L'enjeu d'orientation est en effet essentiel. Depuis 2018, la compétence de l'orientation appartient à la région. L'enjeu est immense pour passer à l'échelle de l'ensemble de la jeunesse et garantir l'égalité des chances dans l'accès à la formation. Pourtant, la réalité de l'orientation n'a pas beaucoup évolué au cours des dernières années. C'est pourquoi, depuis la rentrée 2022, l'État a considéré qu'il devait être davantage partenaire des régions. L'Éducation nationale possède notamment une capacité de massification de l'information. Nous avons par conséquent décidé d'organiser au sein de chaque établissement et de chaque classe de 5ème, 4ème et 3ème une découverte des métiers. Pour le moment, elle est expérimentale. 10 % des collèges en bénéficient, soit 650 collèges au total. Nous souhaitons à présent déployer cette initiative dans l'ensemble des collèges de France dès la rentrée 2023.

Je vous rejoins sur le fait que l'offre de formation constitue un enjeu majeur. Elle doit répondre davantage aux enjeux d'avenir. Elle doit proposer des réponses plus agiles pour les métiers en tension. Elle doit ainsi s'inscrire dans le court terme. Elle doit cependant également proposer des réponses fortes pour préparer les compétences de demain. L'enjeu est donc la mise à jour des contenus, de création de nouveaux contenus et de nouvelles formations à déployer. Parallèlement, nous devons nous montrer attentifs à l'effet d'aubaine que peut avoir la loi de 2018 et que France compétences s'attache à maîtriser. Un certain nombre de formations dont les contenus ne répondaient pas aux enjeux de projet professionnel ont notamment été supprimées.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Nous nous félicitons des évolutions que vous proposez au niveau du lycée professionnel. Il est souvent considéré comme une voie d'échec. Nous devons redorer l'image des lycées professionnels, qui permettent de s'insérer dans la vie professionnelle. Sur le sujet, existe-t-il des idées pour insérer dans les cycles de formation les jeunes qui ne sont ni en formation, ni en emploi, ni en stage ? Par ailleurs, la carte des formations dans les lycées professionnels peut-elle évoluer de façon efficiente ? La question se pose également du rapprochement des lycées professionnels et des entreprises. Nous nous félicitons, à cet égard, que vous proposiez un bureau relations entreprises dans chaque lycée.

Mme Carole Grandjean, ministre. - Je partage votre avis sur la nécessité de redorer l'image du lycée professionnel. Il est en effet stratégique pour les compétences de la Nation. Il est trop souvent aujourd'hui une voie d'orientation subie. Cette réalité n'est pas acceptable. Elle doit faire l'objet d'un certain nombre d'actions de transformation de notre part. La voie professionnelle mérite une reconnaissance de la société comme étant porteuse de professionnalisation vers des métiers de qualité, avec des perspectives de carrière et de rémunération attrayantes. Dans le même temps, il s'agit de mener un travail de fond pour positionner le lycée professionnel comme un acteur stratégique. Si, demain, le lycée professionnel est celui qui forme sur les métiers de la transition énergétique, de l'écologie, du numérique, nous assisterons à une transformation de son image. Si le lycée professionnel permet la réussite des élèves et l'insertion professionnelle, il sera choisi.

Les fragilités scolaires sont réelles. Nous devons les accompagner. Nous devons également lutter contre le décrochage à tous les niveaux. Nous luttons contre le décrochage dans le cursus, dès lors que nous constatons les premiers signaux d'absentéisme, avec l'ensemble des partenaires (écoles de la deuxième chance, missions locales, etc.), pour retravailler le projet du jeune et construire avec lui le sens qu'il a envie de donner à son parcours. Nous travaillons également après le diplôme. En effet, un élève sur deux ne trouve pas d'emploi après l'obtention de son diplôme. Désormais, l'élève restera sous statut scolaire jusqu'à la fin de l'année qui suit l'obtention du bac professionnel, avec un engagement de l'établissement et des partenaires pour l'aider à suivre une formation complémentaire, rechercher un emploi, suivre un stage, etc., c'est-à-dire ne pas rester sans solution et s'inscrire dans une dynamique active d'insertion professionnelle. Nous constatons en outre beaucoup de décrochages de jeunes qui s'aperçoivent ne pas pouvoir suivre le niveau de poursuite de leurs études. Un dispositif permettra dorénavant de les accompagner, soit pour poursuivre leur année, soit pour effectuer leur BTS en 3 ans, afin d'éviter le décrochage.

