B. LES RESPONSABILITÉS DE L'ADMINISTRATION : UN CONTRÔLE LACUNAIRE DE L'EXÉCUTION DES PROJETS DES ASSOCIATIONS

1. Des moyens de contrôle insuffisants

Une procédure de contrôle est prévue pour l'ensemble des associations subventionnées par le CIPDR, qui est détaillée dans un logigramme. Ce logigramme a été mis en place en 2017, et il a été révisé en 2018 et en 2019.

Suivi et contrôle d'un projet dans le logigramme du SG-CIPDR

Porteur de projet

8. Réalisation de l'action

8.1. Commence à réaliser l'action. Transmet au SG-CIPDR l'état d'avancement de son action à travers l'envoi de pièces justificatives (attestations sur l'honneur accompagnées de l'état récapitulatif des dépenses) pour versements des acomptes et soldes. L'action peut faire l'objet de points d'étape /de situation avec le porteur de projet.

Chargé de mission « métiers »

8. Réalisation de l'action

8.2. Réceptionne les éléments relatifs à l'exécution de l'action (qualitatifs, quantitatifs, ...) ainsi que les demandes de versement d'acomptes (attestations). Les instruit en appliquant le plan de contrôle interne - réclame et réceptionne les pièces utiles au contrôle préalable au paiement. Puis transmet à la cellule financière les éléments financiers (attestation sur l'honneur accompagnée de l'état récapitulatif des dépenses) signés du porteur de projet pour versement des acomptes. Peut également s'appuyer sur le contrôleur interne financier pour l'analyse des documents financiers.

9. Contrôle de l'action

9.1 Réceptionne dans les délais prescrits par la convention : le compte rendu financier accompagné d'un compte-rendu quantitatif et qualitatif du projet; les états financiers ou, le cas échéant, les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes; et le rapport d'activité annuel. Le chargé de mission vérifie que l'action a bien été réalisée et transmet à la cellule financière ou au contrôleur interne financier pour avis sur la dimension financière de l'action.

Relance le porteur de projet en cas d'absence de compte-rendu et peut convenir, en cas d'absence manifeste et volontaire d'envoi de pièces justificatives, du déclenchement d'un contrôle sur pièces et sur place du porteur de projet financé par le FIPDR, en accord avec la SG/le SGA et le contrôleur interne financier

SG-CIPDR - Cellule financière

8. Réalisation de l'action

8.3. Procède aux versements des 2èmes acomptes et solde après validation des pièces transmises par le chargé de mission métier.

Source : extrait du logigramme du SCIPDR applicable pour l'appel à projets du fonds Marianne. Le logigramme complet se trouve en annexe du rapport

Plusieurs témoignages ont confirmé qu'il a bien été appliqué pour les projets du fonds Marianne, sous la dernière version en date, c'est-à-dire celle de 2019. En réalité, ce n'est pas tant le respect des procédures de contrôle que leur effectivité, et les moyens qui leur ont été alloués, qui ont fait défaut dans le suivi des projets des associations subventionnées par le fonds Marianne.

De plus, ce logigramme n'était pas entièrement représentatif de la procédure, puisqu'il n'intégrait pas le rôle du cabinet dans la décision d'attribution des subventions.

a) La subvention est versée en deux fois aux associations, et le deuxième versement est soumis à des conditions formelles d'engagement de la dépense

Dans le logigramme, il est fait mention du versement d'un « solde » après validation des pièces transmises par le chargé de mission métier. En effet, les projets du fonds Marianne ont tous fait l'objet d'un premier versement de 75 % de la subvention. Pour que le solde de 25 % restant de la subvention puisse être versé, il était nécessaire que 60 % du budget consacré au projet ait été consommé.

Il est utile de souligner qu'il s'agit bien de 60 % du budget total du projet, et non pas du montant de la subvention prévue. En effet, la confusion a pu être faite par des personnes auditionnées, ainsi que par des associations. Par conséquent, les cofinancements prévus du projet, que ceux-ci aient été finalement obtenus ou non, sont comptés dans ce seuil des 60 %. Dit autrement, une association qui aurait inscrit des financements autres que celui du CIPDR dans son budget prévisionnel, et qui ne parviendrait pas à les obtenir, pourrait donc se retrouver en difficulté pour atteindre le seuil de dépenses exigées.

Cette règle est inscrite dans l'ensemble des conventions. L'encadré suivant présente, à titre d'exemple, un extrait de la convention signé par l'USEPPM et le SG-CIPDR. 

Extrait de la convention attributive signée entre l'USEPPM et le SG-CIPDR

Article 4 - Modalités de versement

La subvention sera versée selon les modalités suivantes :

* 75 % dès notification de l'acte attributif soit 266 250 €,

* Puis les 25 % restants soit 88 750 €, dès production par le porteur du projet d'une attestation certifiant qu'il a engagé des dépenses à hauteur d'au moins 60 % du budget initial (soit 327 000 €) accompagné de l'état récapitulatif des dépenses à la date de l'attestation.

Lors de son audition, Jean-Pierre Laffite a précisé ce que recoupent les deux documents mentionnés, l'attestation et le récapitulatif des dépenses : « ensuite, le contrôle a lieu sur deux documents : une attestation sur l'honneur du responsable de la structure financée, qui doit indiquer qu'elle a atteint un taux de dépense du budget prévisionnel égal à au moins 60 %, ainsi qu'un tableau normalisé, que nous fournissons, récapitulant charges et produits prévisionnels et réalisés. Ces montants déclaratifs justifient le taux de 60 % du budget de départ »76(*).

Les conventions précisent également que, pour le déblocage du solde, « le SG-CIPDR peut, en outre, demander à l'Association tout autre document prouvant la réalité de l'action ».

