EXAMEN EN DÉLÉGATION

29 juin 2023

M. Serge Babary, président. - Chers collègues, je suis heureux que nous nous retrouvions aujourd'hui pour la dernière réunion plénière de cette session parlementaire et de cette législature.

L'ordre du jour de cette réunion appelle l'examen du rapport de nos collègues Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet sur le thème « Formation, compétences, attractivité ».

Je souhaite rappeler en préambule que c'est là un thème très important pour notre délégation. Nous avions déjà adopté et publié en 2020 un rapport alarmant intitulé « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises ».

Mais nous avons tous pu constater, dans nos circonscriptions et surtout lors des déplacements de notre délégation, que le problème ne faiblit pas, et au contraire, semble s'aggraver. Il faut dire que peu de choses ont été faites par le gouvernement à ce sujet depuis la loi Avenir professionnel de 2018, qui s'était concentrée sur l'apprentissage et sur le compte personnel de formation. Nombre des recommandations que nous avions formulées en 2020 restent tout à fait d'actualité.

C'est pour cela que nous avions souhaité lancer un nouveau rapport d'information sur ce sujet, pour réaliser un nouveau diagnostic et surtout formuler une nouvelle fois des propositions de solutions concrètes.

Le moment est propice. Nous avons pu noter la grande mobilisation des partenaires sociaux, qui ont proposé récemment des avancées importantes sur le thème du partage de la valeur ou de l'organisation du travail. Le sujet des compétences commence à être saisi par le gouvernement, qui a proposé plusieurs réformes. Le Sénat examinera d'ici quelques jours le projet de loi Plein emploi, dont notre collègue Pascale Gruny est rapporteure, qui comprend notamment la refonte du service public de l'emploi. Une réforme des lycées professionnels a aussi été annoncée pour la rentrée prochaine. Mais l'action du gouvernement reste embryonnaire par rapport à l'étendue des sujets.

Il me semble donc que le travail de nos collègues va nourrir utilement la réflexion du Sénat, mais aussi du gouvernement, sur ces sujets, et ouvrir de nouvelles perspectives.

D'ailleurs, la ministre Grandjean nous a d'ores et déjà proposé d'échanger avec les rapporteurs de notre délégation autour des propositions de leur rapport : je me félicite que la délégation aux Entreprises joue ainsi son rôle de relais et d'alerte sur les préoccupations et les difficultés des entreprises.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons intitulé notre rapport « Former pour aujourd'hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société ».

Il a été beaucoup question, au cours des derniers mois et années, des multiples « crises » qui ont frappé la France : crise sanitaire, crise économique, crise de l'énergie, crise environnementale... Mais il y a une crise qui fait moins de bruit, et qui devrait pourtant nous alarmer tout autant : c'est la crise des compétences.

Nous avons pu constater, lors de tous nos déplacements sur le terrain, à quel point ce sujet est systématiquement cité par les chefs d'entreprise parmi leurs préoccupations premières. Pourtant, dans le débat public, et même, dans l'agenda législatif, il est inexplicablement peu présent.

Nous avons donc abordé le sujet de notre rapport par trois mots clefs : formation, compétences et attractivité. Ces trois approches sont complémentaires. Les compétences sont la clef pour les entreprises qui recrutent, mais elles doivent s'appuyer sur des écoles, des universités, une formation continue qui fonctionne. La formation permet d'acquérir les compétences manquantes, mais elle n'est pas la réponse unique aux difficultés de recrutement : encore faut-il savoir à quoi l'on forme, pour demain, dans une société en évolution rapide. Enfin, lorsque les compétences sont rares, l'attractivité des emplois et des entreprises est le facteur différenciant pour assurer que les talents aient envie de répondre aux offres d'emploi.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Depuis le début de nos travaux en février dernier, des évolutions notables sont intervenues : pour n'en citer que deux, le gouvernement a annoncé la refonte du service public de l'emploi, avec la création de France Travail, et une nouvelle réforme du lycée professionnel est attendue à la rentrée prochaine.