Enfin, je souhaite mettre l'accent sur deux points, le mentorat et les World Skills (olympiades des métiers). Notre ministère finance les World Skills, notamment la compétition internationale. Il s'agit d'un formidable instrument présent sur l'ensemble des territoires. La compétition est régionale, puis nationale, puis internationale. Les acteurs des territoires, notamment les collèges et les lycées, doivent s'emparer de cet outil pour faire voir les métiers et permettre le partage entre jeunes. De jeunes passionnés parlent en effet à d'autres jeunes de leur voie. À mon sens, il s'agit d'une incroyable vitrine sur les métiers. En outre, je souhaite faire passer le mentorat à l'échelle d'ici 2026 pour que chaque lycéen professionnel puisse disposer d'un mentor s'il le souhaite.

Ces initiatives sont-elles suffisantes ? Nous travaillerons sur les contenus des formations. Nous créerons de nouvelles formations. Nous assumerons de fermer les formations qui n'insèrent pas et ne permettent pas des poursuites d'études réussies. Nous travaillerons sur les formations complémentaires, qui apportent 20 points d'employabilité supplémentaires. Les jeunes ont besoin que nous les aidions. Le bureau relations entreprises aura ce rôle d'accompagnement.

M. Serge Babary, président. - Hier, nous avons reçu le nouveau président du principal syndicat agricole, qui nous a indiqué les perspectives d'emploi dans le domaine agricole : 90 000 emplois seront disponibles dans les prochaines années. La formation professionnelle agricole n'est pas de votre ressort. En revanche, l'orientation intègre-t-elle la présentation des métiers de l'agriculture ? Il s'agit d'intéresser les jeunes dès à présent.

Mme Carole Grandjean, ministre. - La question des lycées agricoles a été pleinement associée dans les réflexions à la préparation de la réforme. Il en est allé de même pour la question des lycées de la mer. Il est essentiel de faire connaître ces métiers dans la découverte des métiers. Ils sont essentiels, en particulier, aux grandes transitions que nous avons déjà évoquées. Ils feront donc effectivement partie de la découverte des métiers.

M. Serge Babary, président. - Seulement 25 % de jeunes agriculteurs sont issus actuellement du milieu agricole traditionnel. Les trois quarts viennent de l'extérieur, en particulier de zones urbaines.

Mme Marie-Christine Chauvin, sénateur. - De très nombreux jeunes, après l'obtention de leur bac professionnel ou de leur BTS, n'exercent pas le métier qu'ils ont appris et pour lequel ils ont obtenu leur diplôme. Parvenez-vous à en détecter la raison ?

Vous avez beaucoup insisté, par ailleurs, sur le fait que la formation professionnelle était de la responsabilité de l'État, mais également de la responsabilité des entreprises. Pourquoi ne pas mettre mieux en adéquation l'enseignement et l'entreprise ? De nombreuses entreprises sont en effet contraintes de créer leur propre école de formation, ne parvenant pas, localement, à recruter. Je pense qu'il existe un malaise entre les lycées et le milieu de l'entreprise.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Un certain nombre de candidats à l'apprentissage peinent à trouver un lieu d'apprentissage. Comment expliquez-vous que les entreprises sous tension ne s'inscrivent pas dans ces démarches ? Quels freins voyez-vous en la matière ?

Je souhaite intervenir en outre sur un sujet qui concerne plus particulièrement mon département. Je suis sénateur d'Ille-et-Vilaine. Nous savons que de nombreuses personnes seront recherchées dans les métiers du bâtiment, en particulier au niveau de l'utilisation de matériaux biosourcés. Dans ce dernier domaine, je connais un organisme, Ecobatys, qui peine à trouver des financements. Après des aides au démarrage de la part de la région, de la communauté de communes et de l'État par le biais de l'ADEME, les financements se sont taris. Quel est le suivi réalisé au niveau de ces organismes qui s'engagent dans un projet qui a du sens dans le cadre de la transition énergétique ?

M. Didier Mandelli, sénateur. - Nous avons eu la chance de nous rendre en Vendée notamment pour visiter un campus qui accueille 3 000 élèves. Nous avons appris, à cette occasion, qu'aujourd'hui, près de 50 % des principaux de collège en Vendée refusent toute visite extérieure ou intervention dans leur établissement. Ma question est donc la suivante : les visites de découverte au collège seront-elles obligatoires dans le cursus ?

Par ailleurs, « les clichés ont la vie dure ». Le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse lui-même a en effet, dans le cadre des questions au Gouvernement il y a quelques semaines, à propos de la formation professionnelle et de l'apprentissage, évoqué des voies utiles pour des jeunes qui n'avaient pas d'autre possibilité ou qui étaient en échec scolaire. Nous avons encore un travail à mener. Les ministres doivent être exemplaires et indiquer aux jeunes les voies qui leur conviennent.