Les conditions décrites pour obtenir le déblocage du solde de 25 % apparaissent avant tout formelles : il n'est pas indiqué dans le logigramme, les conventions ou un autre texte, que l'association doit avoir, dans le cadre du projet, répondu à des objectifs quantitatifs ou qualitatifs. En conséquence, il n'est pas clair dans quelle mesure la production de contenus contraires aux objectifs du fonds Marianne peut faire obstacle, d'un point de vue juridique, au versement du solde.

b) Un suivi était mis en oeuvre par le SG-CIPDR, mais la qualité du contrôle a diminué à partir du 2022 suite à des difficultés d'organisation interne

D'une manière générale, les conventions prévoient une obligation pour les associations de rapporter au SG-CIPDR toute modification ou retard dans le projet : « Tout au long du projet, l'association s'engage à notifier au SG-CIPDR tout cas d'inexécution, toute modification des conditions d'exécution ou de retard dans la mise en oeuvre de la présente convention, le bénéficiaire s'engage à informer le SG-CIPDR sans délai par lettre recommandée avec accusé de réception ».

Le logigramme précise ensuite que « l'action peut faire l'objet de points d'étape / de situation avec le porteur de projet ». Une réunion de suivi du fonds Marianne, qui a réuni les associations et qui était présidée par le directeur de cabinet de la ministre, s'est tenue le 14 décembre 2021. La note de bilan préparatoire à cette réunion n'a relevé aucune difficulté notable, et les témoignages reçus par la mission indiquent qu'il n'y a pas eu d'alertes durant la réunion elle-même.

Plusieurs témoignages reçus par la mission d'information indiquent également que des appels et des points d'étape en bilatéral étaient régulièrement organisés avec le SG-CIPDR, mais que le rythme de ces rendez-vous a diminué avec le départ de la chargée de mission qui s'occupait du suivi des dossiers, à la fin de l'année 2021. Le SG-CIPDR a toutefois maintenu le contact avec les associations.

Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général de l'association Fraternité générale, a ainsi déclaré en audition devant la mission d'information que : « nous avons eu un peu moins de retours qu'à l'époque de [la chargée de mission], mais nous n'avons pas senti que le CIPDR était absent. » Rudy Reichstadt, président de Conspiracy Watch, a également indiqué : « je n'aurais pas su dater spontanément le départ de la cheffe de mission, qui a sans doute correspondu à un trou d'air dans nos relations avec le CIPDR ».

Au plan interne, le SG-CIPDR a fait état de difficultés significatives suite au départ de cette chargée de mission. Ses missions de suivi du fonds Marianne auraient été réparties entre quatre agents, qui exerçaient par ailleurs d'autres fonctions, et elle n'aurait pas été remplacée avant un délai de sept mois. La qualité du contrôle aurait fortement diminué. Le SG-CIPDR a ainsi justifié que, pour au moins une association, la situation aurait conduit à resserrer le contrôle sur les aspects « administratifs » du projet, au détriment de sa dimension qualitative.

« Il est important de souligner qu'à cette époque, le SG-CIPDR traverse une période particulièrement complexe liée à la période d'intérim qui a suivi le départ de la chargée de mission responsable du suivi du fonds Marianne fin décembre 2021 (ses dossiers sont alors délégués à 4 agents, investis sur d'autres fonctions, pendant environ 7 mois), à la réorganisation de l'UCDR ainsi qu'à une crise au sein d'un autre service. »

Source : réponses au questionnaire de la mission d'information

À la fin des projets, les associations sont également tenues de remettre un certain nombre de pièces au SG-CIPDR, dont le compte rendu d'exécution financière (Cerfi) et un bilan quantitatif et qualitatif du projet. Ces pièces doivent permettre d'évaluer la réalité des actions menées, et la conformité des dépenses avec l'objet de la convention. L'ensemble des pièces demandées doivent être envoyées dans un délai de six mois après la fin prévue du projet dans la convention. Ce contrôle a posteriori est inscrit dans toutes les conventions.

Extrait d'une convention attributive signée entre le SG-CIPDR et une association

Avant toute nouvelle demande de subvention et au plus tard dans les 6 mois qui suivent la date d'achèvement qui figure à l'article 2 de la présente convention, l'Association fournit les documents ci-après :

le compte rendu financier conforme à l'arrêté du 11 octobre 2006 pris en application de l'article 10 de la loi n° 2000-231 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Ce document est accompagné d'un compte-rendu quantitatif et qualitatif du projet. Ces documents sont signés par la personne habilitée à représenter l'association, et le cas échéant, par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes ;

les états financiers ou, le cas échéant, les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes prévus par l'article L. 612-4 du code de commerce ou la référence de leur publication au Journal officiel ;

le rapport d'activité annuel.

À la date du 25 mai 2023, trois associations sur les 17 n'avaient pas encore terminé leur action, et n'avaient donc pas transmis leurs Cerfi.

c) Des contrôles sur pièces ont été menés tardivement sur les principales associations mises en cause

Le contrôle de « deuxième niveau » signifie, dans la nomenclature établie au sein du SG-CIPDR, un contrôle sur pièces, et possiblement sur place, réalisé par l'administration pour vérifier la conformité des éléments financiers de l'association. Ce contrôle est facultatif, au sens où il n'est pas réalisé systématiquement dès lors qu'une association reçoit une subvention du SG-CIPDR. Cette forme de contrôle est prévue dans toutes les conventions signées entre les associations et le SG-CIPDR. 

Procédure de contrôle de deuxième niveau

Article 8 - Contrôles de l'administration

Pendant et au terme de la présente convention, un contrôle sur pièces et sur place peut être réalisé par le SG-CIPDR. L'Association s'engage à faciliter l'accès à toutes pièces justificatives des dépenses et à tous autres documents dont la production serait jugée utile dans le cadre de ce contrôle conformément au décret du 25 juin 1934 relatif aux subventions aux sociétés privées. Le refus de leur communication entraîne la suppression de la subvention conformément à l'article 14 du décret-loi du 2 mai 1938.

