N° 837

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance,

Par M. Bernard BONNE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel.

L'ESSENTIEL

Trois lois majeures de 2007, 2016 et 2022 ont profondément réformé la protection de l'enfance depuis 15 ans. Formant un ensemble cohérent et ambitieux, salué par les professionnels, ces lois sont pourtant mises en oeuvre très imparfaitement.

La priorité en protection de l'enfance est désormais d'appliquer les dispositions en vigueur avant d'envisager toute nouvelle réforme législative.

Compétence décentralisée aux départements depuis 1983, l'aide sociale à l'enfance (ASE) apporte un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social.

Les mesures d'ASE ont connu une progression de 29 % de 2007 à 2021. Le nombre d'enfants accueillis a particulièrement augmenté (+ 39,3 %) en passant de 146 851 en 2007 à 204 492 en 2021.

*

* *

I. DES LOIS AMBITIEUSES EN MATIÈRE DE PROTECTION DE L'ENFANCE

Les trois lois qui se sont succédé, en quinze ans, dans le champ de la protection de l'enfance ont su s'inscrire dans la continuité : le législateur est intervenu sans défaire ce qu'il avait précédemment construit.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a consacré le rôle central du département comme chef de file, en reconnaissant la primauté des mesures administratives sur les mesures judiciaires d'assistance éducative. Elle a été fondatrice pour organiser le dispositif de repérage et de traitement des situations de danger par la création des cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Elle a également renforcé le rôle de la prévention en protection de l'enfance et la coordination des acteurs par des observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) et le projet pour l'enfant (PPE).

Par la loi du 14 mars 2016, le législateur a renforcé l'approche de la protection de l'enfance par les besoins fondamentaux de l'enfant. Il a souhaité garantir une prise en charge des mineurs globale et coordonnée, par un bilan de santé et la désignation d'un médecin référent. Il a renforcé l'anticipation de la sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et l'accompagnement des jeunes majeurs.

Enfin, la loi du 7 février 2022, sans modifier en profondeur ce cadre, a porté plusieurs mesures ambitieuses : le renforcement de l'accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance, l'interdiction de l'hébergement hôtelier, la prise en charge des jeunes majeurs en difficulté financière et sociale et le droit au retour à l'ASE, la présence favorisée de l'avocat pour l'enfant discernant, la revalorisation de la rémunération des assistants familiaux...

II. UN DÉCALAGE GRANDISSANT ENTRE LES LOIS ET LA RÉALITÉ MALGRÉ QUELQUES AMÉLIORATIONS CIBLÉES

A. LE REPÉRAGE DES SITUATIONS DE DANGER ET L'ENTRÉE DE L'ENFANT DANS LE DISPOSITIF DE PROTECTION

1. Le repérage et le traitement des situations de danger : une réforme législative à la mise en oeuvre encourageante

Le président du conseil départemental est responsable du recueil, du traitement et de l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. La loi de 2007 a ainsi créé les CRIP qui doivent centraliser les remontées d'informations préoccupantes et évaluer la situation. Ces dispositions législatives se sont bien concrétisées, même s'il reste encore à parachever les ambitions du législateur. Quasiment tous les départements disposent en effet d'une CRIP. Si des disparités existent selon les territoires, en lien notamment avec les moyens humains engagés, les cellules réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des informations préoccupantes (IP) en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Une difficulté demeure dans les délais de traitement des IP qui peuvent dépasser la durée maximale de trois mois fixée par décret.

La loi de 2022 a rehaussé les ambitions en matière d'appréciation des situations préoccupantes en rendant obligatoire le cadre du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes élaborée par la Haute Autorité de santé. Un comité opérationnel a été mis en place afin de soutenir le déploiement du référentiel dans les départements : le respect intégral du référentiel est encore un long chemin à parcourir, en dépit de quelques axes déjà positifs. Il conviendra, en priorité, que les CRIP parviennent à réunir une équipe pluridisciplinaire pour mener les évaluations.

2. La déjudiciarisation des entrées en protection de l'enfance n'a pas eu lieu

La loi de 2007 a rendu l'intervention judiciaire subsidiaire aux décisions administratives, le parquet étant chargé de vérifier que les conditions de saisine du juge des enfants sont bien réunies avant la transmission d'une requête. Pourtant la déjudiciarisation n'a pas eu lieu : en 2021, 75 % des enfants confiés à l'ASE l'ont été sur décision judiciaire. Les raisons sont multiples : les services départementaux font face à de nombreux refus ou d'adhésion « de façade » de la part des parents, ce qui rend obligatoire le recours au juge. Ce sont parfois les professionnels de l'ASE qui préfèrent l'intervention cadrée et plus rassurante de l'autorité judiciaire.

Plus problématique, certains territoires sont dépourvus de dispositifs administratifs de prise en charge adaptée : le manque d'investissement des départements dans les mesures d'aide éducative à domicile renforcée (AEDR) rend nécessaire de demander une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOr) décidée par le juge. Enfin, par héritage culturel, il reste difficile de se départir du recours au juge dans notre modèle français de l'assistance éducative.

B. L'ACCUEIL EN PROTECTION DE L'ENFANCE : DES ORIENTATIONS DÉCIDÉES PAR LES LOIS DIVERSEMENT MISES EN oeUVRE

1. L'accueil dans l'entourage de l'enfant : la loi de 2022 restée lettre morte

Au sein de l'ensemble des enfants confiés à l'ASE, la proportion des enfants placés directement auprès d'un autre membre de la famille ou un tiers a décru de 7,4 % à 6,5 % de 2010 à 2021.

L'article 1er de la loi du 7 février 2022 renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance en rendant obligatoire l'évaluation de cette option préalablement à tout placement judiciaire. Plus d'un an après son introduction, cette disposition n'a pas été suivie d'effet. L'évaluation, réalisée par les services départementaux, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou des services associatifs habilités, exigent des moyens qui, à ce jour, font défaut.

De même, cet article prévoit un renforcement de l'accompagnement des tiers dignes de confiance par les services de l'ASE : la parution du décret devant préciser l'étendue de cet accompagnement se fait cependant attendre en raison des inquiétudes soulevées par les départements. Pourtant, les tiers dignes de confiance sont trop souvent laissés à eux-mêmes et la vérification des bonnes conditions d'accueil des enfants est aussi une impérieuse nécessité.

2. La non-séparation des fratries : un voeu pieux dans de nombreuses situations

L'article 5 de la loi du 7 février 2022 a réaffirmé le principe selon lequel l'enfant est accueilli avec ses frères et soeurs sauf si son intérêt commande une autre solution. Les auditions du rapporteur ont fait ressortir qu'il est encore très fréquent que les fratries soient séparées faute de place.

La stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2018-2022) prévoyait la construction de 600 nouvelles places dans des établissements accueillant des fratries par un financement de l'État dans le cadre de la contractualisation avec les départements. Il est encore difficile d'apprécier si l'objectif a été atteint mais des crédits budgétaires de l'État à hauteur de 38,3 millions d'euros ont été engagés de 2020 à 2022 témoignant de l'engouement des départements pour développer les structures adaptées. Les appels d'offres pour la création de villages d'enfants, spécialisés dans l'accueil des fratries, se multiplient ; toutefois, peu d'opérateurs sont aujourd'hui en capacité de proposer cette modalité d'accueil.

3. La fin de l'hébergement hôtelier : la loi produit déjà des effets dans la plupart des départements

Fin 2019, la proportion moyenne de mineurs accueillis à l'hôtel s'élevait à 5 % des jeunes pris en charge par l'ASE, ce qui représentait entre 7 500 et 10 500 jeunes protégés. Ces chiffres globaux cachaient cependant une grande variabilité : les départements avaient recours à l'hôtel pour une proportion des mineurs variant de 1 % à 18 %. L'accueil hôtelier concernait principalement des jeunes reconnus mineurs non accompagnés (MNA).

À l'initiative du Sénat, l'interdiction complète de l'accueil des enfants protégés à l'hôtel entrera en vigueur en février 2024. Cette application différée avait pour objectif de laisser aux départements le temps d'anticiper cette prohibition ; depuis l'adoption de la loi du 7 février 2022, les départements prennent effectivement les dispositions nécessaires pour éviter ce type d'hébergement inadapté aux mineurs protégés. De nombreux conseils départementaux ont lancé des appels à projet pour accroître leur capacité d'accueil.

La loi agit donc efficacement pour transformer l'accueil des enfants même si le regain des flux de personnes arrivant en France et se déclarant MNA complique la mise en oeuvre totale et uniforme de l'interdiction. Une dizaine de départements, dans lesquels la contrainte foncière est la plus forte ou les flux migratoires les plus directs, sont en difficulté pour bannir l'hôtel de leur offre d'accueil. Cette interdiction ne vaut cependant que pour les jeunes reconnus MNA et non pour les personnes mises à l'abri en attente d'une évaluation de leur minorité.

C. L'ACCOMPAGNEMENT DE L'ENFANT PROTÉGÉ : DES AMBITIONS LENTES À SE CONCRÉTISER

1. Le projet pour l'enfant rarement mis en oeuvre

Issu de la loi de 2007, le projet pour l'enfant n'est toujours pas mis en oeuvre pour tous les enfants ; en 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés par le ministère de la santé mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant. Certains départements ne prévoient un PPE que pour une infime partie des mineurs qui leurs sont confiés. Auditionné par le rapporteur, Gautier Arnaud-Melchiorre, chargé par le secrétaire d'État Adrien Taquet d'une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, précise ainsi de manière explicite : « Je n'ai jamais entendu un seul enfant me parler du projet pour l'enfant. » Même lorsqu'il est mis en place, le projet reste trop souvent un document administratif formel et peu utile pour les enfants.

Le projet pour l'enfant est devenu emblématique des défaillances d'application de la loi en protection de l'enfance.

2. Le parrainage et le mentorat : une ambition démesurée ?

L'article 9 de la loi de 2022 prévoit, à l'initiative du Gouvernement, qu'un parrain et un mentor doivent systématiquement être proposés aux mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants... Le Sénat a soutenu la très bonne intention de cette disposition mais le rapporteur avait partagé quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et de mentors. De fait, cette disposition à caractère théoriquement systématique est aujourd'hui très loin d'être appliquée. Le décret prévoyant les conditions de contrôle des personnes volontaires, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage, n'est pas encore publié.

D. L'ACCOMPAGNEMENT DE LA SORTIE DE L'ASE : LES EFFORTS DE CHAQUE ACTEUR SONT EN DEÇÀ DES ESPÉRANCES DU LÉGISLATEUR

1. Les entretiens d'accès à l'autonomie, encore trop peu fréquents

Afin de préparer l'accès à l'autonomie des jeunes confiés à l'ASE, la loi du 14 mars 2016 a prévu un entretien obligatoire organisé par le président du conseil départemental un an avant la majorité de l'intéressé. L'ASE doit associer les autres organismes et institutions qui peuvent concourir à apporter une réponse aux besoins du jeune « en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources ».

Pour ce faire, la loi prévoit que le président du conseil départemental, conjointement avec le préfet et le président du conseil régional, conclut un protocole afin « de préparer et de mieux accompagner l'accès à l'autonomie des jeunes pris en charge ou sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse ».

Selon une enquête réalisée pour le compte de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en 2019, un tiers des départements n'auraient pas encore mis en place ces entretiens. Parmi ceux qui ont pris des dispositions, seuls 35 % parviennent à organiser un entretien pour plus de trois quarts des enfants confiés. De même, en 2019, seuls 11 % des départements répondant à l'enquête avaient effectivement contractualisé avec leurs partenaires pour l'organisation de l'accès à l'autonomie des jeunes (voir graphique ci-avant).

2. La prise en charge des jeunes majeurs : la loi de 2022 améliore, à la marge, la situation des jeunes

Dans le régime antérieur à 2022, la prise en charge des jeunes quittant l'ASE en difficulté d'insertion sociale était à la discrétion des départements, lesquels suivaient des pratiques très disparates. L'étude commandée par la DGCS révélait qu'en 2018 le taux de prise en charge en accueil provisoire jeune majeur (APJM) des enfants confiés à l'ASE avant 18 ans et devenus majeurs atteignait 36 %. Toutefois, cette proportion moyenne dissimulait des situations très diverses selon les départements (voir le graphique infra) avec une étendue de 73 points entre le département le plus vertueux et celui accordant le moins de contrats jeune majeur.

Répartition des départements* selon la proportion de prise en charge en APJM des jeunes majeurs de moins de 21 ans en 2018

Source : Asdo études, pour la DGCS, mai 2020

* Réponses de 92 départements.

La loi de 2022 a renforcé la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l'ASE à deux titres :

- les départements doivent désormais proposer une solution aux jeunes sortant de l'ASE jusqu'à leurs 21 ans lorsqu'ils ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. À l'initiative du Sénat, les jeunes bénéficient également d'un droit au retour lorsque les jeunes ont choisi de quitter l'ASE mais souhaitent à nouveau être accompagnés avant leurs 21 ans ;

- le contrat engagement jeune, financé par l'État et servi par les missions locales, est systématiquement proposé aux jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'ASE sans ressources ni soutien familial suffisants ou sortant d'un placement auprès de la PJJ et ne faisant plus l'objet d'un suivi éducatif après leur majorité. Ce contrat engagement jeune n'est toutefois proposé qu'aux jeunes ayant besoin d'un accompagnement et remplissant les conditions d'accès à ce dispositif.

Les avancées sur le terrain sont globalement décevantes en raison d'une hétérogénéité territoriale qui n'a pas été réduite par la loi de 2022. Le rapporteur ne peut que rappeler les départements à leurs obligations légales.

D'autre part, les moyens engagés par l'État quant à l'accompagnement des jeunes majeurs ne sont pas à la hauteur des enjeux : le contrat engagement jeune est insuffisant pour apporter une solution à tous les anciens mineurs protégés en difficulté. Il conviendrait à l'État de garantir une ressource pécuniaire financée par l'État, comme une mission récente du conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) a pu le recommander.

E. UNE GOUVERNANCE TERRITORIALE QUI DOIT ÊTRE REVIVIFIÉE PAR LES COMITÉS DÉPARTEMENTAUX DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE

La politique locale de la protection de l'enfance fait intervenir de nombreux acteurs : services départementaux de l'ASE, services de l'État déconcentré (protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale, services préfectoraux, agence régionale de santé...), juges des enfants, procureurs de la République et associations. Des échanges fluides et efficaces ont été plusieurs fois souhaités par le législateur ; la loi de 2007 avait prévu les ODPE avec pour missions de recueillir les données et les évaluations pertinentes du secteur, ainsi que de proposer des orientations à la politique départementale. Tous les ODPE ne sont pas aujourd'hui mis en place ou actifs.

Dans l'optique de revivifier la gouvernance locale, l'article 37 de la loi de 2022 prévoit les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et le préfet, dont le rôle est de s'assurer que tous les services de l'État participent à la coordination de la politique. Ces CDPE permettront de prendre des décisions collectives quant à l'orientation de la politique de protection de l'enfance sur certains sujets mais également de réunir toutes les parties prenantes sur des cas individuels complexes.

Les dix premiers départements expérimentateurs ont été désignés en mars 2023 par décret et leur installation est en cours. Dans ces départements volontaires, les instances de coordination ont généralement été mises en sommeil. Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation et envisager, à terme, après évaluation, une généralisation. L'articulation des CDPE avec les autres instances devra éviter toutes redondance et perte de temps. De même, il conviendra à l'autorité judiciaire, ainsi qu'à tous les services concernés de l'État, de se plier à l'exercice sous risque de voir les comités perdre de leur intérêt. Les préfets ont dû recevoir des instructions pour la mobilisation des services de l'État et une circulaire de mars 2023 insiste sur l'importance de ces comités auprès des parquets.

III. APPLIQUER LES LOIS : LA PRIORITÉ DEVANT IRRIGUER CHAQUE ÉCHELON CONCOURANT À LA PROTECTION DE L'ENFANCE

Dans cette situation insatisfaisante, il n'y a pas de coupable idéal mais, davantage, une responsabilité partagée des acteurs de la protection de l'enfance qui, tous, devraient réinvestir leurs missions respectives.

A. L'ÉTAT NE DOIT PAS SE DÉSENGAGER DE SES COMPÉTENCES PARTICIPANT À LA PROTECTION DE L'ENFANCE

1. La responsabilité du Gouvernement, détenteur du pouvoir réglementaire

Si certaines circonstances atténuantes peuvent être relevées (période d'élections présidentielle et législative, dégradation du contexte de la protection de l'enfance...), le rapporteur constate que le Gouvernement, détenteur du pouvoir réglementaire national, fait face à de grandes difficultés pour publier les décrets d'application d'un texte de loi pourtant de son initiative, ce qui ne peut être que regrettable.

2. L'État doit assumer ses responsabilités au titre de la prise en charge des enfants en situation de handicap et du contrôle des structures d'accueil

D'autre part, l'État semble se désengager des missions qui sont les siennes et qui concourent à une bonne politique de protection de l'enfance. Les services de l'ASE doivent accueillir des enfants en situation de handicap pour lesquels une prise en charge plus adaptée relèverait des instituts médico-éducatifs (IME) ou des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep).

Par ailleurs, si le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux relevant de l'ASE incombe au président du conseil départemental, les préfets détiennent une compétence générale de contrôle dont ils ne font que rarement usage. Il conviendrait que les représentants de l'État diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations ne devrait pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil.

3. Les moyens financiers engagés par l'État doivent être à la hauteur

Il convient que l'État soutienne les départements pour faire face, de manière pérenne, aux conséquences financières que les dispositions de la loi de 2022 engendrent. Seule la prise en charge des jeunes majeurs a fait l'objet d'une enveloppe de 50 millions d'euros pour 2023 dont les crédits n'ont pas encore été répartis entre les départements.

En outre, c'est à l'État de faire en sorte que la justice en assistance éducative dispose des moyens pour suivre correctement les enfants. Le nombre de dossiers par juge atteint souvent le double des recommandations prônées par les référentiels en la matière. Cette embolie des cabinets des juges des enfants augmente les délais d'audiencement et de décisions. Elle amoindrit également la qualité de la procédure : les juges ne peuvent pas toujours entendre chaque mineur individuellement, comme la loi de 2022 le prévoit, ou même tenir des audiences pour le renouvellement de leurs mesures.

B. LES DÉPARTEMENTS NE PEUVENT NÉGLIGER LA PROTECTION DE L'ENFANCE

Les conseils départementaux ont consacré 8,86 milliards d'euros à l'aide sociale à l'enfance en 2022. Certains départements cependant négligent une mission qui ne peut être à la hauteur des enjeux sans une réelle volonté politique. L'application des dispositions législatives doit devenir la première ambition des conseils départementaux en protection de l'enfance. Le rapporteur invite le Gouvernement à encourager à la bonne mise en oeuvre des lois en la plaçant au coeur de la prochaine vague de contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales. Cette contractualisation devrait également être généralisée pour éviter les mises en oeuvre disparates selon les territoires. Il n'est pas acceptable que les enfants en danger soient plus ou moins bien pris en charge selon le territoire dans lequel ils vivent.

C. LES PROFESSIONNELS DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE DOIVENT DEVENIR DES PROMOTEURS DES AMBITIONS LÉGISLATIVES

1. La formation continue pour diffuser les avancées législatives

Lorsque des avancées viennent bousculer les pratiques des professionnels solidement ancrées, une certaine inertie dans la mise en oeuvre des lois peut se manifester. Le levier de la formation continue doit donc être largement investi pour que les changements législatifs se diffusent plus rapidement.

La structuration de la formation en blocs de compétences au sein des instituts régionaux du travail social (IRTS) doit être encouragée afin de permettre aux professionnels (éducateurs, assistants familiaux, référents ASE, etc.) exerçant déjà leur profession, de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance et actualiser ainsi leurs connaissances sans cesser leurs fonctions.

2. Pallier la pénurie de professionnels bien formés

Alors qu'une pénurie des professionnels en protection de l'enfance est déjà à l'oeuvre, les IRTS déplorent une baisse préoccupante de l'entrée en formation sur les métiers du secteur social, notamment depuis la mise en place de Parcoursup. À cette désaffection, se rajoute un décalage entre les enseignements théoriques et la réalité des métiers de la protection qui conduit au découragement voire à la réorientation de jeunes éducateurs peu de temps après leur prise de fonctions. Pour pallier ces difficultés, il est nécessaire de renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les établissements de formation, comme certains départements le proposent déjà. Ces conventions favoriseraient le développement d'expériences concrètes en protection de l'enfance - stages et apprentissage - ainsi que le recrutement par les conseils départementaux des jeunes diplômés dès leur sortie de formation.

D. LE LÉGISLATEUR NE DOIT PAS ENGAGER DE NOUVELLE RÉFORME AVANT QUE LES LOIS EN VIGUEUR NE SOIENT MISES EN oeUVRE

Le rapporteur estime que le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022, qui représentent, à elles trois, 131 articles législatifs. En dehors des ajustements pouvant s'avérer nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présenterait probablement plus d'inconvénients que d'avantages.

Accroître la distance entre les exigences normatives et la réalité ne peut que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels.

Alors que la secrétaire d'État Charlotte Caubel a souligné, devant la commission, la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022, le rapporteur est convaincu que la priorité est dorénavant à l'évaluation des dispositions en vigueur. Cette mission, qui aujourd'hui fait défaut, incombe au nouveau groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée et à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) en vertu de la loi du 7 février 2022. Afin de ne pas construire sur des bases mal assurées, tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse de la mise en oeuvre et de l'effet des précédentes réformes.

Liste des recommandations

 Assurer aux jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance sans soutien familial une réelle aide pécuniaire financée par l'État.

 Conduire des évaluations récurrentes des comités départementaux de la protection de l'enfance pour déterminer si, au terme de l'expérimentation, les conditions de remplacement des instances existantes par ces comités seront réunies.

 Mener davantage de contrôles exercés conjointement par les départements et les services déconcentrés de l'État portant sur la qualité de l'accueil des enfants protégés et la conformité des dispositifs aux lois.

 Renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les écoles de formation pour développer les expériences professionnelles en protection de l'enfance.

 Encourager la structuration de la formation en blocs de compétences permettant aux professionnels exerçant déjà leurs fonctions de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance.

 Ne pas engager de nouvelle réforme législative d'ampleur sans s'assurer de l'application des lois en vigueur par chaque acteur de la protection de l'enfance.

 Garantir les moyens au GIP France enfance protégée et à l'ONPE de recueillir des données statistiques et de mener des évaluations à même d'aider à l'orientation de la politique de protection de l'enfance.

*

* *

Réunie le mercredi 5 juillet 2023 sous la présidence de Catherine Deroche, la commission a adopté le rapport et les recommandations présentés par Bernard Bonne, rapporteur, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

Proposition n° 1

Assurer aux jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance sans soutien familial une réelle aide pécuniaire financée par l'État.

Proposition n° 2

Conduire des évaluations récurrentes des comités départementaux de la protection de l'enfance pour déterminer si, au terme de l'expérimentation, les conditions de remplacement des instances existantes par ces comités seront réunies.

Proposition n° 3

Mener davantage de contrôles exercés conjointement par les départements et les services déconcentrés de l'État portant sur la qualité de l'accueil des enfants protégés et la conformité des dispositifs aux lois.

Proposition n° 4

Renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les écoles de formation pour développer les expériences professionnelles en protection de l'enfance.

Proposition n° 5

Encourager la structuration de la formation en blocs de compétences permettant aux professionnels exerçant déjà leurs fonctions de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance.

Proposition n° 6

Ne pas engager de nouvelle réforme législative d'ampleur sans s'assurer de l'application des lois en vigueur par chaque acteur de la protection de l'enfance.

Proposition n° 7

Garantir les moyens au GIP France enfance protégée et à l'ONPE de recueillir des données statistiques et de mener des évaluations à même d'aider à l'orientation de la politique de protection de l'enfance.

LISTE DES SIGLES

A

 

Adepape

Association départementale d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance

AEDR

Aide éducative à domicile renforcée

AEMO

Assistance éducative en milieu ouvert

AFA

Agence française de l'adoption

APJM

Accueil provisoire de jeune majeur

ARS

Agence régionale de santé

ASE

Aide sociale à l'enfance

B

 

B2

Bulletin n° 2 du casier judiciaire

C

 

CASF

Code de l'action sociale et des familles

CDEF

Centre départemental de l'enfance et de la famille

CDPPE

Contrat départemental de prévention et de protection de l'enfance

CEJ

Contrat engagement jeunes

Cessec

Commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés

Ciivise

Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants

CNA

Conseil national de l'adoption

Cnaf

Caisse nationale des allocations familiales

Cnaop

Conseil national pour l'accès aux origines personnelles

Cnape

Convention nationale des associations de protection de l'enfance

CNFPT

Centre national de la fonction publique territoriale

Cnil

Commission nationale de l'informatique et des libertés

CNPE

Conseil national de la protection de l'enfance

CNPR

Conférence nationale des procureurs de la République

COJ

Conseil d'orientation des politiques de jeunesse

CRIP

Cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes

D

 

DGCS

Direction générale de la cohésion sociale

DPJJ

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

Drees

Direction de la recherche des études de l'évaluation
et des statistiques

Dreets

Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités

E

 

ENPJJ

École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse

ESSMS

Établissements et services sociaux et médico-sociaux

ETP

Équivalent temps plein

ETPT

Équivalent temps plein travaillé

F

 

Fijaisv

Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes

FNFPE

Fonds national de financement de la protection de l'enfance

G

 

GIP

Groupement d'intérêt public

Giped

Groupement d'intérêt public pour l'enfance en danger

H

 

HCFEA

Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

HAS

Haute Autorité de santé

I

 

Igas

Inspection générale des affaires sociales

IGJ

Inspection générale de la justice

IME

Institut médico-éducatif

IP

Information préoccupante

Itep

Institut thérapeutique éducatif et pédagogique

L

 

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

M

 

Mecs

Maison d'enfants à caractère social

MJIE

Mesure judiciaire d'investigation éducative

MNA

Mineur non accompagné

O

 

ODPE

Observatoire départemental de la protection de l'enfance

ONPE

Observatoire national de la protection de l'enfance

P

 

PJJ

Protection judiciaire de la jeunesse

PMI

Protection maternelle et infantile

PPE

Projet pour l'enfant

R

 

RSA

Revenu de solidarité active

S

 

SAH

Secteur associatif habilité

SMPT

Salaire mensuel par tête

Smic

Salaire minimum interprofessionnel de croissance

Snated

Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger

AVANT-PROPOS

Le rapport sur le bilan annuel de l'application des lois1(*) classe la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l'enfance parmi les textes à l'application réglementaire la plus lacunaire. Plus d'un an après sa promulgation, au 31 mars 2023, seules 37 % des mesures réglementaires attendues avaient été prises.

Ce retard du pouvoir réglementaire émousse l'autorité de la loi, freine l'application des dispositions par les parties prenantes et refroidit certains espoirs de changements rapides. Il s'agit cependant d'une situation provisoire qui devrait finir par se résoudre - le plus tôt étant le mieux. La mise en oeuvre fidèle des lois par les acteurs de la protection de l'enfance peut, quant à elle, demeurer en deçà des attentes bien après l'actualisation complète du système normatif.

La secrétaire d'État Charlotte Caubel, entendue par la commission des affaires sociales le 24 mai 2023, résume parfaitement ce double enjeu : « l'application de la loi recouvre deux réalités : la déclinaison réglementaire et la prise en compte des textes sur le terrain par les opérateurs, qui constitue une ambition encore plus importante ».

Cette interrogation quant à la mise en oeuvre effective de la loi du 7 février 2022 est d'autant plus prégnante que, lors des travaux préparatoires à cette loi, l'auteur du présent rapport, rapporteur pour la commission des affaires sociales du projet de loi, avait pu constater que le texte présenté au Sénat, « ne tir[ait] pas les conséquences du défaut d'application des dernières lois de 2007 et de 2016 »2(*). C'est pourquoi, déjà spécifiquement chargé du suivi de l'application de la loi du 7 février 20223(*), l'auteur du présent rapport a souhaité approfondir ce travail par une mission d'information relative à l'application des lois réformant la protection de l'enfance.

Cette mission d'information a donc pour objectif de dresser un bilan des trois lois principales - du 5 mars 2007, du 14 mars 2016 et du 7 février 2022 - ayant réformé la protection de l'enfance depuis une quinzaine d'années. Le rapporteur s'est attaché à évaluer si un décalage se fait jour entre des lois toujours plus ambitieuses et l'appropriation de leurs dispositions par les professionnels sur le terrain - services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), services déconcentrés de l'État, professionnels de la protection de l'enfance (éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs, assistants familiaux...).

Cette évaluation dépasse largement la seule mission de contrôle de l'action du Gouvernement incombant au Parlement. Entendu en audition, Gautier Arnaud-Melchiorre s'est interrogé : « Est-ce que cela a du sens, du point de vue de l'enfant, de savoir que les articles sont appliqués ou non ? ». La réponse la plus intuitive pourrait être négative ; les 377 000 enfants pris en charge par l'ASE en 2022 n'ont que faire de savoir si tel décret d'application a été publié ou si les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE) sont bien mis en place dans chaque département. En adoptant toutefois le point de vue des enfants, ainsi que l'invite Gautier Arnaud-Melchiorre, l'inapplication des lois visant à répondre à leurs besoins fondamentaux amoindrit la protection que le législateur a souhaité pour eux.

Le périmètre des lois concernées, comportant 131 articles à elles trois, est très large. Le champ de la mission d'information se limite donc à la protection de l'enfance dont le département est chef de file et comprenant, selon l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles, les « actions de prévention en faveur de l'enfant et de ses parents, l'organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection ».

En dépit de leur importance, certains aspects n'ont pu être investigués, tels la protection maternelle et infantile, les questions relatives à l'autorité parentale et au statut de l'enfant. De même, le présent rapport n'aborde pas spécifiquement les questions des mineurs non accompagnés (MNA) même si les jeunes reconnus MNA sont concernés par les absences d'application des lois comme tous les enfants pris en charge par l'ASE. Sur le sujet spécifique de leur évaluation et de leur accueil, le rapporteur ne peut que renvoyer le lecteur vers les précédents travaux du Sénat qui conservent toute leur pertinence et leur actualité4(*).

I. LES TROIS LOIS QUI SE SONT SUCCÉDÉ FORMENT UN ENSEMBLE NORMATIF AMBITIEUX ET COHÉRENT QUE LES TEXTES RÉGLEMENTAIRES N'ONT PAS ENCORE RENDU ENTIÈREMENT APPLICABLE

A. EN QUINZE ANS, TROIS LOIS IMPORTANTES SE SONT SUCCÉDÉ SANS SE DÉDIRE

Depuis la décentralisation de la protection de l'enfance, prévue par l'article 37 de la loi du 22 juillet 1983 qui prévoit que le département est responsable du service de l'aide sociale à l'enfance et en assure le financement, plusieurs lois sont intervenues dans le champ de la protection de l'enfance et ont profondément réformé cette politique publique.

1. Les lois fondatrices du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a, pour la première fois, clairement défini les objectifs assignés à la politique de protection de l'enfance et son champ d'intervention. Lors de l'examen du texte devant le Sénat, Philippe Bas, alors ministre délégué, exposait les trois directions que le projet de loi se proposait de suivre : « renforcer la prévention, pour venir en aide aux enfants et à leurs parents avant qu'il ne soit trop tard ; organiser le signalement, pour détecter plus tôt et traiter plus efficacement les situations de danger ; diversifier les modes de prise en charge, afin de les adapter aux besoins de chaque enfant ».

Liste des principales dispositions ayant trait à la protection de l'enfance au sein de la loi de 2007

Articles

Dispositions de la loi du 5 mars 2007

1er

Au sein de la définition de la protection de l'enfance et de ses missions, mention de la prévention et des besoins fondamentaux de l'enfant

3

Substitution de la notion de « situation de danger » ou de « risque de danger » à celle de la maltraitance pour l'intervention de la protection de l'enfance

12

• Mise en place des remontées des informations préoccupantes et création d'une cellule de recueil des informations préoccupantes dans chaque département

• Précision des critères fondant la décision du président du conseil départemental d'aviser le procureur de la République qu'un mineur est en danger selon un principe de subsidiarité

14

• Le procureur de la République doit s'assurer que la situation de l'enfant répond aux critères avant de saisir le juge des enfants.

• Précision selon laquelle le rapport sur la situation de l'enfant doit être transmis annuellement au juge des enfants

16

Création d'un observatoire départemental de la protection de l'enfance dans chaque département

17

Possibilité pour le juge de confier l'enfant à un service ou à un établissement habilité pour l'accueil de jour (LVA)

18

• Coordination entre le département et les services chargés de l'exécution des mesures de placement auprès d'autres services ou d'un particulier

• Précisions quant à la préparation du rapport sur la situation de l'enfant

19

Établissement du projet pour l'enfant par les services de l'ASE et les titulaires de l'autorité parentale

22

• Reconnaissance législative des services d'accueil de jour ou à temps partiel

• Le juge fixe la nature et la fréquence des droits de visite et d'hébergement des parents dont l'enfant est confié à l'ASE

• Reconnaissance législative des lieux pour des visites médiatisées

24

• Précision du statut des permanents des lieux de vie et d'accueil, notamment en matière de durée du travail

25

• Formation de tous les professionnels dans le domaine de la protection de l'enfance en danger

27

• Création d'un fonds de financement de la protection de l'enfance au sein de la Cnaf pour compenser les mesures issues de la présente loi

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

La loi du 5 mars 2007 a été donc été fondatrice pour organiser le dispositif de repérage et de traitement des situations de danger, insister sur l'importance de la prévention et consacrer « la primauté de l'intervention administrative sur la protection judiciaire ».

