II. AOM LOCALES ET RÉGIONALES : UN CHOC D'OFFRE À 60 MILLIARDS D'EUROS

A. 25 À 28 MILLIARDS D'EUROS D'AUGMENTATION DES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT JUSQU'EN 2030

1. AOM locales : 15 à 18 milliards d'euros d'augmentation des dépenses de fonctionnement jusqu'en 2030

Sur le périmètre des seules AOM locales, c'est-à-dire des transports collectifs urbains (TCU)29(*), l'enquête annuelle TCU réalisée conjointement par le GART, l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), permet de disposer d'une vision rétrospective agrégée des dépenses de fonctionnement et d'investissement réalisées annuellement par les AOM. Les chiffres les plus à jour de cette étude remontent aujourd'hui à l'année 2020.

À l'orée de la crise, en 2019, le total des dépenses des AOM locales avait dépassé les 10 milliards d'euros. Ce total était composé à 75 % de dépenses de fonctionnement (7,5 milliards d'euros) et pour 25 % de dépenses d'investissement (2,5 milliards d'euros).

Dépenses de fonctionnement et d'investissement sur le périmètre
des transports collectifs urbains (TCU) entre 2016 et 2020

(en millions d'euros)

Source : réponses du Groupement des autorités responsables de transport (GART)30(*) au questionnaire des rapporteurs

Entre 2016 et 2019, une période de très faible inflation, les dépenses de fonctionnement (+ 3,4 %) comme les dépenses d'investissement (+ 84,9 %) des AOM étaient déjà orientées à la hausse et le total des dépenses avait progressé de plus de 16 %.

Pour que la France atteigne ses engagements en matière climatique, l'offre de transports en commun du quotidien doit progresser de 20 à 25 % d'ici 2030. Cet impératif a été confirmé aux rapporteurs par la DGITM. En raison notamment de l'ampleur des charges de personnel et des dépenses d'énergie dans la composition des coûts des transports collectifs (près de 70 %), l'accroissement de l'offre se traduit par une augmentation quasi proportionnelle des coûts de production. Aussi, un développement de l'offre de transport de 20 à 25 % d'ici 2030 entraînerait vraisemblablement une augmentation en volume des dépenses de fonctionnement des AOM locales dans une proportion équivalente à l'horizon de la fin de la décennie. À cette augmentation des dépenses de fonctionnement en volume, il convient, pour obtenir leur évolution en valeur, d'ajouter l'effet de l'inflation prévisionnelle31(*).

En prenant en compte ces hypothèses l'augmentation des dépenses de fonctionnement des AOM locales pourrait atteindre un montant cumulé de 15,632(*) à 18,133(*) milliards d'euros d'ici 2030.

Augmentation prévisionnelle des dépenses de fonctionnement
des AOM locales (2023-2030)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

2. AOM régionales : plus de 10 milliards d'euros de nouvelles dépenses de fonctionnement

Les dépenses de transports constituent le premier poste de dépense des régions : en 2021, celles-ci s'élevaient à 11 milliards d'euros (hors IDFM), soit le quart de leur budget total (24,8 %). Elles se décomposent en 7,6 milliards d'euros de dépenses de fonctionnement (29,3 % des dépenses de fonctionnement totales), dont 3,5 milliards d'euros au titre du transport ferroviaire et 3,5 milliards d'euros de dépenses d'investissement (25,3 % des dépenses d'investissement totales), dont 1,4 milliard d'euros au titre du transport ferroviaire34(*).

Ces dépenses, qui représentaient environ 6 milliards d'euros en 2011, ont fortement progressé, notamment à la faveur des compétences transférées aux régions en matière de mobilité : la compétence transport scolaire (hors élèves en situation de handicap) auparavant exercée par les départements depuis la loi « NOTRe » de 201535(*) et la reprise progressive à l'État d'une partie du réseau des trains d'équilibre du territoire (TET).

