N° 829

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné, le mardi 4 juillet 2023, le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur de la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.

Le fonds Marianne, dont la création a été annoncée le 20 avril 2021 par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur, était destiné à financer des actions en ligne pour défendre les valeurs de la République et répondre au séparatisme. Des accusations graves ayant été portées sur l'emploi de ce fonds, et alors que les documents transmis par le ministère de l'intérieur au président Claude Raynal ne permettaient pas de répondre à toutes les interrogations soulevées, la commission des finances a décidé de constituer en son sein une mission d'information le 3 mai 2023. Celle-ci s'est vu conférer les prérogatives de commission d'enquête.

I. LE FONDS MARIANNE : UNE RÉPONSE AUX MENACES CONTRE LA RÉPUBLIQUE PENSÉE COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

A. UNE ACTION SUR LES RÉSEAUX POUR CONTRE-CARRER LE DÉPLOIEMENT D'UN DISCOURS SÉPARATISTE ET VIOLENT

À la suite des attentats de l'automne 2020, le Gouvernement a fait le choix de porter un « contre-discours républicain » sur les réseaux sociaux pour lutter contre la radicalisation et les discours séparatistes en ligne. Pour ce faire, il a mené deux actions :

- d'une part, a été créée l'unité de contre-discours républicain (UCDR) au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) pour apporter une réponse institutionnelle ;

- d'autre part, un appel à projets dénommé « fonds Marianne » a été lancé, afin d'engager une réponse sociétale en recourant à des associations dont le discours ne serait pas directement identifié comme provenant de l'État. Dans ce cadre, 17 associations ont été sélectionnées.

Sur ce deuxième volet, Christian Gravel, ancien secrétaire général du CIPDR a ainsi déclaré : « l'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d'une crise durable de l'autorité, ce discrédit est aujourd'hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet. »

Les montants des subventions accordées au titre du fonds Marianne

Des subventions de

Pour

Dont

 
 
 

au total

associations

pour les quatre premières associations

B. UN FONDS CONÇU COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

La création du fonds Marianne peut être envisagée, selon les mots mêmes de Christian Gravel, comme un « label de communication ». La ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, annonce en effet la création de ce fonds le 20 avril 2021, en direct sur la chaîne de télévision BFM TV.

Le cahier des charges a été rédigé dans l'urgence. Les objectifs du fonds sont d'ailleurs réécrits par le cabinet de la ministre dans les jours qui précèdent sa mise en ligne. La terminologie employée par l'appel à projets tel que revu par le cabinet de la ministre est celle d'une laïcité de combat. Il ne s'agit pas tant de former à l'esprit critique ni de construire un discours, que de « riposter à la propagande séparatiste », et de « défendre les valeurs républicaines », face « aux idéologies séparatistes ».

Les objectifs qui doivent être poursuivis par les porteurs de projets
candidats au fonds Marianne

dans la rédaction proposée par le SG-CIPDR

dans la rédaction finale, modifiée
par le cabinet de la Ministre

- Lutter contre les contenus haineux à caractère antisémite ou relevant du racisme anti-musulman et des discours séparatistes, les théories complotistes diffusées massivement en ligne notamment sur les réseaux sociaux et plus largement tout discours haineux et stigmatisant qui vise à fracturer et à diviser la société française ;

- Promouvoir la connaissance de l'autre, l'engagement citoyen, la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, le dialogue interreligieux, le respect de la liberté de conscience et de la liberté d'expression, valeurs essentielles, parmi d'autres, de notre société ;

- Célébrer la place de chacun, au-delà des particularismes, au sein d'une même communauté nationale qui transcende les appartenances à telle ou telle communauté particulière et rejeter tout type de racisme et de haine (haine anti-LGBTQ...).

- Riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux ;

- Défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales.

Sources : appel à projets fonds Marianne et échanges de courriels entre le cabinet de la ministre déléguée et le SG-CIPDR

Par ailleurs, le directeur de cabinet de la ministre est intervenu pour raccourcir le délai de sélection des projets proposé par l'administration. Ainsi, les porteurs de projets ont disposé de sept semaines de moins que prévu pour déposer leur candidature. La rapidité avec laquelle l'appel à projets a été conçu et le peu de temps dont ont disposé les porteurs de projets contrastent avec la complexité du sujet. Il était pourtant indispensable de réfléchir aux conditions de mise en place d'un cadre d'action clair pour ces structures et de leur laisser le temps de présenter des projets complets et aboutis.

Le calendrier de l'appel à projets tel que modifié par le cabinet de la ministre

Source : commission des finances du Sénat, d'après les échanges transmis par le SG-CIPDR

Enfin, le choix de la ministre de faire du fonds Marianne une opération de communication est contreproductif : alors que le recours à des associations devait permettre de disposer d'une présence sur internet et sur les réseaux sociaux qui ne soit pas « siglée ministère de l'intérieur », il aurait sans doute été plus pertinent de limiter la communication autour du lancement de ce fonds.

II. UNE PROCÉDURE DE SÉLECTION OPAQUE, DANS LAQUELLE LE POLITIQUE A OUTREPASSÉ SON RÔLE

A. UN PROCESSUS DE SÉLECTION BÂCLÉ, OPAQUE ET FRAGMENTÉ

Plusieurs dossiers retenus par le comité de programmation réuni le 13 avril pour décider des subventions accordées au titre du volet de contre-discours républicain du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) ont été « recyclés » dans l'appel à projets du fonds Marianne.

Cette pratique est contraire à la logique même d'un appel à projets, qui vise en principe à inciter des associations à répondre à une commande politique en présentant de nouveaux projets. Au total, si l'on retranche les montants déjà arbitrés lors du comité de programmation, sur les 2,5 millions d'euros annoncés du fonds Marianne le 20 avril, seuls 1,4 million d'euros ont réellement été dédiés à des projets n'ayant pas fait l'objet d'un arbitrage préalable.

Par ailleurs, lors de la réunion du comité de sélection, l'absence de personnalité qualifiée extérieure à l'administration en charge du dossier et au cabinet de la ministre est critiquable. En présence d'un jury endogène, lui-même inscrit dans une structure hiérarchique, les conditions n'étaient pas réunies pour assurer la qualité des décisions et leur neutralité.

De plus, on ne peut que s'étonner de l'absence de détermination d'éléments d'objectivation préalable des candidatures à l'appel à projets. Le respect des critères énoncés dans l'appel à projets aurait dû faire l'objet d'une évaluation précise.

Ce sentiment d'amateurisme quant à la sélection des projets se confirme par le fait qu'aucun compte rendu ni relevé de décisions n'explicitent les choix réalisés par le comité de sélection.

Enfin, il apparaît que le cabinet de la ministre et la ministre elle-même ont outrepassé leur rôle :

- en appuyant, de façon plus ou moins explicite, la candidature de l'une des associations ;

- en revenant sur l'octroi d'une subvention de 100 000 euros à une association alors même qu'une décision favorable du comité de sélection était intervenue ;

- en intégrant, en aval des décisions du comité de sélection, une dernière association qui n'avait à aucun moment été soumise à l'appréciation du comité de sélection par le SG-CIPDR, le dossier ayant été considéré comme ne relevant pas du champ de l'appel à projets.

B. LES SUBVENTIONS LES PLUS IMPORTANTES ONT ÉTÉ ATTRIBUÉES À DES ASSOCIATIONS NE PRÉSENTANT AUCUNE GARANTIE QUANT À LEUR SÉRIEUX ET À LA QUALITÉ DE LEUR ACTION

1. L'USEPPM, vaisseau amiral du fonds Marianne

Mohamed Sifaoui et le cabinet de l'ancienne ministre déléguée ont eu au moins trois rendez-vous entre mars et avril 2021 : le 24 mars, le 6 avril et le 22 avril. Si les documents reçus et les témoignages indiquent qu'il n'y a pas eu d'engagements financiers envers Mohamed Sifaoui, son projet a été discuté à plusieurs reprises, et il a été activement encouragé à le déposer par le cabinet. Une demande de subvention a finalement été déposée le 9 avril, au nom de l'association Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), d'un montant de 635 000 euros pour l'année 2021 et de 850 000 euros pour les deux années suivantes.

Mohamed Sifaoui n'était pas inconnu du SG-CIPDR et du cabinet de l'ancienne ministre déléguée puisqu'il a donné plusieurs formations à l'UCDR entre janvier et novembre 2021, ainsi qu'une formation sur le contre-discours en janvier 2023. Il aurait par ailleurs été rémunéré pour ces formations pour un montant de 39 500 euros, facturé par la société R & K, qui est dirigée par l'épouse de Cyril Karunagaran. Le paiement a été effectué par le SG-CIPDR le 26 février 2021, en amont de la réalisation de la majorité des conférences de formation et contrairement au principe du « service fait ».

L'autorité politique a ensuite joué un rôle actif dans le traitement de la demande de l'USEPPM. Un échange de courriels daté du 6 avril entre la ministre déléguée et un membre du cabinet montre ainsi qu'il y avait des discussions au niveau politique sur une possible subvention de 300 000 euros accordée à l'association, avant même le dépôt de sa demande. C'est ce montant qui a été retenu lors du comité de programmation du 13 avril 2021. La subvention finalement accordée lors du comité de sélection du 21 mai était de 355 000 euros.

Toutefois, l'USEPPM elle-même n'avait pas d'expérience notable dans la lutte contre le séparatisme, et le budget de fonctionnement de l'association, 50 000 euros par an environ, était très faible au regard du montant de la subvention accordée. En outre, la situation de l'association, qui présente de nombreuses inconnues, n'avait pas fait l'objet d'un examen approfondi en amont de sa sélection.

2. Reconstruire le commun, un nouvel entrant qui n'offre aucune garantie

Un soutien a été accordé à l'association Reconstruire le commun : elle venait d'être constituée, le 29 octobre 2020, lorsqu'elle se voit octroyer une première subvention de 39 000 euros, en décembre 2020 au titre du FIPDR. La présidente de l'association aurait transmis, peu de temps après sa rencontre avec Christian Gravel, une demande de subvention de 39 000 euros qui, d'après ce dernier, « avait tout simplement pour objet de donner à cette association les moyens de lancer des actions concrètes ». Lors de son audition, Christian Gravel a indiqué avoir eu connaissance de la proximité entre Reconstruire le commun et le collectif « On vous voit ». Ainsi, il était informé que, « par le passé, ce collectif avait parfois diffusé des contenus à caractère politique. » Néanmoins, aucune disposition spécifique n'a été introduite dans la convention d'attribution du fonds Marianne pour prohiber ce type de contenus.

III. UN CONTRÔLE DÉFAILLANT ET DES RÉSULTATS QUI NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES AMBITIONS

A. DES RÉSULTATS TRÈS INÉGAUX ET UN DOUBLE FIASCO

1. Des projets qui ont, pour la plupart d'entre eux, été menés à leur terme, sans permettre toutefois de mesurer précisément leur impact

La mission a interrogé l'ensemble des porteurs de projets bénéficiaires du fonds Marianne. Il ne lui appartient pas, au regard des moyens dont elle dispose, de se prononcer sur le respect ou non par l'ensemble des porteurs de projets des conditions fixées par les conventions d'attribution. Tout au plus pourra-t-elle formuler une appréciation générale, fondée sur des exemples issus des éléments communiqués par les différentes associations et des pièces de suivi et de contrôle du SG-CIPDR.

Tout d'abord, il convient de souligner que les lauréats du fonds Marianne ne sont pas tous des associations. Deux d'entre eux sont des sociétés par actions simplifiées, intervenant dans le domaine de la diffusion et de la production de contenus audiovisuels. Sans que ce statut ne suscite de réserve a priori, ces entités auraient néanmoins dû faire l'objet d'une vigilance renforcée. Les conditions de mise en oeuvre, de suivi et de rendu financier auraient dû être ajustées pour tenir compte de la forme des porteurs de projet : il semble, au contraire, que leur statut juridique n'a pas conduit à une adaptation de la convention d'attribution, au point de se référer systématiquement à « l'association » dans les deux conventions signées avec des sociétés.

Par ailleurs, les retours de l'ensemble des porteurs de projets aux demandes de contribution adressées par la mission témoignent de la diversité des productions financées par les crédits du fonds Marianne. En l'absence de critère préalable précis et d'outil d'évaluation permettant d'apprécier la visibilité des contenus il est complexe de porter une appréciation a posteriori sur ces derniers et de mesurer leur succès.

2. L'USEPPM, un bilan insignifiant au regard de la subvention

Les réalisations du projet iLaïc, porté par l'USEPPM, première association bénéficiaire en termes de montant de subvention au titre du fonds Marianne, sont très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu. Comme l'indique le SG-CIPDR, « l'engagement en ligne [de l'association] a été faible ».

Bilan des productions de l'USEPPM, transmis par le SG-CIPDR

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67 publications

489 publications

Moyenne de 123 000 impressions

950 j'aime

30 j'aime par publication en moyenne

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Source : bilan du SG-CIPDR sur les productions de l'USEPPM

Mohamed Sifaoui et Cyril Karunagaran défendent ce bilan peu favorable par le montant de la subvention très inférieure à leur demande initiale. En effet, pour Mohamed Sifaoui « cela revient à nous annoncer le financement d'une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n'avons pas battu l'armée de Poutine. C'est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d'avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants. »

En réalité, comme toutes les autres associations, l'USEPPM a bénéficié d'un premier versement de 75 % du montant total, correspondant pour elle à 266 250 euros. Or, en aucun cas cette somme ne peut être considérée comme mineure et justifier que tout ou partie du projet ne soit pas réalisé.

Parallèlement, alors que l'USEPPM n'a obtenu aucun des co-financements sur lesquels elle s'était engagée, elle n'a pu bénéficier du versement du reliquat. Les dépenses du budget prévisionnel ont donc dû être revues à la baisse, pour être exécutées à hauteur de seulement 43 %.

Néanmoins, il apparaît que les dépenses de personnel n'ont pas été réduites dans les mêmes proportions que le reste du budget de l'association.

Ainsi, entre le budget prévisionnel et la réalisation, les charges de personnel ont été exécutées à hauteur de 83 %, ce qui montre que les porteurs de projet ont fait le choix de privilégier ce type de dépenses.

Au regard des difficultés qu'ils ont avancées, on peut s'étonner du maintien des rémunérations pour les deux principaux salaires, à savoir ceux de M. Sifaoui et de M. Karunagaran.

Réalisation des dépenses prévues par le budget
du projet iLaïc

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents transmis par le SG-CIPDR

3. Reconstruire le commun, une erreur de casting

Sur le plan technique (son, image...), les vidéos de Reconstruire le commun sont de bonne facture. Les controverses portent en réalité principalement sur la conformité des vidéos avec les objectifs du fonds Marianne, et sur la production de contenus politiques. En effet, plusieurs passages de l'émission « À la bonne franquette », diffusée sur la chaîne YouTube de l'association « Comme Un », ont ciblé des personnalités politiques, de l'ensemble des bords politiques par ailleurs. Toutefois, la mission fait le choix de ne pas traiter de la question de la publication de ces vidéos durant les campagnes des élections présidentielles et législatives, ce sujet relevant de la compétence des autorités judiciaires.

En outre, un certain nombre de vidéos posent des difficultés quant à leur compatibilité et surtout leur pertinence avec les objectifs du fonds Marianne. Face à ces critiques, la présidente de l'association, Alham Menouni, a défendu le choix d'« écouter la parole des jeunes », et souligne que le projet était présenté, dès le stade de la candidature, comme étant de « l'infotainment ». Il faut toutefois rappeler qu'il s'agit de financements publics, et l'attaque de personnalités politiques n'en reste pas moins inacceptable.

Extrait du verbatim des vidéos de Reconstruire le commun

Sur Olivier Véran :

« Olivier Véran, c'est un peu Jeff Panaclock avec la peluche Jean-Marc. [...] Ils [les enfants assistant à ce genre de spectacle de marionnette] ne se doutent pas qu'il a une main dans les fesses qui ne vient pas de nulle part. Eh bah Véran, c'est exactement la même chose. »

Sur Anne Hidalgo :

« Pourquoi est-ce qu'on dit que c'est encore pire depuis qu'Hidalgo est là et depuis que le PS saccage Paris, qu'est-ce qui s'est passé dernièrement quel a été un peu l'événement déclencheur de tout ça, pourquoi est-ce qu'on râle et pourquoi est-ce qu'on en veut spécialement à Hidalgo ? Il y a certaines infrastructures soit disant biodégradables qu'elle fout un peu partout qui ne font qu'accumuler la saleté en fait, et aussi l'odeur de pisse. »

B. LES RESPONSABILITÉS DE L'ADMINISTRATION : UN CONTRÔLE LACUNAIRE DE L'EXÉCUTION DES PROJETS DES ASSOCIATIONS

Au plan interne, le SG-CIPDR a fait état de difficultés significatives suite au départ de l'agent en charge du suivi des dossiers. Ses missions de suivi du fonds Marianne auraient été réparties entre quatre agents, qui exerçaient par ailleurs d'autres fonctions, et elle n'aurait pas été remplacée avant un délai de sept mois. La qualité du contrôle aurait fortement diminué. Le SG-CIPDR a ainsi justifié que, pour au moins une association, la situation aurait conduit à resserrer le contrôle sur les aspects « administratifs » du projet, au détriment de sa dimension qualitative.

De plus, l'ancien secrétaire général du SG-CIPDR a expliqué devant la mission d'information que, jusqu'en septembre 2022, il n'y avait plus de « référent de contrôle interne financier » capable de mener un contrôle sur pièces des associations subventionnées par le fonds Marianne.

Ces difficultés expliquent, même si elles ne suffisent pas, une partie des lacunes du contrôle exercé par l'administration sur le projet de l'USEPPM et celui de Reconstruire le commun.

1. Un contrôle et un suivi très faibles du projet de l'USEPPM

Le projet de l'USEPPM avait commencé tardivement, en septembre 2021 et il s'était pratiquement arrêté au mois de mars 2022. D'après un témoignage, Christian Gravel aurait été alerté en janvier ou en février 2022 que le projet était à l'arrêt, et les documents transmis par l'association au début de l'année 2022 montrent déjà une sous-consommation inquiétante des crédits consacrés au projet. La mission d'information n'a pas retrouvé d'éléments selon lesquels il aurait été demandé à l'association de reprendre ses productions à cette période.

Dans ces conditions, il est difficile de comprendre que l'association ait obtenu du SG-CIPDR un avenant pour prolonger son action jusqu'au 31 mai 2022. À cet égard, le secrétaire général adjoint du CIPDR a confirmé à la mission d'information qu'il n'avait pas trouvé de traces d'un avenant signé par l'association en 2022.

Tous ces éléments s'ajoutent au fait que l'USEPPM est l'association qui a bénéficié de la subvention la plus importante dans le cadre du fonds, et que son projet, qui implique une réponse directe aux porteurs de discours séparatiste, était particulièrement sensible. Un contrôle sur pièces aurait donc dû être mené en priorité sur l'USEPPM, dès septembre 2022.

Le 10 novembre 2022, un chargé de mission du CIPDR a enfin demandé par courriel à l'association de transmettre ces documents pour le 18 novembre 2022. L'association n'a pas répondu à ce courriel, ni aux relances qui ont suivi. Finalement, après une nouvelle relance le 14 février 2023, l'association a commencé à transmettre les pièces demandées. Un contrôle sur pièces envers l'USEPPM a été engagé seulement le 17 mars 2023.

2. Un suivi défaillant des contenus produits par Reconstruire le commun et des avertissements non formalisés

D'après le SG-CIPDR, les contenus politiques produits par Reconstruire le commun auraient été identifiés pour la première fois en février 2022. À la suite de cette constatation, Christian Gravel a indiqué devant la mission d'information que la consigne aurait été donnée à l'association d'arrêter la production de ces contenus lors d'une réunion du 1er mars 2022 puis du 2 juin 2022. La présidente de l'association, Alham Menouni, affirme en revanche que le 1er mars, aucune consigne claire n'avait été donnée, et que le 2 juin 2022, l'association n'avait pas eu la possibilité de répondre aux critiques de Christian Gravel. En tout état de cause, il est apparu à la mission d'information que ces avertissements n'ont jamais été formalisés par écrit à l'association, ce qui est une erreur majeure de l'administration dans l'exercice de sa mission de contrôle.

Un contrôle sur pièces de l'association a finalement été lancé le 12 mai 2023, ce qui est très tardif par rapport aux révélations médiatiques, mais aussi par rapport au fait que des contenus politiques étaient identifiés depuis début 2022. Le SG-CIPDR l'a justifié par le fait que les services n'auraient pas pris la mesure du volume de contenus politiques produits, ce qui témoigne à tout le moins de la faiblesse du suivi opéré par l'administration.

C. LES RESPONSABILITÉS DU POLITIQUE : UNE ABSENCE DE PILOTAGE ET DE SUIVI CONFINANT À L'IRRESPONSABILITÉ

Le cabinet n'a pas joué un simple rôle d'impulsion politique et de validation dans l'attribution des subventions du fonds Marianne, mais a eu un rôle actif dans le processus de sélection même. Il a reçu à plusieurs reprises Mohamed Sifaoui pour discuter de son projet, et il est désormais établi que la ministre déléguée est elle-même intervenue pour écarter une association. L'autorité politique n'avait donc aucunement un rôle « effacé ».

En outre, l'autorité politique a, dans le suivi des projets, renoncé à sa responsabilité. Marlène Schiappa a indiqué que « le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations », ce qui est vrai pour la dimension technique du contrôle. Toutefois, les financements du fonds Marianne ne sont pas des crédits comme les autres : ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique de contre-discours sociétal, et dont les enjeux politiques étaient considérés comme prioritaires suite à un évènement particulièrement atroce. Or, après son lancement, le fonds Marianne n'a fait l'objet d'aucun signe d'une véritable implication politique, et les communications entre le SG-CIPDR et le cabinet à ce sujet furent manifestement réduites.

Les actions de contre-discours que devaient financer le fonds Marianne sont par nature des actions particulièrement sensibles, qui peuvent mener à des dérives, comme des attaques visant des personnalités politiques. Toutefois, ce risque peut être réduit, avec un cahier des charges clair, qui comporte des « lignes rouges » précises, mais aussi avec un processus de sélection qui permette de faire appel à un regard extérieur, et un temps et des moyens suffisants pour que l'administration puisse mettre en place toutes les garanties possibles. Il peut également être prévenu avec un véritable suivi assuré par l'autorité politique.

À la place, le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Le délai de l'appel à projets a été réduit au point qu'il n'était plus possible pour les associations de présenter des projets véritablement construits, et des associations qui ne présentaient pas de garanties en termes de lutte contre le séparatisme ont non seulement été sélectionnées mais également reçu les subventions les plus importantes.

Le pouvoir politique s'est désinvesti du fonds Marianne, renvoyant la responsabilité du contrôle mais aussi du suivi de ses résultats entièrement à l'administration. Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de cette responsabilité, mais montre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout. L'ensemble de ces choix est le résultat de décisions prises au niveau ministériel, et engage à ce titre une responsabilité politique. Le fonds Marianne n'était pas voué à connaître les dérives dont la mission d'information a fait le constat.

Pour éviter qu'un tel gâchis se reproduise à l'avenir, la mission d'information a formulé plusieurs recommandations, qui visent à améliorer le régime des subventions aux associations d'une manière générale, et l'organisation du SG-CIPDR ainsi que le financement des associations défendant les valeurs de la République en particulier.

LES 12 RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Recommandations générales pour le subventionnement des associations

Recommandation n° 1 : définir un délai de droit commun de deux mois pour les réponses aux appels à projets nationaux. Lorsqu'il est inférieur à cette durée, veiller à ce qu'il garantisse aux associations le temps nécessaire pour déposer des projets complets et crédibles.

Recommandation n° 2 : garantir pour l'ensemble des candidats aux appels à projets des conditions de traitement équitables, notamment en évitant le « recyclage » de dossiers ayant déjà fait l'objet d'un dépôt de demande.

Recommandation n° 3 : conditionner l'octroi de subventions de plus de 23 000 euros, qui est le seuil réglementaire à partir duquel une convention attributive est obligatoire, à la présentation d'un premier bilan annuel d'activité.

Recommandation n° 4 : renforcer les obligations de restitutions et de bilan des associations.

Recommandation n° 5 : préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets.

Recommandation n° 6 : expliciter, dans les conventions attributives de subventions, les contenus qui ne sauraient être produits par les porteurs de projets.

Recommandation n° 7 : mieux séquencer le versement des subventions et prévoir un régime de retenue sur les versements en cas de refus du porteur de projet de se mettre en conformité avec les demandes de l'administration visant à appliquer la convention attributive.

Recommandations au SG-CIPDR

Recommandation n° 8 : renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations porteuses d'un discours de défense des valeurs de la République en ligne, tout en engageant une réflexion sur le rôle de chaque acteur dans la stratégie de contre-discours.

Recommandation n° 9 : limiter au strict nécessaire la communication sur le financement de partenaires associatifs du ministère de l'intérieur en matière de lutte contre le séparatisme sur les réseaux sociaux.

Recommandation n° 10 : ouvrir le comité de programmation du FIPDR à des personnalités extérieures qualifiées en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation et contre les discours séparatistes.

Recommandation n° 11 : consolider les moyens consacrés au contrôle, notamment financier, de la mise en oeuvre des projets soutenus par le FIPDR.

Recommandation n° 12 : en matière d'octroi de subventions, interdire toute interférence du cabinet du ministre dans l'instruction des dossiers, et retracer de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.

INTRODUCTION

Mesdames, messieurs,

À la fin du mois de mars 2023, plusieurs médias mettent en cause l'utilisation des crédits du fonds Marianne1(*). Ce fonds, dont la création a été annoncée le 20 avril 2021 par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur, sur le plateau d'une chaîne de télévision d'information continue, est destiné à défendre les valeurs de la République sur internet.

Au regard de la gravité de ces accusations portant sur l'emploi de fonds publics mobilisés pour répondre aux processus de radicalisation pouvant conduire à des attaques directes contre nos concitoyens, le Président de la commission des finances, Claude Raynal, saisit le vendredi 14 avril le ministre de l'intérieur et la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, en application des dispositions de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, d'une demande de communication de documents concernant les attributions du Fonds Marianne en mai 2021.

Les éléments qui lui sont transmis en réponse ne lui permettent néanmoins pas de répondre aux interrogations soulevées sur les critères de sélection des associations soutenues par le fonds Marianne, sur leurs réalisations et sur le contrôle de l'exécution des projets.

À son initiative, la commission des finances décide donc, le 3 mai 2023, à l'unanimité, de constituer en son sein une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds et de désigner le rapporteur général de la commission, M. Jean-François Husson, rapporteur de cette mission d'information.

Le 10 mai 2023, en application de l'article 22 ter du règlement du Sénat et de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le Sénat décide de conférer à la commission des finances les prérogatives de commission d'enquête pour une durée de trois mois, pour mener sa mission d'information.

Si les montants en jeu restent modestes puisque le fonds Marianne ne dispose que d'une enveloppe totale de 2,5 millions d'euros en 2021, la mise en oeuvre de cette politique publique apparaît particulièrement symbolique et sensible, non seulement en ce qu'elle interroge sur l'attribution et le contrôle des subventions versées à des associations appelées à compléter l'action de l'État, mais surtout en ce qu'elle est censée constituer une réponse aux menaces et attaques terroristes subies par la France, en particulier l'assassinat d'un professeur d'histoire-géographie de Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020, après avoir donné un cours sur la laïcité et la liberté d'expression. En effet, cet acte terroriste mettait en lumière le rôle désormais essentiel des réseaux sociaux dans les processus de radicalisation favorisant des passages à l'acte, pouvant justifier ainsi une réponse nouvelle dans la politique de prévention et de répression menée par l'État.

La commission d'enquête a mené ses travaux en parallèle des investigations de l'inspection générale de l'administration (IGA), saisie par la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté le 29 mars 2023, qui a publié un premier rapport relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds Marianne le 6 juin 2023. Le rapport relatif à l'ensemble des bénéficiaires de l'appel à projets, qui a fait l'objet d'une saisine complémentaire de la ministre du 12 avril 2023, doit être remis incessamment.

Compte tenu de l'existence d'une information judiciaire en lien avec le fonds Marianne, la commission d'enquête s'est attachée à ne pas interférer avec la procédure judiciaire, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Le rapport présenté ici ne fera ainsi aucune référence à des infractions pénales, ce qui relèverait de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire, laissant à la justice le soin de poursuivre ses investigations, suite aux plaintes déposées.

Enfin, à aucun moment ce travail n'aura pour objet de remettre en cause le bien-fondé de la défense de la laïcité et de la lutte contre les discours attaquant la République et ses principes fondamentaux de liberté, d'égalité et de fraternité. Comme cela a été indiqué dès le début des travaux de la mission d'information son objet est bien au contraire de faire la lumière sur la manière dont le fonds Marianne a été conçu, porté et mis en oeuvre, pour en tirer tous les enseignements permettant de développer, à l'avenir, une politique ambitieuse et efficace de défense des valeurs de la République.

I. LE FONDS MARIANNE : UNE RÉPONSE AUX MENACES CONTRE LA RÉPUBLIQUE, PENSÉE COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

A. UNE ACTION SUR LES RÉSEAUX POUR CONTRE-CARRER LE DÉPLOIEMENT D'UN DISCOURS SÉPARATISTE ET VIOLENT

1. Une réponse d'abord institutionnelle
a) À la suite des attentats de l'automne 2020, des mesures ont été mises en oeuvre pour lutter contre la radicalisation et les discours séparatistes en ligne

La création du fonds Marianne s'inscrit dans un contexte plus large de lutte contre le séparatisme et la radicalisation en ligne.

À l'automne 2020, la France a connu une série d'attentats djihadistes. Le 25 septembre, rue Nicolas-Appert, devant l'ancien siège de Charlie Hebdo, une attaque à l'arme blanche a fait deux blessés. Le 16 octobre, un professeur d'histoire-géographie a été assassiné à la sortie d'un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. Le 29 octobre, une attaque au couteau à la basilique Notre-Dame de Nice a conduit au décès de trois personnes.

Le constat a alors été dressé du rôle des communications en ligne dans la préparation de ces attentats, en particulier pour celui de Conflans-Sainte-Honorine : le professeur d'histoire-géographie a été pris pour cible par le terroriste après avoir fait l'objet d'accusations diffamatoires sur les réseaux sociaux.

Après la tenue d'un Conseil de défense à la fin du mois d'octobre, plusieurs mesures ont été annoncées pour répondre à ce contexte.

La plateforme « Pharos », qui vise à traiter les signalements des contenus et comportements illicites sur internet, a été renforcée : les effectifs ont été portés de 30 à 54 policiers et gendarmes, et le dispositif fonctionne désormais de manière continue (24h/24h ; 7 jours sur 7).

En janvier 2021, un pôle national contre la haine en ligne a été créé au sein du parquet de Paris. Il doit permettre de disposer d'une réponse adaptée face au développement de ce type de délits sur les réseaux sociaux.

Des dispositions visant à lutter contre les dérives en ligne ont été en outre inscrites dans la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Son article 36 dispose notamment « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ». Plus généralement, les obligations des plateformes qui hébergent des contenus sur internet ont été renforcées.

b) La création de l'unité de contre-discours républicain au sein du SG-CIPDR s'inscrit dans une stratégie nouvelle de « riposte » face aux discours séparatistes

Les mesures gouvernementales ne se sont cependant pas arrêtées à la mise en place de nouvelles règles et à l'amélioration des outils de contrôle et de signalement. L'enjeu était également pour l'État de jouer un rôle actif sur les réseaux en portant un « contre-discours républicain ». Ce « contre-discours » se distingue du message institutionnel classique par le fait qu'il vise à répondre directement aux personnes qui tiennent un discours séparatiste et d'incitation à la haine. Cette tâche a été confiée au Secrétariat général du Conseil interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR).

La ministre déléguée à la citoyenneté a ainsi annoncé en octobre 2020 la création au sein du CIPDR de « l'unité de contre-discours républicain (UCDR) », dont le pilotage a été confié au Secrétaire général du CIPDR, le préfet Christian Gravel. Son objectif est « d'organiser la riposte » face aux discours séparatistes en ligne. L'UCDR a compté une quinzaine d'agents en avril 2021, puis une vingtaine en octobre 2021.

Présentation de l'unité de contre-discours républicain

En complémentarité avec le travail effectué par le Pôle Lutte contre l'islamisme et prévention de la radicalisation, une Unité de contre-discours républicain (UCDR) a été créée à la suite de l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine en octobre 2020. Fruit d'une volonté politique forte au plus haut niveau, cette unité est chargée d'investir les réseaux sociaux afin de contrecarrer les logiques militantes séparatistes et de valoriser le modèle de société républicain, en mobilisant les acteurs de la société civile.

Elle s'appuie pour cela sur :

- l'analyse des dynamiques séparatistes actives sur Internet et les réseaux sociaux, grâce à un travail de suivi et d'analyse ;

- la production de divers types de contenus adaptés aux différents réseaux sociaux, visant à déconstruire les discours séparatistes, ainsi que des témoignages en soutien ou en défense de la République, de ses valeurs et de son modèle de cohésion ;

- la diffusion et la promotion d'un contre-discours républicain, en riposte aux campagnes de désinformation ou de dénigrement menées par les milieux et influenceurs séparatistes.

En parallèle, l'UCDR conçoit, réalise, produit et diffuse des contenus positifs et pédagogiques sur les réseaux sociaux, sous la nouvelle identité « République », déployée sur les principales plateformes à la rentrée 2021 (TikTok, Instagram, Twitter et Facebook). Portés par un discours fédérateur et inclusif, ces contenus, prioritairement destinés aux jeunes de 13 à 25 ans, visent à :

- comprendre ce qu'est la République, son histoire, son héritage pour mieux...