Ces annonces tranchent avec le relatif silence du gouvernement sur le sujet des compétences depuis près de cinq ans. Aucune évolution majeure n'était intervenue depuis 2018 et la loi Avenir professionnel qui avait refondu l'apprentissage et la formation continue. La période du Covid-19, le plan de relance et le plan d'investissement dans les compétences avaient certes permis de mieux financer la formation, mais le résultat n'est pas au rendez-vous : les difficultés de recrutement des entreprises s'accentuent.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Nous avons mené une trentaine d'auditions au cours des derniers mois, d'entreprises bien sûr et des fédérations qui les représentent, mais aussi des administrations, des acteurs de la formation initiale comme continue, des collectivités territoriales, des experts et des économistes. Nous avons pu nous appuyer sur les témoignages recueillis lors de nos déplacements au sein d'entreprises et d'organismes de formation dans le Cher, en Vendée, dans un lycée professionnel et dans un centre de formation d'apprentis (CFA) participant à un Campus des métiers et des qualifications.

Nous avons d'ailleurs pu constater le nombre important d'acteurs différents qui interviennent sur les questions de compétences et de formation, et la difficile coordination des efforts pour « tirer dans le même sens ». Souvent, nous avons eu l'impression d'une communication difficile entre administration, établissements et entreprises, alors que ce dialogue est primordial pour relever le défi des compétences.

À la fin de nos travaux, nous vous présentons trente propositions, dont quinze que nous souhaitons particulièrement mettre en relief.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - D'abord, il nous faut dire d'entrée que le constat est aujourd'hui inquiétant et justifie une action d'urgence.

Les tensions de recrutement ont atteint un niveau inédit depuis plus de vingt ans. 67 % des entreprises, soit plus des deux tiers, peinent à recruter, et ce, dans l'ensemble des secteurs de l'économie.

Le nombre de métiers en tension augmente fortement et rapidement : alors que 50 métiers sur 186 métiers étudiés étaient tendus en 2015, ils sont aujourd'hui 119. De nouveaux métiers sont touchés, mais les métiers qui étaient en tension il y a dix ans le sont toujours aujourd'hui : on ne sait pas régler ce problème. Les difficultés n'ont pas été enrayées par les initiatives gouvernementales, comme les deux plans de réduction des tensions de recrutement, ni même par la pandémie de Covid-19.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Il faut prendre la mesure de ce que ces difficultés persistantes signifient. D'abord, cette pénurie de main-d'oeuvre touche des activités essentielles à la vie de la Nation : les métiers du soin, de l'industrie, du bâtiment, ou encore du secteur des transports. Il y a là une dimension de souveraineté.

Ensuite, c'est aussi un enjeu social, puisque la France est encore bien loin du plein emploi. Chaque emploi vacant est une opportunité manquée d'insertion professionnelle, alors que l'on compte cette année encore 3 millions de demandeurs d'emploi et que 13 % des jeunes Français ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi.

Enfin, les entreprises nous ont dit l'impact économique de ces tensions pour leur activité. Pour 59 % des entreprises interrogées, c'est l'un des problèmes principaux qu'elles rencontrent. Pire, un quart des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) indiquent que la difficulté à recruter a un impact majeur sur leur chiffre d'affaires : c'est énorme. Nous savons l'importance de consolider et de faire croître notre tissu de PME et très petites entreprises (TPE) : mais il n'y aura pas de croissance sans compétences, c'est une certitude.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Au-delà des difficultés actuelles, auxquelles il faut apporter une réponse urgente, il faut aussi préparer l'avenir.

Nous savons que notre pays aborde trois grandes transitions qui vont bouleverser notre société et notre économie.

D'abord, la transition démographique. Près d'un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2035, générant un boom de la silver economy. 370 000 emplois d'accompagnement, de soin, de loisirs seront créés d'ici là. Mais en parallèle, la population active diminuera, ce qui accentuera les tensions sur les compétences. Il faudra s'assurer que l'offre de formation se maintiendra sur le territoire et que les entreprises puissent trouver les talents dont elles auront besoin.

Ensuite, la transition numérique, avec là aussi, une croissance des besoins en emploi de l'ordre de 25 % d'ici 2030. Notre délégation a travaillé sur le besoin de cybersécurité ; mais il y a aussi l'industrie 4.0, l'analyse des données, etc. L'irruption de ChatGPT dans l'entreprise, et plus généralement l'automatisation et l'intelligence artificielle, promettent aussi des bouleversements profonds.

La transition environnementale enfin : des filières entières se structurent et se développent, comme la dépollution, la rénovation énergétique ou les énergies renouvelables, tandis que d'autres vont connaître une importante mutation, comme l'automobile et l'aéronautique. Cela fera appel à des compétences nouvelles que le système de formation devra intégrer, mais engendrera aussi de nombreuses reconversions qu'il faudra accompagner.

