N° 882

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur : « Réinvestir les Balkans occidentaux : un impératif stratégique »,

Par M. Olivier CIGOLOTTI, Mme Hélène CONWAY-MOURET,
M. Bernard FOURNIER et Mme Michelle GRÉAUME,

Sénateurs et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

L'ESSENTIEL

Le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 a renforcé l'importance stratégique de la région des Balkans occidentaux, dont l'intégration au sein de l'Union européenne n'a pas abouti plus de vingt ans après la consécration de leur perspective européenne.

Dans ce contexte, les rapporteurs analysent l'action de la France et de l'Union européenne face au risque de déstabilisation des Balkans occidentaux dans un environnement stratégique dégradé.

I. LES BALKANS OCCIDENTAUX SONT FRAGILISÉS PAR L'INABOUTISSEMENT DE LEUR PROCESSUS D'INTÉGRATION EUROPÉENNE ET PAR LA PERSISTANCE DE LEURS DIVISIONS

A. LA LENTEUR DU PROCESSUS D'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE FAVORISE L'INTERVENTION CROISSANTE DE PUISSANCES EXTÉRIEURES DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX

1. Vingt ans après le sommet de Thessalonique, la lenteur du processus d'intégration nuit à la crédibilité de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux

Source : www.touteleurope.eu

Les années 1990 ont été marquées dans les Balkans occidentaux par le déroulement des guerres de sécession yougoslaves qui ont provoqué entre 150 000 et 200 000 morts dont 40% de victimes civiles réparties dans les différents pays de la région.

Après la fin de la guerre du Kosovo, pour accompagner la pacification de cette région en assurant son intégration dans la construction européenne, les États membres de l'Union européenne ont consacré au sommet de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 la « perspective européenne des pays des Balkans occidentaux »1(*).

Vingt ans après ce sommet, l'Union européenne ne s'est pas montrée à la hauteur des espoirs qu'elle a suscité en consacrant la vocation des pays des Balkans à intégrer l'Union européenne. Alors que la Slovénie, qui avait commencé ses négociations d'adhésion dès 1998, a rejoint l'Union européenne dans le cadre de l'élargissement de 2004, la Croatie est le seul autre pays des Balkans occidentaux à avoir mené à son terme son processus d'adhésion en intégrant l'Union européenne en juillet 2013, dix ans après la perspective consacrée à Thessalonique.

Vingt ans après la consécration de la perspective européenne des pays des Balkans, l'Union européenne n'a pas été à la hauteur des espoirs qu'elle a suscités.

La lenteur du processus d'adhésion dans les Balkans et les blocages qu'il rencontre sont illustrés par le cas de la Macédoine du Nord, qui a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne en mars 2004. Après que la Macédoine du Nord a obtenu le statut de candidat en décembre 2005, l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Union européenne a été bloquée pendant treize ans du fait d'un différend avec la Grèce sur le nom du pays, qui a été résolu en juin 2018 par l'adoption de l'accord de Prespa qui prévoit l'utilisation du nom de Macédoine du Nord. Les négociations, qui ont ensuite été retardées par un différend avec la Bulgarie relatif à la présence d'une minorité bulgare en Macédoine du Nord, ont finalement été ouvertes en juillet 2022, dix-huit ans après le dépôt de la demande d'adhésion.

En parallèle, l'élargissement de l'Alliance atlantique a été plus dynamique dans les Balkans occidentaux qui ont constitué la principale région d'extension de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) depuis la fin des années 2000, avec l'entrée en 2004 de la Slovénie, en 2009 de l'Albanie et de la Croatie, en 2017 du Monténégro et enfin de la Macédoine du Nord en 2020. Cette intégration efficace des pays des Balkans à l'Alliance atlantique, qui contraste avec la lenteur du processus d'adhésion à l'Union, constitue un facteur de sécurisation de cette zone mais ne suffit pas à engager un mouvement de convergence économique et sociale des pays des Balkans avec les États membres de l'Union.

Par surcroît, la lenteur du processus d'intégration à l'Union européenne a suscité dans les populations concernées un sentiment de frustration voire de découragement. En Serbie, pays candidat à l'Union européenne depuis 2012, seuls 34% de la population se déclarent désormais favorables à l'adhésion ; à l'échelle de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, 37% des citoyens estiment que le processus d'intégration à l'Union européenne n'aboutira jamais.

Ni l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord en juillet 2022 ni l'octroi en décembre 2022 du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine ne suffiront à dissiper le sentiment de désintérêt de l'Union ressenti par certains citoyens des pays des Balkans occidentaux, parfois accentué par la célérité avec laquelle le statut de candidat a été octroyé à l'Ukraine et à la Moldavie en juin 2022 dans le sillage du déclenchement de la guerre en Ukraine.

 
 
 

entre le dépôt de la candidature de la Macédoine du Nord et l'ouverture des négociations

des Serbes sont favorables à l'adhésion à l'Union européenne

des citoyens des pays des Balkans occidentaux pensent que l'intégration européenne n'aboutira jamais

2. L'inaboutissement du processus d'intégration européenne des Balkans favorise un investissement croissant des puissances extérieures dans la région

Sa situation stratégique au nord-est du bassin méditerranéen et son histoire marquée par les influences successives des empires ottoman et austro-hongrois font de la péninsule balkanique un lieu privilégié d'investissement économique, diplomatique et d'influence pour les puissances extérieures à la région. La dégradation du contexte géostratégique mondial induite par l'agression de l'Ukraine par la Russie depuis février 2022 accentue le risque de déstabilisation des pays des Balkans par des puissances globales ou régionales qui bénéficient des blocages du processus d'adhésion à l'Union européenne pour renforcer leur influence dans les Balkans.

