II. DES POLITIQUES DE SOUTIEN À LA PARENTALITÉ À DÉVELOPPER ET À DIFFÉRENCIER

Afin de mieux soutenir les parents dans l'exercice de leur parentalité, les rapporteurs appellent à développer et différencier les politiques publiques en direction des familles.

Apporter aux familles des prestations et services à la hauteur de leurs besoins apparaît comme un préalable indispensable aux questions de parentalité au sens strict.

Quant aux politiques de parentalité, elles doivent accompagner les parents le plus tôt possible, et tout au long de l'enfance et adolescence de leur enfant, en particulier dans les moments de vie les plus difficiles. Afin d'en renforcer l'efficacité et la cohérence, les rapporteurs appellent à renforcer les acteurs de proximité, ainsi que leur coordination.

A. APPORTER AUX FAMILLES DES PRESTATIONS ET SERVICES À LA HAUTEUR DE LEURS BESOINS

1. Mieux connaître les familles et leurs besoins
a) Récolter et exploiter davantage de données sur les outre-mer

Le manque de connaissances sur la situation dans les outre-mer, et singulièrement dans les collectivités d'outre-mer, a été pointé de manière récurrente par les interlocuteurs des deux délégations. De nombreuses données sont parcellaires ou datées et les travaux de recherche portant spécifiquement sur le champ de la parentalité dans les outre-mer sont peu nombreux.

Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer d'Unicef France, a mis en exergue un manque de données s'agissant de la situation des droits de l'enfant dans les territoires ultra-marins : « entre 2020 et 2021, nous avons (...) mené un travail plus global sur l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire français. À ce moment-là, nous nous sommes aperçus que nous manquions de données s'agissant de l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. (...) les éléments que nous y trouvons sont très inégaux ».

Ce manque de données est un obstacle à l'évaluation des besoins et donc à la mise en place des politiques publiques, comme l'a rappelé Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France : « nous avons engagé des travaux sur la thématique de la pauvreté, notamment. Nous nous sommes aperçus que la connaissance et l'analyse de la situation des enfants étaient essentielles pour objectiver leurs besoins et pour développer des politiques publiques adaptées. Nous (...) nous confrontons à un double obstacle correspondant au manque de données sur la pauvreté multidimensionnelle des enfants en général, mais plus particulièrement dans les territoires d'outre-mer».

Un autre exemple de frein à l'action publique a été donné par Jodie Soret et porte sur l'obligation scolaire à Mayotte : « parmi les freins que nous avons identifiés à Mayotte (...), je peux citer une absence de repérage et d'identification des enfants non scolarisés. Le code de l'éducation impose aux municipalités de dresser la liste de tous les enfants soumis à l'obligation scolaire, mais cette disposition n'est pas toujours - voire très peu - appliquée sur les territoires. Sont ainsi laissés dans l'invisibilité un certain nombre d'enfants non scolarisés. L'absence de recensement empêche le repérage des enfants, et donc leur accompagnement. Dans certains quartiers informels, il est notamment très difficile de savoir si l'ensemble des jeunes sont scolarisés ou non, ce qui complique la collecte de données de qualité».

Il apparaît donc essentiel de cartographier les besoins dans chaque territoire. Ces besoins ne sont pas les mêmes en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou en Martinique.

Pour la stratégie nationale de soutien à la parentalité, Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM), a témoigné d'une prise de conscience de l'importance de ces données.

L'axe dédié aux outre-mer de cette stratégie comprend des actions particulières et ciblées, notamment pour améliorer la connaissance des besoins des familles.

Avec le soutien de la DGOM et celui du secrétariat d'État à la protection de l'enfance, une base documentaire unique sur l'éducation et la famille des outre-mer a été produite, en 2019, par l'université de Paris-Nanterre. Concernant les possibilités d'accompagnement répondant aux besoins spécifiques des outre-mer, l'association idealCO a été chargée de l'animation d'un réseau professionnel ultramarin sur les thématiques des politiques jeunesse et la mise en place de plateformes d'échange pour l'ensemble des outre-mer.

b) Soutenir la mise en place d'observatoires de la parentalité

L'évolution des structures de la parenté et de la fonction parentale rend plus difficile le transfert des compétences parentales entre les générations. Beaucoup de parents rencontrent des difficultés pour accompagner et guider leurs enfants vers l'âge adulte.

Afin de soutenir les familles, des actions de soutien à la parentalité ont émergé depuis une quinzaine d'années dans les collectivités, prises en charge et mises en oeuvre par les instances publiques et les associations. Dans les CAF en particulier, des dispositifs institutionnels ont été mis en oeuvre tels que les Réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Reaap), la médiation familiale, le Contrat local d'accompagnement à la scolarité, les lieux d'accueil enfants/parents...

Pour mieux appréhender l'ensemble des dimensions de la parentalité, s'est imposée l'idée de créer une entité qui permette de recenser les dispositifs et rapprocher les acteurs concernés.

La Réunion a été pionnière dans ce domaine et a créé, en 2015, un Observatoire de la parentalité, dans le cadre d'un partenariat entre l'université de La Réunion et la Caisse d'allocations familiales (CAF), pour permettre aux structures d'accompagnement de disposer d'un lieu « au service de l'intelligence collective », selon la formule de Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion.

Cet observatoire37(*) permet de faire le lien entre, d'une part, les réflexions, analyses et recherches autour de la notion de parentalité, et, d'autre part, la mise en oeuvre d'actions concrètes sur le terrain. Ce regard croisé s'appuie sur un travail interdisciplinaire mené entre les acteurs du social oeuvrant dans le champ de la parentalité à La Réunion.

L'Observatoire de la parentalité réunit les décideurs publics mais aussi les parents qui sont inclus dans les études et ateliers de réflexion. Selon Thierry Malbert : « Libérer la parole et partager les expériences des acteurs du soutien à la parentalité est au coeur de notre dynamique et de notre éthique pour que chacun puisse prendre la parole dans les objets et chartes que nous avons créés ensemble. Nous avons par exemple créé une Charte de la parentalité de La Réunion ».

Parmi ses missions figurent le recensement de tous les acteurs sur le département de La Réunion ainsi que la diffusion d'outils et de méthodes. L'Observatoire participe à l'évaluation des dispositifs existants, à la recherche et à la prospective.

Trois thèmes de recherche sont en cours : l'évolution des structures de parenté, le champ de l'éducation familiale et le principe de coéducation. En 2018, une étude a porté sur le rôle des pères, question encore peu abordée dans les outre-mer.

Le site Internet de l'Observatoire offre une plateforme d'information aux acteurs de la parentalité, et aux parents. Tous les dispositifs de soutien à la parentalité à La Réunion y sont recensés : « Il est aujourd'hui très facile, pour tout parent ou tout acteur, de cibler des structures et outils répondant à ses besoins dans son quartier » affirme son directeur.

Autre originalité : sa dimension régionale, avec l'Observatoire de la parentalité de l'océan Indien (Opoi), qui intègre l'Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, les Comores, l'île Maurice et les Seychelles. Cette association permet de tenir compte des problématiques parentales des populations des territoires voisins qui parfois migrent jusqu'à La Réunion.

L'Observatoire plaide pour l'utilisation d'outils spécifiques aux outre-mer : « nous devons développer davantage d'outils pour les parents des outre-mer avec les acteurs pour développer une appropriation plus claire du concept d'« aller vers » et pour renforcer la compétence parentale. (...) ce qui fonctionne, c'est lorsqu'on parle du « soi », quand les parents sentent qu'on les prend en considération avec leur culture. Ainsi, des outils spécifiques aux territoires ultramarins nous semblent importants à créer avec une réflexion et des moyens spécifiques ».

Il suggère aussi de travailler en transversalité : « nous devons travailler sur le lien entre la parentalité et l'entreprise, et injecter de la formation à l'éducation parentale dans ces structures où les parents passent une large partie de leur temps ».

L'accent est en particulier mis sur le développement d'outils adaptés comme des groupes de parole sur des thématiques précises, telles que la communication non violente (CNV).

Les délégations considèrent que l'Observatoire de la parentalité de La Réunion peut servir de modèle.

