II. LE RISQUE DE DÉSTABILISATION DES BALKANS OCCIDENTAUX DANS LE CONTEXTE DE LA GUERRE EN UKRAINE EST RENFORCÉ PAR LES FRAGILITÉS INTERNES DE CES PAYS SUR LE PLAN POLITIQUE, SOCIAL ET INSTITUTIONNEL

A. LES DIFFICULTÉS DES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX POUR MENER DES RÉFORMES EN MATIÈRE D'ÉTAT DE DROIT SONT RENFORCÉES PAR LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE QUE TRAVERSENT CES PAYS

L'État de droit, qui fait partie des valeurs sur lesquelles est fondée l'Union européenne conformément à l'article 2 du traité sur l'Union européenne52(*), constitue l'un des principaux défis soulevés par le processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne.

Source : Cour des comptes européenne

Selon la définition adoptée par l'Union européenne dans le cadre du règlement (UE) du 16 décembre 2020 relatif à la conditionnalité de l'utilisation du budget de l'Union, l'État de droit recouvre le principe de légalité ainsi que les principes de sécurité juridique, d'interdiction de l'arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d'égalité devant la loi53(*). Dans une communication en date d'avril 2019, la Commission européenne a dégagé six principes constitutifs de l'État de droit54(*) qui sont : la séparation des pouvoirs ; les procédures législatives transparentes et démocratiques ; la sécurité juridique ; l'égalité en droit ; les juridictions indépendantes et impartiales ; l'efficacité du contrôle juridictionnel.

Le renforcement de la place accordé au respect de l'État de droit par les pays candidats est un des axes centraux de la méthodologie révisée en matière d'élargissement proposée en février 2020 par la Commission55(*) et appliquée à partir de mai 2021 aux négociations avec le Monténégro et la Serbie.

La nouvelle méthodologie prévoit notamment un regroupement et une hiérarchisation des chapitres de discussion. Le groupe de chapitres thématiques « fondamentaux », qui réunit les chapitres sur l'appareil judiciaire et les droits fondamentaux (chapitre 23), sur la justice, la liberté et la sécurité (chapitre 24), sur les marchés publics (chapitre 5), sur les statistiques (chapitre 18) et sur le contrôle financier (chapitre 32), doit être ouvert en priorité et n'être fermé qu'à l'issue de la négociation, le progrès dans les chapitres de ce groupe conditionnant l'ouverture d'autres groupes.

Le programme d'actions prioritaires de Sofia

Lors du sommet Union européenne - Balkans occidentaux qui s'est tenu à Sofia en mai 2018, les États membres et les pays des Balkans occidentaux ont adopté un « programme d'actions prioritaires » en matière de renforcement de l'État de droit dans les Balkans qui liste les actions prioritaires suivantes :

- renforcement du soutien aux réformes de la justice et aux efforts visant à lutter contre la corruption et la criminalité organisée, y compris le développement des capacités en matière de prévention de la corruption ;

- extension des missions de conseil sur l'État de droit, avec un soutien accru de la part des États membres et de l'Union européenne ;

- amélioration du suivi des procès dans les affaires de corruption aggravée et de criminalité organisée ;

- action en faveur d'une meilleure mesure des résultats dans le cadre de la réforme de la justice ;

- déploiement d'un soutien aux Balkans occidentaux au titre du Fonds européen pour la démocratie en ce qui concerne l'indépendance et la pluralité des médias et la société civile.

Le financement d'actions en faveur du renforcement de l'État de droit est un des axes d'intervention de l'Union européenne dans le cadre de sa politique de pré-adhésion et l'instrument de pré-adhésion a permis de financer 690 millions d'euros d'aide aux pays des Balkans occidentaux pour la période 2014-2020 (IAP II) soit 16% du total de l'aide accordée par l'Union européenne à ces pays.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs du World Justice Project

En dépit des financements versés par l'Union européenne, les travaux d'évaluation menés par les organisations de la société civile et par les chercheurs indépendants témoignent d'une « montée de l'autoritarisme »56(*) dans les Balkans occidentaux depuis le début des années 2010. L'organisation non gouvernementale Freedom House estime à cet égard que l'État de droit stagne ou se détériore dans la majorité des pays des Balkans occidentaux.

Dans un rapport publié en janvier 2022, la Cour des comptes européenne estime que l'action de l'Union européenne a eu « globalement peu d'impact sur les réformes en matière d'État de droit dans la région » entre 2014 et 2020 et que la difficulté à mettre en place des réformes est liée en premier lieu à « la volonté politique insuffisante des autorités nationales de mener à bien les réformes nécessaire »57(*).

Un des aspects de l'État de droit les plus difficiles à réformer de manière durable au sein des pays des Balkans occidentaux est celui qui concerne la liberté d'expression, la liberté de la presse et le pluralisme des médias. L'organisation non gouvernementale Reporters sans frontières constate à ce titre que entre 2015 et 2020 aucune amélioration dans n'a été observée dans le domaine de la liberté de la presse dans les Balkans occidentaux en dehors de la Macédoine du Nord et du Kosovo.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs de Reporters sans frontières

Les épisodes récurrents d'agression à l'encontre de journalistes et les tentatives d'intimidation observées à l'encontre de journaliste participent à dégrader la qualité de l'information disponible pour les citoyens des Balkans occidentaux qui sont exposés de manière croissante à des canaux de désinformation, dont certains disposent de financement publics.

La difficulté de l'Union européenne à soutenir efficacement les réformes en matière d'État de droit est d'autant plus regrettable que l'on observe simultanément un recul de l'adhésion des populations concernées à la mise en oeuvre des réformes comme en témoigne le fait qu'en Albanie la part des sondés qui croient à l'impact positif des réformes en matière d'État de droit est passé de 71% en 2016 à 53% en 201958(*).


* 52 « L'Union européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris de personnes appartenant à des minorités. »

* 53 v. règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union, article 2

* 54 Commission européenne, COM(2019) 163, 3 avril 2019, « Poursuivre le renforcement de l'État de droit au sein de l'Union »

* 55 Commission européenne, COM(2020) 57, 5 février 2020, « Renforcer le processus d'adhésion - Une perspective européenne crédible pour les Balkans occidentaux »

* 56 F. Bieber, The Rise of Authoritarianism in the Western Balkans, Palgrave, Macmilan, 2020

* 57 Cour des comptes européenne, rapport spécial, 2022/1, « Soutien de l'Union européenne à l'État de droit dans les Balkans occidentaux », janvier 2022

* 58 Institute for Democracy and Mediation, « Opinion Poll 2019 : Trust in Governance »