En premier lieu, la Russie s'appuie sur sa proximité culturelle avec les communautés orthodoxes présentes dans les Balkans occidentaux pour renforcer sa présence diplomatique, économique et militaire dans la région. Sur le plan diplomatique, la Russie a maintenu des liens, y compris après le déclenchement de la guerre en Ukraine, avec les autorités serbes et les autorités de la Republika Srpska, entité fédérée de la Bosnie-Herzégovine, en s'appuyant notamment sur la dépendance de la Serbie à son approvisionnement en gaz russe, qui représente 80% de la consommation de gaz serbe. En matière d'influence, la Russie dispose en outre de relais efficaces constitués par la présence de l'agence Spoutnik dans les Balkans et du média Russia Today qui dispose d'un canal de diffusion spécifique dans la région avec RT Balkan. Enfin les forces armées serbes continuent de coopérer avec la Russie et à acheter du matériel militaire aux entreprises russes à l'image des six avions de combat MiG-26 acquis en 2016.

La Chine a investi 10 milliards de dollars en Serbie entre 2005 et 2019

En deuxième lieu, la Chine est un acteur qui intervient de manière croissante dans les pays des Balkans occidentaux dont elle est devenue en 2019 le deuxième partenaire commercial. Le développement de la présence chinoise dans les Balkans s'est notamment appuyé sur des investissements économiques croissants qui ont représenté 15 milliards de dollars entre 2005 et 2019, dont 10 milliards en Serbie. Si ces investissements ont permis de financer de nombreuses infrastructures dans les Balkans, notamment dans le domaine des transports, ils ont également contribué à créer un risque de dépendance financière des pays de la région vis-à-vis de la Chine, comme en témoigne le prêt d'un milliard d'euros consenti par la Chine au Monténégro, qui représente à lui seul 25% du PIB monténégrin.

Enfin en troisième lieu, d'autres puissances régionales renforcent leurs leviers d'influence dans les Balkans occidentaux dont en particulier la Turquie qui intervient en priorité dans trois pays des Balkans à majorité musulmane (Albanie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo) en finançant des programmes de réhabilitation du patrimoine ottoman et en développant son réseau de centres culturels Yunus Emre. Parallèlement, la Turquie bénéfice de son appartenance à l'Alliance atlantique pour développer sa coopération militaire avec les pays de la zone et elle constitue le troisième contributeur à l'opération de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine EUFOR-Althea et le quatrième contributeur de la Force pour le Kosovo (KFOR) de l'OTAN.

B. LES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX CONNAISSENT DES SITUATIONS CONTRASTÉES MARQUÉES PAR DES DIVISIONS PERSISTANTES QUI ENTRAVENT LEUR INTÉGRATION À L'UNION EUROPÉENNE

1. La Bosnie-Herzégovine connait une situation de blocage politique prolongé que l'octroi du statut de candidat à l'Union ne permettra pas de résoudre sans une réforme institutionnelle d'ampleur

Près de trente ans après la fin de la guerre de Bosnie, la constitution politique de la Bosnie-Herzégovine correspond toujours à l'annexe 4 des accords de Dayton qui ont été signés le 14 décembre 1995 pour mettre fin à la guerre. Négociés et rédigés dans un contexte de guerre civile, les accords de Dayton avaient pour objectif d'arrêter les combats et non d'organiser durablement un régime politique en temps de paix. Par suite, l'absence d'évolution institutionnelle significative depuis les années 1990 génère une situation de blocage politique en Bosnie-Herzégovine qui ralentit son processus d'intégration européenne.

La complexité du système politique bosnien, qui repose sur une partition fédérale entre deux entités et un district, se traduit par une dispersion du pouvoir qui est partagé entre quatorze parlements distincts et par un pouvoir restreint de l'État central dont la présidence collégiale est partagée entre les trois « peuples constitutifs » reconnus par les accords de Dayton : les Bosniaques, les Croates et les Serbes. La présence d'un Haut Représentant de la communauté internationale, nommé par le Conseil de mise en oeuvre de la paix, fait en outre l'objet de critiques formulées par les populations locales notamment après que le Haut Représentant a décidé en octobre 2022 de modifier la loi électorale bosnienne le jour même de la tenue des élections, remettant en cause le crédit apporté au processus électoral.

Ce blocage politique explique en partie le faible développement socio-économique de la Bosnie-Herzégovine où l'absence de services publics efficaces motive un phénomène d'exil massif : alors que la population est estimée à 3,5 millions de personnes, les départs du territoire depuis la signature des accords de Dayton sont estimés à 2 millions.

La réforme du droit électoral bosnien, condamné comme discriminatoire par la Cour européenne des droits de l'homme, est un préalable à l'ouverture des négociations d'adhésion.

Dans ce contexte, l'octroi du statut de candidat à l'Union européenne intervenu le 15 décembre 2022 n'est qu'une première étape et ce statut a été assorti de 14 priorités de réformes considérées comme un préalable à l'ouverture des négociations, qui comportent plusieurs secteurs de réforme en matière d'État de droit et notamment l'impératif de révision du droit électoral bosnien, dont le caractère discriminatoire a été condamné dès 2019 par la Cour européenne des droits de l'homme2(*).