Le SG-CIPDR contrôle à l'issue de la convention que la contribution financière n'excède pas le coût de la mise en oeuvre du projet. Conformément à l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, lorsque la bonne foi de l'association n'est pas mise en cause, le SG-CIPDR peut exiger le remboursement de la partie de la subvention supérieure aux coûts éligibles du projet augmentés d'un excédent raisonnable ou la déduire du montant de la nouvelle subvention en cas de renouvellement.

Source : extrait des conventions signées entre les associations et le SG-CIPDR

La conduite de contrôle sur pièces financières suppose des compétences précises, qui sont normalement dévolues au référent de contrôle interne financier. Or, le SG-CIPDR n'avait plus d'agents capables de mener un contrôle sur pièces financières pendant une partie significative de la réalisation des projets du fonds Marianne.

Jean-Pierre Laffite a ainsi expliqué, en audition devant la mission d'information que : « nous avions un agent qui, hors de ses fonctions directes, a apporté cet appui pendant des années, qui était un référent de contrôle interne financier (RCIF). Cet agent était chargé de suivre et contrôler le processus de dépense, par sondage - il serait impossible de contrôler 100 subventions par an - pour s'assurer du respect du logigramme en douze étapes par les agents internes, mais il effectuait aussi le contrôle de deuxième niveau, de la réalité des dépenses, justificatifs et factures à l'appui. »77(*)

Or, Jean-Pierre Laffite a indiqué que cet agent n'aurait plus exercé ses fonctions à partir de janvier 2022, et ainsi, entre février 2022 et septembre 2022, plus personne au SG-CIPDR ne pouvait ou n'était disponible pour mener un contrôle de ce type sur les associations subventionnées par le fonds Marianne. D'après lui, la procédure de recrutement aurait pris du temps, car les candidats étaient pour l'essentiel issus du secteur privé, et ne connaissaient pas le budget de l'État.

À l'automne 2022, à la suite de l'arrivée du nouveau référent de contrôle interne financier, l'association Civic Fab a fait l'objet d'un contrôle de « niveau 2 », c'est-à-dire d'un contrôle sur pièce. Il s'agit du seul contrôle de ce type engagé avant celui de l'USEPPM, le 17 mars 2023, et les premières révélations médiatiques sur le fonds Marianne.

Xavier Desmaison, président Civic fab, a déclaré devant la mission ne pas connaître les raisons de ce contrôle : « je n'ai pas eu vraiment d'alerte ou d'appel à ce sujet : personne ne m'a donné d'indications sur les raisons de ce contrôle. Je ne dispose pas non plus d'éléments d'information sur les résultats de ce dernier. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le CIPDR a accepté de nous verser une nouvelle subvention, ce qui laisse entendre que tout était en règle »78(*).

Jean-Pierre Laffite a donné les raisons de ce contrôle devant la mission d'information lors de son audition. Elle tire en réalité son origine d'une erreur de l'administration : le solde restant de 25 % de la subvention a été versé à l'association, alors qu'elle n'avait pas encore dépensé 60 % du budget de son projet. L'association n'était pas responsable de ce versement. Jean-Pierre Laffite précise en effet qu'il avait donné instruction de ne pas verser le solde, mais qu'une « action malencontreuse d'un agent a conduit à le verser ». À la suite de cette erreur, il a été décidé d'effectuer un contrôle de niveau 2 sur Civic Fab pour s'assurer que l'ensemble des éléments étaient en ordre. D'après l'ensemble des informations transmises à la mission d'enquête, ce contrôle n'a pas soulevé d'anomalie significative.

Si un tel contrôle peut effectivement se justifier, il est étonnant que l'association Civic Fab ait été considérée comme prioritaire pour un contrôle, alors que les actions de Reconstruire le commun et de l'USEPPM suscitaient déjà des questions sur la nature des actions menées.

L'USEPPM a finalement fait l'objet d'un contrôle sur pièces, lancé le 17 mars 2023, ainsi que Reconstruire le commun au début du mois de mai 2023. Il est possible que dans le sillage des révélations médiatiques, d'autres associations aient fait l'objet d'un contrôle de deuxième niveau récemment sans que la mission d'information en ait eu connaissance. Par ailleurs, l'IGA mène actuellement un contrôle sur l'ensemble des associations subventionnées par le fonds Marianne.

2. Un contrôle et un suivi très faibles du projet iLaïc
a) La forte diminution de la production de l'USEPPM en 2022 n'a pas fait obstacle à l'approbation d'un avenant pour prolonger le projet de l'association

La note préparatoire datée du 13 décembre 2021 rédigée par le SG-CIPDR en vue du bilan d'étape à six mois des associations subventionnées présente de manière succincte les réalisations de l'USEPPM, et ne fait pas état de difficultés significatives. Les résultats, au niveau quantitatif ou qualitatif, ne sont pas appréciés de façon positive ou négative. Une formulation, « quelques éléments de compréhension tout de même », semble suggérer que les résultats en termes de vues sont inférieurs aux espérances du SG-CIPDR, mais ce n'est pas explicite.

Extrait de la note du SG-CIPDR du 13 décembre 2021 préparatoire à la réunion du 14 décembre 2021, faisant un bilan d'étape de l'action des associations subventionnées par le fonds Marianne

Quelques éléments de compréhension tout de même :

- S'agissant des performances Twitter : baisse de la fréquentation du compte au lendemain de la campagne Samuel Paty sur Twitter car celle a reçu un écho important et par la suite les publications ont été moins commentées et relayées que les vidéos liées à cette campagne, montre que leur présence durant les périodes commémoratives d'événements importants est essentielle.

- S'agissant de la campagne Samuel Paty sur Facebook : le compte a accueilli sa première publication le 24/09. Jusqu'au 17/11, 30 publications ont été postées (8 photos et 22 vidéos). Les posts les plus performants ont été les vidéos en hommage à Samuel Paty, et ce, sur l'ensemble des indicateurs.