Mme Carole Grandjean, ministre. - Madame la Sénatrice Chauvin a raison. Un certain nombre de jeunes n'exercent pas le métier pour lequel ils ont été formés. Plusieurs éléments expliquent cette situation. En premier lieu, à l'issue de la 3ème, des élèves sont orientés vers la voie professionnelle du fait de résultats scolaires. Ils sont souvent orientés vers des filières qui ne correspondent pas à leurs aspirations. L'enjeu de la découverte des métiers est par conséquent essentiel. La deuxième raison est la qualité des stages. Certains élèves ne suivent pas de stage ou suivent un stage qui n'a pas de lien avec la formation suivie. Il s'agit par conséquent de travailler sur la qualité des périodes de stage (conditions de travail, accompagnement de qualité par un tuteur...). L'entreprise doit véritablement accompagner le jeune.

Il ne s'agit pas d'être dans une adéquation stricte entre les diplômes de l'éducation nationale et les métiers. La diversité des métiers ne permettrait pas en effet de développer une offre de formation en stricte adéquation avec les diplômes de l'éducation nationale. La temporalité de l'évolution des métiers et la temporalité de l'évolution des diplômes ne le permet pas davantage. L'adéquation stricte n'est d'ailleurs pas souhaitable, car l'objectif est de préparer le jeune à être prêt à s'adapter tout au long de son parcours à des événements demandant, de toute façon, des ajustements. Il s'agit pour nous de lui donner la capacité à s'adapter aux évolutions du monde professionnel.

Monsieur le Sénateur Salmon, les difficultés à trouver des stages sont réelles. 72 % des jeunes de lycée professionnel trouvent un stage par eux-mêmes, tandis que leur indice de position sociale est fragile, avec des réseaux limités par rapport aux autres élèves. Il est important par conséquent de pouvoir mieux accompagner les élèves dans la recherche de stage. C'est pourquoi le bureau relations entreprises sera essentiel demain.

Sur la transition écologique, nous accompagnons de nombreuses formations. Nous avons besoin de développer les compétences en la matière dans les lycées professionnels, comme dans les centres de formation par apprentissage et dans l'enseignement supérieur. Nous finançons les organismes de formation à travers des coûts contrats. Si ces organismes sont de qualité et offrent une réponse à l'exigence de certification, il n'existe aucune raison pour qu'ils ne soient pas accompagnés. C'est pourquoi ils le sont dans les faits.

Monsieur le Sénateur Mandelli, la découverte des métiers, depuis la rentrée 2022, a pris la forme d'une expérimentation. Les collèges volontaires l'ont déployée (10 % des collèges). À la rentrée 2023, en revanche, l'ensemble des collèges entreront dans la démarche. Il s'agira d'un standard pour l'ensemble des collèges et des collégiens de France.

Enfin, effectivement, les clichés ont la vie dure. Cependant, l'image de l'apprentissage a été bouleversée. L'apprentissage est considéré à présent comme une belle modalité pédagogique. Je souhaite à présent ce changement d'image pour les lycées professionnels.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Je souhaite évoquer l'amélioration du lien entre les TPE-PME et Pôle Emploi. Un important travail a été réalisé dans le domaine. Dans le cadre de la création de France Travail, comment l'accompagnement des entreprises qui recrutent sera-t-il assuré ? Est-il prévu un renforcement de cet accompagnement ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. -Qui assurera concrètement les missions du bureau relations entreprises ? Par ailleurs, vous n'avez pas parlé des lycées des métiers. S'agit-il toujours d'une orientation à développer ? Enfin, vous avez souligné que les élèves en lycée professionnel sont souvent les élèves les plus fragiles. Ne serait-il pas intéressant de réaliser un point d'étape, par exemple cinq ans après leur insertion professionnelle, pour les accompagner, le cas échéant, vers une évolution ?

M. Michel Canévet, rapporteur. - J'ai deux observations et une question. Ma première observation concerne le fait que l'apprentissage est ouvert aux jeunes de plus de 16 ans. En l'absence de redoublement dans les classes antérieures désormais, il serait peut-être utile de faire preuve de souplesse au niveau de l'âge retenu. Ma deuxième remarque porte sur les investissements dans les établissements, notamment pour les questions de logement. Les régions s'occupent des lycées. Pour les établissements d'apprentissage, les financements sont plus difficiles, en particulier concernant l'AFPA. Il semble nécessaire que les centres de l'AFPA soient dotés de moyens d'investissement permettant de conduire leur transformation, qui est absolument nécessaire pour l'évolution des métiers et pour l'accueil des stagiaires. La question du logement est ainsi essentielle.

