C. UN FINANCEMENT ET UNE VALORISATION DÉLICATS

1. Un financement des bases de données à prévoir, de la constitution des bases à la rémunération liée aux usages

L'un des principaux sujets soulevés concernant l'utilisation des données secondaires a été un sujet touchant au début même de la chaîne, à savoir la constitution des jeux de données, laquelle n'est pas aujourd'hui financée selon des modalités à même de garantir la pérennité des structures et la qualité et la pertinence des données collectées et mises à disposition.

Les données parfois considérées comme des « mines d'or » ne sont en réalité pas un potentiel aisément valorisable. Amaury Martin remarquait ainsi que « la donnée de santé ne peut pas faire l'objet d'un profit économique. Au même titre que le matériel biologique humain, le commerce à des fins lucratives est interdit » quand les coûts de gestion, d'organisation, de qualité, d'outils d'exploitation ou encore de stockage sont, eux, bien réels.

Cela s'incarne notamment pour les entrepôts de données hospitaliers, pour lesquels la direction générale de l'offre de soins91(*) notait qu'« il conviendrait de prendre en compte les coûts de collecte, de transformation et de mise à disposition des données d'une part, et d'autre part ceux liés à la perte des bénéfices économiques et scientifiques pour les producteurs, qui ne détiennent plus en exclusivité les données partagées ».

Un groupe de travail sur le financement des bases de données appliqué aux entrepôts de données hospitaliers a été lancé auprès du comité stratégique des données de santé en 2022.

Pourtant, si la Cnam estime que « réfléchir à une tarification, au moins pour les acteurs privés, paraît être un outil de régulation indispensable », force est de constater que le cadre applicable au niveau européen limite les possibilités.

En effet, si le Data Governance Act n'exclut pas la valorisation économique de la production et de la mise à disposition des données sous la forme d'une redevance, celle-ci semble s'entendre comme immédiatement liée à la couverture des coûts.

La commission souscrit au principe d'une rémunération de la mise à disposition des données, particulièrement pour les acteurs privés Cependant, au regard de la maturité des entrepôts existants notamment, la redevance en cas d'utilisation n'est pas en mesure de soutenir l'investissement et la structuration aujourd'hui des entrepôts de données, non encore matures. En outre, l'établissement de grilles tarifaires éventuelles apparaît complexe, alors que ces données sont, par nature, financées par la solidarité nationale.

Par ailleurs, alors que le modèle économique des entrepôts de données de santé n'est pas encore bien défini, il est par surcroît difficile d'identifier de manière prospective les données qui pourront demain générer des revenus ou d'avoir une certitude sur le nombre d'utilisateurs qui solliciteront des accès rémunérés. Comme le souligne Unicancer, l'enjeu aujourd'hui est de « garantir à terme le mode de financement de ces initiatives et la qualité des données générées ».

C'est pourquoi il apparaît indispensable de bien considérer la constitution des entrepôts de données comme une mission de recherche à part entière, participant pleinement des moyens de la recherche médicale mais aussi du pilotage des politiques de santé, et recevoir un financement au titre des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri).

Recommandation n° 10 : Soutenir la production et l'entretien de bases de données nouvelles par un financement sur la base de dotations Merri et d'une valorisation effective des données utilisées

2. Une valorisation des données à assurer dans les publications de recherche

Les aspects de valorisation des données ne passent pas seulement par la rémunération de la chaîne de constitution et de gestion des données, mais aussi par l'exploitation de celles-ci dans des travaux de recherche. Or, sur ce point, une difficulté majeure tient au fait que, souvent, la qualité et la richesse des données récoltées ressort aussi de l'investissement de certains praticiens ayant dans leur service des projets de recherche.

L'ouverture des données à une utilisation par des chercheurs extérieurs est alors vue parfois comme une menace pour les chercheurs ayant initié la démarche dans l'établissement et mobilisé les équipes autour d'un recueil de qualité.

L'un des enjeux est ainsi également aujourd'hui pour les établissements de bien faire valoir l'origine des données dans des travaux de recherche et d'être identifiés dans les publications de recherche qui hissent les établissements dans les classements internationaux.

Enfin, alors que les entrepôts de données sont particulièrement difficiles à exploiter, force est de constater que l'expertise nécessaire à l'utilisation des données se situe bien souvent au niveau de l'établissement qui les a constituées.

Ainsi, l'une des valorisations, que la mission a pu constater lors de son déplacement à l'AP-HP, est bien pour l'établissement et ses chercheurs de faire valoir leur compétence dans l'exploitation. Il s'agit ainsi de valoriser les données récoltées non directement pour elles-mêmes mais autour d'une équipe de recherche à même de les exploiter de manière crédible, laquelle sera alors mentionnée parmi les auteurs ou contributeurs des publications.

Une utilisation secondaire dépourvue de feuille de route :
une priorisation des chantiers à prévoir

La politique gouvernementale en matière de valorisation de l'utilisation secondaire des données de santé est aujourd'hui dépourvue d'une vision d'ensemble permettant d'embrasser les différents enjeux.

Parallèlement aux groupes de travail du comité stratégique des données de santé, le Gouvernement92(*) a confié le 31 mai 2023 une mission à Jérôme Marchand-Arvier relative aux données de santé.

Ce travail devra, d'ici à la fin de l'année, permettre de :

catégoriser et chiffrer les opportunités associées à l'utilisation secondaire des données ;

cartographier la dynamique de constitution de grands entrepôts de données de santé ;

identifier les impacts organisationnels du futur règlement sur l'espace européen des données de santé ;

apporter une analyse prospective sur les conditions d'un développement de l'innovation autour des données de santé.


* 91 Réponses au questionnaire.

* 92 Lettre de mission de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et François Braun, ministre de la santé et de la prévention.

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