Cette loi a également prévu la place à accorder aux familles et elle a fait, sur ce point, l'objet de critiques la jugeant trop « familialiste ». La loi de 2016 aurait donc permis de corriger cette tendance en recentrant la politique de protection de l'enfance sur l'enfant. Selon la convention nationale des associations de protection de l'enfance (Cnape), entendue en audition, « ce texte effectue un rééquilibrage entre les droits des enfants et l'autorité parentale. Sans révolutionner le dispositif, il se traduit par un changement de place accordée aux parents ».

Pourtant, avec le recul, le rapporteur constate que la grande force des trois lois réside dans la grande continuité de leurs actions ; le législateur est intervenu sans défaire ce qu'il avait précédemment construit. La loi de 2016 d'initiative sénatoriale a permis, grâce à la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, de capitaliser sur les avancées de la loi de 2007 et de compléter le droit des dispositions qui faisaient encore défaut, ne revenant qu'à la marge sur certaines dispositions. Ainsi que l'a souligné au rapporteur le Dr Marie-Paule Martin-Blachais, qui a dirigé la démarche de consensus, les lois de 2007 et 2016 ont su poser la « doctrine de la protection de l'enfance » sous le prisme des besoins fondamentaux de l'enfant.

Ainsi que Michelle Meunier, sénatrice et auteure de la proposition de loi devenue la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, le présentait lors de la discussion générale de ce texte, la loi de 2007 « est considérée comme une bonne loi, mais elle nécessite quelques aménagements et compléments »5(*). Le texte de 2016, selon Michelle Meunier, comportait initialement trois volets : « l'amélioration de la gouvernance de la protection de l'enfance, la sécurisation du parcours de l'enfant et la recherche d'une plus grande stabilité, avec en particulier l'adaptation du statut des mineurs qui font l'objet de placements longs ». La navette parlementaire a, par la suite, approfondi les dispositions et largement complété le texte par des amendements gouvernementaux.

Liste des principales dispositions ayant trait à la protection de l'enfance au sein de la loi de 2016

Article

Dispositions de la loi du 14 mars 2016

1er

• Définition de la protection de l'enfance

• Institution du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE)

2

Définition d'une nouvelle mission assignée à l'ODPE de réaliser un bilan annuel des formations continues

5

Disposition selon laquelle le directeur de l'enseignement scolaire doit informer le conseil départemental en cas d'absentéisme ou de décrochage scolaire

7

Création de la fonction de médecin référent de la protection de l'enfance

12

Enrichissement des missions de l'ASE par :

- des actions de prévention spécialisée

- une attention portée à l'adaptation du statut de l'enfant

- une attention portée aux liens d'attachement au sein des fratries

13

Possibilité donnée au président du conseil départemental de confier l'enfant à un tiers bénévole lorsqu'il n'est pas accueilli au titre de l'ASE

14

Obligation d'échange d'informations entre conseils départementaux (L. 221-3 CASF)

15

Création de l'entretien d'accès à l'autonomie

16

Obligation d'accompagner les jeunes majeurs jusqu'à la fin de l'année académique engagée

17

Création d'un protocole entre le département, le préfet et la région pour préparer l'accès à l'autonomie

18

Accompagnement des enfants retournant dans leur famille

20

Prise en charge possible à l'ASE des parents ou des futurs parents pour les soutenir dans l'exercice de leurs fonctions

21

• Précision du contenu du projet pour l'enfant, transmission au juge et mise à jour

• Mention du document individuel de prise en charge et du contrat d'accueil dans un établissement

26

Création de la commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés

27

Information du juge en cas de déplacement de l'enfant

28

Précision du contenu du rapport sur la situation de l'enfant en prévoyant un référentiel fixé par décret

37

Indépendance de l'administrateur ad hoc désigné en assistance éducative

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Entendu par le rapporteur en audition, Gautier Arnaud-Melchiorre, chargé d'une mission par le secrétaire d'État Adrien Taquet, expose ainsi : « La loi de 2007 est une loi fondatrice qui a posé le cadre général après la décentralisation de la politique publique de protection de l'enfance. La philosophie de cette loi est bien souvent méconnue, durant toute la mission, des professionnels ont pu opposer la loi de 2007 comme étant une “loi tout famille” à la loi de 2016 qui permettrait de rétablir un équilibre au profit des enfants et de leurs droits, notamment dans le cadre de leurs relations avec leurs familles. Il est possible qu'ayant été mal comprise la loi de 2007 puisse être mal appliquée. »

2. La loi du 7 février 2022 dans le sillage des lois précédentes

L'auteur du présent rapport avait eu l'occasion, en tant que rapporteur du texte, d'indiquer lors de la discussion générale en séance publique, que le projet de loi « ne port[ait] pas de réforme en profondeur de la protection de l'enfance » mais apportait davantage des ajustements et des améliorations voire « répét[ait] des principes ou des dispositifs qui existent déjà ». Le projet de loi, qui passa de 16 à 42 articles lors de son examen, fut par la suite enrichi par la discussion parlementaire.

Liste des principales dispositions ayant trait à la protection de l'enfance au sein de la loi de 2022

Article

Dispositions de la loi du 7 février 2022

1er

Obligation d'évaluer le recours à un tiers digne de confiance avant un placement institutionnel

5

Principe de non-séparation des fratries lorsque l'intérêt de l'enfant n'exige pas le contraire

7

Interdiction de l'hébergement hôtelier et encadrement de l'accueil pour deux mois dans des structures « jeunesse et sport »

9

Parrainage de proximité

10

Prise en charge des jeunes majeurs de moins de 21 ans

17

Mise en place d'une personne majeure de confiance pour aider aux démarches administratives

20

Contrôle du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) des professionnels travaillant dans le champ social

21

Contrôle du Fijaisv des assistantes maternelles et extension du contrôle du B2 et du Fijaisv aux personnes de plus de treize ans vivant au sein du foyer d'une assistante maternelle

22

Prévention de la maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

24

Évaluation des informations préoccupantes au regard d'un référentiel établi par la HAS.

25

Recours à la collégialité en assistance éducative pour les cas particulièrement complexes

26

Désignation d'un avocat pour l'enfant capable de discernement ou d'un administrateur ad hoc

27

Information du juge de la décision de modification du lieu de placement

28

Revalorisation des rémunérations et indemnisations des assistants familiaux

29

Mise en place de week-ends de repos pour les assistants familiaux prévus dans le contrat de travail

30

Création d'une base nationale recensant les informations relative aux agréments des assistants familiaux et maternels

31

Poursuite de l'accueil par l'assistant familial au-delà de la limite d'âge

36

Réforme de la gouvernance nationale par la création du GIP France enfance protégée

37

Réforme de la gouvernance territoriale par la création, à titre expérimental, du comité départemental de protection de l'enfance (CDPE)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

De fait, la loi du 7 février 2022 est venue construire dans le sillage de ses deux prédécesseures. Le recours à la loi pour améliorer la politique de protection de l'enfance ne fut d'ailleurs envisagé que « chemin faisant » par le Gouvernement sous la XVe législature. Le secrétaire d'État présentait à la commission le projet de loi comme « une brique législative au sein de la stratégie de protection des enfants un peu plus globale »6(*). Moins structurelle que les deux précédentes, la loi n'en pas moins porté des mesures d'amélioration déterminantes. Pour Adrien Taquet, « tout le monde s'accorde à dire qu'il y a un certain nombre d'avancées majeures »7(*).

Les trois lois de 2007, 2016 et 2022 forment désormais un ensemble normatif cohérent qui ne rencontre aujourd'hui que très peu de critiques. Il ressort des auditions du rapporteur qu'à quelques exceptions près, les acteurs de la protection de l'enfance saluent le travail législatif d'ensemble de ces quinze dernières années qui aboutit à un droit cohérent et exigeant.

Cette « cathédrale normative », en grande partie codifiée dans le code de l'action sociale et des familles, reste incomplète dès lors que la loi du 7 février 2022 ne produit pas encore tous ses effets juridiques. En effet, l'application réglementaire un an et demi après la promulgation de la loi demeure en deçà des attentes.

B. L'APPLICATION RÉGLEMENTAIRE LABORIEUSE DE LA DERNIÈRE LOI DU 7 FÉVRIER 2022 BÉNÉFICIE TOUTEFOIS DE QUELQUES CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES

Le rapporteur ne peut que s'associer au constat dressé dans le rapport sur l'application des lois de Pascale Gruny : « Plus d'un an après sa promulgation, la loi relative à la protection des enfants souffre d'une application très insuffisante avec seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ayant été prises. Dix-sept textes réglementaires sont encore en attente de publication auxquels s'ajoutent une ordonnance dont le délai d'habilitation a expiré et un rapport au Parlement non rendu. Ainsi, sur les 42 articles de la loi, seuls 28 sont applicables en l'état »8(*).

Entendue par la commission des affaires sociales sur ce sujet9(*), Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance, a toutefois annoncé que de nombreux décrets, en cours d'examen devant le Conseil d'État, devraient être publiés avant l'été 2023, ce qui porterait à 75 % le taux d'application de la loi.

Devant la commission, la secrétaire d'État a avancé plusieurs éléments d'explication pour cette application réglementaire retardée tenant aux conditions dans lesquelles cette loi avait été examinée et promulguée. D'une part, « cette loi ayant été adoptée à la fin du précédent quinquennat, les administrations se sont retrouvées dans la période particulière des élections et il a fallu attendre la nomination d'un nouveau gouvernement pour que le processus puisse s'enclencher ». D'autre part, Charlotte Caubel expliquait : « Nombre de ses dispositions avaient fait l'objet d'études d'impact un peu rapides, y compris du point de vue financier pour les départements. J'ai donc repris des discussions approfondies avec les conseils départementaux, dans un contexte tendu pour la protection de l'enfance. Cela explique une partie des délais. » Enfin, la secrétaire d'État rappelait à la commission que bon nombre de textes réglementaires demandaient la consultation d'instance dont le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) lequel « très légitimement [...] prend du temps pour examiner ces décrets ». Le CNPE a dû être renouvelé et s'adapter à ses nouveaux statuts précisément issus de la loi du 7 février 2022, ce qui explique, à plus forte raison, le retard.

Le rapporteur entend bien volontiers ces arguments et prend note que le Gouvernement reconnaisse ainsi la faiblesse des études d'impact proposées au Parlement, en particulier, lorsqu'il s'agit de lois venant accroître les charges supportées par les collectivités territoriales. Il note toutefois que l'installation du nouveau CNPE, intervenue le 23 juin 2023, a été tardive alors qu'il pouvait s'agir là d'une mesure prioritaire afin de ne pas retarder la parution des textes réglementaires.

1. Les mesures ayant reçu une application réglementaire
a) Le repérage des situations de danger

L'article 24 de la loi a prévu que le traitement des informations préoccupantes (IP) se fasse selon un référentiel national d'évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant approuvé par décret après avis de la Haute Autorité de santé. Un décret du 30 décembre 202210(*) a approuvé le référentiel11(*) qui avait été publié par la HAS le 11 février 2021, comme le Gouvernement l'avait indiqué lors de l'examen du projet de loi. Il reste toutefois symptomatique de la lenteur de l'application réglementaire qu'un référentiel, dont la publication sur le site internet de la HAS a précédé la loi, ait été approuvé plus de dix mois après la promulgation de cette dernière.

L'article 24 a également prévu que toute personne signalant une situation de danger doit être informée, dans un délai de trois mois, par le président du conseil départemental des suites données à cette IP. Lorsque les personnes ont eu connaissance de la situation à l'occasion de leur activité professionnelle ou d'un mandat électif, les suites communiquées le sont « dans le respect de l'intérêt de l'enfant, du secret professionnel et dans des conditions déterminées par décret ». Le décret du 29 décembre 202212(*) détermine que cette information est de principe, sauf si elle est contraire à l'intérêt de l'enfant, si elle risque de faire courir un danger à l'enfant ou si elle est susceptible de faire courir un risque à la personne émettrice de l'information, si elle vit au domicile de l'enfant. De même, les éléments transmis à la personne émettrice « s'apprécient au regard du respect de l'intérêt de l'enfant, du respect du droit à la vie privée et familiale et du secret professionnel ».

b) La rémunération des assistants familiaux : un décret conforme aux attentes du législateur

L'article 28 a sécurisé la rémunération des assistants familiaux au niveau du salaire minimal interprofessionnel de croissance (Smic) dès l'accueil d'un enfant. Il a également prévu le maintien de la rémunération en cas de suspension de l'agrément. Un décret du 31 août 2022 a détaillé les nouvelles modalités de détermination de la rémunération13(*) qui s'appliquent dès le 1er septembre 2022.

• La rémunération sera désormais « constituée d'autant de parts que d'accueils envisagés par le contrat de travail. La part correspondant au premier accueil ne peut être inférieure au salaire minimum interprofessionnel de croissance mensuel. Les parts correspondant à chaque accueil supplémentaire ne peuvent être inférieures à 70 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance par mois et par enfant »14(*).

• Le décret prévoit ainsi que l'indemnité de disponibilité accordée aux assistants familiaux spécialisés dans les accueils d'urgence ne peut être « inférieure à 2,25 fois le montant du salaire minimum de croissance, sans pouvoir être inférieure à 90 % de la rémunération prévue par le contrat de travail » conformément à la loi qui dispose que cette indemnité ne peut être inférieure à l'indemnisation en cas d'accueil non pourvu, dans le cadre d'un accueil habituel, qu'elle fixe à 80 % de la rémunération.

Les dispositions prévues par le décret sont donc conformes à l'article 28 de la loi du 7 février 2022 qui produit ses effets normatifs depuis le 1er septembre 2022. La mise en oeuvre par les départements de ces dispositions sera abordée plus loin dans ce rapport.

c) La gouvernance de la protection de l'enfance : une application tardive
(1) La gouvernance nationale

• L'article 36 de la loi prévoit une refonte des instances nationales existantes dans le champ de la protection de l'enfance au sein d'un nouveau groupement d'intérêt public (GIP) aux missions élargies. Le nouveau GIP assure des missions opérationnelles, notamment celles exercées par le précédent GIP Enfance en danger. Il assure également le secrétariat général de trois conseils nationaux : Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) et du Conseil national de l'adoption (CNA).

La convention constitutive du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée a été approuvée par arrêté du 10 décembre 202215(*) ; le nouveau GIP s'est donc substitué aux anciennes instances depuis le 1er janvier 2023. Le conseil d'administration a, conformément à la loi16(*), élu un président de conseil départemental, en la personne de Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire. En outre, la loi de finances pour 2023 a prévu, à titre dérogatoire, que la participation financière de l'État pourra être supérieure à celle des départements en 2023, alors que l'article 36 prévoit un financement à parts égales.

• La loi prévoit également qu'un décret doit prévoir la composition, les modalités renouvelées d'organisation et de fonctionnement du CNPE, ainsi que les conditions de réunions du CNPE, du Cnaop et du CNA.

Un décret paru le 30 décembre 202217(*) redéfinit les missions du CNPE, ainsi que la composition de ses cinq collèges dont le nouveau « collège des enfants et des jeunes protégés ou sortant des dispositifs de la protection de l'enfance ». La présidence du CNPE n'est plus assurée par le ministre chargé de l'enfance mais par un membre désigné par le ministre au sein du collège des personnalités qualifiées. Le décret précise également que le nouveau GIP France enfance protégée assure le secrétariat du Conseil national de la protection de l'enfance, conformément à la loi, et qu'« à cette fin, il organise les moyens humains, financiers et logistiques nécessaires à son bon fonctionnement ». Enfin, le décret prévoit les conditions de réunion du CNPE, du Cnaop et du CNA. Un décret du 21 avril 202318(*) apporte également quelques ajustements pour tirer les conséquences réglementaires de la création de France enfance protégée.

Les membres du CNPE avaient été renouvelés après la promulgation de la loi par un arrêté du 29 avril 2022 avant même la parution des mesures réglementaires permettant l'installation du CNPE dans sa nouvelle version. Finalement, un premier arrêté du 23 mai 202319(*) a désigné les associations membres du nouveau CNPE tandis que, par un second arrêté du 7 juin 202320(*), la secrétaire d'État chargée de l'enfance a procédé à la désignation des membres des cinq collèges du CNPE et nommé comme présidente du conseil Anne Devreese, directrice générale adjointe chargée de l'enfance, des familles et de la santé au conseil départemental du Nord, jusqu'alors vice-présidente.

(2) La gouvernance au sein des départements

À l'initiative du Sénat, l'article 37 a prévu, à titre expérimental, dans les départements volontaires, un comité départemental pour la protection de l'enfance (CDPE) coprésidé par le président du département et le préfet avec comme mission d'assurer la coordination des politiques publiques mises en oeuvre dans le département en matière de protection de l'enfance. La loi a également prévu qu'il puisse se réunir, le cas échéant en formation restreinte, pour coordonner les actions menées pour la prise en charge. La liste des départements concernés et les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret.

Un premier décret du 30 décembre 202221(*) a précisé les membres du CDPE en ajoutant notamment des représentants des associations d'usagers, anciens usagers ou leurs familles. Il a également prévu que le procureur de la République est vice-président du comité. Le décret détermine les modalités de réunion et d'organisation du CDPE, ainsi que la coordination avec l'observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE).

Un décret du 23 mars 202322(*) a fixé la liste de dix départements expérimentateurs : Bouches-du-Rhône, Cher, Drôme, Eure-et-Loir, Loiret, Maine-et-Loire, Nord, Pas-de-Calais, Pyrénées-Atlantiques et Somme. Lors de son audition du 24 mai 2023, la secrétaire d'État a indiqué à la commission espérer élargir cette expérimentation à d'autres départements, avec, si possible, un département ultramarin.

2. Les mesures inapplicables faute de texte réglementaire
a) L'évaluation de l'option d'un accueil chez un tiers digne de confiance

L'article 1er prévoit que, dans le cadre de l'accueil d'un enfant protégé chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance, en l'absence de mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), un référent du service de l'ASE ou d'un organisme public ou privé habilité informe et accompagne la personne accueillante selon des conditions définies par décret en Conseil d'État. Ce décret a fait l'objet de concertation approfondie selon le Gouvernement, et se trouvait, à la date du 5 juin, en cours de publication.

b) L'accompagnement des enfants protégés

L'absence de parution des textes d'application prive d'effets juridiques certaines dispositions améliorant l'accompagnement des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).

L'article 9 dispose qu'un parrainage par des personnes bénévoles doit être proposé systématiquement aux enfants confiés à l'ASE, avec l'accord des parents. La loi laisse le soin à un décret de fixer les règles encadrant le parrainage, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage.

Selon les informations communiquées au rapporteur, le projet de décret a fait l'objet de nombreuses consultations et doit encore être soumis au Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et au Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN) pour une publication en juillet.

L'article 17 permet au mineur accueilli par l'ASE de désigner, selon des modalités prévues en décret, une personne majeure de confiance afin de l'accompagner dans ses démarches administratives. Cette mesure réglementaire n'a pas encore été publiée.

c) L'organisation de la justice en assistance éducative
(1) Les mesures d'application directe

La loi du 7 février 2022 comporte plusieurs dispositions concernant l'organisation de la justice ou l'office du juge en assistance éducative. Dès le 3 mai 2022, le garde des sceaux a publié une circulaire à destination des parquets et des directeurs interrégionaux de la protection judiciaire de la jeunesse, communiquée également aux magistrats du siège pour information, afin d'exposer les mesures d'application directe à mettre en oeuvre sans tarder23(*). À titre d'exemple, l'article 26 prévoit l'audition systématique du mineur capable de discernement par le juge des enfants en assistance éducative. Il prévoit également la désignation d'office, ou à la demande de l'ASE, par le juge d'un avocat pour l'enfant capable de discernement lorsque son intérêt l'exige. Pour l'application de cette mesure, le garde des sceaux a incité à la mise en place de conventions de partenariat entre les tribunaux judiciaires et les barreaux24(*).

(2) Un décret du ministère de la justice encore attendu

Trois articles touchant à l'organisation de la justice nécessiteraient des précisions par décret voire sont inapplicables dans l'attente de leur texte réglementaire. L'article 14 permet au juge des enfants de proposer aux parents une mesure de médiation familiale25(*) et désigner un médiateur familial pour y procéder dans des conditions définies par décret. L'article 25 prévoit que le juge des enfants peut renvoyer un cas complexe à une formation collégiale en assistance éducative. Le Gouvernement indique qu'un décret doit venir fixer les modalités de recours à la collégialité. Enfin, le Gouvernement prévoit de déterminer par décret les droits accordés à l'administrateur ad hoc désigné par le juge des enfants, soit d'office, soit à la demande du président du conseil départemental, pour le mineur non capable de discernement lorsque son intérêt l'exige, en vertu de l'article 26.

Selon les informations communiquées à la commission par Charlotte Caubel, les trois mesures décrites ci-avant doivent faire l'objet d'un unique décret porté par le ministère de la justice sur lequel « une légère complication » est apparue. Le Conseil d'État a demandé au Gouvernement de mener de nouvelles consultations auprès des comités sociaux d'administration (CSA) après que les premières consultations ont été conduites devant les anciens comités techniques, antérieurs à la réforme du dialogue social dans la fonction publique. Le retard dans la parution de ces textes a privé la loi d'effet juridique notamment sur le recours à la collégialité qui n'a pas encore été expérimenté.

d) Un meilleur contrôle des accueils des enfants pour prévenir la maltraitance
(1) La prévention de la maltraitance dans les établissements

L'article 22 prévoit que le projet de chaque établissement médico-social doit formaliser la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance mise en oeuvre par l'établissement ou le service, notamment en matière de gestion du personnel et de contrôle. Ce projet devra désigner une autorité extérieure à l'établissement ou au service, indépendante du conseil départemental et choisie parmi une liste arrêtée conjointement par le président du conseil départemental, le préfet et l'agence régionale de santé (ARS). En cas de difficulté, les personnes accueillies peuvent se tourner vers cette autorité qui, par ailleurs, est autorisée à visiter l'établissement à tout moment. Un décret doit définir le contenu minimal du projet, des modalités d'association du personnel et des personnes accueillies à son élaboration, ainsi que des conditions de sa diffusion une fois établi.

Ce décret, pourtant indispensable à l'application de la loi, n'a pas été publié. Le rapporteur s'en étonne d'autant plus que ce décret ne lui semble pas des plus sensibles. Son absence ne participe pas à insuffler la culture d'une prévention efficace de la maltraitance que le Gouvernement semblait promouvoir en introduisant, par amendement au Sénat, l'article 23 la définissant au sein du code de l'action sociale et des familles26(*).

(2) Le contrôle des agréments des assistants familiaux et maternels

L'article 30 crée une base nationale, gérée par le GIP France enfance protégée, recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux, ainsi que les suspensions et retraits des assistants maternels. Un décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) doit définir les conditions de recensement et les informations contenues dans cette base. D'après les informations portées à la connaissance de la commission, cette question n'a pas fait l'objet d'un chantier juridique dès la promulgation de la loi mais a été suspendue le temps qu'elle soit intégrée aux travaux du GIP. France enfance protégée étant désormais constitué, la secrétaire d'État, lors de son audition du 24 mai 2023, a indiqué que « les travaux en cours avec la Cnil sont riches. Nous en sommes au stade de l'analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD). »

e) L'interdiction de l'hébergement hôtelier constitue le cas le plus problématique

À compter de 2024, l'hébergement en hôtel des enfants pris en charge au titre de l'ASE sera formellement interdit en vertu de l'article 7 de la loi du 7 février 2022. En dehors des établissements sociaux et médico-sociaux, il restera possible, à titre exceptionnel, de les accueillir au sein de structures « jeunesse et sport », mais seulement en cas d'urgence et pour deux mois maximum, sous des conditions d'encadrement définis par décret. Entre la promulgation de la loi et l'entrée en vigueur de cette interdiction, l'accueil en hôtel des enfants protégés n'est rendu possible que pour un délai maximal de deux mois et sous des normes d'encadrement précisées, elles aussi, par décret.

Aucun de ces deux textes d'application n'a encore été publié quand bien même, comme le note le rapport de Pascale Gruny, « le décret encadrant l'accueil hôtelier durant la période dérogatoire de deux ans présentait un caractère prioritaire »27(*).

Cette « situation absurde »28(*), pour reprendre les propos de la présidente Catherine Deroche, revient à ce que la parution retardée de ce texte n'intervienne alors que plus des deux tiers de la période transitoire se sera écoulée, contrevenant à la volonté du législateur.

Selon les informations transmises à la commission, le décret encadrant l'accueil durant le temps restant de la période transitoire devrait bientôt être publié et comprendra une interdiction d'héberger des mineurs de moins de seize ans et des mineurs en situation de handicap. L'accueil ne pourra dépasser deux mois conformément à la loi.

La direction générale de la cohésion sociale (DGCS), entendue en audition, a ainsi expliqué que le resurgissement de la question des MNA a remis en cause le consensus obtenu sur l'interdiction de l'hébergement hôtelier. Les discussions avec les départements ont donc dû reprendre après la promulgation de la loi. La secrétaire d'État a également pointé que « l'impact financier de ce décret très sensible n'a pas été bien pris en compte »29(*).

3. L'ordonnance pour l'application des mesures en outre-mer n'a pas été jugée nécessaire

L'article 42 de la loi habilitait, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions relevant du domaine législatif pour adapter la loi en outre-mer et étendre les dispositions concernant l'interdiction de l'hébergement hôtelier et le renforcement des mesures d'assistance éducative en milieu ouvert en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ainsi qu'à Wallis-et-Futuna. La commission a eu l'occasion de regretter que délai d'habilitation ait expiré sans qu'une ordonnance ne soit publiée.

Interrogée sur l'application de la loi du 7 février 2022 par Catherine Deroche, présidente de la commission, Franck Riester, ministre des relations avec le Parlement, expliquait qu'« après réexamen par les services, cette habilitation n'a finalement pas été mise en oeuvre. Cette situation ne soulève toutefois pas de difficultés de fond, car il n'y a pas de problématique particulièrement signalée en matière de mineurs non accompagnés (MNA) dans les territoires concernés. »30(*) Le rapporteur ne peut que s'étonner de ces éléments de réponse puisque le champ de l'habilitation dépassait largement le seul sujet des MNA. En outre, si l'absence d'utilité de cette habilitation est avérée, se pose de nouveau la question de la qualité des travaux préparatoires à la loi et de l'étude d'impact.

II. LE DÉCALAGE ENTRE L'AMBITION DES LOIS ET LEUR MISE EN oeUVRE S'ACCENTUE GLOBALEMENT MALGRÉ QUELQUES PROGRESSIONS SUR DES AXES CIBLÉS ET CERTAINS EFFORTS LOCAUX POUR LE RÉSORBER

A. L'ENTRÉE DE L'ENFANT DANS LE DISPOSITIF DE PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE DÉJUDICIARISATION QUI N'A PAS EU LIEU

1. La primauté de la décision administrative ne s'est pas traduite par une diminution de l'intervention judiciaire

La loi du 5 mars 2007 avait comme ambition de privilégier la décision administrative de protection d'un enfant par le président du conseil départemental à l'intervention judiciaire. Pour cela, l'article 12 de la loi modifie l'article L. 226-4 du code de l'action sociale et des familles (CASF) qui désormais fixe les cas précis dans lesquels la protection judiciaire de l'enfance en danger prend le pas sur la protection administrative31(*). L'article 14 a ajouté à l'article 375 du code civil l'obligation pour le ministère public, avisé par le président du conseil départemental, de s'assurer que la situation du mineur entre dans le champ d'application de l'article L. 226-4 précité avant de saisir le juge des enfants. Selon André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, « le principe de subsidiarité de l'intervention du juge donne, enfin, un outil pour définir la ligne de partage entre ces deux modes de protection complémentaires »32(*).

Aucune déjudiciarisation ne s'est cependant produite, ce que le rapporteur regrette. La part des mesures d'ASE faisant suite à une décision du juge est stable depuis 1996, oscillant entre 77 % et 79 %. Selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), en 2021, cette proportion diminue légèrement pour s'établir à 75,04 % en raison d'une forte hausse (+ 8 % par rapport à 2020) des mesures administratives d'accueil à l'ASE portée par le développement des accueils provisoires de jeune majeur (APJM). L'entrée des mineurs dans le dispositif de protection de l'enfance n'est donc pas moins judiciarisée.

Cette judiciarisation des mesures de placement à l'ASE trouve plusieurs raisons. La Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), auditionnée par le rapporteur, avance la multitude de cas d'adhésion « de façade » des parents ou de refus d'un parent alors que l'accord des deux parents est nécessaire pour une protection administrative. Le syndicat de la magistrature s'interroge ainsi : « Sont-ils nombreux, ces parents prêts à reconnaître qu'ils mettent leur enfant en danger et accepter de le confier à un tiers sur proposition de l'administration ? Assurément non. La marge de déjudiciarisation en la matière est donc minime et l'inscription dans le code civil du principe de subsidiarité [...] n'y changera rien. »

Les professionnels de l'aide sociale à l'enfance peuvent également trouver préférable, car plus sécurisant pour leur action, de travailler avec une intervention judiciaire. En outre, selon la CNPR, certains territoires sont dépourvus de dispositifs de prise en charge adaptée, notamment d'aide éducative à domicile renforcée (AEDR), ce qui rend nécessaire de se tourner vers l'autorité judiciaire pour demander une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOr). Ce point également est souligné par la Cnape : des « conseils départementaux ne se sont pas saisis [de la loi], n'ont pas revu l'organisation de leurs services afin de créer des conditions adéquates d'accompagnement, des dispositifs et une offre de prise en charge nécessaires. La prévention demeure le parent pauvre de la protection de l'enfance ». Selon la CNPR, « en pratique, la capacité d'action des conseils départementaux au regard de la quantité de décisions judiciaires les empêche d'être chef de file ».

La Cour des comptes pointe également que la reconduction des AEMO par les juges se fait souvent sans évaluation réelle alors qu'elles pourraient souvent être poursuivies sous un régime administratif33(*). Plus généralement, la sortie des dispositifs judiciaires de protection de l'enfance reste encore à mieux organiser ; les magistrats décrivent une absence de continuité entre les services qui interviennent sur mandat judiciaire et les services répondant aux décisions des départements. Cette difficulté de coordination empêche donc à la protection administrative de prendre le relais.

Enfin, la déjudiciarisation n'aurait pas été obtenue en raison d'une tradition du recours au juge trop influente. À cet égard, Édouard Durand, co-président de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) et juge des enfants, a insisté auprès du rapporteur sur l'originalité de notre modèle qui tient à la présence d'un juge, figure des enfants auprès des parents et auprès des professionnels de l'ASE. Réduire la judiciarisation des mesures de protection de l'enfance ne correspondrait donc pas, selon lui, à notre paradigme.

2. Les difficultés rencontrées par la justice en assistance éducative
a) L'encombrement des cabinets des juges des enfants et le manque de moyens pour appliquer les lois

Dans plus de trois quarts des situations d'enfance en danger, l'autorité judiciaire intervient donc et se trouve confrontée à des difficultés qui, à bien des égards, apparaissent grandissantes.

En premier lieu, l'encombrement de leur cabinet détériore l'action des juges des enfants. Un groupe de travail de 2012 avait proposé de fixer à 350 dossiers d'assistance éducative par magistrat, voire 290 en cas d'activité pénale soutenue, la charge de travail raisonnable afin de répondre « à l'impératif de qualité de la justice des mineurs tant au civil (traitement rapide et approfondi des situations) qu'au pénal (réponse pénale adaptée à la personnalité du mineur dans des délais raisonnables, motivation de toutes les décisions) et intégr[ant] la part qui doit être normalement consacrée à l'activité soutien »34(*). La situation, selon Gisèle Delcambre, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ne cesse de se détériorer avec un nombre de dossiers par juge qui atteint souvent le double de cette norme recommandée. En 2017, les juges des enfants à Bordeaux avaient en charge 608 dossiers en moyenne contre 514 en février 201435(*). Des créations de postes de juges des enfants ont été prévues par le ministère de la justice mais ces derniers ont été fléchés en priorité dans les tribunaux avec une forte activité pénale. Cette surcharge de dossiers allonge les délais de saisine et d'audiencement par les juges, ce qui prive les enfants d'intervention judiciaire rapide.

Le manque de moyens est également criant du côté des parquets dont l'absence lors des audiences d'assistance éducative est habituelle. La circulaire du 28 mars 202336(*) érige la lutte contre les violences faites aux mineurs comme une priorité absolue pour les parquets à porter à « un niveau équivalent à celui mis en oeuvre en matière de violences intrafamiliales ». Sans moyens supplémentaires, la CNPR redoute que les parquets ne soient pas en capacité d'atteindre un tel niveau d'exigence.

En second lieu, les décisions de l'autorité judiciaire sont loin de trouver une application directe et immédiate. Le syndicat de la magistrature pointe que « les données issues des juridictions pour mineurs montrent que de très nombreuses mesures de protection de l'enfance prononcées par les juges des enfants ne sont pas exécutées ou alors si tardivement qu'elles en deviennent inutiles ». De même, les ordonnances de placement provisoire prises en urgence par le parquet ne sont pas toujours mises à exécution immédiatement.

Cette situation est toutefois variable selon les départements : le rapporteur a pu constater que certains départements parviennent à appliquer globalement toutes les mesures judiciaires alors que la situation est critique ailleurs. Dans ces territoires, les magistrats peuvent avoir le sentiment que la demande doit s'adapter à l'offre alors que, ainsi que l'explique Gisèle Delcambre, « nous ne pouvons pas surseoir à statuer parce que nous savons que la décision judiciaire ne sera pas appliquée ». Lorsque la situation est urgente, le juge doit souvent faire appel à des partenariats informels et s'employer à trouver lui-même une place pour l'enfant qu'il s'apprête à confier à l'ASE, quitte à ce que la solution d'accueil ne soit pas l'option la plus adaptée.