• adhérer à ses valeurs et ses principes et...

• agir afin de susciter et valoriser les actions républicaines.

Source : brochure sur le site du SG-CIPDR

Dans la conception du contre-discours républicain portée par l'UCDR, il ne suffit pas seulement de promouvoir les valeurs de la République, mais d'organiser une « riposte » par rapport aux personnes et aux organisations qui les menaceraient. Dans cette représentation du contre-discours, il serait essentiel d'aller répondre directement aux comptes qui promeuvent le séparatisme ou qui incitent à la haine en ligne. Il s'agit d'une logique davantage offensive et agonistique que les politiques traditionnelles de promotion des valeurs républicaines.

2. En complément de la communication institutionnelle, une démarche de recours à des porteurs associatifs
a) Un recours à des associations dans une volonté d'associer la société civile à la défense des valeurs républicaines et à la lutte contre les discours séparatistes

Sébastien Jallet, ancien directeur de cabinet de la ministre déléguée à la citoyenneté, a décrit la création de l'UCDR en ces termes : « cette démarche s'inspire pour partie de ce que les Britanniques ont mis en place depuis 2007 en créant le Research Information and Communications Unit (RICU), une unité constituée au sein du Home Office pour établir un contre-discours institutionnel, porté par une structure d'État, et un contre-discours sociétal, porté par des acteurs associatifs. »2(*). Il a ensuite souligné que l'UCDR avait pour charge de porter le premier axe : le contre-discours institutionnel.

Le fonds Marianne s'inscrit en revanche dans le deuxième axe : le « contre-discours sociétal ». Il ne s'agit pas seulement de faire passer le contre-discours par un canal institutionnel, marqué du sceau de l'État, mais également qu'il se déploie au niveau de la société civile. Un appel à projets a donc été mis en oeuvre et a abouti à la sélection de 17 associations, bénéficiant d'une enveloppe totale de 2,017 millions d'euros.

L'idée de développer une politique de « contre-discours sociétal » était en germe dès l'automne 2020, comme l'indique Sébastien Jallet. Elle a notamment été mise en oeuvre par le fonds Marianne, sous la forme d'un appel à projets à destination des associations.

Avant le fonds Marianne, l'administration travaillait déjà avec des associations dans la lutte contre la radicalisation. Certaines de ces associations étaient d'ailleurs subventionnées depuis plusieurs années par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance et la radicalisation (FIPDR). Il s'agissait toutefois surtout d'associations qui menaient des actions de « terrain », davantage que des associations qui portaient des discours en ligne.

Plusieurs personnes interrogées par la mission d'information ont souligné l'importance du rôle de ces structures dans la lutte contre le séparatisme et la promotion des valeurs républicaines. Elles sont en effet capables de mener des actions au plus près des personnes concernées, et surtout, elles ne sont pas considérées comme les représentantes de l'État, dont la parole peut être d'emblée mise en doute.

Ce dernier point a été soulevé à de nombreuses reprises au cours des auditions. Christian Gravel a ainsi déclaré : « l'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. Conséquence d'une crise durable de l'autorité, ce discrédit est aujourd'hui aggravé par le déploiement exponentiel des thèses complotistes sur internet. »3(*). Toutefois, les associations avec lesquelles travaillait traditionnellement le SG-CIPDR menaient surtout des actions de terrain, et non pas des actions sur internet.

b) L'équation délicate du recours à des associations pour des actions de contre-discours en ligne

Le fonds Marianne avait ainsi pour objectif de faire émerger des associations capables de porter un « contre-discours républicain » en ligne. Christian Gravel a ainsi déclaré devant la commission d'enquête : « si la mobilisation du secteur associatif constitue un levier essentiel pour déployer sur internet un discours républicain crédible, rares sont les associations qui sont à la fois en mesure d'agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication digitale »4(*). La nouveauté du fonds Marianne est précisément qu'il était censé faire appel à des associations spécialisées sur la communication en ligne.

Cependant, la nature des actions que devaient mener les associations a toujours été ambiguë, et la mise en oeuvre du fonds Marianne n'a pas permis de la clarifier.

Les associations elles-mêmes ont en effet souvent une réticence à mener des actions de contre-discours « en riposte », craignant justement d'aller sur un terrain politique dont elles ne souhaitent pas s'approcher. Un témoignage devant la mission a ainsi rapporté que plusieurs associations ne souhaitaient pas être associées au « contre-discours républicain », qui peut être sujet à des polémiques.

Des associations ont également déclaré qu'elles voyaient davantage leur action sous le prisme de l'éducation populaire. Xavier Desmaison, président de Civic Fab, a ainsi déclaré devant la commission d'enquête : « nous construisons nos interventions à partir de documents, de films, d'éléments historiques et de références. Puis, quand c'est possible, nous demandons à ces jeunes publics de produire quelque chose, que ce soit un travail écrit, une chanson ou un tableau, mais surtout des vidéos numériques, ce qui leur permet de décoder la façon dont les contenus sont produits et dont ils peuvent être travaillés »5(*). De même, Abdenour Bidar, président de Fraternité générale a déclaré devant la commission d'enquête : « l'action éducative constitue la quatrième dimension de notre travail. Il y a quelques années, nous avons créé une mallette pédagogique, qui est en voie d'amélioration permanente et dans laquelle nous proposons un "kit de débat fraternel", rédigé dans un langage extrêmement simple »6(*).

Une autre difficulté tient au cadrage de l'action des associations, en définissant à la fois le degré de contrôle exercé par l'administration et, inversement, le degré d'autonomie laissé aux acteurs associatifs. Plusieurs associations ont déclaré devant la commission d'enquête ne pas être des « sous-traitants » du SG-CIPDR. 

Cette formule met l'accent sur un fait important, qui est que si l'État passe par des associations pour mener une politique, il est nécessaire que celles-ci disposent d'une certaine autonomie pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés. Julien Marion, directeur de cabinet de la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, a même repris cette expression : « je m'associe à la réaction des acteurs associatifs que vous venez de citer. En effet, il ne serait pas juste de les considérer comme "les prestataires du ministère de l'intérieur" »7(*). Dans le même temps, cette formule ne doit pas conduire à exclure toute forme de contrôle de l'État, lequel s'avère indispensable dès lors que les associations sont subventionnées par de l'argent public.

En tout état de cause, le recours à des porteurs associatifs pour des actions de défense des valeurs républicaines et de lutte contre le séparatisme suppose la définition d'objectifs et d'un cadre de contrôle précis, ainsi qu'une détermination claire des responsabilités entre les associations, l'administration et le politique.

Au-delà de la question spécifique, et polémique, de la stratégie de « contre-discours », les associations restent incontestablement des acteurs majeurs de la lutte contre le séparatisme et la promotion des valeurs républicaines. Elles peuvent accomplir des actions de terrain, au plus près des personnes, ce que ne peut pas faire le ministère de l'intérieur.

B. UN FONDS CONÇU COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION

1. Un label de communication sans engagement sur la durée
a) Une opération de communication qui vient à l'appui d'une stratégie offensive du Gouvernement sur les questions de laïcité

La création du fonds Marianne peut être envisagée, selon les mots même du préfet Christian Gravel, comme un « label de communication ». En effet, la ministre déléguée à la citoyenneté annonce la création de ce fonds, ayant vocation à financer des projets associatifs de contre-discours républicain en ligne, le 20 avril 2021 un peu avant 9 heures, en direct sur la chaîne de télévision BFM TV, dans l'émission de Jean-Jacques Bourdin.

Alors que le courrier envoyé plus tard aux lauréats de l'appel à projet évoquera un « fonds Marianne, que j'ai lancé le 20 avril dernier à l'hôtel Beauvau », il n'existe aucune trace d'un tel lancement officiel dans l'enceinte du ministère de l'intérieur. C'est donc bien sur un plateau de télévision qu'a vu le jour de manière publique le fonds Marianne.

Marlène Schiappa, invitée de Jean-Jacques Bourdin le 20 avril 2021

« Oui, je lance un fonds qui s'appellera le fonds Marianne, pour la République, et qui est un fonds qui vise à financer des personnes et des associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République, et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et sur les plateformes en ligne.

« J'étais hier avec Cédric O, mon collègue chargé du Numérique, nous avons réuni les représentants de Twitter, Facebook, Google, Qwant, [TikTok], les grandes plateformes et les grands réseaux sociaux, et les directions du ministère de l'intérieur pour mieux lutter contre ces contenus terroristes, et qui font l'apologie du terrorisme, mais ça n'est pas suffisant de les supprimer, il faut aussi leur apporter la contradiction, démentir les fausses nouvelles, les fake news, comme on dit, qui circulent trop souvent sur les réseaux sociaux, et qui font le lit de l'islamisme radical. Donc ce fonds, il sera doté de 2,5 millions d'euros, je veux dire qu'avec 2,5 millions d'euros, on peut faire beaucoup de choses pour défendre les valeurs de la République. »

Source : Interview de Marlène Schiappa, ministre de la citoyenneté, à BFM TV le 20 avril 2021, sur l'épidémie de Covid-19, la police, la mixité sociale, la lutte contre la drogue et la laïcité, cité par le site vie-publique.fr

L'annonce de la ministre déléguée précède de quelques instants le lancement des États généraux de la laïcité au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à Paris, en présence d'essayistes, d'universitaires et de philosophes. Concrètement, cette consultation ouverte le mardi 20 avril 2021 pour une durée de trois mois devait constituer l'occasion d'échanges sur la liberté d'expression, la recherche, la jeunesse, l'intégration citoyenne et les droits des femmes.

Les États généraux de la laïcité ont lieu dans un contexte politique de tensions sur ce thème, alors qu'est examiné par le Parlement le projet de loi confortant le respect des principes de la République et que l'avenir de l'Observatoire de la Laïcité est plus qu'incertain. Quelques jours avant l'annonce de la création du fonds Marianne, Marlène Schiappa a par ailleurs annoncé « [vouloir] justement sortir de la tenaille entre d'un côté les identitaires d'extrême droite et de l'autre les indigénistes et Europe Écologie-Les Verts. »8(*)

Les annonces de Marlène Schiappa relatives à l'Observatoire de la laïcité,
en séance au Sénat

Sur l'Observatoire de la laïcité, les interventions de Marlène Schiappa en séance sur le projet de loi Respect des principes de la République, le 31 mars 2021, laissent peu de doutes sur l'avenir de cette structure9(*). Dès le lendemain, La Croix publie un article, intitulé « Marlène Schiappa sonne la fin de l'Observatoire de la laïcité. »

Le « coup politique » de l'annonce du fonds Marianne intervient donc alors que le Gouvernement est à l'offensive sur le front de la défense de la laïcité. En annonçant le financement d'associations à hauteur de 2,5 millions d'euros, si la ligne n'est pas explicite, elle n'en est pas moins claire, ces crédits ne visent pas les associations qui pourront être qualifiées de « gentillettes », ou qui sont en désaccord avec la ligne gouvernementale sur ces questions.

Le cahier des charges est quant à lui explicite : la terminologie employée est celle d'une laïcité de combat. Il ne s'agit pas tant de former à l'esprit critique ni de construire un discours, que de « riposter à la propagande séparatiste », et de « défendre les valeurs républicaines », face « aux idéologies séparatistes ».

Le choix de la terminologie est d'autant plus frappant que, le cabinet de Marlène Schiappa a procédé à une réécriture du projet initial de l'appel à projets proposé par le SG-CIPDR. Entre ces deux rédactions, deux visions de la laïcité se confrontent.

Les objectifs qui doivent être poursuivis par les porteurs de projets
candidats au fonds Marianne

dans la rédaction proposée par le SG-CIPDR

dans la rédaction finale, modifiée par le cabinet de la ministre

- Lutter contre les contenus haineux à caractère antisémite ou relevant du racisme anti-musulman et des discours séparatistes, les théories complotistes diffusées massivement en ligne notamment sur les réseaux sociaux et plus largement tout discours haineux et stigmatisant qui vise à fracturer et à diviser la société française ;

- Promouvoir la connaissance de l'autre, l'engagement citoyen, la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, le dialogue interreligieux, le respect de la liberté de conscience et de la liberté d'expression, valeurs essentielles, parmi d'autres, de notre société ;

- Célébrer la place de chacun, au-delà des particularismes, au sein d'une même communauté nationale qui transcende les appartenances à telle ou telle communauté particulière et rejeter tout type de racisme et de haine (haine anti-LGBTQ...).

- Riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux ;

- Défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales.

Sources : appel à projets Fonds Marianne et échanges de courriels entre le cabinet de la ministre déléguée et le SG-CIPDR

La stratégie de communication de Marlène Schiappa vient donc opportunément à l'appui d'une stratégie offensive du Gouvernement sur la question de la laïcité.

Le courrier adressé par la ministre aux lauréats est également sur le même ton : « nous avons plus que jamais besoin de votre implication pour promouvoir nos principes républicains, en particulier dans l'espace numérique où se développent des discours haineux hostiles à nos libertés et à notre modèle démocratique. Je vous remercie vivement pour votre engagement ».

b) Un report de crédits pour financer une action ponctuelle

L'idée d'un appel à projets à destination des associations aurait été abordée, au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) dès le début de l'année 2021. Elle vient de la ministre déléguée en charge de la citoyenneté, Marlène Schiappa. Pour reprendre les termes de Christian Gravel, secrétaire général du CIPDR démissionnaire, il s'agit d'une « commande politique », le projet étant « le fruit de la volonté politique de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté de l'époque, dont le cabinet a fait savoir au CIPDR que ce projet ambitieux devait être engagé ».

D'après le retour de l'un des porteurs de projet bénéficiaire des crédits du fonds Marianne, le fonds avait déjà été évoqué dans ses échanges avec le SG-CIPDR dès janvier 2021.

Néanmoins, d'après Sébastien Jallet, l'enveloppe des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), arrêtée en loi de finances initiale, n'aurait pas permis de réaliser un tel appel à projets. En effet, sur les 66 millions d'euros du FIPDR, 54 millions d'euros étaient déconcentrés pour financer des projets et actions dans les territoires, et les 12 millions d'euros prévus au niveau national étaient d'ores et déjà fléchés vers d'autres projets.

Les crédits qui ont permis d'alimenter l'appel à projets seraient donc issus d'un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021, âprement négocié. Sébastien Jallet a ainsi indiqué : « nous ferraillons pour obtenir un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021 et [...] nous obtenons de l'arbitrage du cabinet du Premier ministre, une décision de report de 4,8 millions d'euros, qui vont être affectés à deux priorités ministérielles : le contre-discours républicain, pour 2,5 millions d'euros, et le développement de la vidéo-protection. »

Les crédits du fonds Marianne résultent du reliquat des crédits non consommés lors de l'exercice 2020, sur le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Ils ne proviennent néanmoins pas directement des crédits du FIPDR lui-même, dans la mesure où les crédits en autorisations d'engagement dédiés à cette action budgétaire avaient déjà été surconsommés en 2020.

En revanche, au regard des éléments transmis en réponse aux demandes de la mission, la version selon laquelle les crédits reportés auraient été obtenus après d'âpres négociations et constituaient un préalable au lancement de l'appel à projets peut être mise en cause. En effet, « le début de gestion du FIPDR 2021 ne révèle aucune tension sur les crédits » selon le SG-CIPDR. Surtout, des crédits apparaissent comme avoir d'ores et déjà été prévus pour financer des actions de contre-discours en 2020, à hauteur de 5 millions d'euros. Ainsi, le lancement tardif de l'appel à projets ne saurait être justifié par une contrainte budgétaire et la durée des négociations sur un report.

Depuis le mois de février 2021, la ventilation du FIPDR 2021 est aboutie : « dans cette programmation apparaît l'affectation de 3M€ AE/CP aux actions de contre-discours »10(*), c'est-à-dire à des actions qui avaient vocation à être financées par le fonds Marianne.

Enfin, dès le 7 janvier 2021, la notification de dotation envoyée par le secrétaire général du ministère de l'intérieur au SG-CIPDR indique que la ressource du budget opérationnel de programme « pourra éventuellement être complétée du report de crédits que pourrait obtenir le RPROG au titre de la part non consommée des dotations complémentaires dont a bénéficié le RBOP en fin de gestion 2020 ». En termes budgétaires, cela signifie que les crédits auraient pu être engagés dès le début de l'année et être couverts ensuite par des reports de crédits.

Cependant, même en souscrivant à la logique de financement via des reports de crédits, cette modalité de financement du fonds Marianne interroge sur la stratégie poursuivie par le Gouvernement. En effet, plutôt que de flécher des crédits existants ou de demander des crédits nouveaux, la voie du report n'offre aucune garantie de pérennité sur l'enveloppe, bien au contraire.

Il s'agit de moyens très ponctuels, qui, pour en être phase avec le temps de la communication, sont en discordance totale avec la stratégie avancée par le Gouvernement, à savoir ancrer durablement un contre-discours républicain dans la société civile via des partenaires associatifs. Le cahier des charges de l'appel à projets fait pourtant apparaître l'attention portée lors de la sélection sur la pérennité de l'action, indiquant qu'une « attention particulière sera portée aux projets réunissant des cofinancements favorisant la pérennité des projets au-delà de 2021 ».

c) L'appel à projets, une opération de communication qui vise, au moins en apparence, à attirer de nouveaux acteurs

Comme l'a souligné Christian Gravel, secrétaire général démissionnaire du CIPDR, le label de communication ne renvoie pas uniquement « à son sens le plus caricatural. » À ses yeux, ce qui fait la richesse de l'opération est d'offrir « une certaine souplesse, de faire émerger des acteurs qui n'étaient pas connus de la sphère étatique, qui avaient des idées, et de leur donner la possibilité de faire des propositions »11(*).

L'appel à projets a initialement pour objectif de soutenir des actions en ligne, à portée nationale, destinées à des jeunes exposés aux idéologies séparatistes. D'après les propos de Sébastien Jallet, « la décision de faire un appel à projets est prise début avril, je la rattache à une discussion que j'ai eue avec la ministre le 7 avril 2021 »12(*).

Comme évoqué plus haut, l'objectif du fonds Marianne est de subventionner des projets qui visent à « riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux » ou à « défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales. »

Le cahier des charges établit des critères très généraux de sélection, qui ne feront pas l'objet d'une évaluation précise lors de l'examen des différentes candidatures. Ainsi, les porteurs de projets doivent se conformer à au moins un des objectifs du fonds et les projets seront aussi sélectionnés en fonction de leur rapidité de mise en oeuvre, au plus tard dans un délai de 45 jours après l'attribution de la subvention. Les projets devaient donc être sélectionnés suivant la qualité des actions, ce qui ne manque pas d'interroger compte tenu des réalisations concrètes de certains lauréats (cf infra).

Enfin, d'après le cahier des charges et outre l'importance donnée à la pérennité de l'action évoquée plus haut, « les actions proposées devront comprendre un volet évaluation, tant sur le plan quantitatif (nombre de jeunes touchés, temps passé sur les campagnes produites, partages, “likes”, etc.) que qualitatif (résultat atteint au regard des objectifs fixés) ». Malheureusement, il apparaît clairement a posteriori que ce volet évaluation n'a pas été pleinement mis en oeuvre. Les critères de l'évaluation ne sont par ailleurs pas détaillés.

Alors que le cahier des charges précise enfin que « le CIPDR procèdera à l'instruction et à la sélection des projets et décidera du montant de la subvention allouée pour chaque dossier retenu », la décision finale est en réalité dévolue au comité de sélection, composé à parité de membres du cabinet de Marlène Schiappa et de membres du SG-CIPDR (cf. infra).

2. Un appel à projets entre volonté d'aller vite et désinvolture
a) Un appel à projets préparé dans l'urgence et une intervention claire du cabinet pour limiter les délais pour les porteurs de projets

La mise en place de l'appel à projets intervient dans l'urgence. Ainsi, alors que celui-ci semble avoir été acté le 7 avril 2021 par la ministre, il paraît faire l'objet de discussions entre le cabinet de la ministre et le SG-CIPDR le 13 avril 2021, à l'occasion du comité de programmation des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Dès le 15 avril, le cabinet relance le SG-CIPDR pour obtenir « le plus rapidement possible - SVP » trois dossiers, dont celui relatif au contre-discours. Il est indiqué que « ce [dernier] dossier reste prioritaire TTU car la Ministre annonce cette mesure publiquement au début de la semaine prochaine. »

Le SG-CIPDR envoie alors une première version de l'appel à projets le vendredi 16 avril en fin d'après-midi, alors que la ministre doit intervenir sur le plateau de BFM TV dès le mardi 20 avril matin, ne laissant ainsi à peine plus que le temps d'un week-end pour réaliser les arbitrages.

Dans la version initiale de l'appel à projets proposée par le SG-CIPDR, le dépôt des candidatures devait intervenir entre le 1er mai et le 30 juin 2021, soit dix jours après l'annonce de la ministre et pour un délai de deux mois. La commission nationale d'attribution aurait alors eu lieu entre le 30 juin et le 29 juillet et les notifications seraient intervenues à partir du 30 juillet 2021.

Néanmoins, le directeur de cabinet de Marlène Schiappa, Sébastien Jallet, est intervenu pour limiter ce délai : à peine trois minutes après l'envoi de la proposition d'appel à projets par le secrétariat général du CIPDR, le directeur de cabinet répond au courriel pour demander à « resserrer le calendrier : dépôt entre le 20 avril et le 10 mai ; commission nationale d'attribution entre le 11 mai et le 31 mai : à partir du 1er juin notifications. ». La demande du directeur de cabinet a remonté la date d'ouverture de l'appel à projet de dix jours, soit dès la date de l'annonce par la ministre (20 avril), et a réduit de plus de sept semaines le délai dont disposent les associations pour soumettre leur projet.

Le 19 avril au soir, soit la veille du passage de Marlène Schiappa sur BFM TV, la version validée par le cabinet est renvoyée au SG-CIPDR, procédant aux modifications de fond sur la cible de l'appel à projets évoquées plus haut et demandant de diffuser l'appel à projets le lendemain à midi sur le site et le compte Twitter du CIPDR. 

Le calendrier de l'appel à projet
tel que modifié par le cabinet de la ministre

Source : commission des finances du Sénat, d'après les échanges transmis par SG-CIPDR

La rapidité avec laquelle l'appel à projets a été conçu et lancé contraste avec la complexité du sujet. Alors qu'il s'agissait de déléguer à des associations le rôle de porter un discours en phase avec celui de l'État, il était indispensable de réfléchir aux conditions de mise en place d'un cadre d'action clair pour ces associations. Des critères d'évaluation sur leur production, tant en termes quantitatifs que qualitatifs, auraient dû être développés, ce qui semble impensable dans les délais laissés par le cabinet, c'est-à-dire moins d'une semaine. Cet appel à projets, monté à la va vite, a donc fait l'économie de prévoir des critères précis d'objectivation des projets et des résultats attendus.

En conséquence, les objectifs, et surtout les « lignes rouges » à ne pas dépasser n'ont jamais été clairement définis dans le cahier des charges, ni dans les conventions attributives signées par la suite. Ce manque de garanties en amont, qui résulte de l'urgence dans laquelle a été mis en place l'appel à projets, n'est pas sans expliquer en partie les nombreuses difficultés rencontrées par la suite, et a limité les capacités de contrôle et de sanctions de l'administration.

Le resserrement des délais ayant contraint l'administration à travailler dans l'urgence, des témoignages reçus par la mission ont ainsi évoqué la « précipitation » lors des différentes étapes de l'appel à projets. Christian Gravel a ainsi affirmé devant la mission d'information qu'il était nécessaire de disposer de trois mois pour mener le travail dans des conditions satisfaisantes : « avec mon équipe, nous avions proposé un autre calendrier, car nous considérions qu'il fallait prévoir trois mois du 1er mai jusqu'à fin juillet, pour effectuer ce travail dans des conditions optimales »13(*).

La disparition de la mention du niveau maximal
de la subvention en valeur et en part du budget total

Il est à noter qu'alors que le projet proposé par le SG-CIPDR devait être complété pour indiquer le montant maximal de la subvention allouée et le pourcentage maximal de celle-ci sur le budget total du projet, la mention de ces plafonds est purement et simplement supprimée par le cabinet, laissant ainsi toutes latitudes au comité de sélection dans la détermination du niveau des subventions.

Source : échanges de mail entre le cabinet de la ministre et le SG-CIPDR

b) Des délais insuffisants pour permettre l'émergence d'acteurs et la présentation de projets réellement nouveaux

Le choix du directeur de cabinet d'avancer de sept semaines le délai limite de dépôt des dossiers de candidature, ne laisse que trois semaines aux associations, faisant courir le délai à compter du jour même de l'annonce de la ministre.

En effet, aucune urgence n'est avérée au moment du lancement de l'appel à projets. Alors que la ministre mobilise dans sa communication le terrible attentat perpétré à Conflans-Sainte-Honorine, et que la volonté de financer des projets pérennes est dès le départ mise en avant, le recours à une procédure menée dans l'urgence ne trouve aucune justification.

De plus, le SG-CIPDR ne semble pas avoir averti immédiatement les différents partenaires associatifs. D'après les retours des associations bénéficiaires du fonds Marianne, elles sont plusieurs à n'avoir reçu une alerte qu'à la fin du mois d'avril 2021.

Ainsi, l'une d'entre elles indique n'avoir été avertie que le 29 avril 2021 de la tenue de l'appel à projets, par un agent du ministère de la culture. Une autre association, pourtant un acteur incontournable du sujet et partenaire régulier du SG-CIPDR, indique également avoir eu connaissance de la mise en place du fonds ce même 29 avril, via un échange avec un agent de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône.

Il ne leur est alors resté que douze jours pour construire un projet à la hauteur des enjeux. Sans les modifications apportées par le cabinet de la ministre, ces associations auraient bénéficié d'un délai de deux mois.

Par ailleurs, l'une des confédérations d'associations les plus importantes qui travaille sur les thématiques de laïcité chez les jeunes, et qui emploie, d'après les éléments transmis, 10 000 salariés, indique n'avoir été avertie de la tenue de l'appel à projets que le 3 mai, soit une semaine avant sa clôture.

Il en ressort que la communication qui a accompagné la mise en place a été d'abord tournée vers les médias, plutôt que de s'adresser directement aux acteurs concernés.

Comme l'indique le rapport de l'inspection générale de l'administration, « l'inspection n'a pu que relever, par ailleurs, le décalage entre les délais extrêmement resserrés de l'appel à projets et l'élongation temporelle de la conclusion des conventions d'attribution, signées entre juillet et octobre 2021 »14(*). La mission dresse le même constat : l'urgence avec laquelle a été mis en oeuvre l'appel à projets contraste singulièrement avec les délais qui ont ensuite été nécessaires à la signature définitive de l'ensemble des conventions.

c) La communication, une opération contre-productive

Alors qu'il a été plusieurs fois indiqué en audition que l'intérêt de recourir à des associations était de disposer d'une présence sur internet et sur les réseaux sociaux qui ne soit pas « siglée ministère de l'intérieur », le choix de recourir aux médias lors du lancement du Fonds Marianne s'explique d'abord par la stratégie de communication politique choisie par la ministre et son cabinet.

Comme l'a d'ailleurs signalé Christian Gravel dans une note adressée au directeur de cabinet de l'actuelle secrétaire d'État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, datée du 5 octobre 2022, l'absence de communication du nom des associations, a posteriori, est « fondée sur le double objectif de préservation de la sécurité des porteurs de projets et d'efficacité de la politique publique ».

D'après le préfet, « la communication de [l'] identité [des bénéficiaires] serait de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes concernées. En conséquence, en accord avec le cabinet de la ministre déléguée, la liste des projets soutenus n'a pas été rendue publique. » Au nom de la complémentarité d'actions entre administration et porteurs associatifs et « s'inscrivant dans une démarche de contre-discours sociétal porté par des acteurs non-institutionnels, les actions sélectionnées [n'avaient] pas vocation à être revendiquées par le CIPDR, de façon à ne pas décrédibiliser leur porteur ». Dans la note, il reprend ainsi les règles définies par l'arrêté du 3 avril 2018, qui indique que « les campagnes de contre-discours » doivent faire l'objet de « discrétion dans l'affichage du soutien public ».

C'est sur le fondement de ces considérations que le choix sera donc fait de ne pas publier la liste des lauréats du fonds Marianne dans le fichier annexé au jaune budgétaire dédié à l'effort financier de l'État en faveur des associations.

Ces éléments témoignent du caractère contre-productif de la communication, qui met en lumière le soutien public à des associations, alors que c'est précisément l'inverse qui aurait dû être recherché pour garantir l'efficacité de cette politique publique.

II. UNE PROCÉDURE DE SÉLECTION OPAQUE, DANS LAQUELLE LE POLITIQUE A OUTREPASSÉ SON RÔLE

A. UN PROCESSUS DE SÉLECTION BÂCLÉ, OPAQUE ET FRAGMENTÉ

1. Un processus de sélection biaisé
a) Des demandes réorientées vers le fonds Marianne depuis le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

Sur les 17 porteurs de projets bénéficiaires des crédits du fonds Marianne, et d'après l'un des tableaux transmis par le SG-CIPDR, au moins quatre d'entre eux ont bénéficié de crédits au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) en 2020.

Pour ces associations, le fonds Marianne a constitué une augmentation très sensible des moyens accordés par l'État à leurs actions, alors que les versements du FIPDR décidés au niveau national ont été, en moyenne, multipliés par 2,7 pour ces associations entre 2020 et 202115(*).

Il est à noter que plusieurs demandes de subventions des porteurs de projets ont été adressées en amont du lancement du fonds Marianne afin de bénéficier de subventions au titre du FIPDR. 

Ainsi, l'une des associations indique, en réponse aux demandes de la mission, que « pour 2021, nous avons introduit une demande de subvention en mars. Les services du CIPDR ont réceptionné notre demande de subvention et l'ont orientée en avril vers l'appel à projet Fonds Marianne [...]. Nous n'avons pas rencontré le secrétaire général à cette période. Le 7 mai 2021, nous avons adressé notre réponse à l'appel à projet »16(*).

Dans un courriel envoyé le 19 avril 2021, le directeur de cabinet de la ministre, Sébastien Jallet, indique, au sujet des arbitrages réalisés au sujet de la programmation des crédits FIPDR : « un certain nombre de dossiers vont glisser dans l'AAP fonds Marianne. »

Ce recyclage de dossiers est contraire à la logique même d'un appel à projets, qui vise en principe à inciter des associations à proposer de nouveaux projets, en phase avec la commande politique inscrite dans ce cadre. Le glissement de trois dossiers déjà arbitrés favorablement dans le cadre du comité de programmation du FIPDR témoigne de ce que certaines demandes de subventions étaient arbitrées favorablement avant même l'annonce de la création du fonds. Pour l'une d'entre elles, le montant exact de la subvention (de près de 300 000 euros) avait d'ores et déjà été validé.

Dans une note produite le 6 mai, il est indiqué qu'à l'occasion du comité de programmation du FIPDR, qui a eu lieu le 13 avril 2021, une dizaine de dossiers ont été instruits. Ainsi, il est indiqué que « le cabinet a arbitré qu'un certain nombre d'entre eux s'inscriraient dans le cadre de l'appel à projets « Fonds Marianne » lancé le 20 avril. »

b) Une sélection expéditive et sans critère précis

La réunion du comité de sélection semble, au regard des éléments transmis, s'être déroulée le 21 mai au matin, hors la présence de la ministre. En effet, d'après le rapport de l'inspection générale de l'administration, « les témoignages recueillis convergent sur la date du 21 mai 2021. »17(*). Le comité était composé du directeur de cabinet et de deux autres membres du cabinet de la ministre, du secrétaire général du CIPDR et de deux agents de l'unité de contre-discours républicain (UCDR). D'après l'un des témoignages, un voire deux autres membres du cabinet pourraient s'être joints à la réunion.

L'absence de personnalité qualifiée extérieure à l'administration en charge du dossier et au cabinet de la ministre doit être déplorée. En effet, en présence d'un jury endogène, qui est lui-même inscrit dans une structure hiérarchique, les conditions n'étaient pas réunies pour assurer la qualité des décisions et leur neutralité.

La ministre déléguée devait initialement présider la réunion, comme l'indique un mail d'un membre du cabinet à Christian Gravel le 17 mai 2021. Il est en effet indiqué : « suite à l'appel de la semaine dernière, je te confirme la tenue d'une réunion Fonds Marianne présidée par la ministre ce 21 mai à 10h. L'objectif est de présenter à la ministre les dossiers qui vous paraissent pouvoir être retenus, pour validation de la sélection finale. »

De plus, des éléments de langage ont été préparés pour la ministre la veille de la réunion du comité de sélection, par les deux conseillers du cabinet siégeant au sein de ce comité. Enfin, le préfet Christian Gravel, secrétaire général du CIPDR, a indiqué lors de son audition par la commission « je précise que la ministre devait venir à ce comité, mais c'est finalement son directeur de cabinet qui est venu. »18(*)

Les éléments de langage préparés pour la ministre

« Au lendemain de l'assassinat de Samuel Paty, l'État a estimé qu'il ne pouvait plus rester silencieux face au développement sur le web d'idéologies violentes, terreau du terrorisme. Il a décidé de réagir. Nous avons créé l'unité de contre discours républicain, qui alerte sur la propagande dans les réseaux sociaux des discours islamistes radicaux et des autres idéologies violentes. Qui dénonce les mensonges et les manipulations de tous ceux qui veulent détruire nos libertés républicaines.

« Aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape. Il s'agit, à travers le Fonds Marianne, de renforcer les défenses de la société contre ces idéologies violentes qui en veulent à notre modèle de liberté. L'État ne peut pas mener seul ce combat. Nous avons besoin de la force, de la résistance, de l'inventivité, du talent de la société civile.