Ma question porte sur le plan d'investissement dans les compétences (PIC) qui s'est achevé. Le poste de Haut-commissaire aux compétences a été supprimé. Les besoins d'un nouveau PIC sont cependant évidents. Le poste de Haut-commissaire aux compétences, dont l'action nous a paru pertinente, ne doit-il pas par conséquent être restauré ?

Mme Carole Grandjean, ministre. - La relation entre les entreprises et Pôle Emploi a en effet vocation à être renforcée, par une simplification et une meilleure coordination entre les acteurs. L'action menée en matière de compétences auprès des TPE-PME, en particulier, est forte. 8 apprentis sur 10 travaillent en effet dans une TPE-PME. La réalité de l'apprentissage concerne ainsi principalement les TPE-PME. Pour autant, il s'agit d'accompagner les demandeurs d'emploi sur la réalité territoriale. Nous donnons à France Travail l'objectif d'atteindre 5 % de chômage en 2027. L'enjeu sera surtout de travailler sur une simplification et une meilleure coordination entre les acteurs.

Le bureau des entreprises viendra s'ajouter aux acteurs déjà en place. Il suppose par conséquent davantage de moyens. L'objectif est de travailler en articulation avec les acteurs déjà en place. Une personne sera ainsi présente à temps plein. Elle sera identifiée par les entreprises. Elle sera « la porte d'entrée » de l'entreprise dans le lycée professionnel.

Les lycées des métiers sont un label qui continue d'exister. Le label est donné sur la base d'un cahier des charges.

Il serait évidemment intéressant de réaliser un point d'étape cinq ans après l'insertion professionnelle. Nous travaillons cependant par étapes. Aujourd'hui, l'objectif est de nous assurer que les jeunes trouvent une insertion professionnelle.

La question du logement est primordiale. Il existe un sujet de développement de l'offre d'internats et de l'offre de logements. Les centres de formation proposent parfois des solutions de logement. Aujourd'hui, 56 % des lycées professionnels proposent de l'internat, avec un taux d'occupation de 77 % en moyenne. Nous comptons donc encore des places disponibles dans les internats des lycées professionnels, dont nous savons qu'ils participent à la réussite des jeunes.

Sur le plan d'investissement des compétences, l'expérience du précédent quinquennat montre que la formation a un impact favorable sur l'accès à l'emploi. Un demandeur d'emploi qui se forme voit sa probabilité d'accès à l'emploi renforcée de 9 points par rapport à un demandeur d'emploi qui ne se forme pas. Cet écart s'accroît encore pour les publics les plus fragiles et les plus éloignés de l'emploi (+14 points pour un demandeur d'emploi inscrit depuis plus d'un an chez Pôle Emploi, +17 points pour un demandeur d'emploi de plus de 50 ans). Nous distinguons donc clairement l'enjeu du ciblage vers les publics les plus fragiles.

M. Serge Babary, président. - Madame la ministre, je vous remercie pour ces échanges très riches, très détaillés et complets. Nous ne manquerons pas de vous transmettre le rapport quand notre délégation l'aura examiné, le 29 juin prochain. Je vous remercie également par avance pour les réponses écrites au questionnaire reçu en amont de cette audition, que vous nous adresserez dans les prochains jours.


* 1 Note de conjoncture de l'INSEE du 6 octobre 2022 : « Les difficultés de recrutement déclarées par les entreprises sont liées en partie à la dynamique de l'emploi ».

* 2 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 3 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 4 Rapport d'information n° 536 (2019-2020) de Michel Canévet et Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 18 juin 2020, « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises ».

* 5 DARES, « Quelle relation entre difficultés de recrutement et taux de chômage ? La courbe de Beveridge en France et dans les autres pays européens », octobre 2021.

* 6 « Comment expliquer les difficultés de recrutement anticipées par les entreprises ? », document de travail France Stratégie, juin 2022.

* 7 Enquête BMO 2022, Pôle emploi.

* 8 Réponses de CMA à la délégation.

* 9 « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », rapport d'information n° 33 (2022-2023) de Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 7 octobre 2022.

* 10 Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Joffrey Stary, « Difficultés de recrutement et caractéristiques des entreprises : une analyse sur données d'entreprises françaises », 2022.

* 11 DARES, « Quelle relation entre difficultés de recrutement et taux de chômage ? La courbe de Beveridge en France et dans les autres pays européens », octobre 2021.

* 12 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 13 Alexis Montaut, « Quel lien entre pénuries de main d'oeuvre et chômage en France et en Europe ? », INSEE.