Le rapporteur constate que les magistrats semblent désarmés face à l'inexécution ou les délais allongés de mise en oeuvre de leurs décisions par les départements. « Personne ne saisit le juge de l'exécution des décisions : il faudrait que ce soit plus facile - mais les parents ne le font pas bien entendu » estime Gisèle Delcambre. La CNPR a présenté une situation identique au rapporteur en déplorant l'impossibilité de mettre en place une quelconque contrainte sur les conseils départementaux pour l'application des décisions de l'autorité judiciaire. Elle a toutefois souligné qu'en n'exécutant pas les décisions des procureurs de la République ou des juges des enfants, les présidents de conseil départemental s'exposent à ce que leur responsabilité pénale soit engagée en cas de drame. L'enjeu de la mise en oeuvre et des délais d'exécution des décisions de placement et d'AEMO a été bien été soulevé par la DGCS et la DPJJ en audition qui ont souligné que les nouveaux comités départementaux de la protection de l'enfance, prévus à titre expérimental, « sont la bonne instance pour discuter de la question de l'exécution des décisions judiciaires ».

b) Le suivi au long court impossible par les juges des enfants : un rôle pour l'avocat de l'enfant

Parmi les difficultés liées à la fréquence de l'intervention judiciaire, le rapporteur note le manque répandu de stabilité des juges des enfants dans leur fonction. L'importante rotation des magistrats empêche les enfants d'avoir un suivi mené par un même juge pendant leur parcours en protection de l'enfance. Pour le rapporteur, cette situation pourrait être palliée par une présence plus fréquente de l'avocat pour l'enfant, lequel a davantage l'opportunité de suivre les enfants dont il a la charge tout au long de leur parcours en assistance éducative.

La loi du 7 février 2022 a permis au juge des enfants, d'office ou à la demande du président du conseil départemental, de demander, lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige, la désignation d'un avocat pour l'enfant capable de discernement et d'un administrateur ad hoc pour l'enfant non capable de discernement.

Sans devenir une pratique généralisée, cette possibilité de désigner un avocat a essaimé dans plusieurs juridictions depuis la loi du 7 février 2022. Les juges qui ont développé la pratique de demander systématiquement la désignation d'un avocat en sont assez satisfaits selon l'AFMJF.

La loi a également conforté les pratiques préexistantes des tribunaux. En Eure-et-Loir, la désignation d'un avocat est proposée aux enfants discernants, par les juges, depuis trois ans. Cette solution satisfait le conseil départemental, qui envisage, en outre, de faire usage de la possibilité de demander au juge la désignation d'un avocat.

Il semble, en revanche, que les désignations d'administrateur ad hoc n'aient pas été sensiblement accrues par la loi en raison d'un faible nombre d'administrateurs ad hoc dans les départements.

c) La mise en oeuvre difficile des innovations de la loi du 7 février 2022

La surcharge de travail pèse sur la qualité de la procédure puisque les juges doivent se priver parfois de l'audience ou d'un débat contradictoire approfondi, selon Gisèle Delcambre. En dehors de l'avocat, les autres innovations législatives concernant la procédure judiciaire en assistance éducative ne semblent pas se concrétiser sur le terrain. Par manque de temps, l'entretien individuel avec l'enfant capable de discernement, rendu obligatoire par l'article 26 de la loi de 2022, n'est pas systématiquement réalisé par les juges des enfants dans toutes les juridictions.

De même, le recours à la collégialité prévu à l'article 25 de la même loi n'est encore que très peu mis en oeuvre en dehors des rares juridictions où elle pouvait déjà se pratiquer. Selon la DPJJ, le décret pourra encourager le recours à cette collégialité pour les cas les plus complexes comme les retours d'enfants de zone de guerre. Cependant, le rapporteur constate que l'absence de texte réglementaire empêche encore sa large diffusion et l'AFMJF estime, par ailleurs, que les moyens ne sont pas donnés aux juridictions pour que la collégialité devienne effective. Une matinée devrait être sanctuarisée au sein des grands tribunaux pour enfants mais se pose la question, déjà soulevée lors des débats parlementaires, des juridictions à taille plus réduite.

L'article 4 confère la possibilité au juge d'ordonner, si la situation le nécessite, une mesure d'aide éducative en milieu ouvert (AEMO) renforcée ou intensifiée. Cette mesure, pour une durée maximale d'un an renouvelable, offre un dernier recours au juge avant le prononcé d'une mesure de placement de l'enfant. La loi ne fixe pas le contenu de la mesure d'AEMO renforcée, qui, selon la circulaire précitée, « doit être défini par les projets de services des structures intervenant sur le ressort de chaque tribunal pour enfants, afin de l'adapter à l'offre et aux besoins de chaque territoire, tant s'agissant du public concerné que des modalités de prise en charge ». La mise en oeuvre de cet article pâtit toutefois du défaut d'exécution des décisions judiciaire comme il a été dit plus en amont.

3. Le traitement des informations préoccupantes : une réussite législative à parachever

Les cellules de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) constituent, à bien des égards, une réforme législative pratiquement aboutie si les efforts en ce sens ne sont pas relâchés. Décidée par la loi de 2007, afin d'harmoniser les pratiques de recueil des informations préoccupantes (IP) entre territoires et de centraliser les signalements au sein de chaque département, elles ont été mises en place dans quasiment tous les départements - l'Ille-et-Vilaine semble faire exception en préférant le maintien de plusieurs unités décentralisées37(*). Alors qu'un rapport de la Cour des comptes relevait qu'en 2009 très peu de professionnels de la protection de l'enfance connaissait l'existence des CRIP, la remontée des informations vers cette cellule centrale s'est progressivement améliorée38(*).

Les cellules de recueil des informations préoccupantes

L'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles confie au président du conseil départemental la responsabilité « du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être ». En vertu de l'article R. 226-2-2 du même code, l'information préoccupante est une information transmise à la CRIP pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d'un mineur.

Après réception de l'IP, la cellule composée d'une équipe pluridisciplinaire de professionnels identifiés et formés à cet effet doit réaliser une évaluation de la situation qui, depuis la loi du 7 février 2022, doit être conduite au regard du référentiel national d'évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant.

Au terme de l'évaluation, qui ne peut s'étendre au-delà de trois mois, en application de l'article D. 226-2-4 dudit code, les informations individuelles font l'objet soit d'un classement, soit d'une mesure administrative d'aide sociale à l'enfance, soit d'un signalement à l'autorité judiciaire.

La principale origine des IP varie selon les départements : particuliers anonymes (familles, voisins, etc.), services sociaux du département, services de l'éducation nationale.

Il ressort des travaux du rapporteur que les CRIP réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des informations préoccupantes dont elles sont saisies en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Là encore, des disparités selon les territoires existent en lien notamment avec les moyens humains engagés qui, selon la Cour des comptes en 2020, « ne sont pas toujours à la hauteur de l'activité de la CRIP, tant en quantité qu'en qualité. Ainsi, ces cellules ne sont pas toutes en mesure de réunir une équipe pluridisciplinaire. »39(*) Afin d'y remédier, la protection judiciaire de la jeunesse apporte son soutien, à titre expérimental, dans certains départements en mettant à disposition des CRIP un professionnel de la PJJ. Cet appui bienvenu semble permettre d'accroître les compétences des CRIP (voir encadré ci-dessous) et devrait être généralisé.

L'expérimentation menée par la PJJ au sein des CRIP

La stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2020-2022) visait notamment à renforcer les moyens des cellules de recueil d'informations préoccupantes par le recours à la pluridisciplinarité afin de respecter un délai maximal de 3 mois pour une évaluation. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) apporte son soutien en mettant à la disposition des CRIP un professionnel de la PJJ à raison de 0,2 ETP par semaine dans chaque département.

Un bilan d'étape de l'expérimentation a été réalisé par la PJJ en juin 2021. Après consultation des six départements expérimentateurs, la DPJJ identifie certains effets des mises à disposition dont notamment :

- la mise en place de partenariats (formalisation des relations de travail, signature de convention, entérinement d'une politique locale conjointe, meilleure relation conseil départemental/direction territoriale) ;

- une meilleure connaissance du maillage territorial, des informations préoccupantes et de leur traitement ;

- un partage d'outils et de pratiques ;

- une meilleure fluidité dans la prise en charge institutionnelle du jeune (amélioration de l'articulation sur l'élaboration conjointe du projet individualisé du jeune).

Source : Réponses de la DPJJ au questionnaire adressé par le rapporteur

Une autre difficulté récurrente qui entache l'action des CRIP demeure les durées de traitement des informations préoccupantes qui ne parviennent pas à respecter le délai réglementaire de trois mois. La conférence nationale des procureurs de la République a ainsi pointé que les délais de réalisation de l'évaluation sociale sont très rarement respectés, retardant, par là même, la transmission au parquet de la situation préoccupante.

Ainsi qu'il a été noté plus en amont, la loi du 7 février 2022 a rendu obligatoire le cadre du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes. La DGCS indique, qu'un comité opérationnel copiloté par la HAS, la DGCS et la DPJJ associant neuf départements40(*) a été mis en place afin de soutenir le déploiement du référentiel et évaluer son utilisation. Il apparaît que le respect intégral du référentiel est encore un long chemin à parcourir, en dépit, de quelques axes déjà positifs (voir encadré ci-dessous).

L'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) se sont mobilisés pour proposer des offres de formation aux professionnels évaluateurs dans l'optique de les aider à s'approprier et partager les critères de qualification de l'information préoccupante. En dehors du levier primordial de la formation initiale et continue, la question des moyens humains sera également déterminante.

État des lieux de l'application des bonnes pratiques du référentiel de la HAS

Selon les retours recueillis en 2022 des conseils départementaux membres du comité opérationnel, certaines recommandations du référentiel sont déjà majoritairement mises en oeuvre par les départements telles que :

- la mise en place d'un protocole partenarial global associant l'ensemble des acteurs contribuant au dispositif de recueil et de traitement des informations préoccupantes ;

- la systématisation d'un échange avec l'établissement scolaire dans le cadre de l'évaluation ;

En revanche, l'application de certaines recommandations de la HAS rencontre encore des obstacles et des insuffisances dont notamment :

- la mobilisation de professionnels de santé et de psychologues du développement au sein de la CRIP et au sein de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation ;

- la mobilisation pour chaque évaluation d'un binôme d'évaluateurs comprenant un travailleur social et un professionnel de santé ;

- la systématisation d'un échange dans le cadre de l'évaluation avec le médecin traitant ;

- l'identification et la prise de contact avec les personnes ressources identifiées dans l'entourage familial et amical de l'enfant.

Source : DGCS, réponses au questionnaire transmis par le rapporteur

B. L'ACCUEIL EN PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE DÉGRADATION DE LA SITUATION MALGRÉ UNE PRISE DE CONSCIENCE SALUTAIRE SUR L'ACCUEIL DANS LES HÔTELS

1. La saturation globale des dispositifs d'accueil de la protection de l'enfance

Le nombre de mesures d'aide sociale à l'enfance a augmenté de 28 % de 2007 à 2021. En particulier, la croissance de l'effectif des enfants accueillis à l'ASE, notamment dans le cadre des mesures judiciaires de placement, a été particulièrement soutenue (+ 39,3 %), passant de 146 851 en 2007 à 204 492 en 2021. Les actions éducatives, à domicile ou en milieu ouvert, ont également augmenté en nombre mais diminué en proportion.

Dans ce contexte d'accroissement continu du nombre d'enfants accueillis par les services départementaux, l'application des réformes touchant la protection de l'enfance est d'autant moins aisée qu'il existe, selon les mots de Charlotte Caubel « une triple pression sur les dispositifs de protection de l'enfance » liée à l'augmentation des enfants protégés, à l'arrivée importante de MNA et à la pénurie des professionnels du travail social.

Évolution du nombre d'enfants accueillis à l'ASE de 2007 à 2021

Source : Commission des affaires sociales, données de la Drees

Une hausse particulièrement dynamique des placements à l'ASE ces derniers mois a été soulignée en audition sans que cette tendance ne puisse encore être quantifiée. Il semblerait que cette augmentation sensible concerne particulièrement des enfants en très bas âge. La secrétaire d'État Charlotte Caubel fait état d'une « augmentation des placements d'enfants habitant sur notre territoire - avec une hausse de 30 % dans certains départements -, sous l'effet probable de la crise de la covid-19, ainsi que d'une meilleure prise en compte des violences intrafamiliales et de la politique des mille premiers jours, qui entraîne de nombreux placements de nourrissons »41(*).

La saturation des dispositifs d'accueil de la protection de l'enfance est exacerbée par la reprise des flux migratoires, avec une arrivée en grand nombre de jeunes mineurs non accompagnés. Cette reprise s'est amorcée en 2021 et, les chiffres consolidés pour 2022, qui ne sont pas encore disponibles, devraient rendre compte d'une hausse beaucoup plus brutale. L'Assemblée des départements de France (ADF) a annoncé, début mai 2023, le chiffre de 5 000 MNA arrivés en France depuis le 1er janvier42(*). Cette situation contribue à l'embolie des dispositifs départementaux de protection de l'enfance et, selon l'ADF, ne laisse pas d'autres possibilités que de recourir à l'hôtel, au moins pour la mise à l'abri d'urgence.

Nombre de personnes déclarées MNA portées à la connaissance de la cellule nationale

Source : Rapport d'activité de la cellule MNA du ministère de la justice

2. L'inadaptation de l'offre d'accueil au panel de situations des enfants
a) L'accueil des fratries en protection de l'enfance : une prise de conscience

L'article 5 de la loi du 7 février 2022 a réaffirmé le principe selon lequel l'enfant est accueilli avec ses frères et soeurs sauf si son intérêt commande une autre solution. Cette obligation légale43(*) est tributaire de la disponibilité des places adaptées à l'accueil des fratries. La circulaire du garde des sceaux de mai 2022 note que « dans la mesure où la violation de cette disposition n'est pas sanctionnée, il est utile que le juge des enfants et l'ASE s'accordent sur les modalités de mise en oeuvre de cette obligation »44(*).

Les auditions du rapporteur ont fait ressortir qu'il est encore très fréquent que les fratries soient séparées faute de place. L'accueil de l'enfant avec ses frères et soeurs, précisé par les juridictions, s'avère trop souvent un « voeu pieux », selon la formule de Frédéric Chevallier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Chartres. Le département des Hauts-de-Seine précise que s'il arrive que l'accueil conjoint de fratries ne soit pas possible pour exécuter une ordonnance de placement provisoire (OPP) faute de place disponible à ce moment, le service de l'ASE recherche par la suite à regrouper la fratrie sur un même lieu.

L'accueil des fratries représente un défi de taille pour les services départementaux de l'ASE qui doivent maintenir suffisamment de places inoccupées dans une même structure pour accueillir simultanément plusieurs enfants. Selon les chiffres de la Drees, au 31 décembre 2021, 72 départements n'accueillaient aucun enfant en village d'enfants, structure spécialisée dans l'accueil des fratries.

La stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2018-2022) portée par Adrien Taquet prévoyait la construction de 600 nouvelles places dans des établissements accueillant des fratries par un financement de l'État dans le cadre de la contractualisation avec les départements. En l'absence de données précises quant aux résultats de la contractualisation, il est difficile d'apprécier si l'objectif a été atteint. Le secrétariat auprès de la Première ministre chargée de l'enfance précise pour autant que cette action a rencontré un réel succès et a permis d'engager des crédits budgétaires de l'État à hauteur de 7,8 millions d'euros en 2020, 14,6 millions d'euros en 2021 et 15,9 millions d'euros en 2022.

La Cnape confirme la volonté des départements de créer des places dédiées à l'accueil de fratries et leur appétence pour développer le modèle du village d'enfants ; les appels d'offres des départements paraissent se multiplier. En dehors de certains acteurs (SOS Villages d'enfants, Fondation Action enfance, Fondation Apprentis d'Auteuil...), peu d'opérateurs sont actuellement en mesure de proposer cette modalité d'accueil dès lors que « la création d'un village d'enfants prend du temps et, par ailleurs, réclame un savoir-faire qui ne permet pas à tout nouveau venu de s'investir aisément dans ce secteur »45(*).

Les villages d'enfants ne détiennent toutefois pas le monopole de l'accueil des frères et soeurs, lesquels peuvent être confiés à des assistants familiaux disposant d'un nombre suffisant d'agréments ou même être accueillis au sein d'une maison d'enfants à caractère social (Mecs). Gautier Arnaud-Melchiorre, dont la mission a pu rencontrer de nombreuses fratries accueillies dans une même famille d'accueil ou dans une même structure, insiste : « Si les villages d'enfants présentent des modalités spécifiques d'accueil, ces modalités ne sauraient convenir à l'ensemble des enfants, il pourrait être maladroit de considérer qu'en développant une modalité d'accueil, les difficultés des mineurs et des professionnels pourraient être résolues. » Le rapporteur ne peut que souscrire à ces propos.

En dehors de l'accueil sur un même lieu, l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles, issu de l'article 12 de la loi du 14 mars 2016, donne à l'ASE la mission de veiller au maintien des liens d'attachement noués entre l'enfant protégé et ses frères et soeurs, là encore si l'intérêt des enfants le demande. Les départements entendus en audition ont décrit au rapporteur tout un panel de modalités pour respecter cette disposition légale - droits de visite, médiatisations par des techniciens de l'intervention sociale et familiale (TISF), séjours courts entre fratries par un organisme de colonies de vacances, financement de projets vacances d'assistants familiaux permettant la réunion de fratries... Gautier Arnaud-Melchiorre indique que les témoignages recueillis d'enfants protégés ont mis en évidence une meilleure prise en compte ces dernières années des relations qu'ils peuvent entretenir avec leurs frères et soeurs. Il existe toutefois encore des cas dans lesquels les enfants ne rencontrent que très peu, si ce n'est jamais, leurs frères et soeurs en raison de contraintes matérielles (difficultés de transports ou manque d'accompagnement).

b) L'accueil des enfants en situation de handicap : une mission de l'ASE au-delà de la loi

Entre 20 et 25 % des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance seraient en situation de handicap selon les chiffres avancés dans le débat public46(*). Certains bénéficient, en parallèle, d'un accompagnement ou une prise en charge par une structure médico-sociale spécifique comme un institut thérapeutique éducatif et pédagogique (Itep) ou un institut médico-éducatif (IME). Tous, cependant, n'ont pas cette chance et les services de l'ASE doivent souvent mettre en place des accueils dans des structures qui ne sont pas adaptées ou chez des assistants familiaux qui n'ont pas été spécifiquement formés pour ce type d'accueil, voire sont mis devant le fait accompli. D'autres difficultés sont fréquentes telles que l'éloignement géographique entre le lieu d'accueil en protection de l'enfance et la structure spécialisée rendant complexes l'accompagnement du mineur ou les sorties brutales des enfants des IME ou des Itep en périodes de fermeture des structures. Là encore, les enfants sont confiés à l'ASE qui doit organiser en urgence un accueil mal adapté.

Anne Devreese, présidente du CNPE, a souligné au rapporteur le désengagement de l'État dans l'offre médico-sociale en faveur des enfants porteurs de handicap qui aboutit à un transfert silencieux de responsabilité vers les dispositifs départementaux de l'ASE. Le rapporteur ne peut que regretter que ce point, qui avait été souligné lors des débats parlementaires de la loi du 7 février 2022, n'ait pas trouvé de solution et qu'ainsi les enfants protégés en situation de handicap ne disposent pas, en dépit de lois prévoyant une répartition claire des compétences, d'une prise en charge répondant à leurs besoins fondamentaux.

Le Gouvernement avait érigé en priorité la situation des enfants protégés porteurs d'un handicap au sein de la stratégie nationale de la protection de l'enfance. À cette fin, il était prévu la « création de dispositifs souples, croisés entre la protection de l'enfance et le médico-social et qui répondent à l'enjeu de la prise en compte des besoins éducatifs particuliers des enfants ». Les conseils départementaux en lien avec les agences régionales de santé (ARS) devaient notamment mettre en oeuvre une équipe mobile par département et prévoir la création de 50 nouveaux dispositifs ou structures d'ici 2022.

La DGCS fait valoir que 8 417 nouvelles solutions d'accompagnement (dont 4 564 places en IME et 3 415 en Itep) ont été créées, entre 2019 et 2023, soit une augmentation de 5 %. Les difficultés de coordination sont cependant encore importantes entre les acteurs et il est difficile de faire émerger une politique globale en faveur des enfants handicapés confiés à l'ASE.

Lors de son déplacement en Eure-et-Loir, le rapporteur a pu constater les différences d'appréciation entre le conseil départemental qui demande la création d'une structure spécialisée et cherche à mobiliser l'ARS, laquelle privilégie la création d'une équipe mobile.

3. L'accueil chez les tiers dignes de confiance : une solution sans moyens réels ?

En 2021, 13 357 placements directs auprès d'un tiers digne de confiance avaient été décidés par le juge des enfants sur le fondement de l'article 375-3 du code civil. Ce chiffre fait état d'une progression en valeur absolue depuis 2010 (+ 19,9 %) mais, en proportion de l'ensemble des enfants accueillis par l'ASE, les enfants confiés à un autre membre de la famille ou à un tiers ont décru de 7,4 % à 6,5 % en onze ans47(*).

L'article 1er de la loi du 7 février 2022 renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance en rendant obligatoire l'évaluation, par le service compétent, de cette option préalablement à tout placement judiciaire. En effet, le rapporteur notait en 2021 que « les juges disposent souvent de peu d'informations pour apprécier l'opportunité d'une solution d'accueil chez un tiers digne de confiance ou un membre de la famille »48(*). Cette expertise peut être menée par le service de l'ASE qui a procédé à l'évaluation de la situation de danger du mineur, le service de la PJJ ou un service associatif habilité, dans le cadre d'une mesure judiciaire d'investigation éducative (MJIE) demandée par le juge ou, enfin, le service en charge de la mesure d'AEMO, si la requête concerne le renouvellement de ce type de mesure.

Les auditions ont révélé que l'introduction de ces dispositions dans le droit n'avait pas induit un accroissement des mesures de placement dans l'entourage de l'enfant, qui demeurent très marginales. Elles ne semblent pas avoir induit de retard dans les décisions de placements judiciaires : la circulaire précitée du 3 mai 2022 du ministre de la justice interprète cette disposition légale de telle sorte que l'absence d'évaluation préalable de l'option d'accueil par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance n'est pas sanctionnée par une nullité de procédure mais pourrait toutefois constituer un moyen à l'appui d'un appel interjeté contre une décision de placement.

Pourtant, l'ancien ministre Adrien Taquet, entendu par le rapporteur en audition, a insisté sur l'importance de ces dispositions ; selon son appréciation, l'article 1er est « le plus transformatif de la loi du 7 février 2022 ». L'article 1er demande en effet un changement de pratique des juges mais également une montée en compétence des services évaluateurs qui semble ne pas pouvoir être obtenue à court terme. L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) estime que « cette nouvelle obligation entre en vigueur alors que le système de protection de l'enfance est déjà sous tension, tant au niveau des évaluations initiales réalisées par les services départementaux de l'ASE qu'au niveau des délais de prise en charge des mesures d'AEMO et MJIE »49(*). La DPJJ fait toutefois état d'une durée d'exécution des MJIE conforme aux objectifs assignés aux services50(*) en s'établissant à 6,4 mois au 30 avril 2023 dans un contexte d'une très légère hausse du nombre de MJIE au civil : 13 128 MJIE civiles au 30 avril 2023 contre 12 956 au 30 septembre 2021.

Florence Dabin, présidente de France enfance protégée, a exprimé, dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, la même inquiétude : « les études d'impact [...] n'ont pas traité du sujet du premier article de la loi visant à désinstitutionnaliser la protection de l'enfance en obligeant à la recherche de toute solution intrafamiliale ou chez un tiers digne de confiance avant de prendre une mesure judiciaire de placement. Cela nécessite une capacité d'évaluation rapide des situations, un changement “culturel” dans les pratiques de la justice et des services de l'aide sociale à l'enfance, qui pourraient structurellement modifier les modalités d'accueil en protection de l'enfance. Ces effets ont sans doute été souhaités par le législateur, mais insuffisamment appréhendés dans les modalités d'application, ce qui explique peut-être qu'aucune déclinaison actuelle n'est recensée. »

Cette crainte des conséquences financières, ainsi qu'il a été dit plus en amont, a retardé la parution du décret devant définir les conditions dans lesquelles le membre de la famille ou la personne digne de confiance est accompagné par un référent ASE. Pourtant, ces personnes accueillant des enfants protégés peuvent se sentir délaissées par les services de l'aide sociale à l'enfance comme par la justice. Il est donc regrettable que le renforcement de leur nécessaire accompagnement ne soit pas érigé en enjeu prioritaire au niveau national : le GIP France enfance protégée pourrait se saisir de cette question. Certains départements semblent cependant avoir pris la mesure de la difficulté. Selon Anne Troadec, directrice générale adjointe du pôle social du conseil départemental de la Savoie, son département, volontariste sur ce sujet, cherche actuellement à mettre en place les services d'accompagnement des tiers dignes de confiance que la loi impose.

4. L'hébergement hôtelier : une interdiction législative qui commence à produire des résultats
a) La situation antérieure à la loi

Jusqu'à la promulgation de la loi du 7 février 2022, l'hébergement hôtelier des enfants protégés n'était, selon la formule du tribunal administratif de Toulouse, « ni prévu, ni rendu obligatoire par les dispositions du code de l'action sociale et des familles »51(*) sans être non plus interdit. De fait, il était couramment utilisé par les services départementaux de l'ASE selon le rapport de l'Igas de 202052(*) qui, estimait que, fin 2019, la proportion moyenne de mineurs accueillis à l'hôtel s'élevait à 5 % des jeunes pris en charge par l'ASE, ce qui, par extrapolation, représentait entre 7 500 et 10 500 jeunes protégés. Ces chiffres globaux cachaient cependant une grande variabilité : les départements avaient recours à l'hôtel pour une proportion de mineurs variant de 1 % à 18 %. La durée de la prise en charge en hôtel s'établissait en moyenne à 3 mois. Elle pouvait s'étirer pour des délais bien supérieurs de six mois à un an pour les MNA qui sont, le plus souvent, hébergés à l'hôtel le temps qu'une place se libère dans une autre structure.

L'agression homicide d'un jeune confié à l'ASE dans un hôtel, le 11 décembre 2019, par un de ses pairs, a conduit à une prise de conscience collective de la situation, étayée par la saisine de l'Igas sur l'ASE dans les Hauts-de-Seine, et dont a résulté l'article 7 de la loi du 7 février 2022.

À compter de février 2024, hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, l'accueil des enfants protégés ne sera possible que dans des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) autorisés, sauf à titre exceptionnel dans des structures d'hébergement « jeunesse et sport »53(*) pour répondre à des situations d'urgence ou assurer la mise à l'abri des mineurs et dans une limite de deux mois maximum. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, le décret d'application attendu précisera également que les mineurs atteints d'un handicap physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, reconnu par la maison départementale des personnes handicapées, ne pourront être hébergés dans ces structures.

b) Les effets produits par la loi de 2022

L'interdiction complète de l'accueil à l'hôtel n'interviendra qu'à compter de février 2024, ce délai d'entrée en vigueur porté à deux ans par un amendement du présent auteur de ce rapport avait pour objectif de « donner aux départements le temps de s'adapter à cette interdiction ». La perspective a, comme il était anticipé, déjà conduit les départements à prendre leurs dispositions pour éviter l'hébergement hôtelier. L'afflux de nouveau soutenu de personnes arrivant en France et se déclarant MNA entrave toutefois la mise en oeuvre de l'interdiction et a retardé la parution du décret d'application, compte tenu de « l'impact financier de ce décret très sensible [qui] n'a pas été bien pris en compte » selon les mots de Charlotte Caubel.

Dorénavant, « la question de l'hôtel touche en fait dix départements, qui connaissent une forte pression migratoire ; les autres se sont mis en règle avant l'entrée en vigueur du décret » selon la secrétaire d'État. Les auditions du rapporteur n'ont pas démenti ce constat. L'ADSEA 02 a confirmé au rapporteur que depuis un an dans le département de l'Aisne, plus aucun mineur n'avait été hébergé en hôtel. De même, le département de la Somme indique ne plus avoir recours aux hôtels depuis décembre 2021, grâce à la création de 100 places supplémentaires dédiées aux MNA dans des hébergements habilités.

En Eure-et-Loir, un appel à projets a été lancé pour la construction d'une nouvelle structure adaptée à l'accueil des MNA. Le recours à l'hôtel par le département est, en outre, devenu très marginal : lors du déplacement du rapporteur, seuls huit jeunes se présentant comme MNA en attente d'évaluation étaient hébergés dans un hôtel, ce qui, au demeurant, ne sera pas prohibé par l'article 7 de la loi en 2024 puisque l'interdiction ne vaut que pour les mineurs et ne concerne pas les personnes se prétendant MNA dont la mise à l'abri d'urgence est, en principe, financée par l'État.

Dans le département des Hauts-de-Seine, particulièrement mis en avant en raison du drame qui s'y est produit, le conseil départemental a pris la mesure de la situation en investissant dans la construction de places (voir encadré ci-dessous). La concrétisation des appels à projets prend toutefois du temps et se trouve freiner par les « difficultés [tenant] à l'acquisition de locaux, ou au recrutement des professionnels par les organismes gestionnaires » selon le département. Ce point a été soulevé à plusieurs reprises lors des auditions : la loi de 2022 sera moins aisément applicable dans les départements densément peuplés où la pression immobilière est forte, lesquels sont, par ailleurs, davantage susceptibles d'être concernés par un afflux de MNA.

Anticipation de l'interdiction de l'hébergement hôtelier dans les Hauts-de-Seine

Selon les informations du conseil départemental des Hauts-de-Seine, de 2022 à 2026, un plan d'action pluriannuel permettra d'augmenter de près de 50 % la capacité du département en structures d'accueil en protection de l'enfance.

Un appel à projet de 300 places, visant à augmenter les capacités d'accueil par la création de places au sein d'établissements habilités (MECS, foyers, services d'accueil d'urgence) a été lancé en juillet 2022. Dix opérateurs ont été retenus dans ce cadre avec 50 places dédiées à des enfants et jeunes confrontés à des parcours complexes (rupture de prise en charge liée à des difficultés d'ordre psycho-affective, enfants avec des besoins spécifiques d'accompagnement en lien avec le secteur médico-social..). Au 1er mai 2023, 109 places ont déjà été ouvertes. En 2023, 430 mineurs confiés à l'ASE étaient toutefois encore en hébergement hôtelier.

Source : Réponses du département des Hauts-de-Seine au questionnaire du rapporteur

5. L'accueil par les assistants familiaux : des efforts encore à produire pour pallier le manque d'attractivité du métier

Les assistants familiaux constituent le premier mode d'accueil des enfants confiés à l'ASE avec 76 000 enfants accueillis fin 2019. Au 31 décembre 2021, la Drees recensait 35 519 assistants familiaux directement employés par les départements. En moyenne, les effectifs d'assistants familiaux diminuent chaque année de 1,4 % depuis 2017. Ce déclin démographique devrait se poursuivre dans les années qui viennent en raison du vieillissement de la profession et du défaut de renouvellement.

Ce défi, dont les pouvoirs publics et les départements ont pris conscience depuis longtemps, a sous-tendu les articles de la loi de 2022 ayant pour objectif de rehausser les rémunérations et indemnisations des assistants familiaux dans l'optique d'accroître l'attractivité de la profession.

a) La rémunération des assistants familiaux : des dispositions de la loi dont l'application doit être bien contrôlée

L'article 28 a augmenté la garantie minimale de rémunération des assistants familiaux en la plaçant au niveau du salaire minimal interprofessionnel de croissance (Smic) dès l'accueil d'un enfant. Il a également prévu le maintien de la rémunération en cas de suspension de l'agrément. Enfin, en vertu de cet article, lorsque le nombre d'accueils réalisé est inférieur au nombre d'accueils prévu, l'assistante familiale reçoit une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à 80 % de la rémunération prévue par le contrat, hors indemnités et fournitures.

Le pouvoir réglementaire est intervenu rapidement pour l'application de ces dispositions, ainsi qu'il a été dit plus en amont. Le nouveau régime de calcul est entré en vigueur dès le 1er septembre 2022. Le secrétariat d'État chargé de l'enfance a souligné au rapporteur que ces dispositions avaient bien été annoncées de longue date en amont du projet de loi de telle sorte que les départements ont pu anticiper leur entrée en vigueur : « Aucun élément, ni signalement d'aucune sorte n'est parvenu au Gouvernement laissant entendre que ces dispositions ne sont pas appliquées. »

La loi n'a pas demandé à tous les départements de modifier leur politique salariale dès lors que beaucoup d'entre eux dispensaient des rémunérations ou indemnisations supérieures aux nouvelles garanties légales. Le conseil départemental de la Somme a ainsi mis en place les dispositions en décembre 2022, s'agissant du salaire pour l'accueil d'un seul enfant, avec un effet rétroactif au 1er septembre 2022. À partir de deux enfants, la rémunération du département était déjà supérieure au minimum prévu par la loi. Il convient de noter que, les minima rattrapant les montants versés, la loi a eu pour effet d'amoindrir les efforts des départements vertueux qui proposaient des rémunérations attractives pour assurer un recrutement important d'assistants familiaux.