« Je suis heureuse de constater que cette société française répond favorablement à notre appel. Et impatiente d'examiner les propositions qu'elle a souhaité nous soumettre. »

Source : archives du cabinet de la ministre délégué à la citoyenneté

La ministre déléguée n'aurait finalement pas présidé la réunion, n'ayant elle-même pas le souvenir qu'il était prévu qu'elle siégea.

En effet, alors que les archives du cabinet sont formelles, de même que les échanges de courriels, Marlène Schiappa a indiqué, en réponse au rapporteur lui indiquant qu'elle devait faire partie du comité de sélection : « je n'en ai pas le souvenir. Je n'ai pas de trace du fait que je doive en faire partie. En tout cas, je n'en fais pas partie. »19(*)

D'après le rapport de l'inspection générale de l'administration, la réunion du comité « aurait duré entre quarante-cinq minutes et une heure trente ». En ce laps de temps relativement court, les différents dossiers ont donc d'abord été examinés puis des décisions d'attribution de subventions ont été prises, pour un montant légèrement supérieur à 2 millions d'euros.

Les travaux du comité de sélection se sont appuyés sur une note préparatoire de la chargée de mission au sein du SG-CIPDR en charge du suivi de l'appel à projets. L'une des difficultés dans le suivi des décisions rendues par le comité de sélection réside dans le fait que cette note a fait l'objet de modifications successives. Elle donne ainsi lieu à différents envois entre le cabinet et le SG-CIPDR, sans que la date du document ne soit modifiée, et ce jusqu'au 15 juillet. Elle tient lieu, en l'absence de tout compte-rendu ou document d'évaluation, de relevé des décisions verbales prises par le comité.

On ne peut que déplorer l'absence d'établissement d'éléments d'objectivation préalable des candidatures dans l'analyse qui en a été faite. Par exemple, les critères de sélection présentés dans l'appel à projets auraient pu faire l'objet d'une notation sur chaque demande. Alors que l'appel à projets prévoyait bien des critères de sélection, il aurait été indispensable que ceux-ci fassent l'objet d'une analyse circonstanciée et que le comité ne se satisfasse pas d'un bref résumé du contenu du projet sans aucune analyse écrite sur leur pertinence.

L'absence d'évaluation précise explique une partie des difficultés rencontrées par la suite, dans le cadre de la mise en oeuvre du fonds Marianne. Outre qu'elle constitue une meilleure garantie de pertinence pour les projets sélectionnés, l'analyse circonstanciée des candidatures aurait permis d'anticiper certaines problématiques.

Ainsi, par exemple, les formulaires de candidature des porteurs de projets comprenaient un volet « indicateurs d'évaluation du projet au regard des objectifs ». Comme l'a relevé l'ancien secrétaire général adjoint du CIPDR, Jean-Pierre Laffite, lors de son audition, « dans ces "critères d'évaluation", les termes acceptés le 21 mai 2021 lors du comité de sélection sont vagues, voire très vagues. L'un d'entre eux est "l'évaluation qualitative" : la traduction qui en a été faite dans la convention est : "évaluation qualitative"... »20(*). Ces critères avaient pourtant vocation à être développés dans les conventions.

Les dossiers présentés au comité de sélection

Sur 71 dossiers reçus, 47 dossiers répondent aux critères d'éligibilité. Parmi l'ensemble des dossiers éligibles :

- 15 dossiers sont présentés au Comité de sélection de l'appel à projets national 2021 « Fonds Marianne » présélectionnés, en interne ;

- 9 sont déjà financés par le CIPDR par le passé ;

- 8 sont des « nouveaux entrants » (n'ayant jamais reçu de subventions du CIPDR) ;

- 11 répondent au premier objectif de l'appel à projets : riposter à la propagande séparatiste [...] ;

- 4 répondent au second objectif de l'appel à projets: défendre les valeurs républicaines [...] ;

- 7 dossiers d'associations sont écartés et indiqués comme « à soumettre au comité de sélection », 4 d'entre eux seront finalement réintégrés à la décision finale.

Source : note préparatoire au comité de sélection du SG-CIPDR

Parmi les associations retenues par le SG-CIPDR, on dénombre notamment une association dont la subvention avait pourtant déjà été validée définitivement lors du comité de programmation. Cette association sera en grande partie traitée comme un lauréat du fonds Marianne, alors même qu'elle n'a pas déposé de dossier dans ce cadre et a vu sa demande de subvention validée avant même le lancement du fonds Marianne.

D'après un courriel de la chargée de mission au sein du SG-CIPDR : « le dossier [...] avait été intégré dans l'AAP à la demande de la ministre mais [...] n'avait pas vocation initialement à s'y insérer. [...] est un partenaire de longue date du CIPDR et le financement de son projet avait déjà été acté lors d'un comité de programmation antérieur au lancement de l'AAP. »

Par ailleurs, un collectif d'associations, qui avait été retenu dans la proposition initiale envoyée par le SG-CIPDR, disparait dans les versions suivantes de la note, sans qu'aucun élément ne permettre de le justifier. On ne peut que supposer qu'il a été écarté à l'occasion du comité de sélection.

En effet, les évolutions intervenues dans la sélection ne peuvent être appréciées qu'à l'aune des variations intervenues dans la note préparatoire. Ainsi, le projet présélectionné dans la note de proposition du SG-CIPDR, disparait purement et simplement dans la version renvoyée par la suite, sans aucune indication. Christian Gravel a d'ailleurs indiqué, lors de son audition par la commission, que cette note faisait « office de compte rendu des avis »21(*). De plus, contrairement au comité de programmation du 13 avril, aucun tableau de restitution, qui indiquerait précisément les dates des demandes et les éventuels financements antérieurs, n'a été produit.

Comme le relève le rapport de l'IGA : « la mission a ainsi dû travailler sur des documents « techniques », en format modifiable, sans datations précises, présentés comme les documents de gestion ou de décision sur l'appel à projets. »22(*)

Cette note indique également, dans une version datée du 31 mai, qu'une association avait finalement été écartée car « son positionnement est explicitement en opposition avec la ligne gouvernementale [sur le sujet] ».

2. Les prises de décisions à l'issue de multiples interventions du cabinet de la ministre
a) Des décisions d'attribution de subventions sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation remontées au niveau du cabinet de la ministre

D'après les auditions menées par la mission, il semble que les décisions d'attribution des subventions relevaient historiquement du seul secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Il a été décidé, après la nomination de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, de renforcer le rôle du cabinet en prévoyant que des membres de celui-ci siègent au sein de la formation qui décide de l'attribution des subventions par l'administration centrale, à savoir le comité de programmation.

Comme l'a relevé l'ancien secrétaire général adjoint du CIPDR, Jean-Pierre Laffite : « sans doute entre la fin 2020 et avril 2021, le cabinet de Mme Schiappa avait décidé d'élever à son niveau la prise de décision sur l'attribution des crédits pour les subventions en central. Jusqu'alors, le secrétaire général en décidait seul, pour les actions d'une certaine ampleur, en réunion du comité de programmation »23(*).

L'ancien directeur de cabinet Sébastien Jallet a confirmé cette évolution lors de son audition par la commission : « je ne sais pas quel parcours prenait la décision avant ma prise de fonctions, mais je vous confirme la volonté de la ministre et du cabinet de valider l'attribution des crédits du FIPDR. »24(*)

D'après lui, ce serait le 13 avril qu'a été « mis en place, pour la première fois je crois, le comité de programmation des crédits du FIPDR, dont la création avait été souhaitée pour structurer les échanges jusque-là informels entre le cabinet et le CIDPR sur les sujets budgétaires ». On comprend donc que ce jour-là interviendrait pour la première fois la réunion du comité de programmation du FIPDR sous ce nouveau format. Dans les échanges de courriels communiqués, il est également question du « 1er comité ».

Outre la présence de membres du cabinet au comité de programmation, il est à noter que le tableau de suivi de cette réunion fait apparaître différentes cases :

- « avis du pôle », qui peut être favorable ou défavorable et semble être l'avis rendu par les agents du pôle concerné au sein du SG-CIPDR (à savoir délinquance, radicalisation, pôle de l'appui territorial ou unité du contre-discours républicain) ;

- « montant arbitré » ;

- « décision finale cab MINDEL », faisant apparaître que les décisions finales semblent relever du cabinet de la ministre et non, à parité, du cabinet et du SG-CIPDR. Alors que cette case n'est pas remplie directement après la réunion du comité de programmation, elle a vocation à être remplie postérieurement à celle-ci. C'est ce qu'indique le mail du secrétaire général adjoint du CIPDR au directeur de cabinet le 27 avril 2021 : « dès arbitrage définitif des sommes, éventuellement après déduction des dossiers pouvant relever de l'AAP Fonds Marianne, nous établirons les actes attributifs ».

Dans la nouvelle répartition des rôles qui émerge progressivement après l'arrivée de la ministre Marlène Schiappa, c'est bien son cabinet qui valide les décisions du comité de programmation du FIPDR. Pour son directeur de cabinet, Sébastien Jallet, « la ministre étant responsable, et en rendant compte devant la représentation nationale, il est légitime, normal et attendu qu'elle décide de l'emploi des crédits. »25(*)

Ainsi, il apparaît clairement que la logique qui a conduit à donner un rôle décisionnaire au cabinet de la ministre déléguée en matière de subventions est précisément de faire remonter ces décisions au niveau de la responsabilité politique. Dès lors, il revient à la ministre d'assumer pleinement sa responsabilité pour les choix réalisés dans ce cadre.

Dans le cadre du fonds Marianne et de l'attribution des subventions par le comité de sélection, il apparaît que les conditions d'intervention du cabinet sont similaires à celles applicables au comité de programmation. En effet, lors de ce comité, la note préparée par l'administration a vraisemblablement été soumise aux membres du cabinet, qui se sont prononcés sur les différents dossiers.

b) Une modification majeure intervenue en aval du comité de sélection

Outre le rôle central tenu par le cabinet dans la préparation de l'appel à projets, dans la réorientation de certains projets et lors du comité de sélection, il apparaît très clairement que des modifications sont également intervenues après la réunion du comité sous l'impulsion du cabinet et de la ministre.

Ainsi, dans la note envoyée le 25 mai par Christian Gravel au cabinet de Marlène Schiappa, qui tient lieu de compte-rendu, l'association SOS Racisme bénéficie d'une décision de subvention à hauteur de 100 000 euros. Le document indique ainsi explicitement « décision du comité de sélection : 100 000 euros ».

Par un mail en date du 1er juin 2021, à destination de Christian Gravel, un membre du cabinet de Mme Schiappa indique : « on propose de substituer à SOS racisme une asso de [...] ». Cette modification n'est assortie d'aucune justification.

Cette nouvelle association bénéficie, dans la version envoyée par la suite de l'AAP, d'une subvention de 20 000 euros.

Lors de son audition par la mission, Sébastien Jallet a indiqué que la « liste des lauréats est naturellement transmise à la ministre et nous avons sur cette association une réserve de la ministre en raison d'un historique de relations assez ancien. Par ailleurs, dans les jours qui précèdent ou qui suivent, à la fin du mois de mai, nous assistons à une mise en cause vis-à-vis de la ministre par voie de presse de la part d'un membre de l'association, qui conduit à cette décision de non-sélection. Il y a bien eu, sur les décisions arrêtées en comité de sélection, pour l'un de ses lauréats, une infirmation de la ministre. »26(*)

Le refus de la ministre d'attribuer une subvention à SOS racisme résulterait ainsi, d'après son directeur de cabinet, de différends entre la ministre et l'association. Interrogée sur ce thème, Marlène Schiappa a indiqué : « je veux être très claire : je n'ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. » Selon elle, Sébastien Jallet « fait une note en disant : « voilà ce sur quoi nous sommes d'accord », et signale le dossier de SOS Racisme qui, manifestement, ne trouve pas de consensus. Il me demande de trancher, de rendre un arbitrage, de donner un avis favorable ou défavorable au projet. »27(*)

La ministre entre ici en contradiction avec les documents transmis à la mission, alors que la subvention à SOS Racisme est bel et bien présentée comme une décision du comité. D'après les échanges qui ont été transmis, c'est bien la note présentant la décision du comité qui a été transmise à la ministre. Cette dernière aurait ensuite demandé une note aux services sur l'association, qui a été communiquée à la mission et présente le projet de l'association.

Néanmoins, la ministre déléguée affirme que « SOS Racisme, [...] propose une action en deux temps, l'une sur les réseaux sociaux, qui correspond à l'objet du Fonds Marianne, l'autre qui concerne, me semble-t-il, des activités sportives ou physiques dans certains quartiers. [...] J'imagine donc que c'est cela qui m'amène, à ce moment-là, à considérer que l'activité ne concerne pas, pour une part importante, les réseaux sociaux et, de surcroît, est déjà couverte par une autre association. J'émets manifestement - même si je n'en ai pas le souvenir - un avis défavorable en disant que ce n'est pas, pour moi, un projet à retenir. C'est un avis que j'émets. Ensuite, le comité de sélection fait une liste, d'après les éléments dont je dispose, dans laquelle ne figure pas SOS Racisme. ».

Alors qu'il n'existe aucun élément témoignant d'une nouvelle réunion du comité de sélection, c'est bien le mail envoyé par l'un des conseillers de Marlène Schiappa à Christian Gravel qui conduit à l'exclusion de SOS Racisme, et non l'établissement d'une nouvelle liste par le comité. Par ailleurs, l'association par laquelle SOS Racisme est remplacée propose « des actions d'éducation aux médias et à l'information (EMI) conduites par des journalistes formés dans les géographies et l'enseignement prioritaires, partout sur le territoire ». Contrairement à celui de SOS Racisme, le projet de cette association ne repose donc aucunement sur des actions sur les réseaux sociaux, ce qui permet d'interroger les motifs mis en avant par la ministre. Enfin, qu'une association soit substituée par un simple mail du cabinet, et bénéficie à ce titre de 20 000 euros de subventions publiques, malgré l'absence de proposition par l'administration, une décision défavorable du comité de sélection et en dehors de tout formalisme n'est aucunement satisfaisant.

B. LES SUBVENTIONS LES PLUS IMPORTANTES ONT ÉTÉ ATTRIBUÉES À DES ASSOCIATIONS NE PRÉSENTANT AUCUNE GARANTIE QUANT À LEUR SÉRIEUX ET À LA QUALITÉ DE LEUR ACTION

1. L'USEPPM, vaisseau amiral du fonds Marianne

De nombreux éléments présentés à la mission d'information indiquent que le financement par l'État du projet de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) était envisagé bien en amont du lancement du fonds Marianne, et que le cabinet a joué un rôle moteur dans le processus, depuis l'incitation au dépôt d'une demande de subvention jusqu'à la sélection du projet.

a) Le cabinet a joué un rôle actif pour inciter Mohamed Sifaoui à déposer son projet

Le rapport de l'Inspection générale de l'administration rapporte que, selon Mohamed Sifaoui : « il y aurait 6 rencontres avec le cabinet, en mars et en avril, dont deux réunions en présence du secrétaire général du CIPDR et une avec le directeur de cabinet de la ministre déléguée. À deux reprises, la ministre déléguée serait venue saluer l'invité à la fin des réunions, qui se tenaient dans une salle attenante à son bureau, et aurait eu avec lui des échanges rapides »28(*).

La mission est en mesure d'établir qu'il y a eu au moins trois rendez-vous entre Mohamed Sifaoui et le cabinet en mars et en avril : le 24 mars, le 6 avril et le 22 avril 2021. Les témoignages convergent pour indiquer qu'à la fin du premier et du troisième rendez-vous, Mohamed Sifaoui aurait effectivement eu un bref échange avec la ministre. Toutefois, rien n'indique qu'il y ait eu à ce moment un véritable engagement financier envers Mohamed Sifaoui, même s'il a été visiblement encouragé à déposer un dossier de candidature.

Lors de son audition, Christian Gravel a affirmé « j'ai appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du fonds Marianne après un appel téléphonique de M. Sifaoui : il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre, celle-ci lui avait parlé du fonds Marianne, en lui faisant comprendre que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place pour y prétendre. »29(*)

Interrogé par la mission d'information sur cet appel, Mohamed Sifaoui a confirmé en audition qu'il a bien eu lieu, et a affirmé que le rendez-vous en question s'était tenu le 24 mars. Il précise que la réunion s'est d'abord tenue avec le cabinet, et qu'il aurait seulement eu un échange avec la ministre « de dix à quinze minutes »30(*).

Les échanges de mail entre le CIPDR et le cabinet de la ministre confirment qu'un rendez-vous était en effet prévu le 24 mars. Il était par ailleurs prévu que Christian Gravel y participe, mais les témoignages reçus indiquent que ce ne fut finalement pas le cas.

Mail du cabinet de la ministre à Mohamed Sifaoui

Date : 16 mars 2021 - 18h49

Bonjour,

Comme suite à notre conversation, nous vous confirmons que [conseiller X] vous recevra à l'occasion d'une réunion qui se tiendra le :

Mercredi 24 mars 2021 à 10h45

Salon 132

Hôtel Jean Moulin

Place Beauvau

Seront également présents :

- [trois conseillers de la ministre, sans le directeur de cabinet]

- Christian Gravel, SG-CIPDR

Concernant le déroulé du rendez-vous du 24 mars, Mohamed Sifaoui indique lors de son audition que « les membres du cabinet et madame Schiappa me disent qu'un fonds, sans parler du fonds Marianne, important dédié aux contre-discours sera prochainement mis en place et qu'ils attendent les derniers arbitrages »31(*).

L'ancienne ministre déléguée a par ailleurs déclaré devant la mission d'information qu'elle n'aurait pas annoncé à Mohamed Sifaoui lors de cette réunion qu'il allait bénéficier du fonds Marianne : « je tiens à le dire ici, parce que l'un des témoignages qui a été apporté devant votre commission a affirmé que j'aurais reçu personnellement en tête-à-tête M. Sifaoui au mois de mars, et que ce serait à cette occasion que je lui aurais annoncé qu'il aurait une subvention ou qu'il serait éligible au Fonds Marianne. C'est faux, je tiens à le dire ici sous serment. »32(*)

Toujours est-il qu'il semble établi qu'il y eut une discussion lors de la réunion du 24 mars sur le projet porté par Mohamed Sifaoui, et qu'il est probable qu'un financement par un fonds consacré au contre-discours ait été évoqué, sans qu'une promesse de financement n'ait été donnée à ce stade.

Il faut en effet relever que l'ensemble des acteurs indiquent qu'il n'y a pas eu d'engagement financier lors de cet entretien, et rien ne permet de penser le contraire dans les pièces obtenues ou les témoignages reçus. Mohamed Sifaoui affirme également qu'il n'aurait pas fait mention de l'USEPPM lors de cette réunion.

L'étape suivante est la réunion du 6 avril 2021. Cette réunion, qui est évoquée précisément par Mohamed Sifaoui, et rapidement par Christian Gravel, qui ne précise par sa date exacte, est également confirmée par un mail du cabinet, adressé cette fois-ci à Christian Gravel. Contrairement à celle du 24 mars, ce dernier a participé à cette réunion.

Mail du cabinet à Christian Gravel du 30 mars 2021, 16h09

Bonjour,

M. [conseiller Y], conseiller chargé [...] souhaite vous convier à la réunion suivante :

Entretien avec Mohamed Sifaoui

Mardi 6 avril à 16h

La mission d'information a recueilli des témoignages divergents sur le déroulement de ce rendez-vous. D'après Mohamed Sifaoui, « le 6 avril, la réunion porte sur le projet en lui-même, sa stratégie », et « on ne parle pas de fonds, on ne parle que du projet »33(*). Cette version des faits tranche à nouveau avec celle de Christian Gravel, qui indique que le fonds Marianne aurait bien été évoqué au cours de cette réunion : « nous avons eu une réunion quelques jours plus tard avec le cabinet - c'était au début du mois d'avril - au cours de laquelle le fonds Marianne a été mentionné. »34(*)

Au cours de cette même réunion, Mohamed Sifaoui affirme qu'il aurait évoqué l'USEPPM avec Christian Gravel et le cabinet. À ce sujet, le journaliste a déclaré : « je laisse le choix aux membres du cabinet auxquels je dis que je suis en contact avec quatre ou cinq associations, dont l'USEPPM dans sa dénomination complète, l'Union des fédérations des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire. »35(*) Il faut relever qu'il n'est pas entièrement certain que cette proposition a été faite durant la réunion du 6 avril : la mission d'information ne dispose pas d'un autre témoignage relatant cet épisode. En tout état de cause, il apparaît que pour Mohamed Sifaoui lui-même, l'USEPPM était une structure de portage d'une initiative dont il était le moteur, et le principal argument.

Selon, Cyril Karunagaran, qui se présente comme le président de l'USEPPM, le lendemain un mail aurait été envoyé pour inviter l'USEPPM à déposer une demande de subvention : « plus précisément le 7 avril 2021, Mohamed Sifaoui m'a transféré un e-mail d'un conseiller de Mme Schiappa, qui lui a adressé les pièces d'un dossier à renseigner dans les deux jours pour bénéficier d'une subvention. J'ai donc travaillé jour et nuit pour pouvoir être dans les temps. »36(*). Ce récit est similaire à celui donné par Mohamed Sifaoui lors de son audition, même s'il précise qu'il aurait déjà travaillé sur le chiffrage pluriannuel du projet avec Cyril Karunagaran entre le 24 mars et le 6 avril 2021.

Cette date est par ailleurs cohérente avec la déclaration de Sébastien Jallet, selon qui : « la décision de faire un appel à projets est prise début avril, je la rattache à une discussion que j'ai eue avec la ministre le 7 avril 2021 ; nous en informons alors le cabinet et l'administration. »37(*) Il est vraisemblable que Mohamed Sifaoui ait été contacté juste après la confirmation du lancement de l'appel à projets.

Le 9 avril 2021, Cyril Karunagaran a ainsi déposé une demande de subvention, par un mail adressé directement à Christian Gravel à 16 h 36. Cette demande de subvention était d'un montant de 635 000 euros, et devait financer le projet de l'association pour le reste de l'année, comme l'a indiqué Cyril Karunagaran lors de son audition : « les 635 000 euros portaient uniquement sur la première année - plus précisément sur ce qu'il restait de l'année, parce qu'on était déjà au moins d'avril »38(*). Les témoignages reçus, ainsi que la fiche d'instruction de la demande de l'USEPPM en amont du comité de programmation, confirment que cette somme avait bien été demandée.

S'il a été demandé à l'USEPPM de déposer une demande de subvention dans les 48 heures, c'est vraisemblablement que les membres du cabinet avaient la volonté d'intégrer le dossier de l'USEPPM lors du comité de programmation du 13 avril, ce qui est confirmé par plusieurs mails. Il faut relever que le projet de l'USEPPM n'était pas initialement intégré au comité de programmation du 13 avril, et qu'il l'a vraisemblablement été à la suite de ces demandes.

Mail de [conseiller X] à Christian Gravel, à Jean-Pierre Laffite et à Sébastien Jallet (avec tout le cabinet en copie) du 9 avril 2021 à 15h25

Pouvez-vous nous préciser si vous avez reçu la demande M. Sifaoui ? Si oui, pouvez-vous nous faire passer la FI pour que nous l'intégrions à ces demandes ?

Je vous en remercie.

Mail de [conseiller X] à Christian Gravel, à Jean-Pierre Laffite et à Sébastien Jallet (avec tout le cabinet en copie) du 13 avril 2021 à 8h36

Monsieur le préfet,

Sauf erreur de ma part, nous n'avons pas reçu la FI du dossier USEPPM pour le comité de programmation de cet après-midi.

Pourriez-vous nous la faire passer svp ?

Je vous en remercie.

Bien cordialement,

Note : « FI » signifie « fiche d'instruction ». Une fiche d'instruction est réalisée par la chargée de mission s'occupant du suivi des dossiers pour chaque demande de subvention.

Il est possible ainsi qu'à défaut d'avoir encore défini les dates précises de l'appel à projets à venir, le cabinet ait souhaité « sécuriser » la subvention à l'USEPPM en l'intégrant au comité de programmation.

Il faut relever que des discussions se sont tenues au sein du cabinet au sujet de la subvention à accorder à l'USEPPM. Un mail daté du 6 avril 2021 d'un conseiller à la ministre souligne que le budget du projet de Mohamed Sifaoui « reste à la hauteur des objectifs fixés », ce à quoi la ministre répond le même jour que « 300K€39(*) de l'État ça me paraît énormissime ».

Il faut souligner que cette date du 6 avril se trouve en amont même du dépôt de demande l'USEPPM. Dans cet échange, il apparaît que le principe d'une subvention à l'USEPPM est déjà acquis.

C'est finalement ce chiffre de 300 000 euros qui sera retenu dans le compte rendu du comité de programmation. Ces échanges tendent à montrer que le cabinet et la ministre ont tenu un rôle important dans la sélection du projet de l'USEPPM, ainsi que dans la détermination du montant de la subvention qui sera accordée le 13 avril.

Cependant, cette subvention ne sera finalement jamais versée à l'USEPPM. Comme d'autres associations, le projet de l'USEPPM a été basculé sur le fonds Marianne, et l'association a été invitée à déposer un nouveau dossier pour l'appel à projets. Il est vraisemblable que la décision du comité de programmation d'accorder 300 000 euros à l'USEPPM ait finalement surtout servi de « base de référence » pour le SG-CIPDR, pour déterminer un ordre de grandeur de ce que l'administration était prête à accorder à ce projet.

Le cabinet ne s'est donc pas arrêté à une validation ou un refus des propositions de l'administration, mais a également joué un rôle actif d'impulsion, dans le dossier de l'USEPPM, en discutant même du montant de la subvention en amont. La ministre a également été impliquée dans les discussions.

Les documents mis à disposition par Marlène Schiappa

Lors de son audition, l'ancienne ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa, s'est engagée à ouvrir les archives des mails échangés entre elle et son cabinet au sujet du fonds Marianne : "D'ores et déjà, monsieur le président et monsieur le rapporteur, que vous m'avez écrit hier soir pour me demander d'avoir accès aux archives des mails échangés entre mon cabinet et moi-même. Bien évidemment, je donne mon accord pour que vous puissiez avoir accès à ces archives. Une réponse écrite qui va vous parvenir aujourd'hui vous permettra d'avoir accès à l'ensemble de ces messages."

La mission d'information a eu accès aux archives du cabinet le vendredi 16 juin, mais celles-ci ne comprenaient aucun échange de mail. Alerté sur cette situation, l'actuel cabinet de Marlène Schiappa a répondu que « les échanges de mail évoqués par la Ministre en audition ont été transmis par la Ministre au Sénateur par courrier du 8 juin ».

Les échanges écrits entre le cabinet et l'ancienne ministre déléguée dont a pu disposer la mission d'information se résument ainsi à deux mails sur une série de mails, datés du 6 avril 2021, transmis le 8 juin 2023.

b) Il reste des zones d'ombre sur les circonstances dans lesquelles le montant final de la subvention à l'USEPPM a été déterminé

Lors de sa réunion, le 21 mai 2021, le comité de sélection a décidé d'octroyer une subvention de 355 000 euros à l'USEPPM, répondant favorablement à la demande de l'association envoyée le 10 mai. L'association a été notifiée de la décision d'octroi de cette subvention le 28 mai 2021. Toutefois, le passage de la décision du comité de programmation d'octroyer 300 000 euros à celle consistant finalement à retenir une subvention de 355 000 euros au bénéfice du projet de l'USEPPM est entourée de plusieurs zones d'ombre.

Mohamed Sifaoui a indiqué à plusieurs reprises devant la mission d'information n'avoir pas été averti de la décision du comité de programmation d'accorder 300 000 euros au projet. De même, Cyril Karunagaran a affirmé en audition n'avoir pas été averti de cette décision : « aucune subvention de 300 000 euros ne m'a été notifiée »40(*).

Dans le même temps, Cyril Karunagaran affirme que « lors de nos échanges avec le CIPDR, nous avions évoqué la possibilité d'obtenir une subvention de 300 000 euros, sans préciser leur affectation »41(*).

Une réunion a eu lieu le 22 avril en présence de Mohamed Sifaoui, de Christian Gravel et de Sébastien Jallet. Mohamed Sifaoui était invité initialement pour présenter son projet à la ministre déléguée, mais d'après plusieurs témoignages, celle-ci n'a finalement pas pu être présente. À la fin de la réunion, elle aurait néanmoins salué « cursivement » Mohamed Sifaoui42(*).

Sur le contenu de la réunion, Sébastien Jallet a déclaré devant la commission d'enquête que : « le 22 avril, quand je reçois M. Sifaoui pour la première fois et pour le compte de la ministre, nous échangeons sur son projet, il n'y a pas de compte-rendu de notre réunion mais je peux vous assurer que je n'ai pris aucun engagement financier sur ce projet. »43(*) Mohamed Sifaoui a réitéré devant la mission d'information qu'il n'y avait pas eu d'engagement financier, et il a précisé qu'il n'avait pas été informé de la décision du comité de programmation d'accorder 300 000 euros de subvention à l'association.

La manière dont a été arrêté le montant de la subvention que recevra finalement l'USEPPM, à savoir 355 000 euros, est difficile à démêler. Cyril Karunagaran a indiqué devant la commission d'enquête que : « j'ai ensuite eu un échange avec [la chargée de mission en charge du suivi des dossiers], qui m'a fait modifier le dossier pour réduire le montant de la demande le 10 mai. Depuis le départ, le dossier envoyé début avril, nous n'avons pas bougé la présentation de notre dossier et le contenu mais simplement réduit les budgets »44(*). Mohamed Sifaoui a par ailleurs indiqué lors de son audition : « On [Cyril Karunagaran] lui a demandé d'actualiser le 10 mai 2021. »45(*)

Le 10 mai est la date de l'envoi de la version actualisée du projet de l'USEPPM. Dans les documents envoyés, les financements demandés pour l'année 2021 s'élèvent déjà à 355 000 euros.

Mail de Cyril Karunagaran à l'adresse mail de l'appel à projets
du fonds Marianne

Date : 10 mai 2021 à 17h44

Madame, Monsieur,

Nous vous prions de trouver ci-joint une version actualisée de notre dossier de candidature, en tenant compte de la poursuite du projet sur 2022.

Nous souhaiterions d'ailleurs rendre cette action pérenne et la poursuivre au-delà de 2022.

Entre-temps, veuillez recevoir, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.

Cyril KARUNAGARAN

Président

Union des Sociétés d'Éducation Physique et de Préparation Militaire

Association fondée en 1885 reconnue d'utilité publique

Durant la suite de son audition, Cyril Karunagaran a indiqué devant la mission d'information : « j'ai malheureusement découvert, après que l'acceptation de la demande de 355 000 euros m'avait été notifiée, que je devais faire disparaître le montant de 580 000 euros qui figurait pourtant sur le formulaire Cerfa et qui correspondait, selon moi, à un engagement dans la durée. Nous nous sommes donc retrouvés avec une visibilité réduite sur six ou sept mois. »46(*)

Le CERFA qui a été envoyé le 10 mai indique en effet le souhait d'obtenir un financement de 580 000 euros pour l'année 2022. Une note réalisée par la chargée de mission du 11 mai 2021, qui effectue un premier recensement des projets reçus, indique pour l'USEPPM « demande de subvention de 355 000 euros en 2021 et de 580 000 euros en 2022 ».

Extrait du CERFA envoyé par l'USEPPM le 10 mai 2021

Cependant, il convient de souligner que le comité de sélection n'a jamais arbitré favorablement pour octroyer une subvention de 580 000 euros à l'USEPPM en 2022. Dans les notes qui ont suivi le comité de sélection, il n'est mentionné que la décision d'octroyer 355 000 euros à l'USEPPM pour un projet en 2021, et que ce montant correspond à la demande de l'association. L'indication du montant de 580 000 euros pour 2022 aurait été simplement ignorée.

Un témoignage, qui n'a pas pu être corroboré par une autre déclaration, indique que, dans les jours qui ont suivi la notification de la décision du comité de sélection, Mohamed Sifaoui se serait plaint que le montant de 580 000 euros pour 2022 ait été coupé.

Une nouvelle version Cerfa de l'USEPPM a finalement été établie le 9 juillet 2021. Le financement de 580 000 euros n'y est plus mentionné.

c) L'USEPPM était pensé comme la pièce maîtresse du fonds Marianne

Rien n'indique que Mohamed Sifaoui ait participé à la conception du fonds Marianne. Il apparaît toutefois que son projet, porté par l'USEPPM, a rapidement été considéré, à la fois par le cabinet et le SG-CIPDR comme une « pièce maîtresse », ou le « vaisseau amiral » du fonds Marianne.

À ce titre, il est utile d'en revenir aux propos tenus par Christian Gravel lors de son audition, sur le projet de l'USEPPM : « ce projet était le plus ambitieux et le plus courageux de ceux qui ont été présentés et le seul à envisager une confrontation directe avec des activistes extrémistes. »47(*)

Le projet de l'USEPPM devait s'inscrire dans la stratégie de « contre-discours sociétal » évoquée par Sébastien Jallet, lorsqu'il prenait comme référence l'exemple britannique : il ne s'agissait pas seulement de tenir un discours de promotion des valeurs de la République en ligne, mais de répondre directement à des comptes et des campagnes d'influence qui promeuvent le séparatisme. Selon un témoignage, Mohamed Sifaoui lui-même concevait son programme comme une unité de contre-discours proche de ce que fait l'UCDR, où il était formateur, mais qui ne dépendrait pas du ministère de l'intérieur.

Une action de ce type demande des compétences précises, et il n'est pas étonnant de ce fait que la quasi-totalité des associations ayant candidaté pour le fonds Marianne ne se fût pas positionnée sur une telle stratégie de riposte.