Ce constat nous amène à la conclusion suivante : il faut agir rapidement, pour répondre dès aujourd'hui aux difficultés des entreprises, mais surtout préparer l'avenir. Les compétences ne se forment pas en un jour, mais en vingt ans, parfois trente. Pour contrer cette inertie et anticiper, il faut une action résolue de l'État en ce moment charnière. Les compétences sont le socle de notre économie et de notre société.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nos principales propositions s'organisent autour de trois axes.

Le premier axe concerne l'impératif de l'attractivité.

Dans un contexte de tensions, il faut aider et accompagner les entreprises à valoriser leur activité et les emplois qu'elles offrent. L'objectif est triple : revaloriser les métiers qui souffrent d'une crise d'attractivité, mieux communiquer sur les opportunités, et fidéliser les salariés en poste.

Notons au passage que la « grande démission » reste, en France, au stade du mythe. Mais il est vrai que certaines considérations ont pris de l'importance à l'aune de la crise sanitaire, notamment la mobilité professionnelle et l'organisation du travail : les derniers travaux des branches montrent que cela est de plus en plus intégré par les partenaires sociaux.

Le premier levier que nous identifions est celui de l'information, de la communication, de la promotion.

À l'école, nous souhaitons que la connaissance des métiers devienne un objectif à part entière de l'enseignement, dès le collège. L'information des élèves au sujet des métiers et de l'entreprise est encore trop rare et trop contingente. Nous proposons donc un temps dédié dans le cursus scolaire, en classe de cinquième et en classe de seconde générale, qui pourrait être adapté aux spécificités du tissu économique local. Pour faciliter les immersions en entreprise des élèves, une plateforme de bourse aux stages régionale doit être mise en place en s'appuyant sur les compétences de la région.

L'information des élèves et de leurs familles aux périodes charnières de l'orientation reste un vrai angle mort. Il faut afficher de manière transparente des éléments de comparaison entre filières de formation initiale, quant à la rémunération, l'insertion, les débouchés, pour éviter les erreurs de parcours et les désillusions.

Nous souhaitons que les enseignants soient davantage formés au monde professionnel et aux métiers, ce dès le début et tout au long de leur carrière. Il faut aussi améliorer la visibilité des interlocuteurs chargés de la relation aux entreprises au sein des établissements pour resserrer les liens et améliorer le dialogue. Nous avons entendu que dans certains cas, l'accès d'entreprises souhaitant présenter leur activité et leurs métiers au sein des lycées et collèges est refusé : c'est incompréhensible et inacceptable !

Du côté de l'entreprise, nous appelons à mieux valoriser le sens des métiers proposés et l'engagement sociétal des entreprises, en développant la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), notamment dans les PME. C'est un vrai levier d'attractivité et de « ré-enchantement » de l'entreprise pour les jeunes. Il faut aussi soutenir l'effort de ressources humaines des petites entreprises dans le recrutement, pour construire une « marque employeur » et mieux communiquer. Enfin, les branches ont un important rôle à jouer dans la promotion des métiers.

Le second levier que nous identifions consiste à accompagner l'évolution des emplois, au regard des nouvelles attentes des Français.

Il faut promouvoir l'intégration des nouveaux modes de management et d'organisation du travail, en fonction des spécificités de l'entreprise et de son activité. Il faut aussi poursuivre la prise en compte de la qualité de vie au travail, pour lesquels les branches professionnelles sont très actives. Enfin, nous appelons à développer le partage de la valeur au sein de l'entreprise, en cohérence avec l'accord national interprofessionnel de février 2023. Nous demandons une simplification de ces dispositifs de partage de la valeur : la confédération des PME (CPME) nous a confirmé lors de notre audition plénière à ce sujet qu'ils restaient encore bien trop lourds.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Le deuxième axe de notre rapport appelle à poursuivre la rénovation de la formation initiale et de l'alternance, pour allier insertion facilitée vers l'emploi et socle de compétences solide.

Nous faisons le constat d'un système de formation initiale qui pâtit toujours des mêmes faiblesses, pourtant soulignées depuis de nombreuses années.

Tout d'abord, la dégradation croissante de la maîtrise du socle de compétences, surtout en matière scientifique, est inquiétante. Nous sommes parmi les mauvais élèves de l'OCDE. Seuls 59 % des élèves de lycée suivaient en 2022 un enseignement de mathématiques.