Les représentants d'assistants familiaux ont cependant fait état d'une mise en conformité avec la loi intervenue, pour certains départements, plusieurs mois après le 1er septembre 2022, sans mesure rétroactive. En dehors du délai d'application, d'autres difficultés ont été relevées en audition. Primo, la substitution d'une indemnité pour les accueils non réalisés du fait de l'employeur à l'indemnité d'attente aurait conduit à une précarisation de la situation des assistants familiaux. Les accueils non pourvus du fait de l'employeur ne représenteraient, selon les associations, qu'une partie minoritaire des accueils non réalisés, dont la majorité serait reconnue comme incombant aux assistants familiaux dès lors que ces derniers jugent ne pas pouvoir prendre en charge l'enfant dans de bonnes conditions. Secundo, cette indemnité pour accueil non réalisé aurait conduit certains départements à proposer des avenants au contrat de travail afin de baisser le nombre d'accueils prévus. Tertio, cette disposition inciterait les départements à ne prévoir qu'un accueil dans le contrat initial et, lorsqu'un nouvel enfant se trouve à confier, à proposer un avenant au contrat pour accroître les accueils.

Les travaux du rapporteur n'ont pas été en mesure ni d'infirmer ni de confirmer davantage ces remontées d'informations. Interrogé, le Gouvernement n'a pas eu connaissance de situations de la sorte. Le rapporteur ne peut toutefois que l'appeler à la vigilance sur ces questions. Les départements sont certes libres de leur contractualisation avec les assistants familiaux, dès lors que les contrats de travail ne sont pas modifiés unilatéralement et restent conformes aux obligations légales ou conventionnelles. Toutefois, des dispositions qui viendraient compenser excessivement les hausses de rémunération prévues par la loi de 2022 seraient, si ce n'est contraire à la lettre, au moins contraire à l'esprit des dispositions puisque le législateur a entendu sécuriser les ressources des assistants familiaux et renforcer l'attractivité de la profession.

b) La participation des assistants familiaux

En 2021, le rapporteur notait que le déficit d'attractivité de la profession était tel que les mesures tenant au rehaussement salarial ne seraient pas suffisantes : « Les assistants familiaux sont trop souvent mis à l'écart des décisions concernant l'enfant et subissent parfois les contrôles de l'aide sociale à l'enfance dans un climat de défiance à leur égard. » Ce déficit de reconnaissance et d'intégration aux équipes pluridisciplinaires de l'ASE avait conduit le rapporteur à proposer un amendement, retenu dans le texte promulgué, tenant à affirmer la place de l'assistant familial dans l'établissement et le suivi du projet pour l'enfant.

Les auditions de la mission d'information n'ont pas révélé d'amélioration sur ce point ; seuls les départements déjà exemplaires ont une politique d'intégration des assistants familiaux aux décisions concernant l'enfant. La loi, pour les autres, n'a pas conduit à une prise de conscience, ce que le rapporteur regrette.

C. LA PRÉVENTION DES MALTRAITANCES ET VIOLENCES SEXUELLES EN PROTECTION DE L'ENFANCE : UN CHANTIER INACHEVÉ

1. Le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels du secteur social freiné par les moyens humains
a) Un droit clair et renforcé en 2022

L'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles détaille les délits et condamnations prohibant à une personne d'exploiter, de diriger un établissement, service ou lieu de vie et d'accueil régi par le code de l'action sociale des familles, ainsi que d'y « exercer une fonction à quelque titre que ce soit, ou être agréé ».

Les antécédents judiciaires incompatibles avec une fonction exercée dans le secteur social

Aux termes de l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles, l'incapacité d'exercer les fonctions est constatée en cas des infractions pénales suivantes :

- atteintes volontaires à la vie ;

- atteintes volontaires à l'intégrité physique ou psychique de la personne (torture, actes de barbarie, violences, menaces, harcèlement moral, trafic d'armes ou de stupéfiants, etc.) ;

- mise en danger, atteintes aux libertés ou à la dignité de la personne (délaissement, provocation au suicide, réduction en esclavage, enlèvement, séquestration, discrimination, traite des êtres humains, proxénétisme, etc.) ;

- atteintes aux mineurs et à la famille (délaissement de mineurs, abandon de famille, atteintes à l'exercice de l'autorité parentale ou à la filiation, mise en péril de mineurs) ;

- appropriations frauduleuses (vols, extorsion, escroquerie, détournements) ;

- recel, corruption passive et trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, soustraction et détournement de biens, corruption active et trafic d'influence, évasion, faux.

Le contrôle des infractions peut être assuré au moyen de deux fichiers judiciaires : le bulletin n° 2 du casier judiciaire, qui recense les condamnations de la personne, à plusieurs exceptions près54(*), et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), plus complet et intégrant des informations pouvant être effacées du B2.

Le Fijaisv

Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), créé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, recense les condamnations d'une personne mais également l'identité et l'adresse du domicile de l'auteur. L'inscription au Fijaisv peut être complétée d'une obligatoire régulière de déclaration de changement d'adresse.

Les personnes inscrites au fichier sont celles condamnées pour une infraction listée ci-après, définitivement ou non, même si elles sont irresponsables pénalement, ainsi que les personnes mises en examen. L'inscription est automatique si la peine encourue du fait de l'infraction est supérieure ou égale à 5 ans d'emprisonnement, sinon l'inscription est décidée par le juge ou le procureur de la République. L'inscription est automatique pour les auteurs dont la victime est mineure sauf décision contraire de l'autorité judiciaire. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a enrichi les infractions figurant dans le Fijaisv en y intégrant, de droit, les décisions de mise en examen en matière criminelle, sauf décision contraire du juge. De même, la loi a réprimé d'une peine plus sévère la consultation habituelle d'images pédopornographiques ce qui rend obligatoire son inscription au fichier.

Les infractions concernées par une inscription au fichier sont les suivantes :

- viol et agression sexuelle ;

- sur la personne mineure : atteinte sexuelle, traite des êtres humains, proxénétisme, recours à la prostitution, corruption de mineur, incitation à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation ;

- proposition sexuelle à un mineur de 15 ans par un moyen de communication électronique ; enregistrement, acquisition, détention ou offre de contenu pédopornographique ; consultation habituelle ou payante d'un site pédopornographique ;

- fabrication, transport, diffusion ou commerce de messages violents ou pornographiques pouvant être vus ou perçus par un mineur ;

- violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur un mineur de 15 ans ;

- torture ou acte de barbarie ;

- meurtre ou assassinat sur un mineur ou en récidive.

Le B2 peut être délivré aux conseils départementaux et aux ESSMS par l'intermédiaire de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour l'accueil d'enfants confiés par l'autorité judiciaire au titre de l'assistance éducative ou bien par l'intermédiaire du directeur de la direction départementale interministérielle chargée de la cohésion sociale pour des accueils administratifs. De même, les présidents de conseil départemental peuvent être destinataires des informations du Fijaisv par l'intermédiaire des préfets, lesquels sont habilités, aux côtés d'autres administrations de l'État, à avoir directement accès aux informations du fichier grâce à un système d'information sécurisé55(*).

Ces incapacités n'étaient toutefois pas pleinement contrôlées ainsi que l'avait mis en lumière, en 2019, le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs56(*). Le B2 n'était pas systématiquement demandé par les départements ou les gestionnaires d'ESSMS. De même, les collectivités territoriales ne faisaient pas fréquemment usage auprès des préfectures de leur possibilité de demander à obtenir les informations du Fijaisv.

L'article 20 de la loi du 7 février 2022 rend obligatoire la consultation du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes pour le recrutement de toute personne, professionnel comme bénévole, travaillant au contact de mineurs dans le secteur social. Il précise que le contrôle des antécédents judiciaires doit s'effectuer « avant l'exercice des fonctions de la personne et à intervalles réguliers lors de leur exercice ». La loi n'a pas modifié les infractions prohibant l'exercice de fonctions dans le secteur social mais a toutefois supprimé le quantum de peine de deux mois d'emprisonnement ferme pour prononcer l'incapacité.

L'article 21 complète le contrôle du bulletin n° 2 des assistants maternels et familiaux et des majeurs habitant au domicile du professionnel par le contrôle du Fijaisv. L'article étend également ces contrôles aux mineurs de plus de treize ans vivant au domicile de l'assistant maternel ou familial. Ces deux dispositions avaient été recommandées par la mission commune d'information du Sénat57(*).

b) Un contrôle des antécédents judiciaires qui n'a pas encore changé de dimension faute de moyens humains

Les nouvelles dispositions issues de la loi du 7 février 2022 sont en vigueur depuis le 1er novembre 2022.

Édouard Durand, co-président de la Civiise, déplore que les contrôles des antécédents judiciaires ne soient pas encore effectifs en raison d'un système trop complexe et trop lent. Il n'est matériellement pas possible lors d'un recrutement de recevoir les informations à temps, à plus forte raison lorsque le recrutement se fait en urgence (professionnels intérimaires, contrat à durée déterminée - CDD).

Selon la DGCS, tous les départements n'ont pas contractualisé avec les représentants de l'État pour la mise en place d'un circuit d'obtention des informations du Fijaisv. Dans les territoires où le partenariat est bien organisé, l'ampleur du criblage à organiser rend l'application de la loi encore parcellaire. La loi du 7 février 2022 prévoit en effet le contrôle de l'honorabilité de deux millions de personnes selon la DGCS. À moyens techniques constants, la mise en oeuvre de la loi se heurte donc aux ressources humaines importantes qu'elle requiert.

Criblage des personnes en contact avec des mineurs en Eure-et-Loir

Lors de son déplacement, le rapporteur a pu constater qu'une convention avait bien été signée en Eure-et-Loir en 2022 et que deux ETP sont ainsi consacrés à la consultation du fichier au sein des services préfectoraux. Cet effectif ne permet pas encore de contrôler l'ensemble des professionnels exerçant déjà auprès des mineurs protégés et le département doit donc prioriser ses demandes.

S'agissant des professionnels en contact de mineurs confiés à la PJJ, une note du garde des sceaux en date du 21 juillet 2022 actualise le cadre applicable à l'interrogation du Fijaisv58(*). Ce dernier doit être consulté au moment du recrutement puis à intervalle bisannuel. Le contrôle des professionnels de la PJJ est plus efficace dans la mesure où son personnel, spécifiquement désigné à cette fin, est directement habilité à contrôler le Fijaisv. Le secteur de la PJJ n'a donc pas vocation à intégrer le système d'information de contrôle de l'honorabilité que le Gouvernement entend créer.

c) Un chantier dont la réalisation dépend des moyens techniques mis en oeuvre

Dans le secteur du sport, l'arrêté du 31 mars 2021 a prévu le système d'information automatisé du contrôle d'honorabilité (SI honorabilité) qui permet de généraliser la consultation du Fijaisv pour les éducateurs sportifs et les exploitants d'établissements d'activités physiques et sportives (EAPS) bénévoles disposant d'une licence sportive.

Dans le secteur social, la bonne application de la loi de 2022 dépendra également du système d'information, déjà annoncé lors de l'examen du texte, que le Gouvernement entend développer. Cet outil doit permettre un contrôle systématique du B2 et du Fijaisv, « presque en temps réel ». Le Gouvernement a ainsi indiqué à la commission qu'un déploiement progressif de la plateforme devrait avoir lieu courant 2023, commençant par une expérimentation dans quatre départements.

Entendu en audition en décembre 2022, Charlotte Caubel prévenait que « ce dernier outil requiert toutefois un regard humain, ce qui complique le processus. [...] Cet instrument sera d'abord ciblé sur le travail social, mais absorbera à terme le champ de responsabilité des ministères de l'éducation nationale et des sports. Cette disposition de la loi relative à la protection des enfants est excellente, mais elle concerne plusieurs millions de personnes, ce qui fait peser une pression importante sur les équipes chargées de la mettre en oeuvre. » Plus récemment, en mai 2023, la secrétaire d'État précisait : « Nous sommes en train de finaliser une équipe centralisée pour le territoire national, pour fluidifier ce criblage grâce à un certificat de probité demandé électroniquement. Si le certificat n'est pas délivré automatiquement, une action humaine est nécessaire : l'équipe centralisée pourra traiter à la chaîne les cas de remontée du Fijais ou du casier judiciaire. »

Comme en témoigne la prise en compte de ce sujet dans les priorités définies par le comité interministériel à l'enfance, le Gouvernement semble s'atteler à rendre applicables les dispositions sur le criblage des professionnels, ce dont le rapporteur ne peut que se réjouir. Il semble cependant que le recours au nouveau SI honorabilité pour tous les personnels de la protection de l'enfance ne pourra intervenir avant plusieurs mois.

2. La base nationale des agréments d'assistants familiaux et maternels

L'article 30 prévoit la création d'une base nationale, gérée par France enfance protégée, recensant les informations concernant les agréments des assistants familiaux et les suspensions et retraits des assistants maternels. Le décret devant définir les conditions de recensement et les informations contenues dans cette base est désormais en cours de discussion avec la Cnil (voir supra).

Le portage politique de l'application de ces dispositions semble avoir fait défaut, au moins dans les premiers mois suivants la promulgation de la loi, en raison du délai écoulé pour l'installation du GIP. En janvier 2023, le secrétariat d'État chargé de l'enfance se bornait à indiquer à la commission que ce « sujet sera très certainement intégré aux travaux du GIP Enfance protégée », lequel a été constitué le 1er janvier 2023.

Dans sa réponse au questionnaire du rapporteur, Florence Dabin, présidente de France enfance protégée, a indiqué que ce projet devrait démarrer fin 2023 sous réserve de « la structuration d'une équipe renforcée, chargée des systèmes d'information concernés - en premier lieu les départements - [et d'une] étude permettant d'affiner les attentes et les besoins autour de cette base de données ». Par ailleurs, « les départements ont engagé et pour certains finalisé la dématérialisation des agréments, assistants maternels et assistants familiaux et pourront travailler à l'interopérabilité des systèmes d'information ». Le déploiement et l'utilisation de cette base nationale ne semblent donc pas être encore envisageables à court terme.

D. UNE PRISE EN CHARGE À LA HAUTEUR DES BESOINS FONDAMENTAUX DE L'ENFANT : DES AVANCÉES LÉGISLATIVES TOUJOURS PLUS AMBITIEUSES MAIS UNE CONCRÉTISATION TRÈS LENTE POUR LES ENFANTS

1. Le projet pour l'enfant : quinze après, un bilan insatisfaisant

La loi du 5 mars 2007 a prévu un document intitulé « projet pour l'enfant » (PPE) qui doit être « construit en cohérence avec les objectifs fixés dans la décision administrative ou judiciaire le concernant »59(*). Initialement établi conjointement par les services départementaux et les titulaires de l'autorité parentale, le PPE est, depuis la loi de 2016, établi par le président du conseil départemental, qui en est « le garant », en concertation avec les titulaires de l'autorité parentale. Le mineur concerné est également associé à la rédaction du PPE, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité.

Le PPE « détermine la nature et les objectifs des interventions menées en direction du mineur, de ses parents et de son environnement, leur délai de mise en oeuvre, leur durée, le rôle du ou des parents et, le cas échéant, des tiers intervenant auprès du mineur »60(*). Il doit être mis à jour, sur la base des rapports sur la situation de l'enfant remis au juge, afin de tenir compte de l'évolution des besoins fondamentaux de l'enfant. Les articles D. 223-12 et suivants du code de l'action sociale et des familles détaillent le contenu du PPE, lequel doit prendre en compte « 1° le développement, la santé physique et psychique de l'enfant ; 2° les relations avec la famille et les tiers ; 3° la scolarité et la vie sociale de l'enfant ». En 2016, la DGCS a également publié une proposition de trame pour le PPE à destination des départements.

Le rapport législatif de Michelle Meunier pointait en décembre 2014 que le PPE était « mis en oeuvre de façon inégale par les services départementaux qui le considèrent trop souvent comme un facteur de lourdeur administrative plutôt que comme un réel outil au service d'une prise en charge cohérente de l'enfant »61(*). Le même constat a été dressé à échéance régulière ces dernières années. Une étude de septembre 2019 de la DGCS montrait qu'en 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant62(*). Pour les départements qui parvenaient à établir le PPE, la Cour des comptes, en 2020, soulignait que « la méthodologie d'élaboration du projet pour l'enfant n'est pas satisfaisante. Il est rarement élaboré de façon concertée et n'est pas toujours actualisé. Le contenu en est assez sommaire [...] »63(*).

L'auteur du présent rapport souscrit aux constats dressés par les différentes missions d'une mise en oeuvre inégale et globalement insatisfaisante du PPE. Les départements interrogés par le rapporteur n'établissaient pas un PPE pour tous les enfants confiés à l'ASE. Auditionné par le rapporteur, Gautier Arnaud-Melchiorre, chargé par le secrétaire d'État Adrien Taquet d'une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, précise ainsi de manière explicite : « Je n'ai jamais entendu un seul enfant me parler du projet pour l'enfant ». Gautier Arnaud-Melchiorre souligne également que les témoignages des mineurs ont fait ressentir leur sentiment de ne pas être assez associés à la construction de ce document.

Il ressort cependant de plusieurs auditions que les professionnels constatent une amélioration, certes lente, dans le déploiement du PPE. Dans la mise en place du document, il incombe aux services de l'ASE de privilégier sa finalité sur le simple déploiement d'un dispositif rendu obligatoire par les dispositions légales et réglementaires.

En audition, Kim Reuflet, présidente du syndicat de la magistrature, souligne que les difficultés de déploiement du PPE par les services de l'ASE prouvent l'urgence à redonner du sens au document : « Un travail important reste à faire du côté de l'ASE pour faire du PPE un outil dynamique de la mesure de placement, permettant notamment d'associer les familles au projet d'accueil. » Le rapporteur ne voit pas de raison à ce que le PPE ne soit pas mis en place et régulièrement actualisé, dès lors qu'il est conforme à sa raison d'être, - aider à la coordination et à la réalisation des projets que l'ASE construit avec l'enfant.

2. La santé des enfants protégés : en dépit des nombreux obstacles, une volonté politique qui ne doit pas être relâchée

Créée par la loi du 14 mars 2016, l'évaluation médicale et psychologique, dont bénéficient les enfants protégés, a été refondue, par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020, dans un bilan de santé et de prévention dont le contenu et la portée ont été précisés64(*). Ce bilan doit permettre d'engager un suivi médical régulier et coordonné. Il identifie les besoins de prévention et de soins permettant d'améliorer l'état de santé physique et psychique de l'enfant, lesquels sont intégrés au projet pour l'enfant. La LFSS a renforcé le caractère obligatoire du bilan de santé à l'entrée du mineur dans le dispositif de protection de l'enfance. En principe, le bilan est réalisé par un médecin de l'ASE, un médecin de la protection maternelle et infantile (PMI) - lequel intervient souvent pour les enfants de moins de six ans - ou un médecin libéral. Il se peut qu'un infirmier conduise cette évaluation.

La coordination du parcours de soins et la réalisation de ces bilans de santé sont cependant entravées par les difficultés générales dans l'accès aux soins et les recrutements contrariés des médecins référents en protection de l'enfance que la loi de 2016 a prévus afin de coordonner les services départementaux de l'ASE, les médecins libéraux et hospitaliers, ainsi que les médecins de santé scolaire du département. En dépit des efforts des départements, les postes n'ont pas été pourvus dans chaque département. Le rapport de la Cour des comptes sur la protection de l'enfance notait que « sur 17 départements contrôlés par les juridictions financières sur ce point, six ont effectivement recruté un médecin sur un poste spécifique et cinq (souvent plus petits) ont confié cette mission au médecin départemental de protection maternelle et infantile (PMI) en sus de son activité »65(*).

Une mission d'information de juillet 2019 de l'Assemblée nationale, relative à l'aide sociale à l'enfance constatait que l'application de l'obligation d'une évaluation médicale et psychologique était encore très inégale66(*). La stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2020-2022) avait prévu de systématiser un bilan de santé des mineurs à leur entrée dans les dispositifs de protection de l'enfance et leur accès à un parcours de soins coordonnés.

En 2021, l'auteur du présent rapport avait eu l'occasion de constater que le bilan de santé n'était pas encore réalisé dans tous les départements mais que son déploiement progressait. Les données les plus récentes de la DGCS sont issues d'une enquête de 2020 qui montrait qu'au 31 décembre 2019, 91 % des départements indiquaient mettre en oeuvre le bilan de santé à l'entrée de l'enfant dans le dispositif de protection de l'enfance67(*). L'année précédente, ils n'étaient que 51 % parmi ceux mettant en place le PPE.

Part de réponses positives et négatives des départements à la question suivante : « Réalisez-vous une évaluation médicale et psychologique/un bilan de santé et de prévention à l'entrée de l'enfant en protection de l'enfance ? »

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, rapport de Bernard Bonne

Cette progression illustre les efforts des départements pour améliorer le parcours de soins des enfants protégés (voir encadré ci-dessous). Un rapport de l'ONPE étudie une quinzaine de schémas départementaux de protection de l'enfance en vigueur au 1er janvier 2022 et note qu'il « est intéressant de constater que tous mentionnent, a minima, cet axe de travail en s'appuyant sur la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, mais également la volonté de réduire les inégalités sociales et de santé [...] »68(*).

Les actions menées par les départements de la Somme, d'Eure-et-Loir et des Hauts-de-Seine

Le conseil départemental de la Somme a mis en place depuis 2019 une organisation du parcours de soins des enfants protégés ayant permis d'augmenter, mais de façon insuffisante, le nombre de bilans de santé réalisés. La PMI, chargée des bilans des enfants de moins de six ans, n'est parvenue qu'à examiner la moitié des enfants. Le conseil départemental déplore aussi le manque de retour pour les autres prises en charge par la médecine libérale. Dès lors, selon le département, « l'organisation a été adaptée et simplifiée en 2022, avec une volonté forte d'améliorer et de garantir le parcours de santé des mineurs ainsi que la communication entre les différentes parties prenantes (ASE, PMI, médecine libérale et les établissements d'accueil) via un plan d'action en cours de déploiement ».

Le conseil départemental d'Eure-et-Loir est parvenu à recruter des médecins en PMI grâce à des tarifs horaires des vacations très attractifs. Ces médecins réalisent les bilans jusqu'aux six ans de l'enfant. Le centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF) se tourne vers la médecine de ville pour les soins des enfants. Le département déplore toutefois encore l'absence de médecin référent en protection de l'enfance.

Le conseil départemental des Hauts-de-Seine est parvenu à recruter en mars 2023 un médecin référent, après avoir mutualisé le poste avec le département des Yvelines pendant plusieurs années.

Outre les efforts menés par les départements pour appliquer les dispositions légales, une expérimentation menée depuis 2019 vise à mettre en place un parcours coordonné pris en charge à 100 % par la sécurité sociale (voir encadré ci-après).

L'expérimentation de coordination des parcours de soins des enfants protégés

Deux arrêtés respectivement du 3 juin 2019 et du 28 novembre 2019 relatifs à l'expérimentation pour un parcours de soins coordonné des enfants et adolescents protégés ont permis de lancer une expérimentation nationale « Santé protégée » de quatre ans (2019-2022) dans les départements de la Loire-Atlantique, des Pyrénées-Atlantiques et de la Haute-Vienne et qui devait être étendue à la Seine-Saint-Denis en 2022.

Cette expérimentation s'appuie sur le bilan de santé et de prévention et son actualisation annuelle pour coordonner les soins dispensés aux enfants. L'Assurance maladie verse ainsi un forfait de 430 euros par mineur et par an à la structure de coordination, signataire d'une convention avec le département et l'agence régionale de santé, qui doit notamment :

- identifier les médecins généralistes et pédiatres volontaires sur le territoire pour réaliser le bilan de santé ainsi que les spécialistes vers lesquels seront ensuite orientés les enfants ;

- former les professionnels qui intègrent le dispositif et favoriser les échanges entre pairs ;

- s'assurer que les soins et suivis préconisés lors du bilan sont effectivement réalisés et appuyer les référents éducatifs des enfants dans leur démarches avec les professionnels de santé ;

- centraliser et conserver les bilans, comptes rendus d'intervention et autres éléments constitutifs du carnet de santé et permettre la portabilité du dossier médical notamment en cas de changement de département de l'enfant ;

- reverser aux professionnels de santé et aux psychologues exerçant en libéral, ou aux structures et établissements qui les emploient, une partie du forfait financé par la sécurité sociale. Il est ainsi suggéré que les médecins bénéficient d'un complément de rémunération de 35 euros pour la réalisation de l'évaluation initiale, et de 21 euros pour son actualisation annuelle.

Les structures de coordination porteuses de projet sont ainsi :

- en Loire-Atlantique, le CHU de Nantes, où exerce le Dr Nathalie Vabres, qui a porté cette expérimentation ;

- en Haute-Vienne et dans les Pyrénées-Atlantiques, la plateforme territoriale d'appui (PTA) du département, gérée par une association.

Source : Commission des affaires sociales, d'après la DGCS et l'annexe à l'arrêté du 28 novembre 2019

Entendue en commission en janvier 2024, le professeur Christèle Gras-Le Guen, co-présidente des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, présentait un bilan favorable de cette expérimentation : « Le travail avance bien, 3 000 enfants ont été suivis de manière régulière par les médecins. [...] Cette expérimentation est très attendue, parce qu'elle permet de pallier le fait que la loi de 2016 n'a pas été mise en oeuvre sur le terrain. Médecins généralistes, pédiatres, médecins de PMI et professionnels du secteur médicosocial pourront ainsi être formés et travailler ensemble ; la plus-value pédagogique pour les professionnels est immense et les données épidémiologiques recueillies seront très utiles, pour définir une meilleure prise en charge. » Interrogée par le rapporteur, la DGCS indique que « des travaux vont être prochainement engagés pour définir les modalités et conditions de généralisation de ce parcours de soins ».

3. Le parrainage et le mentorat : une ambition législative encore loin de trouver une application

Le parrainage de proximité désigne une relation privilégiée, ayant vocation à s'inscrire dans la durée, entre un enfant protégé et une personne tierce bénévole, sous l'égide d'un organisme souvent associatif. Le parrain ou la marraine consacre du temps et une attention particulière à son filleul. Ce dispositif existait en protection de l'enfance avant que l'article 9 de la loi de 2022 ne lui reconnaisse une existence législative (voir encadré ci-après).

Les dispositions de l'article 9 de cette loi sont particulièrement ambitieuses en ce qu'elles prévoient que « le président du conseil départemental propose systématiquement, avec l'accord des parents ou des autres titulaires de l'autorité parentale, si tel est l'intérêt de l'enfant et après évaluation de la situation », de mettre en place un parrainage de proximité dans une relation coordonnée par une association. Par ailleurs, ces dispositions prévoient qu'un mentorat est, dans les mêmes conditions, systématiquement proposé aux enfants confiés à l'ASE.

Le développement progressif du parrainage de proximité

Le premier texte mentionnant le parrainage, au moins pour les mineurs confiés à la protection de l'enfance, est une circulaire du ministère des affaires sociales datant du 21 juin 197269(*). Une autre circulaire du 30 juin 1978, définissant le parrainage comme une aide possédant la triple caractéristique d'être « bénévole, partielle et durable », encourageait le parrainage de proximité.

Le dispositif a été consolidé par un arrêté du 26 mai 2003 pris conjointement par le garde des sceaux et le ministre délégué à la famille instituant un Comité national du parrainage, remplacé en 2010 par le Comité national de soutien à la parentalité, supprimé depuis. Un autre arrêté interministériel du 11 août 2005, qui constitue le seul texte d'encadrement en vigueur actuellement, a fixé une charte du parrainage à laquelle une quarantaine d'associations sont adhérentes70(*).

En 2018, cette charte a été mise à jour par les principales associations de parrainage, réunies dans un collectif inter-associatif « Tous Parrains ! », créé en 2016, afin de promouvoir le parrainage à échelle nationale.

Source : Rapport n° 74 (2021-2022) de M. Bernard Bonne, déposé le 20 octobre 2021

En 2021, malgré les actions visant à développer le parrainage de proximité, celui-ci restait encore insuffisant. Selon les données transmises au rapporteur par la DGCS pour l'examen du projet de loi, près de 3 000 parrainages étaient en cours en 2020, mis en oeuvre par les trois grandes associations que sont Parrains par mille, le réseau France Parrainage et l'Union nationale des acteurs de parrainage de proximité (UNAPP). Toutefois, d'autres initiatives locales existaient sans possibilité de les chiffrer.

Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance 2020-2022, le Gouvernement a fixé l'objectif d'atteindre 10 000 parrainages à horizon de 2022. Selon Flore Capelier, directrice de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), citée dans la presse spécialisée71(*) : « À l'heure actuelle, il n'existe pas d'indicateur disponible sur le nombre de parrainages ou de mentorats. Il est donc nécessaire de se référer aux données communiquées par les associations qui assurent de telles missions. » Le manque de données en 2023 empêche donc de savoir si cet objectif a été atteint, ce qui toutefois est peu probable, même si les chiffres rendus publics par les grands opérateurs font état d'une augmentation des parrainages. Ainsi, 953 parrainages auraient été suivis par Parrain par mille en 2022 (+ 5,9 % par rapport à 2021)72(*). Cette même année, 1 059 parrainages auraient été accompagnés par France Parrainages qui anticipe un fort développement du parrainage de proximité en notant, dans son rapport d'activité pour 2022, que « en institutionnalisant l'obligation, pour les conseils départementaux, de proposer aux enfants et jeunes qui en ont besoin un projet de parrainage/mentorat sur leur territoire, les prochaines années devraient voir une augmentation sensible de la couverture territoriale du dispositif en France. Dans ce contexte, France Parrainages a renforcé en 2022 le nombre d'enfants parrainés dans ses antennes existantes et a poursuivi ses objectifs de développement au niveau territorial. »73(*)

S'agissant du mentorat, les mêmes incertitudes demeurent même si l'introduction dans la loi de ces dispositions s'inscrivait dans une démarche volontariste du Gouvernement d'accroître le nombre de mentors. Le dispositif « 1 jeune, 1 mentor » s'est poursuivi après la promulgation de la loi avec un troisième appel à projets, lancé en avril 2022, afin de soutenir des structures d'intérêt général dans leur programme de mentorat. L'objectif est ainsi d'atteindre les 200 000 jeunes bénéficiant d'actions de mentorat en 2022.

Le Sénat a soutenu la très bonne intention de l'article 9 de la loi de 2022 mais l'auteur du présent rapport avait partagé quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et mentors. De fait, le public théoriquement concerné par cette disposition est constitué de l'ensemble des mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants en 2022... Les dispositions sont aujourd'hui très loin d'être appliquées.

En outre, l'absence de parution du décret d'application de cette disposition soulève quelques difficultés dès lors que les conditions de contrôle des parrains et marraines, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage doivent être précisées. En l'absence de ce cadre, il a été souligné au rapporteur que certains départements s'organiseraient de leur côté pour sélectionner et habiliter des associations de parrainage avec le risque que ces modalités ne soient pas conformes aux dispositions réglementaires à venir.

Le Gouvernement et la DGCS ont indiqué au rapporteur les points d'achoppement qui ont émergé lors des consultations et de la rédaction du décret. L'obligation de construire le parrainage avec une association peut poser problème, selon la DGCS, dès lors qu'elle risquerait d'écraser des initiatives plus libres déjà menées par les départements. Selon le secrétariat chargé de l'enfance, le décret « a nécessité des travaux spécifiques afin d'articuler le plus précisément possible ce dispositif avec celui du mentorat, également rendu obligatoire. L'enjeu était de définir un équilibre fin entre, d'une part, les garanties à apporter pour sécuriser le dispositif vis-à-vis des enfants accueillis, d'autre part, la souplesse nécessaire pour ne pas décourager les associations et acteurs volontaires pour s'investir en matière de parrainage. »

E. LA SORTIE DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE : UNE AMBITION RÉCENTE QUI RESTE À CONFIRMER

1. Les entretiens d'accès à l'autonomie : un dispositif peu appliqué
a) Les entretiens avant la majorité : un défi qui n'est pas encore entièrement relevé par les départements

La loi du 14 mars 201674(*) a prévu un entretien obligatoire organisé par le président du conseil départemental un an avant la majorité du jeune accueilli à l'ASE afin de « faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l'autonomie ». Il s'appuie sur le projet pour l'enfant qui doit comprendre un projet d'accès à l'autonomie. Le président du conseil départemental doit associer les autres organismes et institutions qui peuvent concourir à apporter une réponse aux besoins du jeune « en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources ».

Pour ce faire, l'article L. 222-5-2 du code de l'action sociale et des familles, issu de loi de 2016, demande au président du conseil départemental, conjointement avec le préfet et le président du conseil régional de conclure un protocole afin « de préparer et de mieux accompagner l'accès à l'autonomie des jeunes pris en charge ou sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse ».

En 2021, le rapporteur notait que la mise en oeuvre de cet entretien, qui paraît pourtant essentiel, était loin d'être assuré dans tous les départements (voir encadré ci-après). Il ressort des auditions menées par le rapporteur que cette description est toujours pertinente en 2023. La loi de 2022 est venue préciser que cet entretien devait se tenir au maximum six mois avant la majorité. Pour souhaitable que soit cette disposition, que le Sénat a soutenue, son application ne trouve pas encore un caractère prioritaire, l'urgence étant à la systématisation, dans tous les départements, de cet échange formalisé avec le jeune.

Mise en oeuvre de l'entretien d'accès à l'autonomie

L'application de cette mesure est très en deçà des attentes à l'échelle du territoire. Dans son rapport sur la protection de l'enfance, la Cour des comptes relève que dans certains départements l'entretien n'est mis en oeuvre que de façon limitée voire ne l'est pas du tout. Une enquête réalisée pour la DGCS objective statistiquement ce constat. Un tiers des départements n'aurait pas encore mis en place ces entretiens en 2019 (voir le graphique infra).

Source : Asdo études pour la Direction Générale de la Cohésion sociale, mai 2020

La proportion de deux tiers de départements organisant cet entretien recouvre encore une situation peu satisfaisante puisque certains ne le mettent pas en place pour tous les jeunes. Seuls 35 % des départements répondants organisent effectivement un entretien pour plus de trois quarts des jeunes confiés à l'ASE.