Enfin, depuis la fin de la guerre civile, la Bosnie-Herzégovine accueille sur son territoire une mission de maintien de la paix qui a été prise en charge par l'Alliance atlantique jusqu'à 2004 et qui depuis cette date assurée par l'opération de l'Union européenne EUFOR-Althea dont les effectifs ont été portés de 600 à 1 200 en 2022 pour tenir compte de la dégradation du contexte consécutif au déclenchement de la guerre en Ukraine. La France participe activement à cette mission grâce à un contingent de 27 militaires dont 5 officiers insérés dans l'état-major de l'opération.

2. Le dynamisme économique de la Serbie ne pourra être un levier d'intégration dans l'Union européenne qu'à la condition de garantir effectivement la préservation de l'État de droit

Par contraste avec les autres pays des Balkans occidentaux, la Serbie bénéfice d'une grande stabilité politique depuis l'arrivée au pouvoir d'Aleksandar Vucic qui a occupé le poste de premier ministre entre 2014 et 2017 et qui occupe depuis la fonction de président de la République, pour laquelle il a été réélu en avril 2022 pour un mandat de cinq ans. Par ailleurs, la Serbie est un des pays les plus dynamiques de la zone sur le plan économique et a connu une croissance de 4% en 2019, et de 3,5% en 2022 bien que la crise sanitaire ait provoqué une période de ralentissement de l'activité dans l'intervalle.

Pour autant, malgré le soutien affiché du président Vucic à la perspective d'intégration européenne de la Serbie, qui a ouvert ses négociations d'adhésion dès juin 2013, les autorités serbes n'alignent pas leurs positions diplomatiques sur celles de l'Union européenne et continuent de revendiquer une position d'équilibre entre l'Union européenne et la Russie comme en témoigne le fait que la Serbie a voté en faveur de la résolution du 2 mars 2022 de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'invasion russe en Ukraine tout en refusant d'appliquer à la Russie les sanctions économiques mises en oeuvre par l'Union européenne depuis le déclenchement de la guerre.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs de Reporters sans frontières

En parallèle, les réformes entreprises depuis l'ouverture des négociations d'adhésion n'ont pas permis d'améliorer suffisamment la situation de l'État de droit en Serbie, qui constitue pourtant une condition essentielle pour l'aboutissement du processus d'intégration à l'Union européenne. En particulier, le recul de la liberté de la presse mesuré par les organisations de la société civile concernant la Serbie est en contradiction avec le processus d'adhésion et fragilise la crédibilité d'une intégration rapide de la Serbie au sein de l'Union.

3. Le programme de réforme adopté par le gouvernement du Kosovo depuis 2021 ne permettra son intégration à l'Union européenne qu'à la condition d'une normalisation des relations avec la Serbie

Depuis les élections de février 2021, le Kosovo est dirigé par le premier ministre Albin Kurti dont le gouvernement a été élu en défendant un programme ambitieux de modernisation dans l'objectif d'accélérer l'intégration européenne du Kosovo, fondé sur plusieurs réformes en matière de lutte contre la corruption, de développement économique et de renforcement de l'État de droit. Dans ce contexte, la France soutient la candidature du Kosovo au Conseil de l'Europe qui a été déposée en mai 2022 et que le Conseil des ministres a décidé en avril 2023 de transmettre pour avis à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). Parallèlement, le Kosovo a également déposé en décembre 2022 une demande d'adhésion à l'Union européenne dont les chances de prospérer à court terme sont limitées par le fait que cinq États membres de l'Union3(*) ne reconnaissent pas l'indépendance du Kosovo déclarée unilatéralement le 17 février 2008.

En dépit des réformes entreprises en matière de politique intérieure, l'intégration européenne du Kosovo est entravée par la persistance de son différend avec la Serbie. Depuis 2011, l'Union européenne joue un rôle de médiateur entre les deux parties à travers le « dialogue Belgrade-Pristina », qui a permis la conclusion le 18 mars 2023 de l'accord d'Ohrid sur la mise en oeuvre de la normalisation entre les deux pays. Toutefois, la faible participation aux élections municipales anticipées organisées dans le Nord du Kosovo en avril 2023 et la lenteur de la mise en place d'une association des municipalités à majorité serbe du Kosovo a provoqué de nouveaux affrontements en mai 2023 au Nord du Kosovo qui ont provoqués une trentaine de blessés parmi les militaires de la Force du Kosovo, opération de maintien de la paix de l'OTAN présente sur le territoire kosovar. La persistance du différend entre les deux pays est un obstacle à l'approfondissement de leur intégration européenne.

Les affrontements dans le Nord du Kosovo en mai 2023 ont freiné le processus de normalisation des relations Belgrade-Pristina prévu par l'accord d'Ohrid.

II. LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE PEUVENT CONSOLIDER L'INTÉGRATION EUROPÉENNE DES BALKANS OCCIDENTAUX EN DIVERSIFIANT ET EN INTENSIFIANT LEUR PRÉSENCE DANS CETTE RÉGION

A. LA STRATÉGIE FRANÇAISE DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX PEUT ÊTRE CONSOLIDÉE PAR UN RENFORCEMENT DE SON INVESTISSEMENT SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE, DIPLOMATIQUE ET STRATÉGIQUE

1. La France peut renforcer son influence dans les Balkans occidentaux en développant sa présence commerciale et en accélérant le déploiement de sa politique d'aide au développement

Depuis 2019, la France a réaffirmé sa volonté de se réinvestir diplomatiquement dans les Balkans occidentaux en intensifiant ses relations avec les pays de la région et en adoptant une stratégique interministérielle pour les Balkans occidentaux structuré autour de l'intervention française en matière de développement socio-économique, de sécurité, de justice et de défense. Au regard de l'importance stratégique renforcée des Balkans dans le contexte de la guerre en Ukraine, cette stratégie interministérielle doit être poursuivie et actualisée pour consolider l'influence diplomatique de la France dans les Balkans occidentaux.