Or, Mohamed Sifaoui était vu par le SG-CIPDR et le cabinet comme quelqu'un capable de maîtriser ce contre-discours sociétal, comme l'a indiqué explicitement Sébastien Jallet lors de son audition : « vous citez un acteur connu sur ces sujets, qui fait, en quelque sorte, référence en matière de lutte contre l'islamisme et le cyber-islamisme, il faisait déjà du contre-discours sociétal à travers les réseaux sociaux et le site « Islamoscope », qu'il avait créé à titre personnel. »48(*) En outre, un mail du 6 avril d'un membre du cabinet à la ministre déléguée, le même où le budget du projet est évoqué, indique ainsi que « le projet présenté par M. SIFAOUI est très solide, sérieux et 200 % en cible avec le contre-discours souhaité +++ ».

Surtout, Mohamed Sifaoui était déjà connu à la fois par le SG-CIPDR et par le cabinet de la ministre.

Mohamed Sifaoui avait participé à un séminaire dans le Tarn le 26 octobre 2020, dans le cadre d'un déplacement officiel de la ministre déléguée49(*).

La SG-CIPDR a indiqué à la mission d'information que Mohamed Sifaoui a donné plusieurs formations à l'UCDR sur l'histoire de l'islamisme, les différents courants islamistes et les moyens d'entraver le discours séparatistes entre janvier et novembre 2021, et qu'il a donné une formation sur le contre-discours en janvier 2023. D'après les informations transmises à la commission d'enquête, Mohamed Sifaoui aurait été rémunéré pour ces formations pour un montant de 39 500 euros, facturé par la société R & K, qui est dirigée par l'épouse de Cyril Karunagaran. Il faut par ailleurs relever que le montant de ce contrat, 39 500 euros H.T, se trouve juste en dessous de la limite de 40 000 euros H.T au-delà de laquelle un marché public, avec publicité et mise en concurrence préalables, est obligatoire.50(*)

Le versement de 47 400 euros TTC a eu lieu en une seule fois, le 26 février 2021. Cette situation est très étonnante, car le paiement a eu lieu en amont de la réalisation de la grande majorité de ses conférences, alors que les paiements reposent, en règle générale, sur le principe du « service fait »51(*).

Le devis inclut par ailleurs des prestations de natures diverses, comme le déplacement pour la journée de formation dans le Tarn précédemment évoquée, ou des prestations, comme « Déconstruction des rhétoriques légitimant toute forme haine ou de violence », dont le support n'est pas précisé.

Extrait du devis de la société R & K pour le SG-CIPDR

Le choix de passer par l'entreprise de l'épouse de Cyril Karunagaran, dont les activités de consultant n'étaient pas l'objet premier, mais la vente de chaussure de luxe sur mesure, soulève également des interrogations.

Outre la question de son activité de formateur à l'UCDR, Mohamed Sifaoui faisait également partie des personnes consultées dans le cadre de la préparation de la loi confortant le respect des principes de la République, comme l'a par ailleurs rappelé Marlène Schiappa lors de son audition : « Il a également participé à une visioconférence avec d'autres experts, que je peux citer si vous le souhaitez, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi séparatisme, puisqu'il était un interlocuteur du CIPDR. »52(*)

Le projet qui sera subventionné par le fonds Marianne était donc manifestement rattaché à la personne de Mohamed Sifaoui bien davantage qu'à l'association USEPPM, qui, selon les témoignages, n'a été connue du cabinet et de l'administration que dans un second temps. Ses expériences attribuées sur ce thème, et son travail au sein de l'UCDR, lui ont conféré des gages de sérieux aux yeux du cabinet et du SG-CIPDR. Christian Gravel avait ainsi déclaré lors de son audition : « je rappelle en outre que l'association était dirigée par un expert reconnu, qui a fait figure de caution scientifique dans le cadre de l'appel à projets du fonds Marianne, une caution suffisamment forte pour nous rassurer sur la qualité des productions à venir. »

Ainsi, le projet de l'USEPPM représentait, aux yeux du cabinet et de l'administration, la garantie qu'au moins l'un des projets du fonds Marianne se positionnerait dans une véritable logique de contre-discours en « riposte » aux discours séparatistes. Ce projet a fait l'objet de plusieurs discussions en amont de l'appel à projets, et l'administration ainsi que le cabinet ont décidé de lui accorder la principale subvention du fonds Marianne, d'un montant de 355 000 euros.

Un tel procédé va à l'encontre de la logique de l'appel à projets, qui devait servir à faire émerger des acteurs nouveaux. Le projet de Mohamed Sifaoui a été choisi et discuté en amont, précisément parce qu'il était connu du cabinet et du SG-CIPDR. 

En outre, il est possible que le fait que l'association elle-même était en réalité au second plan dans le projet explique que des garanties n'aient pas été suffisamment prises concernant l'USEPPM. Il faut en effet rappeler que l'association n'avait pas d'expérience significative dans le domaine du contre-discours républicain, et que son budget de fonctionnement, 50 000 euros, est très inférieur aux montants qui étaient demandés.

Le rapport de l'IGA relève qu' « aucune vérification n'a été effectuée en amont du comité de sélection sur l'USEPPM ». Sébastien Jallet a toutefois indiqué durant son audition : « je ne me souviens plus si c'est avant ou après cet entretien du 22 avril, je demande expressément à mes collaborateurs et à l'administration de regarder ce qu'est cette association ». Finalement, toujours d'après son témoignage : « la réponse m'est donnée le 22 mai en comité de sélection lorsque nous examinons les dossiers, j'en retiens que la présentation est positive, on met en avant le fait que cette association est reconnue d'utilité publique. »53(*) Le rapport de l'IGA précise que : « Le secrétaire général du CIPDR a confirmé à la mission qu'il n'avait pas engagé de contrôle particulier, la reconnaissance d'utilité publique constituant en elle-même, selon ses termes, « un gage de sérieux et de solidité » »54(*).

Il faut par ailleurs indiquer qu'il existe un conflit concernant la direction de l'USEPPM. Plusieurs personnes affirment être les véritables dirigeants de l'USEPPM, tandis que Cyril Karunagaran déclare que ces personnes auraient été exclues de l'association. La mission d'information n'a pas cherché à trancher cette question, qui ne relève pas de ses compétences, mais elle contribue à montrer le flou qui entoure la situation de l'USEPPM.

Le projet de l'USEPPM était pensé comme le « vaisseau amiral » du fonds Marianne, car il était en réalité vu comme un prolongement de l'action de l'UCDR, mené par un acteur de la société civile. Toutefois, si le capitaine était identifié, toutes les précautions n'avaient pas été prises pour s'assurer que le navire présente toutes les garanties nécessaires pour mener à bien un tel projet.

2. Reconstruire le commun, un nouvel entrant qui n'offre aucune garantie
a) Une subvention de lancement à cheval sur 2020 et 2021, sur l'enveloppe du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation

Le soutien accordé à l'association Reconstruire le commun interroge. En effet, l'association vient d'être constituée, le 29 octobre 2020 lorsqu'elle se voit octroyer une première subvention de 39 000 euros, en décembre 2020. Elle ne peut donc attester que d'une activité très récente, si tant est qu'elle ait déjà été active.

D'après Christian Gravel, auditionné par la mission, il aurait rencontré fin décembre 2020 la présidente de l'association Reconstruire le commun. Il a ainsi indiqué qu'il s'agissait « d'une femme dotée d'une grande intelligence, d'une vraie connaissance de l'ensemble des enjeux liés à l'actualité et d'une véritable conscience républicaine. Cette dirigeante associative a, je le rappelle, fondé son association deux semaines après l'assassinat du professeur Paty : il me semble que très peu de structures ont su se mobiliser dans un tel laps de temps, ce qui atteste, encore une fois, de la très grande conscience républicaine de cette personne, dont l'objectif était - c'est le discours qui m'a été tenu - de faire face efficacement au délitement de nos sociétés et de défendre l'essentiel, à savoir nos principes. »55(*)

La présidente de l'association aurait transmis, peu de temps après, une demande de subvention de 39 000 euros qui « avait tout simplement pour objet de donner à cette association les moyens de lancer des actions concrètes », toujours d'après les propos du préfet Christian Gravel, qui a estimé que « le projet qui [...] a été présenté était très abouti ».

Cette présentation d'une situation « simple » contraste avec celle réalisée par le secrétaire général adjoint du CIPDR, Jean-Pierre Laffite, qui a indiqué devant la commission que l'association « avait déjà été financée, à hauteur de 39 000 euros, dans des conditions assez compliquées »56(*).

La convention d'attribution de la subvention « date du 28 décembre 2020. Or, cette date correspond à un moment où il n'y a plus de crédits disponibles : c'est le plus mauvais moment pour attribuer une subvention. » D'après le secrétaire général adjoint « la situation est en tout cas discutable », alors qu'aucun avenant n'a été signé pour permettre finalement l'imputation en 2021de cette subvention attribuée sur les crédits 2020 du FIPDR.

La première subvention aurait permis de financer « le site internet de cette association, instituée en octobre 2020, et de promouvoir certains dispositifs sur les réseaux sociaux ». Ces propos correspondent à ce qui aurait été indiqué par Christian Gravel à Mediapart, à savoir que la subvention a été versée pour « accompagner le lancement de cette association »57(*).

b) Le précédent « On vous voit » permettait d'anticiper aisément les risques de dérapage

Lors de son audition par la mission, Christian Gravel a indiqué avoir eu connaissance de la proximité entre Reconstruire le commun et le collectif « On vous voit ».

Ainsi, il était au courant que, « par le passé, ce collectif avait parfois diffusé des contenus à caractère politique. C'est pourquoi nous avions conditionné notre aide - la première subvention, qui a été versée avant la création du fonds Marianne - à cette association à l'absence de tout message de nature politique. »58(*)

Dans les documents transmis, aucun élément ne témoigne d'une telle conditionnalité dans le cadre de la convention d'attribution de la subvention accordée au titre du fonds Marianne.

c) Des inquiétudes légitimes sur la capacité de l'association à gérer une telle subvention ont été exprimées dès la décision d'attribution

Peu après la décision d'attribution de 330 000 euros, les 27 juin et 22 juillet 2021, et alors que l'association ne semblait pas disposer des capacités matérielles pour gérer une subvention d'un montant aussi important, le secrétaire général adjoint, Jean-Pierre Laffite a exprimé son étonnement par courriel aux deux membres du comité de sélection, agents du SG-CIPDR face à la situation, a priori peu commune, de l'association.

Courriels de Jean Pierre Laffite aux deux agents du SG-CIPDR,
membres du comité de sélection

Le 27 juin 2021 :

« [...] Plusieurs remarques :

- je suis surpris du montant de la subvention et suppose que la capacité financière et technique de l'association Reconstruire le commun a été strictement vérifiée

- des doutes existent :

° l'association a - semble-t-il - été créée le 29/10/2020 (Cf. site pages jaunes)

° le budget prévisionnel du projet ne fait état d'aucune charge de personnel salarié de l'association (hormis des bénévoles), ce qui laisse entrevoir une structure dénuée de ressources humaines en mesure de gérer 330 000 euros de subvention État

° comme pour d'autres conventions, une incohérence existe entre les mentions de l'article 3 "La subvention versée au titre du FIPDR ne peut financer que 10 % des charges de fonctionnement administratif courant dans la limite de 5 000 euros" et le budget prévisionnel qui prévoit des charges fixes de fonctionnement d'un montant de 15 000 + 5 000 euros.

Sauf à faire modifier le cerfa, on doit indiquer dans la convention, que « La subvention versée au titre du FIPDR ne peut financer que 10 % des charges de fonctionnement administratif courant". Il convient toutefois de vérifier que cette mention est conforme à la réalité (faute d'en disposer, je ne peux comparer avec le budget prévisionnel de l'association pour 2021). »

Le 22 juillet 2022 :

« [...] A priori, c'est bon pour moi : outre la question de la redondance avec d'autres projets, je trouve toutefois hasardeux d'attribuer 330 000€ à une association créée en octobre 2020 et qui n'affecte aucun salarié à sa gestion financière.

C'est le type même de situation qui justifie un contrôle de 2ème niveau.

À surveiller.

Il semble que ces points d'alerte ne se sont pas traduits, par la suite, par des exigences renforcées à l'endroit de l'association, ni par une adaptation de la convention attributive. En réponse à ce courriel, la chargée de mission a indiqué « le Secrétaire général n'a pas manqué de souligner le caractère inédit d'un tel financement auprès du porteur et de l'alerter sur l'extrême rigueur dont il devrait faire preuve dans la gestion de cette subvention. »

III. UN CONTRÔLE DÉFAILLANT ET DES RÉSULTATS QUI NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES AMBITIONS

A. DES RÉSULTATS TRÈS INÉGAUX ET UN DOUBLE FIASCO

1. Des projets qui ont, pour la plupart d'entre eux, été menés à leur terme, sans permettre toutefois de mesurer précisément leur impact

La mission a interrogé l'ensemble des porteurs de projets bénéficiaires du fonds Marianne. Il ne lui appartient pas, au regard des moyens dont elle dispose, de se prononcer sur le respect ou non par l'ensemble des porteurs de projets des conditions fixées par les conventions d'attribution. Tout au plus pourra-t-elle formuler une appréciation générale, fondée sur des exemples issus des retours des différentes associations et les pièces de suivi et de contrôle communiquées par le SG-CIPDR.

Globalement, la mission constate que plusieurs associations disposent d'une solide expérience dans le domaine des réseaux sociaux, la communication au profit des publics jeunes et les discours de défense des valeurs. Ainsi, pour l'une d'entre elles, qui travaille depuis plusieurs exercices avec le SG-CIPDR, un projet subventionné au cours d'exercices précédents a même fait l'objet d'une évaluation par une importante société d'études.

La mission tient à souligner que plusieurs projets financés par le fonds Marianne ont connu un important succès et qu'il ne faudrait pas mettre sur le même plan l'ensemble des lauréats. Plusieurs d'entre eux ont mené un travail sérieux et incontestable. La mission note ainsi l'exemple d'une campagne de contre-discours menée par l'un des porteurs de projets, qui a pu atteindre plus de dix-huit millions d'impressions sur Instagram et Facebook.

a) Des structures qui ne sont pas toutes associatives

D'abord, il convient de souligner que les lauréats du fonds Marianne ne sont pas tous des associations. Deux d'entre eux sont des sociétés par actions simplifiées, intervenant dans le domaine de la diffusion et de la production de contenus audiovisuels.

Ce statut, qui ne suscite pas, a priori, de réserve de la part de la mission, aurait néanmoins dû faire l'objet d'une vigilance renforcée et de termes précis pour définir les conditions de mise en oeuvre des projets.

Sur le fond, les conditions de publicité et d'accessibilité des contenus auraient pu être précisées. Ainsi, pour l'une des deux sociétés, les contenus ne sont accessibles que sur abonnement, ce qui semble contraire à l'esprit du fonds Marianne, qui vise précisément à atteindre des publics « jeunes [...] exposés aux idéologies séparatistes ».

Il est assez peu probable que les jeunes concernés souscrivent un abonnement pour se rendre par eux-mêmes sur la plateforme. D'après les éléments de suivi du SG-CIPDR, datés du 13 décembre 2021, la société aurait néanmoins été « en train de développer le code de leur site internet pour donner une connexion à tous les établissements qui utilise[nt] le réseau Educnat ». Néanmoins, parmi les points de vigilance du SG-CIPDR, « le nombre de bénéficiaires des accès à la plateforme » reste « à développer ».

De plus, les conditions de mise en oeuvre, de suivi et de rendu financier auraient dû être ajustées pour tenir compte de la forme des porteurs de projet. D'après les éléments transmis, il semble, au contraire, que leur statut juridique n'a pas conduit à une adaptation de la convention d'attribution, au point de se référer systématiquement à « l'association » dans les deux conventions signées avec des sociétés.

Surtout, les comptes rendus financiers envoyés par les deux sociétés au SG-CIPDR sont très insuffisants pour rendre compte de la mise en oeuvre des projets et de l'utilisation des crédits publics.

b) Les contenus produits par les porteurs de projets sont de natures diverses, et pas toujours directement liés aux objectifs du fonds Marianne

Les retours des associations aux demandes de contribution adressées par la mission témoignent de la diversité des productions financées par les crédits du fonds Marianne.

Ainsi, par exemple :

- l'une d'entre elle indique avoir produit « une cartographie complète des organisations de la société civile dédiées à la lutte contre la haine, l'extrémisme et la radicalisation, et procédé à une évaluation de leurs besoins » ;

- une autre a réalisé un manga sur le thème de l'égalité entre filles et garçons ;

- une troisième a proposé des ateliers en ligne, des outils pédagogiques et des vidéos déconstruisant l'idéologie salafo-djihadiste ;

- une quatrième a utilisé la subvention afin « de professionnaliser, de cadrer, de coordonner et de massifier [les] réponses sur les réseaux sociaux [...] aux attaques contre la République, aux mouvements complotistes ou séparatistes. »

La majorité des lauréats a utilisé la subvention pour financer la réalisation de contenus vidéo. Ce choix s'explique en partie par le public visé par l'appel à projets, à savoir les jeunes de 12 à 25 ans.

En l'absence de critère préalable précis et d'outil d'évaluation permettant d'apprécier la visibilité des contenus il est complexe de porter une appréciation a posteriori sur ces derniers et de mesurer leur succès.

L'absence d'outil ou de méthodologie d'évaluation développés en amont permettra ainsi à Mohamed Sifaoui de dire, lors de son audition par la mission : « existe-t-il un contrat ou une convention qui donne un chiffre ? Si nous avions fait 1 000 productions au lieu de 500, cela aurait-il été suffisant ? »59(*)

En première analyse, il semble néanmoins que certains contenus de lauréats n'aient joui que d'une visibilité limitée sur les différentes plateformes sur lesquelles les vidéos ont été postées. Pour autant, au regard des moyens dont dispose la mission, il est impossible d'apporter des jugements définitifs sur la visibilité des contenus présentés, alors que les modalités de diffusion ne sont pas forcément connues.

Ainsi, pour l'une des séries financées par le fonds Marianne, les vidéos ne dépassent pas, sur Youtube, la centaine de vue en moyenne. Mais les comptes rendus de suivi du SG-CIPDR établissent que ces mêmes vidéos ont été vues 550 000 fois via Facebook au 15 décembre 2021, sans compter leur diffusion radiophonique qui est évaluée à 300 000 auditeurs par l'association.

De plus, concernant l'association qui a mis en place une cellule de riposte sur les réseaux sociaux, la quantification de l'activité est également très difficile. C'est d'ailleurs un point de vigilance relevé par le CIPDR dans une note de suivi : « vigilance : obtenir des détails sur les comptes utilisés pour riposte + éléments quanti généraux sur la portée de leurs publications. »

Par ailleurs, il aurait été pertinent de permettre une meilleure distinction entre les contenus produits avec les crédits financés par le fonds Marianne et ceux financés par d'autres ressources.

Ainsi, pour l'une des associations, une part importante des vidéos produites sur la chaine financée par le fonds Marianne ne présente aucun lien avec les objectifs du fonds. Le projet en question n'ayant été financé qu'à hauteur de 22,5 % par ces crédits, il pourrait être compréhensible qu'une part des contenus ne réponde pas directement au cahier des charges.

Néanmoins, au moment de la demande, les porteurs de projet présentent les 77,5 % de crédits ne provenant pas du fonds Marianne comme un cofinancement pour le projet faisant l'objet de la demande. Ils auraient donc dû respecter les critères fixés par l'appel à projets.

Dans le cas en question, on peut avoir l'impression que le fonds Marianne finance des contenus déterminés, au sein d'une chaîne de vidéos qui produit une multiplicité de contenus. Ce n'est pourtant pas le sens de cofinancements dans le cadre d'un appel à projets.

Surtout, l'association en question pourrait avoir réalisé des contenus de nature politique, sans que la mission n'ait été en mesure de pouvoir les consulter. En effet, d'après la note de suivi produite par le SG-CIPDR, « l'association a lancé un nouveau format à l'approche des présidentielles [...]. Pour l'heure, deux vidéos ont été publiées sur deux candidates, Christiane Taubira et Valérie Pécresse. » Ces vidéos semblent n'être plus accessibles. Par ailleurs, plusieurs contenus sont considérés comme inadéquats. L'une des vidéos produites commence ainsi par un micro-trottoir, interrogeant les passants sur les clichés sur les juifs. Comme le souligne le SG-CIPDR « cette méthode encourage ces jeunes à raviver ces clichés ».

Pour plusieurs porteurs de projets, des avenants ont dû être signés pour assurer la bonne mise en oeuvre des actions. Sur les 17 projets, six d'entre eux ont donné lieu à la signature d'un avenant, afin de parvenir au terme des projets. La volonté d'aller vite, qui a marqué le lancement des projets, s'est retrouvée confrontée à l'épreuve du réel. Pour l'un des projets, dont la convention a été signée le 23 juillet 2021, la fin de la convention était prévue le 1er octobre. Avant cette date, devaient être réalisées par moins de 10 vidéos.

2. L'USEPPM, un bilan insignifiant au regard de la subvention
a) Des réalisations qui ne sont pas en phase avec le projet présenté

Les réalisations du projet iLaïc, première association bénéficiaire en termes de montant de subventions au titre du fonds Marianne, et « vaisseau amiral » de celui-ci, sont très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu pour de tels montants. La convention attributive fixe en effet le montant de la subvention à 355 000 euros. Comme toutes les autres associations, l'USEPPM a bénéficié d'un premier versement de 75 % du montant total, soit une somme de 266 250 euros. Alors que l'USEPPM réalisera les dépenses de son budget prévisionnel dans une mesure inférieure à 60 %, elle ne bénéficiera pas du versement du reliquat (cf. infra).

D'après l'analyse réalisée par le SG-CIPDR au sujet de l'association, « l'engagement en ligne a été faible », alors que c'est précisément sur cet engagement que s'est construit le projet et s'est fondée la décision d'octroi d'une subvention.

Bilan des productions de l'USEPPM, transmis par le SG-CIPDR

Sur Twitter

Sur Tiktok

Sur Instagram

Total

1 510 abonnés

116 abonnés

137 abonnés

1 763 abonnés

401 tweets

21 publications

67 publications

489 publications

Moyenne de 123 000 impressions

950 j'aime

30 j'aime par publication en moyenne

/

Source : bilan du SG-CIPDR sur les productions de l'USEPPM

Aucun autre travail n'a été rendu public par l'association : comme en témoigne l'une des personnes ayant participé aux travaux « finalement, les actions du projet se sont limitées à des tweets, des threads ainsi que des posts Instagram ou TikTok. » Les fiches de paie ayant été établies sur un modèle de contrat à plein temps de 35 heures hebdomadaires, un calcul grossier conduit à considérer qu'il faut compter en moyenne 9 heures de travail rémunérées pour une publication du projet iLaïc sur un réseau social.

D'après Mohamed Sifaoui, lors de son audition par la mission, il faut néanmoins ajouter une part du travail qui n'apparaît pas dans ces statistiques : « ce travail n'a été apprécié que sur sa partie publiable et visible. Comme si lorsque l'on se réveille le matin et que l'on fait une revue de presse pour le projet, cela n'aurait pas été du travail. Comme si, lorsque l'on reçoit un appel téléphonique à 22 heures pour corriger... ».

D'après l'intéressé, « la première difficulté que j'ai rencontrée, c'est que j'ai très vite compris, et davantage entre octobre et novembre, que je m'étais engagé dans un projet mort-né pour la simple raison qu'il n'était plus pérennisable. J'ai en effet compris à travers une discussion avec Christian Gravel qu'il n'irait pas vers un financement de l'année 2, pour des raisons que j'ignore, avant même le bilan. Nous venions à peine de commencer. Nous avons eu un échange assez vif, malgré la sympathie que l'on a, mais très franc ».

Ainsi, a-t-il indiqué, lors de son audition par la mission : « je ne pouvais pas en l'état mettre en application le projet », alors que « la validation politique était très éloignée de la traduction administrative et financière du projet. »

Le projet aurait ainsi été « dépouillé », raison pour laquelle les contenus ne seraient pas à la hauteur des attentes : « on vous demande de vous lancer dans un projet, on vous le valide et ensuite, on vous dépouille au fur et à mesure de l'avancement. » D'une certaine façon, « cela revient à nous annoncer le financement d'une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n'avons pas battu l'armée de Poutine. C'est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d'avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants. »60(*)

Le lancement a été, d'après le président de l'USEPPM, Cyril Karunagaran, relativement progressif : « pendant la période estivale, Mohamed Sifaoui et moi-même avons commencé à poser les bases du projet, mais nous n'avons pas souhaité recruter avant la rentrée, car les personnes auxquelles nous pensions étaient en vacances et parce qu'il ne nous paraissait pas judicieux de commencer les contrats en plein été. Nous avons néanmoins utilisé cette période estivale pour rédiger la stratégie, concevoir le logo « iLaïc », rencontrer des spécialistes du numérique, trouver un local, acheter le matériel et commencer à assurer la veille internet sur les comptes identifiés toxiques ou dangereux. C'est à partir du mois de septembre que nous avons constitué une petite équipe et que nous avons mis en place les premières actions. »61(*)

Néanmoins d'après l'une des personnes ayant travaillé pour le projet, entendue par le président et le rapporteur de la mission, « il ne s'agit pas seulement des lenteurs normales et fréquentes au commencement de tout projet mais d'une véritable absence de volonté, de travail et de compétences de la part des deux dirigeants qui ont, ni plus ni moins, empêché les trois partenaires d'effectuer le travail pour lequel ils avaient été recrutés. »

De plus, outre un lancement du projet moins rapide qu'anticipé et des recrutements à l'automne, le projet a été très vite ralenti, pour pratiquement s'arrêter dès mars 2022. Comme l'a indiqué Mohamed Sifaoui lors de son audition, « parmi les autres difficultés que nous avons rencontrées, j'ai été obligé de baisser nos productions à partir de janvier-février pour une raison double. Nous savions d'abord que l'association ne pouvait pas reconduire les CDD des deux rédacteurs par faute de moyens. En outre, nous étions rentrés dans une période de campagne électorale et par conséquent, il devenait très difficile de traiter la plupart des sujets qui étaient les nôtres, ces derniers étant préemptés par deux chapelles idéologiques extrémistes, à savoir l'extrême droite et l'extrême gauche. Je ne vais pas vous citer les candidats. Nous sommes entrés dans cette contradiction et Christian Gravel m'a appelé pour me dire de faire très attention à ne pas publier de tweet qui pourrait polluer la précampagne ou la campagne électorale. Je m'y suis engagé. Après, sans me parler de l'association en question, il m'a dit qu'il avait des difficultés avec une association, et qu'il voulait attirer notre attention car il savait que nous étions plutôt susceptibles de contredire, pour utiliser un euphémisme, un certain nombre de candidats qui portaient des valeurs qui étaient bien éloignées de celles que nous défendons. »62(*)

Ainsi, prenant prétexte de la période électorale et de la grande difficulté à « traiter la plupart des sujets » dans ce contexte, le projet iLaïc semble avoir été mis en sommeil.

D'après l'une des personnes recrutées par l'USEPPM, « à partir de janvier 2022, après un « bad buzz » minime sur les réseaux sociaux63(*) à la suite d'un tweet sur le compte iLaïc, Mohamed Sifaoui décida d'interdire aux prestataires de publier sans son autorisation. Or c'est au même moment qu'il cessa de leur donner le moindre signe de vie. » Par ailleurs, cette personne indique que Mohamed Sifaoui « a assisté à deux réunions éditoriales seulement et a donné quelques avis de façon très sporadique sur certaines publications pour ensuite ne plus donner aucun signe de vie à partir de janvier 2022 ».

Il semble donc qu'à compter de mars 2022 le projet a été arrêté et que Mohamed Sifaoui et Cyril Karunagaran - rien ne permet aujourd'hui d'affirmer ou d'infirmer le fait que ce dernier a participé à la production du contenu mis en ligne - aient cessé de s'investir sur ce projet, et ce sans que cette situation ne remette en cause la poursuite de leurs rémunérations jusque mai 2022.

Surtout, la fiche réalisée par l'agent chargé du suivi indique qu'à cette même période « le porteur a exigé d'interrompre la convention fin février afin d'être en capacité de solliciter une nouvelle demande de subvention à cette date car son projet est onéreux et difficile à assumer, il a donc besoin du soutien du CIPDR > juger de l'opportunité de reconduire ce partenariat à l'aune des résultats. » Ainsi, tout en interrompant le projet qui faisait l'objet d'une subvention de 355 000 euros dont 266 250 euros avaient d'ores et déjà été versés, Mohamed Sifaoui souhaitait présenter une nouvelle demande de subvention, se prévalant des difficultés à assumer le projet...

Pour autant, il ne semble pas que Mohamed Sifaoui admette de responsabilité personnelle mais considère seulement que son erreur a été de faire confiance aux institutions : « aujourd'hui, bien sûr que je ne suis pas content du résultat - vous voulez que je vous dise que je suis satisfait de moi ? Je ne suis pas content de moi. Je regrette profondément et je ne ferai plus jamais confiance aux institutions qui m'engageraient à m'investir dans un travail. Jamais plus je ne suivrai les demandes d'un responsable politique. »64(*)

Au regard du contenu produit, il est donc permis d'affirmer que le « compte n'y est pas » au regard de la subvention perçue de l'État.

b) Principalement des charges de personnel, et peu de dépenses tournées vers la production de contenu

Le projet présenté par l'USEPPM présentait un niveau de charges de personnel plus élevé que la plupart des autres projets. Ainsi, elles devaient initialement représenter l'équivalent de 40 % des dépenses totales du projet.

Cependant, comme l'a indiqué Christian Gravel lors de son audition par la mission, il n'a pas « été choqué par le fait qu'une partie importante des charges s'inscrive dans des rémunérations, car il s'agissait précisément de payer de l'intelligence pour pouvoir engager ce type de travaux, sans parler du courage qu'il fallait pour produire ces contenus ».

Les salaires ont été répartis entre les deux responsables du projet iLaïc, qui concentrent à eux deux 73 % des rémunérations versées au titre du projet, et deux autres personnes employées en contrat à durée déterminée respectivement d'octobre 2021 à mars 2022 et de septembre 2021 à avril 2022.

Outre les dépenses liées aux rémunérations, la location de bureaux représente un total de 18 396,24 euros, ce qui porte l'ensemble des dépenses liées aux rémunérations et postes de travail à 84 % du budget réalisé pour le projet.

Répartition des dépenses exécutées au titre du projet iLaïc,
financées par le fonds Marianne

(en euros, et en pourcentage des dépenses réalisées)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le SG-CIPDR

Lors de la mise en oeuvre du projet, le budget initial est très loin d'avoir été réalisé. Des cofinancements étaient avancés dans le projet présenté, en particulier par deux conseils régionaux. Toutefois, aucune demande concrète ne semble avoir réellement été faite, comme l'a indiqué Mohamed Sifaoui lors de son audition : « pour les régions, une demande de manière informelle, et même plusieurs demandes à des régions que je ne citerai pas, car cela est resté au stade de l'informel »65(*). Ainsi, en l'absence de subventions par les conseils régionaux et d'aides privées, l'USEPPM n'a pas pu prétendre au versement du reliquat de la subvention au titre du fonds Marianne. En effet, il est nécessaire d'avoir engagé 60 % des dépenses du budget prévisionnel pour pouvoir bénéficier des 25 % restants de la subvention. Ainsi, alors que le budget prévisionnel daté du 10 mai, jour de clôture de l'appel à projet, indique un budget global de 578 307 euros, le budget réalisé sera de 250 603 euros, soit un niveau 57 % inférieur au budget prévisionnel.

Néanmoins, il apparaît que les dépenses de personnel n'ont pas été réduites dans les mêmes proportions que le reste du budget de l'association.

Ainsi, entre le budget prévisionnel et la réalisation, les charges de personnel n'ont été diminuées que de 17 %, témoignant du caractère prioritaire de ces dépenses pour les porteurs de projet. Au regard des difficultés qu'ils ont avancées, on peut s'étonner du maintien d'un niveau de rémunération proche de ce qui avait été annoncé et de l'absence de baisse de rémunération pour les deux principaux salaires, à savoir ceux de Mohamed Sifaoui et de Cyril Karunagaran.

Comme l'a indiqué Mohamed Sifaoui en audition, « sur le Fonds Marianne, le salaire imputable qui m'a été versé personnellement est de l'ordre de 43 000 euros sur douze mois66(*), dûment déclarés auprès de l'administration fiscale, et celui de Cyril Karunagaran était de l'ordre je crois de 30 000 euros imputable sur le Fonds Marianne67(*), pour un total de 77 000 euros au total imputables sur le Fonds Marianne. Réduire nos salaires revenait à mettre fin à nos contrats de travail et, par conséquent, passer en qualité de bénévole. Or je ne suis pas rentier, car je n'ai pas centré ma vie sur la chose matérielle, et je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie à une hauteur me permettant de faire face au quotidien, mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n'a jamais été ma quête d'existence. »68(*)

Il est toutefois permis de s'interroger sur le maintien d'un salaire pour un emploi à temps complet, alors que lui-même indiquait que son activité dans le cadre de ce projet s'était vite tarie, d'autant que, par ailleurs, il était rémunéré pour d'autres fonctions, en particulier en tant que consultant du CIPDR (cf. infra)

Il convient également de noter qu'un bureau avait été loué sur l'avenue Montaigne, pour un montant de près de 20 000 euros. Il semble que l'USEPPM dispose déjà de bureaux à Paris et que les autres personnes recrutées pour travailler sur le projet, qu'il s'agisse d'employés ou de prestataires, travaillaient à leur domicile. Ainsi, on peut s'interroger sur l'opportunité de cette dépense.