Source : Rapport n° 74 (2021-2022) de M. Bernard Bonne, déposé le 20 octobre 2021, citant l'étude Asdo de 2020

Pis, les protocoles conçus pour organiser les partenariats entre collectivités publiques et organismes n'ont été que très peu déployés. En 2018, l'étude réalisée pour le compte de la DGCS, et publiée en mai 2020, fait ressortir que seuls 11 % des départements répondants avaient effectivement contractualisé avec leurs partenaires. Plus inquiétant, 58 % des départements déclaraient alors ne pas avoir envisagé de mettre en place ce protocole.

b) L'entretien postérieur aux 18 ans du jeune : une solution qui reste idéale

Le législateur de 202275(*) a institué un nouvel entretien avec tout majeur ayant été accueilli par l'ASE à quelque titre que ce soit, y compris les jeunes majeurs, six mois après la sortie du dispositif afin de faire un bilan du parcours et de l'accès à l'autonomie. Cet entretien pourra être renouvelé sur demande du jeune et jusqu'à ses 21 ans. À l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, le jeune majeur doit être informé à cette occasion de son droit au retour à l'ASE.

Les auditions ont toutefois révélé que les départements ne parviennent pas encore à mettre en place ce nouvel entretien. Des raisons de moyens humains se conjuguent à la difficulté de pouvoir reprendre contact avec certains jeunes ayant rompu les liens avec l'ASE. La plupart des départements se concentrent donc, jusqu'à présent, sur l'organisation de l'entretien antérieur à la majorité. Certains cependant parviennent déjà à planifier la mise en oeuvre de cette innovation législative. Le département des Pyrénées-Orientales, qui réussit déjà à entendre tous les jeunes à 17 ans, apporte des financements à l'association départementale d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape) à qui la mission de créer le dispositif d'entretien postérieur à la majorité a été confiée.

2. La prise en charge des majeurs de moins de 21 ans : un droit diversement appliqué par les départements et une ambiguïté quant au rôle de l'État
a) L'accompagnement des jeunes majeurs sortant de l'ASE sous le régime antérieur à 2022
(1) La prise en charge des jeunes majeurs était juridiquement facultative

L'article 1er de loi du 5 mars 2007 a redéfini les missions de la protection de l'enfance, codifiées à l'article L. 112-3 du CASF, en prévoyant que les interventions de la protection de l'enfance « peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ».

L'article L. 221-1 du CASF prévoit également que le service de l'ASE est chargé de leur « apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique [...] » au même titre que les mineurs connaissant ces difficultés.

Toutefois, jusqu'en 2022, ces interventions à destination d'un public majeur « qui éprouv[e] des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants »76(*) étaient à la discrétion du département. Elles pouvaient prendre la forme d'un accueil provisoire jeune majeur (APJM), ou bien d'aides éducatives à domicile à destination des jeunes majeurs (AEDJM), de prestations pécuniaires ou d'un accompagnement socio-éducatif.

L'article 16 de loi du 14 mars 2016 oblige les départements à proposer un accompagnement aux jeunes accueillis à l'ASE sur décision administrative devenus majeurs et aux majeurs éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée.

La loi de 2016 a également renforcé, comme il a été dit supra, la responsabilité des départements dans l'accompagnement des jeunes majeurs grâce aux protocoles d'accès à l'autonomie.

(2) La situation insatisfaisante qui préexistait de fait

Les différentes interventions en faveur des majeurs sont généralement regroupées dans une dénomination usuelle de « contrat jeune majeur » et se concrétisent souvent par une véritable contractualisation entre le département et le jeune. En contrepartie d'un accompagnement, le jeune majeur s'engage généralement à fournir des efforts d'insertion sociale. En pratique, ces conditions tiennent à la motivation du jeune et à l'existence d'un projet professionnel ou de formation ainsi que l'indique le graphique ci-dessous issu du rapport commandé par la DGCS. Une personne sortant de l'ASE qui ne serait ni en emploi, ni en formation serait en grande difficulté pour trouver une aide jeune majeur.

Le rapport de la mission d'information commune aux commissions des lois et des affaires sociales sur les mineurs non accompagnés (MNA) relevait également que certains départements faisaient « le choix de conditionner l'octroi d'un contrat jeune majeur à une prise en charge préalable au sein de l'ASE de deux ans minimum. Une telle condition a pour conséquence directe de refuser le contrat jeune majeur à la plupart des MNA, lesquels entrent majoritairement dans les dispositifs de protection de l'enfance après 16 ans. »77(*)

Proportion de départements fixant des conditions pour bénéficier d'un contrat jeune majeur en 2018 (73 départements répondants)

Source : Asdo études, pour la DGCS, mai 2020

En 2021, lors de l'examen du projet de loi relatif à la protection des enfants, l'auteur de ce présent rapport avait pu constater un recours hétérogène et globalement insuffisant aux contrats jeune majeur.

Certes, au fil des années, les jeunes majeurs représentent une proportion toujours plus grande des bénéficiaires d'un accueil à l'ASE. En 2021, les jeunes de 18 à 21 ans représentaient 18,9 % des jeunes confiés à l'ASE78(*) contre seulement 11,7 % en 2017. Toutefois, l'étude précitée commandée par la DGCS révélait qu'en 201879(*) le taux de prise en charge en APJM des jeunes confiés à l'ASE avant 18 ans et devenus majeurs atteignait 36 %. Ainsi que le rapporteur le notait en 2021, cette proportion moyenne dissimulait des situations très diverses selon les départements (voir le graphique infra) avec une étendue de 73 points entre le département accordant le moins les contrats jeune majeur et celui y ayant le plus recours. Certains départements, particulièrement vertueux, proposaient également, si besoin, un accompagnement jusqu'aux 25 ans du jeune.

Répartition des 92 départements répondants selon la proportion de prise en charge en APJM des jeunes majeurs de moins de 21 ans

Source : Asdo études, pour la DGCS, mai 2020

b) L'accueil provisoire jeune majeur : un droit à appliquer

La loi du 7 février 2022 a renforcé les missions du département quant à l'accompagnement des jeunes majeurs pour mettre fin aux situations de « sortie sèche » trop fréquentes en protection de l'enfance. L'article 10 rend obligatoire de proposer une solution aux jeunes sortant de l'ASE jusqu'à leurs 21 ans lorsqu'ils ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. À l'initiative du Sénat, cet article prévoit également un droit au retour lorsque les jeunes ont choisi de quitter l'ASE mais souhaitent à nouveau être accompagnés avant leurs 21 ans.

Par ailleurs, l'article 10 dispose que le contrat engagement jeune80(*) est systématiquement proposé aux jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'ASE sans ressources ni soutien familial suffisants ou sortant d'un placement auprès de la PJJ et ne faisant plus l'objet d'un suivi éducatif après leur majorité. Ce contrat engagement jeune n'est toutefois proposé qu'aux jeunes ayant besoin d'un accompagnement et remplissant les conditions d'accès à ce dispositif.

De cet article a résulté un projet pour l'autonomie, présenté par le secrétaire d'État en séance au Sénat, et dont les éléments qu'il comporte, précisés par décret du 5 août 2022, doivent être mis en oeuvre par le président du conseil départemental en lien avec le préfet, le président du conseil régional et les organismes compétents pour apporter une réponse aux besoins du jeune majeur. En vertu de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 et de ce décret81(*), c'est bien au conseil départemental que revient, subsidiairement aux autres personnes publiques, la mission de s'assurer que tous les besoins du jeune majeur sont couverts.

Le dispositif d'accompagnement vers l'autonomie des jeunes majeurs sortant de l'ASE

En séance publique au Sénat, le secrétaire d'État Adrien Taquet, présentait les deux éléments contenus dans les dispositions de l'article 10 : « Le premier consiste à étendre de façon systématique l'accompagnement des jeunes de 18 ans à 21 ans. Le deuxième est un projet pour l'autonomie - ce n'est pas formulé en ces termes dans le texte - [...] qui devrait être obligatoirement élaboré par l'ensemble des professionnels, l'État et le département au bénéfice de ces jeunes. »

Ce projet pour l'autonomie se déclinerait en trois piliers reposant respectivement sur un maintien du lien social, une solution d'hébergement et un accompagnement dans l'insertion professionnelle ou dans une formation. Selon Adrien Taquet, « cela suppose [...] un accès automatique [...] au contrat d'engagement jeune, dans une version bonifiée prévoyant une rémunération plus importante à laquelle auront automatiquement accès les jeunes sortant de l'ASE. Ce dispositif est destiné aux fameux ê“NEET”82(*), c'est-à-dire les jeunes sans emploi et sans formation. Quant aux autres, ils bénéficieront d'un contrat en alternance, d'un contrat professionnel, d'une formation, d'un parcours d'insertion professionnelle et d'une rémunération prévue dans le dispositif ».

Un décret du 5 août 202283(*) précise les éléments que le projet d'accès à l'autonomie du jeune doit comporter. Aux termes du nouvel article R. 222-6 du code de l'action sociale et des familles, le président du conseil départemental complète si nécessaire, pour les personnes ayant été accueillies à l'ASE, « le projet d'accès à l'autonomie formalisé lors de l'entretien pour l'autonomie mentionné à l'article L. 222-5-1, afin de couvrir les besoins suivants :

1° L'accès à des ressources financières nécessaires à un accompagnement vers l'autonomie ;

2° L'accès à un logement ou un hébergement ;

3° L'accès à un emploi, une formation ou un dispositif d'insertion professionnelle ;

4° L'accès aux soins ;

5° L'accès à un accompagnement dans les démarches administratives ;

6° Un accompagnement socio-éducatif visant à consolider et à favoriser le développement physique, psychique, affectif, culturel et social ».

Le décret créé également dans chaque département des commissions départementales d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs, présidées par le président du conseil départemental, lesquelles sont chargées de mettre en oeuvre les protocoles entre les départements et les préfets pour mobiliser les ressources permettant d'apporter un accompagnement global au jeune.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

c) La mise en oeuvre de la loi trop lente et incomplète
(1) Les départements n'assument pas encore l'étendue de leurs obligations

Paru le 28 juin 2023, un rapport du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ) se penche sur la mise en oeuvre des dispositions en notant que « si la loi du 7 février 2022 dispose que l'accompagnement jeune majeur est un droit pour tous les jeunes sans soutien familial pris en charge par l'ASE, force est de constater que ce droit n'est pas effectif et se heurte en réalité à de nombreux obstacles de fait ».

Le CNPE et le COJ relèvent l'ambiguïté du décret du 5 août 2022 qui laisserait aux conseils départementaux une marge d'appréciation trop importante, laquelle « conduit à maintenir des iniquités de traitement. Les exécutifs départementaux apprécient seuls la nécessité ou non d'octroyer un accompagnement jeunes majeurs, ce qui entraîne une multiplicité des pratiques départementales en direction des jeunes majeurs, tout en faisant persister des inégalités d'accès aux droits, et de fait à l'autonomie ». Cette rédaction sujette à interprétation a également été soulignée au rapporteur en audition. En tout état de cause, les travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information étayent le constat d'une hétérogénéité territoriale qui n'a pas été réduite par la loi de 2022. Si la situation semble s'améliorer dans certains départements du fait de la loi, sans que des données quantitatives ne permettent déjà de mesurer cet effet, le nombre de décisions d'accorder la poursuite d'une prise en charge après la majorité et la durée de l'accompagnement varient toujours fortement d'un département à l'autre.

Le rapporteur se réjouit cependant que la loi produise déjà quelques effets grâce aux recours juridictionnels. En 2022, le Conseil d'État a ainsi eu l'occasion de s'appuyer sur les nouvelles dispositions entrées en vigueur pour enjoindre à un département de prendre en charge un jeune majeur dans le cadre du droit au retour84(*). La jurisprudence pourra, le cas échéant, clarifier l'étendue des obligations des départements.

(2) L'engagement de l'État à la sortie du dispositif de l'ASE est insuffisant

Au stade de l'examen du projet de loi en commission, le rapporteur avait pointé les ambiguïtés de l'application de la loi quant à l'articulation entre le dispositif d'accompagnement du jeune majeur et la garantie jeunes devenue contrat engagement jeunes (CEJ). Malgré la clarification du Gouvernement apportée en séance publique au Sénat, la mise en oeuvre de la loi a confirmé les quelques craintes initiales.

Le CEJ n'est proposé aux jeunes sortants de l'ASE que s'ils remplissent les conditions d'octroi de droit commun. Les étudiants ou apprentis ne sont donc pas éligibles au CEJ quand bien même ils se trouveraient en difficulté financière ou auraient besoin d'un accompagnement renforcé vers leur insertion professionnelle.

Le secrétaire d'État avait ainsi indiqué que « depuis 2019 et la mise en place de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, l'État, en responsabilité, [...] a mobilisé tous les dispositifs de droit commun de façon prioritaire au bénéfice des enfants sortant de l'ASE ». Le rapporteur salue effectivement les actions menées par le Gouvernement dans le cadre de cette stratégie ou de la contractualisation avec les départements. Toutefois, ces mesures restent encore insuffisantes compte tenu des jeunes dont la situation échappe encore aux dispositifs de droit commun. 

Par ailleurs, l'effort budgétaire de 50 millions d'euros, prévu dans la loi de finances pour 2023, n'est pas à la hauteur pour soutenir les départements dans le versement d'une aide utile pour les jeunes en difficulté85(*). Ces crédits n'ont, d'ailleurs, pas encore été répartis et versés aux départements qui doivent préalablement évaluer les coûts induits par les prises en charge de jeunes majeurs selon les informations que Charlotte Caubel a communiquées à la commission : « Les départements sont peu capables d'évaluer le coût du dispositif, l'évaluation n'est faite qu'a posteriori. Les demandes vont nous parvenir pour la contractualisation en 2024. Nous voulons dépenser cette ligne budgétaire, qui reste assez réduite, et nous restons vigilants à ce que les demandes de 2023 soient bien traitées. »

Le rapporteur a pris connaissance des préconisations récentes du CNPE et du COJ quant à l'insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant de l'ASE et s'associe pleinement à leur première recommandation visant à « garantir à tous les jeunes majeurs sans soutien familial accompagnés par les départements dans le cadre d'un accueil provisoire jeune majeur, le versement systématique et sans condition par l'État, d'une allocation mensuelle au moins équivalente au montant du CEJ, complétée en tant que de besoin par le service départemental de l'aide sociale à l'enfance, en fonction des ressources, besoins spécifiques, et projets du jeune concerné »86(*).

Le rapporteur est convaincu que seule la garantie d'une ressource pécuniaire financée par l'État au titre de la solidarité nationale, délivrée ou non par les départements, donnera aux jeunes sortants de l'ASE sans soutien familial une réelle chance de réussir leur insertion socio-professionnelle. Le projet d'accès à l'autonomie établi par le département doit apporter une aide complémentaire et un accompagnement dans les autres dimensions listées par le décret du 5 août 2022 (lien social, solution d'hébergement, aides administratives).

Proposition n° 1 : Assurer aux jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance sans soutien familial une réelle aide pécuniaire financée par l'État.

(Gouvernement, Parlement)

F. LA CONSTRUCTION PAR LA LOI D'UNE MEILLEURE GOUVERNANCE DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE PREND PROGRESSIVEMENT FORME

1. Le manque de recul empêche encore de dresser le bilan de la réforme de la gouvernance nationale

Bien qu'il ait maintenu certaines des instances existantes, le législateur de 2022 a décidé d'une importante réorganisation de la gouvernance nationale de la protection de l'enfance sous l'égide d'un nouveau GIP France enfance protégée (voir tableau ci-après). Après une édification plus lente - car peut-être plus complexe - que prévu, le GIP a été mis en service effectif en janvier 202387(*). La secrétaire d'État Charlotte Caubel a eu l'occasion de rappeler l'ampleur du chantier à la commission : « J'ai consacré beaucoup d'énergie au baptême du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée. [...] Il fallait donc mettre au monde ce GIP et établir son budget ; cet exercice m'a pris une bonne partie de l'été 2022. »88(*)

Si le GIP dispose désormais d'une convention constitutive approuvée, d'un bureau depuis l'assemblée générale constitutive du 5 janvier 2023, d'un budget de 11,2 millions d'euros, ainsi que d'un site internet et d'un logo, depuis le 9 juin 2023, il ne paraît pas encore pleinement opérationnel dès lors que les 120 postes, qui constitueront à terme son administration, ne sont pas encore tous pourvus. Son programme de travail pour 2023 est surtout tourné vers la structuration de son activité, y compris dans ses aspects les plus pratiques (aménagement des locaux du GIP, réorganisation des systèmes d'information, du budget et de la comptabilité, etc.).

Groupement d'intérêt public « France enfance protégée »

Composition : État, départements et collectivités territoriales à statut particulier compétentes sur ces questions. Possibilité pour d'autres personnes morales publiques ou privées d'y adhérer.

Financement conjoint par l'État, les départements et les collectivités à statut particulier.

Assure le secrétariat général des instances suivantes :

· Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP) demeurant inchangé ;

· Conseil supérieur de l'adoption (CSA) devenant le Conseil national de l'adoption (CNA) ;

· Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) comportant un collège des enfants et des jeunes protégés ou sortant de la protection de l'enfance

Assure les missions précédemment exercées par l'Agence française de l'adoption (AFA) dont l'existence en tant que GIP disparaît.

Absorbe les missions du Groupement d'intérêt public pour l'enfance en danger (Giped) qui disparaît :

· Gestion du Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger
- Snated (plateforme téléphonique « 119 ») ;

· Gestion de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE)

Met en oeuvre de nouvelles missions :

· Gestion du fichier national des agréments des assistants familiaux et maternels ;

· Gestion d'un centre national de ressources répertoriant les bonnes pratiques et des référentiels ;

· Promotion de la recherche et de l'évaluation dans ces domaines de compétences.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Les instances dont le GIP assure le secrétariat général sont également en cours de création. Après la désignation des nouveaux membres (cf. partie I supra), la secrétaire d'État Charlotte Caubel a pu installer officiellement le CNPE le 23 juin 2023. L'installation du nouveau CNA devrait intervenir en 2023 également.

Dans ce contexte, il est encore trop tôt pour tirer les enseignements de la réforme induite par l'article 36 de la loi du 7 février 2022. Le rapporteur ne peut que constater que l'architecture prévue sur le papier prend forme sans présager de la réussite concrète de la rationalisation prévue par la loi. Ainsi que l'écrit la présidente Florence Dabin, « ce schéma théorique est en cours d'ajustement dans la pratique, avec la nouvelle formation du CNPE, l'installation du CNA, et un début de travail commun entre les conseils ».

Cette « originalité administrative », selon les mots de Charlotte Caubel, devra réussir à faire vivre les différentes instances qu'il a la charge de chapeauter. Le défi reste de taille pour France enfance protégée et est bien identifié par Florence Dabin : « Ce “mécano” institutionnel devra cependant faire l'objet d'une attention particulière afin que soient lisibles les fonctions des instances consultatives que sont les conseils, et les instances propres du GIP qui est un opérateur appelé à produire directement une partie de la politique nationale en termes de services (avec le 119, pour l'adoption, pour l'accès aux origines), mais aussi à être l'institution ressource de référence pour l'ensemble des acteurs (avec l'ONPE centre de ressource notamment). Afin de disposer d'une gouvernance lisible, il faut garantir le périmètre de chaque instance [...]» La présidente insiste ainsi sur l'indépendance dont bénéficient les trois conseils dans leurs travaux, lesquels peuvent s'appuyer sur les fonctions support du GIP et ses ressources (statistiques, communicationnelles...) mis à leur disposition. En revanche, « les conseils sont des enceintes de réflexion et d'expression et ne doivent pas se substituer au GIP au plan opérationnel ».

La méthode instiguée par Florence Dabin s'appuie sur des échanges réguliers formalisés, d'une part, avec les associations, représentées au sein du troisième collège, qui souhaitaient être intégrées à la gouvernance ; d'autre part, avec les présidences des trois conseils nationaux. Le règlement intérieur du GIP, adopté le 13 juin 2023, prévoit ainsi une rencontre trimestrielle avec les présidences des trois conseils « afin de mieux les impliquer dans le fonctionnement de France enfance protégée ».

2. Jusqu'en 2022, une coordination des acteurs locaux hétérogène selon les départements

Tant en 2007 qu'en 2016, le législateur a souhaité favoriser une bonne coordination de la multitude d'acteurs intervenant en protection de l'enfance au niveau territorial. La loi de 2007 a ainsi créé les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). La loi de 2016 a obligé le directeur de l'enseignement scolaire à informer le conseil départemental en cas d'absentéisme ou de décrochage scolaire. Elle a prévu les protocoles établis « dans chaque département par le président du conseil départemental avec les différents responsables institutionnels et associatifs amenés à mettre en place des actions de prévention en direction de l'enfant et de sa famille » et a créé les protocoles pour l'accès à l'autonomie des jeunes dont il a déjà été fait mention. Enfin, la loi de 2016 a créé les commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec).

Le pilotage de la protection de l'enfance ne ressort pas nécessairement amélioré de ces innovations législatives et se trouve dans des situations très disparates selon les départements, ainsi que les différents rapports institutionnels ont su le mettre en exergue. La Cour des comptes a ainsi pointé que les ODPE n'ont pas su remplir leurs rôles de coordination des acteurs, non seulement parce que leur mise en place a été tardive et reste incomplète, mais aussi parce que « ces observatoires disposent généralement de faibles moyens humains, ce qui ne leur permet pas d'exercer leurs missions en conformité avec les dispositions du CASF et un fonctionnement pluri-institutionnel peine parfois à s'organiser ». Selon la Cour, les Cessec ont également été mises en oeuvre de manière très hétérogène et, lorsqu'elles existent, ne se réunissent pas aussi souvent que la loi l'a entendu.

Les mêmes constats de mise en place inégale s'appliquent aux différents protocoles prévus par les lois pour articuler l'action des services du département et de l'État déconcentrés - ainsi qu'il a été exposé plus en amont en ce qui concerne les protocoles d'accès à l'autonomie. Les difficultés de coordonner les services de l'éducation nationale avec les services de l'ASE ont par exemple été mentionnées en audition. De même, le CNPR souligne au rapporteur que la faible « coordination des services PJJ/ASE pour un mineur suivi au pénal et en assistance éducative est assez récurrente et la capacité de ces deux services à travailler ensemble et en bonne intelligence n'est pas une réalité ».

Enfin, si certains territoires ont su organiser une bonne coordination grâce à des instances quadripartites efficaces (département, tribunal judiciaire, parquets, service de la PJJ), les rapports entre les conseils départementaux et l'autorité judiciaire sont globalement insatisfaisants. Aux difficultés de nouer des relations pour traiter des cas délicats de manière concertée, que l'Igas et l'inspection générale de la justice (IGJ) exposent dans un rapport de 201989(*), s'ajoute une complexité liée aux juridictions des tribunaux judiciaires et des parquets qui ne correspondent pas nécessairement au ressort du département. Bien entendu, il ne faut toutefois pas négliger la présence de coordination informelle et pragmatique au quotidien.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes recommandait ainsi de « renforcer la gouvernance territoriale de la protection de l'enfance en désignant le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et comme coordonnateur des services de l'État sur le territoire en matière de protection de l'enfance, en lien avec les autorités judiciaires ».

3. Une gouvernance locale que les comités départementaux de la protection de l'enfance doit revivifier

À l'initiative de l'auteur du présent rapport, l'article 37 de la loi du 7 février 2022 prévoit, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et le préfet. La loi a détaillé la composition des comités que les textes d'application ont complétée. Les CDPE ont pour ambition de coordonner les actions menées pour la protection de l'enfance dans le département, de définir des orientations communes et de prendre des initiatives, notamment en matière de prévention. Cette instance peut en outre se réunir pour traiter de situations individuelles complexes ou pour répondre de façon coordonnée à des incidents graves. À cette fin, le décret a prévu une formation restreinte.

Les dix premiers départements expérimentateurs ont été désignés en mars 2023 par décret et leur installation par la secrétaire d'État Charlotte Caubel a été inaugurée par la première réunion d'un CDPE dans le Pas-de-Calais, le 2 février 2023. Il ressort des travaux du rapporteur que la qualité de la coordination des acteurs a déterminé l'engagement des conseils départementaux dans l'expérimentation. Dans les départements volontaires, les instances préexistantes étaient généralement mises en sommeil et le CDPE a été perçu, à raison, comme une opportunité de faire (re)venir les acteurs autour de la table. Au contraire, le département des Hauts-de-Seine, n'ayant pas souhaité s'engager dans ce dispositif, a expliqué au rapporteur être satisfait de l'instance de coordination active déjà en place.

Le rapporteur constate qu'après un certain retard à l'allumage, l'expérimentation suit désormais son cours et fait l'objet d'une réelle appropriation par les départements volontaires qui y placent un vrai espoir d'améliorer le pilotage local de la protection de l'enfance. Les CDPE définissent de premiers sujets de travaux (voir encadré ci-après).

Le comité dans le département de la Somme

Mis en place le 17 avril 2023, le CDPE a défini les thèmes prioritaires sur lesquels il envisageait d'axer ses premiers travaux : le développement de prises en charge adaptées pour les enfants à besoins particuliers, le développement des solutions alternatives au placement à l'ASE, la structuration de l'offre sportive et culturelle, le renforcement de la lutte contre le décrochage scolaire, la promotion de l'accès aux droits et à la citoyenneté, le développement de l'axe santé, la réaffirmation des obligations éducatives parentales au sens pénal.

Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation. Ces comités devront éviter toute redondance avec d'autres instances actives (Cessec, commission d'accès à l'autonomie, ODPE, etc.). La DGCS a ainsi indiqué au rapporteur que les préfets des départements concernés ont reçu une instruction pour leur indiquer les thématiques à privilégier et pour leur enjoindre d'éviter les redondances avec d'autres structures. Le portage politique par le Gouvernement de cette expérimentation ne peut qu'être salué par le rapporteur, qui a bien noté la dimension prioritaire qu'elle revêt pour la secrétaire d'État90(*). La DGCS annonce également qu'un suivi poussé aura lieu sous la forme de remontées d'informations dès la fin 2023, ce que le rapporteur ne peut qu'encourager. Il est essentiel de mener des évaluations régulières du CDPE afin de constater si, à l'échéance des cinq ans d'expérimentation, sa généralisation est envisageable. Si tel est le cas, il conviendra aussi d'évaluer si le CDPE peut se substituer utilement à d'autres instances locales qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Proposition n° 2 : Conduire des évaluations récurrentes des comités départementaux de la protection de l'enfance pour déterminer si, au terme de l'expérimentation, les conditions de remplacement des instances existantes par ces comités seront réunies.

(GouvernementDGCS, DPJJ, préfets - et départements)

III. APPLIQUER LES LOIS : UNE PRIORITÉ DEVANT IRRIGUER CHAQUE ÉCHELON DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE

A. LA PROTECTION DE L'ENFANCE NE PEUT ÊTRE UNE COMPÉTENCE NÉGLIGÉE PAR LES DÉPARTEMENTS.

1. Une volonté politique qui doit se traduire par un service d'aide sociale à l'enfance qui applique voire devance la loi

Chefs de file de la protection de l'enfance, les départements lui consacrent des sommes importantes et croissantes de leur budget : en 2021, les dépenses annuelles en faveur de la protection de l'enfance atteignaient 8,8 milliards d'euros soit un montant supérieur de 52 % par rapport aux dépenses de 2007.

Les disparités sont cependant importantes entre départements. La Cour des comptes constate qu'en moyenne, les dépenses nettes de protection de l'enfance « sont estimées à 120 euros par habitant, avec des écarts allant de 49 euros par habitant en collectivité de Corse à 214 euros par habitant en Seine-Saint-Denis. 63 départements se situent en dessous de cette moyenne et 37 au-dessus. Ces disparités territoriales persistantes qui peuvent, pour partie, s'expliquer par la sociologie de la population, font cependant obstacle à ce que les enfants bénéficient d'une même qualité de prise en charge sur le territoire. »91(*) Chaque année l'ONPE publie une note sur la prise en charge en protection de l'enfance et constate les interventions diverses entre départements. En décembre 2022, l'observatoire notait ainsi que « les écarts entre départements se sont creusés sur la période du 31 décembre 2010 au 31 décembre 2020. Les causes de ces écarts sont difficiles à définir et certainement plurifactorielles. Plusieurs hypothèses peuvent être esquissées comme l'accroissement des disparités en termes de besoins des enfants et des familles selon les territoires, des évolutions de pratiques locales ou encore des contextes sociodémographiques, politiques ou budgétaires divers. »92(*)

Au regard de l'application très inégale des dispositions prévues par le législateur, le rapporteur ne peut que constater que les volontés politiques locales font la différence en protection de l'enfance. Les auditions menées confirment ce sentiment : certains des élus rencontrés ont insisté sur l'impulsion politique qu'a constituée l'arrivée d'un nouvel exécutif à la tête du conseil départemental. Par exemple, en janvier 2023, afin de mettre en oeuvre la loi du 7 février 2022, le conseil départemental de la Somme a voté un budget de plus de 93 millions d'euros consacré à la protection de l'enfance en augmentation de plus de 21 % par rapport au budget voté en 2020.

L'application des lois doit devenir la priorité des politiques départementales en protection de l'enfance. Le rapporteur ne peut qu'encourager les départements à s'approprier les dispositions législatives en se saisissant des marges de souplesse et des libertés d'organisation. Les réponses appropriées aux besoins des enfants et des familles peuvent être différentes selon les territoires et, dès lors que les exigences assignées par le législateur sont respectées, les moyens peuvent être adaptés.

2. L'application des dispositions législatives doit être la priorité de la prochaine contractualisation

Dans le cadre de sa stratégie nationale, le Gouvernement a enclenché une démarche de contractualisation entre l'État, par l'intermédiaire des préfets et des ARS, et les départements volontaires. Cette contractualisation s'est déployée progressivement depuis 2020 avec 29 départements signataires en 2020 puis 70 en 2021.

Les objectifs poursuivis sont très ciblés : création de places pour l'accueil des fratries, renforcement des moyens et de la pluridisciplinarité des CRIP, diversification de l'offre en matière de mesures à domicile... Beaucoup des actions identifiées contribuent indirectement à une meilleure application des dispositions législatives et, ainsi que l'a révélé l'ancien secrétaire d'État, Adrien taquet, la démarche de contractualisation, décidée en 2019, constituait une tentative de trouver un levier pour améliorer l'application des lois de 2007 et 2016.

Le bilan de cette stratégie ne peut malheureusement pas encore être dressé en dépit des indicateurs de résultats que la stratégie prévoyait pour chaque action. Cette démarche de l'« État incitateur » selon la formule d'Anne Devreese, qui voit dans la contractualisation un mouvement très positif pour la protection de l'enfance, a probablement fait progresser plusieurs points. Le présent rapport souligne toutefois qu'en 2023 l'application des lois de 2007 et 2016 est très loin d'être aboutie y compris sur des thèmes retenus dans le périmètre des conventions.

L'instruction donnée93(*) aux préfets en 2023 révèle que l'année 2023 est une période de transition dans l'attente d'une évolution des modalités de cette contractualisation à compter de janvier 2024. La DGCS a ainsi indiqué au rapporteur souhaité placer la mise en oeuvre de la loi du 7 février 2022 comme l'ambition de cette prochaine démarche. Le rapporteur ne peut qu'encourager cette perspective ; la prochaine vague de contractualisation lancée en 2024 devra porter l'application des lois en son coeur puisqu'il s'agit là d'une priorité absolue en protection de l'enfance. Cette contractualisation devra être généralisée à l'ensemble des départements sous risque d'accroître, une fois de plus, les inégalités territoriales.

B. LA COMPÉTENCE CONFIÉE AUX DÉPARTEMENTS DEPUIS 1983 NE DOIT PAS SE TRANSFORMER EN DÉSENGAGEMENT DE L'ÉTAT.

La présidente du CNPE, Anne Devreese, a mise en évidence la responsabilité partagée des départements et de l'État dans la situation actuelle. Le rapporteur souscrit à ces propos ; en parallèle de l'engagement variable des départements, l'État s'est trop souvent reposé sur eux et a pu négliger certaines de ses missions qui concourent à la politique de protection de l'enfance.

Présentant le projet de loi à la commission, en septembre 2021, le secrétaire d'État Adrien Taquet indiquait : « [...] j'ai toujours dit que cette politique publique était une compétence non pas décentralisée, mais partagée. Il ne s'agit pas de revenir sur le chef de filat du département en la matière, mais les pouvoirs publics ont trop souvent considéré que c'était à l'enfant de suivre notre organisation administrative. »94(*) Lors de la discussion générale du projet de loi, le secrétaire d'État exprimait cette même idée : « Cet investissement doit être partagé entre les différents acteurs, départements et État, chacun devant prendre ses responsabilités [...]. » Déjà en 2016, Laurence Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie, déclarait au Sénat que « le respect du principe de libre administration des collectivités ne s'oppose pas à l'exercice par l'État de ses responsabilités régaliennes. Il appartient à celui-ci de garantir sur l'ensemble du territoire national la prise en compte effective des besoins de l'enfant. » La stratégie nationale de protection de l'enfance a entendu réaffirmer le rôle de l'État dans l'accomplissement de certaines compétences mais n'a pas encore parachevé cette ambition.