* 14 Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Joffrey Stary, « Difficultés de recrutement et caractéristiques des entreprises : une analyse sur données d'entreprises françaises », 2022.

* 15 Bpifrance Le Lab, Rexecode, « Trésorerie, Investissement et croissance des PME-TPE, Baromètre trimestriel », novembre 2022.

* 16 Bpifrance Le Lab, « Attirer les talents dans les PME et les ETI », janvier 2018.

* 17 3 018 300 demandeurs d'emploi étaient inscrits à Pôle emploi en catégorie A en mai 2023, selon la DARES dans l'étude « Les demandeurs d'emploi » en date de juin 2023.

* 18 Dossier de presse du Gouvernement « Plan de réduction des tensions de recrutement : répondre dès maintenant aux besoins des entreprises et préparer l'avenir », 27 septembre 2021.

* 19 Dossier de presse du Gouvernement, « Plan de réduction des tensions de recrutement - Phase 2 : une réponse, co-construite avec les entreprises, à l'urgence des difficultés de recrutement », octobre 2022.

* 20 Projet de loi n° 710 (2022-2023) d'Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et de Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, déposé au Sénat le 7 juin 2023, pour le plein emploi.

* 21 Communiqué de presse de la Commission européenne, « La Commission lance les travaux sur l'Année européenne des compétences », 12 octobre 2022.

* 22 DARES, « La France vit-elle une Grande démission ? », octobre 2022.

* 23 DARES, « La France vit-elle une Grande démission ? », octobre 2022.

* 24 Ibid.

* 25 Réponses de la DARES au questionnaire de la délégation.

* 26 Propos du 2 mars 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 27 Baromètre territorial IFOP/Réseau EVA sur l'évolution professionnelle, 2021.

* 28 Notion popularisée par l'anthropologue David Graeber.

* 29 Coralie Pérez, propos du 26 janvier 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation. À noter que la perte de sens semble particulièrement répandue dans les métiers de la banque de l'assurance, de la manutention, de gardiennage et de sécurité ou encore de l'hôtellerie-restauration, en lien avec la faible capacité perçue de développement professionnel.

* 30 Ibid.

* 31 Enquête de l'Institut Montaigne, « Les Français au travail : dépasser les idées reçues », février 2023.

* 32 Ibid.

* 33 Propos du 2 mars 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 34 Une exception notable est la possibilité de recourir au télétravail, fortement corrélé à la satisfaction au travail et qui entraîne une forme de clivage entre métiers « télétravaillables », souvent de cadres, et métiers « non télétravaillables », non-cadres.

* 35 Réponses de France compétences au questionnaire de la délégation.

* 36 DARES, « Quelle relation entre difficultés de recrutement et taux de chômage ? La courbe de Beveridge en France et dans les autres pays européens », octobre 2021. « Il semblerait que la forte poussée des tensions et l'apparition d'un désalignement inhabituel entre difficultés de recrutement et chômage en France sur ces cinq ans résultent moins d'un problème de formation, déjà existant, que d'un problème d'attractivité dans une trentaine de métiers. »

* 37 Réponses de la FNTR au questionnaire de la délégation.

* 38 Étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), « Les étudiantes en formation d'infirmière sont trois fois plus nombreuses à abandonner en première année en 2021 qu'en 2011 », mai 2023.

* 39 Rapport de l'IGAS et de l'IGEST, « La qualité de vie des étudiants en santé », juillet 2022.

* 40 Rencontre avec Bruno Bouygues organisée par la délégation, « La Parole aux entrepreneurs », 21 juin 2023.

* 41 Propos du 2 mars 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 42 Réponses de la DGE au questionnaire de la délégation.

* 43 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 44 Éléments disponibles sur le site du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

* 45 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 46 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 47 Rapport d'information n° 536 (2019-2020) de Michel Canevet et Guy-Dominique Kennel, fait au nom de la délégation aux entreprises, « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises », le 18 juin 2020.

* 48 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 49 Réponses des CMA au questionnaire de la délégation.

* 50 Coralie Pérez, propos du 26 janvier 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 51 Medef, « Baromètre de perception de la RSE », synthèse des résultats 2022.

* 52 Rapport d'information n° 89 (2022-2023) de Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et M. Jacques Le Nay, fait au nom de la délégation aux entreprises, « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise », le 27 octobre 2022.

* 53 « Portrait des sociétés à mission 2022 », Baromètre de l'observatoire des sociétés à mission.

* 54 Bpifrance Le Lab, « Attirer les talents dans les PME et les ETI », janvier 2018.

* 55 INSEE, « Les entreprises en France », édition 2020.