Lors de la réunion de suivi elle-même, le rapport de l'IGA relève que : « s'agissant de l'USEPPM, il est observé que l'association a engagé une action de communication remarquée pour la commémoration de l'assassinat de Samuel PATY, et que le démarrage est plus progressif sur les autres chantiers »79(*). Ce « démarrage plus progressif » pouvait néanmoins déjà susciter des inquiétudes sachant que, comme le remarque par ailleurs l'IGA, la convention de l'USEPPM devait arriver à son terme le 28 février 2022, soit seulement deux mois et demi après cette réunion.

D'après Mohamed Sifaoui, propos qui est corroboré par un autre témoignage, le CIPDR aurait alerté l'USEPPM à la fin de l'année 2021 que la production de certains contenus était sensible dans le cadre de l'élection présidentielle à venir : « Christian Gravel m'a appelé pour me dire de faire très attention à ne pas publier de tweet qui pourrait polluer la précampagne ou la campagne électorale »80(*). Un témoignage indique par ailleurs qu'un tweet rédigé par l'USEPPM, visant une personnalité politique, aurait fait l'objet d'une alerte par le SG-CIPDR envers l'association. Avec les éléments disponibles, il n'est pas possible d'indiquer s'il s'agit de la même discussion ou non, ni de confirmer ce témoignage.

En tout état de cause Mohamed Sifaoui a soutenu devant la mission d'information que la discussion qu'il a eue avec M. Gravel sur la campagne électorale fut l'une des raisons pour lesquelles la production de l'association avait diminué en 2022.

D'après un témoignage, le préfet Christian Gravel aurait été alerté en janvier ou en février 2022 que le projet était au point mort. Le secrétaire général aurait répondu que le projet ne devait pas s'arrêter, et qu'au contraire, il fallait continuer à produire des contenus. Le rapport de l'IGA rapporte la même information81(*). Il faut néanmoins relever que ce témoignage n'a pas été corroboré par Christian Gravel lui-même.

Le 7 février 2022, un agent du CIPDR contacte Cyril Karunagaran pour faire un premier bilan des actions menées. Un échange a eu lieu le 21 et le 24 février 2022, Cyril Karunagaran transmet au SG-CIDPR une présentation synthétique des activités de l'association. Lors d'une visioconférence du 28 février, soit la date de la fin de la convention, un agent du SG-CIPDR demande à Cyril Karunagaran d'envoyer un bilan quantitatif de l'action et un récapitulatif des dépenses engagées.

Après une relance par texto datée du 7 mars, Cyril Karunagaran a envoyé un mail le même jour avec des éléments de dépenses assez succincts, et indique qu'il n'a, à l'heure actuelle, pas davantage d'éléments quantitatifs que ceux transmis le 24 février : « concernant le bilan quantitatif, comme [personne tierce] l'expliquait durant notre visio, c'est justement grâce à la mise en place de notre phase 3 (site web) que nous allons pouvoir agréger des données « mesurables », notamment avec des outils comme Google Analytics qui permet d'obtenir des métriques poussées. Les chiffres dont nous disposons sont actuellement ceux qui ont été fournis sur notre mail précédent »82(*).

En parallèle, le 25 février, Cyril Karunagaran a envoyé par courrier recommandé une demande de report du terme de la convention, du 28 février jusqu'au 31 mai 2022. Ce courrier fait également état d'une exécution de 60 % de la subvention. Le versement du solde de 25 % n'est pas explicitement demandé à ce stade, mais il est vraisemblable que Cyril Karunagaran souhaitait signifier par-là que l'USEPPM pouvait désormais y prétendre.

Extrait du courrier recommandé de l'USEPPM daté du 25 février 2022

Le 17 mars 2022, Cyril Karunagaran a envoyé un état récapitulatif des dépenses complété, et confirme que l'USEPPM n'ayant pas atteint le seuil de 60 % de l'état prévisionnel des dépenses, l'association ne peut pas bénéficier du solde de 25 % de la subvention. Il est possible qu'au moment de l'envoi du courrier, il y ait eu une confusion de la part de l'association au niveau du seuil de 60 %, qui porte en effet sur l'ensemble du budget du projet (cofinancements prévisionnels inclus), et non sur la seule subvention versée dans le cadre du fonds Marianne.

L'état des dépenses transmis le 17 mars 2022 est arrêté au 28 février 2022, et enregistre un montant total de dépenses exécutées de 217 816,37 euros, dont 149 536,26 euros pour les charges de personnel.

Concernant la demande d'avenant, un avenant à signer est envoyé par un chargé de mission le 28 mars 2022. La mission d'information n'a pas obtenu d'éléments justifiant la décision d'accorder une prolongation de son action à l'USEPPM.

Faute d'avoir reçu une réponse, le même chargé de mission envoie une relance à l'USEPPM le 10 mai 2022. Celle-ci n'a pas non plus fait l'objet d'une réponse par mail.

Jean-Pierre Laffite a indiqué au cours de son audition qu'il n'a retrouvé aucune trace d'un avenant signé : « pour l'USEPPM, le point de départ de ce délai a été considéré, peut-être à tort, comme étant le 31 mai 2022, en raison d'une demande d'avenant pour prolonger de trois mois le délai d'exécution de l'action, du 28 février au 31 mai 2022. Or si le secrétaire général en a accepté le principe, nous n'avons pas retrouvé trace d'un document signé par le président de l'association, malgré une relance »83(*).

En revanche, Mohamed Sifaoui a affirmé, au cours de son audition, que Cyril Karunagaran lui avait dit qu'un avenant signé avait été envoyé : « ce dernier m'a fait savoir qu'un avenant devait être signé entre l'association et ses services et que manifestement, Cyril Karunagaran ne l'avait pas envoyé. J'ai demandé à Cyril Karunagaran ce qu'il en était et il m'a dit qu'il l'avait envoyé, mais visiblement, l'administration n'en avait pas trouvé trace. Ils sont restés dans ce dialogue jusqu'à fin 2022, quand Cyril Karunagaran a envoyé en recommandé un avenant signé par ses soins. Or il n'a jamais reçu la partie contresignée. »84(*)

Le rapport de l'IGA apporte des précisions, en indiquant que Cyril Karunagaran a soutenu avoir renvoyé l'avenant signé à deux reprises en 2022. Aucun de ces deux avenants n'a été retrouvé par le SG-CIPDR. Un avenant signé a en revanche bien été envoyé au SG-CIPDR en février 2023.