Un Observatoire de la parentalité est en cours de création à la Martinique, sur la base d'une convention signée entre la CAF et l'association des centres médico-sociaux psycho-pédagogiques (ACMPP) en 2020. Cet observatoire a pour objet d'alimenter le diagnostic local en matière de soutien à la parentalité tout en apportant des éclairages et une analyse pour permettre aux acteurs et décideurs locaux de penser ensemble le développement de l'offre de soutien à la parentalité.

Lors du déplacement des rapporteurs en Guadeloupe, Charles Celenice, directeur préfigurateur de l'Observatoire, a souligné la nécessité de s'appuyer sur des travaux de chercheurs pour accompagner la mise en place de l'Observatoire : un réseau d'une trentaine de chercheurs a été élaboré et l'Insee a synthétisé les travaux réalisés par les chercheurs de l'Institut dans les domaines de la parentalité et de la jeunesse.

Hêv Seuleiman, responsable du développement social à la CAF de Guyane, a confirmé son intérêt pour la mise en place d'un Observatoire de la parentalité.

L'idée a par ailleurs été avancée que la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane pourraient se regrouper pour y travailler ensemble.

Ce ou ces observatoires pourraient avoir comme mission prioritaire de collecter les données et développer les études utiles pour le déploiement de politiques publiques relatives à la parentalité.

Recommandation n° 1 : Généraliser sur chaque territoire les observatoires de la parentalité en s'inspirant de l'expérience réunionnaise.

c) Adopter une approche transversale et non stigmatisante

Pour gagner la confiance des familles et répondre aux besoins, il est indispensable d'éviter toute approche stigmatisante. Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française, l'a relevé au vu de l'expérience acquise par cette association : « Il est nécessaire d'éviter de stigmatiser nos familles, qui peuvent ressentir une forme de jugement, puisque la parentalité est personnelle. Elle relève d'une histoire. On constate en effet une méfiance importante sur les nouvelles pratiques éducatives ».

La méthode de travail doit également être adaptée aux familles afin de ne pas les « stigmatiser et [les] mettre en difficulté ».

L'accompagnement est basé sur le volontariat des familles. La Croix-Rouge française suggère une démarche progressive : « Nous commençons par des ateliers collectifs au sein desquels elles vont parler de leurs difficultés. La question de l'enfant et de l'éducation arrivera plus tard.». Avant d'aborder les questions d'aide à la parentalité, il est nécessaire de traiter les autres difficultés rencontrées par les parents, notamment leurs difficultés économiques.

C'est la raison pour laquelle, les dispositifs doivent être transversaux pour agir sur l'ensemble des vulnérabilités rencontrées par les familles. Comme l'a souligné Gaëlle Nerbard, la première porte d'entrée est souvent celle de la précarité alimentaire: « Malheureusement, [les familles] que nous accompagnons rencontrent des difficultés alimentaires. C'est le premier sujet. On ne peut pas travailler avec un parent qui n'a pas mangé, qui n'a pas réglé ses factures et qui n'est pas en mesure de le faire. Il n'est pas disponible pour l'éducation. Pour cette raison, nous travaillons sur l'ensemble de ces vulnérabilités ».

Les dispositifs d'aide à la parentalité varient selon les besoins des territoires. En Martinique par exemple, ont été développés des lieux de soutien à la parentalité à Saint-Pierre, à Fort-de-France et à Sainte-Luce, et des espaces de rencontre enfants-parents. La Croix-Rouge organise également des stages de rappel à la responsabilité parentale lorsque des parents ont été auteurs de gestes de violence éducative ordinaire pour lutter contre la récidive de ces comportements. Elle dispose également d'appartements thérapeutiques pour accompagner des enfants atteints de pathologies assez lourdes, telles que des cancers.

À Mayotte, une maison des familles a été implantée à Passamaïnty où les familles viennent rencontrer les équipes à l'occasion d'ateliers avec les enfants, pour des jeux. C'est l'occasion d'aborder l'ensemble de difficultés qu'elles peuvent rencontrer dont la précarité alimentaire, ou l'illectronisme. La Croix-Rouge travaille avec ces familles pour leur permettre de retrouver leur place de parents, avant de travailler sur la parentalité en tant que telle. Elle dispose entre autres d'un service de lutte contre la malnutrition infantile.

2. Lutter contre la précarité et renforcer les prestations servies
a) Étudier les effets d'un éventuel alignement des prestations sur l'Hexagone

Faut-il verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent ?

Le HCFEA a mis en avant un mouvement historique et en cours d'alignement des prestations familiales avec l'Hexagone. Il propose de verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent, à commencer par le complément familial.

Il y a sans doute un équilibre à trouver entre un accroissement du salaire minimum, une croissance économique et la hausse des prestations, qui ne peut aller plus vite que les autres facteurs économiques. Une réflexion d'ensemble doit donc être menée à ce sujet.

Par ailleurs, toute réforme des prestations familiales aura nécessairement des répercussions différenciées sur les familles, en fonction de leur situation.

La Direction générale des outre-mer (DGOM) a relevé, devant les délégations, que l'opportunité de modifier le complément familial (CF) versé en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à La Réunion, fait aujourd'hui l'objet d'échanges entre administrations. D'autant que, d'après la Direction de la sécurité sociale (DSS), « un alignement complet du CF ultramarin sur le CF [hexagonal] ferait (...) des gagnants, parmi les familles nombreuses, mais également des perdants, parmi les autres bénéficiaires du CF. Une évolution éventuelle de cette prestation familiale, supposant une modification législative, devrait nécessairement prendre en compte cette dimension ».

En effet, 68 % des bénéficiaires actuels du complément familial n'en bénéficieraient plus si les conditions étaient alignées sur les règles hexagonales. Dans le même temps, les familles de plus de trois enfants, qui bénéficieraient d'un tel alignement, ne représentent que 18 % des familles avec enfants dans les DROM.

Ventilation des familles bénéficiaires du complément familiale (CF) selon leur configuration familiale dans les DROM (sauf Mayotte) en 2019

 

Bénéficiaires CF

Non bénéficiaires CF

Total des ménages

Familles avec 1 enfant

33 %

24 %

24 %

Familles avec 2 enfants

35 %

15 %

17 %

Familles avec 3 enfants

19 %

5 %

6 %

Familles avec 4 enfants ou plus

13 %

3 %

3 %

Familles sans enfant

0 %

54 % 

49 %

Total

100 %

100 %

100 %

Source : Direction de la sécurité sociale

La Cnaf a indiqué aux rapporteurs ne pas avoir été saisie pour expertiser le coût budgétaire d'un éventuel alignement des prestations sur le budget de la branche famille ni ses répercussions et possibles effets déstabilisateurs sur les populations bénéficiaires.

La question du rapprochement entre les prestations familiales en vigueur à Mayotte et celles applicables dans les autres départements d'outre-mer doit être prise en compte dans le cadre d'une réflexion plus globale sur la convergence sociale à Mayotte. Cette convergence se fait progressivement, en fonction de l'évolution socio-économique du territoire et, s'agissant de l'extension de nouveaux dispositifs, en fonction aussi des possibilités opérationnelles des branches. De fait, chaque année ou presque, des mesures de convergence sont adoptées en lois de financement de la sécurité sociale.

Pour plus de lisibilité, le HCFEA plaide pour un calendrier précis de convergence, portant en priorité sur :

- l'allocation de base de la Prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) ;

- les allocations familiales pour trois enfants et plus ;

- et le complément familial.

Par ailleurs, les rapporteurs plaident pour que Mayotte entre dans le droit commun au plan des procédures. Toutes les dispositions relatives à ce territoire, notamment pour ce qui concerne les prestations familiales, sont prises par ordonnances. De même, le code de la sécurité sociale devrait être étendu à Mayotte, qui dispose d'un régime autonome de sécurité sociale car la logique qui doit être privilégiée est celle de la mutualisation sur l'ensemble du territoire.

L'alignement des prestations peut-il susciter un « appel d'air » vers Mayotte qui connaît déjà une forte immigration ? Notre collègue Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, qui ne le pense pas, a soulevé cette question lors de la table ronde consacrée à ce département.