* 56 Bpifrance Le Lab, « Attirer les talents dans les PME et les ETI », janvier 2018.

* 57 Ibid.

* 58 Document de travail France Stratégie, « Comment expliquer les difficultés de recrutement anticipées par les entreprises ? », juin 2022.

* 59 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 60 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 61 Rapport de synthèse de la concertation « France Travail, une transformation profonde de notre action collective pour atteindre le plein emploi et permettre ainsi l'accès de tous à l'autonomie et la dignité par le travail », Mission de préfiguration France Travail, avril 2023.

* 62 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 63 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 64 Ce point sera développé dans la troisième partie de ce rapport.

* 65 Enquête de l'Institut Montaigne, « Les Français au travail : dépasser les idées reçues », février 2023.

* 66 Ibid.

* 67 Ibid.

* 68 Propos du 2 mars 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 69 Précité.

* 70 Ibid.

* 71 Analyse de la DARES,  « Quelles sont les conditions de travail qui contribuent le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ? », juin 2022.

* 72 Ibid.

* 73 Étude « Emploi, chômage, revenus du travail » de l'INSEE et de la DARES, édition 2022.

* 74 Rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

* 75 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 76 Réponses de FO au questionnaire de la délégation.

* 77 Rapport d'information n° 759 (2020-2021) de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, fait au nom de la délégation aux entreprises, « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », le 8 juillet 2021.

* 78 Enquête de l'Institut Montaigne, « Les Français au travail : dépasser les idées reçues », février 2023.

* 79 Sondage Toluna Harris interactive pour l'Étudiant et Epoka, « Les entreprises préférées des étudiants et jeunes diplômés », 2019.

* 80 Bpifrance Le Lab, Rexecode, « Trésorerie, Investissement et croissance des PME-TPE, Baromètre trimestriel », novembre 2022.

* 81 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 82 Rapport de l'Académie des technologies, « Attractivité des métiers, attractivité des territoires : des défis pour l'industrie », 2019.

* 83 Rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

* 84 Étude de Mazars, « Construire la sortie de crise : quelles sont les attentesdes Français vis-à-vis de l'entreprise ? », juin 2021.

* 85 Données de la DARES, « Participation, intéressement et épargne salariale », avril 2022.

* 86 Propos de Sophie Piton, économiste à la Banque d'Angleterre et membre du Center for Macroeconomics (CfM), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 87 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 88 Propos de Stéphanie Pauzat, vice-Présidente déléguée de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 89 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 90 Propos de Stéphanie Pauzat, vice-Présidente déléguée de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 91 Réponses de la CGT, de FO et de la CFE-CGC aux questionnaires de la délégation.

* 92 « La Silver Économie : un nouveau modèle économique en plein essor », Numa Rengot, 2015, dans «Géoéconomie ».

* 93 France Stratégie-DARES, rapport « Quels métiers en 2030 ? » du groupe Prospective des métiers et qualifications », mars 2022.

* 94 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 95 Réponses de la DGE au questionnaire de la délégation.

* 96 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation. Il s'agit par exemple des métiers suivants : réalisation de structures métalliques, réalisation de menuiserie bois et tonnellerie, modelage de matériaux non métalliques, moulage sable, réglage d'équipement de production industrielle, intervention technique qualité en mécanique et travail des métaux, conception et dessin de produits mécaniques.

* 97 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 98 Rapport d'information n° 678 (2020-2021) de MM. Sébastien Meurant et Rémi Cardon, fait au nom de la délégation aux entreprises, « La cybersécurité des entreprises - Prévenir et guérir : quels remèdes contre les cyber virus ? », 10 juin 2021.

* 99 France Stratégie, note d'analyse, « L'effet de l'automatisation sur l'emploi : ce qu'on sait et ce qu'on ignore », juillet 2016.

* 100 Rapport d'information n° 691 (2020-2021) de M. Gérard Longuet , fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 juin 2021, intitulé : « Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant ».

* 101 Article paru le 4 février 2022 dans Le Monde, intitulé : « L'inquiétant recul des mathématiques au lycée », par Sylvie Lecherbonnier.

* 102 Baromètre égalité femmes-hommes 2022 de la conférence des grandes écoles.

* 103 « Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme sur le marché du travail », paru dans « Idées économiques et sociales », par Anne Châteauneuf-Malclès.

* 104 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 105 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 106 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 107 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».

* 108 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

* 109 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 110 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 111 Réponses de France compétences au questionnaire de la délégation.

* 112 Réponses de la DGESCO au questionnaire de la délégation.

* 113 Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022, intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».