1. Accompagner les départements dans leurs efforts financiers

Plusieurs dispositifs financiers de l'État soutiennent les départements dans l'accomplissement de leurs missions au titre de la protection de l'enfance. Premièrement, dans le cadre de la contractualisation, des crédits du programme budgétaire n° 304 à hauteur de 140 millions pour 2023 sont alloués aux départements signataires d'un contrat départemental de prévention et de protection de l'enfance (CDPPE). Les montants mobilisés par la contractualisation font également intervenir un financement par le fonds d'intervention régionale (FIR) à disposition des ARS. Deuxièmement, pour 2023, l'État a dégagé une enveloppe de 50 millions d'euros pour aider les départements à prévenir les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance. Le rapporteur estime ce montant largement insuffisant (voir supra).

Troisièmement, l'État doit assurer une contribution aux dépenses des départements associées à l'évaluation de la minorité et de l'isolement des personnes se déclarant MNA. Alors que les flux d'entrées de mineurs non accompagnés repartent à la hausse, le financement de l'État baisserait de 93 millions d'euros en 2022 à 90 millions d'euros en 2023 (crédits de la loi de finances pour 2023).

Dépenses de l'État au titre de la prise en charge des MNA

(en millions d'euros)

Source : Avis n° 118 (2022-2023) de M. Jean Sol, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 novembre 2022

Dans le contexte de tension que connaissent les services d'ASE, qui a été mis en évidence dans ce rapport, le rapporteur estime que le financement apporté par l'État n'est pas à la hauteur des enjeux. Le rôle de l'État est de s'assurer que les collectivités territoriales, qui ne disposent pas d'autonomie fiscale, aient les moyens de mettre en oeuvre les compétences que le législateur leur confie.

Par ailleurs, le rapporteur constate que tous les financements prévus par la loi ne sont pas mis en place. La loi de 2007 a prévu un fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNFPE) dont l'objet, aux termes de l'article 27 de la loi, « est de compenser les charges résultant pour les départements de la mise en oeuvre de la présente loi selon des critères nationaux et des modalités fixées par décret et de favoriser des actions entrant dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance et définies par voie conventionnelle entre le fonds et ses bénéficiaires ». Les ressources du fonds sont constituées par un versement de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), dont le montant est arrêté en loi de financement de la sécurité sociale et un versement annuel de l'État arrêté en loi de finances.

Ce fonds n'a pourtant pas été utilisé aux fins que la loi lui avait assignées. De 2015 à 2018, le FNFPE a été entièrement consacré à la participation financière forfaitaire de l'État à la phase d'évaluation et de mise à l'abri des personnes se présentant comme MNA. Cette réorientation a été expressément permise par le pouvoir réglementaire en 201595(*). Un décret du 27 juin 201996(*) a redirigé ce dispositif vers le budget de l'État en l'inscrivant directement sur le programme n° 304.

La Cour des comptes juge sévèrement ce détournement de la mission du fonds qui n'a donc apporté son financement qu'à la prise en charge des MNA « et non sur les réformes introduites en 2007, ce qui soulève une interrogation quant au portage par l'État de cette politique publique »97(*). Le fonds n'est aujourd'hui plus actif alors même que sa gouvernance réunissant des représentants de la CNAF, des départements et de l'État était intéressante. La DGCS confirme que, « depuis 2020, aucun versement n'a été opéré sur le FNFPE qui est devenu sans objet, les mesures nouvelles issues de la loi du 5 mars 2007 étant mises en oeuvre depuis plusieurs années ». Le présent rapport porte une appréciation différente de l'application réelle des dispositions de la loi de 2007. Le fonds national trouverait encore toute son utilité.

2. Mobiliser les services déconcentrés de l'État concourant à la politique de protection de l'enfance

La loi du 7 février 2022 a entendu réaffirmer le rôle de l'État en matière de coordination dans la politique de protection de l'enfance. L'article L. 121-10 du code de l'action sociale et des familles dispose que « l'État assure la coordination de ses missions avec celles exercées par les collectivités territoriales, notamment les départements, en matière de protection de l'enfance et veille à leur cohérence avec les autres politiques publiques [...]. Il promeut la coopération entre l'ensemble des administrations et des organismes qui participent à la protection de l'enfance. »

Plusieurs enjeux se superposent pour que l'État déconcentré assure de manière satisfaisante les missions qui lui incombent.

D'une part, la mobilisation des services de l'État et leur bonne coordination avec les services départementaux doivent être améliorées. Selon Adrien Taquet, « les ruptures [de parcours des enfants protégés] proviennent souvent d'une mauvaise coopération entre État et départements, et parfois entre les services de l'État eux-mêmes, qu'il s'agisse des agences régionales de santé (ARS), de l'éducation nationale ou de la justice ».

L'expérimentation du CDPE a précisément pour objectif de remédier à ces difficultés ; le rapporteur ne peut qu'enjoindre au Gouvernement de prendre les dispositions pour mobiliser tous ses services territoriaux dans les comités. Il constate, d'ailleurs, que la contractualisation porte également l'ambition de sensibiliser les services aux missions qu'ils exercent en protection de l'enfance. L'instruction du 25 avril 2023 invite les préfets à associer les services de l'éducation nationale et de la protection judiciaire de la jeunesse à la contractualisation. Lors du renouvellement de la démarche de contractualisation, en 2024, le Gouvernement souhaite associer davantage l'autorité judiciaire aux conventions, ce qui ne peut être que souhaitable.

D'autre part, les services déconcentrés de l'État doivent disposer des moyens financiers et humains d'assurer leurs missions. Cet enjeu, interne à l'État, revêt une importance capitale. De l'aveu même de Charlotte Caubel, « les services déconcentrés de l'État, sont peu dotés en moyens humains dans le champ de l'enfance. La préfecture des Bouches-du-Rhône compte 0,80 équivalent temps plein travaillé (ETPT) dédié à l'enfance. »98(*)

Selon la secrétaire d'État, malgré ses demandes, en faveur, par exemple, des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) afin de renforcer leurs compétences de contrôle, très peu de nouveaux effectifs ont été obtenus dans le cadre de la loi de finances pour 2023. Le constat est identique pour les directions territoriales de la PJJ dont les ressources humaines n'ont pas pu être renforcées en 2023. Il ressort pourtant des travaux de la présente mission d'information que leur dimensionnement est inadapté à l'importance des missions qu'elles remplissent en protection de l'enfance.

3. Accroître les contrôles en partenariat avec les départements
a) Le droit applicable en matière de contrôle

L'article L. 313-13 du code de l'action sociale et des familles confère au président du conseil départemental la charge de contrôler les établissements, services et lieux de vie et d'accueil relevant de sa compétence d'autorisation. En outre, aux termes de l'article L. 221-1 du CASF, le service de l'aide sociale à l'enfance « contrôle les personnes physiques ou morales à qui il a confié des mineurs, en vue de s'assurer des conditions matérielles et morales de leur placement ».

Le même article L. 313-13 octroie toutefois au préfet une compétence générale de contrôle pouvant être exercée « à tout moment ». Dans ce cas, il informe le président du conseil départemental des résultats de ces contrôles. Afin que le préfet exerce sa compétence, le président du conseil départemental doit l'informer sans délai « de tout événement survenu dans un établissement ou service qu'il autorise, dès lors qu'il est de nature à compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ». Le préfet dispose alors des services déconcentrés de l'État : personnels de l'ARS, ou de la PJJ notamment. Les services de la PJJ détiennent, en particulier, une compétence reconnue en matière de contrôle puisqu'ils assurent notamment le contrôle des établissements, services et lieux de vie, gérés par le secteur associatif habilité (SAH) soit exclusivement par l'État, soit conjointement avec les conseils départementaux.

Par ailleurs, l'inspection générale des affaires sociales assure, en vertu de l'article L. 221-9 du même code, le contrôle du service de l'aide sociale à l'enfance et peut également être amenée à contrôler les structures des opérateurs du département. La DGCS indique ainsi que l'Igas inspecte chaque année un ou deux conseils départementaux et se trouve également saisie pour inspection en cas d'incidents ou événements particuliers.

b) Les initiatives à encourager

Il ressort des travaux de la mission d'information que les représentants de l'État ne font que rarement usage de leur compétence à titre préventif. La DGCS indique ainsi au rapporteur que les préfets « peuvent opérer des inspections, en cas de défaillance du conseil départemental, autorité qui a en charge en première intention ce contrôle, ou en cas de signaux et d'inquiétudes sur un établissement ». Les conditions tenant à la défaillance du département ou au signalement de problèmes ne semblent pas suffisantes au rapporteur.

La Cour des comptes dans son rapport public thématique de 2020 avait encouragé les collaborations entre les services de l'État et ceux du département dans le suivi et le contrôle des établissements : « Les services territoriaux de la PJJ disposent, en effet, d'une forte expertise en matière de contrôle des établissements accueillant des mineurs en danger ou en conflit avec la loi. L'École nationale de la PJJ (ENPJJ) a d'ailleurs récemment ouvert aux personnels des départements les formations dédiées à cette activité. Une telle initiative doit être encouragée, de même que l'élaboration de plans de contrôle communs départements-PJJ, contrairement à la tendance observée depuis 2014 de forte diminution des contrôles. »99(*)

Les formations de l'ENPJJ en matière de contrôle

L'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) organise depuis plusieurs années, en lien avec la DPJJ, des sessions de formation au profit des conseillers techniques chargés des contrôles de fonctionnement (CCTCF), mais également pour les agents des conseils départementaux qui le souhaitent, affichant ainsi sa volonté de développer la coopération entre État et conseils départementaux dans le champ de la protection de l'enfance (ainsi pour l'année 2022, 12 agents des conseils départementaux sur une promotion de 23 professionnels ont suivi la formation).

En outre, l'ENPJJ a notamment développé un module de rapid learning en la matière à l'attention des cadres. L'objectif, pour les années à venir, est de renforcer la capacité de contrôle des directions territoriales dans une démarche d'anticipation des difficultés et de maîtrise des risques, en particulier pour le dispositif de placement fortement exposé.

Source : DPJJ, réponses au questionnaire du rapporteur

Cet axe a d'ailleurs été investi par la stratégie nationale de protection de l'enfance (2018-2022) dont le document de présentation notait que « les contrôles des lieux d'accueil de protection de l'enfance sont majoritairement déclenchés à la suite d'un signalement, plutôt que dans le cadre d'une programmation préventive. Il existe très peu de contrôles conjoints (ARS, départements et PJJ, par exemple) mais cette pratique, lorsqu'elle est déployée, peut s'avérer très qualitative ».

À la demande du secrétaire d'État Adrien Taquet, les préfets ont été chargés de dresser un état des lieux des plans de contrôle départementaux et une remontée des incidents graves. Ces informations doivent être transmises annuellement au Gouvernement. Selon Adrien Taquet, entendu en audition, il a également été demandé aux préfets de communiquer le nombre de contrôles mis en place par leurs soins. Dans au moins un tiers des cas, le représentant de l'État, considérant que les dispositions prises par le département n'étaient pas suffisantes, avait pris des mesures complémentaires.

Ainsi, selon la DPJJ, pour la période 2021-2022, trois contrôles de dysfonctionnement ont été réalisés par les directions interrégionales de la PJJ suite à une saisine du préfet. Ces contrôles ont concerné :

- deux établissements de placement gérés par le secteur associatif non autorisés et non habilités ayant conduit à des arrêtés de cessation d'activité ;

- une MECS habilitée conjointement par l'État et un département, à la suite d'un incident grave.

En outre, les préfets ont reçu comme instruction du Gouvernement d'inviter chaque conseil départemental à s'engager dans une démarche de maîtrise des risques incluant la définition d'un plan de contrôle. La contractualisation peut alors faire intervenir des financements, abondés par le programme n° 304, afin d'accompagner les départements dans la réalisation du diagnostic, l'élaboration du plan de contrôle ou la mise en place de formations à destination des professionnels mobilisés sur les contrôles. Enfin, dans le cadre d'une action visant à mieux articuler les contrôles État/départements, il a été demandé aux préfets « d'indiquer au président du conseil départemental que vous vous tenez à sa disposition afin de mettre en place des contrôles conjoints État/département »100(*).

Le rapporteur encourage ces initiatives ; il conviendrait que les préfets diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations couvert par ces contrôles conjoints ne doit pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil.

Proposition n° 3 : Mener davantage de contrôles exercés conjointement par les départements et les services déconcentrés de l'État portant sur la qualité de l'accueil des enfants protégés et la conformité des dispositifs aux lois.

(GouvernementDGCS, DPJJ, préfets - et départements)

C. FAIRE DES PROFESSIONNELS DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE, LES GARDIENS ET PROMOTEURS DES AMBITIONS LÉGISLATIVES

1. Le levier de la formation continue pour diffuser les avancées législatives

Le livre vert du Haut Conseil au travail social de 2022 identifie « un enjeu fort de professionnalisation et d'adaptation à l'évolution des contextes » pour les travailleurs sociaux. En protection de l'enfance, l'évolution des contextes comprend nécessairement l'évolution du cadre normatif, qui, depuis quinze ans, s'étoffe. Le magistrat Édouard Durand a souligné en audition que la mission d'information intervenait dans un temps très court pour évaluer des lois dès lors qu'elles viennent bouleverser les « habitus professionnels » solidement ancrés. Les avancées législatives en protection de l'enfance peuvent en effet achopper avec les pratiques des acteurs. Une certaine inertie dans la mise en oeuvre des lois peut ainsi se manifester. Le levier de la formation continue doit donc être largement investi pour que les changements législatifs se diffusent plus rapidement.

Les acteurs publics s'organisent pour répondre aux besoins des conseils départementaux et des professionnels. La DPJJ accentue le développement de la formation à l'attention de ses agents sur les différentes thématiques relatives à la protection de l'enfance (mineurs non accompagnés, violences intrafamiliales, violences sexuelles et sexistes...) et s'engage dans une démarche d'ouverture de l'ENPJJ aux différents professionnels de l'enfance, professionnels de l'ASE ou d'opérateurs des départements.

Les centres de formation sont très soucieux de proposer des offres de formation s'adaptant aux innovations législatives afin de répondre aux besoins des employeurs. Dans cette optique, l'institut régional du travail social (IRTS) Parmentier a spécifiquement investi la formation continue en créant un cabinet de formation Parmentier Bleu Social.

L'IRTS Parmentier juge également que le développement progressif des blocs de compétences est une voie essentielle pour développer la formation continue en protection de l'enfance. Berkène Dikki, directeur de l'établissement de Melun de l'IRTS a ainsi expliqué en audition : « si nous ne prenons pas ce virage-là, nous risquons de passer à côté de tous les professionnels de la protection de l'enfance, qui ne peuvent pas s'engager sur trois ans, mais qui sont, pour autant, demandeurs de formation pour les aider à exercer leur fonctions ».

Le rapporteur souscrit à cette évolution et estime que la structuration de la formation en blocs de compétences au sein des instituts et école de formation doit être encouragée afin de permettre aux professionnels (éducateurs, assistants familiaux, référents ASE, etc.) exerçant déjà leur profession, de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance et actualiser ainsi leurs connaissances sans cesser leurs fonctions.

Proposition n° 4 : Renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les écoles de formation pour développer les expériences professionnelles en protection de l'enfance.

(Départements et écoles de formation)

2. Pallier la pénurie de professionnels bien formés à la réalité de la protection de l'enfance

En parallèle de la question de la formation continue, l'enjeu de la formation initiale en protection de l'enfance est structurant alors qu'une pénurie des professionnels bien formés est déjà à l'oeuvre et entrave la mise en oeuvre des innovations législatives.

Il ressort des auditions de l'IRTS Parmentier et de l'école nationale des solidarités, de l'encadrement et de l'intervention sociale (ENSEIS) qu'une pénurie préoccupante au sein des métiers du travail social est nourrie par la perte d'attractivité des métiers mais aussi par la réforme de Parcoursup. Les étudiant issus de la plateforme, selon l'IRTS, « sont rebutés parfois au premier stage et le taux d'abandon peut dépasser 10% pendant la formation ». Dès lors, à l'entrée en formation, les filières accompagnant éducatif et social (AES), technicien de l'intervention sociale et familiale (TISF), assistant du service social (ASS) et conseiller en économie sociale et familiale (CESF) souffrent d'un déficit de candidats. Seule la filière éducateur spécialisé parvient à maintenir des effectifs entrants stables.

À cette désaffection, se rajoute un décalage entre les enseignements théoriques initiaux, ou à tout le moins, de l'idée que les jeunes professionnels (éducateurs spécialisés notamment) se forgerait de la profession, et la réalité de l'exercice des métiers de la protection de l'enfance. Ce décalage conduit au découragement voire à la réorientation de jeunes éducateurs peu de temps après leur prise de fonctions. Cette même inadaptation de la formation initiale a été exposée aux rapporteurs s'agissant de l'exercice du métier d'assistant familial. Les associations représentant la profession regrettent que les formations ne soient pas optimales, voire interviennent tardivement, après l'accueil du premier enfant. Des formations d'assistants familiaux en visioconférence, notamment pendant la crise sanitaire, ont été également mentionnées au rapporteur, ce qui ne parait pas satisfaisant.

Pour pallier ces difficultés, l'IRTS indique « qu'il est indispensable de renforcer les liens entre les employeurs qui doivent venir dans les établissements de formation, et particulièrement les conseils départementaux ». En audition, Nadia Zeghmar, directrice de l'ENSEIS a pointé le « hiatus entre les employeurs et les centres de formation » induit par une méconnaissance des employeurs, publics comme privés, dans les cursus et les parcours de formation alors même qu'ils sont représentés dans les conseils d'administration des écoles de formation.

Le rapporteur est convaincu qu'il est nécessaire de renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les établissements de formation, comme certains départements le proposent déjà. L'IRTS Parmentier a ainsi répondu à une demande du conseil départemental de la Seine-et-Marne en créant des capsules vidéo faisant la promotion des formations en travail social à destination des collégiens et lycéens. De même, Anne Devreese a présenté au rapporteur l'offre de formation d'adaptation à l'emploi mis en place dans le département du Nord. Ce dispositif contractualisé entre le département et ENPJJ, dont le site se trouve à Roubaix, permet aux étudiants de travailler une semaine par mois pendant 18 mois à l'ASE, en parallèle de leur formation, avec une offre de recrutement en sortie d'école. Sur ce modèle, les conventions entre départements et écoles de formation doivent favoriser le développement d'expériences concrètes en protection de l'enfance - stages et apprentissage.

Proposition n° 5 : Encourager la structuration de la formation en blocs de compétences permettant aux professionnels exerçant déjà leurs fonctions de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance.

(Gouvernement et écoles de formation)

D. LE LÉGISLATEUR NE DOIT PLUS ENGAGER UNE NOUVELLE RÉFORME STRUCTURELLE AVANT QUE LES LOIS EN VIGUEUR NE SOIENT MISES EN oeUVRE

1. Ne pas envisager de réforme législative tant que les lois en vigueur demeurent inappliquées

En 2016, Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales, déclarait en séance publique que « sept ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l'enfance, force est de constater que, malgré des avancées majeures, son application se caractérise par des inégalités territoriales, des retards et des inerties »101(*). En 2021, l'histoire se répétait et l'auteur du présent rapport soulignait, lors de la discussion générale du projet de loi, que si « d'importants progrès ont été réalisés pour améliorer la protection des enfants en danger, en particulier grâce aux lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 [, ces] avancées connaissent toutefois une application bien trop inégale selon les territoires »102(*). Dès lors, le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022.

La mission d'information a pu constater que le législateur avait parfois adopté des dispositions rehaussant l'ambition du droit alors que les professionnels bataillaient encore sur le terrain pour l'appliquer. Le rapporteur estime qu'il n'est pas sans risque de construire des réformes sur des bases encore mal assurées. La distance entre les exigences normatives et la réalité de la politique de protection de l'enfance qui se créée ne peut, à terme, que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels.

C'est pourquoi, la plupart des personnes entendues en audition ont mise en avant la cohérence des dernières lois réformant la protection de l'enfance mais ont insisté sur l'importance de donner le temps au secteur de les appliquer. En dehors des ajustements pouvant s'avérer nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présenterait probablement plus d'inconvénients que d'avantages.

Proposition n° 6 : Ne pas engager de nouvelle réforme législative d'ampleur sans s'assurer de l'application des lois en vigueur par chaque acteur de la protection de l'enfance.

(Gouvernement, Parlement)

2. S'appuyer sur de réels outils statistiques et d'évaluation

Il ressort unanimement des auditions de la mission d'information que la politique de protection de l'enfance souffre d'une grande insuffisance de l'évaluation des dispositifs en place et de la production de données consolidées. Le présent rapport visant à analyser si les dispositions législatives trouvent une application a pâtit du manque d'informations disponibles. Cette défaillance est d'autant plus grave qu'elle empêche le législateur de disposer des informations nécessaires à sa fonction ; la secrétaire d'État Charlotte Caubel, comme l'Assemblée des départements de France, ont pointé la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022. En lien avec la proposition n° 6, le rapporteur estime que tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse de la mise en oeuvre et de l'effet des précédentes réformes.

Ce défaut d'outils d'évaluation et statistiques est déjà bien connu. La mission d'information des députés Alain Ramadier et Perrine Goulet103(*) pointait « le manque de données fiables pour conduire et évaluer cette politique publique ». Le rapport précité de la Cour des comptes pointait également « l'insuffisance et la dispersion des données disponibles »104(*). Il est également régulièrement souligné que la politique de protection de l'enfance fait insuffisamment l'objet de travaux de recherche scientifiques et universitaires.

C'est la raison pour laquelle, la loi du 7 février 2022 prévoit que le nouveau GIP France enfance protégée gère l'ONPE qui assure les missions de centre national de ressources et de promotion de la recherche et de l'évaluation. Florence Dabin indique ainsi que « le fonctionnement de l'ONPE, devenant centre de ressources national en protection de l'enfance, a pris un tournant préparé en amont de la naissance du GIP : intensification des productions de travaux d'études et recherches et de la production de données, interventions territoriales démultipliées, organisation de séminaires et évènements bimestriels à destination des professionnels (...) ».

Le rapporteur ne peut qu'inviter l'État et les départements à donner les moyens humains et financiers à France enfance protégée de remplir ses nouvelles missions de centre national de ressources. Les départements, à travers notamment les ODPE, devront également assurer une remontée régulière des informations dont ils disposent.

Proposition n° 7 : Garantir les moyens au GIP France enfance protégée et à l'ONPE de recueillir des données statistiques et de mener des évaluations à même d'aider à l'orientation de la politique de protection de l'enfance.

(Gouvernement, départements et GIP France enfance protégée)

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. COMPTE RENDU DE L'AUDITION
EN RÉUNION PLÉNIÈRE DE MME CHARLOTTE CAUBEL, SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUPRÈS DE LA PREMIÈRE MINISTRE, CHARGÉE DE L'ENFANCE

(Mercredi 24 mai 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons cet après-midi Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, sur l'application des lois réformant la protection de l'enfance. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo.

Madame la secrétaire d'État, il y a trois semaines, j'ai souligné toute l'importance que notre commission attache au suivi de l'application des lois. Le Sénat a d'ailleurs modifié son règlement en 2019 pour confier une mission de suivi aux rapporteurs des projets et propositions de loi examinés par le Sénat et a préconisé récemment, par la voix du groupe de travail piloté par Pascale Gruny de conforter encore cette mission par le contrôle approfondi de l'application des lois emblématiques.

C'est ainsi que cette année Bernard Bonne a été chargé d'une mission d'information relative à l'application des nombreuses lois réformant la protection de l'enfance. Vous pouvez voir dans cette désignation à la fois l'importance qu'ont à nos yeux ces textes, donc le secteur dont vous avez la charge, et notre préoccupation face à l'ampleur des mesures qui restent à prendre pour bien appliquer la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Comme je l'ai indiqué à la commission, seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ont été prises ; 17 textes réglementaires sont encore en attente de publication, auxquels s'ajoutent une ordonnance dont le délai d'habilitation a expiré et un rapport au Parlement qui n'a pas été rendu.

Madame la secrétaire d'État, je vais vous laisser la parole afin que vous nous précisiez les raisons de ces retards et l'action du Gouvernement pour y remédier au plus vite. Le rapporteur Bernard Bonne puis l'ensemble des commissaires qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance. - Je suis heureuse d'être reçue cet après-midi pour échanger avec vous sur la protection de l'enfance et sur l'application de ce texte ambitieux, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Ce texte fait suite à deux lois importantes, de 2007 et de 2016, dont l'entrée en vigueur peut également soulever quelques questions.

L'application de la loi recouvre deux réalités : la déclinaison réglementaire et la prise en compte des textes sur le terrain par les opérateurs, qui constitue une ambition encore plus importante.

Je l'ai déjà indiqué, je suis très attachée à la mise en oeuvre de la loi du 7 février 2022 ; je m'y suis attelée dès mon arrivée au Gouvernement. Néanmoins, cette loi ayant été adoptée à la fin du précédent quinquennat, les administrations se sont retrouvées dans la période particulière des élections et il a fallu attendre la nomination d'un nouveau gouvernement pour que le processus puisse s'enclencher.

Ce texte très ambitieux comportait beaucoup de renvois au pouvoir réglementaire et nombre de ses dispositions avaient fait l'objet d'études d'impact un peu rapides, y compris du point de vue financier pour les départements. J'ai donc repris des discussions approfondies avec les conseils départementaux, dans un contexte tendu pour la protection de l'enfance. Cela explique une partie des délais.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je me permets de rappeler les cinq chantiers prioritaires qui m'ont été assignés par la Première ministre, dans le cadre du comité interministériel des droits de l'enfance de novembre 2022 :

- la lutte contre les violences faites aux enfants - j'annoncerai en juin prochain la continuité du plan de lutte contre ces violences, tant cette réalité reste prégnante - ;

- l'égalité des chances et la priorité accordée à deux publics : les enfants protégés et les enfants handicapés - je vous renvoie à la convention nationale du handicap que le Président de la République a présidée voilà quelques semaines - ;

- la protection des enfants face au numérique ; la Haute Assemblée a examiné hier un texte sur ce sujet et il se penchera sur le projet de loi de Jean-Noël Barrot en juin prochain ;

- la santé des enfants - nous attendons les conclusions des assises de la santé des enfants, avec notamment une attention portée à la santé mentale des mineurs, qui nous inquiète particulièrement en ce moment - ;

- et le service public de la petite enfance ; Jean-Christophe Combe vient d'indiquer en séance publique des annonces de la Première ministre à ce sujet.

Ces cinq chantiers prioritaires donnent lieu à un travail interministériel important et, le 15 juin prochain, je présiderai le comité interministériel de l'enfance pour faire un point d'avancement.

J'en viens à l'application de la loi du 7 février 2022. Cette loi est intervenue après des mois de concertation. Elle répond à de nombreuses attentes de nombreux acteurs : associations, élus, acteurs institutionnels. Ce texte très riche porte sur de nombreux sujets et renvoie à de nombreux décrets. Je le répète, il a été adopté en fin de quinquennat et son impact financier a sans doute été évalué un peu trop rapidement, c'est pourquoi, à mon arrivée, j'ai pris attache avec les présidents de conseil départemental et avec l'Assemblée des départements de France (ADF), pour discuter de la mise en oeuvre de certaines dispositions.

Tout d'abord - cela ne relève pas d'un décret, mais c'est important -, j'ai consacré beaucoup d'énergie au baptême du groupement d'intérêt public (GIP) France Enfance protégée. Même si cela relève d'une convention, cette mesure faisait partie, selon moi, de l'application de ce texte. Ce GIP est une originalité administrative, puisque la gouvernance est partagée entre un collège de l'État - des services des ministères de la justice, de l'éducation nationale et de la santé, coordonnés par la direction générale de la cohésion sociale -, un collège des départements - il se trouve que les dispositifs de protection de l'enfance varient beaucoup d'un département à l'autre - et un collège d'associations engagées, gestionnaires, de premiers concernés et de familles.

Cet organe administratif a comme ambition d'appuyer l'ensemble des politiques publiques nationales et territoriales, mais aussi d'apporter des données chiffrées, d'être centre de ressources. Par ailleurs, ce GIP héberge le numéro d'appel 119 et l'Agence française de l'adoption. Il fallait donc mettre au monde ce GIP et établir son budget ; cet exercice m'a pris une bonne partie de l'été 2022.

Deuxième priorité : la mise en place des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE). Le texte prévoit une expérimentation en la matière et je considère cette institution comme indispensable, parce qu'elle est pilotée par le préfet et le président du conseil départemental, en présence de l'autorité judiciaire, et qu'elle a un impact important. Ces comités départementaux font un état des lieux des besoins et définissent une stratégie en matière d'offre et de contrôle. De manière générale, ils se saisissent de tous les sujets pertinents, qui peuvent être très concrets : les cas complexes - zéro enfant sans solution -, l'accompagnement à l'autonomie à la sortie des dispositifs ou encore l'accompagnement des professionnels. Le décret relatif à ces comités a paru et j'en ai déjà installé quatre ou cinq. J'ai pu mesurer l'attente des acteurs à cet égard et j'y place beaucoup d'espoirs. Il s'agit à mes yeux d'une politique éminemment territoriale. J'espère élargir cette expérimentation à d'autres départements, avec, si possible, un département ultramarin.

Je vais maintenant entrer dans le détail des mesures à prendre ou prise par décret. J'ai consulté sur ces décrets les conseils départementaux lors de mes déplacements ; j'en ai vu plus de trente. Par ailleurs, ne l'oubliez pas, nous devons consulter certaines instances, notamment le Conseil national de la protection de l'enfance, qui a été renouvelé par la loi et qui devait également faire l'objet d'un décret.

Très légitimement, ce conseil prend du temps pour examiner ces décrets ; il n'est pas toujours possible de leur appliquer les délais très brefs que l'on impose au Conseil d'État.

Sur les quarante-deux articles de la loi, quatorze prévoyaient des renvois à des mesures d'application par voie réglementaire. Cela couvrait vingt-huit dispositions législatives au total. Au 1er mars 2023, vingt-quatre de ces dispositions étaient entrées en vigueur, une mesure a une entrée différée au 1er février 2024, une mesure renvoie à un décret à titre éventuel et il ne nous paraît pas nécessaire, et deux dernières mesures nous semblent hors compteur, parce qu'il ne s'agit pas d'un décret d'application de la loi ou que le décret n'est pas requis.

De nombreux décrets sont en cours de procédure et doivent être publiés avant l'été, ce qui portera à 75 % le taux d'application de la loi ; nombre d'entre eux sont en cours d'examen au Conseil d'État.

Six décrets d'application ont été publiés, correspondant à neuf des vingt-quatre dispositions législatives identifiées. L'un de ces décrets porte sur les informations préoccupantes ; un autre porte sur l'accroissement de la qualité de l'évaluation de ces informations, fondé sur le référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), auquel vous avez souhaité donner une portée législative ; un troisième précise le retour d'informations à tous ceux qui ont transmis des signalements à la cellule de recueil.

Un décret important, qui aura un impact financier non négligeable pour les départements, concerne la rémunération des assistants familiaux. Ce décret est essentiel, car la courbe démographique des assistants familiaux s'écrase. Je ne suis pas sûre que ce décret inverse la courbe du nombre de familles s'engageant dans l'accueil des enfants en danger, mais c'était un souhait du législateur et le décret a été pris. Reste à le mettre en application et à s'assurer que les assistants familiaux soient rémunérés conformément aux nouvelles garanties légales et réglementaires. Ils le sont bien quand ils sont salariés des départements, mais la question du financement de ces mesures quand les assistants familiaux sont rémunérés par des associations entraîne quelques délais de mise en oeuvre, car les départements prennent du temps pour négocier les conventions de financement.

Le décret prévoyant l'expérimentation des comités départementaux pour la protection de l'enfance a été publié, de même que les deux décrets instituant l'un le Conseil national de l'adoption, l'autre le Conseil national de la protection de l'enfance. La constitution de ces instances exige des concertations, des discussions, des équilibres et entraîne parfois des réclamations, du reste tout à fait légitimes.

Quinze mesures actives sont en attente de décrets d'application. Sur ces quinze mesures, neuf soit ont déjà fait l'objet de concertations avec les parties prenantes, soit sont en instance de publication, soit sont en cours d'examen par le Conseil d'État.

Le premier est le décret qui encadre l'accueil en hôtel des mineurs protégés. Ce sujet est extrêmement sensible et le contexte de la protection de l'enfance est en forte tension ; je vous renvoie à la prise de position publique de François Sauvadet. Il y a une triple pression sur les dispositifs de protection de l'enfance : d'abord, l'augmentation des placements d'enfants habitant sur notre territoire - avec une hausse de 30 % dans certains départements -, sous l'effet probable de la crise de la covid-19, d'une meilleure prise en compte des violences intrafamiliales et de la politique des mille premiers jours, qui entraîne de nombreux placements de nourrissons ; ensuite, la reprise des flux migratoires, avec l'arrivée de jeunes mineurs non accompagnés ; et, enfin, la pression du travail social. L'impact financier de ce décret très sensible n'a pas été bien pris en compte.

Sont également sensibles le décret relatif à la durée de l'accueil provisoire d'urgence des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés (MNA) et celui qui a trait à la clef de répartition des jeunes reconnus comme MNA entre les départements.

Deux décrets ont fait l'objet de concertations de fond et sont sur le point de sortir du Conseil d'État : il s'agit du parrainage-mentorat et du tiers de confiance. J'associe ces deux décrets parce qu'il me paraît important d'avoir une réflexion partagée avec les acteurs, dont les départements, sur la fameuse politique de l'adulte référent et de l'accompagnement des mineurs au-delà de la protection de l'enfance par des adultes. Parmi les regrets des jeunes sortant des dispositifs à 18 ans se trouve l'isolement social et affectif dans lequel ils sont plongés. La question du parrain ou mentor et du tiers digne de confiance, du référent de l'aide sociale à l'enfance (ASE) a fait l'objet de beaucoup de réflexions.

Le décret modifiant les projets d'établissement sur la maltraitance a été beaucoup discuté dans le cadre des travaux sur la maltraitance.

