INTRODUCTION

Quoi de commun entre le camp romain, le phalanstère de Charles Fourier, ou encore la ville indienne de Chandigarh, imaginée par Le Corbusier ? La volonté d'échapper au territoire, aux contingences du lieu, pour appliquer un mode d'organisation idéal de l'espace, orienté vers l'efficacité. Avec le développement du numérique, de la dématérialisation, on pourrait encore croire que les questions de territoire sont obsolètes, dépassées, et que la technique peut dompter les contraintes. Après tout n'a-t-on pas été capable de canaliser des fleuves, d'araser des montagnes, de construire des tunnels sous les mers. L'espace n'est-il pas fait pour se soumettre à nos besoins, voire à nos caprices ?

Le réchauffement climatique, l'épuisement des ressources naturelles, nous incitent cependant à devenir modestes, à défaut d'être vraiment frugaux. L'impératif d'harmonie avec la nature se renforce. Nous sommes invités à mieux organiser le territoire pour le rendre plus vivable. L'espace qui nous entoure est aussi lieu de vie et pas seulement lieu fonctionnel à asservir. Nous sommes de nouveau incités à aménager le territoire, à mettre en oeuvre le partage des espaces entre ses différents utilisateurs et à fixer des règles collectives pour lutter contre les déséquilibres territoriaux.

Il y a une décennie, le Commissariat général à l'aménagement du territoire (CGET) avait conduit un exercice de prospective intitulé « Territoires 2040 ». Se lancer dans une vaste prospective territoriale constitue un défi de taille. Comme l'indiquait le géographe Martin Vanier dans un article de 2015 analysant les différents scénarios prospectifs de « Territoires 2040 », « le temps de l'État comme grand timonier de l'anticipation est révolu, le futur s'est démocratisé, pluralisé, territorialisé, actorisé si l'on peut dire (sinon dé-technocratisé) »1(*). Il existe en effet une multitude de futurs possibles pour l'occupation de l'espace français, à l'horizon d'un peu plus d'une génération, que l'on fixera à 2050.

Les tendances à l'oeuvre peuvent être contrecarrées ou à l'inverse encouragées par les politiques nationales, mais les stratégies locales peuvent aussi avoir une influence considérable sur les choix d'habitat ou encore de localisation des activités. Les attentes de nos concitoyens peuvent varier dans le temps et les technologies disponibles connaître des ruptures, des accélérations spectaculaires, faisant infléchir le cours des aménagements des différents territoires.

Que l'on regarde les paysages (géographie physique), ou la sociologie (géographie humaine), la France est extrêmement variée, avec de multiples réalités qui s'entremêlent. Le présent rapport vise à porter, avec la nécessaire prudence qui s'impose en cette matière, une vision de ce que pourrait être le futur souhaitable de l'occupation de notre territoire.

L'aménagement du territoire navigue aujourd'hui entre plusieurs conceptions. La première, que l'on pourrait qualifier de « libérale », tend à considérer que c'est aux acteurs privés, par leurs choix d'implantation d'orienter l'aménagement du territoire, les collectivités devant se contenter de créer partout des conditions favorables à l'activité économique. La seconde conception, beaucoup plus dirigiste, confie à la puissance publique le soin de décider des implantations, et correspond plutôt à une pratique qui était celle de la reconstruction du pays après la seconde guerre mondiale. La bonne approche consisterait finalement en l'affirmation d'une volonté politique d'aménagement qui vise à répondre aux aspirations des acteurs des territoires, habitants comme acteurs économiques, tout en prenant correctement en compte les contraintes fortes auxquelles nous sommes désormais soumis, notamment les contraintes environnementales. Celles-ci conduisent à repenser totalement la manière d'occuper l'espace, à chercher à verdir nos villes, à réduire les consommations de ressources, à densifier pour moins consommer d'espace ou encore à réduire notre empreinte carbone.


* 1 28 scénarios de prospective territoriale pour la France : relecture transversale, par Martin Vanier, dans L'Information géographique 2015/2 (Vol. 79).