* 114 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 115 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 116 Dossier de presse du Gouvernement « France 2030 : 70 nouveaux lauréats pour la 2ème vague de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir » (CMA) », 18 novembre 2022.

* 117 Dossier de présentation du deuxième volet de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir », mai 2023.

* 118 Texte n° 394 (2015-2016) de Mme Élisabeth Lamure, M. Michel Forissier et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 10 février 2016, visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite.

* 119 Article paru dans Les Échos le 27 juin 2023, intitulé « Réforme de l'apprentissage : un succès en trompe-l'oeil » par Pierre Cahuc.

* 120 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 121 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 122 Réponses de la CGT et de la CFE-CGC aux questionnaires de la délégation.

* 123 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 124 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».

* 125 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 126 Réponses des CMA au questionnaire de la délégation.

* 127 Réponses de FO et de la CGT aux questionnaires de la délégation.

* 128 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 129 Dossier de clôture des groupes de travail sur la réforme des lycées professionnels, janvier 2023, ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

* 130 Réponses de la DGESCO à la délégation.

* 131 Sondage OpinionWay pour CCI France, La Tribune, LCI, juin 2023.

* 132 « Le diplôme reste déterminant dans l'insertion des lycéens professionnels », publication du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse, Nathalie Marchal, données 2017.

* 133  https://www.education.gouv.fr/media/120421/download

* 134 Dossier de clôture des groupes de travail sur la réforme des lycées professionnels, janvier 2023, ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

* 135 « Après un pic dû à la crise sanitaire, la part des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation repart à la baisse », INSEE Focus n°285, janvier 2023.

* 136  « Repères et références statistiques - Enseignements, formation, recherche 2020 », direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, juillet 2020, ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

* 137 Vademecum « Coloration des diplômes professionnels » et « Formation complémentaire d'initiative locale » du Ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse, mai 2022.

* 138 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 139 Réponses de la DGESCO au questionnaire à la délégation.

* 140 Dossier de clôture des groupes de travail sur la réforme des lycées professionnels, janvier 2023, ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse.

* 141 « Après un pic dû à la crise sanitaire, la part des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation repart à la baisse », INSEE Focus n°285, janvier 2023.

* 142 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 143 Au sens du Bureau international du travail (BIT), c'est-à-dire sur les personnes de plus de 15 ans n'ayant pas travaillé au cours de la semaine de référence, étant disponibles pour travailler dans les deux semaines et ayant entrepris des démarches actives de recherche d'emploi dans le mois précédent ou trouvé un emploi commençant dans les trois mois.

* 144 Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation.

* 145 L'un de ses objectifs exprimés était de former deux millions de demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés et de jeunes éloignés du marché du travail selon le site internet du ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion.

* 146 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 147 Réponses de France compétences au questionnaire de la délégation.

* 148 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 149 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».

* 150 Dans son rapport de préfiguration de « France Travail », Thibault Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, recommande de « reconduire un plan d'investissement massif de l'État sur la formation aux côtés des régions, avec une contractualisation priorisant l'insertion des publics éloignés de l'emploi », en maintenant un effort de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an ».

* 151 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 152 Réponses de l'Alliance Ville emploi au questionnaire de la délégation.

* 153 Ibid.

* 154 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 155 Réponses de la CGT au questionnaire de la délégation.

* 156 Dossier de presse du Gouvernement pour la présentation du « Plan de réduction des tensions de recrutement, phase 2 », 14 octobre 2022.

* 157 Baromètre Territorial 2021 IFOP sur l'évolution professionnelle, août 2021.

* 158 « Baromètre de la formation professionnelle » Lefebvre Dalloz, 2023.

* 159 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 160 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 161 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 162 L'accès à la certification professionnelle tout au long de l'année est un aspect qui a notamment été soulevé par les Acteurs de la compétence dans leurs réponses à la délégation.

* 163 Audition de Catherine Seiler par la délégation.

* 164 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.

* 165 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 166 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».

* 167 Selon le rapport d'évaluation de la loi « Avenir professionnel » par l'Assemblée nationale, présenté le 19 janvier 2022 (cité infra), « l'OPCO 2i disposait avant la réforme d'une capacité de 100 millions d'euros pour les entreprises de moins de 50 salariés et ne reçoit désormais de France compétences qu'une enveloppe de 30 à 35 millions d'euros. Dans le même temps, l'industrie se retrouve première contributrice du développement des compétences de l'ensemble des salariés des autres branches avec une collecte de près de 80 millions d'euros ».

* 168 Accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 169 Réponses de la CGT et de la CFE-CGC aux questionnaires de la délégation.

* 170 Audition de l'OPCO EP.