Réalisation des dépenses prévues par le budget du projet iLaïc

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents transmis par le SG-CIPDR

La rémunération perçue par Cyril Karunagaran interroge encore davantage. En effet, le rapport de l'inspection générale de l'administration indique que « le président de l'USEPPM demeure, en dépit de demandes répétées de la mission, dans l'incapacité d'attester de son activité sur le contenu du projet. L'ensemble des parties prenantes, à l'exception du second porteur de projet, affirme que le président de l'USEPPM n'a jamais contribué à la production d'i-Laïc et que ses tâches se sont limitées à la gestion administrative et comptable du projet. »69(*)

Au contraire, d'après Cyril Karunagaran, lors de son audition par la mission, « effectivement, j'ai fourni un travail en dehors des tâches administratives et financières. J'avais la responsabilité de la ligne éditoriale. Les publications étaient toutes revues, avec deux niveaux de contrôle. Vous le savez, le sujet était très sensible, surtout à cette période-là. Je n'ai jamais eu de commentaire sur la qualité des productions et l'engagement moral que nous avions pris, et cela résulte de la ligne éditoriale que nous avons mise en place. »70(*)

Cependant, l'une des personnes employées par l'USEPPM a indiqué au rapporteur et au président de la mission que « M. Karunagaran n'a jamais participé opérationnellement au projet. Il n'a d'ailleurs jamais assisté à une seule réunion éditoriale, puisque son rôle était censé se limiter à l'administratif et au financier. Il fût néanmoins très difficile à joindre durant toute « l'exécution » du projet sur ces sujets qui étaient censés être les siens (paiement de salaire, édition de contrat de travail, envoi de bulletin de paie, activation de mutuelle...) ».

3. Reconstruire le commun, une erreur de casting

Reconstruire le commun présente son projet, « Comme Un », comme une plateforme éditoriale qui a vocation à « occuper massivement » le terrain des réseaux sociaux et du web. L'association vise spécifiquement le public des 18-25 ans.

Description du projet de Reconstruire le commun
dans la convention attributive signée entre l'association et le SG-CIPDR

Le projet synthétique de l'association, tenant sur deux pages et présenté au comité de sélection, est un peu plus précis, dans la mesure où il mentionne également la volonté de « Développer l'infotainment, les formats « snack content » ». Le projet mentionne également que « RLC ne se positionne pas politiquement, mais se place au niveau de considérations « ordinaires » et d'éléments fédérateurs (historiques ou artistiques etc.). Les termes République et Laïcité doivent être incarnés plus qu'employés. »

L'association a également transmis à la mission d'information un dossier de candidature de plusieurs dizaines de pages71(*). Ce projet détaillé ne fait pas partie des pièces transmises à la mission par le SG-CIPDR.

Dans sa réalisation, le projet de l'association a principalement pris la forme de vidéos diffusées sur la plateforme YouTube, sur la chaîne nommée « Comme un ». Reconstruire le commun a ainsi produit 57 vidéos, publiées entre le 19 janvier 2022 et le 21 août 2022, qui représentent environ 23 heures 30 minutes de contenu. Les vidéos sont réparties en six séries, et la série « À la bonne franquette » représente à elle seule environ 16 heures et 30 minutes de visionnage.

L'association a également produit des contenus sur Instagram, Twitter et Facebook. De nombreux contenus diffusés sur ces dernières plateformes sont des partages ou des déclinaisons des vidéos produites sur la chaîne YouTube, ou inversement, certaines vidéos ont été diffusées sur ces plateformes avant d'être déposées sur YouTube.

Les vidéos produites par Reconstruire le commun
sur la chaîne
YouTube « Comme Un »

 

Nombre de vidéos

Description

Durée des vidéos

Durée totale

À la bonne franquette

1172(*)

Podcast sur l'actualité et le diversement

Entre 1 heure et 1 heure 30 minutes

16 heures 38 minutes 27 secondes73(*)

Savoir-être avec Jason

6

Brèves humoristiques

Entre 3 et 6 minutes

28 minutes 30 secondes

Le Quizz Comm(e)un

3

Quizz pour jeunes adultes

Entre 8 et 10 minutes

27 minutes 44 secondes

Comme un français

6

Vidéos parodiques de films

Entre 2 et 3 minutes

16 minutes 26 secondes

Nos croyances à la loupe

10

Décryptage d'un thème relatif aux questions religieuses ou identitaires

Entre 10 et 30 minutes

3 heures 20 minutes 41 secondes

Bonjour les primates

21

Présentation d'un thème en science des religions

Entre 5 et 10 minutes

2 heures 39 minutes 31 secondes

Total

57

-

-

23 heures 31 minutes 19 secondes

Source : chaîne YouTube « Comme Un », appartenant à Reconstruire le commun

D'une manière générale, la production, au niveau technique, qu'il s'agisse du son, de l'image et du montage, sont d'un niveau professionnel. Le SG-CIPDR fait le même constat lorsque, dans une note bilan du 27 avril 2023, il écrit que : « la qualité technique des vidéos produites (animations, rythmes, prise du son, graphisme) est au rendez-vous. »

Concernant la portée des vidéos et des posts produits par l'association, il est plusieurs fois fait état par le SG-CIPDR que « les contenus ne suscitent que peu d'engagements »74(*). Il faut toutefois noter que le nombre de vues relevées, du moins sur la plateforme YouTube, est bien meilleur que la moyenne des associations financées par le fonds Marianne.

Bilan quantitatif de l'action de Reconstruire le commun

Au 1er juin 2022 :

* YouTube : 1 175 abonnés, 234 600 vues

* Instagram : 1 146 abonnés, audience jeunes âgés entre 18 et 24 ans, majoritairement féminine

* Facebook : 1 171 abonnés

Éléments du bilan général fourni par la structure, chiffres correspondants à la fin septembre 2022 :

* YouTube : 1 660 abonnés, 457 071 vues

* Instagram : 1 921 abonnés

* Facebook : 1 184 abonnés

* Twitter : 806 abonnés

Source : extrait de la note bilan du SG-CIPDR du 27 avril 2023

Le rythme de publication sur la chaîne YouTube, 57 vidéos en l'espace de 7 mois, soit environ une vidéo tous les 3 ou 4 jours, est soutenu pour ce type de contenu. L'association a présenté à la mission d'information un comparatif des coûts de production, ainsi qu'un déroulé de la production des principales séries de vidéo de la chaîne YouTube. Ainsi, contrairement à l'USEPPM, la réalisation du projet, au niveau strictement quantitatif, ne soulève, au travers des éléments qui ont été transmis à la mission d'information, pas de questions particulières.

En revanche, la conformité des vidéos avec les objectifs du fonds Marianne pose de véritables difficultés. Comme cela a été relevé par la presse dans les premiers temps de « l'affaire du fonds Marianne », l'association a notamment produit de nombreux contenus visant des personnalités politiques.

L'essentiel des passages problématiques à ce sujet se trouvent dans la série « À la bonne franquette », au cours de laquelle plusieurs chroniqueurs, pendant une durée allant d'une à deux heures et trente minutes, discutent de sujets d'actualité ou de divertissement. L'intégralité de ces vidéos ne traite pas de sujets politiques, mais il arrive régulièrement qu'au détour d'une remarque d'un chroniqueur, ou en raison de l'un des thèmes choisis, des personnalités politiques fassent l'objet de critiques et de dénigrement.

La mission d'information a réalisé un recensement des extraits où des personnalités politiques étaient visées, en parallèle du verbatim réalisé par le SG-CIPDR à la fin du mois de mars et en avril 2023. Lors de l'audition de la présidente de Reconstruire le commun, Alham Menouni, le 29 mai 2023, plusieurs de ces extraits ont été diffusés.

Extraits - « À la bonne franquette », Reconstruire le commun

Sur Emmanuel Macron :

« Tout le monde est sacrifié en fait. La seule personne qui n'a pas été sacrifiée, c'est Macron ».

Sur Olivier Véran :

« C'est une victime du macronisme [...] Il ne fait que suivre les ordres, répéter les phrases clés, les notes de Jupiter, le saint thaumaturge en chef qui a eu le temps de se spécialiser en épidémiologie en un week-end. [... Olivier Véran, c'est un peu Jeff Panaclock avec la peluche Jean-Marc. [...] Ils [les enfants assistant à ce genre de spectacle de marionnette] ne se doutent pas qu'il a une main dans les fesses qui ne vient pas de nulle part. Eh bah Véran, c'est exactement la même chose. »

Sur Jean-Pierre Raffarin

« Raffarin, il est bien sympa, mais qu'il retourne chez ses Chinois et qu'il arrête de nous embêter. »

Sur Sandrine Rousseau :

« Le douanier Rousseau était connu pour son art naïf, en 200 tableaux il a pas atteint son niveau à elle de naïveté. C'est une Kenny Arkana sous exta, à côté d'elle Kenny Arkana c'est Alain Juppé. Sa voix est absolument irritante. En 2007 je vous avais prévenu, si vous acceptez une Ségolène Royal, maintenant, dans 10 ans vous aurez des meufs encore plus chiantes qu'elles. Encore plus casse-couille. On a une hybride entre Ségolène Royal et Shirley de Shirley et Dino sur Patrick Sébastien. Une Chantal Goya sous champignon. »

Sur Anne Hidalgo :

« Pourquoi est-ce qu'on dit que c'est encore pire depuis qu'Hidalgo est là et depuis que le PS saccage Paris, qu'est-ce qui s'est passé dernièrement quel a été un peu l'événement déclencheur de tout ça, pourquoi est-ce qu'on râle et pourquoi est-ce qu'on en veut spécialement à Hidalgo ? Il y a certaines infrastructures soit disant biodégradables qu'elle fout un peu partout qui ne font qu'accumuler la saleté en fait, et aussi l'odeur de pisse. Elle propose tout plein d'alternatives pour se donner le bon genre écolo alors que c'est tout sauf écolo d'ailleurs faut le dire, c'est elle qui empire les choses, faut pas nier, elle a sa responsabilité. »

Sur Jean-Luc Mélenchon

« C'est pas vraiment lui [Jean-Luc Mélenchon] qui me fait peur, c'est les gens qui noyautent autour de lui, les décolonialistes, les Obono, etc. Oui, c'est ça complètement. Les partis des indigènes de la République, c'est toute cette sphère-là. Complètement flippant. Qui est vraiment extrémiste et très dangereuse. Lui [Mélenchon] ne s'en distingue pas et il finit par reprendre leur thèse par un subtile passage. »

Source : verbatim réalisé par le SG-CIPDR, complété du verbatim réalisé par la mission d'information

Il en ressort que les passages visant directement des personnalités politiques sont nombreux, et qu'il s'agit ainsi bien plus que de « quelques minutes » sur une série de 16 heures 30 minutes de vidéos. On constate également que les attaques visent l'ensemble des bords politiques.

À cet égard, la mission d'information a fait le choix de ne pas traiter de la question de la publication de ces vidéos durant les campagnes des élections présidentielle et législatives, ce sujet relevant de la compétence des autorités judiciaires.

Il est possible de distinguer, schématiquement, deux types de contenu visant des personnalités politiques. Les premiers sont des satires, qui prennent la forme d'une chronique moquant telle ou telle personnalité. Ces extraits, qui durent généralement une dizaine de minutes, sont souvent désignés comme la séquence « Raphistolage » au sein de l'émission « À la bonne franquette ». C'est le cas par exemple des extraits sur Olivier Véran et Sandrine Rousseau cités précédemment.

Les autres séquences « politiques » sont plus éparses. Il s'agit en général d'un chroniqueur qui, en réaction à un fait d'actualité, donne son opinion sur une personnalité ou un courant politique.

Il n'est bien évidemment pas acceptable que des contenus visant des personnalités politiques soient subventionnés par des crédits publics, sans même qu'il soit besoin d'évoquer la rédaction exacte de la convention signée entre Reconstruire le commun et le SG-CIPDR. Toutefois, rien dans les travaux menés par la mission d'information ne permet d'indiquer que l'administration ou le cabinet aient à aucun moment incité à la production de tels contenus.

Au-delà de la question des contenus politiques, un certain nombre de vidéos de Reconstruire le commun, autant celles qui appartiennent à l'émission « À la bonne franquette » que celles qui font partie des autres séries, interrogent quant à leur compatibilité et surtout leur pertinence avec les objectifs du fonds Marianne.

Concernant « À la bonne franquette », des thématiques comme « Artistes français VS artistes belges », ou « le lancement raté de l'appli SNCF Connect » ne montrent pas de lien évident avec la défense des valeurs de la République. D'autres émissions, comme la série de vidéos parodiques, « Comme un Français » ne présentent également aucun lien direct avec la lutte contre la radicalisation, la défense de la laïcité et la promotion des valeurs de la République.

Dans d'autres cas, le traitement des thèmes choisis semble conduire à faire l'inverse de « créer du commun ». Il est possible de le voir par exemple dans le premier épisode d' « À la bonne franquette », où, dans une partie sur la crise de la Covid-19, les jeunes sont régulièrement, et parfois de manière virulente, opposés aux « boomers ».

À cet égard, le SG-CIPDR, dans une note daté du 2 juin, avait relevé que presque la totalité des séries produites par Reconstruire le commun présentait des problèmes, que ce soit les contenus politiques précédemment cités, ou l'absence de lien avec les objectifs du fonds Marianne.

Extrait d'une note du 2 juin 2022 du SG-CIPDR

Face à cette critique, Alham Menouni, présidente de l'association, a répondu devant la mission d'information : « avant de reconstruire le commun, il faut écouter la parole des jeunes : ils s'opposent aux boomers sur les questions écologiques et ils ont vraiment vécu la crise sanitaire comme un sacrifice. Je n'avais aucune raison de censurer leurs propos, car il s'agit d'une analyse politique comme une autre. »75(*) Si une telle démarche peut s'entendre dans l'absolu, la problématique reste celle de sa compatibilité avec les objectifs du fonds Marianne, et plus généralement de son financement par des fonds publics.

Alors que, dès la diffusion des premiers contenus de l'association, il était permis de s'interroger sur leur pertinence au regard de leur financement par une subvention de l'État et des objectifs précis du fonds Marianne, il faut relever que le contrôle de l'administration paraît lacunaire.

B. LES RESPONSABILITÉS DE L'ADMINISTRATION : UN CONTRÔLE LACUNAIRE DE L'EXÉCUTION DES PROJETS DES ASSOCIATIONS

1. Des moyens de contrôle insuffisants

Une procédure de contrôle est prévue pour l'ensemble des associations subventionnées par le CIPDR, qui est détaillée dans un logigramme. Ce logigramme a été mis en place en 2017, et il a été révisé en 2018 et en 2019.

Suivi et contrôle d'un projet dans le logigramme du SG-CIPDR

Porteur de projet

8. Réalisation de l'action

8.1. Commence à réaliser l'action. Transmet au SG-CIPDR l'état d'avancement de son action à travers l'envoi de pièces justificatives (attestations sur l'honneur accompagnées de l'état récapitulatif des dépenses) pour versements des acomptes et soldes. L'action peut faire l'objet de points d'étape /de situation avec le porteur de projet.

Chargé de mission « métiers »

8. Réalisation de l'action

8.2. Réceptionne les éléments relatifs à l'exécution de l'action (qualitatifs, quantitatifs, ...) ainsi que les demandes de versement d'acomptes (attestations). Les instruit en appliquant le plan de contrôle interne - réclame et réceptionne les pièces utiles au contrôle préalable au paiement. Puis transmet à la cellule financière les éléments financiers (attestation sur l'honneur accompagnée de l'état récapitulatif des dépenses) signés du porteur de projet pour versement des acomptes. Peut également s'appuyer sur le contrôleur interne financier pour l'analyse des documents financiers.

9. Contrôle de l'action

9.1 Réceptionne dans les délais prescrits par la convention : le compte rendu financier accompagné d'un compte-rendu quantitatif et qualitatif du projet; les états financiers ou, le cas échéant, les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes; et le rapport d'activité annuel. Le chargé de mission vérifie que l'action a bien été réalisée et transmet à la cellule financière ou au contrôleur interne financier pour avis sur la dimension financière de l'action.

Relance le porteur de projet en cas d'absence de compte-rendu et peut convenir, en cas d'absence manifeste et volontaire d'envoi de pièces justificatives, du déclenchement d'un contrôle sur pièces et sur place du porteur de projet financé par le FIPDR, en accord avec la SG/le SGA et le contrôleur interne financier

SG-CIPDR - Cellule financière

8. Réalisation de l'action

8.3. Procède aux versements des 2èmes acomptes et solde après validation des pièces transmises par le chargé de mission métier.

Source : extrait du logigramme du SCIPDR applicable pour l'appel à projets du fonds Marianne. Le logigramme complet se trouve en annexe du rapport

Plusieurs témoignages ont confirmé qu'il a bien été appliqué pour les projets du fonds Marianne, sous la dernière version en date, c'est-à-dire celle de 2019. En réalité, ce n'est pas tant le respect des procédures de contrôle que leur effectivité, et les moyens qui leur ont été alloués, qui ont fait défaut dans le suivi des projets des associations subventionnées par le fonds Marianne.

De plus, ce logigramme n'était pas entièrement représentatif de la procédure, puisqu'il n'intégrait pas le rôle du cabinet dans la décision d'attribution des subventions.

a) La subvention est versée en deux fois aux associations, et le deuxième versement est soumis à des conditions formelles d'engagement de la dépense

Dans le logigramme, il est fait mention du versement d'un « solde » après validation des pièces transmises par le chargé de mission métier. En effet, les projets du fonds Marianne ont tous fait l'objet d'un premier versement de 75 % de la subvention. Pour que le solde de 25 % restant de la subvention puisse être versé, il était nécessaire que 60 % du budget consacré au projet ait été consommé.

Il est utile de souligner qu'il s'agit bien de 60 % du budget total du projet, et non pas du montant de la subvention prévue. En effet, la confusion a pu être faite par des personnes auditionnées, ainsi que par des associations. Par conséquent, les cofinancements prévus du projet, que ceux-ci aient été finalement obtenus ou non, sont comptés dans ce seuil des 60 %. Dit autrement, une association qui aurait inscrit des financements autres que celui du CIPDR dans son budget prévisionnel, et qui ne parviendrait pas à les obtenir, pourrait donc se retrouver en difficulté pour atteindre le seuil de dépenses exigées.

Cette règle est inscrite dans l'ensemble des conventions. L'encadré suivant présente, à titre d'exemple, un extrait de la convention signé par l'USEPPM et le SG-CIPDR. 

Extrait de la convention attributive signée entre l'USEPPM et le SG-CIPDR

Article 4 - Modalités de versement

La subvention sera versée selon les modalités suivantes :

* 75 % dès notification de l'acte attributif soit 266 250 €,

* Puis les 25 % restants soit 88 750 €, dès production par le porteur du projet d'une attestation certifiant qu'il a engagé des dépenses à hauteur d'au moins 60 % du budget initial (soit 327 000 €) accompagné de l'état récapitulatif des dépenses à la date de l'attestation.

Lors de son audition, Jean-Pierre Laffite a précisé ce que recoupent les deux documents mentionnés, l'attestation et le récapitulatif des dépenses : « ensuite, le contrôle a lieu sur deux documents : une attestation sur l'honneur du responsable de la structure financée, qui doit indiquer qu'elle a atteint un taux de dépense du budget prévisionnel égal à au moins 60 %, ainsi qu'un tableau normalisé, que nous fournissons, récapitulant charges et produits prévisionnels et réalisés. Ces montants déclaratifs justifient le taux de 60 % du budget de départ »76(*).

Les conventions précisent également que, pour le déblocage du solde, « le SG-CIPDR peut, en outre, demander à l'Association tout autre document prouvant la réalité de l'action ».

Les conditions décrites pour obtenir le déblocage du solde de 25 % apparaissent avant tout formelles : il n'est pas indiqué dans le logigramme, les conventions ou un autre texte, que l'association doit avoir, dans le cadre du projet, répondu à des objectifs quantitatifs ou qualitatifs. En conséquence, il n'est pas clair dans quelle mesure la production de contenus contraires aux objectifs du fonds Marianne peut faire obstacle, d'un point de vue juridique, au versement du solde.

b) Un suivi était mis en oeuvre par le SG-CIPDR, mais la qualité du contrôle a diminué à partir du 2022 suite à des difficultés d'organisation interne

D'une manière générale, les conventions prévoient une obligation pour les associations de rapporter au SG-CIPDR toute modification ou retard dans le projet : « Tout au long du projet, l'association s'engage à notifier au SG-CIPDR tout cas d'inexécution, toute modification des conditions d'exécution ou de retard dans la mise en oeuvre de la présente convention, le bénéficiaire s'engage à informer le SG-CIPDR sans délai par lettre recommandée avec accusé de réception ».

Le logigramme précise ensuite que « l'action peut faire l'objet de points d'étape / de situation avec le porteur de projet ». Une réunion de suivi du fonds Marianne, qui a réuni les associations et qui était présidée par le directeur de cabinet de la ministre, s'est tenue le 14 décembre 2021. La note de bilan préparatoire à cette réunion n'a relevé aucune difficulté notable, et les témoignages reçus par la mission indiquent qu'il n'y a pas eu d'alertes durant la réunion elle-même.

Plusieurs témoignages reçus par la mission d'information indiquent également que des appels et des points d'étape en bilatéral étaient régulièrement organisés avec le SG-CIPDR, mais que le rythme de ces rendez-vous a diminué avec le départ de la chargée de mission qui s'occupait du suivi des dossiers, à la fin de l'année 2021. Le SG-CIPDR a toutefois maintenu le contact avec les associations.

Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général de l'association Fraternité générale, a ainsi déclaré en audition devant la mission d'information que : « nous avons eu un peu moins de retours qu'à l'époque de [la chargée de mission], mais nous n'avons pas senti que le CIPDR était absent. » Rudy Reichstadt, président de Conspiracy Watch, a également indiqué : « je n'aurais pas su dater spontanément le départ de la cheffe de mission, qui a sans doute correspondu à un trou d'air dans nos relations avec le CIPDR ».

Au plan interne, le SG-CIPDR a fait état de difficultés significatives suite au départ de cette chargée de mission. Ses missions de suivi du fonds Marianne auraient été réparties entre quatre agents, qui exerçaient par ailleurs d'autres fonctions, et elle n'aurait pas été remplacée avant un délai de sept mois. La qualité du contrôle aurait fortement diminué. Le SG-CIPDR a ainsi justifié que, pour au moins une association, la situation aurait conduit à resserrer le contrôle sur les aspects « administratifs » du projet, au détriment de sa dimension qualitative.

« Il est important de souligner qu'à cette époque, le SG-CIPDR traverse une période particulièrement complexe liée à la période d'intérim qui a suivi le départ de la chargée de mission responsable du suivi du fonds Marianne fin décembre 2021 (ses dossiers sont alors délégués à 4 agents, investis sur d'autres fonctions, pendant environ 7 mois), à la réorganisation de l'UCDR ainsi qu'à une crise au sein d'un autre service. »

Source : réponses au questionnaire de la mission d'information

À la fin des projets, les associations sont également tenues de remettre un certain nombre de pièces au SG-CIPDR, dont le compte rendu d'exécution financière (Cerfi) et un bilan quantitatif et qualitatif du projet. Ces pièces doivent permettre d'évaluer la réalité des actions menées, et la conformité des dépenses avec l'objet de la convention. L'ensemble des pièces demandées doivent être envoyées dans un délai de six mois après la fin prévue du projet dans la convention. Ce contrôle a posteriori est inscrit dans toutes les conventions.

Extrait d'une convention attributive signée entre le SG-CIPDR et une association

Avant toute nouvelle demande de subvention et au plus tard dans les 6 mois qui suivent la date d'achèvement qui figure à l'article 2 de la présente convention, l'Association fournit les documents ci-après :

le compte rendu financier conforme à l'arrêté du 11 octobre 2006 pris en application de l'article 10 de la loi n° 2000-231 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Ce document est accompagné d'un compte-rendu quantitatif et qualitatif du projet. Ces documents sont signés par la personne habilitée à représenter l'association, et le cas échéant, par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes ;

les états financiers ou, le cas échéant, les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes prévus par l'article L. 612-4 du code de commerce ou la référence de leur publication au Journal officiel ;

le rapport d'activité annuel.

À la date du 25 mai 2023, trois associations sur les 17 n'avaient pas encore terminé leur action, et n'avaient donc pas transmis leurs Cerfi.

c) Des contrôles sur pièces ont été menés tardivement sur les principales associations mises en cause

Le contrôle de « deuxième niveau » signifie, dans la nomenclature établie au sein du SG-CIPDR, un contrôle sur pièces, et possiblement sur place, réalisé par l'administration pour vérifier la conformité des éléments financiers de l'association. Ce contrôle est facultatif, au sens où il n'est pas réalisé systématiquement dès lors qu'une association reçoit une subvention du SG-CIPDR. Cette forme de contrôle est prévue dans toutes les conventions signées entre les associations et le SG-CIPDR. 

Procédure de contrôle de deuxième niveau

Article 8 - Contrôles de l'administration

Pendant et au terme de la présente convention, un contrôle sur pièces et sur place peut être réalisé par le SG-CIPDR. L'Association s'engage à faciliter l'accès à toutes pièces justificatives des dépenses et à tous autres documents dont la production serait jugée utile dans le cadre de ce contrôle conformément au décret du 25 juin 1934 relatif aux subventions aux sociétés privées. Le refus de leur communication entraîne la suppression de la subvention conformément à l'article 14 du décret-loi du 2 mai 1938.

Le SG-CIPDR contrôle à l'issue de la convention que la contribution financière n'excède pas le coût de la mise en oeuvre du projet. Conformément à l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, lorsque la bonne foi de l'association n'est pas mise en cause, le SG-CIPDR peut exiger le remboursement de la partie de la subvention supérieure aux coûts éligibles du projet augmentés d'un excédent raisonnable ou la déduire du montant de la nouvelle subvention en cas de renouvellement.

Source : extrait des conventions signées entre les associations et le SG-CIPDR

La conduite de contrôle sur pièces financières suppose des compétences précises, qui sont normalement dévolues au référent de contrôle interne financier. Or, le SG-CIPDR n'avait plus d'agents capables de mener un contrôle sur pièces financières pendant une partie significative de la réalisation des projets du fonds Marianne.

Jean-Pierre Laffite a ainsi expliqué, en audition devant la mission d'information que : « nous avions un agent qui, hors de ses fonctions directes, a apporté cet appui pendant des années, qui était un référent de contrôle interne financier (RCIF). Cet agent était chargé de suivre et contrôler le processus de dépense, par sondage - il serait impossible de contrôler 100 subventions par an - pour s'assurer du respect du logigramme en douze étapes par les agents internes, mais il effectuait aussi le contrôle de deuxième niveau, de la réalité des dépenses, justificatifs et factures à l'appui. »77(*)

Or, Jean-Pierre Laffite a indiqué que cet agent n'aurait plus exercé ses fonctions à partir de janvier 2022, et ainsi, entre février 2022 et septembre 2022, plus personne au SG-CIPDR ne pouvait ou n'était disponible pour mener un contrôle de ce type sur les associations subventionnées par le fonds Marianne. D'après lui, la procédure de recrutement aurait pris du temps, car les candidats étaient pour l'essentiel issus du secteur privé, et ne connaissaient pas le budget de l'État.

À l'automne 2022, à la suite de l'arrivée du nouveau référent de contrôle interne financier, l'association Civic Fab a fait l'objet d'un contrôle de « niveau 2 », c'est-à-dire d'un contrôle sur pièce. Il s'agit du seul contrôle de ce type engagé avant celui de l'USEPPM, le 17 mars 2023, et les premières révélations médiatiques sur le fonds Marianne.

Xavier Desmaison, président Civic fab, a déclaré devant la mission ne pas connaître les raisons de ce contrôle : « je n'ai pas eu vraiment d'alerte ou d'appel à ce sujet : personne ne m'a donné d'indications sur les raisons de ce contrôle. Je ne dispose pas non plus d'éléments d'information sur les résultats de ce dernier. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le CIPDR a accepté de nous verser une nouvelle subvention, ce qui laisse entendre que tout était en règle »78(*).

Jean-Pierre Laffite a donné les raisons de ce contrôle devant la mission d'information lors de son audition. Elle tire en réalité son origine d'une erreur de l'administration : le solde restant de 25 % de la subvention a été versé à l'association, alors qu'elle n'avait pas encore dépensé 60 % du budget de son projet. L'association n'était pas responsable de ce versement. Jean-Pierre Laffite précise en effet qu'il avait donné instruction de ne pas verser le solde, mais qu'une « action malencontreuse d'un agent a conduit à le verser ». À la suite de cette erreur, il a été décidé d'effectuer un contrôle de niveau 2 sur Civic Fab pour s'assurer que l'ensemble des éléments étaient en ordre. D'après l'ensemble des informations transmises à la mission d'enquête, ce contrôle n'a pas soulevé d'anomalie significative.

Si un tel contrôle peut effectivement se justifier, il est étonnant que l'association Civic Fab ait été considérée comme prioritaire pour un contrôle, alors que les actions de Reconstruire le commun et de l'USEPPM suscitaient déjà des questions sur la nature des actions menées.

L'USEPPM a finalement fait l'objet d'un contrôle sur pièces, lancé le 17 mars 2023, ainsi que Reconstruire le commun au début du mois de mai 2023. Il est possible que dans le sillage des révélations médiatiques, d'autres associations aient fait l'objet d'un contrôle de deuxième niveau récemment sans que la mission d'information en ait eu connaissance. Par ailleurs, l'IGA mène actuellement un contrôle sur l'ensemble des associations subventionnées par le fonds Marianne.

2. Un contrôle et un suivi très faibles du projet iLaïc
a) La forte diminution de la production de l'USEPPM en 2022 n'a pas fait obstacle à l'approbation d'un avenant pour prolonger le projet de l'association

La note préparatoire datée du 13 décembre 2021 rédigée par le SG-CIPDR en vue du bilan d'étape à six mois des associations subventionnées présente de manière succincte les réalisations de l'USEPPM, et ne fait pas état de difficultés significatives. Les résultats, au niveau quantitatif ou qualitatif, ne sont pas appréciés de façon positive ou négative. Une formulation, « quelques éléments de compréhension tout de même », semble suggérer que les résultats en termes de vues sont inférieurs aux espérances du SG-CIPDR, mais ce n'est pas explicite.

Extrait de la note du SG-CIPDR du 13 décembre 2021 préparatoire à la réunion du 14 décembre 2021, faisant un bilan d'étape de l'action des associations subventionnées par le fonds Marianne

Quelques éléments de compréhension tout de même :

- S'agissant des performances Twitter : baisse de la fréquentation du compte au lendemain de la campagne Samuel Paty sur Twitter car celle a reçu un écho important et par la suite les publications ont été moins commentées et relayées que les vidéos liées à cette campagne, montre que leur présence durant les périodes commémoratives d'événements importants est essentielle.

- S'agissant de la campagne Samuel Paty sur Facebook : le compte a accueilli sa première publication le 24/09. Jusqu'au 17/11, 30 publications ont été postées (8 photos et 22 vidéos). Les posts les plus performants ont été les vidéos en hommage à Samuel Paty, et ce, sur l'ensemble des indicateurs.

Lors de la réunion de suivi elle-même, le rapport de l'IGA relève que : « s'agissant de l'USEPPM, il est observé que l'association a engagé une action de communication remarquée pour la commémoration de l'assassinat de Samuel PATY, et que le démarrage est plus progressif sur les autres chantiers »79(*). Ce « démarrage plus progressif » pouvait néanmoins déjà susciter des inquiétudes sachant que, comme le remarque par ailleurs l'IGA, la convention de l'USEPPM devait arriver à son terme le 28 février 2022, soit seulement deux mois et demi après cette réunion.

D'après Mohamed Sifaoui, propos qui est corroboré par un autre témoignage, le CIPDR aurait alerté l'USEPPM à la fin de l'année 2021 que la production de certains contenus était sensible dans le cadre de l'élection présidentielle à venir : « Christian Gravel m'a appelé pour me dire de faire très attention à ne pas publier de tweet qui pourrait polluer la précampagne ou la campagne électorale »80(*). Un témoignage indique par ailleurs qu'un tweet rédigé par l'USEPPM, visant une personnalité politique, aurait fait l'objet d'une alerte par le SG-CIPDR envers l'association. Avec les éléments disponibles, il n'est pas possible d'indiquer s'il s'agit de la même discussion ou non, ni de confirmer ce témoignage.

En tout état de cause Mohamed Sifaoui a soutenu devant la mission d'information que la discussion qu'il a eue avec M. Gravel sur la campagne électorale fut l'une des raisons pour lesquelles la production de l'association avait diminué en 2022.

D'après un témoignage, le préfet Christian Gravel aurait été alerté en janvier ou en février 2022 que le projet était au point mort. Le secrétaire général aurait répondu que le projet ne devait pas s'arrêter, et qu'au contraire, il fallait continuer à produire des contenus. Le rapport de l'IGA rapporte la même information81(*). Il faut néanmoins relever que ce témoignage n'a pas été corroboré par Christian Gravel lui-même.

Le 7 février 2022, un agent du CIPDR contacte Cyril Karunagaran pour faire un premier bilan des actions menées. Un échange a eu lieu le 21 et le 24 février 2022, Cyril Karunagaran transmet au SG-CIDPR une présentation synthétique des activités de l'association. Lors d'une visioconférence du 28 février, soit la date de la fin de la convention, un agent du SG-CIPDR demande à Cyril Karunagaran d'envoyer un bilan quantitatif de l'action et un récapitulatif des dépenses engagées.

Après une relance par texto datée du 7 mars, Cyril Karunagaran a envoyé un mail le même jour avec des éléments de dépenses assez succincts, et indique qu'il n'a, à l'heure actuelle, pas davantage d'éléments quantitatifs que ceux transmis le 24 février : « concernant le bilan quantitatif, comme [personne tierce] l'expliquait durant notre visio, c'est justement grâce à la mise en place de notre phase 3 (site web) que nous allons pouvoir agréger des données « mesurables », notamment avec des outils comme Google Analytics qui permet d'obtenir des métriques poussées. Les chiffres dont nous disposons sont actuellement ceux qui ont été fournis sur notre mail précédent »82(*).