L'accélération du déploiement de la politique d'aide publique au développement est un levier de renforcement de la présence diplomatique et économique française dans les Balkans.

En premier lieu, la présence économique et commerciale des entreprises françaises dans les Balkans occidentaux n'est pas à la hauteur du réinvestissement diplomatique de la France dans la région. En dépit de la présence de grands groupes français à l'image de la gestion par la société Vinci de l'aéroport de Belgrade, les entreprises françaises, qui bénéficient de l'accompagnement du réseau diplomatique, disposent d'une importante marge de progression quant à leur implantation dans les Balkans occidentaux.

En deuxième lieu, la politique culturelle et d'influence française peut s'appuyer dans les Balkans occidentaux sur les nombreuses manifestations institutionnelles auxquels la France est associée. Pour optimiser son efficacité, la politique d'influence française doit également s'adresser aussi souvent que possible de manière directe aux organisations de la société civile présentes dans les pays des Balkans occidentaux.

Source : Groupe AFD, Le groupe AFD dans les Balkans occidentaux, mars 2022

En dernier lieu, la poursuite et l'accélération du déploiement de l'Agence française de développement (AFD) dans les Balkans est un levier de renforcement de l'influence française. Après l'ouverture d'une agence régionale à Belgrade en 2019, l'AFD devrait atteindre un volume d'investissements de 1,2 milliard d'euros à la fin de l'année 2023 dirigé en priorité vers des projets en lien avec la transition écologique.

2. Le renforcement de la présence stratégique et diplomatique de la France dans les Balkans est un levier de consolidation de l'intégration européenne de la région

La promotion des initiatives diplomatiques françaises et le renforcement de la présence militaire française dans les Balkans sont également des leviers de consolidation de l'influence française dans la région.

En premier lieu, la promotion du format diplomatique de la Communauté politique européenne (CPE), proposé par le Président de la République française dans un discours du 9 mai 2022, est un levier d'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux dans un format multilatéral plus souple et permettant de contribuer à l'apaisement des tensions régionales, comme en témoigne la réunion de médiation entre la Serbie et le Kosovo organisée par la France, l'Allemagne et l'Union européenne lors du sommet de la CPE à Chisinau le 1er juin 2023.

L'initiative française de la Communauté politique européenne (CPE) est un instrument d'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux.

En second lieu, alors que les armées françaises sont présentes au sein de l'opération de l'Union européenne EUFOR-Althea en Bosnie-Herzégovine, la présence de militaires français au sein de la Force du Kosovo (KFOR) de l'Alliance atlantique serait en cohérence avec le réinvestissement diplomatique de la France dans la région et contribuerait à diffuser l'analyse stratégique française de la situation dans les Balkans au sein de l'OTAN.

B. L'UNION EUROPÉENNE PEUT ACCÉLÉRER L'INTÉGRATION DES BALKANS OCCIDENTAUX EN INTENSIFIANT SON ACCOMPAGNEMENT DES PAYS CANDIDATS ET EN RÉFORMANT SON PROCESSUS D'INTÉGRATION

Alors que la perspective européenne des Balkans occidentaux a été consacrée par l'Union européenne depuis plus de vingt ans, la lenteur du processus d'élargissement actuel constitue un facteur de discrédit de l'action de l'Union dans les Balkans occidentaux. Ce risque de perte de crédibilité est en outre accentué par le contexte actuel de « guerre hybride mondialisée » aggravée par la guerre en Ukraine.

L'Union européenne doit moderniser son processus d'élargissement pour renforcer l'effectivité de la perspective européenne des Balkans occidentaux.

En premier lieu, l'Union européenne peut renforcer son soutien aux pays des Balkans occidentaux pour lutter contre les attaques hybrides, en particulier dans les champs cyber et informationnel, en s'appuyant sur des partenariats multilatéraux à l'image du centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux ouvert à Podgorica (Monténégro) avec l'aide de la France et de la Slovénie.

En second lieu, l'Union européenne doit réformer le processus actuel d'intégration pour le rendre plus progressif ce qui permettra de renforcer l'effectivité des bénéfices pour les populations des pays des Balkans et d'accélérer la convergence économique avec les pays de l'Union.

LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

1. Accélérer le déploiement de la politique d'aide publique au développement pour en faire un levier de l'influence française dans les Balkans.

2. Consolider l'activité des entreprises françaises dans les Balkans pour la mettre en cohérence avec le réinvestissement diplomatique de la France dans la région.

3. Diversifier la politique culturelle et d'influence française dans les Balkans en s'adressant directement aux organisations de la société civile.

4. Renforcer la participation française aux opérations militaires internationales dans les Balkans en déployant des militaires français au sein de la Force du Kosovo (KFOR).

5. Promouvoir le format de la Communauté politique européenne (CPE) comme levier d'intégration européenne des Balkans.

6. Renforcer le soutien de l'Union européenne aux pays des Balkans en matière de lutte contre les attaques hybrides, notamment dans les champs cyber et informationnel.

7. Moderniser le processus d'élargissement de l'Union européenne pour renforcer sa progressivité, son effectivité et sa crédibilité.