Les acteurs sociaux ainsi interrogés considèrent qu'un alignement des prestations sociales ne provoquerait pas d'appel d'air en raison des conditions d'éligibilité qui s'appliquent. Faute d'évaluation sur les conséquences budgétaires d'une telle évolution, les rapporteurs proposent d'adopter une démarche pragmatique et progressive visant dans un premier temps à disposer des données chiffrées permettant d'évaluer la situation.

Recommandation n° 2 : Réaliser une étude comparative de l'incidence socio-économique et budgétaire des différents systèmes de prestations familiales entre l'Hexagone et chacun des territoires ultramarins.

b) Améliorer l'accès aux droits et promouvoir le « aller-vers »

L'ampleur du phénomène de non-recours aux prestations impose de développer, plus encore que dans d'autres territoires, la démarche d'« aller vers » des pouvoirs publics en direction des parents et des familles.

Plusieurs voies ont été expérimentées avec succès en outre-mer et mériteraient d'être amplifiées.

Elles visent à mieux informer les parents sur leurs droits, en particulier avec des campagnes de communication, sur des supports d'information adaptés. Chaque acteur a développé les outils qu'il juge les plus adaptés.

Cela peut passer par le tissu associatif, qu'il s'agisse de grands opérateurs ou d'initiatives locales. Le principe est de privilégier les acteurs de proximité au contact des publics vulnérables.

Pour leur part, les CAF d'outre-mer ont développé des formats d'accueil spécifiques, qui sont proposés à des allocataires en situation sociale à risque : chatbot, cobrowsing, rendez-vous des droits et rendez-vous en visio, visant à aider les allocataires à réaliser leurs démarches administratives. L'objectif est d'informer, de conseiller, et de veiller à ce que l'ensemble des droits auxquels les allocataires peuvent prétendre soient bien valorisés.

Ces caisses s'appuient également sur le développement d'un large réseau de partenaires pour mailler le territoire, proposer une information de premier niveau et un accompagnement, notamment numérique. Il peut s'agir d'espaces France Services, de centres communaux d'action sociale (CCAS), de permanences de mairie ou encore de structures partenaires comme des maisons des parents ou des centres sociaux.

La mise en place de parcours « usagers » vise à faciliter les démarches des usagers, accélérer l'accès à leurs droits, les informer sur les ressources à leur disposition près de chez eux... Cette démarche ne constitue pas un dispositif supplémentaire mais englobe l'ensemble des offres de services existantes dans l'objectif d'améliorer leur articulation et leur lisibilité. Elle se concrétise par la généralisation du parcours « séparation » en 2021 sur l'ensemble du territoire (Hexagone et DROM) : la CAF de la Martinique faisait partie des CAF expérimentatrices) ainsi que le prochain déploiement du parcours « arrivée d'un enfant » actuellement expérimenté dans huit CAF dont celle de La Réunion et dont la généralisation est prévue pour la fin de l'année 2023.

Compte tenu de leur géographie particulière, les CAF des DOM ont développé des solutions innovantes, mobiles et itinérantes, permettant d'aller au plus près des populations, les plus fragiles ou les plus éloignées, que ce soit dans les territoires de l'intérieur de la Guyane ou dans les communes des Hauts de La Réunion.

Pour ce faire, elles disposent de leviers financiers, les CAF pouvant utiliser leurs dotations d'action sociale, plus généralement appelées fonds locaux, à la disposition des conseils d'administration des CAF. Elles sont dépensées dans le cadre de règlements intérieurs définis par chacune des caisses départementales. Elles disposent également de fonds nationaux dédiés, comme le Fonds national parentalité, et de prestations services qui leur permettent de contribuer au développement et au fonctionnement des équipements, déployant des services aux familles et des actions sociales d'accompagnement des populations.

Exemples d'offres de service itinérantes déployées par les CAF pour « aller vers » les familles et favoriser l'accès aux droits

Source : Cnaf

Recommandation n° 3 : Consolider la présence des CAF, notamment au travers du réseau des Maisons France Services et dans les maternités pour faciliter l'ouverture des droits et développer des guichets uniques, sur le modèle des « maisons des 1 000 premiers jours », point d'entrée aisément identifiable pour tous les parents et les familles.

Par ailleurs, dans certains territoires, la barrière de la langue constitue un obstacle dirimant. Pour cette raison, Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France recommande - notamment dans le cadre du Pacte des solidarités - de développer une stratégie d'interprétariat pour favoriser l'accès des familles aux services publics et aux droits. Même constat pour Isabelle Richard de la DGOM qui a confirmé qu'on observe « un effet important de l'illettrisme et des langues locales, raison pour laquelle il est important de traduire les documents et interfaces informatiques. Il est également essentiel de développer les Maisons France Services. Un objectif en ce sens a été assigné aux outre-mer par l'intermédiaire de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ».

En conséquence, une déclinaison renforcée et spécifique aux DOM est souhaitable pour tous les outils. Selon elle, « le livret [des 1 000 premiers jours] nécessite peut être une traduction et un accompagnement dans les différentes langues créoles, entre autres. Une déclinaison adaptée à l'environnement culturel de chacun de ces territoires serait judicieuse. En effet, Mayotte et la Guyane sont très différentes, par exemple ».

Outre une meilleure information sur les dispositifs et les droits, ce type de démarche permet de combattre les idées fausses qui circulent, concernant en particulier les effets de la reconnaissance des enfants par leur père. Mieux adapter l'information sur des supports adaptés aux publics concernés, et tout particulièrement ceux les plus éloignés des institutions, apparaît donc essentiel.

Recommandation n° 4 : Décliner l'information sur les politiques familiales et parentales au moyen de supports de communication adaptés à la diversité des populations concernées, afin de toucher celles les plus éloignées des dispositifs de soutien à la parentalité.

Pour autant, l'importance de la langue française comme langue de la République doit être rappelée et les efforts d'enseignement du français, à destination de l'ensemble de la population, doivent être renforcés. Les rapporteurs s'inquiètent notamment du manque de maîtrise du français des parents et enfants de Saint-Martin, le plus souvent anglophones.

c) Conjuguer soutien à la parentalité et lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme

Les démarches de lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme permettent d'aborder la question de la parentalité de manière non stigmatisante et d'apporter une aide aux parents dans leurs différentes démarches au quotidien, notamment dans l'accès aux droits.

L'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) met en oeuvre un ensemble d'outils. Parmi ceux-ci, et spécifiquement en direction des familles des outre-mer, le programme « Familire : agir ensemble avec les familles d'outre-mer pour lutter contre l'illettrisme et l'illectronisme » a été lancé en partenariat avec la Fondation Pierre Bellon, le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (FEJ) mis en oeuvre par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et, pour La Réunion et la Martinique, avec la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE). Au-delà des deux écoles des parents et des éducateurs (EPE) de La Réunion et de la Martinique, le programme sera aussi déployé en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte grâce à trois autres opérateurs38(*).

Le programme Familire « s'adresse à des jeunes parents, prioritairement des femmes, entre 16 et 25 ans, sans emploi ni qualification, en difficulté avec les compétences de base, et plus largement à leurs familles »39(*). Il comporte un « programme intensif d'ateliers liant des activités autour de la parentalité, du numérique, des compétences de base et des activités culturelles favorisant l'estime de soi ».

Celui-ci est mis en oeuvre à titre expérimental, à compter de septembre 2023, pour une durée de trois ans sur les cinq DROM. Il s'agit d'un programme commun à ces territoires, mais qui sera adapté à chacun pour tenir compte de leurs spécificités.

Le programme Familire poursuit les objectifs suivants :

« - reprendre confiance en soi, revaloriser sa propre image, s'ouvrir aux autres et entrer dans une logique d'insertion socioprofessionnelle ;

- gagner en autonomie dans la réalisation des activités courantes de la vie quotidienne qui nécessitent le recours à l'écrit, au calcul et au numérique ;

- mieux accompagner la scolarité de ses enfants et prévenir le décrochage scolaire »40(*).