En parallèle, le 25 février, Cyril Karunagaran a envoyé par courrier recommandé une demande de report du terme de la convention, du 28 février jusqu'au 31 mai 2022. Ce courrier fait également état d'une exécution de 60 % de la subvention. Le versement du solde de 25 % n'est pas explicitement demandé à ce stade, mais il est vraisemblable que Cyril Karunagaran souhaitait signifier par-là que l'USEPPM pouvait désormais y prétendre.

Extrait du courrier recommandé de l'USEPPM daté du 25 février 2022

Le 17 mars 2022, Cyril Karunagaran a envoyé un état récapitulatif des dépenses complété, et confirme que l'USEPPM n'ayant pas atteint le seuil de 60 % de l'état prévisionnel des dépenses, l'association ne peut pas bénéficier du solde de 25 % de la subvention. Il est possible qu'au moment de l'envoi du courrier, il y ait eu une confusion de la part de l'association au niveau du seuil de 60 %, qui porte en effet sur l'ensemble du budget du projet (cofinancements prévisionnels inclus), et non sur la seule subvention versée dans le cadre du fonds Marianne.

L'état des dépenses transmis le 17 mars 2022 est arrêté au 28 février 2022, et enregistre un montant total de dépenses exécutées de 217 816,37 euros, dont 149 536,26 euros pour les charges de personnel.

Concernant la demande d'avenant, un avenant à signer est envoyé par un chargé de mission le 28 mars 2022. La mission d'information n'a pas obtenu d'éléments justifiant la décision d'accorder une prolongation de son action à l'USEPPM.

Faute d'avoir reçu une réponse, le même chargé de mission envoie une relance à l'USEPPM le 10 mai 2022. Celle-ci n'a pas non plus fait l'objet d'une réponse par mail.

Jean-Pierre Laffite a indiqué au cours de son audition qu'il n'a retrouvé aucune trace d'un avenant signé : « pour l'USEPPM, le point de départ de ce délai a été considéré, peut-être à tort, comme étant le 31 mai 2022, en raison d'une demande d'avenant pour prolonger de trois mois le délai d'exécution de l'action, du 28 février au 31 mai 2022. Or si le secrétaire général en a accepté le principe, nous n'avons pas retrouvé trace d'un document signé par le président de l'association, malgré une relance »83(*).

En revanche, Mohamed Sifaoui a affirmé, au cours de son audition, que Cyril Karunagaran lui avait dit qu'un avenant signé avait été envoyé : « ce dernier m'a fait savoir qu'un avenant devait être signé entre l'association et ses services et que manifestement, Cyril Karunagaran ne l'avait pas envoyé. J'ai demandé à Cyril Karunagaran ce qu'il en était et il m'a dit qu'il l'avait envoyé, mais visiblement, l'administration n'en avait pas trouvé trace. Ils sont restés dans ce dialogue jusqu'à fin 2022, quand Cyril Karunagaran a envoyé en recommandé un avenant signé par ses soins. Or il n'a jamais reçu la partie contresignée. »84(*)

Le rapport de l'IGA apporte des précisions, en indiquant que Cyril Karunagaran a soutenu avoir renvoyé l'avenant signé à deux reprises en 2022. Aucun de ces deux avenants n'a été retrouvé par le SG-CIPDR. Un avenant signé a en revanche bien été envoyé au SG-CIPDR en février 2023.

Toujours est-il qu'il semble qu'en interne, et comme l'a indiqué Jean-Pierre Laffite, le SG-CIPDR a considéré que la convention de l'USEPPM était effectivement prolongée jusqu'au 31 mai 2022. Plusieurs messages indiquent explicitement que pour les agents suivant le dossier, la convention devait se terminer le 31 mai 2022. En outre, Cyril Karunagaran et un agent du CIPDR ont fait un point téléphonique sur l'action de l'association le 31 mai, pour marquer la fin présumée de la convention.

b) Un contrôle sur pièces a finalement été lancé en mars 2023, alors que l'association ne répondait plus aux sollicitations depuis novembre 2022

Six mois après la fin du projet, les associations étaient tenues de transmettre au CIPDR plusieurs éléments dont un compte-rendu d'exécution financière (Cerfi) ainsi qu'un bilan quantitatif et qualitatif de leur action. Dans le cas de l'USEPPM, comme le CIPDR considérait que l'action se terminait le 31 mai 2022, l'association devait transmettre ces documents au plus tard le 31 novembre 2022.

Le 10 novembre 2022, un chargé de mission du CIPDR a ainsi demandé par mail à l'association de transmettre ces documents pour le 18 novembre. L'agent a également tenté d'appeler Cyril Karunagaran le même jour, et lui a envoyé un texto le 14 novembre. Enfin, il a tenté d'appeler une nouvelle fois Cyril Karunagaran le 1er décembre 2022, mais celui-ci a rejeté l'appel.

Le rapport de l'IGA indique de plus que l'agent aurait tenté de joindre, le 23 novembre 2022, Mohamed Sifaoui : « le 23 novembre 2022, l'agent contacte le deuxième porteur du projet [Mohamed Sifaoui], en lui indiquant qu'il cherche « désespérément » à joindre son collègue »85(*). Durant son audition, Mohamed Sifaoui n'a cependant pas relaté cet événement. Il a néanmoins affirmé qu'il a appris que Cyril Karunagaran était difficilement joignable : « ce n'était pas moi qui n'étais pas joignable - on ne vous a pas dit à un moment que je n'étais pas joignable - mais j'ai appris que Cyril Karunagaran, pendant une période, était difficilement joignable. »86(*)

Interrogé sur cette situation, Cyril Karunagaran a expliqué devant la commission d'enquête que : « c'était la première fois que je travaillais avec une subvention publique. Je souhaitais obtenir l'assistance de notre expert-comptable pour retourner les éléments le plus fidèlement possible » tout en précisant qu'il avait eu « des difficultés d'ordre personnel »87(*). Dans un mail daté du 15 février 2022, Cyril Karunagaran avance une autre explication : « l'action s'étant déroulée à cheval sur 2 exercices comptables, nous avons dû attendre l'avancée du bilan de 2022 avec notre expert-comptable afin de vous fournir des chiffres validés ».

Le rapport de l'IGA relève en outre qu' « à l'automne 2022, l'agent en charge par intérim du suivi de l'USEPPM aurait alerté le secrétaire général sur ses grandes difficultés à contacter le président de l'USEPPM et à récupérer la documentation exigée par la convention. Le secrétaire général lui aurait répondu qu'il s'en occuperait. Or, la mission n'a pas été en mesure de retrouver la moindre trace d'une quelconque relance ou mise en demeure adressée à l'initiative de ce dernier »88(*). La mission d'information n'a pas non plus trouvé trace d'une éventuelle relance jusqu'en février 2023, une fois passés les messages déjà évoqués en novembre et au 1er décembre 2022.

En tout état de cause, l'ensemble de ces sollicitations sont restées sans réponse jusqu'à un appel du secrétaire général adjoint du CIPDR, Jean-Pierre Laffite, du 14 février 2023, qu'il a fait suivre par un mail.

Mail de Jean-Pierre Laffite à Cyril Karunagaran

Date : 14 février 2022 à 18h15

Monsieur Karunagaran, bonjour,

Je fais suite à notre échange de l'instant, et vous rappelle que l'association USEPPM que vous présidez a bénéficié d'une subvention d'un montant total de 355 000 euros au titre des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPDR) dans le cadre de la convention de financement n°2021/FIPDR/RADICALISATION/031 en date du 16 juillet 2021 pour le projet « I Laïc République ».

À ce jour, seule une première avance a été versée pour un montant de 266 250 euros en juillet 2021, le solde de 88 750 euros ne l'ayant pas été.

Au titre de l'exécution budgétaire, nous avons reçus de votre part un état des charges et des ressources du projet daté du 9 mars 2022 qui fait état de dépenses exécutées à hauteur de 217 816,37 €, soit un montant inférieur à celui indiqué à l'article 4 de la convention financière qui prévoit le versement du solde dès production d'une attestation certifiant l'engagement de dépenses à hauteur d'au moins 60 % du budget initial, soit 327 000 € ; accompagné de l'état récapitulatif des dépenses à la date de l'attestation.

L'action étant achevée depuis le 31 mai 2022 aux termes de l'avenant n° 1, les dépenses susceptibles d'être prises en compte sont donc comprises entre le 01/06/2021 et le 31/05/2022.

Or, selon vos indications, ces dépenses se sont révélées inférieures au montant de 327 000 € ce qui doit vous conduire à renoncer à obtenir le versement du solde et permettre ainsi au SG-CIPDR de clôturer l'engagement juridique résultant de la convention.

En conséquence, conformément à l'article 5, je vous saurais gré de nous faire parvenir le compte rendu financier (cerfa 15059-02) retraçant de façon définitive l'exécution de la subvention, accompagné des états financiers ou, le cas échéant, des comptes annuels 2022 et du rapport du commissaire aux compétences ou la référence de leur publication au Journal officiel, ainsi que du rapport d'activité annuel.

Dans le cadre de cette transmission, vous voudrez bien préciser que vous renoncez expressément au versement du solde sus-décrit.

Je me tiens à votre disposition en cas de difficulté.

NB : le gras et le souligné viennent du mail original.

À la suite de ce message, Cyril Karunagaran a envoyé, le 15 février 2023, un compte-rendu d'exécution financière du projet de l'association, et il a confirmé renoncer au versement du solde de 25 %, dans la mesure où l'état des dépenses exécutées n'avait pas atteint le seuil de 60 % du budget prévisionnel.

Le compte-rendu de l'exécution financière de l'association, envoyé à ce moment-là, comprend les chiffres finaux des dépenses de l'association dont le SG-CIPDR dispose : 250 603 euros ont été dépensés, dont 193 468 euros pour les charges de personnel. Le document est annexé à ce rapport.

Le 17 mars 2023, Jean-Pierre Laffite envoie un message à Cyril Karunagaran pour indiquer que l'association a été sélectionnée pour faire l'objet d'un contrôle sur pièces. Il en profite pour relancer l'association sur la transmission d'un bilan quantitatif et qualitatif complet. Le 27 mars 2023, Cyril Karunagaran envoie les pièces financières demandées, ainsi qu'une nouvelle version du bilan quantitatif et qualitatif du projet.

c) La faiblesse des productions de l'association et les dysfonctionnements constatés auraient dû justifier un contrôle sur pièces dès l'année 2022

Le lancement du contrôle au mois de mars 2023 est particulièrement tardif au regard des difficultés rencontrées avec l'USEPPM depuis au moins le printemps 2022.

En effet, dès cette période, l'ensemble des évènements relatifs à l'USEPPM auraient déjà dû faire l'objet d'une alerte au sein du SG-CIPDR. D'après une personne auditionnée par la mission, un signalement au préfet Gravel aurait été effectué en janvier ou février 2022 indiquant que le projet était « au point mort ». En tout état de cause, il pouvait être constaté une nette diminution du rythme des productions durant les premiers mois de 2022, voire un coup d'arrêt.

De plus, il est difficile à comprendre que l'association ait obtenu un avenant pour prolonger son action jusqu'au 31 mai 2022. À cet égard, la mission d'information n'a pas retrouvé d'éléments selon lesquels il aurait été demandé à cette période à l'association de reprendre ses productions.

Les difficultés pour obtenir un avenant signé de la part de l'association, ainsi que l'absence de réponse aux relances à partir de novembre 2022, auraient également justifié une réponse plus rapide de la part de l'administration. Tous ces éléments s'ajoutent au fait que l'USEPPM est l'association qui a bénéficié de la subvention la plus importante dans le cadre du fonds, et que son projet, qui implique une réponse directe aux porteurs de discours séparatiste, est particulièrement sensible.

Le SG-CIPDR ne disposait, certes, plus de personnes capables de mener un contrôle de deuxième niveau pour les associations du fonds Marianne entre février et septembre 2022. Toutefois, dès l'automne 2022, un contrôle était possible. Que des contrôles approfondis n'aient pas été menés plus tôt relève de la responsabilité de l'administration.

3. Un suivi défaillant des contenus produits par Reconstruire le commun et des avertissements non formalisés
a) Les avertissements relatifs à la production de contenus politiques par Reconstruire le commun n'ont jamais fait l'objet d'une formalisation écrite

D'après le SG-CIPDR, les contenus politiques produits par l'association auraient été identifiés pour la première fois en février 2022. À la suite de ce constat, l'administration indique qu'elle aurait organisé une seconde réunion avec Reconstruire le commun, où la consigne aurait été donnée de ne plus produire ce type de contenus : « le SG-CIPDR ayant constaté quelques contenus problématiques (notamment à coloration politique) courant février 2022, il organise alors une deuxième réunion avec l'association, qui aura lieu le 1er mars. Lors de cette réunion, au-delà des sujets relatifs aux indicateurs de performance des contenus en ligne, le CIPDR rappelle à l'ordre le porteur de projet concernant les quelques contenus problématiques identifiés. L'association s'engage, alors, à ce que ce type de contenus ne soit plus diffusé. »89(*)

Christian Gravel a précisé durant son audition que l'administration avait « convoqué » l'association, suite à la diffusion des contenus politiques : « puis, à la fin du mois de février, notre agent s'est aperçu que l'association avait diffusé trois ou quatre contenus à caractère politique. Il m'en a alerté immédiatement : je lui ai alors demandé de convoquer les représentants de l'association, de sorte à leur communiquer nos observations, tant sur le plan qualitatif que sur le caractère hautement problématique des contenus politiques que nous avions identifiés. La consigne que nous avons fait passer, à savoir qu'il était strictement interdit à l'association de s'associer, d'une manière ou d'une autre, à des contenus de nature politique, ne laissait place à aucune ambiguïté. La présidente de l'association en a pris acte au mois de mars. »90(*)

Cette version des faits tranche avec celle relatée par Jean-Pierre Laffite et Alham Menouni lors de leurs auditions. Le magistrat n'a pas le souvenir que les contenus politiques aient été abordés durant la réunion de mars, et si ce fut le cas, ils n'étaient pas le sujet central de la réunion : « On m'a demandé de participer à une réunion en mars 2022, me semble-t-il, où, dans mes souvenirs, l'aspect politique n'a pas du tout été abordé. Il l'a peut-être été de manière incidente, mais ce n'était pas le sujet »91(*) .

Alham Menouni a indiqué que : « à l'occasion d'un ou deux points, le CIPDR nous a signifié qu'une blague anti-Macron ne les a pas fait rire. Cela a donné lieu à une discussion normale et bienvenue sur le contexte sensible - la période électorale - et sur la nécessité de faire attention à notre traitement de sujets politiques. Nous avions déjà intégré ce point. »92(*). Même si elle ne le dit pas explicitement lors de l'audition, il est probable que ces remarques aient été formulées lors de cette réunion du 1er mars.

Aucune note n'a été produite qui rende compte de l'ordre du jour et du contenu de cette réunion. Il n'est donc plus possible d'avoir la certitude de son déroulé. Cependant, les témoignages indiquent que la question des contenus politiques y a été effectivement abordée de façon « incidente ».

Les informations sur la réunion du 2 juin sont plus précises. Une note préparatoire, datée du 1er juin, indique d'emblée que les « contenus politiques » doivent faire l'objet d'attention, en particulier pour la série « À la bonne franquette », où il est indiqué : « certains épisodes ont ciblé explicitement des personnalités politiques, parfois même des candidats aux élections ».

Christian Gravel a déclaré durant son audition, et de manière plus nette, que : « à l'occasion d'un autre visionnage, l'agent concerné par le suivi de Reconstruire le commun s'est rendu compte que de nouveaux contenus politiques avaient été produits. J'ai alors demandé qu'on les convoque de nouveau, ce qui a été fait le 2 juin : lors de la réunion que j'ai présidée, je leur ai dit très clairement, très explicitement, très vigoureusement qu'il était intolérable de diffuser de tels contenus. »93(*)

Alham Menouni a toutefois contesté en audition l'usage du terme « convoquer », et par-là le fait que l'objet principal de la réunion aurait été les contenus politiques : « je voudrais clarifier certains points. Contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, je n'ai jamais été convoquée. En revanche, j'ai assisté à des réunions de suivi et à des points d'étape. D'ailleurs cette réunion [celle du 2 juin] a été réalisée sur mon initiative, après avoir sollicité un rendez-vous formel avec le CIPDR pour présenter un prébilan avant la fin de la convention. »94(*). À partir des éléments qu'elle a en sa possession, la mission d'information n'est pas en mesure de déterminer qui était à l'origine de chaque rendez-vous.

En revanche, Alham Menouni reconnaît que la question des contenus politiques a été discutée le 2 juin, mais à la fin de la réunion, par une intervention de Christian Gravel. Elle soutient qu'il serait parti sans avoir laissé le temps à l'association de répondre, ce que la mission d'information n'a pas pu confirmer.

Dans la note préparatoire à la réunion du 2 juin, la question du caractère politique des vidéos est évoquée. Il est indiqué au préambule de la note : « point de vigilance : contenus politiques + faible taux d'engagements », et les contenus politiques sont souvent mentionnés dans un point concernant l'émission « À la bonne franquette ».

Malgré tout cela, la mission d'information n'a eu connaissance d'aucun avertissement ou signalement écrit du SG-CIPDR à destination de Reconstruire le commun sur la question des contenus politiques, ni d'ailleurs plus globalement pour l'interroger sur la pertinence des sujets abordés au regard des objectifs du fonds Marianne. Les communications entre Reconstruire le commun et le SG-CIPDR ont dans l'ensemble porté sur des questions administratives.

La nature des contenus produits par l'association, en particulier ceux à caractère politique, n'ont pas fait obstacle au versement du solde de 25 % de la subvention, qui a eu lieu en juillet 2022. La présidente de Reconstruire le commun n'a pas eu de signalements selon lesquels les contenus problématiques pourraient conduire au non-versement de ce solde.

Christian Gravel a indiqué lors de son audition que cette possibilité avait été évoquée en interne, mais qu'ils étaient arrivés à la conclusion qu'il n'était pas possible de s'opposer au versement du solde dès lors que les conditions formelles étaient remplies, même si des contenus problématiques avaient déjà été identifiés : « à l'époque - je suppose que vous en reparlerez avec Jean-Pierre Laffite -, le pôle administratif et financier a estimé que tout était en règle sur un plan budgétaire, dans la mesure où toutes les pièces avaient été transmises en temps et en heure, conformément à ce qui était prévu, et on a dépassé le seuil des 60 %. Dès lors, nous en sommes arrivés à la conclusion que, si l'on ne versait pas la totalité de cette subvention, on s'exposait de fait à un contentieux que nous étions presque sûr de perdre. » 95(*)

Il faut néanmoins souligner qu'il s'agit d'une hypothèse formulée par le SG-CIPDR, et qu'il n'est pas certain que le juge administratif tranche en ce sens s'il était saisi d'une telle demande. D'une manière générale, le juge administratif considère que « le caractère créateur de droits de l'attribution d'un avantage financier tel qu'une subvention ne fait pas obstacle, soit à ce que la décision d'attribution soit abrogée si les conditions auxquelles est subordonnée cette attribution ne sont plus remplies, soit à ce que l'autorité chargée de son exécution, constatant que ces conditions ne sont plus remplies, mette fin à cette exécution en ne versant pas le solde de la subvention » (Conseil d'État, 7 août 2008, n° 285979).

b) Le contrôle sur pièces de Reconstruire le commun, qui doit éventuellement précéder une demande de remboursement, a été lancé très tardivement par l'administration

Le SG-CIPDR a reconnu de manière constante n'avoir pas perçu l'ampleur du nombre des contenus politiques produits par Reconstruire le commun avant les révélations médiatiques de mars 2023. Les réponses de l'administration au questionnaire de la mission d'information évoquent « la découverte a posteriori du nombre important de prestations manifestement incompatibles avec l'objet de la convention », et Christian Gravel, lors de son audition, a complété en affirmant que : « Au moment où nous les avons convoqués, nous pensions encore que ces contenus étaient peu nombreux [...] Tout dernièrement - et c'était trop tard ! -, nous avons compris qu'en définitive de nombreux contenus de nature politique avaient été émis »96(*).

Plus précisément, le CIPDR semble justifier dans ses réponses au questionnaire de la mission d'information cette découverte tardive par une désorganisation interne du service, qui avait fait suite au départ de la chargée de mission qui s'occupait seule du suivi des dossiers du fonds Marianne à la fin de l'année 2021. Les réponses de l'administration indiquent ainsi que : « ce contexte a occasionné un manque de coordination entre le pôle métier et la cellule financière, aboutissant à un suivi recentré sur les aspects les plus administratifs du projet, sans que ne soit réévaluée, à ce moment précis, sa dimension qualitative ».

De plus, la note préparatoire à la réunion du 2 juin indique que l'ensemble des séries de vidéos de Reconstruire le commun étaient étudiées par le SG-CIPDR, et il était fait mention dans la note que certains passages visent des personnalités politiques : « "À la bonne franquette " : talkshow sous le format podcast avec un animateur et 2 « chroniqueurs ». => Certains épisodes ont ciblé explicitement des personnalités politiques, parfois même des candidats aux élections ».

Cette situation, conjuguée au fait que Reconstruire le commun est l'association ayant obtenu la deuxième subvention la plus importante du fonds Marianne (330 000 euros), rend difficilement compréhensible le fait que les productions de l'association n'aient pas été examinées plus en détail jusqu'au moment des révélations médiatiques, en mars 2023.

La mission d'information a appris, par une note datée du 24 avril 2023 transmise par le SG-CIPDR à la mission d'information, qu'une « procédure de remboursement de tout ou partie de la subvention » était actuellement mise en oeuvre. Durant son audition, Christian Gravel a indiqué que « le processus n'a été formellement engagé que la semaine dernière », c'est-à-dire la semaine du 8 mai.

Le courrier recommandé transmis par la suite par le SG-CIPDR à la mission d'information, signé par Christian Gravel et daté du 12 mai 2023, indique que la procédure initiée est une procédure de contrôle sur pièces, et que celle-ci pourrait aboutir à une demande de remboursement : « j'envisage d'ordonner le reversement de tout ou partie des sommes qui vont ont été versées au titre de cette subvention ».

Le SG-CIPDR a indiqué dans ce courrier que cette éventuelle demande de remboursement est fondée sur l'article 43-IV de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses disposition d'ordre économique et financier, qui dispose que : « lorsqu'il apparaît, notamment à la suite d'un contrôle de l'inspection générale des finances, qu'un concours accordé par l'État, un établissement public de l'État ou un organisme soumis au contrôle économique et financier de l'État, au profit de l'un des organismes visés au I et au II du présent article, n'a pas reçu l'emploi auquel il avait été destiné, le ministre compétent ou le représentant légal de l'établissement ou de l'organisme peut en ordonner la répétition à concurrence des sommes qui ont été employées à un objet différent de celui qui avait été prévu. »

Le courrier évoque également, sous la forme d'une hypothèse, que « l'objet de la convention a été gravement méconnu et substantiellement modifié » et ajoute que « la réalité des prestations stipulées n'a pas été à ce stade justifiée. »

Invitée à répondre à ce sujet, Alham Menouni a déclaré devant la commission d'enquête que cette procédure n'a pas lieu d'être, dans la mesure où elle a adressé en novembre 2022 l'ensemble des éléments demandés par l'administration.

Elle conteste également sur le fond qu'elle ait méconnu les engagements de la convention. Elle estime en particulier que la convention n'interdisait pas les contenus de nature politique : « il a utilisé l'expression de « condition sine qua non » [l'absence de tout message de nature politique]. À mon sens, une telle condition doit alors avoir une traduction au niveau du contrat, ce qui n'a pas été le cas dans les deux conventions que nous avons signées, aussi bien la première que celle du fonds Marianne, qui sont à peu près les mêmes - ce sont des conventions type. Au-delà des questions qui nous intéressent aujourd'hui, aucune condition portant sur notre ligne éditoriale n'y figure et la plupart de leurs articles ont trait au bon suivi administratif. »97(*). La convention liant le SG-CIPDR et Reconstruire le commun ne comporte en effet pas de disposition interdisant explicitement les contenus de nature politique.

Il ne revient toutefois pas à la mission d'information de trancher sur la méconnaissance ou non par Reconstruire le commun de sa convention, compte tenu des procédures en cours.

Interrogé sur la date tardive du lancement formel de la procédure de contrôle, Julien Marion a indiqué lors de son audition qu'un délai était nécessaire pour que l'administration rédige une note exhaustive sur les contenus produits par l'association : « les équipes du CIPDR ont dû pour cela visionner des dizaines d'heures de production vidéo, ce qui selon moi justifie le délai. La note, qui est parvenue au cabinet dix jours plus tard, entre le 7 avril et le 10 avril, retranscrivait des propos à caractère politique. »98(*). Le visionnage des vidéos produites par l'association prend en effet un certain temps, et il est compréhensible qu'après les révélations médiatiques de mars la note n'a été produite que pour la deuxième semaine d'avril.

Toutefois, le délai entre la réception de la note retranscrivant les propos de nature politique et le lancement du courrier annonçant la procédure de contrôle, le 12 mai, soit près d'un mois plus tard, est plus difficilement explicable.

Tous ces éléments témoignent à tout le moins du retard important qu'a pris le SG-CIPDR dans le contrôle de l'action de Reconstruire le commun.

C. LES RESPONSABILITÉS POLITIQUES : UNE ABSENCE DE PILOTAGE ET DE SUIVI POLITIQUE CONFINANT À L'IRRESPONSABILITÉ

1. La ministre déléguée et le cabinet ont une responsabilité dans les décisions qui ont été prises dans le cadre du fonds Marianne

Les responsabilités propres de certaines associations et de l'administration dans sa mission de contrôle ont été longuement évoquées dans cette partie. Toutefois, la ministre déléguée et son cabinet ont également une responsabilité dans les échecs du fonds Marianne.

La ministre a bien entendu une responsabilité générale concernant les actions de son cabinet et de l'administration qui relève de ses attributions. Marlène Schiappa ne l'a pas nié, et l'a même affirmé devant la mission d'information : « que le ministre soit comptable, rende des comptes et soit responsable devant le Parlement de l'action menée non seulement par lui-même mais aussi par son cabinet et son administration est politiquement normal »99(*).

En particulier, elle a déclaré qu'elle endossait la responsabilité des décisions de son directeur de cabinet : « j'endosse donc la responsabilité de mes décisions, mais aussi celle de mon directeur de cabinet, qui a délégation de ma signature, avec qui j'ai travaillé en parfaite symbiose et en confiance dans les décisions qu'il a pu prendre en mon nom. »100(*)

Or, le cabinet n'a pas joué un simple rôle d'impulsion politique et de validation dans l'attribution des subventions du fonds Marianne, mais a eu un rôle actif dans le processus de sélection même. De même, il est désormais établi que la ministre déléguée est elle-même intervenue, en particulier dans le processus de sélection.

Le présent rapport a déjà détaillé les conditions dans lesquelles se sont déroulés l'appel à projets et la sélection des associations lauréates, mais on peut rappeler qu'au moins la moitié du comité de sélection était composée de membres du cabinet, que la ministre elle-même est intervenue pour écarter une association choisie lors du comité de sélection et en retenir une autre, et que le cabinet a échangé à de nombreuses reprises avec un porteur de projet, Mohamed Sifaoui, et a insisté pour que la demande de subvention de son association, l'USEPPM, soit arbitrée dès le comité de programmation. Le rôle du politique n'était donc aucunement « effacé ».

Ce rôle actif joué par la ministre et son cabinet découle précisément de la conscience par cette dernière de sa responsabilité dans les actions financées par le SG-CIPDR. Sébastien Jallet a ainsi déclaré devant la commission d'enquête que : « je ne sais pas quel parcours prenait la décision avant ma prise de fonctions, mais je vous confirme la volonté de la ministre et du cabinet de valider l'attribution des crédits du FIPDR. La ministre étant responsable, et en rendant compte devant la représentation nationale, il est légitime, normal et attendu qu'elle décide de l'emploi des crédits. »101(*)

La mission d'information ne nie pas, à cet égard, que le cabinet soit dans son rôle lorsqu'il contrôle les décisions de subvention. En revanche, il est indispensable que les compétences de l'administration et du cabinet soient clairement définies, ainsi que les responsabilités afférentes.

En l'occurrence, alors que la ministre déléguée définissait la répartition des compétences en ces termes - la sélection et l'instruction des dossiers par l'administration, et une validation ministérielle in fine102(*) - en réalité, le cabinet a échangé à de nombreuses reprises avec le porteur du projet de l'USEPPM en amont, et a participé à la sélection pour l'ensemble des associations.

À l'inverse, l'autorité politique a, dans le suivi des projets, renoncé à sa responsabilité, alors qu'elle avait un rôle à jouer.

Marlène Schiappa a indiqué que « le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations »103(*), ce qui est vrai pour la dimension technique du contrôle. Toutefois, les financements du fonds Marianne ne sont pas des crédits comme les autres. Ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique publique nouvelle, de contre-discours sociétal, et dont les enjeux politiques étaient considérés comme prioritaires à l'automne 2020 et au moment du lancement du fonds Marianne.

Or, après son lancement, le fonds Marianne n'a fait l'objet d'aucun signe d'une véritable implication politique, et les communications entre le SG-CIPDR et le cabinet à ce sujet furent réduites. Il faut également relever que le « dossier ministre » transmis à Sonia Backès lors de sa prise de fonctions comme secrétaire d'État chargée de la citoyenneté, en juillet 2022, ne fait pas mention du fonds Marianne.

2. Les échecs du fonds Marianne résultent d'abord de décisions politiques

Marlène Schiappa, lors de son audition, soulevait cette interrogation : « Un décideur public, un responsable politique, un maire par exemple, peut-il faire confiance à son administration ou à des associations sans craindre d'être blâmé lorsqu'il y a des dysfonctionnements internes dans ces associations ? Est-ce qu'un responsable politique est fondé à passer des commandes à son administration ? »104(*)

Elle a apporté plus tard elle-même une réponse à cette question : « J'ai dit aussi que je prenais toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité. Je ne crois pas, je le redis rapidement, qu'on puisse imputer à un dirigeant public ou un responsable politique la malversation interne d'une structure à laquelle il fait confiance, quand il n'a pas de raison à ce moment-là de ne pas le faire. »

Cependant, la façon même dont le fonds Marianne a été pensé rend cette réponse difficilement acceptable. Le fonds Marianne n'était pas un appel à projets comme les autres et il s'inscrivait dans une stratégie de « contre-discours sociétal ». Il s'agissait de faire émerger des associations capables de porter un discours en riposte aux campagnes d'influence séparatistes. Sébastien Jallet a déclaré devant la commission d'enquête que l'objectif du fonds Marianne était notamment de « porter la riposte contre les campagnes d'influence de séparatistes en ligne »105(*).

L'action de « contre-discours républicain » aurait pu continuer à être portée par l'Unité de contre-discours républicain, mais les autorités politiques avaient la conviction, à ce moment, que le cadre institutionnel n'était pas suffisant, et que des associations seraient capables de porter cette stratégie à une nouvelle échelle.

Il s'agit d'un choix proprement politique, qui comporte des avantages, mais aussi des risques. Il faut relever qu'une association fait preuve nécessairement d'une part d'autonomie par rapport aux autorités administratives et politiques. Plusieurs associations ont ainsi revendiqué ne pas être des sous-traitants du SG-CIPDR. Alham Menouni par exemple, présidente de Reconstruire le commun, a déclaré devant la commission d'enquête que : « nous ne sommes pas des prestataires du CIPDR. »106(*) Cette autonomie n'exclut bien entendu pas le contrôle, mais elle est consubstantielle au recours à des porteurs associatifs.

Or, les actions de contre-discours que devaient financer le fonds Marianne sont par nature des actions particulièrement sensibles. En particulier, lorsqu'une association prévoit de porter un discours contre des acteurs précisément identifiés, le risque est toujours qu'elle finisse par attaquer directement des personnes, et dans certains cas des personnalités politiques.

L'association Reconstruire le commun était intéressante pour le fonds Marianne car, même si son projet n'était pas explicitement un projet de « riposte » contre des acteurs identifiés, les membres de l'association avaient fait preuve de leur intérêt pour le contre-discours républicain, et le collectif « On vous voit », dont sont issus certains des membres de l'association, était positionné sur ce créneau. Néanmoins, le risque était identifié, dès les débuts de l'association, qu'elle produise des contenus à caractère politique, sans qu'une attention particulière n'ait été portée au suivi de ce projet.

De même, l'USEPPM a produit plusieurs tweets visant des personnalités politiques, comme Sandrine Rousseau.

Dit autrement, le chemin est étroit entre l'action de contre-discours porté au niveau politique, et les dérives consistant à viser des personnalités politiques.

Les autorités administratives et politiques étaient conscientes dans une certaine mesure de ce risque. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle la subvention la plus élevée du fonds Marianne a été accordée à une association dont le projet a été discuté en amont, et dont le porteur, Mohamed Sifaoui, était formateur au sein de l'UCDR. Toutefois, le choix d'une personnalité déjà très introduite auprès de l'UCDR, a pu conduire à un manque de recul sur la nature de l'action menée, et à ne pas suffisamment prendre en considération le fait que l'association porteuse du projet ne disposait d'aucune compétence réelle dans le domaine de la lutte contre le séparatisme.

Le choix politique de faire porter à des associations une stratégie de contre-discours comporte donc, de manière inhérente, des risques de dérives. Toutefois, ce risque peut être mitigé avec un cahier des charges clair, qui comporte des « lignes rouges » précises, un processus de sélection qui permette de faire appel à un regard extérieur, et d'un temps et de moyens suffisants pour que l'administration puisse mettre en place toutes les garanties possibles. Il peut également être prévenu avec un véritable suivi assuré par l'autorité politique.