INTRODUCTION

« Ce rêve de voir se constituer, dans la péninsule des Balkans, les États-Unis de l'Europe orientale, est encore réalisable et il rendrait aux travaux de la paix douze ou treize millions de soldats »

Victor Duruy, Notes et souvenirs, 1901

Sur le plan géographique, la péninsule des Balkans est une péninsule située au Nord-Est du bassin méditerranéen, bordée à l'Ouest par les mers Adriatique et Ionienne, au Sud par les mers Égée et de Marmara et à l'Est par la mer Noire. Sa frontière au Nord avec le reste du continent européen peut être matérialisée par le cours du Danube et celui de son affluent la Salve. Cette définition géographique de la péninsule des Balkans recouvre actuellement onze pays4(*) qui partagent une importante partie de leur histoire et de leurs influences culturelles ou religieuses.

La notion de « Balkans occidentaux » est une notion plus étroite et d'un usage plus récent. Elle apparait à la fin des années 1990, postérieurement aux guerres de sécession yougoslaves, pour désigner, par opposition avec l'Est de la péninsule, l'Albanie et les pays issus de l'ancienne Yougoslavie qui ont vocation à rejoindre l'Union européenne. Cette notion permet donc d'exclure la Grèce, devenu membre de l'Union européenne dès 1981, ainsi que la Roumanie et la Bulgarie, devenues membres de l'Union européenne en 2007. La Croatie, depuis son entrée dans l'Union européenne en 2013, n'est plus directement incluse dans les communications de l'Union européenne relative aux « Balkans occidentaux ».

Ainsi définis, les Balkans occidentaux recouvrent six États indépendants : l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie.

Si les rapporteurs se sont plus particulièrement intéressés aux six pays des Balkans occidentaux, il faut tenir compte de l'influence importante que continuent d'exercer au sein de l'Union européenne les autres pays de la péninsule. À cet égard, le fait que la Grèce fasse partie des États membres de l'Union n'ayant pas reconnu l'indépendance du Kosovo ou les différends ayant opposés la Macédoine du Nord à la Grèce puis à la Bulgarie et qui ont retardé l'ouverture de ses négociations d'adhésion illustrent le fait que la péninsule des Balkans est aujourd'hui partiellement intégrée à l'Union européenne, et que les pays balkaniques membres de l'Union jouent un rôle déterminant dans la suite du processus d'intégration à l'Union européenne.

Au-delà de leur proximité géographique, les pays des Balkans occidentaux partagent l'expérience d'une longue occupation par l'Empire ottoman entre le XIVe et le XIXe siècle et, pour les régions situées au Nord de la péninsule, d'une période de domination de l'Empire des Habsbourg. Située dans une zone frontalière entre deux grands empires, la péninsule des Balkans a été successivement influencée par plusieurs civilisations ce qui explique en partie le grands nombre de communautés ethno-nationales présentes dans les Balkans occidentaux.

Au XXe siècle, la région des Balkans occidentaux a été profondément marquée par les expériences successives de la guerre, en particulier pendant la Grande Guerre déclenchée par un assassinat organisé à Sarajevo, pendant la Seconde Guerre mondiale et pendant les guerres de sécessions yougoslaves qui ont causé entre 150 000 et 200 000 morts dans la région.

Si la perspective européenne des Balkans a été affirmée par l'Union européenne dès le début du XXIe siècle, cette perspective n'a pas abouti après plus de vingt ans. Cette lenteur du processus d'intégration européenne des Balkans permet à des puissances extérieures de renforcer leur influence au sein de la péninsule balkanique. Le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui accélère la dégradation du contexte géostratégique européen et mondial, rend urgent une action plus déterminée et plus effective de la France et de l'Union européenne pour stabiliser les Balkans occidentaux.

PREMIÈRE PARTIE - L'INTÉGRATION EUROPÉENNE DES BALKANS OCCIDENTAUX EST INABOUTIE PLUS DE VINGT ANS APRÈS LA FIN DES GUERRES D'EX-YOUGOSLAVIE

I. LES CRISES POLITIQUES ET AFFRONTEMENTS MILITAIRES DES ANNÉES 1990 ONT DURABLEMENT DÉSTABILISÉ LA PÉNINSULE BALKANIQUE

A. LES PAYS ÉPARGNÉS PAR LES GUERRES DES BALKANS ONT NÉANMOINS ÉTÉ PROFONDÉMENT DÉSTABILISÉS PAR LA DISPARITION DE L'UNION SOVIÉTIQUE ET LA DISSOLUTION DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DE YOUGOSLAVIE

1. Après la disparition de l'Union soviétique en 1991, l'Albanie a été profondément affaiblie par une décennie de crise politique, économique et sociale

L'Albanie est profondément marquée par les crises socio-économiques qu'elle a traversé dans les années 1990, au moment de la sortie du régime autocratique qui dirigeait le pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, à la différence de nombreux pays d'Europe orientale, le territoire de l'Albanie a été libéré sans intervention de l'Armée rouge mais en s'appuyant sur des organisations de résistance armée dont notamment le mouvement de résistance communiste dirigé à partir de 1941 par Enver Hoxha, ancien professeur de français formé au lycée français de Korçë et à l'université de Montpellier dans l'entre-deux-guerres.

Constituée en mars 1946, la République populaire d'Albanie est dirigée de manière autoritaire par Enver Hoxha et par le parti du travail d'Albanie (PPS), longtemps seul parti autorisé. L'Albanie connait alors pendant plusieurs décennies une politique extérieure spécifique et une trajectoire originale qui la conduisent à rompre avec la Yougoslavie en 1948 pour se rapprocher de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) avant de s'éloigner de l'URSS à partir de 1961 pour se rapprocher de la Chine maoïste. Ce rapprochement avec le parti communiste chinois (PCC) est toutefois remis en cause par le réchauffement des relations sino-américaines dans les années 1970 qui motivent une nouvelle rupture de l'Albanie avec son allié chinois aboutissant à un départ des conseillers chinois d'Albanie à l'été 1978.