Évolution des dépenses de transport des régions (hors IDFM)
entre 2011 et 2021

(en milliards d'euros)

Source : Régions de France, Chiffres clés 2021

a) Le TER souffre du poids des péages et d'une performance insuffisante
(1) Le manque de performance de SNCF mobilités et de SNCF réseau

Avant le déclenchement de la crise sanitaire, en dehors de tout contexte inflationniste et sans que cela soit lié à une hausse des péages ou à un accroissement de l'offre de circulation, les charges d'exploitation des services de transport express régional (TER) avaient augmenté de près de 15 % (570 millions d'euros) entre 2015 et 2019.

Évolution des charges d'exploitation de l'activité TER (2015-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGITM au questionnaire des rapporteurs

Alors que la crise sanitaire s'éloigne et du fait du contexte d'inflation, qui affecte tout particulièrement les dépenses d'énergie et la masse salariale, les charges d'exploitation de l'activité TER devraient connaître une très forte augmentation en 2023.

Comme les rapporteurs avaient déjà pu le souligner dans un rapport d'information de mars 2022 sur la situation financière de la SNCF36(*), les coûts unitaires de SNCF Voyageurs pour l'activité TER en France sont plus élevés que ceux constatés chez nos partenaires européens. Ce constat, toujours d'actualité, a été à nouveau confirmé aux rapporteurs par l'Autorité de régulation des transports (ART).

L'insuffisante productivité du matériel roulant des services conventionnés, tout particulièrement s'agissant du TER, en est l'une des causes. Le matériel roulant TER de SNCF Voyageurs roule nettement moins qu'ailleurs en Europe. Ainsi, en moyenne, en Allemagne, les flottes de TER roulent 150 000 kilomètres par an pour les trains diesel et 200 000 kilomètres par an pour les trains électriques contre seulement 90 000 kilomètres et 120 000 kilomètres par an en France. Cette problématique est un enjeu essentiel d'optimisation financière dans la mesure où l'acquisition de ce matériel roulant insuffisamment productif suppose des investissements lourds à la charge des AOM régionales.

L'une des explications de cette insuffisante productivité du matériel roulant de la SNCF tiendrait à une organisation sous-optimale de sa maintenance. En effet, la SNCF a fait le choix de privilégier une maintenance en atelier avec des ateliers de maintenance centralisés. Ce choix suppose de nombreux allers-retours vers et depuis ces ateliers durant lesquels les trains ne sont pas utilisés à des fins commerciales. Il apparaît d'ailleurs que les coûts de maintenance du matériel roulant en France sont nettement plus élevés que la moyenne européenne pour les TER. Ils s'élèvent à plus de 4 euros par train-kilomètre en France contre entre 1 et 2 euros en moyenne en Europe.

Par-delà le déficit de productivité de l'opérateur de transport historique SNCF Voyageurs, l'insuffisante performance du gestionnaire d'infrastructures, SNCF Réseau, affecte aussi très sensiblement, à travers le coût des péages, le modèle économique des TER.

En France, en ce qui concerne sa mission de gestion de la circulation des trains sur le réseau, la productivité du gestionnaire d'infrastructures a stagné depuis 20 ans alors qu'elle a progressé pour ses homologues, notamment suisse et allemand37(*). Ainsi, la circulation d'un train en France requière-t-elle 3 fois plus d'agents et 1,7 fois plus de capitaux qu'en moyenne pour ses homologues européens. Les travaux de l'économiste Florent Laroche ont démontré la stagnation de la productivité de SNCF Réseau tandis que, dans le même temps, ses homologues suisse et allemand amélioraient très sensiblement la leur. Alors qu'en 1996, le gestionnaire d'infrastructure français présentait une productivité équivalente à celle de son homologue suisse et supérieure à celle de son équivalent allemand, en 2018, sa productivité était inférieure de 33 % au premier et de 22 % au second.