Toujours est-il qu'il semble qu'en interne, et comme l'a indiqué Jean-Pierre Laffite, le SG-CIPDR a considéré que la convention de l'USEPPM était effectivement prolongée jusqu'au 31 mai 2022. Plusieurs messages indiquent explicitement que pour les agents suivant le dossier, la convention devait se terminer le 31 mai 2022. En outre, Cyril Karunagaran et un agent du CIPDR ont fait un point téléphonique sur l'action de l'association le 31 mai, pour marquer la fin présumée de la convention.

b) Un contrôle sur pièces a finalement été lancé en mars 2023, alors que l'association ne répondait plus aux sollicitations depuis novembre 2022

Six mois après la fin du projet, les associations étaient tenues de transmettre au CIPDR plusieurs éléments dont un compte-rendu d'exécution financière (Cerfi) ainsi qu'un bilan quantitatif et qualitatif de leur action. Dans le cas de l'USEPPM, comme le CIPDR considérait que l'action se terminait le 31 mai 2022, l'association devait transmettre ces documents au plus tard le 31 novembre 2022.

Le 10 novembre 2022, un chargé de mission du CIPDR a ainsi demandé par mail à l'association de transmettre ces documents pour le 18 novembre. L'agent a également tenté d'appeler Cyril Karunagaran le même jour, et lui a envoyé un texto le 14 novembre. Enfin, il a tenté d'appeler une nouvelle fois Cyril Karunagaran le 1er décembre 2022, mais celui-ci a rejeté l'appel.

Le rapport de l'IGA indique de plus que l'agent aurait tenté de joindre, le 23 novembre 2022, Mohamed Sifaoui : « le 23 novembre 2022, l'agent contacte le deuxième porteur du projet [Mohamed Sifaoui], en lui indiquant qu'il cherche « désespérément » à joindre son collègue »85(*). Durant son audition, Mohamed Sifaoui n'a cependant pas relaté cet événement. Il a néanmoins affirmé qu'il a appris que Cyril Karunagaran était difficilement joignable : « ce n'était pas moi qui n'étais pas joignable - on ne vous a pas dit à un moment que je n'étais pas joignable - mais j'ai appris que Cyril Karunagaran, pendant une période, était difficilement joignable. »86(*)

Interrogé sur cette situation, Cyril Karunagaran a expliqué devant la commission d'enquête que : « c'était la première fois que je travaillais avec une subvention publique. Je souhaitais obtenir l'assistance de notre expert-comptable pour retourner les éléments le plus fidèlement possible » tout en précisant qu'il avait eu « des difficultés d'ordre personnel »87(*). Dans un mail daté du 15 février 2022, Cyril Karunagaran avance une autre explication : « l'action s'étant déroulée à cheval sur 2 exercices comptables, nous avons dû attendre l'avancée du bilan de 2022 avec notre expert-comptable afin de vous fournir des chiffres validés ».

Le rapport de l'IGA relève en outre qu' « à l'automne 2022, l'agent en charge par intérim du suivi de l'USEPPM aurait alerté le secrétaire général sur ses grandes difficultés à contacter le président de l'USEPPM et à récupérer la documentation exigée par la convention. Le secrétaire général lui aurait répondu qu'il s'en occuperait. Or, la mission n'a pas été en mesure de retrouver la moindre trace d'une quelconque relance ou mise en demeure adressée à l'initiative de ce dernier »88(*). La mission d'information n'a pas non plus trouvé trace d'une éventuelle relance jusqu'en février 2023, une fois passés les messages déjà évoqués en novembre et au 1er décembre 2022.

En tout état de cause, l'ensemble de ces sollicitations sont restées sans réponse jusqu'à un appel du secrétaire général adjoint du CIPDR, Jean-Pierre Laffite, du 14 février 2023, qu'il a fait suivre par un mail.

Mail de Jean-Pierre Laffite à Cyril Karunagaran

Date : 14 février 2022 à 18h15

Monsieur Karunagaran, bonjour,

Je fais suite à notre échange de l'instant, et vous rappelle que l'association USEPPM que vous présidez a bénéficié d'une subvention d'un montant total de 355 000 euros au titre des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPDR) dans le cadre de la convention de financement n°2021/FIPDR/RADICALISATION/031 en date du 16 juillet 2021 pour le projet « I Laïc République ».

À ce jour, seule une première avance a été versée pour un montant de 266 250 euros en juillet 2021, le solde de 88 750 euros ne l'ayant pas été.

Au titre de l'exécution budgétaire, nous avons reçus de votre part un état des charges et des ressources du projet daté du 9 mars 2022 qui fait état de dépenses exécutées à hauteur de 217 816,37 €, soit un montant inférieur à celui indiqué à l'article 4 de la convention financière qui prévoit le versement du solde dès production d'une attestation certifiant l'engagement de dépenses à hauteur d'au moins 60 % du budget initial, soit 327 000 € ; accompagné de l'état récapitulatif des dépenses à la date de l'attestation.

L'action étant achevée depuis le 31 mai 2022 aux termes de l'avenant n° 1, les dépenses susceptibles d'être prises en compte sont donc comprises entre le 01/06/2021 et le 31/05/2022.

Or, selon vos indications, ces dépenses se sont révélées inférieures au montant de 327 000 € ce qui doit vous conduire à renoncer à obtenir le versement du solde et permettre ainsi au SG-CIPDR de clôturer l'engagement juridique résultant de la convention.

En conséquence, conformément à l'article 5, je vous saurais gré de nous faire parvenir le compte rendu financier (cerfa 15059-02) retraçant de façon définitive l'exécution de la subvention, accompagné des états financiers ou, le cas échéant, des comptes annuels 2022 et du rapport du commissaire aux compétences ou la référence de leur publication au Journal officiel, ainsi que du rapport d'activité annuel.