L'isolement de l'Albanie à partir de la fin des années 1970 renforce le caractère répressif du régime qui porte largement atteinte aux libertés fondamentales et s'appuie sur une propagande d'État instituant le culte de la personnalité d'Enver Hoxha. Alors que la population est surveillée par la Sigurimi, police politique du régime, les autorités procèdent à des condamnations arbitraires à des peines d'emprisonnement ou de travaux forcés. Le complexe obsidional du régime le conduit également à construire 750 000 ouvrages de fortification sur son territoire entre 1950 et 1985.

La répression exercée par le régime est renforcée par la stricte orthodoxie idéologique imposée par le parti qui s'inspire de la révolution culturelle chinoise dans les années 1960 pour supprimer les grades dans l'armée ou encore envoyer aux champs et à l'usine 150 000 fonctionnaires. Sur le plan religieux, le régime mène également une répression déterminée qui se traduit par la fixation d'un objectif d'éradication des religions en 1965 puis par la fermeture de tous les lieux de cultes en 1967, qui sont alors reconvertis pour des usages profanes, à l'image de la cathédrale de Shköder transformée en gymnase ou de la mosquée Kokonozi de Tirana transformée en entrepôt de tabac.

La mort d'Enver Hoxha en avril 1985 se traduit par un lent processus d'assouplissement du régime par Ramiz Alia. La frontière terrestre gréco-albanaise est rouverte en 1986, les investissements étrangers sont autorisés à partir de 1990 et certains secteurs sont privatisés dans le domaine de l'artisanat et des services.

Les réformes de normalisation économique se traduisent par une première crise économique au cours de l'année 1990 qui se traduit par une réduction de 10% du PIB et un blocage de la production nationale par des grèves et manifestation qui provoquent un afflux de 5 000 albanais vers les ambassades occidentales pour y demander des visas. Pour répondre à cette crise, Ramiz Alia impose une réforme du régime en décembre 1990 qui prévoit d'introduire le pluripartisme et il organise des premières élections libres au premier semestre 1991. Si le parti au pouvoir, qui devient alors le parti socialiste d'Albanie (PSS), conserve la majorité au parlement à l'issue de ces premières élections avec 65% des voix au premier tour, ces premières élections pluralistes consacre une nouvelle force d'opposition démocratique, le parti démocratique d'Albanie (PDS) dirigé par l'ancien cardiologue Sali Berisha, qui obtient 27% des voix au premier tour.

La première alternance depuis la disparition de l'Union soviétique intervient finalement en mars 1992, lorsque le PDS obtient une majorité de 62% après de nouvelles élections législatives. Cependant, la présidence Berisha ne permet pas de consolider l'État de droit en Albanie du fait d'une restriction de la liberté de la presse et d'une série de procès contre des opposants politiques. En 1996, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) estime dans un avis que le premier tour des élections législatives organisées en Albanie n'a été ni libre ni sincère.

Les élections de mars 1997, par lesquelles le PSS redevient majoritaire au parlement avec 32% des suffrages au premier tour, et surtout la constitution adoptée par référendum en novembre 1998, contribuent à consolider la démocratie et l'État de droit en Albanie alors que Sali Berisha a organisé en septembre 1998 une tentative mise en échec de coup d'État en occupant le parlement et le siège de la télévision publique. En effet, la constitution albanaise du 21 octobre 1998 consacre les libertés civiles et politiques des citoyens. Elle fonde un régime parlementaire et décentralisé dont l'article 20 garantit l'égalité de droit pour les personnes appartenant à une minorité nationale et le droit d'exprimer librement, de préserver et de développer leur appartenance ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique.

Sur le modèle des démocraties occidentales, la constitution de 1998 institue également un Avocat du peuple, chargé de médiation entre les autorités et les citoyens ; un Conseil constitutionnel chargé de contrôler la constitutionnalité des lois et un Conseil supérieur de la magistrature qui garantit l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Parallèlement à ce processus de démocratisation progressive, l'Albanie est également durablement affectée par plusieurs crises économiques et sociales qui menacent l'ordre public et la paix sociale sur le territoire albanais pendant les années 1990, alors que le pays connait au milieu des années 1990 un taux de chômage de 19%.

Une première crise intervient dans le courant de l'année 1991 marquée par des pillages et des ruptures de ravitaillement qui provoque un exil massif d'Albanais vers les pays voisins avec 20 000 départs vers l'Italie et 20 000 départs vers la Grèce entre fin 1990 et mars 1991. Le nombre de départ pendant les années 1990 et 1991 est estimé à 10% de la population soit 300 M d'exilés.

Une seconde crise d'ampleur supérieure est provoquée en février 1997 par l'effondrement d'un système pyramidal de spéculation financière dans lequel de nombreux albanais ont investi leur épargne. Les émeutes déclenchées par la crise économique et sociale, illustrée par la dépréciation de 40% de la monnaie albanaise (lek), prennent un tour insurrectionnel lorsque les arsenaux sont pillés en dépit de la proclamation de l'état d'urgence. La déstabilisation profonde du pays aboutit à la mise en circulation d'un million d'armes sur le territoire qui favorise une résurgence du banditisme.