Les coûts d'entretien, de maintenance et de renouvellement du réseau sont en France supérieurs aux standards et en augmentation. Dans un rapport de 2018 consacré à SNCF Réseau38(*), la Cour des comptes estimait ainsi que la maintenance d'un kilomètre de voie occupait 1,73 agent du gestionnaire d'infrastructure français contre 0,99 agent pour son homologue allemand39(*). Dans ce même rapport, la Cour des comptes précise que les dépenses d'entretien et de renouvellement du réseau ont augmenté de 17 % entre 2013 et 2017. Le coût moyen de renouvellement d'un kilomètre de voie du réseau structurant a augmenté de 20 % entre 2015 et 2020 alors qu'un objectif de progression de 6 % avait été fixé entre 2015 et 2021.

Dans leur rapport d'information précité, les rapporteurs ont formulé une série de recommandations visant à améliorer significativement la performance de SNCF Réseau. Ils tiennent également à rappeler que des gisements importants de gains d'efficience résident dans le déploiement des programmes de modernisation du réseau ferré, à savoir la commande centralisée du réseau (CCR) et l'ERTMS. Or, de façon incompréhensible, ces projets ne sont toujours ni financés ni réellement programmés en France alors qu'ils ont déjà été déployés chez la plupart de nos voisins. Le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) présenté au mois de février 202340(*) a confirmé les analyses faites dès le début de l'année 2022 par les rapporteurs sur cette question et appelé à dégager des financements pour déployer ces deux programmes majeurs à horizon 2042. Le 24 février dernier, lors de la présentation d'un plan ferroviaire de 100 milliards d'euros, la Première ministre a confirmé cette nécessité. Cependant, les rapporteurs regrettent que les modalités de financement de ces programmes n'aient toujours pas été précisées.

(2) Les gains de performance attendus de l'ouverture à la concurrence

L'ouverture à la concurrence du TER permettra d'en améliorer sensiblement l'efficience économique. Les exemples étrangers démontrent qu'il doit en résulter d'une part un développement de l'offre de transport et d'autre part des gains de productivité. Les exemples allemands et suédois, dont l'ouverture à la concurrence sur les lignes régionales a débuté il y a plusieurs décennies, sont à cet égard évocateurs. Au regard de ces exemples étrangers, la baisse des coûts d'exploitation résultant de l'émergence d'un marché concurrentiel en France pourrait se situer entre 20 % et 30 %. En Allemagne, où la concurrence sur les transports régionaux existe depuis 25 ans, le coût de roulage des TER est inférieur de plus de 30 % à celui qui prévaut aujourd'hui en France. Les deux postes de coûts du modèle TER sur lesquels l'ouverture à la concurrence a le plus d'effets sont, d'après les premières analyses de l'ART, la masse salariale et la maintenance du matériel roulant.

À ce jour, sept régions41(*) ont engagé les procédures d'ouverture à la concurrence de leurs réseaux TER. La région Sud a été la première à aller au bout du processus. Elle a également été la première région en France à attribuer un lot TER42(*) à un opérateur alternatif, en l'occurrence Transdev. Sur la ligne concernée, le volume d'offre doit être doublé à coût de production constant. Le même jour, la région a attribué un autre lot43(*) à l'opérateur historique SNCF Voyageurs avec là encore un engagement de multiplier l'offre par 1,7 à coût constant.

Le premier appel d'offre de la région Hauts-de-France s'est quant à lui traduit par l'attribution des lignes de l'étoile d'Amiens à SNCF Voyageurs qui se serait engagée sur des gains de performance de plus de 20 % en diminuant le coût de roulage par train.km de 28 euros à 22 euros, soit en dessous de la moyenne européenne (26 euros).

(3) Les perspectives d'augmentation des péages dans les années à venir menacent la pérennité du modèle économique des services conventionnés de transport ferroviaire

Comme l'ensemble du secteur ferroviaire, l'activité TER est pénalisée par le niveau élevé des péages en France. Si l'État prend en charge la redevance d'accès des TER, les AOM régionales assument quant à elles les redevances de circulation et de marché.

Évolution des péages ferroviaires imputés à l'activité TER (2015-2021)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGITM au questionnaire des rapporteurs

Le contrat de performance de SNCF Réseau signé en avril 2022 prévoyait déjà une très forte augmentation du niveau des péages d'ici 2030 destinée à rétablir la situation financière structurellement dégradée du gestionnaire d'infrastructures. Il prévoyait notamment une augmentation des péages sur les services ferroviaires conventionnés, dont le TER, de 3,6 % par an sur la période 2023-2030.