Dans le cadre de cette transmission, vous voudrez bien préciser que vous renoncez expressément au versement du solde sus-décrit.

Je me tiens à votre disposition en cas de difficulté.

NB : le gras et le souligné viennent du mail original.

À la suite de ce message, Cyril Karunagaran a envoyé, le 15 février 2023, un compte-rendu d'exécution financière du projet de l'association, et il a confirmé renoncer au versement du solde de 25 %, dans la mesure où l'état des dépenses exécutées n'avait pas atteint le seuil de 60 % du budget prévisionnel.

Le compte-rendu de l'exécution financière de l'association, envoyé à ce moment-là, comprend les chiffres finaux des dépenses de l'association dont le SG-CIPDR dispose : 250 603 euros ont été dépensés, dont 193 468 euros pour les charges de personnel. Le document est annexé à ce rapport.

Le 17 mars 2023, Jean-Pierre Laffite envoie un message à Cyril Karunagaran pour indiquer que l'association a été sélectionnée pour faire l'objet d'un contrôle sur pièces. Il en profite pour relancer l'association sur la transmission d'un bilan quantitatif et qualitatif complet. Le 27 mars 2023, Cyril Karunagaran envoie les pièces financières demandées, ainsi qu'une nouvelle version du bilan quantitatif et qualitatif du projet.

c) La faiblesse des productions de l'association et les dysfonctionnements constatés auraient dû justifier un contrôle sur pièces dès l'année 2022

Le lancement du contrôle au mois de mars 2023 est particulièrement tardif au regard des difficultés rencontrées avec l'USEPPM depuis au moins le printemps 2022.

En effet, dès cette période, l'ensemble des évènements relatifs à l'USEPPM auraient déjà dû faire l'objet d'une alerte au sein du SG-CIPDR. D'après une personne auditionnée par la mission, un signalement au préfet Gravel aurait été effectué en janvier ou février 2022 indiquant que le projet était « au point mort ». En tout état de cause, il pouvait être constaté une nette diminution du rythme des productions durant les premiers mois de 2022, voire un coup d'arrêt.

De plus, il est difficile à comprendre que l'association ait obtenu un avenant pour prolonger son action jusqu'au 31 mai 2022. À cet égard, la mission d'information n'a pas retrouvé d'éléments selon lesquels il aurait été demandé à cette période à l'association de reprendre ses productions.

Les difficultés pour obtenir un avenant signé de la part de l'association, ainsi que l'absence de réponse aux relances à partir de novembre 2022, auraient également justifié une réponse plus rapide de la part de l'administration. Tous ces éléments s'ajoutent au fait que l'USEPPM est l'association qui a bénéficié de la subvention la plus importante dans le cadre du fonds, et que son projet, qui implique une réponse directe aux porteurs de discours séparatiste, est particulièrement sensible.

Le SG-CIPDR ne disposait, certes, plus de personnes capables de mener un contrôle de deuxième niveau pour les associations du fonds Marianne entre février et septembre 2022. Toutefois, dès l'automne 2022, un contrôle était possible. Que des contrôles approfondis n'aient pas été menés plus tôt relève de la responsabilité de l'administration.

3. Un suivi défaillant des contenus produits par Reconstruire le commun et des avertissements non formalisés
a) Les avertissements relatifs à la production de contenus politiques par Reconstruire le commun n'ont jamais fait l'objet d'une formalisation écrite

D'après le SG-CIPDR, les contenus politiques produits par l'association auraient été identifiés pour la première fois en février 2022. À la suite de ce constat, l'administration indique qu'elle aurait organisé une seconde réunion avec Reconstruire le commun, où la consigne aurait été donnée de ne plus produire ce type de contenus : « le SG-CIPDR ayant constaté quelques contenus problématiques (notamment à coloration politique) courant février 2022, il organise alors une deuxième réunion avec l'association, qui aura lieu le 1er mars. Lors de cette réunion, au-delà des sujets relatifs aux indicateurs de performance des contenus en ligne, le CIPDR rappelle à l'ordre le porteur de projet concernant les quelques contenus problématiques identifiés. L'association s'engage, alors, à ce que ce type de contenus ne soit plus diffusé. »89(*)

Christian Gravel a précisé durant son audition que l'administration avait « convoqué » l'association, suite à la diffusion des contenus politiques : « puis, à la fin du mois de février, notre agent s'est aperçu que l'association avait diffusé trois ou quatre contenus à caractère politique. Il m'en a alerté immédiatement : je lui ai alors demandé de convoquer les représentants de l'association, de sorte à leur communiquer nos observations, tant sur le plan qualitatif que sur le caractère hautement problématique des contenus politiques que nous avions identifiés. La consigne que nous avons fait passer, à savoir qu'il était strictement interdit à l'association de s'associer, d'une manière ou d'une autre, à des contenus de nature politique, ne laissait place à aucune ambiguïté. La présidente de l'association en a pris acte au mois de mars. »90(*)

Cette version des faits tranche avec celle relatée par Jean-Pierre Laffite et Alham Menouni lors de leurs auditions. Le magistrat n'a pas le souvenir que les contenus politiques aient été abordés durant la réunion de mars, et si ce fut le cas, ils n'étaient pas le sujet central de la réunion : « On m'a demandé de participer à une réunion en mars 2022, me semble-t-il, où, dans mes souvenirs, l'aspect politique n'a pas du tout été abordé. Il l'a peut-être été de manière incidente, mais ce n'était pas le sujet »91(*) .

Alham Menouni a indiqué que : « à l'occasion d'un ou deux points, le CIPDR nous a signifié qu'une blague anti-Macron ne les a pas fait rire. Cela a donné lieu à une discussion normale et bienvenue sur le contexte sensible - la période électorale - et sur la nécessité de faire attention à notre traitement de sujets politiques. Nous avions déjà intégré ce point. »92(*). Même si elle ne le dit pas explicitement lors de l'audition, il est probable que ces remarques aient été formulées lors de cette réunion du 1er mars.