À la place, le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Le délai de l'appel à projets a été réduit au point qu'il n'était plus possible de faire réellement émerger de nouveaux acteurs, et à la place d'associations déjà identifiées, ont été sélectionnées des associations inconnues ou n'ayant pas fait leurs preuves pour mener les actions les plus significatives de contre-discours et pour recevoir les subventions les plus importantes.

Cependant, la situation n'aurait pas été meilleure si les subventions avaient été accordées au « gré à gré ». Au contraire, le risque était que l'attribution des subventions fût encore plus opaque.

Le pouvoir politique s'est désinvesti du fonds Marianne, renvoyant la responsabilité du contrôle entièrement à l'administration. Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de cette responsabilité, mais montre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout.

L'ensemble de ces choix est le résultat de décisions prises au niveau ministériel, et engage à ce titre une responsabilité politique. Le fonds Marianne n'était pas voué à connaître les dérives dont la mission d'information a fait le constat.

IV. FACE AU GÂCHIS DU FONDS MARIANNE, LA NÉCESSAIRE REFONTE DES CONDITIONS D'ATTRIBUTION DES SUBVENTIONS AUX ASSOCIATIONS

A. LA PROCÉDURE D'APPEL À PROJETS NE SE JUSTIFIE QU'À LA CONDITION DE GARANTIR DES CONDITIONS DE TRANSPARENCE ET D'ÉQUITÉ ENTRE LES PORTEURS DE PROJETS

L'appel à projets « Fonds Marianne » n'a pas permis de créer des conditions justes et équitables entre les porteurs de projet. Le présent rapport détaille les éléments d'opacité, d'urgence et de manque de rigueur qui ont présidé à cet appel à projets.

Le sentiment d'urgence, motivé par un agenda politique, s'explique mal alors que l'appel à projets aurait pu être lancé bien en amont. Il a conduit le cabinet de la ministre déléguée à réduire considérablement les délais dont pouvaient disposer les porteurs de projets pour les présenter.

Alors que l'appel à projets inscrit bien comme critère l' « évaluation des actions : les actions proposées devront comprendre un volet évaluation, tant sur le plan quantitatif (nombre de jeunes touchés, temps passé sur les campagnes produites, partages, “likes”, etc.) que qualitatif (résultat atteint au regard des objectifs fixés) », cette dimension a été insuffisamment mise en oeuvre, tant dans les projets présentés, que dans la sélection, et ensuite dans le suivi.

La contrainte de calendrier n'a donc pas permis aux associations de structurer suffisamment leur projet et de prévoir des conditions précises d'évaluation de leurs actions, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

D'autres appels à projets, en direction des associations, ont des calendriers mieux réfléchis, comme l'illustre l'exemple ci-dessous.

Mise en oeuvre des appels à projets à destination des associations : l'exemple de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative

La direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) met également en oeuvre des appels à projets à destination des associations. Par exemple, l'appel à projets 2023 de soutien aux associations nationales jeunesse - éducation populaire (JEP) vise à subventionner des associations qui présentent des projets en lien avec l'un de ces quatre axes : l'engagement des jeunes, l'accès aux vacances et aux loisirs, l'accès aux pratiques artistiques et culturelles, et la transition écologique.

L'appel à projets a été lancé le 18 janvier 2023, et la date limite du dépôt des candidatures était le 31 mars 2023, ce qui a laissé plus de deux mois aux associations pour préparer et présenter leur projet.

De plus, il est précisé que « L'appel à projets s'adresse aux seules associations nationales agréées jeunesse et éducation populaire qui n'ont pas signé une convention pluriannuelle d'objectifs (CPO) avec la DJEPVA », ce qui indique que l'objectif est de financer des associations nouvelles.

Source : site internet du Gouvernement pour les associations : https://www.associations.gouv.fr/l-appel-a-projets-2023-de-soutien-aux-associations-nationales-jep.html

Il est donc indispensable que soient définis des délais minimaux pour les appels à projets nationaux, qui ne pourront, sauf cas spécifique et urgence avérée à agir, être inférieurs à deux mois à compter de la publication du cahier des charges.

Recommandation : définir un délai de droit commun de deux mois pour les réponses aux appels à projets nationaux. Lorsqu'il est inférieur à cette durée, veiller à ce qu'il garantisse aux associations le temps nécessaire pour déposer des projets complets et crédibles.

Par ailleurs, le caractère endogène du comité de sélection, comprenant des membres du cabinet de la ministre et du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) n'a pas permis d'apporter de regard extérieur sur le processus de sélection.

En effet, outre que l'ensemble des intervenants relèvent de sphères administratives très proches entre elles, le comité est également marqué par des rapports hiérarchiques administratifs et politiques. Ainsi, il aurait été pertinent d'intégrer des personnalités qualifiées disposant d'une expertise sur les réseaux sociaux et les discours séparatistes.

La création d'une structure ad hoc et la présence de membres extérieurs auraient sans doute permis de formaliser davantage les décisions, qui ont pu être modifiées postérieurement à la réunion du comité de sélection, dans des boucles de mails intégrant l'essentiel des membres.

La mission recommande donc de créer de véritables jurys pour les appels à projets, qui seraient ouverts à des personnalités non membres de l'administration en charge du dossier et témoignant d'une expertise sur les sujets abordés au sein du comité.

Plus spécifiquement, dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), il semble pertinent de faire évoluer l'organisation des comités de programmation.

Alors que depuis la nomination de Marlène Schiappa comme ministre déléguée en charge de la citoyenneté, les décisions d'attribution sont prises dans le cadre d'un comité réunissant des membres du SG-CIPDR et des membres du cabinet, il semble pertinent, si cette structure est maintenue pour l'avenir, de la faire évoluer pour intégrer des personnalités indépendantes et disposant d'une compétence spécifique sur les sujets traités.

Recommandation : ouvrir le comité de programmation du FIPDR à des personnalités extérieures qualifiées en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation et contre les discours séparatistes.

Par ailleurs, les documents transmis montrent que plusieurs demandes initialement formulées sur l'enveloppe « classique » du FIPDR ont été finalement réorientés sur le fonds Marianne. Cette pratique est d'autant plus problématique qu'un montant précis a été arbitré au profit d'une association avant même la création du fonds, pour près de 300 000 euros.

Cette situation ne permet pas de garantir une égalité entre tous les candidats. On ne saurait expliquer, lorsque des subventions sont arbitrées dans un cadre, qu'elles soient ensuite financées sur une autre enveloppe.

Par ailleurs, et en conséquence du flou entre les deux procédures, une autre association a pu être considérée comme lauréate du fonds Marianne alors même que sa subvention avait été validée dans le cadre « classique » du FIPDR. 

Au total, si l'on retranche les montants ayant fait l'objet d'arbitrages préalables au moment du comité de programmation du FIPDR du 13 avril 2021, sur les 2,5 millions d'euros annoncés du fonds Marianne le 20 avril, seuls 1,4 million d'euros ont réellement été dédiés à des projets n'ayant pas fait l'objet d'un arbitrage préalable. Si deux associations ont bénéficié d'une revue à la hausse de leur dotation lors du comité de sélection du fonds Marianne, il n'en demeure pas moins que la décision du comité de programmation du FIPDR a vraisemblablement constitué un socle.

Recommandation : garantir pour l'ensemble des candidats aux appels à projets, des conditions de traitement équitables, notamment en évitant le « recyclage » de dossiers ayant déjà fait l'objet d'un dépôt de demande.

La mission a documenté l'importance des échanges entre le cabinet et le SG-CIPDR lors des différentes étapes de l'appel à projets. Elle ne remet pas en cause l'appréciation selon laquelle il revient au niveau politique d'impulser des politiques publiques et de fixer des objectifs, en particulier lors de la rédaction de l'appel à projets.

Néanmoins, il apparait indispensable de clarifier les rôles de chacun, le flou qui entoure les procédures applicables au fonds Marianne permettant à chacun d'éluder sa propre responsabilité.

D'abord, il convient de rappeler qu'un ministre, placé à la tête d'une administration, est responsable de celle-ci. Lorsque les responsabilités ne sont pas clairement établies au sein de son ministère, et a fortiori quand son cabinet est concerné, il revient au ministre d'assumer l'entière responsabilité des décisions prises.

Dans le cadre du fonds Marianne, les interventions du cabinet se sont multipliées, agissant, sans que le mandat ne soit toujours clair, au nom de la ministre déléguée.

Comme l'a indiqué Sébastien Jallet, ancien directeur de cabinet, auditionné par la mission : « le cabinet a un rôle d'orientation et de validation ; mais le recueil des demandes, leur instruction et les propositions de financement relèvent de l'administration, en l'occurrence le CIPDR, de même que la mise en forme des conventions et le suivi. Le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution. »107(*)

Il apparaît très clairement que le cabinet et la ministre déléguée ont outrepassé ce rôle :

- en appuyant, de façon plus ou moins explicite, la candidature de l'une des associations candidates ;

- en revenant sur l'octroi d'une subvention à une autre association alors même qu'une décision favorable du comité de sélection était intervenue ;

- en intégrant, en aval des décisions du comité de sélection, une dernière association qui n'avait à aucun moment été soumise à l'appréciation du comité de sélection par le SG-CIPDR, qui n'avait pas retenu le dossier.

Si la mission ne remet pas en cause le rôle de validation dont dispose un ministre, celui-ci doit intervenir dans un cadre précis. L'attribution des subventions dans le cadre du fonds Marianne a ainsi témoigné d'un mélange des genres regrettable.

Recommandation : en matière d'octroi de subventions, interdire toute interférence du cabinet du ministre dans l'instruction des dossiers, et retracer de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.

Lors de l'attribution de la subvention du Fonds Marianne à Reconstruire le commun, l'administration et le cabinet de la ministre n'étaient pas en mesure d'apprécier réellement la capacité à faire et les orientations de l'association.

Il existe en effet une réelle difficulté pour les pouvoirs publics à promouvoir l'émergence de nouveaux acteurs. Par définition, il n'est pas possible d'avoir du recul sur les productions de ces structures nouvelles.

La mission retient néanmoins qu'il n'est pas pertinent d'octroyer des subventions importantes à des nouveaux acteurs sans disposer de recul sur leur activité réelle. Le versement, de but en blanc, de centaines de milliers d'euros à des nouveaux entrants qui n'offrent aucune garantie n'est assurément pas une méthode à privilégier. D'autres démarches, comme par exemple des incubateurs associatifs, pourraient être envisagées.

Ainsi, la mission propose de s'aligner sur le montant de subvention déclenchant l'obligation de conclure une convention d'attribution, à savoir 23 000 euros108(*), pour exiger la présentation par les associations d'un premier bilan annuel d'activité.

Recommandation : conditionner l'octroi de subventions de plus de 23 000 euros, qui est le seuil réglementaire à partir duquel une convention attributive est obligatoire, à la présentation d'un premier bilan annuel d'activité.

B. L'ATTRIBUTION DE SUBVENTIONS POUR CE TYPE D'ACTIONS DOIT ÊTRE ASSORTIE D'INSTRUMENTS DE MESURE ET DE CONDITIONS BEAUCOUP PLUS PRÉCISES QUANT À L'EXÉCUTION DES PROJETS

Le contrôle et le suivi de l'exécution des projets a connu des défaillances, qui ont conduit à ce que des contrôles sur pièce n'aient été engagés, pour les deux principales associations mises en cause, qu'en mars et en mai 2023.

D'une manière générale, même si la procédure inscrite dans le logigramme était formellement respectée, dans la pratique, le contrôle exercé par le SG-CIPDR n'était pas suffisamment régulier et approfondi pour éviter les dérives. Cette situation tient d'abord au manque de personnel au sein du SG-CIPDR.

La chargée de mission qui suivait les dossiers du fonds Marianne en 2021 avait une charge de travail trop importante pour que l'ensemble des projets puissent être étudiés et suivis de manière satisfaisante. Le rapport de l'IGA indique à ce sujet : « lorsque la décision de lancer le fonds Marianne est prise, l'agent concerné dit avoir demandé le renfort d'un autre agent, ce qui lui aurait été refusé, au motif du plan de charges déjà saturé des autres agents du secrétariat général »109(*).

Au départ de la chargée de mission le 31 décembre 2021, ses attributions ont été réparties entre quatre agents, qui exerçaient d'autres fonctions par ailleurs. Cette situation a conduit à un relâchement du contrôle, pour au moins une association.

Enfin, l'absence d'un référent de contrôle interne financier entre février 2021 et septembre 2022 a empêché durant toute cette période de mener des contrôles de deuxième niveau, c'est-à-dire des contrôle sur pièces, ce qui aurait été pourtant opportun pour l'USEPPM et Reconstruire le commun.

L'ensemble de ces éléments plaide pour une consolidation des moyens consacrés au contrôle, notamment financier, du SG-CIPDR. 

Recommandation : consolider les moyens consacrés au contrôle, notamment financier, de la mise en oeuvre des projets soutenus par le FIPDR

Par ailleurs, il est également apparu que pour les deux premières associations soutenues par le fonds Marianne, des cofinancements avaient été avancés par les porteurs de projets, sans que ceux-ci ne se concrétisent ensuite : dans les deux cas, les projets ont finalement été financés uniquement par la subvention du fonds Marianne.

Les conventions d'attribution des subventions au titre du fonds Marianne permettent uniquement, après un premier versement de 75 % de la subvention, de ne pas verser le reliquat lorsqu'ont été engagées moins de 60 % des dépenses totales du projet initial. Cette disposition a notamment permis, au regard de l'absence de réalité des cofinancements annoncés par l'USEPPM, de refuser le versement de 25 % de la subvention. Pour la deuxième association, la subvention au titre du fonds Marianne a suffi à dépasser la barre de 60 % des dépenses du projet initial, de sorte qu'elle a pu bénéficier du reliquat de la subvention.

Il importe donc que l'administration s'assure des démarches réalisées auprès des autres financeurs, par exemple lors du premier versement de la subvention. L'administration pourrait aller jusqu'à demander la preuve de l'engagement de ces co-financeurs avant le premier versement.

On ne peut que déplorer que ce premier versement, qui représente une part substantielle de la subvention, intervienne sans vérification des engagements financiers avancés par les porteurs de projet.

Dans la dernière version du logigramme, datée de 2023, le chargé de mission responsable du suivi des dossiers a pour tâche de réceptionner : « les éléments/indicateurs relatifs à l'appréciation de l'exécution de l'action (qualitatifs et quantitatifs, ainsi que la demande de versement du solde (attestation). Il les instruit en s'assurant d'avoir reçu les pièces préalables au paiement. »

Dans la pratique, et c'est ce qui est sous-entendu dans le logigramme, le bilan qualitatif et quantitatif est demandé pour le versement du solde de 25 % de la subvention, mais n'est pas obligatoire avant. Le logigramme indique ainsi que le chargé de mission « opère un suivi continu de l'action et organise des points d'étape réguliers avec le porteur de projet » sans que des bilans soient explicitement demandés.

Or, un bilan demandé plus tôt, ou de manière plus régulière, aurait permis d'identifier plus rapidement la faiblesse de la production de l'USEPPM, et de prendre dès l'automne 2021 les mesures nécessaires pour y remédier. Il est ainsi préconisé de rendre obligatoire la transmission par l'association d'un bilan quantitatif et qualitatif à partir d'un certain temps après le début du projet, six mois par exemple.

De plus, le contenu de ces bilans quantitatif et qualitatif est assez peu défini. Les premières versions des bilans envoyés par l'USEPPM, par exemple, donnaient des informations prospectives, mais ne permettaient pas de disposer d'une vision claire des réalisations de l'association. Il est donc proposé dans le même temps de déterminer plus précisément ce que doivent contenir les bilans quantitatifs et qualitatifs.

Recommandation : renforcer les obligations de restitutions et de bilan des associations.

Les conventions des associations subventionnées par le fonds Marianne ne prévoient pas d'objectifs quantitatifs. Il est certes difficile de donner des objectifs de résultats chiffrés précis pour des actions menées en ligne, et dont il est, par nature, impossible de garantir le succès. Il ne s'agit donc pas de conditionner le versement du solde à l'atteinte de tel ou tel nombre de vues ou d'abonnés.

Il est toutefois possible de donner des objectifs en termes de moyens. Cela suppose de discuter en amont avec l'association des caractéristiques concrètes des productions (vidéos de telle durée, avec tel niveau de réalisation), mais c'est de toute manière un exercice indispensable pour que la convention attributive donne une représentation exacte du projet de l'association.

En outre, des objectifs quantitatifs en termes de résultats, même indicatifs, sont utiles pour porter une appréciation sur l'action de l'association, en particulier dans la perspective de nouveaux financements : ils peuvent aider à comprendre ce qui a fonctionné, ou non, dans le projet, et permettre d'initier une discussion entre l'association et l'administration sur les manières d'améliorer son action.

Recommandation : préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets.

Si l'interdiction de certains contenus, comme ceux visant des personnalités politiques, peut sembler de « bon sens », les débats qui ont entouré les productions de l'association Reconstruire le commun montrent qu'il est utile de le préciser dans les conventions.

Plus généralement, les projets financés par le fonds Marianne sont des actions spécifiques, de contre-discours sociétal, visant à porter un discours en « riposte » face à des campagnes d'influence séparatistes. Ce sont des actions qui sont par nature sensibles, et peuvent connaître des dérives, ce dont ont témoigné certaines réalisations des porteurs de projets financés par le fonds Marianne.

Il est par conséquent utile, au moins pour les appels à projets qui portent sur des sujets sensibles, d'inscrire dans les conventions les « lignes rouges » à ne pas franchir.

Recommandation : expliciter, dans les conventions attributives de subventions, les contenus qui ne sauraient être produits par les porteurs de projets.

En cas de constat de réalisations par l'association qui ne sont pas conformes à la convention attributive, les moyens d'action du SG-CIPDR sont aujourd'hui limités.

Premièrement, il n'est pas possible d'établir clairement dans quelle mesure des actions non conformes à la convention peuvent faire obstacle au versement du solde de 25 %. Ce manque de sécurité juridique dissuade le SG-CIPDR de refuser le versement du solde, de peur de perdre lors d'un contentieux. La question s'est posée particulièrement dans le cas de Reconstruire le commun, dont l'état des dépenses était supérieur au seuil de 60 %, et dont l'existence des productions ne posait pas de doute, mais dont les contenus suscitaient des critiques quant à leur respect des objectifs du fonds Marianne.

En outre, la possibilité d'action de l'administration est limitée au solde de 25 %. Les trois quarts de la subvention sont versés dès le commencement de l'action, et ne peuvent être récupérés qu'au terme d'une procédure de remboursement, faisant suite à un contrôle sur pièces.

Il serait donc pertinent, selon les cas, de permettre de réduire la proportion du versement initial de la subvention, pour que l'administration ait ensuite davantage de marges de manoeuvre en cas de refus du porteur de projet de se mettre en conformité avec les demandes d'application de la convention attributive.

Recommandation : mieux séquencer le versement des subventions et prévoir un régime de retenue sur les versements en cas de refus du porteur de projet de se mettre en conformité avec les demandes de l'administration visant à appliquer la convention attributive.

C. MAINTENIR LE SOUTIEN DE L'ÉTAT AUX ACTIONS DES ASSOCIATIONS ENGAGÉES DANS LA LUTTE CONTRE LE SÉPARATISME ET LA PROMOTION DES VALEURS RÉPUBLICAINES, TOUT EN ENGAGEANT UNE RÉFLEXION SUR LA STRATÉGIE DE CONTRE-DISCOURS

Les défaillances qui ont été mises au jour dans la mise en place et le suivi de l'appel à projets du fonds Marianne ne doivent toutefois pas conduire à jeter l'opprobre sur l'ensemble de la politique de la promotion des valeurs républicaines.

Les associations restent en effet des acteurs essentiels de la lutte contre le séparatisme. Elles peuvent mener des actions au plus près du terrain et des personnes, au-delà de ce que peuvent accomplir les services de l'État. Certaines personnes exposées aux théories séparatistes risquent de rejeter des contenus qui seraient produits par l'État ou des structures publiques et l'intervention d'une association peut être légitime de ce point de vue.

Il est néanmoins vrai que le recours à des associations comporte des risques, dès lors que l'on cherche à porter des actions de contre-discours en ligne qui sont en riposte directe face à des campagnes d'influence séparatiste.

En effet, une association fait nécessairement preuve d'une part d'autonomie par rapport à l'administration, et c'est d'ailleurs tout l'intérêt de recourir à ce type d'acteurs. Il est donc difficile de mener une telle action sans risque de dérive et un contrôle étroit de l'administration sur l'association s'impose à tout le moins pour garantir la cohérence des objectifs poursuivis. En outre, il est permis de s'interroger sur l'étendue de l'action que les associations peuvent mener en ligne sans trop les exposer.

Pour autant, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans la formation des opinions, et, malheureusement, dans la radicalisation et la propagation des discours séparatistes. Or, les associations maîtrisent les codes de la communication en ligne, et ont aussi une véritable capacité d'adaptation sur les réseaux sociaux.

C'est pourquoi l'État doit continuer à soutenir des initiatives qui visent à porter un discours de défense des valeurs de la République sur les réseaux. Le sénateur Christian Bilhac soulignait à juste titre lors de l'audition de l'ancienne ministre déléguée : « je ne serais pas heureux si, à la fin de cette procédure, on jetait - si je peux me permettre cette expression un peu populaire - « le bébé avec l'eau du bain » »110(*).

À ce titre, plusieurs associations ont déclaré devant la mission d'information qu'il était particulièrement important pour elles de disposer d'une visibilité sur leurs financements. En effet, une action se déploie souvent sur plusieurs années. Or, l'une des faiblesses du fonds Marianne est qu'il ne comportait pas de garanties que des actions de défense des valeurs de la République en ligne continueraient à être financées les années suivantes.

Il est donc préconisé de renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations qui portent un discours de défense des valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Ce soutien n'exclut pas, toutefois, d'engager une réflexion sur la répartition des rôles entre les acteurs associatifs et les services administratifs au sein de la stratégie de contre-discours de l'État.

Recommandation : renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations porteuses d'un discours de défense des valeurs de la République en ligne, tout en engageant une réflexion sur le rôle de chaque acteur dans la stratégie de contre-discours.

Si les associations peuvent accomplir des actions qui vont au-delà de ce que peuvent réaliser les services administratifs, c'est qu'elles ne sont pas directement associées à l'État. Christian Gravel a ainsi affirmé lors de son audition que « l'État fait appel au secteur associatif parce que la parole publique est inaudible auprès des personnes les plus vulnérables aux processus de radicalisation. »111(*)

Plusieurs associations ont ainsi confirmé devant la mission d'information l'importance de rester discret au sujet des financements publics, au risque qu'elles paraissent aux yeux du public comme « contrôlées » par la puissance publique. Au demeurant, il ne s'agit pas d'une volonté de dissimulation de la part des associations, puisqu'elles revendiquent dans le même temps une autonomie par rapport à l'État, mais d'éviter les faux-semblants.

De plus, de nombreuses associations interviennent sur des terrains sensibles, comme la lutte contre la radicalisation, où l'intégrité physique des personnes qui portent les projets peut être menacée.

Or, le fonds Marianne a au contraire été conçu comme une opération de communication. Même si le nom des associations lauréates n'avait pas été révélé, la communication qui avait été organisée sur le fonds a attiré l'attention, et il est ensuite devenu difficile de garder secret le nom des associations subventionnées.

Il est certes indispensable de communiquer sur les actions menées par le SG-CIPDR dans la lutte contre la radicalisation. Sinon, les associations ne sauraient pas elles-mêmes qu'elles ont la possibilité d'être subventionnées par des fonds publics. Il convient néanmoins de limiter la communication au strict nécessaire, afin de les protéger.

Recommandation : limiter au strict nécessaire la communication du ministère sur le financement de partenaires associatifs du ministère de l'intérieur en matière de lutte contre le séparatisme sur les réseaux sociaux.

ANNEXE 1
CHRONOLOGIE DU « FONDS MARIANNE »

ANNEXE 2
CAHIER DES CHARGES DE L'APPEL À PROJETS
DU FONDS MARIANNE

ANNEXE 3
LOGIGRAMME UTILISÉ PAR LE SG-CIDPR POUR DÉFINIR LA PROCÉDURE D'ACCORD ET DE CONTRÔLE DES SUBVENTIONS, VERSION DE 2019 EN VIGUEUR
AU MOMENT DU FONDS MARIANNE

ANNEXE 4
DEVIS DE LA SOCIÉTÉ R & K AU SG-CIPDR
DU 30 NOVEMBRE 2020 POUR DIVERSES PRESTATIONS

ANNEXE 5
ÉCHANGE DE COURRIELS DATÉS DU 6 AVRIL 2021
ENTRE MARLÈNE SCHIAPPA ET UN MEMBRE DE SON CABINET MINISTÉRIEL, RELATIF À L'HYPOTHÈSE D'UN FINANCEMENT DE L'USEPPM
À HAUTEUR DE 300 000 EUROS

ANNEXE 6
PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE DU PROJET DE L'USEPPM

ANNEXE 7
PROJET DÉTAILLÉ DE L'USEPPM (7 PAGES)

ANNEXE 8
PROJET DE RECONSTRUIRE LE COMMUN

ANNEXE 9
NOTE DU SG-CIPDR DATÉE DU 1ER JUIN 2022 RÉALISÉE PAR L'UCDR, RELATIVE À UN BILAN DE POINT D'ÉTAPE AVEC RECONSTRUIRE LE COMMUN

ANNEXE 10
NOTE DU SG-CIPDR DATÉE DU 27 MARS 2023 RÉALISÉE PAR L'UCDR, RELATIVE AU BILAN DE L'USEPPM

ANNEXE 11
COMPTE RENDU DE L'EXÉCUTION FINANCIÈRE DU PROJET DE L'USEPPM, DATÉ DU 18 NOVEMBRE 2022

ANNEXE 12
COMPTE RENDU DE L'EXÉCUTION FINANCIÈRE DU PROJET DE RECONSTRUIRE LE COMMUN,
DATÉ DU 16 NOVEMBRE 2022

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 4 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le rapport de Jean-François Husson en conclusion des travaux de notre mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs visés.

Comme vous le savez, notre mission a bénéficié des pouvoirs d'une commission d'enquête. Vous avez tous été invités, si vous le souhaitiez, à venir consulter le projet de rapport, et ce à compter de mercredi dernier. Il vous est distribué cet après-midi, assorti de sa synthèse et complété de ses annexes. Il vous sera demandé, à l'issue de notre réunion, de le restituer. En effet, je vous rappelle le caractère strictement confidentiel de notre réunion et du contenu de ce rapport.

Conformément à l'ordonnance du 17 novembre 1958, nous devons attendre au minimum vingt-quatre heures pour publier notre rapport, délai pendant lequel le Sénat peut se constituer en comité secret. Le respect de ce devoir de confidentialité est impératif : il est interdit de divulguer ou de publier une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête sous peine de sanctions pénales.

Si vous l'adoptez, le rapport fera l'objet d'une conférence de presse ce jeudi 6 juillet à quatorze heures.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur les circonstances particulièrement dramatiques ayant conduit à la mise en place de ce fonds, car vous les connaissez tous désormais.

Je vous présenterai donc les résultats de nos travaux de contrôle, en vous indiquant que les constats que j'établis et les recommandations que je défends sont bien évidemment partagés par le président Claude Raynal, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration et en parfaite confiance.

Cela étant, je n'irai pas par quatre chemins : nos travaux sur le fonds Marianne ont montré qu'à toutes les étapes de ce projet, le manque de rigueur, l'opacité et l'urgence ont tour à tour conduit au fiasco.

Certains aspects de ce dossier font l'objet de poursuites judiciaires : y a-t-il eu favoritisme, voire détournement de fonds publics au profit d'acteurs qui n'auraient effectué aucun travail ? Si l'on peut s'être fait une idée sur le sujet, il ne nous revient pas de trancher cette question. Nos travaux permettent avant tout d'établir une chronologie précise et d'éclairer les faits, tout en exerçant un contrôle rigoureux de l'usage de fonds publics, comme nous avons l'habitude de le faire dans le cadre de notre contrôle de l'action du Gouvernement.

Tout d'abord, lors de la phase de lancement du fonds Marianne, le sentiment d'urgence a supplanté une réflexion approfondie sur les moyens et les outils à mettre en oeuvre pour lutter contre la haine et le radicalisme sur les réseaux sociaux. Ce sentiment a même écrasé tout le reste.

Ainsi, le cahier des charges de l'appel à projets a été produit très rapidement, ce qui n'a évidemment pas permis de dégager des critères clairs d'objectivation des candidatures et de définir une procédure rigoureuse de sélection. Les projets seront jugés sur leurs orientations, mais pas vraiment sur leurs modalités de mise en oeuvre et leur impact.

Par ailleurs, le directeur de cabinet de la ministre est intervenu pour réduire considérablement les délais que les porteurs de projets devaient respecter pour déposer leurs demandes. Au lieu des soixante-dix jours proposés par l'administration, le cabinet n'a souhaité laisser que vingt jours aux porteurs de projets pour présenter leur dossier, ce qui équivaut à une réduction de 70 % du temps imparti.

Ce resserrement du calendrier n'a pas permis aux associations de structurer correctement leurs projets et de définir des conditions précises d'évaluation de leurs actions, sur le plan tant qualitatif que quantitatif.

De notre point de vue, il est indispensable d'imposer des délais minimaux pour les appels à projets nationaux, qui ne pourront, sauf cas spécifique ou d'urgence avérée, être inférieurs à deux mois à compter de la publication du cahier des charges.

Par ailleurs, le comité de sélection était composé uniquement de membres du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) et de membres du cabinet de la ministre: tous les intervenants relevaient donc de sphères administratives très proches les unes des autres, et entretenaient des rapports hiérarchiques, administratifs et politiques.

Au regard de cette expérience, nous considérons que l'attribution des subventions - au niveau national - au titre du fonds interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) devrait aussi relever de personnalités extérieures qualifiées disposant par exemple d'une expertise sur les réseaux sociaux et les discours séparatistes.

Plusieurs demandes formulées initialement dans le cadre de l'enveloppe « classique » du FIPDR ont « glissé » - je reprends le terme du directeur de cabinet de la ministre- vers le fonds Marianne. Au total, si l'on retranche les montants qui ont fait l'objet d'un arbitrage lors du comité de programmation du FIPDR du 13 avril 2021, seuls 1,4 million d'euros sur les 2,5 millions d'euros annoncés le 20 avril ont réellement été dédiés à de nouveaux projets.

Nous considérons que cette pratique n'est pas conforme à l'esprit d'un appel à projets, qui vise précisément à faire émerger de nouveaux projets pour un montant équivalent à la totalité de l'enveloppe prévue.

J'en viens à la question majeure de la responsabilité des acteurs.

Il nous semble indispensable de clarifier le rôle de chacun. Le flou qui a entouré les procédures a en effet incité l'ensemble des responsables, politiques ou administratifs, à tenter d'éluder leur responsabilité propre, certains ayant démontré un vrai talent en la matière.

D'abord, il convient de rappeler qu'un ministre, placé à la tête d'une administration, est responsable de l'action de celle-ci, a fortiori lorsque le périmètre d'action des uns et des autres n'est pas clairement établi. De surcroît, quand le cabinet est concerné, il revient au ministre d'assumer l'entière responsabilité politique des décisions prises.

Pour ce qui est du fonds Marianne, les interventions du cabinet se sont multipliées : celui-ci a régulièrement agi, sans que son mandat soit toujours clair, au nom de la ministre déléguée.

Si l'ancien directeur de cabinet de Mme Schiappa a indiqué que « le cabinet a un rôle d'impulsion et de validation, pas d'instruction ni d'exécution », nous nous sommes rendu compte que la réalité est toute autre. Il apparaît très clairement que le cabinet et la ministre déléguée ont outrepassé ce rôle, en appuyant la candidature de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) en amont du comité de sélection, en revenant sur l'octroi d'une subvention de 100 000 euros à SOS Racisme, alors même qu'une décision favorable du comité de sélection avait été prise en mai 2021, et en intégrant, sur leur seule initiative, une dernière association.

Permettez-moi de revenir sur chacun de ces trois points.

Concernant l'USEPPM, l'octroi d'une subvention a été envisagé bien en amont de la création et de l'annonce du fonds Marianne. M. Mohamed Sifaoui a en effet été reçu plusieurs fois par le cabinet de la ministre, lequel a ensuite relancé l'administration, au moins à deux reprises, pour s'assurer de la bonne réception du dossier. On peut en conclure que la candidature de l'USEPPM a été, lors de la phase d'instruction, fortement appuyée par le cabinet.

Pour ce qui est de SOS Racisme, la ministre est intervenue pour revenir sur une décision du comité de sélection. Contrairement à ce qu'elle a affirmé, il n'y avait pas de liste complémentaire à valider à ce stade, car la sélection des projets était arrêtée. En outre, le projet qui s'est substitué à celui de SOS Racisme, à propos duquel Mme Schiappa a indiqué qu'il avait été écarté au motif qu'il ne se déroulait pas intégralement en ligne, ne prévoyait pour sa part que des actions de terrain. Au regard de ces éléments, je pense pouvoir dire que, au moins sur ce point, la ministre n'a pas dit la vérité.

J'ajoute que la décision de la ministre et de son cabinet d'attribuer - sans que cela soit proposé par l'administration - une subvention de 20 000 euros à une toute nouvelle association, en lieu et place de SOS Racisme, relève du fait du prince.

Si la mission ne remet pas en cause le rôle de validation dont dispose un ministre, il importe que ce dernier intervienne dans un cadre précis. L'attribution des subventions dans le cadre du fonds Marianne a témoigné d'un mélange des genres qui n'est en aucun cas acceptable.