Sur les trois décrets portés par le ministère de la justice - sur la médiation familiale, les modalités de recours à la collégialité en assistance éducative et les droits accordés à l'administrateur ad hoc par le juge des enfants -, nous avons eu une légère complication : les consultations des comités ministériels ont été réalisées auprès des anciens comités techniques, antérieurs à la réforme. Le Conseil d'État nous a demandé de reconsulter les nouveaux comités sociaux d'administration (CSA). Ces conseils ont été réunis, nous en attendons les résultats et les décrets seront publiés rapidement. Ces décrets sont essentiels et très attendus, notamment en matière de collégialité en assistance éducative.

Sur les six mesures restantes, deux relèvent d'un décret unique relatif à la création d'une base de données nationale des agréments des assistants familiaux et des assistants maternels. Les travaux en cours avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) sont riches. Nous en sommes au stade de l'analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD). Le nouveau GIP portera les deux bases de données.

Je suis pleinement engagée. À la demande de la Première ministre, j'ai été attentive à mener un dialogue construit avec l'ADF, avec le GIP France Enfance protégée et avec les associations, qui sont très attachées à l'écoute qu'on leur accorde, dans un contexte de forte pression sur la protection de l'enfance. À l'été prochain, nous n'aurons pas à rougir des travaux qui auront été menés cette première année.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Merci de vos propos. Nous vous avions envoyé, madame la secrétaire d'État, un questionnaire, ce qui vous a permis de répondre à un certain nombre de nos questions pour suivre l'application des lois de 2007, de 2016 et de 2022. Lors de nos auditions, la plupart des acteurs nous ont dit que les trois lois suffisaient et qu'il était indispensable d'évaluer leur application avant d'envisager toute nouvelle réforme législative.

Les départements ont le sentiment que les décrets ne sont pas publiés et appliqués assez rapidement. Il faut certes attendre l'avis du CNPE, mais il faut aussi aller vite.

Madame la secrétaire d'État, sur les cinq enjeux que vous avez évoqués, il y en a deux pour lesquels la loi de 2022 a apporté des améliorations, notamment la lutte contre les violences. En Eure-et-Loir, département très volontaire et assez vertueux en matière de protection de l'enfance, nous avons constaté, à l'occasion d'un déplacement avec ma collègue Chantal Deseyne que les choses fonctionnent plutôt bien, mais que les moyens manquent pour les hébergements hôteliers ou pour les jeunes de 18 à 21 ans. Comment ont été répartis les 50 millions d'euros prévus par la loi de finances pour 2023 ?

Nous avons rencontré les services de l'État. Les services déconcentrés sont-ils aussi diligents dans tous les départements qui mènent des expérimentations ? Pour la réussite du comité départemental de protection de l'enfance, il faudra une incitation forte de la part des ministères pour que la participation des juges pour enfants soit presque systématique et plus homogène sur le territoire, au regard de la diversité de leurs pratiques. Un autre département entendu en audition regrettait les placements systématiques décidés par un juge ainsi que les difficultés relationnelles qu'il pouvait exister entre l'ASE et l'autorité judiciaire.

Beaucoup de départements ont déjà pris des mesures pour accueillir des enfants en dehors des hôtels. Il faudra résoudre le problème des mineurs non accompagnés (MNA), qui complique la tâche des départements, sur le plan tant financier qu'organisationnel. Il faudra clarifier la situation pour les départements : le flux augmente considérablement depuis un an, des départements sont en grande difficulté.

Concernant les tiers dignes de confiance, la solution de l'accueil chez un tiers est-elle systématiquement évaluée préalablement à une mesure judiciaire de placement comme l'article 1er de la loi de 2022 le prévoit ? De même, l'est-il systématiquement proposé aux enfants protégés de désigner une personne de confiance de leur choix ? Ces mesures sont très importantes. Nous avons beaucoup parlé également de la présence des avocats. Nous avons le sentiment que les juges sont de plus en plus favorables à la présence systématique de l'avocat pour l'enfant discernant, l'âge du discernement devra être précisé.

En Eure-et-Loir, la lenteur des services de l'État pour répondre aux demandes de titre de séjour des MNA accueillis à l'ASE et pour déterminer la situation légale de ces jeunes a été signalée. L'État devrait aller plus vite.

Le CDPE, comité de pilotage, est un ajout très important du Sénat. Il faut que les départements s'engagent dans cette voie, pour que tous les services de l'État puissent participer à la protection de l'enfance. Il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de différend entre les préfets et les présidents de conseil départemental qui coprésident ces comités.

La protection de l'enfance est très importante pour le Sénat ; elle n'est pas assez prise en compte dans certains départements. Il est agaçant de dépenser autour de 9 milliards d'euros par an pour des résultats très moyens : voyez les pourcentages de jeunes à la rue ou drogués qui sortent de l'ASE.

Mme Chantal Deseyne. - Certains connaissent des problèmes de drogue... voire basculent dans le terrorisme dans le pire des cas.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - D'où l'intérêt d'appliquer les lois. La dernière a été adoptée il y a un an et demi. Il faut avancer rapidement, malgré le changement de gouvernement.

Mme Michelle Meunier. - France Télévisions diffusera bientôt, en faisant le portrait de Marie Rabatel, un documentaire sur les enfants victimes d'abus sexuels dans le domaine médico-social qui va susciter beaucoup d'émotion. En novembre 2022, je vous avais déjà interrogée sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais), à la suite de nos travaux sur la pédocriminalité en institution. Nous avions été très étonnés d'entendre que le domaine du handicap ne se sentait pas concerné : quel déni ! Les enfants sont des proies faciles pour les prédateurs. Certains auteurs de violences sont des bénévoles ou des professionnels, qui passent à travers les mailles du filet. Je vous avais alors interpellée. Quelle est la situation ? Le domaine médico-social gère avant tout la pénurie de professionnels, mais il faut être exigeant et rester attentif à l'honorabilité des professionnels recrutés. Pour les chauffeurs et transporteurs d'enfants porteurs de handicap, les choses ont-elles avancé ?

Lors des auditions, nous constatons qu'il faut avant tout mettre en oeuvre les lois. Quel contrôle peut-on mettre en place ? Quels sont les moyens de contrôle pour vérifier que les enfants sont traités de manière correcte ?

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Les données posent problème. Le nouveau GIP pourra les faire remonter. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress) a récupéré une partie d'entre elles ; elle doit désormais mieux les ordonner. Les départements et les autorités judiciaires ont des données qui ne font pas partie du plan numérique du ministère de la justice, qui a fort à faire en la matière. Les données de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont aussi concernées. Nous pourrons ainsi mieux évaluer l'entrée en application des trois lois. Nous constatons que 80 % des dossiers de protection de l'enfance sont judiciarisés. De plus, le ratio est de 60 % de placements pour 40 % de milieu ouvert ; cette répartition est constante, voire se dégrade. Les données sont essentielles, nous devons y travailler.

La cohérence de l'action doit se définir à l'échelon du département, d'où l'importance du CDPE. Les services déconcentrés de l'État, sont peu dotés en moyens humains dans le champ de l'enfance. La préfecture des Bouches-du-Rhône compte 0,80 équivalent temps plein travaillé (ETPT) dédié à l'enfance. J'avais demandé dans le projet de loi de finances pour 2023 des effectifs pour les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) en matière de contrôle. Je renouvellerai ma demande pour 2024. Nous n'avons obtenu que très peu d'effectifs, que nous sommes en train de répartir. Les départements qui expérimentent doivent avoir des moyens.

Concernant l'autorité judiciaire, nous avons aussi renouvelé la demande de renforcer les directions territoriales de la PJJ, pour renforcer leur implication institutionnelle auprès de l'autorité judiciaire en matière d'enfance.

Les magistrats de la jeunesse ont des pratiques riches, certes, mais le décret est très clair : le procureur de la République est chargé de la protection de l'enfance et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) est chargée du pilotage des parquets en matière de protection de l'enfance. J'ai donc oeuvré pour qu'au niveau réglementaire, le procureur de la République soit le vice-président du CDPE ; le Parlement en avait décidé autrement. Par définition, le procureur de la République est distancié des pratiques individuelles des magistrats du siège, y compris des présidents des tribunaux pour enfants, qui ont aussi des cabinets, ce qui peut conduire à des situations un peu « schizophrènes ». J'ai tenu à ce que le parquet reprenne sa place. Le procureur de la République est l'interface indispensable entre les autorités publiques et l'autorité judiciaire du siège, qui doit conserver son office du juge. Il lui appartient de faire appel en cas de décisions non éclairées. Le procureur doit jouer un rôle de coordonnateur pour cette politique publique. La PJJ est très engagée dans son dialogue avec les magistrats, en particulier avec le parquet, pour développer les CDPE.

Concernant les 50 millions d'euros consacrés au soutien de la politique des départements, les CDPE devraient être le lieu où l'on détermine les projets soutenus. Il faut des stratégies collectives dans les territoires, pour prioriser les actions - jeunes majeurs, prostitution, offre pour les personnes handicapées - et abonder correctement la contractualisation, en évitant les saupoudrages. En la matière, l'implication des préfets est essentielle. Stratégie, finances et évaluation doivent aller de pair.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Cette somme n'a pas encore été répartie.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Elle l'a été en partie : nous soutenons déjà des projets Jeunes majeurs. Les départements sont peu capables d'évaluer le coût du dispositif, l'évaluation n'est faite qu'a posteriori. Les demandes vont nous parvenir pour la contractualisation en 2024. Nous voulons dépenser cette ligne budgétaire, qui reste assez réduite, et nous restons vigilants à ce que les demandes de 2023 soient bien traitées. Nous laissons les départements prendre l'initiative, puis nous soutenons les projets. Nous préparons un jaune budgétaire pour évaluer ce que l'État attribue à la protection de l'enfance. Les départements investissent des sommes considérables - j'en ai bien conscience -, mais l'État aussi contribue : des postes sont créés au ministère de la justice et l'éducation nationale contribue tout autant. Nous constatons un défaut de coordination entre la santé, l'éducation, la justice, les départements ou encore les caisses d'allocations familiales (CAF) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

Le sujet des MNA mériterait une audition spécifique. Des textes sont en cours de discussion. À nouveau, la situation des MNA met en tension tout le dispositif de la protection de l'enfance. Près de l'Italie, il faudrait créer un foyer par jour. Des discussions sont en cours avec l'Italie et à l'échelon européen. Certains sujets dépassent ma compétence, mais je souhaite fluidifier le parcours des MNA, une fois qu'ils sont pris en compte en protection de l'enfance ou par la PJJ. Il y a aussi un enjeu de sortie du dispositif des MNA.

Le criblage des antécédents judiciaires des professionnels en contrat avec des enfants est essentiel. La loi est bien en vigueur. Nous sommes en train de finaliser une équipe centralisée pour le territoire national, pour fluidifier ce criblage grâce à un certificat de probité demandé électroniquement. Si le certificat n'est pas délivré automatiquement, une action humaine est nécessaire : l'équipe centralisée pourra traiter à la chaîne les cas de remontée du Fijais ou du casier judiciaire.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Cela demande de contrôler toutes les personnes qui travaillent déjà.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Pas dans la fonction publique.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Tous ceux qui interviennent dans les établissements ne sont pas nécessairement contrôlés. Les préfectures se contentent de gérer les flux entrants sans exhaustivité et sans encore s'attaquer aux stocks.

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Les entreprises d'intérim ont trouvé dans le contexte actuel une source lucrative de profits. Les grandes associations et les départements doivent pouvoir exiger un criblage avec tout contrat d'intérim.

J'appelle votre attention sur le fait que l'on m'a proposé, à la suite d'une affaire tragique sortie dans les médias, de cribler aussi tous les baby-sitters. Devrions-nous cribler tous les adultes ? Et même toutes les familles ? Jusqu'où aller ? En matière de violences sexuelles, je travaille plutôt sur une campagne extrêmement choc, pour savoir si nous n'avons pas perdu le nord. Je suis estomaquée face aux chiffres de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Il faudrait en fait cribler toute la population, y compris ceux qui ont des accidents de la route parce qu'ils regardent des images pédocriminelles ! Toute la population devrait s'interroger sur sa relation à la sexualité et avec les enfants. Médias et enquêteurs nous livrent des informations écoeurantes : les enquêteurs tiennent un an maximum face à ce qu'ils découvrent. Certes, il ne faut rien lâcher sur le criblage, mais on se demande s'il ne faudrait pas cribler la totalité des adultes de ce pays. Sur les violences sexuelles faites aux enfants, il faut me soutenir, pour crier haut et fort que cela suffit. J'en viens parfois à me demander si cela n'est pas structurel dans le cerveau reptilien des humains. Nous nous interrogeons aussi avec les pays étrangers pour évaluer l'ampleur du phénomène en France. On ne peut pas banaliser les problèmes liés à la pornographie et à la pédopornographie. En Outre, sur le criblage, il faut industrialiser la gestion du problème.

Le tiers digne de confiance fait l'objet de travaux, à la PJJ, dans des groupes de travail avec les magistrats et les principaux acteurs, pour identifier et développer les pratiques innovantes. Le tiers digne de confiance et la place des familles d'accueil font l'objet de fortes réflexions.

J'espère que les pratiques de placement à la PJJ pourront influencer les pratiques de placement en protection de l'enfance. Nous travaillons de manière transversale. Des placements en urgence empêchent le travail d'évaluation serein sur la solution d'un accueil par un tiers qui doit aussi être criblé de manière rigoureuse. Nous avons 30 % de placements en plus, en pleins travaux sur la violence intrafamiliale. De toute évidence, sur cette thématique, la loi n'est pas appliquée. Un travail approfondi est nécessaire.

Le parrainage de proximité et le mentorat sont des sujets plus simples. Nous allons établir des conventions pour avancer avec les départements, car nous oublions souvent de construire les parcours des enfants, en raison des urgences.

M. Laurent Burgoa. - La loi de février 2022 avait repris un certain nombre de nos recommandations sur les MNA. Il faut traiter ce sujet avec humanité, mais aussi avec fermeté. Pour éviter le nomadisme administratif des jeunes dont nous ne savons pas s'ils sont mineurs ou majeurs, cette loi a prévu un fichier national. Or certains départements ne veulent pas collaborer et refusent de communiquer les informations aux services préfectoraux. Qu'en est-il aujourd'hui ?

On constate une recrudescence des hébergements de MNA en hôtel dans les Alpes-Maritimes ; or ils doivent être interdits en 2024. Comment faire, étant donné la dynamique actuelle ? Le sujet des MNA ne devrait-il pas être repris par l'État ? À cause de ce problème, les départements sont en train de perdre le bénéfice de cette belle compétence qu'est l'ASE.

Mme Élisabeth Doineau. - Dans la loi de 2016 était prévu un pécule pour les jeunes sortant de l'ASE grâce au versement de l'allocation de rentrée scolaire (ARS). Quel en est le bilan ?

Concernant les assistants familiaux, j'avais beaucoup insisté sur les week-ends de répit lors de l'examen de la loi du 7 février 2022. Ils ont besoin d'être soulagés. Où en sommes-nous désormais ?

Mme Corinne Féret. - Le décret sur les administrateurs ad hoc sera publié prochainement. L'Union départementale des associations familiales (Udaf) du Calvados m'interpelle : elle s'inquiète du manque de moyens pour exercer ses missions ; les indemnités de mandat sont très faibles. Les conséquences sont que plusieurs associations renoncent à exercer cette mission. Des moyens sont-ils prévus dans le décret ou faut-il en demander lors d'un futur budget ?

Mme Chantal Deseyne. - Le département d'Eure-et-Loir est engagé dans l'expérimentation des comités départementaux. Le département a été pilote pour traiter les situations complexes et éviter le travail en silo. La coopération avec la justice fonctionne bien, mais nous exprimons des réserves pour l'éducation nationale, notamment en matière de scolarisation des enfants de l'ASE.

L'accès au Fijais reste une source de complexité. En Eure-et-Loir, la préfecture collabore avec le département, mais elle ne peut traiter qu'une soixantaine de dossiers par semaine, car il faut des personnes habilitées.

Les personnes entendues en audition semblaient s'accorder sur la présence de l'avocat pour l'enfant. Pourtant, les magistrats ont des positions très différentes. Quel est votre point de vue ?

Mme Annick Jacquemet. - Selon un rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) de septembre 2022, seuls 15 % des élèves ont eu leurs trois cours d'éducation sexuelle à l'école. Or ce serait l'occasion de les informer sur les infections sexuellement transmissibles (IST), de les sensibiliser à la contraception, de construire une culture de l'égalité et de respect mutuel entre les garçons et les filles, et surtout de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Le Gouvernement n'est pas resté inactif sur le sujet. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 9 ans ont accès librement à des images pornographiques. Travaillez-vous avec l'éducation nationale sur ces sujets ?

Dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j'ai été sensibilisé aux travaux du docteur Anne-Lise Ducanda sur la pollution lumineuse. Elle a mis en évidence que les écrans pouvaient causer des troubles proches de l'autisme aux enfants de moins de 6 ans, à savoir des troubles des interactions et de la motricité. Une campagne était prévue pour sensibiliser les parents sur leur gestion d'internet vis-à-vis de leurs enfants. Ne serait-ce pas l'occasion de les sensibiliser à certains dangers des écrans numériques, tels que la myopie précoce ?

Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Le fichier des MNA est en place depuis un certain temps. Seuls dix départements n'y ont pas recours. Le texte de 2022 a rendu le recours à ce fichier obligatoire et a interdit les doubles évaluations. Le décret est au Conseil d'État. Se posait la question de savoir ce qui se passerait en l'absence de signature de la convention entre le département et le préfet organisant les modalités de présentation de l'enfant. La proposition du Gouvernement n'a pas été retenue par le Conseil d'État. Nous devons revoir les choses, mais la publication du décret ne va pas tarder. Ce fichier a permis de limiter la présentation de majeurs dans le dispositif : associer des majeurs et des mineurs est très problématique.

Le texte interdisant l'hébergement en hôtel ne concerne pas les personnes se prétendant MNA et est donc en cours d'évaluation. Par ailleurs, leur prise en charge est financée par l'État. L'interdiction ne vaut que pour les mineurs.

La question de l'hôtel touche en fait dix départements, qui connaissent une forte pression migratoire ; les autres se sont mis en règle avant l'entrée en vigueur du décret. Le décret sur le point d'être publié interdit, dans la période transitoire courant jusqu'en 2024, le placement à l'hôtel des enfants de moins de 16 ans ou des enfants en situation de handicap ainsi que l'accueil prolongé delà de deux mois pour les autres enfants.

À compter de 2024, l'accueil en hôtel sera impossible et le décret continuera d'interdire l'hébergement des enfants protégés de moins de 16 ans ou handicapés dans des structures autres que celles autorisées par le code de l'action sociale et des familles, y compris pour une durée inférieure à deux mois. Cela ne résout pas fondamentalement l'enjeu des MNA...

Le débat sur les MNA est éminemment complexe. Il faut être très ferme sur les enjeux migratoires ; oui, les majeurs doivent bien rejoindre les dispositifs dédiés aux majeurs, et les enfants doivent être considérés comme des enfants. L'enjeu des MNA est très transversal, c'est aussi un sujet de relations internationales et de diplomatie - Mme Colonna est engagée auprès des pays de migration -, et un sujet européen et national. J'ai parfaitement conscience qu'il faudra être ferme sur les engagements internationaux et que l'État ne peut pas ne pas être aux côtés des départements. Cependant, si nous supprimons des hôtels, il faut aussi que les collectivités acceptent l'installation de centres éducatifs fermés ou d'autres structures. Pour les préfets, c'est la croix et la bannière pour trouver du foncier ou des bâtiments à reconvertir ; les riverains ne sont pas ravis. Je réfléchis à des véhicules législatifs et réglementaires qui permettraient aux collectivités et à l'État de ne pas avoir à négocier systématiquement. Mettre en exécution les réquisitions est difficile. La solidarité doit dépasser les départements, elle engage l'État et toute la société.

Le sujet des administrateurs ad hoc n'est pas nouveau. Le garde des Sceaux veut porter le sujet politiquement et changer le nom de cette fonction, pour la rendre plus lisible. Cela renvoie à la place de l'avocat en protection de l'enfance et au rôle des adultes qui entourent l'enfant.

L'avocat systématique en protection de l'enfance est peut-être une étape supplémentaire de la transformation du rôle du juge des enfants. Dans les audiences seront présents les avocats de l'enfant, ceux de la famille et ceux du département. Le juge des enfants ne sera plus tel que l'avait conçu les ordonnances de 1945 et de 1958 du Général de Gaulle; il deviendra juge arbitre des conflits et des droits de chacun. Il faut travailler sur cette évolution avec les magistrats eux-mêmes, avec la représentation nationale et avec les parties prenantes. Nous tenons tous au rôle du juge dans le parcours de l'enfant et au fait que ce juge soit le même au pénal comme au civil. C'est aussi le seul moyen de correctionnaliser la procédure pénale des mineurs, pour la rapprocher de celle des majeurs. Je ne peux être seule à porter un tel sujet, alors que le juge des enfants est une figure emblématique de notre système judiciaire. Il ne serait pas inintéressant de proposer un avocat quand une affaire pénale est en cours et que l'enfant est victime de violences familiales ou victime collatérale de violences conjugales. L'avocat assurerait une meilleure coordination. Le juge des enfants change de mission, il faut en tenir compte.

Le pécule est un vaste sujet : 48 % des enfants qui sortent de l'ASE y ont effectivement accès. Un grand nombre de jeunes ignorent qu'ils en disposent. Parfois, la Caisse des dépôts et consignations elle-même ne retrouve pas ces pécules. Les pratiques des CAF sont aussi très hétérogènes. La remise à plat du dispositif est justifiée. Le parcours scolaire des enfants de l'ASE est erratique et mal pris en compte par l'éducation nationale. Pourquoi ces enfants n'auraient-ils pas droit, comme les autres, à des baskets neuves et à un cartable à la rentrée scolaire ? L'allocation de ressources au pécule de l'enfant, y compris des autres allocations familiales, est un sujet à approfondir.

La proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans de Mme Caroline Janvier, adoptée à l'Assemblée nationale, est assez complète et propose une vraie politique publique de santé en matière d'écrans. Elle vise à contraindre les vendeurs à mieux informer sur les risques. Elle prévoit une stratégie d'information pendant les mille premiers jours de la vie de l'enfant et dans les carnets de santé. Elle vise à sensibiliser et responsabiliser les familles et les enfants, ainsi que l'ensemble des professionnels.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup, madame la secrétaire d'État, nous essayerons de planifier une audition spécifique sur les MNA.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de M. Bernard Bonne sur l'application des lois relatives à la la protection de l'enfance.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons à présent entendre la communication de Bernard Bonne à l'issue de ses travaux sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance. Je vous rappelle que nous avons entendu, dans ce cadre, en séance plénière, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, intervenue le 24 mai dernier en commission. Il apparaissait alors que de nombreuses dispositions en termes d'application des lois de protection de l'enfance restaient à prendre. Je suppose que notre rapporteur pourra donc nous apporter des précisions et nous indiquer s'il a observé des progrès depuis lors.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, en octobre 2021, nous examinions le projet de loi devenu loi du 7 février 2022 relatif à la protection des enfants. Je ne crois pas travestir le sentiment que nous avions exprimé en disant que cette loi était bienvenue : elle apportait des ajustements favorables, dont l'ambition a d'ailleurs été rehaussée au Sénat. Elle intervenait alors que l'application des lois précédentes n'était pas assurée et que les raisons de cette situation n'étaient pas évaluées. Il me semblait donc important, plus d'un an après la promulgation de cette réforme, de dresser un bilan de l'application des chantiers législatifs en protection de l'enfance et je remercie madame la présidente de m'avoir confié cette mission qui témoigne de l'importance que revêt ce sujet aux yeux de notre commission.

Par application, il faut entendre la publication des textes réglementaires, qui relève de la compétence du Gouvernement, et qui permet à certains articles de la loi de produire des effets juridiques. Madame la présidente nous a présenté en mai dernier le taux d'application particulièrement bas de la loi du 7 février 2022 : seuls 37 % des textes attendus ont paru. Toutefois, cette situation devrait bien finir par rentrer dans l'ordre. Ce n'est pas le cas de la seconde ambition, plus exigeante, que constitue la mise en oeuvre fidèle des dispositions de la loi par les parties prenantes.

Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, la force des trois lois qui se sont succédé, en quinze ans, dans le champ de la protection de l'enfance réside dans la grande continuité de leurs actions ; le législateur est intervenu sans défaire ce qu'il avait précédemment construit. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a consacré le rôle central du département comme chef de file, en reconnaissant la primauté des mesures administratives sur les mesures judiciaires d'assistance éducative. Elle a été fondatrice pour organiser le dispositif de repérage et de traitement des situations de danger grâce aux cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Elle a aussi renforcé le rôle de la prévention en protection de l'enfance et la coordination des acteurs par des observatoires départementaux de la protection de l'enfance et le projet pour l'enfant. La loi du 14 mars 2016, issue de l'initiative de notre collègue Michelle Meunier, a renforcé l'approche de la protection de l'enfance par les besoins fondamentaux de l'enfant. Il a souhaité garantir une prise en charge des mineurs globale et coordonnée, par un bilan de santé et la désignation d'un médecin référent. Il a renforcé l'anticipation de la sortie de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et l'accompagnement des jeunes majeurs. Les lois de 2007 et 2016 ont ainsi su poser la doctrine de la protection de l'enfance, selon les propres mots de Marie-Paule Martin-Blachais, initiatrice de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant. La loi du 7 février 2022, sans renouveler la protection de l'enfance, n'en a toutefois pas moins porté des mesures ambitieuses : renforcement de l'accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance ; interdiction de l'hébergement hôtelier ; prise en charge des jeunes majeurs confrontés à des difficultés de nature financière ou sociale ; droit au retour à l'ASE ; présence favorisée de l'avocat pour l'enfant discernant ; revalorisation de la rémunération des assistants familiaux.

Les travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information confortent le sentiment que le décalage s'accentue entre des dispositions législatives de plus en plus ambitieuses et la réalité de la protection de l'enfance. Nous devons garder à l'esprit que l'aide sociale à l'enfance (ASE) subit une « triple pression ». Je reprends là les mots de Charlotte Caubel devant notre commission. En effet et en premier lieu, les dispositifs de protection de l'enfance sont saturés. La tendance de long terme est à la hausse puisque le nombre d'enfants accueillis à l'ASE est passé de 147 000 en 2007 à 205 000 en 2021. S'ajoute, ces derniers mois, une nette recrudescence soudaine de placements d'enfants en bas âge. En second lieu, les flux migratoires ont repris et avec eux l'arrivée de mineurs non accompagnés (MNA), arrivée qui met en tension les capacités d'accueil des départements. En troisième et dernier lieu, la pénurie de professionnels dans le travail social est exacerbée en protection de l'enfance. Il faut donc faire mieux avec moins d'effectifs.

Le contexte de l'ASE, peu propice à l'évolution des pratiques professionnelles et des politiques départementales, offre donc une explication générale au défaut de mise en oeuvre des lois qui, bien entendu, est insuffisante. Il nous faut encore descendre dans le détail des dispositions et des obstacles qu'elles rencontrent.

Le rapport, que je vous présente, et à plus forte raison mon intervention de ce matin, ne peut pas évaluer l'application minutieuse de toutes les dispositions adoptées dans ces lois qui représentent, à elles trois, 131 articles législatifs. Vous me permettrez donc de ne pas être exhaustif en choisissant quelques exemples éclairants et d'esquisser les pistes de réflexion pour l'avenir.

Pour ne pas désespérer, je commencerai par une note positive puisque les avancées prévues par les lois, notamment celle de 2007, relatives au repérage et au traitement des informations préoccupantes (IP), se sont concrétisées, même s'il reste encore à parachever les ambitions du législateur. Quasiment tous les départements possèdent une CRIP qui réunit les informations préoccupantes. Si bien sûr des disparités existent selon les territoires, en lien notamment avec les moyens humains engagés, les auditions révèlent que ces CRIP réussissent, globalement, à remplir leur mission de centralisation, de transmission et de filtre des IP en amont de la saisine du parquet et du juge des enfants. Il est une difficulté majeure qui demeure, elle concerne les délais de traitement des IP : ils peuvent dépasser la durée maximale de trois mois fixée par décret. Un autre chantier sera l'appropriation, par les professionnels, du référentiel national d'évaluation des informations préoccupantes élaborée par la Haute Autorité de santé et que la loi de 2022 a consacré comme cadre de l'évaluation menée par les CRIP. S'agissant de l'entrée des enfants dans la protection de l'enfance, la déjudiciarisation souhaitée par la loi de 2007 n'a pas eu lieu : en 2021, 75 % des enfants confiés à l'ASE l'ont été par une décision judiciaire. Les raisons sont multiples : les services départementaux font face à de nombreux refus, ne serait-ce que d'un parent, ou d'adhésion « de façade », ce qui rend obligatoire le recours au juge. Parfois, ce sont les professionnels de l'ASE qui préfèrent le recours à une intervention cadrée et plus rassurante de l'autorité judiciaire. Il est un point plus compliqué : il s'avère que certains territoires sont dépourvus de dispositifs de prise en charge adaptée à des mesures administratives. Force est de constater que le manque d'investissement des départements dans les mesures d'aide éducative à domicile renforcée rend nécessaire la sollicitation d'une aide éducative en milieu ouvert renforcée (AEMOR) décidée par le juge. Enfin, par héritage culturel, le recours au juge reste difficile à minimiser dans notre modèle français de l'assistance éducative.

J'illustrerai l'application des dispositions concernant l'accueil des enfants par deux exemples issus de la loi du 7 février 2022. Le premier article de cette loi renforce la priorité donnée à l'accueil de l'enfant par un membre de la famille ou par un tiers digne de confiance, en rendant obligatoire l'évaluation de cette option, ceci préalablement à tout placement judiciaire. Plus d'un an après son introduction, cette disposition est restée lettre morte, alors qu'il s'agit là d'un des articles les plus structurants de la loi. Les départements estiment ne pas avoir les moyens de remplir les missions incombant aux services évaluateurs. De même, la loi a prévu de renforcer l'accompagnement des tiers dignes de confiance par les services de l'ASE. La parution du décret devant préciser cet accompagnement, en particulier son périmètre, se fait attendre en raison des inquiétudes soulevées par les départements. Or, les tiers dignes de confiance se sentent trop souvent laissés à eux-mêmes et réclament un meilleur suivi et encadrement. Il s'agit également d'une impérieuse nécessité de vérifier que l'accueil des enfants se fait dans de bonnes conditions.

J'en viens désormais à un autre point sensible de la loi de 2022, c'est-à-dire le respect par les départements de l'interdiction de l'hébergement hôtelier. À l'initiative du Sénat, l'interdiction, sans dérogation, devrait entrer en vigueur en février 2024 pour laisser aux départements le temps d'anticiper, perspective qui les a conduits à prendre les dispositions nécessaires pour éviter ce type d'hébergement inadapté aux mineurs protégés. De nombreux départements ont lancé des appels à projets. Dans le département des Hauts-de-Seine, où la situation a été particulièrement scrutée en raison du drame qui s'y est produit en 2019, le conseil départemental a pris la mesure de la situation en investissant dans la construction de nouvelles structures. Un projet de structure d'hébergement de 300 places est en cours de réalisation depuis juillet 2022. La loi agit donc efficacement pour transformer l'accueil des enfants même si le regain des flux de personnes arrivant en France et se déclarant MNA complique la mise en oeuvre totale et uniforme de l'interdiction. Une dizaine de départements, dans lesquels la contrainte foncière est la plus forte ou les flux migratoires les plus directs, sont en difficulté pour bannir l'hôtel de leur offre d'accueil, même s'il faut le rappeler, cette interdiction ne vaut que pour les personnes hébergées au titre de l'ASE. Les personnes qui sont encore en attente d'évaluation de leur minorité pourront toujours, en cas de saturation des autres dispositifs, être mises à l'abri en urgence dans des structures hôtelières.

Les lois ont prévu de nombreux dispositifs pour compléter l'accompagnement des enfants et des jeunes lors de leur prise en charge par l'ASE. À ce titre, le projet pour l'enfant est devenu emblématique des défaillances d'application de la loi en protection de l'enfance. Issu de la loi de 2007, le PPE n'est toujours pas mis en oeuvre pour tous les enfants. En 2019, seuls 27 départements sur 83 interrogés par le ministère de la santé mettaient systématiquement en oeuvre un projet pour l'enfant. Certains départements ne prévoient un PPE que pour une infime partie des mineurs qui leur sont confiés, j'ai pu le constater moi-même. Gautier Arnaud-Melchiorre, à qui le ministre Adrien Taquet avait confié une mission sur la protection de l'enfance à travers la parole recueillie des enfants, m'a indiqué en audition n'avoir jamais entendu un seul enfant lui parler du PPE. Même quand il est déployé, le projet se limite à un document administratif formel, peu utile et sans aucun sens pour les enfants. À l'inverse, le projet pour l'enfant devrait permettre de coucher par écrit les ambitions que l'on peut former, avec le mineur, quant à son avenir, à l'instar des projets que les parents établissent pour leurs enfants. C'est un outil de coordination pour les professionnels qui doit être investi et être régulièrement actualisé.

Plus récentes sont les dispositions législatives prévoyant le parrainage et le mentorat. À l'initiative d'un amendement du Gouvernement, l'article 9 de la loi de 2022 prévoit que ces dispositifs doivent systématiquement être proposés aux mineurs pris en charge par l'ASE soit 377 000 enfants. Nous avons soutenu la très bonne intention de cette disposition en partageant quelques doutes sur la capacité de réunir autant de parrains et de mentors. Comme vous l'imaginez, cette disposition à caractère théoriquement systématique est très loin d'être appliquée. Le décret prévoyant les conditions de contrôle des parrains et marraines - contrôle qui sont essentiels, ainsi que les modalités d'habilitation des associations de parrainage ne sont pas encore publiés. Le Gouvernement ne semble pas se donner les moyens de concrétiser ses annonces ambitieuses.