Par conséquent, ce programme « s'inscrit dans le cadre des actions éducatives familiales, de manière à faire du soutien à la parentalité un levier contre l'illettrisme », selon Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE. Il s'agit, dans le même temps, d'aborder la question de l'aide à la parentalité sous l'angle de la prise en charge d'une difficulté concrète des parents au quotidien.

De tels projets, conjuguant lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme et soutien à la parentalité, pourraient être développés dans tous les territoires ultramarins, en tenant compte de leurs spécificités.

Ce programme Familire fera d'ailleurs l'objet d'une évaluation indépendante, qui déterminera s'il y a lieu de prévoir une généralisation.

La Croix-Rouge française propose également des dispositifs de lutte contre l'illettrisme et de soutien scolaire41(*), en s'appuyant sur la méthode transversale exposée ci-dessus qui permet d'agir sans stigmatiser.

Recommandation n° 5 : Développer les projets combinant lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme et soutien à la parentalité.

3. Accompagner les parents dans l'accès à la formation et à l'emploi
a) Renforcer les dispositifs d'accompagnement à la formation et à l'insertion professionnelle

Parallèlement aux programmes de lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme, les dispositifs d'accompagnement à la formation et à l'insertion professionnelle des parents doivent être renforcés. Ceci suppose, d'une part, l'existence d'une offre suffisante de formations professionnelles dans les différents territoires et, d'autre part, leur accessibilité pour l'ensemble des parents, et notamment pour les jeunes mères de familles monoparentales pour lesquelles cette question constitue un enjeu tout particulier.

La formation et l'accompagnement professionnel des jeunes constitue l'un des trois axes de l'offre de soutien à la parentalité développée sur le territoire guyanais par la CAF de Guyane, comme l'a indiqué Anne Cinna-Pierre-Charles, directrice par intérim42(*). Constatant que « les problématiques de professionnalisation et d'insertion sociale participent à relever le niveau économique du territoire », Hêv Seuleiman, responsable du développement social à la CAF de Guyane, a souligné, à cet égard, le souhait de la CAF de Guyane de renforcer l'offre de formations professionnelles, en adoptant une logique prospective de recensement des professionnels faisant défaut.

Afin de rendre la formation professionnelle davantage accessible, notamment pour les jeunes mères de familles monoparentales, il apparaît nécessaire de renforcer les mesures d'aides apportées aux femmes, afin qu'elles puissent poursuivre leur formation et l'exercice d'un emploi43(*). À cet égard, il est primordial qu'elles puissent disposer de modes de garde proches de leur lieu de formation, ou encore de moyens de locomotion pour s'y rendre.

Dans le domaine de la formation universitaire, un programme permettant précisément de répondre aux besoins des étudiants contraints de concilier parentalité et cursus d'études a été mis en place par l'université de la Nouvelle-Calédonie : il s'agit du dispositif P'tit Campus, initié en 2020 en réponse à la demande d'une étudiante enceinte qui envisageait d'interrompre ses études. D'après Stéphanie Geneix-Rabault, maîtresse de conférences, chargée du projet, il a été constaté, au cours de la phase d'analyse préalable du projet, que « neuf fois sur dix, les étudiantes enceintes décident d'abandonner leur enfant du fait de l'absence de solution ». Ainsi, « le dispositif P'tit Campus vient accompagner les étudiants qui se préparent à la parentalité. L'outil s'adresse aussi aux étudiants déjà parents. Les personnes mobilisées aident également les bénéficiaires à concilier la poursuite d'études avec leur parentalité ». Ce dispositif a pu être développé grâce à des partenariats (collectivités, associations, Maison de l'étudiant qui est l'instance équivalente au Crous...) et au mécénat via la Fondation de l'université. Il a bénéficié à une vingtaine d'étudiantes en deux années d'existence.

Outre le prêt de trousseaux de linges et d'accessoires, le programme P'tit Campus propose notamment une salle de parentalité, accessible du lundi au samedi, dont « l'espace se compose d'accessoires qui permettent aux utilisateurs de concilier travail, études et parentalité. Les étudiantes présentes dans la salle ont également la possibilité d'allaiter, de tirer leur lait et de le conserver dans un réfrigérateur. La salle de parentalité comprend aussi d'autres équipements tels que des transats, des tables à langer, des tapis, un ordinateur, une table d'étude et un accès au Wi-Fi. Les étudiants qui se rendent dans cet espace peuvent ainsi rester avec leur enfant tout en étudiant »44(*).

L'accessibilité de l'offre de formation professionnelle pour les jeunes parents pourrait également être renforcée par le développement accru de formations à distance. De tels modes de formation, sous réserve d'une couverture numérique efficiente, sont particulièrement adaptés dans des territoires vastes, confrontés à des problématiques de circulation et d'accessibilité, comme la Guyane.

Les mesures d'accompagnement à la formation professionnelle des parents, et notamment des jeunes mères seules, doivent aussi être prolongées par des dispositifs d'accompagnement à l'insertion professionnelle. Favoriser les démarches actives d'insertion, afin de permettre aux femmes d'accéder à l'emploi, figure par exemple parmi les axes de travail de la Croix-Rouge45(*).

Par ailleurs, des associations, comme l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), accompagnent les projets professionnels et les créations d'entreprise afin de faciliter l'accès à l'emploi. Dans l'Hexagone comme dans les outre-mer, l'Adie propose un accompagnement gratuit pour les personnes portant un projet de création d'entreprise, grâce à des formations adaptées et à des coachings personnalisés, et peut apporter jusqu'à 12 000 euros de financement.

Les mesures visant ainsi à renforcer l'accompagnement des jeunes mères de familles monoparentales dans leurs formation et insertion professionnelles est « sans doute un moyen de rompre le cercle vicieux, puisque les statistiques montrent, dans l'Hexagone comme en outre-mer, une corrélation entre le fait pour la femme d'être elle-même issue d'une famille monoparentale, d'afficher un niveau de formation peu élevé, d'être pauvre, et la reproduction de ce schéma », d'après Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM.

b) Consolider le service militaire adapté en outre-mer

Le service militaire adapté (SMA) est un dispositif militaire de formation centré sur l'insertion socioprofessionnelle, destiné à des jeunes ultramarins de 18 à 25 ans, confrontés à des difficultés d'accès à l'emploi, à des problématiques d'illettrisme ou encore d'exclusion sociale. Créé en 1961 et rattaché à la DGOM, le SMA est mis en oeuvre en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à Mayotte, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française et accueille chaque année 6 000 volontaires. En moyenne, il recrute 60 % de non diplômés et 40 % de jeunes en situation d'illettrisme46(*).

Les jeunes parents ultramarins en situation précaire peuvent ainsi, grâce à ce dispositif, bénéficier d'un accompagnement vers une plus grande insertion socioprofessionnelle. Dans le cadre du SMA, le jeune bénéficiaire dispose du statut de volontaire dans les armées et se voit offrir un programme « articulé autour d'une formation militaire initiale, d'une remise à niveau dans les savoirs de base, d'une éducation civique, d'une formation aux premiers secours et d'une préformation professionnelle ». Ce parcours est ensuite sanctionné par l'obtention d'un certificat d'aptitude personnelle à l'insertion (CAPI) et du permis de conduire.

Surtout, il ressort que plus de 80 % des jeunes ayant bénéficié de ce dispositif trouvent effectivement un emploi47(*), ce qui fait du SMA une « formidable deuxième chance pour les jeunes d'outre-mer », selon Patrick Divad, directeur de la CAF de la Guadeloupe et de Saint-Martin, que les rapporteurs ont rencontré le 17 avril 2023 lors de leur déplacement sur ces territoires.

Néanmoins, les régiments du SMA (RSMA) ont été confrontés à l'abandon de leur formation par des volontaires devenues mères et ne disposant pas d'aide extérieure leur permettant de poursuivre leur parcours48(*).

Ainsi, depuis quelques années, le commandement du SMA s'attache à mettre en place des mesures visant à rendre ce dispositif davantage conciliable avec la vie familiale des jeunes parents. Des locaux dédiés, ainsi qu'un accompagnement en matière de garde d'enfants, sont ainsi proposés dans le cadre de cette formation49(*).