Cette trajectoire, déjà extrêmement lourde, a même été réévaluée très sensiblement en raison du contexte d'inflation.

Ainsi, dans un avis du 23 février 202344(*), l'ART a-t-elle validé les augmentations de péages ferroviaires proposées par SNCF Réseau pour les années 2024 à 2026. Les augmentations moyennes des péages durant cette période doivent ainsi s'établir à + 8 % en 2024, + 6,2 % en 2025 et + 5 % en 2026.

Comparaison des évolutions, prévues au contrat de performance de SNCF Réseau et réellement appliquées, des péages imputés aux services ferroviaires conventionnés (2018-2026)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'ART au questionnaire des rapporteurs

L'ampleur des augmentations de péages actuellement prévues d'ici 2026 pourrait ainsi se traduire par des dépenses cumulées supérieures à 600 millions d'euros pour les AOM régionales.

b) Les régions pourraient devoir faire face à plus de 10 milliards d'euros de nouvelles dépenses de fonctionnement d'ici 2030

Les services TER occupent une place essentielle dans le choc d'offre attendu dans les prochaines années. Cependant, l'ouverture à la concurrence qui commence à se déployer en France permet d'envisager des gains de performance de 20 à 30 %. Aussi, le nécessaire développement de l'offre de 20 à 25 % pourrait s'opérer à coût constant. Cependant, la prise compte des prévisions d'inflation ainsi que des augmentations de péages ferroviaires pourraient conduire à une augmentation cumulée des dépenses de fonctionnement de l'activité TER de 6 milliards d'euros jusqu'en 2030.

Dans le même temps, et sur la même période, la hausse des dépenses prévisionnelles de fonctionnement relatives aux transports interurbains et au transport scolaire pourrait se traduire par une augmentation de 5 milliards d'euros, soit un total de 11 milliards d'euros.

Augmentation prévisionnelle des dépenses de fonctionnement
des AOM régionales (2023-2030)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat


* 29 Hors IDFM et AOM régionales.

* 30 Fondées sur les enquêtes annuelles transports collectifs urbains (TCU).

* 31 Le programme de stabilité 2023-2027 d'avril 2023 prévoit une inflation de 4,9 % en 2023, 2,6 % en 2024, 2 % en 2025 puis 1,75 % jusqu'à la fin de la décennie.

* 32 Dans l'hypothèse d'une augmentation des dépenses de fonctionnement en volume de 20 % d'ici 2030.

* 33 Dans l'hypothèse d'une augmentation des dépenses de fonctionnement en volume de 25 % d'ici 2030.

* 34 Source : Régions de France, chiffres clés des régions 2021.

* 35 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 36 Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir, Rapport d'information n° 570 (2021-2022) de MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, fait au nom de la commission des finances, 9 mars 2022.

* 37 Cette situation s'explique notamment par la diminution du trafic de fret qui ne s'est pas traduite par des baisses d'effectifs au sein de SNCF Réseau.

* 38 SNCF Réseau, des réformes à approfondir, Cour des comptes, décembre 2018.

* 39 D'après l'association française des gestionnaires d'infrastructures ferroviaires indépendants (AGIFI), sur les tronçons de voie qui ont été délégués à des gestionnaires d'infrastructure ferroviaire privés, le coût de maintenance de ces gestionnaires demeure inférieur aujourd'hui aux coûts de maintenance qui avaient été anticipés par SNCF Réseau au moment du lancement des appels d'offre.

* 40 Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition, COI, décembre 2022.

* 41 Les régions Sud, Grand-Est, Hauts-de-France, Pays de la Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Normandie.

* 42 La ligne Marseille-Nice.

* 43 Le lot dit « étoile de Cannes ».

* 44 Avis n° 2023-008 du 9 février 2023 relatif à la fixation des redevances d'utilisation de l'infrastructure du réseau ferré national pour les horaires de service 2024 à 2026.

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