Ma dernière illustration des faiblesses de l'application des lois concerne donc la coordination des acteurs locaux concourant à la protection de l'enfance. En effet, entre services du département, de l'État déconcentré, de la justice et des associations, des échanges fluides et efficaces ont été maintes fois rêvés par le législateur. Pourtant, tous les départements ne possèdent pas d'observatoires départementaux de la protection de l'enfance réellement actifs et assurant les missions qui lui sont confiées par la loi. De même, les protocoles devant réunir président de conseil départemental, président de conseil régional et préfet en vue de favoriser l'accès à l'autonomie des jeunes ne sont pas tous opérants.

Dans l'optique de revivifier la gouvernance locale, l'article 37 de la loi de 2022 a prévu les comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE), co-présidés par le président du département et par le préfet, dont le rôle est de s'assurer que tous les services de l'État participent à la coordination de la politique. La patience fut de mise mais les premiers comités ont été institués par décret et sont en cours d'installation. L'expérimentation se déroule dans dix départements volontaires, dont les instances de coordination avaient été mises en sommeil. Les présidents des conseils départementaux de la Somme et de l'Eure-et-Loir, que j'ai pu rencontrer, placent de grands espoirs dans ces comités, y compris pour aborder les cas individuels complexes, comme la loi l'a prévu.

Plusieurs points de vigilance émergent toutefois pour garantir la réussite de l'expérimentation et envisager sa généralisation. L'articulation des CDPE avec les autres instances doit éviter toute redondance et perte de temps. De même, il revient à l'autorité judiciaire, ainsi qu'à tous les services concernés de l'État, en particulier l'Éducation nationale, de se plier à l'exercice, sans quoi les comités perdront de leur intérêt. La secrétaire d'État Charlotte Caubel m'a assuré que des instructions ont été données aux préfets pour la mobilisation des services de l'État. Une circulaire de mars 2023 insiste sur l'importance de ces comités auprès des parquets. L'optimisme est donc permis.

Vous l'aurez toutefois compris, chers collègues, le bilan dressé ici n'est qu'un échantillon représentatif d'une application des lois en deçà des attentes. Il n'y a donc pas de coupable idéal, mais davantage une responsabilité partagée des acteurs de la protection de l'enfance qui doivent réinvestir leurs missions respectives.

L'État, d'abord, est responsable à trois titres. D'une part, le Gouvernement, détenteur du pouvoir réglementaire national, fait preuve de toutes les peines du monde à publier les décrets d'application d'un texte de loi, pourtant de son initiative. Certes une période d'élections présidentielle et législative est venue couper un élan initial et le contexte de la protection de l'enfance s'est dégradé avec l'arrivée en grand nombre de MNA. Les délais de parution des décrets ne sont tout de même pas acceptables.

D'autre part, l'État semble se désengager des missions qui sont les siennes et qui concourent à une bonne politique de protection de l'enfance. Les services de l'ASE doivent accueillir des enfants en situation de handicap pour lesquels une prise en charge plus adaptée relèverait des IME ou des Itep. En Eure-et-Loir, des difficultés de coordination entre le conseil départemental et l'ARS m'ont été soulignées sur ces sujets. En outre, si le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux relevant de l'ASE incombe au président du conseil départemental, le préfet détient une compétence générale de contrôle. Celle-ci peut être exercée, notamment si la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies sont susceptibles d'être compromis. Les représentants de l'État ne font que très rarement usage de cette possibilité. Il conviendrait que les préfets diligentent davantage de contrôles conjointement avec les services de l'ASE. Le champ des investigations ne devrait pas s'arrêter aux défaillances les plus flagrantes, mettant en danger les enfants, mais porter également sur le respect des exigences légales par les structures d'accueil. Je crois enfin que l'État doit soutenir les départements pour faire face, de façon pérenne, aux conséquences financières que les dispositions de la loi de 2022 engendrent (évaluation et contrôle des tiers dignes de confiance, interdiction de l'hébergement hôtelier, rémunération rehaussée des assistants familiaux, accompagnement des jeunes majeurs de moins de 21 ans, etc.)

Le Sénat avait soutenu les avancées législatives en ne cessant de réclamer plus de moyens au profit de la protection de l'enfance. C'est à l'État de faire en sorte que la justice en assistance éducative possède les moyens permettant de suivre les enfants de façon optimale. Le nombre de dossiers par juge atteint souvent les 600, soit le double des recommandations prônées par les référentiels en la matière. L'embolie des cabinets de juges des enfants accroît le délai d'audiencement et de décisions. Elle amoindrit également la qualité de la procédure : les juges ne peuvent même plus entendre chaque mineur individuellement ni même tenir des audiences pour le renouvellement de leurs mesures.

Pour les départements, ensuite, la politique de protection de l'enfance ne peut être une compétence facultative. Certains investissent des moyens humains et financiers importants. Ainsi, près de 9 milliards d'euros sont consacrés par les départements à l'aide sociale à l'enfance. D'autres, en revanche, négligent une mission qui ne peut être à la hauteur des enjeux sans réelle volonté politique. Il n'est pas acceptable que les enfants en danger soient plus ou moins bien pris en charge selon le territoire sur lequel ils vivent. L'application des dispositions législatives doit devenir la priorité des départements. Le Gouvernement doit inciter à cette application, en particulier en l'insérant dans la prochaine vague de contractualisation et en généralisant cette contractualisation de manière à éviter les mises en oeuvre disparates selon les territoires. En troisième lieu, les professionnels de la protection de l'enfance portent une grande responsabilité, dès lors que le respect des lois dépend de leurs pratiques. Quand des avancées législatives viennent bousculer des connaissances ou des pratiques qui sont solidement ancrées, une certaine inertie dans la mise en oeuvre apparaît alors. Le levier de la formation doit donc être largement investi. D'une part, pour que les changements législatifs se diffusent rapidement, il convient de favoriser la formation continue des professionnels. Les initiatives développées par l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispense des formations aux professionnels de l'aide sociale à l'enfance, doivent être encouragées. Plus largement, la structuration de la formation en blocs de compétences au sein des instituts régionaux du travail social (IRTS) doit être encouragée afin de permettre aux éducateurs, assistants familiaux ou référents ASE, exerçant déjà leur profession, de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance et actualiser ainsi leurs connaissances.

Alors qu'une pénurie des professionnels en protection de l'enfance est déjà à l'oeuvre, les IRTS déplorent une baisse préoccupante de l'entrée en formation sur les métiers du secteur social, depuis la mise en place de Parcoursup. À cette désaffection, se rajoute un décalage entre les enseignements théoriques et la réalité des métiers de la protection qui conduit au découragement, voire à la réorientation des éducateurs peu de temps après leur prise de fonction. Pour pallier ces difficultés, il est nécessaire de renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les établissements de formation, ainsi que des départements le proposent déjà. Ces conventions favorisent le développement d'expériences concrètes en protection de l'enfance (stages et apprentissage), ainsi que le recrutement des jeunes diplômés dès la sortie des formations.

En guise de conclusion, le législateur doit aussi tirer les enseignements de la mise en oeuvre imparfaite des lois de 2007, 2016 et 2022. Les professionnels de la protection de l'enfance ont salué le travail législatif entrepris, mais ils ont également manifesté le souhait qu'une pause soit observée dans les réformes. En dehors des ajustements s'avérant nécessaires, une nouvelle loi d'ampleur dans la protection de l'enfance, aussi bien réfléchie soit-elle, présentera très probablement plus de problèmes que d'avantages. Accroître la distance entre les exigences normatives et la réalité ne pourra que décevoir les espérances et démoraliser les professionnels. J'estime donc que la priorité est davantage à la construction d'un outil statistique dans le champ de la protection de l'enfance et à l'évaluation des dispositions en vigueur. La ministre comme l'Assemblée des départements de France ont insisté sur la faiblesse de l'étude d'impact de la loi de 2022. Cette mission d'évaluation, qui fait aujourd'hui défaut, incombe au nouveau GIP « France Enfance protégée » et à l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Pour ne pas bâtir sur des bases mal assurées, tout nouveau projet de loi devrait être conditionné à une étude minutieuse des précédentes réformes.

M. Laurent Burgoa. - Je remercie notre collègue pour la qualité de sa restitution, laquelle permet de relever l'intérêt du contrôle parlementaire quant à l'efficience des lois adoptées. Je souhaite évoquer le fichier des mineurs non accompagnés rendu obligatoire par la loi du 7 février 2022. Il s'avère que certains départements n'appliquent pas cette disposition. L'État a-t-il pris une mesure financière à l'encontre de ces territoires, notamment par un moindre financement de la prise en charge des MNA ? Je l'espère. S'agissant du budget, nous constatons que certains départements rencontrent des difficultés à distinguer celui dédié à l'aide sociale à l'enfance et celui dédié aux mineurs non accompagnés. Il serait opportun de remédier à ce problème.

M. René-Paul Savary. - Je me joins aux propos de mon collègue. Force est de constater que l'arrivée de mineurs non accompagnés dans les départements a fortement perturbé les missions qu'ils assuraient jusqu'alors au titre de l'aide sociale à l'enfance pour les jeunes confrontés à des difficultés sociales ou financières. Il importe de ne pas confondre ces deux publics. Qui plus est, bien souvent, les travailleurs sociaux eux-mêmes ne sont pas formés pour gérer les MNA. Quant aux PPE, je crois que leur faible nombre peut s'expliquer par leur extrême formatage. Les travailleurs sociaux en sont réduits à passer davantage de temps devant leur poste de travail à instruire un dossier de PPE que face au jeune dont ils doivent élaborer le projet ! Je comprends le propos de Bernard Bonne sur la nécessaire formation des éducateurs sociaux, formation qui est d'autant plus nécessaire que ces éducateurs sont confrontés à des cas très difficiles. Peut-être faudrait-il songer à leur offrir la possibilité d'évoluer sur le plan professionnel au bout d'un certain nombre d'années ? J'achève mon propos en saluant le travail de notre collègue.

Mme Michelle Meunier. - Je tiens, moi aussi, à saluer le travail sans concession de notre collègue, travail qui prouve aisément que le problème qui se pose n'est pas celui des lois, mais de leur application. Cette responsabilité n'incombe pas seulement à l'État. En la matière, j'en appelle donc à une grande politique nationale sur la protection de l'enfance. Je ne peux que déplorer que les mesures dites « administratives », mais qui sont avant tout des mesures éducatives, ne sont pas mises en oeuvre, faute de moyens. Le recours en dernier recours au système judiciaire s'avérera in fine inopérant car il ne dispose, lui aussi, pas des moyens suffisants. Dès lors, nous assistons à des notifications de mesures qui ne sont pas appliquées, faute de solutions idoines. Une autre difficulté est la précarité des éducateurs. Nombre d'entre eux sont des travailleurs intérimaires. Dès lors, il en résulte que les jeunes qui ont besoin de stabilité et de perspectives ne sont accompagnés que par des personnes qui sont elles-mêmes en grande précarité professionnelle et qui ne peuvent a priori pas assurer l'accompagnement sur le long terme. Ils ne restent dans la structure que quelques mois. In fine, je me joins à ce qui a été dit concernant le caractère inadéquat de Parcoursup. Ce dispositif n'est en rien adapté aux populations dont il est ici question.

Mme Élisabeth Doineau. - Je m'associe aux remerciements de mes collègues. Les travaux restitués durant cette session par notre collègue sont de très grande qualité. Il était intéressant de procéder à l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques de protection de l'enfance, d'autant qu'il m'a été donné, alors que j'étais en responsabilité dans mon département, de constater l'indigence des dispositions d'évaluation qui y étaient en vigueur. Les travaux de l'Observatoire national de l'action sociale (Odas) sur la protection de l'enfance ont pu éclairer nos politiques en ce domaine. J'observe une hausse du nombre d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis quinze ans, ceci indépendamment des mineurs non accompagnés. Je relève aussi la complexité des profils, complexité qui mobilise les professionnels du secteur. Ces derniers constatent une tendance plus répandue de ces profils à tomber dans la délinquance ou à présenter des troubles psychiatriques. Pour finir, je crois opportun qu'un des problèmes auxquels les départements sont confrontés est celui du recrutement des effectifs dédiés à la protection de l'enfance. Ces effectifs ne sont très clairement pas suffisants. Je m'étais inquiétée de la suffisance des moyens octroyés aux départements en la matière. Cette alerte n'avait pas été prise en compte par les pouvoirs publics qui n'avaient pas jugé opportun d'abonder le fonds national de financement de la protection de l'enfance. La résolution de ce problème est une priorité absolue.

Pour finir, je ne peux que déplorer la précarité des mesures prises par certains territoires et du financement qui leur est associé.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je tiens à féliciter Bernard Bonne pour la qualité de son rapport. Nous savons tous que les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain. Si les enfants ne peuvent pas bénéficier d'un cadre idoine, ils ne seront pas des adultes construits et épanouis. Mon territoire compte plus de 7 000 enfants placés, dont un nombre important de MNA parmi eux. Ils souffrent beaucoup de carences éducatives, eu égard à la pauvreté sociale du Pas-de-Calais. Mon département a pris l'initiative de créer un comité dédié à la protection de l'enfance. J'ai été intéressée par l'audition de la secrétaire d'État qui ne dissimulait pas le problème que constituent à terme les difficultés de recrutements en termes d'assistants familiaux. Il importe de revaloriser la rémunération que ces professionnels touchent et le métier qu'ils exercent. Ce métier est insuffisamment connu et reconnu. Le rapport évoque cette question de la reconnaissance et je m'en félicite sincèrement, outre le fait qu'il insiste sur la coordination du travail qu'opèrent les acteurs de terrain.

M. Bernard Bonne. - Je vais tâcher de répondre à chacune de vos interventions en confirmant tout d'abord à mon collègue Laurent Burgoa qu'il n'existe pas de distinction entre les budgets alloués aux mineurs non accompagnés et à l'ASE dans la plupart de nos départements. Comme l'a souligné fort justement René-Paul Savary, les MNA sont confiés à l'ASE mais la prise en charge adaptée à leur situation diffère de celle à déployer pour les autres enfants. Leurs problèmes comme leur âge sont notablement différents. Les approches doivent donc être différentes. J'espère vivement que la future loi sur l'immigration permettra de remédier à ce problème. Il convient que l'État prenne sa part dans la résolution financière de ce problème. De la même façon, la précarité du statut des éducateurs est un autre problème qui doit impérativement être instruit. Cette précarité est bien évidemment préjudiciable aux enfants que ces éducateurs suivent.

Je remercie ensuite Michelle Meunier pour ses propos en soulignant tout l'intérêt que nous avons à travailler au-delà de nos étiquettes partisanes sur des sujets qui sont aussi importants que celui qui nous intéresse ce matin. Cela nous renvoie à la question de la formation de ces éducateurs : elle nécessite elle aussi d'être très nettement améliorée. J'en terminerai en estimant qu'avant de voter des lois, il importe de faire appliquer celles qui existent. Il s'agirait d'un progrès très net que j'appelle de mes voeux.

Mme Catherine Deroche. - Je vous remercie. Il me revient à présent de consulter notre commission sur la publication du rapport d'information de notre collègue.

Les recommandations sont adoptées.

À l'unanimité des membres présents, la commission des affaires sociales adopte le rapport d'information sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

· Association Enfance et partage

Claudine Jeudy, présidente

Isabelle Wilson-Idier, directrice

· Association La voix de l'enfant

Martine Brousse, présidente

· Association L'enfant bleu

Isabelle Debré, présidente

Léonie Robert, juriste

· Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

Raphaël Balland, président, procureur de la République de Béziers

Jean-Baptiste Bladier, secrétaire adjoint et ancien président, procureur de la République de Meaux

Agnès Auboin, procureure de la République de Châteauroux

Frédéric Chevallier, procureur de la République de Chartres

· Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (Anamaaf)

Marie-Noëlle Petitgas, présidente

· Confédération associative syndicale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (Casamaaf)

Bruno Roy, secrétaire général

· Fédération nationale des assistants familiaux (FNAF.PE)

Sonia Mazel Bourdois, présidente

Patricia Benoit, trésorière

· Union fédérative nationale des associations de familles d'accueil et assistants maternels (Ufnafaam)

Steeve Penin, membre du bureau national

· Syndicat professionnel des assistants maternels et des assistants familiaux (Spamaf)

Henriette Amiel, secrétaire générale

· Convention nationale des associations de protection de l'enfance (Cnape)

Pierre-Alain Sarthou, directeur général

Bérangère Dejean, responsable pôle enfance

· Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé (Andass)

Anne Troadec, présidente, directrice générale adjointe du Pôle Social, département de la Savoie

Nathalie Audouard, directrice Enfance-famille, département des Pyrénées-Orientales

Arnaud Lopez, directeur Enfance, adolescence, familles, département des Hauts-de-Seine

· Léo Mathey, fondateur de l'association Repairs

· Gisèle Delcambre, vice-présidente du tribunal pour enfants de Lille, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)

· Kim Reuflet, juge des enfants, présidente du Syndicat de la magistrature

· Édouard Durand, juge des enfants, co-président de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

· Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE)

Anne Devreese, présidente

Sylvain Turgis, secrétaire général

· Département des Hauts-de-Seine

Alice Le Moal, conseillère départementale déléguée à l'aide sociale et à l'enfance

Jean-Michel Rapinat, directeur général du pôle Solidarités

Sandrine Le Morvan, chargée des relations parlementaires au cabinet du Président

· Département de la Somme

Stéphane Haussoulier, président

· Association départementale de sauvegarde de l'enfance et de l'adulte de l'Aisne (ADSEA 02)

Yvon Benabdelli, président

David Tiranno, directeur général

Mathieu Destrez, directeur du pôle enfance

· ADSEA 77

Marie-Noëlle Villedieu, présidente

François Gouraud, vice-président

Laurent Cambon, directeur général

· ADSEA 63

Isabelle Dubois, présidente

· Gautier Arnaud-Melchiorre, auteur du rapport À (h)auteur d'enfants, membre du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE)

· Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l'Enfance et famille

· Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)

Anne Coquet, sous-directrice des missions de protection judiciaire et d'éducation (SDMPJE)

· Adrien Taquet, ancien secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles auprès du ministre des solidarités et de la santé, co-président des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant

· IRTS Parmentier

Jean Pineau, vice-président de l'AFRIS Paris Parmentier, association gestionnaire de l'IRTS

Manuel Pélissié, directeur général

Berkène Dikki, directeur de l'établissement de Melun

· École nationale des solidarités, de l'encadrement et de l'intervention sociale (ENSEIS)

Nadia Zeghmar, directrice générale

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Déplacement du rapporteur en Eure-et-Loir

(Mardi 23 mai 2023)

Déplacement de M. Benard Bonne, sénateur de la Loire, et de Mme Chantal Deseyne, sénateur d'Eure-et-Loir

· 9 h 00 à 11 h 00 :

Visite du centre départemental de l'enfance et de la famille en présence de :

M. Christophe Le Dorven, président du conseil départemental

M. Bertrand Massot, vice-président en charge de l'Enfance, de la Famille, de l'Insertion et de l'Emploi

M. Romain Cerclé, directeur de cabinet du président

Mme Chantal Marchand, directrice générale des services adjointe en charge des solidarités

Mme Anne-Aurore Giraud, directrice du CDEF

· 11 h 00 à 12 h 15

Table ronde avec les professionnels du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), de la protection maternelle et infantile (PMI), de la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) en présence de :

M. Raphaël Dony, chargé de mission Solidarité

Mme Claire Rousseau, directrice de la Maison départementale des solidarités Chartres

Dr Jean Louis Roudiere, chef de service de la PMI

M. Jean Baptiste Gasselin, chef de service de l'ASE

Mme Sandrine Brisavoine, responsable de la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP)

Mme Carole Haramboure, responsable Accueil familial et adoption

Mme Amandine Le Flahec, responsable de la cellule des mineurs non accompagnés (MNA)

Mme Caroline Rimboeuf, inspecteur ASE

· 14 h 15 à 16 h 00 :

Table ronde avec les partenaires du conseil départemental en présence de :

Mmes Marie-Paule Martin-Blachais, présidente, et Isabelle Cappellaro, directrice générale, ADSEA 28

M. Stéphane Geoffroy, directeur général, ADOMICILE 28

M. Augustin Zeltz, directeur régional adjoint, Fondation d'Auteuil

M. Olivier Sousa Leal, directeur, SOS Villages d'Enfants

· 16 h 15 à 17 h 45

Réunion de travail en présence de :

Mme Sylvie Avezou-Franch, juge des enfants, magistrate coordinatrice du tribunal pour enfants de Chartres

M. Yann Gérard, secrétaire général de la préfecture d'Eure-et-Loir

M. Vincent Leprevost, directeur départemental de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Support

1

Assurer aux jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance sans soutien familial une réelle aide pécuniaire financée par l'État.

Gouvernement, Parlement

Textes législatif et réglementaire

2

Conduire des évaluations récurrentes des comités départementaux de la protection de l'enfance pour déterminer si, au terme de l'expérimentation, les conditions de remplacement des instances existantes par ces comités seront réunies.

Gouvernement (DGCS, DPJJ, préfets) et départements

Rapports d'évaluation

3

Mener davantage de contrôles exercés conjointement par les départements et les services déconcentrés de l'État portant sur la qualité de l'accueil des enfants protégés et la conformité des dispositifs aux lois.

Gouvernement (DGCS, DPJJ, préfets) et départements

/

4

Renforcer les partenariats entre les conseils départementaux et les écoles de formation pour développer les expériences professionnelles en protection de l'enfance.

Départements et écoles de formation

Conventions

5

Encourager la structuration de la formation en blocs de compétences permettant aux professionnels exerçant déjà leurs fonctions de suivre des modules spécifiques à la protection de l'enfance.

Gouvernement et écoles de formation

Textes règlementaires

6

Ne pas engager de nouvelle réforme législative d'ampleur sans s'assurer de l'application des lois en vigueur par chaque acteur de la protection de l'enfance.

Gouvernement et Parlement

/

7

Garantir les moyens au GIP France enfance protégée et à l'ONPE de recueillir des données statistiques et de mener des évaluations à même d'aider à l'orientation de la politique de protection de l'enfance.

Gouvernement, départements et GIP France enfance protégée

Moyens financiers et humains

Mise à disposition des données


* 1 Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2023, rapport d'information n° 636 (2022 2023) fait par Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances déposé le 24 mai 2023

* 2 Discussion générale du projet de loi.

* 3 En vertu de l'article 19 bis B du règlement du Sénat.

* 4 Le rapport Mineurs non-accompagnés : répondre à l'urgence qui s'installe d'Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy au nom de la commission des affaires sociales et, plus récemment, ainsi que, plus récemment, le rapport d'information Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale de Hussein Bourgi , Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, fait au nom des commissions des lois et des affaires sociales.

* 5 Sénat, JORF, session ordinaire de 2014-2015, compte rendu intégral, Séance du jeudi 11 décembre 2014.

* 6 Audition en commission des affaires sociale de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles (29 septembre 2021).

* 7 Entretien du 6 février 2023 de M. Adrien Taquet paru au Média social : https://www.lemediasocial.fr/adrien-taquet-cette-loi-a-permis-plusieurs-avancees-majeures_6s1ekE

* 8 Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2023, rapport d'information n° 636 (2022-2023) fait par Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances déposé le 24 mai 2023, p. 257.

* 9 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 10 Décret n° 2022-1728 du 30 décembre 2022 relatif au référentiel national d'évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l'enfant.

* 11https://www.has-sante.fr/jcms/p_3120418/fr/evaluation-globale-de-la-situation-des-enfants-en-danger-ou-risque-de-danger-cadre-national-de-reference

* 12 Décret n° 2022-1697 du 29 décembre 2022 relatif à l'information des personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 226-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 13 Décret n° 2022-1198 du 31 août 2022 relatif à la rémunération des assistants familiaux et à certaines indemnités.

* 14 Dorénavant codifié à l'article D. 423-23 du code de l'action sociale et des familles.

* 15 Arrêté du 10 décembre 2022 portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public « France enfance protégée ».

* 16 Article L. 147-15 du code de l'action sociale et des familles.

* 17 Décret n° 2022-1729 du 30 décembre 2022 relatif au Conseil national de la protection de l'enfance.

* 18 Décret n° 2023-299 du 21 avril 2023 relatif aux institutions compétentes en matière de protection de l'enfance, d'adoption et d'accès aux origines personnelles.

* 19 Arrêté du 23 mai 2023 portant désignation des associations membres du Conseil national de la protection de l'enfance.

* 20 Arrêté du 7 juin 2023 portant désignation des membres du Conseil national de la protection de l'enfance.

* 21 Décret  2022-1730 du 30 décembre 2022 relatif à l'expérimentation du comité départemental pour la protection de l'enfance, ainsi que le décret n° 2023-207 du 28 mars 2023 fixant la liste des départements participant à l'expérimentation de la mise en place d'un comité départemental pour la protection de l'enfance.

* 22 Décret n° 2023-207 du 28 mars 2023 fixant la liste des départements participant à l'expérimentation de la mise en place d'un comité départemental pour la protection de l'enfance.

* 23 Circulaire du 3 mai 2022 relative aux dispositions immédiatement applicables issues de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

* 24 Circulaire précitée, p. 8.

* 25 Sauf si des violences sur l'autre parent ou sur l'enfant sont alléguées par l'un des parents ou sauf emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent, et après avoir recueilli leur accord.

* 26 La définition a été élaborée par la Commission nationale de lutte contre la maltraitance et de promotion de la bientraitance.

* 27 Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2023, rapport d'information n° 636 (2022-2023) fait par Mme Pascale Gruny, président de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances déposé le 24 mai 2023, p. 259.

* 28 Sénat, JORF, compte rendu intégral, séance publique du 31 mai 2023.

* 29 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 30 Sénat, JORF, compte rendu intégral, séance publique du 31 mai 2023.

* 31 Le président du conseil départemental est tenu d'aviser sans délai le procureur de la République aux fins de saisine du juge des enfants lorsqu'un mineur est en danger au sens de l'article 375 du code civil et qu'il a déjà fait l'objet, en vain, d'une ou plusieurs actions administratives ou que, bien que n'ayant fait l'objet d'aucune des actions, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d'accepter l'intervention du service départemental ou de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service et que ce danger est grave et immédiat, notamment dans les situations de maltraitance.

* 32 Discussion générale du projet de loi au Sénat en première lecture, compte rendu intégral, séance du 20 juin 2006.

* 33 Cour des comptes, chambres régionales et territoriales des comptes, La protection de l'enfance : une politique inadaptée au temps de l'enfance, rapport public thématique, novembre 2020.

* 34 Rapport du groupe de travail relatif à la charge de travail et à l'organisation des juridictions pour mineurs, mai 2012, p. 28.

* 35 Département de la Gironde, schéma départemental de la protection de l'enfance et de la famille (2018-2022).

* 36 Circulaire relative à la politique pénale en matière de lutte contre les violences faites aux mineurs.

* 37 En Ille-et-Vilaine, les 22 centres départementaux d'action sociale exercent les missions de CRIP sur leur ressort.

* 38 Cour des comptes, La protection de l'enfance, rapport public thématique, octobre 2009.

* 39 Cour des comptes, rapport public thématique de 2020, p. 90.

* 40 Alpes Maritimes, Côtes d'Armor, Loir-et-Cher, Loire, Loire-Atlantique, Mayenne, Pyrénées Atlantiques, Var, Vaucluse.

* 41 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 42 Communiqué de presse de l'ADF du 11 mai 2023.

* 43 Laquelle préexistait à 2022 par l'application combinée des articles 371-5 et 375-7 du code civil.

* 44 Circulaire du 3 mai 2022, p. 5.

* 45 Cnape, Réponses au questionnaire du rapporteur.

* 46 Selon le document de présentation de la stratégie nationale, 25 % des enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance bénéficient d'une reconnaissance de la MDPH.

* 47 Chiffres de la Drees, accessibles en ligne.

* 48 Rapport n° 74 (2021-2022) de M. Bernard Bonne , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 20 octobre 2021, p. 19.

* 49 ONPE, La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants : contexte, analyses et perspectives, note juridique, mai 2022, p. 11.

* 50 La note DPJJ du 23 mars 2015 relative à la MJIE indique que « quelle que soit la situation, le service réalise la MJIE dans un délai de 6 mois maximum suivant sa notification ».

* 51 Tribunal administratif de Toulouse, décision n° 1602857 du 12 mars 2019.

* 52 Igas, L'accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l'aide sociale à l'enfance, novembre 2020.

* 53 Relevant des articles L. 227-4 (accueil collectif de mineur à caractère éducatif) et L. 321-1 (régime de la déclaration).

* 54 Ne figurent pas dans le B2 les décisions à l'encontre des mineurs, des condamnations prononcées pour contraventions, de celles assorties d'une dispense de peine, des condamnations avec sursis lorsque le délai d'épreuve a pris fin sans exécution de la totalité de la peine.

* 55 Article 706-53-7 du code de procédure pénale.

* 56 Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité, rapport d'information de Mmes Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, fait au nom de la MCI Répression infractions sexuelles sur mineurs, n° 529, déposé le 28 mai 2019.

* 57 Proposition n° 22.

* 58 Note DPJJ n° JUSF2221181N du 22 juillet 2022.

* 59 Article L. 223-1-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 60 Article L. 223-1-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 61 Rapport n° 146 (2014-2015) de Mme Michelle Meunier , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 décembre 2014, p. 29.

* 62 État des lieux 2018 de la mise en oeuvre des dispositions créées ou renforcées par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, DGCS/CNPE/Andass, septembre 2019.

* 63 Rapport public thématique de 2020, p. 101.

* 64 Article L. 223-1-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 65 Cour des comptes, Protection de l'enfance : une politique inadaptée au temps de l'enfant, novembre 2020, p. 32.

* 66 Rapport n° 2110 sur l'aide sociale à l'enfance de Perrine Goulet, déposé le 3 uillet 2019.

* 67 72 départements sur les 79 répondants.

* 68 ONPE, La santé des enfants protégés : Seizième rapport au Gouvernement et au Parlement, juillet 2022.

* 69 Flore Capelier, Comprendre la protection de l'enfance. L'enfant en danger face au droit, Dunod, 2015.

* 70 Arrêté du 11 août 2005 relatif à la charte du parrainage d'enfants.

* 71 Aurélie Vion, « Protection de l'enfance : l'engagement citoyen à l'épreuve du terrain », Le Média social, 8 juin 2023.

* 72 Parrains par mille, Rapports d'activité 2021 et 2022.

* 73 France Parrainage, rapport d'activité 2022, p. 3.

* 74 Codifié à l'article L. 222-5-1 au sein du code de l'action sociale et des familles.

* 75 Codifiées à un nouvel article L. 222-5-2-1 du CASF.

* 76 Le sixième alinéa de l'article L. 222-5 du CASF dans sa rédaction antérieure à la loi du 7 février 2022.

* 77 Rapport précité de L. Burgoa, H. Leroy, H. Bourgi et X. Iacovelli, p. 90.

* 78 Par comparaison, en 2020, les enfants âgés de 16 à 17 ans représentaient 22,6 % des bénéficiaires de l'ASE.

* 79 Les données sont disponibles pour 92 départements.

* 80 Mentionné à l'article L. 5131-6 du code du travail

* 81 Codifé à l'article R. 222-6 du code de l'action sociale et des familles.

* 82 Neither in Education, Employment or Training.

* 83 Décret n° 2022-1125 du 5 août 2022 relatif à l'accompagnement vers l'autonomie des jeunes majeurs et des mineurs émancipés ayant été confiés à l'aide sociale à l'enfance.

* 84 CE, 15 nov. 2022, n° 468364, Mme B. c/ Département de l'Essonne.

* 85 Comme le soulignent par ailleurs le CNPE et le COJ.

* 86 Rapport précité, p. 33.

* 87 Cf. Partie I pour voir les publications de textes réglementaires.

* 88 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 89 Igas, IGJ, Délais d'exécution des décisions de justice en matière de protection de l'enfance, septembre 2019.

* 90 Voir le compte rendu de l'audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 91 Rapport précité de 2020, p. 59.

* 92 ONPE, La population des enfants suivis en protection de l'enfance au 31 décembre 2020 : les disparités départementales, décembre 2022.

* 93 Instruction interministérielle n° DGS/SP1/DGCS/SD2B/2023/36 du 25 avril 2023 relative à la contractualisation préfet/ARS/département en prévention et protection de l'enfance pour l'exercice 2023.

* 94 Audition du 29 septembre 2021.

* 95 En vertu du décret n°2015-1013 du 18 août 2015 modifiant le décret du 17 mai 2010 relatif au FNFPE.

* 96 Décret n°2019-670 du 27 juin 2019.

* 97 Rapport public thématique de 2020, p. 33.

* 98 Audition en commission des affaires sociales de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'enfance, le 24 mai 2023.

* 99 Rapport public thématique précité, p. 56.

* 100 Annexe 4 à l'instruction interministérielle précitée du 25 avril 2023, p. 9.

* 101 Sénat, JORF, session ordinaire de 2014-2015, compte rendu intégral, Séance du jeudi 11 décembre 2014.

* 102 Sénat, JORF, session ordinaire de 2021-2022, compte rendu intégral, Séance du mardi 14 décembre 2021.

* 103 Rapport n° 2110 sur l'aide sociale à l'enfance de Perrine Goulet, déposé le 3 juillet 2019.

* 104 Rapport public thématique, p. 42.

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