D'après les informations communiquées par le général Claude Peloux commandant le SMA, l'accueil des parents isolés a été inscrit dans l'ambition Horizon 2030 et une réflexion sur le sujet a d'ores et déjà été lancée par la totalité des RSMA, en tenant compte des spécificités propres à chaque territoire. Les projets des RSMA de Guadeloupe et de la Martinique sont les plus avancés à ce stade.

Concernant la Guadeloupe, le général Claude Peloux précise que : « le régiment s'est lancé en 2021 dans un projet de crèche multi-accueils et à vocation d'insertion professionnelle (AVIP) de soixante berceaux. Ce projet, cofinancé par la CAF, le FEADER et le SMA, devrait voir la crèche opérationnelle en 2025 et permettra l'accueil d'enfants de volontaires et de civils dans une logique de mixité sociale ». Parallèlement, dix logements pourraient bénéficier annuellement aux volontaires du RSMA, « grâce à une convention tripartite en cours de rédaction».

Le RSMA de la Martinique met en oeuvre un projet en liaison avec les acteurs de la petite enfance (CAF et PMI) et la Croix-Rouge française50(*). Sonia Melina-Hyacinthe, directrice par intérim de la CAF de la Martinique, a précisé aux rapporteurs, le 17 avril 2023 au cours de leur déplacement dans les Antilles, qu'elle travaillait avec le RSMA dans le cadre des actions de soutien à la parentalité qu'il mène à destination des volontaires, et que ce dernier souhaitait « créer une structure d'accueil des jeunes enfants, adossée à une structure d'hébergement pour jeunes mamans, en lien avec la Croix-Rouge ».

De plus, d'après les précisions communiquées par le général Claude Peloux, le RSMA de la Martinique envisage :

- pour les enfants de moins de 3 ans :

o la transformation d'une de ses villas domaniales pour la transformer en crèche d'environ vingt berceaux, validée par la PMI et pouvant être rapidement effectuée ;

o le financement de l'investissement (infrastructure équipement, environnement) pourrait être largement pris en charge par la CAF. La gestion de l'établissement sera confiée à un porteur de projet tel que défini dans la circulaire 2018-003 des politiques familiales et sociales ;

- pour les enfants de plus de 3 ans : une étude pour la garde des enfants est menée, à partir des écoles à proximité du régiment.

En raison des spécificités relatives aux structures familiales en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, le RSMA de Polynésie française a lancé un large plan d'éducation à la parentalité et celui de Nouvelle-Calédonie travaille à la mise en place de mesures destinées aux jeunes parents dans le courant de l'année 2024, avec la présidence de la province Nord qui portera les volets « garde d'enfants et transport » et doit désormais en étudier les modalités avec ses partenaires.

Le régiment de Guyane, en liaison avec la municipalité de Saint-Laurent-du-Maroni, et le régiment de La Réunion ont également entamé des démarches actives pour offrir aux jeunes parents volontaires du SMA une meilleure conciliation entre formation et vie familiale, même si les projets sont en cours d'élaboration. À La Réunion, le régiment du SMA doit explorer de nouvelles pistes à la suite du retrait du bailleur social, partenaire principal dans le cadre du projet « Terre rouge ».

Par ailleurs, le SMA « a fait évoluer [pour tous les régiments] la typologie des ses filières de formation pour qu'elles soient adaptées à des publics plus féminins ». Le SMA a pris en compte les problématiques de la parentalité chez les jeunes qu'il encadre. Mais, comme le précise le général Claude Peloux, « il reste cependant un gros effort à réaliser en amont du SMA pour éduquer à la parentalité ».

Les efforts du SMA et de ses différents régiments en matière d'accompagnement des jeunes parents doivent donc être soutenus.

Recommandation n° 6 : Conforter les dispositifs permettant aux jeunes mères de concilier leur vie familiale et le service militaire adapté (SMA).

4. Garantir la scolarisation et un meilleur accueil des enfants sur tout le territoire
a) Garantir l'accès à la scolarité de tous les enfants

Lever les obstacles à la scolarisation des enfants sur l'ensemble des territoires ultramarins doit être une priorité, afin de garantir le droit à l'éducation.

La mise en place d'infrastructures adaptées, par leur nombre et leur taille, aux effectifs d'enfants en âge d'être scolarisés est un prérequis. Le développement de services publics de transports scolaires sécurisés est également essentiel pour renforcer l'accès des enfants à la scolarisation.

De plus, « tous les enfants d'outre-mer doivent avoir accès à un repas chaud, et non à une simple collation, au moins au déjeuner », selon Michel Villac, président du HCFEA.

La Pars ne peut être versée que s'il existe une offre de restauration scolaire dans l'établissement, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment en Guyane et à Mayotte, même lorsqu'elle existe, il s'agit souvent uniquement de collations (paniers repas froids).

D'après la Cnaf, « l'évolution du dispositif de collation vers une offre de repas en Guyane et à Mayotte, et globalement l'accroissement de l'offre de restauration scolaire visant tous les enfants scolarisés nécessitent soit une mobilisation et engagement financier accrus des collectivités territoriales et établissements scolaires n'offrant à ce jour aucun service de restauration scolaire ou disposant d'une offre insuffisante, soit une augmentation du taux de contribution de la Pars pour compenser l'absence des financements des collectivités ».

Pris en application de l'article 102 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le décret n° 2022-1681 du 27 décembre 2022 a permis non seulement de garantir la revalorisation annuelle de la Pars sur l'inflation, mais également d'augmenter le financement des repas dans le premier degré à Mayotte et des collations dans le premier degré en Guyane.

Par ailleurs, afin de développer une solution alternative, la préfecture de Mayotte envisage de mener une expérimentation visant à professionnaliser les cantinières vendant des repas aux abords des établissements et à les intégrer dans les filières classiques de distribution.

Ces différentes pistes visant à améliorer l'offre de restauration scolaire doivent être encouragées car elles contribuent à lever les freins à la scolarisation des enfants.

Pour d'autres raisons, les établissements scolaires de Saint-Pierre-et-Miquelon, où la Pars n'a pas été étendue, ne disposent pas de restauration scolaire. Néanmoins, cette prestation ne serait pas adaptée car les financements seraient très inférieurs aux coûts réels et la demande s'oriente davantage vers la solution de la « boîte à lunch », inspirée de l'expérience canadienne, d'après Jacqueline André, vice-présidente de la collectivité territoriale, et Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire.

Outre le renforcement de l'accès à la scolarisation, les mesures de lutte contre le décrochage scolaire doivent également être développées. D'après Rodica Ailincai, professeur à l'université de la Polynésie française, des démarches en ce sens ont été initiées par la Polynésie française, qui a mis en place une plateforme d'accueil pour les décrocheurs scolaires, des référents « Décrochage » dans chaque établissement scolaire, un groupe de prévention spécialisé, ainsi que des dispositifs spécifiques permettant aux élèves de sixième de rester plus longtemps dans leur ville d'origine51(*). De même, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon travaille en lien avec l'éducation nationale afin d'obtenir plus rapidement les informations relatives à l'absentéisme et au décrochage scolaire, avec l'objectif de faire intervenir au plus tôt les travailleurs sociaux. Elle souhaite également « mieux décliner les protocoles nationaux, notamment la plateforme de lutte contre le décrochage qui n'est pas effective à Saint-Pierre-et-Miquelon », d'après Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire.

Afin de « poursuivre et pérenniser le travail engagé autour de l'identification des enfants éloignés de l'école en l'incluant dans une démarche nationale », Unicef France souhaite qu'un Observatoire national de la non-scolarisation soit mis en place, à l'issue des discussions en cours avec les ministères sur ce sujet, et qu'il figure dans le Pacte des solidarités ou dans le Comité interministériel piloté par la secrétaire d'État chargée de l'enfance52(*).

En outre, au titre des mesures visant à garantir l'accès à la scolarisation de tous les enfants ultramarins, Unicef France préconise d'étendre aux outre-mer, en l'adaptant aux spécificités des territoires, le dispositif de la médiation scolaire, mis en place par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), en ancrant les initiatives ad hoc mises en place dans certains territoires dans ce dispositif. Il s'agirait ainsi de déployer dans les outre-mer un programme d'accompagnement renforcé vers l'école, destiné à des jeunes n'ayant jamais fréquenté l'école ou en situation de décrochage.