La féminisation des filières et des carrières scientifiques est toujours insuffisante ; tandis que le déséquilibre est inverse dans les professions du soin et de l'aide aux personnes. C'est un gisement de compétences inutilisé, et une source d'inégalités.

Concernant l'offre de formation initiale elle-même, les procédures d'évolution de l'offre restent trop longues et trop rigides. La validation des nouvelles formations par France compétences prend énormément de temps, alors que l'enjeu de l'adaptation aux transitions et aux métiers de demain relève de l'urgence.

Enfin, il faut prendre garde au maillage sectoriel et territorial des formations initiales, car nous avons entendu que certains territoires étaient à la limite de la « désertification ».

Sur ces quatre points, nous formulons des propositions pour renforcer le socle de compétences et assurer l'agilité de notre système de formation initiale.

Nous avons aussi souhaité réaliser deux « focus » spécifiques : l'un sur l'apprentissage, l'autre sur les lycées professionnels.

Concernant l'apprentissage, qui avait été rénové en 2018, nous notons qu'il s'agit d'un succès dans les chiffres et dans les têtes. Les entreprises le plébiscitent et les jeunes désormais aussi. Mais il reste selon nous deux défis de taille.

Le premier est le développement de l'apprentissage dans les formations à niveau de qualification baccalauréat ou infra-bac, car c'est là que la formation a le plus fort impact et là que se trouvent les métiers porteurs.

Le deuxième défi est celui du financement. La loi Avenir professionnel a fait les choses à moitié sur ce point. Comme l'apprentissage consomme une part de plus en plus grande du pot commun de France compétences, on rogne sur les autres postes de dépenses, comme le financement de la formation en entreprise ; et les budgets sont déficitaires de manière chronique. Depuis 2020, France compétences a dû bénéficier de 14 milliards d'euros de rallonges de l'État et s'est fortement endettée ! Ce n'est pas tenable et cela met en péril la dynamique de l'apprentissage. En effet, la tentation est grande d'accroître les prélèvements fiscaux sur les entreprises ou de réduire la prise en charge de l'apprentissage. Nous pensons que si l'État veut réellement faire de l'apprentissage une voie importante de formation initiale, il doit contribuer à son financement - et pas seulement les entreprises. Nous recommandons donc, à court terme, et en l'attente d'une solution plus globale, de maintenir l'aide à l'embauche d'apprentis, de veiller à maintenir des niveaux de prise en charge soutenables pour les CFA, et de garantir le financement de France compétences.

Le gouvernement a annoncé, au cours de nos travaux, une réforme de la voie professionnelle. Ce n'est pas la première, mais le lycée professionnel souffre encore d'une image très dégradée, bien qu'il accueille un lycéen sur trois en France !

Il est considéré comme insuffisamment attirant, insérant et professionnalisant. Cela est confirmé par les chiffres. Seule la moitié des diplômés de CAP trouve un emploi au cours des deux années suivant la fin de leur formation. Les chefs d'entreprise nous ont dit souvent devoir « re-former » les jeunes diplômés sur des compétences de base. 61 % du « décrochage » des jeunes en France intervient au sein des lycées professionnels. C'est donc un enjeu majeur, surtout qu'une grande partie des métiers en tension relève de la voie professionnelle !

La réforme du lycée professionnel devra donc faire ses preuves. Nous appelons à faire de l'orientation une priorité, pour passer des parcours subis à des parcours choisis. Il nous semble qu'il faut aussi développer les dispositifs de spécialisation concrète au sein des lycées, comme les colorations qui permettent d'adapter un diplôme général à un métier ou secteur particulier, ou bien les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL) qui, en partenariat avec les collectivités, donnent un « petit plus » de formation adaptée au tissu économique local. Évidemment, nous souhaitons que les lycées soient incités à dialoguer davantage avec les entreprises, pour faciliter l'insertion des élèves et aussi l'évolution des formations. Il faut que les établissements s'organisent pour cela, et nous recommandons que des indicateurs de suivi soient définis en la matière. Enfin, nous recommandons qu'un suivi par Pôle Emploi des jeunes diplômés soit mis en place pendant deux ans après leurs études, pour assurer leur bonne insertion et les accompagner vers l'emploi.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le troisième et dernier axe de notre rapport concerne la formation continue.

La formation initiale ne fait pas tout : la formation continue est un réel levier, à la fois pour le retour vers l'emploi des personnes éloignées du monde du travail ou peu qualifiées ; et pour l'évolution professionnelle des personnes déjà en poste.