Aucune note n'a été produite qui rende compte de l'ordre du jour et du contenu de cette réunion. Il n'est donc plus possible d'avoir la certitude de son déroulé. Cependant, les témoignages indiquent que la question des contenus politiques y a été effectivement abordée de façon « incidente ».

Les informations sur la réunion du 2 juin sont plus précises. Une note préparatoire, datée du 1er juin, indique d'emblée que les « contenus politiques » doivent faire l'objet d'attention, en particulier pour la série « À la bonne franquette », où il est indiqué : « certains épisodes ont ciblé explicitement des personnalités politiques, parfois même des candidats aux élections ».

Christian Gravel a déclaré durant son audition, et de manière plus nette, que : « à l'occasion d'un autre visionnage, l'agent concerné par le suivi de Reconstruire le commun s'est rendu compte que de nouveaux contenus politiques avaient été produits. J'ai alors demandé qu'on les convoque de nouveau, ce qui a été fait le 2 juin : lors de la réunion que j'ai présidée, je leur ai dit très clairement, très explicitement, très vigoureusement qu'il était intolérable de diffuser de tels contenus. »93(*)

Alham Menouni a toutefois contesté en audition l'usage du terme « convoquer », et par-là le fait que l'objet principal de la réunion aurait été les contenus politiques : « je voudrais clarifier certains points. Contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, je n'ai jamais été convoquée. En revanche, j'ai assisté à des réunions de suivi et à des points d'étape. D'ailleurs cette réunion [celle du 2 juin] a été réalisée sur mon initiative, après avoir sollicité un rendez-vous formel avec le CIPDR pour présenter un prébilan avant la fin de la convention. »94(*). À partir des éléments qu'elle a en sa possession, la mission d'information n'est pas en mesure de déterminer qui était à l'origine de chaque rendez-vous.

En revanche, Alham Menouni reconnaît que la question des contenus politiques a été discutée le 2 juin, mais à la fin de la réunion, par une intervention de Christian Gravel. Elle soutient qu'il serait parti sans avoir laissé le temps à l'association de répondre, ce que la mission d'information n'a pas pu confirmer.

Dans la note préparatoire à la réunion du 2 juin, la question du caractère politique des vidéos est évoquée. Il est indiqué au préambule de la note : « point de vigilance : contenus politiques + faible taux d'engagements », et les contenus politiques sont souvent mentionnés dans un point concernant l'émission « À la bonne franquette ».

Malgré tout cela, la mission d'information n'a eu connaissance d'aucun avertissement ou signalement écrit du SG-CIPDR à destination de Reconstruire le commun sur la question des contenus politiques, ni d'ailleurs plus globalement pour l'interroger sur la pertinence des sujets abordés au regard des objectifs du fonds Marianne. Les communications entre Reconstruire le commun et le SG-CIPDR ont dans l'ensemble porté sur des questions administratives.

La nature des contenus produits par l'association, en particulier ceux à caractère politique, n'ont pas fait obstacle au versement du solde de 25 % de la subvention, qui a eu lieu en juillet 2022. La présidente de Reconstruire le commun n'a pas eu de signalements selon lesquels les contenus problématiques pourraient conduire au non-versement de ce solde.

Christian Gravel a indiqué lors de son audition que cette possibilité avait été évoquée en interne, mais qu'ils étaient arrivés à la conclusion qu'il n'était pas possible de s'opposer au versement du solde dès lors que les conditions formelles étaient remplies, même si des contenus problématiques avaient déjà été identifiés : « à l'époque - je suppose que vous en reparlerez avec Jean-Pierre Laffite -, le pôle administratif et financier a estimé que tout était en règle sur un plan budgétaire, dans la mesure où toutes les pièces avaient été transmises en temps et en heure, conformément à ce qui était prévu, et on a dépassé le seuil des 60 %. Dès lors, nous en sommes arrivés à la conclusion que, si l'on ne versait pas la totalité de cette subvention, on s'exposait de fait à un contentieux que nous étions presque sûr de perdre. » 95(*)

Il faut néanmoins souligner qu'il s'agit d'une hypothèse formulée par le SG-CIPDR, et qu'il n'est pas certain que le juge administratif tranche en ce sens s'il était saisi d'une telle demande. D'une manière générale, le juge administratif considère que « le caractère créateur de droits de l'attribution d'un avantage financier tel qu'une subvention ne fait pas obstacle, soit à ce que la décision d'attribution soit abrogée si les conditions auxquelles est subordonnée cette attribution ne sont plus remplies, soit à ce que l'autorité chargée de son exécution, constatant que ces conditions ne sont plus remplies, mette fin à cette exécution en ne versant pas le solde de la subvention » (Conseil d'État, 7 août 2008, n° 285979).

b) Le contrôle sur pièces de Reconstruire le commun, qui doit éventuellement précéder une demande de remboursement, a été lancé très tardivement par l'administration

Le SG-CIPDR a reconnu de manière constante n'avoir pas perçu l'ampleur du nombre des contenus politiques produits par Reconstruire le commun avant les révélations médiatiques de mars 2023. Les réponses de l'administration au questionnaire de la mission d'information évoquent « la découverte a posteriori du nombre important de prestations manifestement incompatibles avec l'objet de la convention », et Christian Gravel, lors de son audition, a complété en affirmant que : « Au moment où nous les avons convoqués, nous pensions encore que ces contenus étaient peu nombreux [...] Tout dernièrement - et c'était trop tard ! -, nous avons compris qu'en définitive de nombreux contenus de nature politique avaient été émis »96(*).