Enfin, dans le cadre du renforcement de l'accès à la scolarisation, une attention particulière doit être portée à la problématique des grossesses précoces, notamment en Guyane et à Mayotte, qui sont des facteurs de déscolarisation.

Afin de soutenir la jeune fille enceinte et d'éviter qu'elle interrompe sa scolarité, Unicef France suggère de :

- développer les permanences de sages-femmes en milieu scolaire et déployer dans d'autres territoires le dispositif existant en Guyane ;

- prévoir un accompagnement renforcé des adolescentes enceintes par l'augmentation de moyens alloués au dispositif - en Guyane via le réseau périnatal de Guyane - avec la création de postes référents, y compris dans les communes les plus isolées ;

- en Guyane, doter le territoire de foyers parentaux évitant l'isolement et proposant un accompagnement global des adolescentes, matériel, psychologique ou pédagogique53(*).

Le HCFEA recommande également la mise en place de lieux dédiés dans les collèges et les lycées pour maintenir la scolarisation des jeunes filles ayant eu une grossesse précoce54(*).

Les mesures de prévention des grossesses précoces doivent aussi être renforcées de manière significative dans les établissements scolaires. À Saint-Martin par exemple, où il n'existe pas encore de centre de planification (un projet est en cours avec la Croix-Rouge française), des infirmières de la PMI animent des séances d'information dans les établissements scolaires55(*).

Il est en effet nécessaire d'accroître considérablement les actions de sensibilisation avec l'ensemble des professionnels concernés (éducation, santé...) qui doivent être spécifiquement formés à la thématique, mais également aux réalités sociales, culturelles et historiques dans ces territoires ultramarins.

Recommandation n° 7 : Dispenser, par des professionnels formés, dans tous les collèges et lycées des outre-mer les séances obligatoires d'éducation à la vie affective et sexuelle et développer la prévention des grossesses précoces.

b) Concrétiser le service public de la petite enfance dans les outre-mer

Aujourd'hui limitée, l'offre d'accueil collectif de jeunes enfants doit être largement développée, d'autant que la demande est forte dans de nombreux territoires, par exemple en Guadeloupe, comme l'a souligné Jocelyn Sapotille, président de l'association des maires de Guadeloupe56(*), et à Saint-Barthélemy où 80 parents sont en attente d'un mode de garde pour la prochaine rentrée, d'après les représentants de la collectivité rencontrés par les rapporteurs57(*).

Eu égard à l'absence de crèche et à l'offre d'accueil par les assistantes maternelles très insuffisante à Saint-Barthélemy, la PMI va continuer à promouvoir le métier d'assistante maternelle, une maison des assistants maternels est en cours de construction, et l'existence d'une toute petite section permet de libérer des places chez les assistantes maternelles, sans toutefois offrir de solution de garde après l'école. Les représentants de la collectivité et les associations souhaitent aussi que les formations à destination des jeunes dans le domaine de la garde d'enfant soient renforcées, afin d'augmenter les capacités de garde, surtout en horaires non conventionnels58(*).

En Guadeloupe, la CAF accompagne le développement de micro-crèches, dans un contexte où les communes ne créent pas de nouvelles crèches et confient souvent la gestion des crèches existantes à des structures privées.

Conformément à l'engagement pris par le président de la République, le lancement, le 1er juin 2023 par la Première ministre, du service public de la petite enfance (SPPE), visant à « garantir l'accueil de chaque jeune enfant », devrait accroître significativement les solutions d'accueil. Ainsi, 5,5 milliards d'euros seront mobilisés pour créer, d'ici à 2027, 100 000 nouvelles places en crèche (soit une augmentation de 23 % par rapport au nombre total de places existantes), auxquelles s'ajouteront 200 000 places supplémentaires à horizon 2030. En outre, le dispositif AVIP (crèches à vocation d'insertion professionnelle), permettant aux parents en recherche d'emploi d'être prioritaires pour l'obtention d'une place en crèche et de bénéficier d'un accompagnement adapté, sera étendu à 1 000 crèches supplémentaires d'ici 2027. Les communes seront chargées d'organiser l'offre d'accueil, en recensant les besoins en nombres de places pour adapter l'offre (communes de plus de 3 500 habitants), et en instaurant un Relais Petite Enfance pour accompagner les parents recherchant un mode de garde (communes de plus de 10 000 habitants). En outre, 70 millions d'euros seront dédiés à l'amélioration de la qualité de l'accueil collectif de jeunes enfants, avec notamment une attention particulière portée au contenu et à l'attractivité de la formation des professionnels de la petite enfance, afin de remédier au déficit de personnels qualifiés constaté.

Lors de son entretien avec les rapporteurs le 4 juillet 2023, Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance, a souligné que le SPPE ne doit pas se résumer à la question des places en crèches. Plus largement, il doit avoir pour objectif la mise en place de lieux visant à fédérer les compétences acquises dans le cadre de la maternité, permettant le partage d'expériences autour de la garde d'enfant. Pour les parents, ces lieux d'accueil de jeunes enfants doivent également être des lieux d'échanges, de prévention en matière de santé, etc.

Les mesures annoncées devraient significativement accroître les solutions de garde, il conviendra toutefois de suivre la concrétisation du SPPE, et notamment sa mise en oeuvre dans les outre-mer.

Recommandation n° 8 : Faire du futur service public de la petite enfance (SPPE) une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer en matière de mode de garde.

c) Développer l'accueil de loisirs périscolaires et extrascolaires

Afin de favoriser l'insertion professionnelle mais aussi des moments de répit pour les parents, notamment dans les familles monoparentales, l'accueil des enfants au-delà du temps scolaire doit être développé, qu'il s'agisse de l'accueil périscolaire ou extrascolaire.

Or plusieurs difficultés sont constatées dans les différents territoires : le manque de structures, de personnels qualifiés, de moyens des communes, ou encore les difficultés financières des parents.

Face au manque de moyens des communes et de personnels qualifiés, Jocelyn Sapotille, président de l'association des maires de Guadeloupe, suggère de renforcer le rôle de l'État en matière d'activités périscolaires, comme il l'a indiqué aux rapporteurs lors de leur déplacement en Guadeloupe le 18 avril 2023. Il estime en effet qu'à la différence de l'accueil de loisirs des enfants qui relève des maires, le périscolaire, « temps d'éducation [qui] devrait être considéré comme du temps scolaire », devrait revenir à l'État, « pour lutter contre les inégalités et l'échec scolaire ». À cet égard, il regrette que, par manque de personnel, le périscolaire soit souvent confié par les maires à des associations sans personnel qualifié et ne soit que « de la garderie ». Dans un contexte de baisse du nombre d'enfants scolarisés en Guadeloupe, il suggère de « sauver des emplois d'enseignants en les intégrant dans le périscolaire et l'aide aux devoirs ».

De même, Marc Fabre, référent Délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (DRAJES) pour le service de l'éducation nationale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, que les rapporteurs ont rencontré à Saint-Martin le jeudi 20 avril 2023, les a également alertés sur les difficultés rencontrées pour trouver des éducateurs diplômés ou formés pour la prise en charge des jeunes sur le temps périscolaire.Après la période de confinement liée au Covid-19, l'État a lancé en 2020 le programme « Vacances apprenantes », porté par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, dans lequel s'inscrit l'opération « Colos apprenantes », destinées aux jeunes de 3 à 17 ans et dont l'objectif est à la fois social, éducatif et culturel. Trois acteurs principaux sont impliqués dans la mise en oeuvre de ces « Colos apprenantes » : les services départementaux à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (SDJES), les organisateurs des séjours et les collectivités qui accompagnent les jeunes au moins dans la phase d'inscription. Sous réserve d'éligibilité (quotient familial inférieur ou égal à 1 500 euros, situation de handicap, de décrochage scolaire, jeune relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou domicilié dans un quartier relevant de la politique de la ville ou dans une zone de revitalisation rurale), une aide spécifique de 500 euros par semaine est versée aux familles. Renouvelé en 2023 pour la quatrième année consécutive, ce dispositif est déployé dans l'Hexagone et dans les outre-mer. Par exemple, des « Colos apprenantes » sont organisées par 17 structures agréées en Guadeloupe59(*) et ce dispositif est également déployé en Guyane, à la Martinique (27 séjours organisés en 202360(*)), à La Réunion (30 séjours organisés en 202061(*)).