La violence des affrontements civils justifie alors l'intervention d'une force militaire de 6 000 personnels sous commandement italien, l'opération Alba, menée sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies5(*). Si la pacification du pays est consacrée par l'organisation de nouvelles élections législative à l'été 1997, la crise socio-économique a durablement handicapé les capacités de production du pays malgré les politiques de normalisation progressives marquées depuis 1991 par le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis et le Royaume-Unis et l'entrée de l'Albanie au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale (BM) et à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

2. La Macédoine du Nord et le Monténégro, qui ont obtenu leur indépendance sans conflit armé, ont néanmoins été affrontés à un environnement diplomatique et économique dégradé pendant les années 1990 et 2000

En Macédoine du Nord, les premières élections libres organisées le 12 novembre et le 9 décembre 1990 portent au pouvoir un ancien allié de Tito, qui a exercé les fonctions de ministre fédéral des finances pour la Yougoslavie, Kiro Gligorov, élu président de la République par le parlement nouvelle élu en janvier 1991.

Si le président Gligorov est, au moment de son élection, favorable à l'émergence d'une confédération yougoslave incluant la Macédoine du Nord, les sécessions de la Croatie et de la Slovénie modifient l'équilibre territorial d'une future confédération et créé un risque d'isolement de la Macédoine face à la Serbie. Les autorités nord-macédoniennes organisent par conséquent un référendum sur l'indépendance qui se tient le 8 septembre 1991 et qui aboutit à une victoire du « oui » à l'indépendance par 95% des votants, la participation s'élevant à 72% des inscrits. Malgré une brève tentative de blocus économique engagée par Milosevic, le pouvoir fédéral signe un accord avec le pouvoir nord-macédonien le 9 février 1992.

Après avoir proclamé son indépendance le 17 septembre 1991, le parlement de Macédoine du Nord adopte la Constitution du 17 novembre 1991 qui institue un régime démocratique qui consacre la séparation des pouvoirs, garantit les libertés publiques et droits individuels et institue une cour constitutionnelle. Le gouvernement est placé sous le contrôle démocratique d'une assemblée élue pour quatre ans et l'indépendance de la justice est assurée par la création d'un conseil supérieur de la magistrature.

Afin d'assurer la conformité de la constitution aux critères fixés par les États membres de la Communauté européenne, le parlement nord-macédonien révise la constitution le 6 janvier 1992 en ajoutant une disposition à l'article 3 de la constitue qui précise que la Macédoine du Nord « n'a aucune revendication territoriale à l'égard des États voisins » et en tempérant la rédaction de l'article 49 qui dispose toujours que la Macédoine du Nord « veille à la situation et aux droits du peuple macédonien dans les États voisins » mais en précisant que la Macédoine du Nord « ne s'immiscera pas dans les affaires intérieures des autres États ».  

Le 11 janvier 1992 la commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie, présidée par Robert Badinter, rend un avis favorable6(*) à la reconnaissance de la Macédoine du Nord. Le nouvel État adhère à l'Organisation des Nations unies le 8 avril 1993 sous le nom « d'ancienne république yougoslave de Macédoine » (ARYM). La majorité des pays membres de la Communauté européenne reconnaissent alors l'indépendance de l'ARYM, dont la France qui rétablit les relations diplomatiques avec ce pays en décembre 1993.

La reconnaissance internationale de l'ARYM soulève toutefois une réaction diplomatique de la Grèce, qui refuse de reconnaître l'ARYM au motif que les nouvelles institutions constituent une menace d'irrédentisme au regard des 100 000 Grecs comprenant un dialecte slave au Nord du territoire grec. En effet, la Grèce estime en particulier que les références faites par le préambule de la constitution nord-macédonienne aux « traditions étatico-juridiques de la République de Krusevo » risquent de servir de prétexte à la remise en cause des frontières établies, la République de Krusevo, constituée en 1903, ayant eu pour projet politique la création d'une « Macédoine intégrale », c'est-à-dire recouvrant une région répartie par les traités de Bucarest de 1913 et de Neuilly en 1919 entre trois pays, la Grèce, la Bulgarie et la Yougoslavie, ayant pour capitale Thessalonique. La population grecque organise alors plusieurs manifestations d'opposants à la reconnaissance de l'ARYM dont une rassemblant 700 000 personnes à Thessalonique en février 1992 et une de plus d'un million de personnes à Athènes en décembre 1992.

L'opposition grecque à la reconnaissance de l'ARYM est renforcée par le rapprochement entre les autorités nord-macédoniennes et la Turquie, qui est le deuxième pays à reconnaître l'indépendance nord-macédonienne en février 1992 et le premier à ouvrir une ambassade à Skopje, et par le choix fait par l'ARYM d'adopter comme drapeau le soleil à seize rayons qui est symbole figurant sur des objets découverts dans les tombes royales macédoniennes découvertes à Vergina, sur le territoire de la Grèce.

La Grèce décide alors de fermer sa frontière avec l'ARYM le 16 février 1994 mais elle se trouve isolée au sein de la Communauté européenne comme l'illustre le recours engagé par la Commission européenne contre la Grèce auprès de la Cour de Luxembourg et le couloir routier et ferroviaire organisé dès le 18 février 1994 par l'Italie, l'Albanie, la Turquie et la Bulgarie pour contourner la fermeture de la frontière.

La Grèce s'engage en novembre 1994 dans des négociations avec l'ARYM avec la médiation des Nations unies. Ces négociations aboutissent, après que les États-Unis aient exercés une forte pression par l'intermédiaire du secrétaire d'État adjoint américain Richard Holbrooke, à la signature d'un accord de compromis entre la Grèce et l'ARYM le 13 septembre 1995. L'accord de compromis prévoit notamment l'établissement des relations diplomatiques entre Athènes et Skopje et l'engagement de la Grèce de ne pas s'opposer à l'adhésion de l'ARYM aux organisations internationales dont elle fait partie. L'accord précise que le préambule de la constitution nord-macédonienne ne saurait constituer une base de revendication territoriale. Enfin, la Grèce et l'ARYM engage des négociations relatives à l'adoption d'un nom de compromis pour le nouvel État et l'ARYM renonce à l'utilisation du soleil de Vergina sur son drapeau.