Nous avons évoqué tout à l'heure une inquiétante spécificité française : nous comptons toujours aujourd'hui trois millions de chômeurs, mais les entreprises ne parviennent pas à recruter. Cela suggère que nous pouvons, et devons, faire mieux en matière d'accompagnement et de formation des demandeurs d'emploi, surtout pour les personnes les plus éloignées de l'emploi.

Les freins restent nombreux. On peut citer le manque d'accompagnement, car il ne suffit pas de former au métier, il faut souvent accompagner dans les démarches administratives et de recrutement. L'offre de formation reste pour beaucoup de personnes complexe, peu lisible, et parfois inadaptée aux besoins. L'insuffisance du socle de compétences, dont nous avons déjà parlé, limite aussi l'accès aux formations plus qualifiantes. Enfin, nous avons beaucoup évoqué lors des auditions les freins périphériques à l'entrée en formation : manque de mobilité géographique, difficultés de logement, de garde d'enfant, coûts indirects...

Depuis le début de nos travaux, le gouvernement a annoncé la refonte du service public de l'emploi au sein de France Travail, et le lancement d'un second plan d'investissement dans les compétences. Nous appelons, dans le cadre de ces réformes à prendre en compte quatre aspects essentiels.

D'abord, il faut soutenir les démarches visant à aller vers les demandeurs d'emploi, pour les amener vers la formation ; et les logiques dites sans couture, c'est-à-dire de prise en charge continue, sans rupture de parcours.

L'offre de formation concernant le socle de compétences, mais aussi les savoir-être, doit être renforcée : c'est un préalable absolument nécessaire à toute action ultérieure de formation qualifiante. C'est un prérequis dans la société comme dans l'entreprise.

Nous souhaitons que l'orientation et l'accompagnement des demandeurs d'emploi comprennent une sensibilisation aux opportunités offertes par les métiers en tension, afin d'améliorer l'information sur ces métiers et d'inciter les personnes en recherche de travail à s'orienter vers ceux-ci.

Enfin, les régions et les acteurs locaux du service public de l'emploi (les missions locales notamment) devront être pleinement associés à la gouvernance du futur France Travail. Il serait très dommageable de recentraliser la compétence, alors qu'on sait que l'échelon de proximité est absolument indispensable pour un accompagnement de qualité.

Concernant ensuite la formation continue, la réforme de 2018 n'a pas atteint tous ses objectifs.

Certes, la création du compte personnel de formation (CPF), financé en grande partie par les entreprises rappelons le, a permis d'améliorer l'accès quantitatif à la formation. Mais la réforme n'a pas garanti l'efficacité des actions de formation, qui apparaissent parfois très peu professionnalisantes. Nous appelons à une plus grande co-construction des projets de formation, afin que l'investissement en vaille la chandelle pour le salarié comme pour les entreprises.

Par exemple, l'abondement ciblé du CPF serait une bonne incitation à s'orienter vers des formations réellement professionnalisantes. Il peut être apporté par l'entreprise, mais pourrait aussi être apporté par l'État, par exemple pour des formations en faveur des métiers en tension.

Nous proposons aussi, lorsque l'entreprise finance une formation, de recourir davantage à la clause de dédit-formation, qui assure que le salarié rembourse une partie des frais supplémentaires de formation engagés par l'entreprise s'il la quitte peu de temps après.

Enfin, nous appelons à ce que les plans de développement des compétences (PDC) soient davantage utilisés, notamment dans les petites entreprises. Il est impératif à ce titre de sécuriser leur financement par les fonds mutualisés, qui sont aujourd'hui en péril au vu du manque de moyens de France compétences. Je précise que les opérateurs de compétences (OPCO) ont été informés par l'État en 2023 du budget de formation dont ils disposent pour 2022... Comment avoir une approche stratégique et globale dans ces conditions ?

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons enfin souhaité faire ressortir l'enjeu des transitions professionnelles, qui est l'angle mort des dernières réformes.

44 % des actifs français interrogés aujourd'hui souhaitent entamer une reconversion, dont 22 % en changeant de secteur et 25 % en changeant de métier. L'allongement prévu des carrières consécutif à la réforme des retraites met en question l'évolution professionnelle des seniors. Les mutations économiques pourraient aussi rendre plus fréquentes les reconversions, entre secteurs en déclin et secteurs porteurs.