Plus précisément, le CIPDR semble justifier dans ses réponses au questionnaire de la mission d'information cette découverte tardive par une désorganisation interne du service, qui avait fait suite au départ de la chargée de mission qui s'occupait seule du suivi des dossiers du fonds Marianne à la fin de l'année 2021. Les réponses de l'administration indiquent ainsi que : « ce contexte a occasionné un manque de coordination entre le pôle métier et la cellule financière, aboutissant à un suivi recentré sur les aspects les plus administratifs du projet, sans que ne soit réévaluée, à ce moment précis, sa dimension qualitative ».

De plus, la note préparatoire à la réunion du 2 juin indique que l'ensemble des séries de vidéos de Reconstruire le commun étaient étudiées par le SG-CIPDR, et il était fait mention dans la note que certains passages visent des personnalités politiques : « "À la bonne franquette " : talkshow sous le format podcast avec un animateur et 2 « chroniqueurs ». => Certains épisodes ont ciblé explicitement des personnalités politiques, parfois même des candidats aux élections ».

Cette situation, conjuguée au fait que Reconstruire le commun est l'association ayant obtenu la deuxième subvention la plus importante du fonds Marianne (330 000 euros), rend difficilement compréhensible le fait que les productions de l'association n'aient pas été examinées plus en détail jusqu'au moment des révélations médiatiques, en mars 2023.

La mission d'information a appris, par une note datée du 24 avril 2023 transmise par le SG-CIPDR à la mission d'information, qu'une « procédure de remboursement de tout ou partie de la subvention » était actuellement mise en oeuvre. Durant son audition, Christian Gravel a indiqué que « le processus n'a été formellement engagé que la semaine dernière », c'est-à-dire la semaine du 8 mai.

Le courrier recommandé transmis par la suite par le SG-CIPDR à la mission d'information, signé par Christian Gravel et daté du 12 mai 2023, indique que la procédure initiée est une procédure de contrôle sur pièces, et que celle-ci pourrait aboutir à une demande de remboursement : « j'envisage d'ordonner le reversement de tout ou partie des sommes qui vont ont été versées au titre de cette subvention ».

Le SG-CIPDR a indiqué dans ce courrier que cette éventuelle demande de remboursement est fondée sur l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses disposition d'ordre économique et financier, qui dispose que : « lorsqu'il apparaît, notamment à la suite d'un contrôle de l'inspection générale des finances, qu'un concours accordé par l'État, un établissement public de l'État ou un organisme soumis au contrôle économique et financier de l'État, au profit de l'un des organismes visés au I et au II du présent article, n'a pas reçu l'emploi auquel il avait été destiné, le ministre compétent ou le représentant légal de l'établissement ou de l'organisme peut en ordonner la répétition à concurrence des sommes qui ont été employées à un objet différent de celui qui avait été prévu. »

Le courrier évoque également, sous la forme d'une hypothèse, que « l'objet de la convention a été gravement méconnu et substantiellement modifié » et ajoute que « la réalité des prestations stipulées n'a pas été à ce stade justifiée. »

Invitée à répondre à ce sujet, Alham Menouni a déclaré devant la commission d'enquête que cette procédure n'a pas lieu d'être, dans la mesure où elle a adressé en novembre 2022 l'ensemble des éléments demandés par l'administration.

Elle conteste également sur le fond qu'elle ait méconnu les engagements de la convention. Elle estime en particulier que la convention n'interdisait pas les contenus de nature politique : « il a utilisé l'expression de « condition sine qua non » [l'absence de tout message de nature politique]. À mon sens, une telle condition doit alors avoir une traduction au niveau du contrat, ce qui n'a pas été le cas dans les deux conventions que nous avons signées, aussi bien la première que celle du fonds Marianne, qui sont à peu près les mêmes - ce sont des conventions type. Au-delà des questions qui nous intéressent aujourd'hui, aucune condition portant sur notre ligne éditoriale n'y figure et la plupart de leurs articles ont trait au bon suivi administratif. »97(*). La convention liant le SG-CIPDR et Reconstruire le commun ne comporte en effet pas de disposition interdisant explicitement les contenus de nature politique.

Il ne revient toutefois pas à la mission d'information de trancher sur la méconnaissance ou non par Reconstruire le commun de sa convention, compte tenu des procédures en cours.

Interrogé sur la date tardive du lancement formel de la procédure de contrôle, Julien Marion a indiqué lors de son audition qu'un délai était nécessaire pour que l'administration rédige une note exhaustive sur les contenus produits par l'association : « les équipes du CIPDR ont dû pour cela visionner des dizaines d'heures de production vidéo, ce qui selon moi justifie le délai. La note, qui est parvenue au cabinet dix jours plus tard, entre le 7 avril et le 10 avril, retranscrivait des propos à caractère politique. »98(*). Le visionnage des vidéos produites par l'association prend en effet un certain temps, et il est compréhensible qu'après les révélations médiatiques de mars la note n'a été produite que pour la deuxième semaine d'avril.

Toutefois, le délai entre la réception de la note retranscrivant les propos de nature politique et le lancement du courrier annonçant la procédure de contrôle, le 12 mai, soit près d'un mois plus tard, est plus difficilement explicable.

Tous ces éléments témoignent à tout le moins du retard important qu'a pris le SG-CIPDR dans le contrôle de l'action de Reconstruire le commun.


* 76 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 77 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 78 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 30 mai 2023.

* 79 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 29.

* 80 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 81 Rapport IGA, page 30 : « En février 2022, l'une des parties prenantes au projet, extérieure à l'administration, aurait contacté le secrétaire général pour l'alerter sur les dysfonctionnements du projet, le retrait de facto de ses deux responsables et pour lui demander si la réduction du rythme de publication procédait d'une décision du CIPDR, dans le contexte de la campagne présidentielle. Le secrétaire général aurait répondu qu'il n'en était rien, qu'il fallait continuer, et qu'il relancerait les porteurs de projet. »

* 82 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 83 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 84 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 85 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 30.

* 86 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 87 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 88 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 30.

* 89 Réponses au questionnaire du rapport de la mission d'information.

* 90 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 91 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 92 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 93 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 94 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 95 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 96 Compte rendu des auditions du 23 mai 2023.

* 97 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 98 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

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