* 171 « Baromètre de la formation professionnelle » Lefebvre Dalloz, 2023.

* 172 « Le compte personnel de formation », fiche de France compétences, 17 février 2023.

* 173 Dossier « Quels sont les usages du compte personnel de formation ? », DARES, février 2023.

* 174 Réponses de l'U2P au questionnaire de la délégation.

* 175 Sondage OpinionWay pour CCI France, La Tribune, LCI, juin 2023.

* 176 « La formation en alternance : une voie en plein essor, un financement à définir », rapport public thématique de la Cour des comptes, juin 2022.

* 177 « Le compte personnel de formation », fiche de France compétences, 17 février 2023.

* 178 Rapport d'information de l'Assemblée nationale au nom de la commission des affaires sociales, sur l'évaluation de la loi n°2028-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, présenté le 19 janvier 2022 par Mme Catherine Fabre et M. Gérard Cherpion, M. Sylvain Maillard et M. Joël Aviragnet, Mme Carole Grandjean et Mme Michèle De Vaucouleurs.

* 179 Accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 180 Accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 181 Réponses de la CGT au questionnaire de la délégation.

* 182 C'est-à-dire des montants financés par fonds propres de l'entreprise, ne relevant pas de fonds mutualisés ou d'autres sources de financement, et dépassant la seule contribution obligatoire à la formation des salariés.

* 183 Accord national interprofessionnel du 14 octobre 2021 relatif aux nouveaux enjeux de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

* 184 Centre Européen de Formation, enquête IFOP « Désir de mobilité et formation à distance chez les actifs », 2023.

* 185 Sondage IFOP pour Hopscotch « Les Français et la mobilité professionnelle, vague 2 », mars 2018.

* 186 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 187 Note d'études de France compétences, « L'offre publique d'accompagnement à l'épreuve des reconversions professionnelles », février 2022.

* 188 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 189 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 190 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 191 Rapport final à France compétences, « Géographie du recours au conseil en évolution professionnelle par les actifs occupés », janvier 2022.

* 192 France compétences, « 3 ans de mise en oeuvre du Conseil en évolution professionnelle pour les salariés et les travailleurs indépendants 2020-2022 ».

* 193 Réponses de la CGT au questionnaire la délégation.

* 194 Réponses de FO au questionnaire de la délégation.

* 195 Rapport final à France compétences, « Géographie du recours au conseil en évolution professionnelle par les actifs occupés », janvier 2022.

* 196 France compétences, « Les enseignements du marché « CEP actifs occupés » 2020-2023 », janvier 2023.

* 197 Interview de Geoffroy Roux de Bézieux dans Les Échos, paru le 11 octobre 2022.

* 198 Rapport n° 61 (2022-2023) de Mme Frédérique Puissat et M. Olivier Henno, déposé le 19 octobre 2022, relatif au projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

* 199 Rapport n° 61 (2022-2023) de Mme Frédérique Puissat et M. Olivier Henno, déposé le 19 octobre 2022, relatif au projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

* 200 Ibid.

* 201 « De la VAE 2002 à la REVA 2020 - Libérer la VAE, reconnaître l'expérience tout au long de la vie », rapport de Claire Khecha, David Rivoire et Yani Soubien à la demande du Gouvernement, 15 mars 2022.

* 202 Décret n°2023-408 du 26 mai 2023 relatif à l'expérimentation permettant la conclusion de contrats de professionnalisation associant des actions de validation des acquis de l'expérience.

* 203 Communiqué de presse du Gouvernement du 15 mars 2022 « Validation des Acquis de l'Expérience (VAE) : remise du rapport Rivoire et lancement de nouvelles expérimentations de parcours simplifiés ».

* 204 Réponses de la CGT et de la CFE-CGC aux questionnaires de la délégation.

* 205 Instruction du 7 septembre 2021 relative à la mobilisation du FNE-Formation et de la pro-A pour financer les parcours de formation des salariés, ministère du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion.

* 206 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

* 207 Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation.

* 208 Réponses de FO au questionnaire de la délégation.

* 209 https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_transitions_collectives_11012021.pdf

* 210 https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45279

* 211 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

* 212 Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation.

* 213 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 214 Réponses du METI au questionnaire de la délégation.

* 215 Réponses du CNI au questionnaire de la délégation.

* 216 Réponses de l'Université des métiers du nucléaire au questionnaire de la délégation.

* 217 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 218 Réponses de la CGT au questionnaire de la délégation.

* 219 Réponses du CEREQ au questionnaire de la délégation.

* 220 Réponses de l'OPCO EP au questionnaire de la délégation.

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