Ainsi, le développement de partenariats avec des structures agréées suffisamment dotées en personnels qualifiés afin d'accroître l'offre de « colonies apprenantes » dans tous les territoires ultramarins constitue une piste pour renforcer l'accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire, dans un objectif à la fois ludique et éducatif.

Par ailleurs, afin de remédier aux difficultés rencontrées par les familles pour financer l'accueil de leur enfant ou adolescent dans des structures d'accueil collectif en dehors du temps scolaire, le complément de libre choix du mode de garde (CMG), finançant une partie des dépenses de garde, pourrait être prolongé au-delà des 6 ans de l'enfant.

À Mayotte, où il a été introduit à compter du 1er juillet 2022 par le décret n° 2022-659 du 25 avril 2022, le CMG ne concerne toutefois que les modes de garde d'enfants par des structures, telles les associations ou entreprises habilitées pour la garde d'enfants à domicile, les crèches familiales ou micro-crèches. Rémy Posteau, directeur des prestations de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), a rappelé que le CMG n'est ainsi « pas déployé dans le cadre d'un emploi direct »62(*) et qu'à Mayotte, « le secteur périscolaire rencontre de vraies difficultés pour les mêmes raisons, empêchant d'organiser les temps d'accueil de loisirs sans hébergement (ALSH) », alors que « comme l'école est assurée en rotation, l'enfant est souvent livré à lui-même », dans un contexte où centres sociaux et espaces de vie sociale sont en cours de structuration63(*).

L'ALSH est mis en oeuvre à Saint-Pierre-et-Miquelon par l'unique centre aéré, qui bénéficie de la prestation ALSH, dans le cadre de la partie « actions sociales et famille » de la politique familiale de la collectivité64(*). En Polynésie française, les communes déploient des dispositifs multi-parentaux visant à favoriser la réussite éducative des jeunes et des élèves vivant dans des quartiers prioritaires65(*).

Il apparaît ainsi nécessaire de développer l'ensemble de ces dispositifs d'accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire dans l'ensemble des territoires ultramarins, afin d'offrir, aux enfants et adolescents, des lieux d'accueil, d'activités et de socialisation, et aux parents, un lieu d'échanges avec des professionnels de l'éducation, dans une approche globale et non stigmatisante de la parentalité.

Recommandation n° 9 : Renforcer l'accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire.

d) Améliorer l'accueil des enfants en situation de handicap

L'accompagnement des familles avec un enfant en situation de handicap demeure insuffisant, dans les différents territoires. De nombreux défis doivent ainsi être relevés : le problème de l'acceptation du handicap, la difficulté d'accès aux professionnels qualifiés, par ailleurs souvent trop peu nombreux, etc.

Face à ces problématiques spécifiques, il est nécessaire d'adopter une approche adaptée, et ainsi de développer des programmes dédiés « pour les parents confrontés à des situations similaires, au-delà de l'universalité de l'accueil et de l'importance de la mixité sociale dans l'approche du soutien à la parentalité », comme l'indique Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE66(*). En effet, pour les familles avec un enfant en situation de handicap, le besoin d'accompagnement existe non seulement en matière éducative, mais également pendant les temps de répit : comme le souligne Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, « les vacances ne sont pas adaptées à l'existence d'un handicap. De nouvelles formes de répit pourraient être mises en place ».

Le défi de l'acceptation du handicap doit également être relevé afin de pouvoir mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement. Lors d'un entretien avec les rapporteurs à Saint-Martin le 20 avril 2023, Nathalie Marrien, directrice générale adjointe, responsable de la délégation solidarité et familles de la collectivité de Saint-Martin, a souligné ce problème d'acceptation du handicap, en indiquant que certains enfants handicapés étaient placés dans l'Hexagone tandis que leurs parents restaient à Saint-Martin. À Saint-Pierre-et-Miquelon, Sonia Borotra partage ce constat : « le handicap reste encore tabou : nous aimerions accompagner les parents dans l'acceptation du handicap pour qu'ils sollicitent les aides auxquelles ils ont droit. Aujourd'hui, très peu d'enfants en situation de handicap sont repérés sur l'archipel ».

S'ajoutent souvent la difficulté d'avoir des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et des professionnels qualifiés (orthophonistes, psychologues, psychomotriciens...), ainsi que les problèmes d'accessibilité à ces professionnels. Ainsi, lors de leur entretien du 21 avril 2023 avec les représentants de la collectivité de Saint-Barthélemy, il a notamment été signalé aux rapporteurs que la sécurité sociale ne prenait en charge que le transport vers le spécialiste le plus proche, et non l'hébergement, alors qu'il serait plus aisé pour certains parents d'aller dans l'Hexagone où ils ont de la famille, plutôt qu'en Guadeloupe où ils doivent trouver un logement.

Des initiatives sont néanmoins mises en oeuvre sur plusieurs territoires pour l'accompagnement des familles avec un enfant en situation de handicap : en Guadeloupe par la CAF (26 familles bénéficiaires), à Saint-Pierre-et-Miquelon par la Maison territoriale de l'autonomie, dans le cadre d'un axe prioritaire d'action de la collectivité territoriale, mais également à Saint-Martin par la collectivité, en application de l'action n° 56 du plan social de territoire de septembre 2022, qui vise, grâce à des groupes de parole, à « faciliter les échanges permettant de partager leurs expériences, leurs difficultés, leurs questionnements avec ou sans l'appui d'un professionnel autour de la prise en charge d'enfants porteurs de handicap quelle que soit la nature du handicap ».

En outre, à Saint-Martin, la Croix-Rouge française a ouvert une crèche, Pomme d'Happy, dont la spécificité est l'accueil d'une douzaine d'enfants en situation de handicap67(*), afin de pallier le manque de structures d'accueil de ce type. En liaison avec la CAF et la PMI pour identifier les besoins et de proposer un accompagnement adapté, la crèche Pomme d'Happy envisage aussi la mise en place de démarches d'accompagnement à la parentalité (café des parents, ateliers parents-enfants...).

Ainsi, les initiatives en faveur de l'accueil des enfants en situation de handicap, et de l'accompagnement de leurs familles, pendant les temps éducatifs mais également les temps de répit, doivent être considérablement renforcées sur l'ensemble des territoires afin de mieux prendre en charge ces enjeux spécifiques.

5. Envisager des aménagements de l'état civil
a) Reconnaître l'île d'origine comme lieu de naissance, un enjeu d'identité locale

Dans les outre-mer, l'île d'origine est de moins en moins l'île de naissance.

Ce phénomène est particulièrement sensible à Saint-Barthélemy où cette forme de déracinement porte sur une centaine de naissances par an. Le suivi de grossesse est assuré à Saint-Barthélemy mais l'accouchement se fait à Saint-Martin, avec un départ généralement un mois avant le terme de la femme enceinte.

Actuellement, ces femmes doivent trouver leur hébergement par leurs propres moyens. L'accueil spécialisé est très limité : on relève qu'une clinique privée a mis en place une petite structure, avec deux studios. La mise en place d'un dispositif d'appui et de coordination pour les îles du Nord (Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy) est en cours pour faciliter la prise en charge des femmes enceintes en fin de terme, mais la question de l'hébergement reste une difficulté prégnante.

Par ailleurs, le fait que le lieu de naissance soit « Saint-Martin » induit une perte d'identité car il figure sur les papiers officiels de l'enfant. L'origine géographique des parents n'est pas prise en compte.

Cette problématique est identique entre Marie-Galante et le reste de la Guadeloupe

On peut rapprocher cette situation de celle des archipels polynésiens où existe un rapport particulier à la terre natale68(*). À titre d'exemple, en vingt ans, le nombre de naissances dans l'archipel marquisien a été divisé par dix, passant en moyenne d'environ 300 à 30 par an, les accouchements étant maintenant réalisés à l'hôpital de Taaone sur l'île de Tahiti. Cette tendance laisse penser que, dans quelques années, il n'y aura plus de Marquisiens du point de vue de l'état civil. Ceci est vrai pour les autres archipels de Polynésie et n'épargne ni la Nouvelle-Calédonie, ni Wallis-et-Futuna.