Aussi, nous proposons que toute interférence du cabinet d'un ministre dans l'instruction des dossiers de subvention soit interdite, et que soit retracée de manière écrite et motivée toute intervention du ministre ou de son cabinet à l'issue de la procédure d'instruction.

S'agissant de l'association Reconstruire le commun, outre les dérives de la structure elle-même, nous considérons que l'administration et le cabinet de la ministre auraient dû être en mesure d'apprécier réellement la capacité à faire et les orientations de l'association. Le versement de but en blanc de centaines de milliers d'euros à des nouveaux entrants, qui n'offrent aucune garantie, n'est assurément pas une méthode à privilégier. Je rappelle que l'association n'avait que quelques mois d'existence en avril 2021, et qu'elle avait déjà bénéficié d'une subvention de 39 000 euros du FIPDR quelques semaines à peine après sa constitution. D'autres démarches, comme celle des incubateurs associatifs, pourraient être envisagées.

Nous proposons de rendre obligatoire la présentation par les associations d'un premier bilan annuel d'activité, dès lors que la subvention qui leur est octroyée est supérieure à 23 000 euros, soit le seuil réglementaire à partir duquel une convention d'attribution est signée.

J'en viens à la phase de contrôle et de suivi de l'exécution des projets, qui a également connu d'importantes défaillances.

L'une des principales difficultés a résidé, dès le départ, dans le manque de personnel au sein du secrétariat général du CIPDR. La charge de travail de la chargée de mission qui suivait les dossiers du fonds Marianne en 2021 était trop importante pour que l'ensemble des projets puissent être étudiés et suivis de manière satisfaisante dans des délais aussi courts. De plus, le secrétariat général ne disposait d'aucun référent chargé d'exercer le contrôle financier interne capable de mener un contrôle sur pièces des associations, et ce jusqu'en septembre 2022. En somme, il n'avait pas les moyens humains suffisants pour garantir le suivi des projets et exercer un contrôle de qualité.

Au-delà de la question des moyens, l'administration a failli à plusieurs reprises dans sa mission de contrôle.

Depuis le début des travaux de l'association en septembre 2021, les productions de l'USEPPM étaient très faibles au regard de la subvention versée ; il semble même que le projet se soit progressivement arrêté entre janvier 2022 et mars 2022, et que le budget alloué au projet ait été manifestement sous-exécuté, ce qui n'a pas empêché le secrétariat général du CIPDR de proposer, en mars 2022, un avenant prolongeant la durée de la convention de plusieurs mois. Nous n'avons du reste aucune preuve que l'USEPPM ait renvoyé l'avenant signé dans les délais impartis.

Pour l'association Reconstruire le commun, aucun avertissement écrit n'a été formalisé concernant les contenus produits par l'association visant des personnalités politiques. La convention attributive de subvention ne prévoit d'ailleurs aucune disposition interdisant ce type de contenus, alors que, dès sa création, l'association était identifiée comme étant « à risque » sur ces sujets.

J'ajoute, pour rester objectif et factuel, qu'avant les révélations par la presse aucun contrôle ne semble non plus avoir été réalisé pour vérifier que les contenus produits étaient réellement en lien avec les objectifs du fonds Marianne. Pourtant, comme vous le savez, il y avait beaucoup à redire sur ce point.

Pour ne plus reproduire ces erreurs, nous avons souhaité formuler plusieurs recommandations.

Nous souhaitons rendre obligatoire la transmission d'éléments de bilans d'étape par les associations sur leurs actions. Nous considérons également qu'il faut préciser, dans les conventions attributives de subventions les objectifs, notamment quantitatifs, des projets. Pour les appels à projets portant sur des sujets sensibles, il nous semble indispensable de définir des lignes rouges à ne pas franchir dans les conventions ; enfin, il est nécessaire de débloquer les subventions accordées de façon échelonnée, en fonction de la mise en oeuvre des projets par les associations.

L'administration n'est pas la seule responsable des lacunes observées dans le contrôle des associations. Les échecs du fonds Marianne sont tout autant le résultat du désinvestissement du pouvoir politique après que les projets ont été sélectionnés. Après son lancement, et à l'exception d'une réunion tenue en décembre 2021, on ne peut distinguer aucun signe d'une véritable implication politique dans la mise en oeuvre du fonds Marianne.

Or les financements en jeu ne sont pas des crédits tout à fait comme les autres. Ils avaient vocation à mettre en oeuvre une politique publique nouvelle de contre-discours sociétal, pour répondre à des enjeux politiques considérés comme prioritaires.

Le faible suivi des projets par l'autorité politique n'est pas de nature à la défausser de sa responsabilité ; il démontre au contraire que l'initiative du fonds Marianne n'a pas été portée jusqu'au bout. Dans ces conditions, le fait de renvoyer la faute sur la seule l'administration n'est pas acceptable. Je le dis sans ambages : abandonner un projet n'a jamais été une excuse pour ne pas en assumer la responsabilité. C'est manquer à sa responsabilité que de se défausser de cette façon.

Bien sûr, toutes ces défaillances, qui nous conduisent à parler de dérive, de gâchis et même d'un fiasco, pour reprendre les termes du président Claude Raynal, ne doivent pas pour autant nous conduire à jeter l'opprobre sur l'ensemble de la politique de promotion des valeurs républicaines.

Oui, le recours à des associations comporte des risques, dès lors que celles-ci ne peuvent pas être considérées comme des prestataires de services du ministère de l'intérieur et qu'elles doivent disposer, par respect pour la liberté d'association, d'une certaine autonomie.

Pour autant, les associations restent des acteurs essentiels de la lutte contre le séparatisme. Elles peuvent mener des actions au plus près du terrain et des personnes, au-delà de ce que les services de l'État peuvent accomplir. Certaines personnes exposées aux théories séparatistes risquent de rejeter des contenus qui seraient produits par l'État ou des structures publiques : de ce point de vue, les interventions des associations sont utiles. Notre collègue Christian Bilhac a utilisé une image à laquelle je souscris : il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Dans la mesure où l'une des faiblesses du fonds Marianne tient à l'absence de garanties quant à la pérennité des financements, il est préconisé de renforcer le cadre pluriannuel du financement public des actions de soutien aux associations, qui relaient un discours défendant les valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Ce soutien n'exclut toutefois pas d'engager une réflexion sur la répartition des rôles entre les acteurs associatifs et les services administratifs dans le cadre de la stratégie de contre-discours de l'État.

Enfin, plusieurs associations ont confirmé devant la mission d'information l'importance de rester discret au sujet des financements publics, faute de quoi elles risquent d'être labellisées « ministère de l'intérieur » par le grand public et de perdre ainsi en crédibilité, voire de se trouver menacées dans leurs actions.

Or le fonds Marianne a été conçu comme une opération de communication. Alors même que la discrétion et l'efficacité auraient dû constituer les lignes directrices du fonds Marianne, la ministre a fait le choix d'une communication médiatique d'ampleur. Même si le nom des associations lauréates n'a pas été révélé dès le départ, la communication qui a été organisée autour du fonds a tellement attiré l'attention que la liste des associations subventionnées a fini par être rendue publique.

Nous pensons qu'il faut limiter au strict nécessaire la communication du ministère sur le financement des partenaires associatifs dans le cadre de la lutte contre le séparatisme sur les réseaux sociaux.

Nos travaux dressent le tableau des échecs de la politique menée par le Gouvernement. C'était notre rôle au regard des alertes qui nous avaient été transmises.

Cependant, je souligne que certaines des associations subventionnées par le fonds Marianne ont fait un véritable travail et ne sauraient être mises en cause. Malheureusement, le label, c'est le mot du préfet Gravel, du fonds Marianne est aujourd'hui devenu un véritable fardeau.

Le fonds a été lancé avec autant de désinvolture que d'emphase médiatique. Cette désinvolture repose aujourd'hui sur les épaules de personnes qui se sont engagées au service de nos valeurs. Pour eux, nous ne pouvons que regretter les conséquences de cette affaire : il faut espérer qu'en dépit de l'image désastreuse imprimée par le Gouvernement aucun d'entre eux ne se décourage de porter un message de défense de la République face aux séparatismes.

En conclusion, je précise que notre mission d'information est loin d'avoir épuisé le sujet du fonds Marianne, puisque l'inspection générale de l'administration devrait bientôt rendre ses travaux, et que le parquet national financier (PNF) poursuit ses investigations et aura à déterminer les responsabilités pénales de chacun.

Nous ne pouvons, pour notre part, qu'espérer que nos travaux permettront de mettre en lumière toutes les dérives d'un fonds qui, parti d'une idée aussi généreuse que vertueuse, s'est rapidement transformé en un coup politique qui a débouché sur un fiasco retentissant.

Nos recommandations concrètes ne demandent qu'à être appliquées. Pour autant, nous espérons que le CIPDR, qui met en oeuvre des politiques publiques essentielles, ne sortira pas trop affaibli de toute cette affaire. De même, il ne faudrait pas que la politique de subvention de la vie associative ne pâtisse de cet échec. Il restera ensuite à chaque acteur de prendre ses responsabilités.

À l'issue de cette réunion, je vous proposerai, en accord avec le président Raynal, de donner le titre suivant à ce rapport : « Le fonds Marianne : la dérive d'un coup politique. » Je crois qu'il résume en quelques mots le gâchis constaté, l'impression de rendez-vous manqué, ainsi que le manque d'éthique observé, éthique qui aurait pourtant dû présider à la promesse faite à la France par la ministre.

Au cours de cette commission d'enquête, chacune des auditions a apporté son lot de révélations, au point que certains ont indiqué qu'elle mériterait une série Netflix ; je me contenterai pour ma part de confirmer que ces travaux ont été passionnants, même s'ils me laissent beaucoup d'amertume, compte tenu de l'idée généreuse qui a motivé le lancement du fonds Marianne.

Mme Christine Lavarde. - J'étais sceptique, au départ, sur l'intérêt pour notre commission de créer une mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête, au regard, notamment, du niveau relativement faible des montants financiers en jeu.

Or j'ai pris le temps de lire le rapport, et l'on y découvre une multitude d'erreurs, une suite de décisions ayant conduit à une très mauvaise gestion des deniers publics.

Il ne s'agit nullement d'un procès, mais d'une photographie assez factuelle de la chronologie des événements, de la description précise d'une succession de comportements inappropriés, et ce alors même que l'administration - les fonctionnaires - avait fait son travail, en faisant part à plusieurs reprises, par des notes, de ses réserves quant à l'intérêt de subventionner telle ou telle association très nouvellement créée.

Quant aux recommandations formulées dans le rapport, elles semblent d'un tel bon sens que l'on s'étonne qu'elles ne soient pas déjà applicables. Doit-on pour autant en conclure que la ministre et son cabinet étaient trop inexpérimentés pour connaître les bons usages ? Il reste évidemment à répondre à cette question.

En définitive, je tiens à vous féliciter d'avoir conduit ces travaux de manière aussi objective : personne ne pourra vous soupçonner d'avoir voulu jeter des braises sur le feu.

M. Roger Karoutchi. - Je me joins aux félicitations adressées à notre rapporteur, d'autant que cette mission d'information n'était pas si facile. En effet, quel gouvernement ou quel ministre, de quelque orientation qu'il soit, n'essaie pas d'imprimer sa marque à telle ou telle politique ? Après tout, le fait de vouloir faire un coup politique ou médiatique n'a rien de tout à fait nouveau...

Ce qui m'a frappé, en revanche, c'est cette volonté de l'exécutif de créer un fonds spécifique, de collaborer avec des associations nouvelles, alors qu'il existait un certain nombre d'acteurs et d'instances associatives qui travaillaient déjà dans ce secteur, et qui auraient pu poursuivre utilement leur action.

Certes, comme l'a dit le rapporteur, un ministre est responsable de son cabinet, mais il est tout de même assez fréquent que ledit cabinet prenne des initiatives qui ne remontent pas jusqu'à lui. Faut-il pour autant demander à ce que soient formalisés, sous la forme de notes écrites, tous les échanges, toutes les interactions entre un membre du gouvernement et son entourage ? Je crains que l'on n'alourdisse considérablement, voire que l'on paralyse l'action des ministères.

Quoi qu'il en soit, j'observe que la ministre, en demandant elle-même à ce que le fonds Marianne dépende directement d'elle et de son cabinet, a évidemment engagé sa responsabilité. Cela veut dire que ce n'est pas un simple coup médiatique, mais le nouveau mode d'organisation qu'elle a mis en place qui a conduit à l'échec. À partir du moment où Mme Schiappa a cherché à se mettre en avant, où elle a remis en cause le cheminement administratif, elle a de fait pris la responsabilité de toute cette affaire, ce que le rapport d'information démontre parfaitement. S'il faut veiller à ne pas geler l'action des ministères en renforçant le formalisme des échanges, lorsqu'il y a une responsabilité directe du ministre, celle-ci doit pouvoir être clairement démontrée.

Mme Isabelle Briquet. - Je vous remercie pour la qualité de ce rapport d'information très circonstancié.

Pour ma part, j'ai assisté à la quasi-totalité des auditions, hors celle de M. Sifaoui, qui a été repoussée à plusieurs reprises. Je peux dire que ce rapport retranscrit l'intégralité de ce qu'elles ont révélé. L'intitulé du rapport d'information est de ce point de vue parfaitement choisi.

Le fonds Marianne est une opération de communication qui, je le rappelle, a été lancée à la suite de l'assassinat de Samuel Paty et qui, de ce fait, n'avait pas le droit à l'échec. Le fiasco que nous observons est désolant à au moins deux titres.

Tout d'abord, on a sérieusement écorné un symbole, en ne permettant pas à l'État d'agir comme il le devrait en réaction à un tel événement dramatique.

Ensuite, l'opération de communication a été franchement contre-productive. À cet égard, la recommandation qui consiste à imposer une forme de discrétion autour du choix et du suivi de ces subventions me semble de bon sens : l'excès de communication a nui aux actions engagées dans le cadre de la lutte contre les séparatismes. Face à la montée de certains extrémismes, l'efficacité des politiques publiques n'est pourtant pas de trop.

M. Daniel Breuiller. - Je veux à mon tour féliciter le rapporteur Jean-François Husson et le président Claude Raynal pour la maîtrise dont ils ont fait preuve tout au long des travaux de cette mission d'information.

Je suis tout à fait favorable au titre du rapport qui a été proposé par le rapporteur. Tout comme ma collègue Isabelle Briquet, j'ai assisté à la plupart des auditions ; j'ai donc lu le rapport avec intérêt.

Je suis d'abord frappé par ce qui arrive à la ministre : quand on cherche la lumière, on doit accepter de prendre l'ombre lorsqu'il y a de l'ombre. Au fond, elle a décidé de faire remonter toutes les décisions au niveau du cabinet, c'est-à-dire à son niveau, en mélangeant les rôles d'instruction et de validation.

Cela dit, le choix de s'appuyer sur des associations pour porter le contre-discours républicain me semble opportun, tant il est évident que les institutions politiques et administratives ont du mal à instaurer le dialogue. Je suis d'autant plus marri de ce qui arrive à certaines associations à cause de cette affaire que l'idée que ces structures conduisent la bataille sur les réseaux sociaux mérite d'être soutenue.

Enfin, je suis assez atterré que le combat pour nos valeurs républicaines soit livré par des acteurs ayant une telle étroitesse de vue. Pour parvenir à mobiliser toute la société autour de la lutte contre le séparatisme, il faut cesser de ne sélectionner que des associations dont l'orientation est proche de ses propres idées. Ce n'est pas le sujet de notre mission, mais il s'agit d'un véritable sujet d'interrogation. Je me demande comment on a pu confier à M. Sifaoui la formation d'agents de l'État, au regard de l'étroitesse de sa pensée.

Je vous remercie encore une fois pour la très grande clarté de ce rapport, digne en effet du scénario d'une série Netflix !

M. Rémi Féraud. - Je souhaite à mon tour saluer le travail réalisé par le président Claude Raynal et le rapporteur Jean-François Husson.

Cette mission d'information souligne l'importance du rôle de notre institution en matière de contrôle de l'action du Gouvernement, alors que cela n'avait rien évident au départ, certains d'entre nous ayant des hésitations, au vu notamment de la faiblesse des enjeux financiers en jeu.

Ce rapport traite de la question de la responsabilité politique, et même de l'irresponsabilité politique. Chacun voit bien que l'ensemble du processus ayant conduit à la mise en place et au suivi du fonds Marianne s'est déroulé « à la bonne franquette », si je puis dire - je reprends le titre de l'une des rubriques vidéo de l'association Reconstruire le commun.

Aux dérives, qui existaient dès l'origine, il faut ajouter une regrettable confusion entre vitesse et précipitation, ainsi que la volonté de faire de la communication autour du recyclage de crédits budgétaires et de projets existants. Mis bout à bout, ces éléments ont conduit à un résultat désastreux.

Même si les sommes en jeu peuvent sembler faibles, nous soulevons ici une question de principe.

Le rapport d'information est utile par les recommandations qu'il comporte, en particulier pour améliorer les procédures d'appels à projets. Il ne jette pas le bébé avec l'eau du bain quant à la nécessité de tenir un discours contre la radicalisation et pour la République.

Enfin, nous avons voté pour la première fois, dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État », une ligne de crédits destinés au ministère des affaires étrangères pour lutter contre le discours anti-français, notamment en Afrique. Je pense qu'il sera très intéressant cet automne, lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, de contrôler la manière dont ces crédits ont été utilisés.

M. Pascal Savoldelli. - J'ai hélas peu participé aux travaux de la mission d'information, mais je tiens à souligner le grand sérieux de ce rapport, qui démontre une fois de plus la victoire de la communication politique sur l'action publique. S'il faut savoir faire preuve d'humilité, il importe de tirer des enseignements qui vont au-delà de cette très mauvaise expérience.

Le rapport, très fouillé, présente des principes pour lier l'action publique et la vie associative. Lorsque l'affaire est sortie, j'étais plus inquiet pour la vie associative que pour la ministre. La crise actuelle de la démocratie représentative touche également - on l'oublie trop souvent - les structures associatives.

Enfin, le rapport met en lumière, de manière intéressante, l'équilibre complexe qui existe entre un cabinet ministériel et son administration. Il nous permet ainsi de disposer de points de repère solides quant au périmètre et aux responsabilités que les uns et les autres devraient respecter. La question se pose également dans les collectivités quant au rôle du cabinet et de l'administration.

M. Claude Raynal, président. - Ma première remarque porte sur ce que certains - dont j'ai d'ailleurs fait partie ! - ont qualifié de montants « faibles » pour parler des crédits versés par le fonds Marianne.

En réalité, cette notion peut être très différemment appréciée selon l'angle où l'on se place : si notre commission des finances est habituée à aborder des sujets représentant des milliards d'euros, il faut bien admettre que, pour le reste de la population, 2,5 millions d'euros, ce n'est pas rien ! Il faut veiller, me semble-t-il, à ne pas trop diffuser cette idée qu'une telle somme est modique, au risque de choquer - à juste titre - une partie de nos concitoyens.

J'ajoute que, pour une large part du monde associatif, les subventions d'un faible montant - moins de 1 000 euros - sont la règle. Ce sont d'ailleurs les acteurs associatifs qui se sont étonnés qu'une structure n'ayant que quelques mois d'existence puisse obtenir un budget de plusieurs milliers d'euros, ce qui est le cas dans l'affaire qui nous occupe.

En outre, ce rapport traite - Roger Karoutchi et Pascal Savoldelli l'ont évoqué - des excès de la communication politique, de cette maladie infantile du politique, qui consiste à traiter un problème par une action du ministre et de son cabinet, suivie d'une communication rapide. Manifestement, l'affaire du fonds Marianne prouve que cette manière de fonctionner touche à ses limites.

En définitive, ce qui m'a le plus choqué, c'est la réponse faite par la ministre lorsqu'elle a déclaré qu'elle s'était contentée de donner l'impulsion, sous-entendant que l'intendance aurait dû suivre.

Nous, qui pour beaucoup avons été maires ou membres d'un exécutif, savons que cela ne fonctionne pas ainsi et que toute décision, pour qu'elle soit correctement mise en oeuvre, doit faire l'objet d'un suivi précis. La vision qui consiste à lancer un projet et à demander à l'administration de se débrouiller est extrêmement problématique, et elle l'est d'autant plus que ce projet a été présenté comme une réponse à un événement dramatique, qui a marqué les Français.

Un ministre doit évidemment se préoccuper de la réalisation concrète de l'action qu'il a engagée. Au lieu de renvoyer à l'administration et d'indiquer qu'elle n'était pas informée, il aurait été tellement plus simple que Mme Schiappa reconnaisse, pour certains aspects au moins, sa responsabilité. Au-delà des maladresses des uns et des autres dans ce dossier, l'incapacité de Mme Schiappa à reconnaître ses responsabilités a contribué à tendre les débats, et dénote une mauvaise gestion du ministère.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est indispensable de resituer le contexte qui nous a conduits à envisager la constitution de cette mission d'information assortie des pouvoirs d'une commission d'enquête.

Claude Raynal a pris l'initiative, à la suite des révélations faites par la presse sur l'affaire du fonds Marianne, de mener un premier exercice de contrôle, avant d'engager une réflexion plus générale sur l'intérêt d'enquêter sur des éléments qui nous ont semblé, dès le départ, très troublants. Nous avons d'ailleurs fait le choix, par la suite, d'être proche d'un format de co-rapporteurs dans les travaux.

Au moment du lancement des travaux, nous avons hésité, notamment lorsque le Parquet national financier (PNF) a annoncé qu'il ouvrait une information judiciaire sur des soupçons ou pour des motifs qui laissaient peu de place à notre enquête.

Nous avons alors décidé d'interroger le garde des sceaux sur les marges de manoeuvre dont nous disposions, et avons estimé, au vu de sa réponse, que l'enquête ouverte par le PNF nous laissait un espace de travail suffisant si nous parvenions à rester dans le périmètre que nous nous imposions et à éviter les écueils.

La force de notre démarche a reposé sur sa dimension factuelle et sa précision.

Nos travaux, en particulier les auditions de Christian Gravel et de Marlène Schiappa, ont été utiles de ce point de vue : ils ont permis de confronter les récits, les points de vue, de mettre en évidence l'amnésie, la provocation, voire l'irrespect et le mépris de certaines des personnes auditionnées.

Nous avons tenu notre ligne dans la sérénité, ce qui a conduit une partie de l'opinion à reconnaître le sérieux de notre approche : loin de nous ériger en juges, nous avons exercé un contrôle strict des faits qui nous ont été signalés, ce qui est une lueur d'espoir pour la vitalité de notre démocratie.

Je remercie l'ensemble de nos collègues d'avoir exprimé leur satisfaction quant au contenu du rapport et aux équilibres que nous avons retenus.

Ce rapport n'est pas un coup de communication facile. Nous souhaitions en rester à ce qui est le plus important à nos yeux : respecter le sens de notre mission et accomplir notre travail avec sérieux et objectivité.

J'en profite pour dire à Roger Karoutchi que je suis d'accord avec ce qu'il a décrit concernant le coup politique. Toutefois, je lui ferai remarquer qu'il a fallu témoigner d'une patience d'ange pour écouter la ministre tout au long de ses trois heures d'audition : elle ne se souvenait de rien, ne s'était occupée de rien, ni avant, ni pendant, ni peu après la création du fonds, alors même qu'il y avait - le secrétaire général adjoint du CIPDR l'a méthodiquement démontré - beaucoup à redire...

En réponse à notre collègue Daniel Breuiller sur la question du recours à des associations, c'est un sujet très complexe, qui pose la question de la place et du rôle à donner aux associations dans la lutte contre les séparatismes.

J'ai noté la remarque de Rémi Féraud à propos des crédits alloués dans le cadre du projet de loi de finances pour combattre les discours anti-français. Ce sujet est, me semble-t-il, digne d'intérêt.

Pour répondre à Pascal Savoldelli sur la répartition des rôles entre le cabinet et l'administration, je répondrai de façon un peu abrupte, qu'il y a eu une volonté d'avoir une maîtrise directe du cabinet et de la ministre sur les décisions. Il y a d'ailleurs eu une erreur de la ministre sur ce point : avant sa nomination comme ministre déléguée en charge de la citoyenneté, le SG-CIPDR était déjà placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur.

À partir du moment où la ministre a souhaité mettre en lumière son action et que les choix réalisés sont de nature très politique, il faut, selon la formule de Daniel Breuiller, qu'elle accepte aussi les zones d'ombre.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons désormais à l'examen des deux propositions de modification que Jean-François Husson et moi-même avons déposées.

Notre proposition de modification n° 1 précise que les critères de sélection ont vocation à être développés dans les conventions.

La proposition de modification n° 1 est adoptée.

M. Claude Raynal, président. - Notre proposition de modification n° 2 prévoit que l'administration s'assure, avant le premier versement d'une subvention, que les cofinancements avancés par les porteurs de projets existent. Si l'on ne s'en assure pas, on risque de se retrouver avec des projets qui sont finalement avortés.

La proposition de modification n° 2 est adoptée.

M. Claude Raynal, président. - Avant d'en venir au vote sur le rapport, je vous indique que je vous propose, en accord avec le rapporteur, de saisir le parquet national financier d'un complément d'information en application de l'article 40 du code de procédure pénale, en lui transmettant notamment les comptes rendus des auditions devant la mission d'information de MM. Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui, ainsi que plusieurs documents communiqués à la mission, notamment le paiement d'une facture de la société R & K, datée du 15 décembre 2020, pour des prestations de communication.

Il en est ainsi décidé.

M. Claude Raynal, président. - Il m'appartient désormais de vous demander votre accord pour la publication du compte rendu de notre réunion.

Il en est ainsi décidé.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons maintenant au vote sur l'ensemble du rapport qui vous est soumis.

La mission d'information a adopté le rapport d'information, ainsi que les annexes, et en a autorisé la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION

Mardi 16 mai 2023

M. Christian GRAVEL, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

M. Jean-Pierre LAFFITE, secrétaire général adjoint du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

Mardi 30 mai 2023

Audition commune

M. Xavier DESMAISON, président de Civic Fab ;

M. Abdennour BIDAR, président de Fraternité générale ;

M. Rudy REICHSTADT, directeur de Conspiracy Watch.

Mercredi 31 mai 2023

M. Cyril KARUNAGARAN, président de l'Union des Sociétés d'Éducation Physique et de Préparation Militaire (USEPPM).

Mme Ahlam MENOUNI, présidente de Reconstruire le commun.

Mercredi 7 juin 2023

M. Sébastien JALLET, ancien directeur de cabinet de Mme Marlène SCHIAPPA, ministre déléguée auprès du ministre de l'Intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Julien MARION, directeur de cabinet de Mme Sonia BACKÈS, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Mercredi 14 juin 2023

Mme Marlène SCHIAPPA, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022.

Mme Sonia BACKÈS, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Jeudi 15 juin 2023

M. Mohamed SIFAOUI, directeur des opérations de l'Union des Sociétés d'Éducation Physique et de Préparation Militaire (USEPPM).

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LE PRÉSIDENT ET LE RAPPORTEUR112(*)

- Le président et la déléguée générale d'une association ayant bénéficié du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR).

- Une ancienne chargée de mission du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR).

- Une personne ayant été employée par l'Union des Sociétés d'Éducation Physique et de Préparation Militaire (USEPPM).

CONTRIBUTION DE M. DANIEL BREUILLER

LES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Contributions écrites des 17 structures bénéficiaires du fonds Marianne


* 1 Article dans l'hebdomadaire Marianne le 29 mars 2023 suivi le lendemain par un épisode de l'émission de France Télévisions « L'oeil du 20 heures ».

* 2 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 3 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 16 mai 2023.

* 4 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 16 mai 2023.

* 5 Compte rendu des auditions du 30 mai 2023.

* 6 Compte rendu des auditions du 30 mai 2023.

* 7 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 8 Marlène Schiappa au JDD : « Je lancerai mardi des états généraux de la laïcité », le journal du dimanche, 18 avril 2021.

* 9 Dans les comptes rendus de la séance du 31 mars 2021 sur le projet de loi Respect des principes de la République, voir par exemple : « Il n'est pas opportun de confier de manière pérenne une formation à une structure qui est appelée à évoluer dans le temps, et encore moins d'inscrire cela dans la loi » ; - « en ce qui concerne la question de savoir s'il faut faire intervenir l'Observatoire de la laïcité dans les formations et l'inscrire dans la loi, vous n'êtes pas sans savoir que le Premier ministre s'est exprimé publiquement en disant qu'il souhaitait faire évoluer cette structure à l'issue de son mandat » ; - « Nous nous sommes exprimés au nom du Gouvernement au sujet de l'Observatoire de la laïcité, dont le président voit son mandat de huit ans arriver à son terme. À présent, il nous semble opportun de faire évoluer cette structure. En effet, les questions de laïcité n'ont plus la même place dans la société qu'il y a huit ans. » ; - « Selon vous, il ne serait pas cohérent de refondre, dans le même temps, l'Observatoire de la laïcité. Au contraire, il me semble parfaitement cohérent d'imprimer cette nouvelle dynamique, grâce au présent texte, et de la mettre en oeuvre avec des organisations qui agissent avec volontarisme. ».

* 10 Réponses du SG-CIPDR au questionnaire du rapporteur.

* 11 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 12 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 13 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 14 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 16.

* 15 Est exclue de ce calcul à double titre l'association Reconstruire le commun. D'abord parce que le versement effectif de la subvention accordée en 2020 a été réalisé fin janvier 2021, et ensuite, eu égard à la situation particulière de cette association, son intégration fausserait les ordres de grandeur pour les associations ayant une réelle antériorité.

* 16 Réponses au questionnaire de la mission d'information.

* 17 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 15.

* 18 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 19 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 20 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 21 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 22 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 13.

* 23 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 24 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 25 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 26 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 27 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 28 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 20.

* 29 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 30 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 31 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 32 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 33 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 34 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 35 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 36 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 37 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 38 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 39 300 000 euros.

* 40 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 41 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 42 Sébastien Jallet ainsi déclaré devant mission d'information : « je l'ai reçu pour le compte de la ministre le 22 avril 2021 à 15 h15, le rendez-vous avait été organisé par le secrétariat de la ministre, elle n'avait pas pu l'honorer pour des raisons d'agenda, je l'ai alors représentée » en précisant que : « la ministre est passée le saluer, cursivement, elle ne s'est pas attardée, ni assise ».

* 43 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 44 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 45 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 46 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 47 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 48 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 49 Marlène Schiappa a indiqué lors de son audition que Mohamed Sifaoui avait été invité par le SG-CIPDR, et non pas par elle-même : « J'ai fait notamment - je l'ai lu dans la presse ou dans un rapport, parce que je n'en avais pas le souvenir - un déplacement dans le Tarn où, à ma connaissance, M. Sifaoui avait été convié par le Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) pour délivrer une formation à cette occasion. Je n'ai pas convié moi-même M. Sifaoui à venir. »

* 50 Article R. 2122-8 code de la commande publique.

* 51 Décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, article 31.

* 52 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 53 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 54 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 19.

* 55 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 56 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 57 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 58 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 59 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 60 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 61 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 62 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 63 Qui pourrait être le tweet de nature politique évoqué par Mohamed Sifaoui lors de son audition par la mission, et qui aurait provoqué un appel de Christian Gravel, SG-CIPDR.

* 64 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 65 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 66 Soit, d'après les documents transmis, environ 53 000 euros bruts.

* 67 Pour M. Karunagaran, la rémunération évoquée ne correspond ni aux éléments transmis par le SG-CIPDR, ni au montant finalement retenu par l'inspection générale de l'administration dans son rapport.

* 68 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 69 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 26.

* 70 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 71 Précision apportée suite à une observation de Reconstruire le commun formulée le 6 juillet 2023.

* 72 Dont un « épisode bonus » qui est une version non coupée d'une interview de l'épisode X.

* 73 15 heures 58 minutes sans l'épisode bonus.

* 74 Note bilan du 24 mars.

* 75 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 76 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 77 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 78 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 30 mai 2023.

* 79 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 29.

* 80 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 81 Rapport IGA, page 30 : « En février 2022, l'une des parties prenantes au projet, extérieure à l'administration, aurait contacté le secrétaire général pour l'alerter sur les dysfonctionnements du projet, le retrait de facto de ses deux responsables et pour lui demander si la réduction du rythme de publication procédait d'une décision du CIPDR, dans le contexte de la campagne présidentielle. Le secrétaire général aurait répondu qu'il n'en était rien, qu'il fallait continuer, et qu'il relancerait les porteurs de projet. »

* 82 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 83 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 84 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 85 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 30.

* 86 Compte rendu de l'audition de la mission d'information du 15 juin 2023.

* 87 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 88 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 30.

* 89 Réponses au questionnaire du rapport de la mission d'information.

* 90 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 91 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 92 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 93 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 94 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 95 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 96 Compte rendu des auditions du 23 mai 2023.

* 97 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 98 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 99 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 100 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 101 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 102 Marlène Schiappa a déclaré lors de son audition : « Il [Sébastien Jallet] propose d'ailleurs à ce moment-là un process pour ce qui n'est pas encore le Fonds Marianne, mais qui est l'activité de « contre-discours républicain ». C'est un long mail - je pense que chacun l'a -, dans lequel il rappelle le process qu'il propose, avec une validation ministérielle in fine, mais une sélection et une instruction des dossiers par l'administration. C'est cette procédure qu'il vient détailler. »

* 103 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 104 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 105 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 106 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 31 mai 2023.

* 107 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.

* 108 Article 1er du décret n°2001-495 du 6 juin 2001 pris pour l'application de l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques.

* 109 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 28.

* 110 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 14 juin 2023.

* 111 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.

* 112 Ces auditions n'ont pas fait l'objet de comptes rendus publiés et les personnes entendues n'ont pas été appelées à prêter serment.

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