Mais les dispositifs existants de conseil et d'orientation en vue des transitions professionnelles sont trop superficiels, méconnus et trop complexes à mettre en oeuvre. Nous pensons notamment au conseil en évolution professionnelle (CEP), encore trop confidentiel et de qualité disparate, ou encore à la validation des acquis de l'expérience (VAE), qui est de moins en moins utilisée.

Il nous paraît indispensable de s'atteler dès aujourd'hui à mettre en place les outils pour accompagner ces transitions professionnelles et ces reconversions, qui vont se multiplier.

Nous recommandons notamment de simplifier la validation des acquis de l'expérience (VAE), qui est un outil puissant de qualification en cours de vie professionnelle ; de faire évoluer les outils de reconversion par l'alternance ou dans le cadre de l'emploi, comme la « Pro-A » ou les « Transitions collectives », pour qu'ils puissent être plus largement utilisés ; en lien avec l'évolution de l'emploi des seniors, de prévoir un bilan de compétences pour chaque salarié l'année de ses 45 ans, afin d'anticiper les fins de carrière et les souhaits de reconversion ; ou encore de faciliter la transmission des compétences au sein de l'entreprise, par exemple en mettant en place des incitations pour les salariés formateurs qui accepteraient de « mentorer » ou de former des jeunes intégrant l'entreprise.

Voilà les constats et propositions que nous vous soumettons aujourd'hui. Nous souhaitons interpeller le gouvernement sur le sujet critique que sont les compétences, enjeu de croissance et de société, et demander des actions urgentes. Il nous semble que le Sénat devra porter cette voix, et relayer les inquiétudes des entreprises, dans le cadre des réformes importantes à venir.

M. Serge Babary, président. - Merci pour ce travail excellent. Le président du Sénat Gérard Larcher a récemment félicité la délégation pour l'ensemble de ses travaux et le document que vous venez de nous présenter en est un exemple.

Mme Annick Billon. - Je partage vos constats et vos recommandations.

Je pense que l'orientation est au coeur des problèmes aujourd'hui. Ce sujet n'est pas traité dans le parcours des élèves et des étudiants et on ne leur ouvre pas suffisamment les portes. Pour avoir une orientation éclairée et se diriger vers des métiers d'avenir, il faut en effet disposer de conseils et aller à la rencontre de professionnels : les algorithmes de Parcoursup ne peuvent pas pallier ces difficultés d'orientation. Les professeurs et les acteurs de l'orientation au sein du système de l'éducation nationale ne sont majoritairement pas formés à cette orientation, laquelle se fait en dehors des métiers d'avenir et avec des stéréotypes (de genre notamment).

Il faut donc travailler sur l'orientation, mais également sur la mobilité et le logement qui restent un frein à l'embauche aujourd'hui.

Il conviendrait par ailleurs de mettre fin au fonctionnement en silo et de se demander de quels métiers nous avons besoin dans tel ou tel territoire. Tous les acteurs de la formation professionnelle doivent se mettre autour de la table.

Il me paraîtrait intéressant que votre travail soit communiqué à nos établissements en région.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Je suis l'une des rares à défendre Parcoursup au sein du Sénat, car il donne aujourd'hui des informations qui n'étaient pas accessibles aux jeunes auparavant, même s'il est évidemment nécessaire de travailler sur l'orientation en amont.

Mme Annick Billon. - Certes, Parcoursup s'est amélioré, mais ce dispositif mérite d'être clarifié, car aujourd'hui, les lycéens n'ont pas les mêmes opportunités selon le lycée duquel ils sortent.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Cela relève du processus de sélection mis en place par les établissements et pas de Parcoursup. Je suis cependant d'accord sur le problème existant quant à l'orientation des élèves en amont dès le lycée. Nombre de familles ont recours à des entreprises privées pour faire réaliser des bilans de compétences pour leurs enfants, ce qui illustre l'existence d'un défaut du système d'orientation publique.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons souligné la nécessité d'une plus grande réactivité pour mettre en place les formations nouvelles dont les entreprises ont besoin dans le cadre de la transition environnementale. J'ajoute que les temps de découverte des différents métiers dispensés aux élèves doivent comporter une dimension territoriale, afin que ceux-ci connaissent mieux le tissu économique local.

M. Serge Babary, président. - Passons à l'adoption de ce rapport, qui portera le titre « Former pour aujourd'hui et pour demain : les compétences, enjeu de croissance et de société ».

Il n'y a pas d'opposition pour l'adoption et la publication de ce rapport ?

Le rapport est adopté et sa publication est autorisée.

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