Cette évolution liée à des choix de santé publique génère, non seulement des coûts non négligeables pour les familles avant et après l'accouchement, mais constitue une perte d'ancrage et de repères culturels pour les nouvelles générations.

C'est la raison pour laquelle une possibilité de choix devrait être offerte aux parents concernés, lorsque le lieu de naissance est uniquement lié à des raisons d'équipements sanitaires.

b) Sécuriser juridiquement les adoptions coutumières

Le droit civil français actuel n'est pas adapté aux pratiques d'adoption coutumière, fréquentes encore aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, ce qui peut être source d'insécurité juridique pour les enfants concernés.

L'effectivité des normes coutumières mène à une absence de formalisation des transferts d'enfant en droit civil français. Le statut juridique des enfants concernés par un transfert demeure donc imprécis.

Ainsi, en l'absence de toute démarche en vue d'obtenir la reconnaissance de la Délégation de l'exercice de l'autorité parentale (DEAP) ou de requête en adoption, le couple qui héberge et éduque au quotidien l'enfant confié n'exerce pas l'autorité parentale au sens du droit français.

Comme l'a indiqué Loïs Bastide, maître de conférences en sociologie à l'Université de la Polynésie française, les acteurs locaux agissent en procédant à du « bricolage ». Selon lui, « les organismes médicaux et les opérateurs de terrain qui gèrent ces dossiers se retrouvent contraints de prendre des risques juridiques majeurs ».

En outre, un enfant adopté selon la coutume ne dispose d'aucun droit légal à hériter de sa famille adoptive, ce qui peut être source de tensions entre les enfants au moment des successions.

Par ailleurs, en Polynésie française, la pratique des adoptions coutumières, ou fa'a'amura'a, pu être utilisée par des Français venus de l'Hexagone pour contourner les règles légales d'adoption.

En effet, dans la mesure où les dispositions du code civil relatives aux droits des personnes s'appliquent de plein droit en Polynésie française, l'adoption y est régie par les mêmes conditions légales. Ainsi, les enfants confiés dans le cadre d'une fa'a'amura'a ne peuvent faire l'objet d'un projet d'adoption s'ils ont moins de 2 ans.

Or en Polynésie française, l'entente avec les parents biologiques s'établit dans la plupart des cas pendant la grossesse et permet aux parents adoptifs de se voir confier un enfant dès sa naissance, via une procédure de délégation volontaire d'autorité parentale en vue d'une adoption au terme du délai de deux ans. Cette pratique contrevient aux règles légales d'adoption qui n'admettent de consentement à l'adoption d'un enfant de moins de 2 ans que pour une adoption familiale ou lorsque l'enfant est remis par le service de l'aide sociale à l'enfance, sans que les parents biologiques puissent choisir l'adoptant (articles 348-4 et 348-5 du code civil).

Cet usage particulier de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale en vue de l'adoption, admis par une jurisprudence trentenaire, a récemment été censuré par la Cour de cassation, en septembre 202269(*), au motif qu'il constituait notamment une violation des exigences de l'article 377 alinéa 1er, du code civil.

Cependant, la Cour a reconnu que cette procédure de délégation d'autorité parentale s'inscrivait dans un contexte local de carence de texte réglementaire fixant la composition et le fonctionnement du conseil de famille des pupilles de l'État, rendant de fait inapplicable sur le territoire polynésien les dispositions du code de l'action sociale et des familles organisant la remise des enfants pupilles de l'État au service social d'aide à l'enfance (articles L224-1 à L224-9 et L562-1).

La direction générale de la cohésion sociale a informé les rapporteurs qu'un projet de décret portant application de la loi du 21 février 2022 relatif au fonctionnement des conseils de famille des pupilles devrait prochainement adapter ces dispositions au territoire polynésien. Ce projet de décret devrait être soumis au Conseil national de l'adoption récemment mis en place.

Au-delà de la question des pupilles, il semble urgent de clarifier le statut juridique des enfants fa'a'amu qui pose de réelles questions de filiation et de droits pour l'enfant.

Recommandation n° 10 : En matière de droit civil :

- ouvrir le droit pour les parents d'opter pour l'île d'origine comme lieu de naissance de leur enfant ;

- pour la Polynésie française, définir un cadre légal pour les adoptions coutumières des enfants fa'a'amu.


* 37 Table ronde sur les actions de soutien à la parentalité dans les outre-mer (9 février 2023).

* 38 Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE, table ronde sur les actions de soutien à la parentalité du 9 février 2023.

* 39  http://www.anlci.gouv.fr/content/download/15036/466517/version/1/file/FAMILIRE-plaquette-VF.pdf

* 40 Table ronde sur les actions de soutien à la parentalité dans les outre-mer du 9 février 2023.

* 41 Audition de la Croix-Rouge française du 25 mai 2023.

* 42 Table ronde Guyane du 4 mai 2023.

* 43 Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM, table ronde DGCS-DGOM-Cnaf du 8 juin 2023.

* 44 Stéphanie Geneix-Rabault, chargée de mission Égalité-Diversité à l'Université de la Nouvelle-Calédonie, table ronde collectivités du Pacifique du 4 avril 2023.

* 45 Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française, audition de la Croix-Rouge française du 25 mai 2023.

* 46  https://www.outre-mer.gouv.fr/le-sma-service-militaire-adapte

* 47 Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM, table ronde DGCS-DGOM-Cnaf du 8 juin 2023.

* 48 Gaëlle Nerbard, audition de la Croix-Rouge française du 25 mai 2023.

* 49 Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la DGOM, table ronde DGCS-DGOM-Cnaf du 8 juin 2023.

* 50 Gaëlle Nerbard, audition de la Croix-Rouge française du 25 mai 2023.

* 51 Table ronde collectivités du Pacifique du 4 mai 2023.

* 52 Jodie Soret, responsable de service Programmes et plaidoyer d'Unicef France, audition du 25 mai 2023.

* 53 Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France, audition du 25 mai 2023.

* 54 Camille Chaserant, conseillère scientifique du HCFEA, audition HCFEA-Ined du 2 février 2023.

* 55 Nathalie Marrien, directrice générale adjointe, responsable de la délégation solidarité et familles de la collectivité de Saint-Martin, entretien avec les rapporteurs à Saint-Martin le 20 avril 2023.

* 56 Entretien avec les rapporteurs en Guadeloupe le 18 avril 2023.

* 57 Entretien avec les rapporteurs à Saint-Barthélemy le 21 avril 2023.

* 58 Entretien avec les rapporteurs à Saint-Barthélemy le 21 avril 2023.

* 59 Corine Barsine, directrice du développement social, CAF de la Guadeloupe et de Saint-Martin, entretien avec les rapporteurs en Guadeloupe le 17 avril 2023.

* 60  https://site.ac-martinique.fr/acm972/wp-content/uploads/sites/113/2023/06/programme-2023.pdf

* 61  https://www.zinfos974.com/Colo-Apprenantes-30-sejours-organises-au-profit-de-1092-enfants_a157832.html

* 62 Projet d'ouverture fin 2023/début 2024 d'après la CNAF.

* 63 Table ronde Mayotte du 16 mars 2023.

* 64 Aurore Vigneau, responsable action sociale et en charge de la parentalité à la Caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon, table ronde Saint-Pierre-et-Miquelon du 4 mai 2023.

* 65 Rodica Ailincai, professeure des universités, table ronde collectivités du Pacifique du 4 avril 2023.

* 66 Table ronde sur les actions de soutien à la parentalité dans les outre-mer du 9 février 2023.

* 67 Audition de la Croix-Rouge française le 25 mai 2023.

* 68 Bruno Saura, Le placenta en Polynésie française : choix de santé publique et identité, Persée, Sciences Sociales et Santé, volume 18, n° 3, septembre 2000.

* 69 Cour de cassation, 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-50.042.

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