Les longues négociations internationales entre 1991 et 1995 et les guerres voisines en ex-Yougoslavie ont des conséquences défavorables sur l'économie nord-macédonienne qui connait une période de crise pendant les années 1990. En 1992, le taux d'inflation atteint 2 200% et le chômage atteint 20% des actifs nord-macédoniens (le taux de chômage atteint même 40% en 1996). Entre 1990 et 1995, le revenu par habitant passe de 2 200 dollars à seulement 700 dollars.

Au Monténégro, les premières élections libres organisées les 9 et 16 décembre 1990 se traduisent par une victoire de la Ligue communiste du Monténégro avec 56% des voix au premier tour et par l'élection à la présidence de Momir Bulatovic, proche de Milosevic.

Dans le courant des années 1990, une opposition politique croissante émerge au sein du Parti démocratique socialiste du Monténégro (DPS), parti majoritaire du président Bulatovic qui a succédé à la Ligue communiste du Monténégro. Face au président Bulatovic soutenu par les clans « blancs », qui ont soutenu le rattachement du Monténégro au royaume serbe en 1918, Milo Dukanovic, membre du DPS et premier ministre depuis 1991, défend une politique d'autonomisation du Monténégro et il est soutenu par les clans « verts », restés fidèles à la dynastie nationale des Petrovic Njegos.

L'opposition présidentielle d'octobre 1997, qui voit s'affronter les deux tendances du DPS, est remportée par Dukanovic qui soutient une politique de réforme économique et de normalisation de la politique internationale de la Yougoslavie. Lors des élections législatives d'avril 2001, le DPS et la président Dukanovic se rallient à une politique d'indépendance du Monténégro, qui est également soutenue par l'Alliance libérale et par les partis des minorités ethniques du Monténégro. Les résultats des élections législatives de 2001 sont partagés entre le DPS et ses alliés (42% des voix) et la coalition favorable au maintien de la fédération yougoslave (41% des voix). De surcroît, l'Union européenne s'oppose à l'organisation d'un référendum sur l'indépendance et elle organise une médiation coordonnée par le haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana qui aboutit à la conclusion le 14 mars 2002 d'un accord de compromis qui permet la proclamation le 4 février 2003 de la Communauté d'États de Serbie-et-Monténégro.

Cependant, Filip Vujanovic, ancien premier ministre du président Dukanovic, est élu président du Monténégro en mai 2003 dès le premier tour avec 64% des suffrages exprimés. Par le référendum du 21 mai 2006, qui atteint une participation de 87% et dont la sincérité est validée par l'OSCE, la population monténégrine se prononce à 55% en faveur de l'indépendance.

L'indépendance du Monténégro, proclamée par le parlement le 3 juin 2006, ne provoque pas d'affrontement armé et elle est reconnue aussi bien par l'Union européenne que par le Conseil de sécurité des Nations unies et par la Serbie.

B. LES PAYS DE LA PÉNINSULE BALKANIQUE DEMEURENT PROFONDÉMENT MARQUÉS PAR LES GUERRES DE SÉCESSION YOUGOSLAVES QUI SE SONT DÉROULÉES PENDANT LES ANNÉES 1990

1. Les accords dits « de Dayton », signés à Paris le 14 décembre 1995, ont permis de pacifier les territoires de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine où des combats armés se sont déroulés entre 1991 et 1995

À la date de la mort de Tito, le 4 mai 1980, la Yougoslavie dispose d'institutions fédérales dans le cadre desquelles le pouvoir est largement décentralisé entre les six républiques et les deux provinces autonomes yougoslaves (Voïvodine et Kosovo-Métochie) conformément à la constitution du 21 février 1974.

En mars 1989, Slobodan Milosevic devient président de la république serbe et engage une réforme ayant pour objet de limiter l'autonomie du Kosovo et de la Voïvodine. Dans ce contexte, les premières élections libres et pluralistes organisées dans les six républiques dans le courant de l'année 1990 aboutissent à des résultats différentiés.

En Serbie, les élections sont remportées par le parti socialiste serbe (SPS) et Milosevic est élu, pour la première fois au suffrage universel, président de la république dès le premier tour le 9 décembre 1990 avec 65% des suffrages exprimés.

En Slovénie, les élections des 8 et 22 avril 1990 se traduisent par une majorité pour la coalition d'opposition démocratique aux héritiers de l'ancien pouvoir communiste et le chrétien-démocrate Alojz Peterle est nommé premier ministre.

En Croatie, les élections des 22-23 avril et 6-7 mai 1990 aboutissent à l'élection d'une majorité absolue pour le parti nationaliste de l'union démocratique croate (HDZ) puis par l'élection par le parlement croate à la présidence de la république croate de l'ancien général yougoslave Franjo Tudjman.

En Bosnie-Herzégovine, à l'issue des élections du 12 novembre et 9 décembre 1990, le bosniaque musulman Alija Izetbegovic est élu président par une coalition qui réunit trois formations nationalistes respectivement croato-bosniaque, serbo-bosniaque et musulmane bosniaque.

La victoire des nationalistes dans toutes les républiques yougoslaves à l'issue du cycle électoral de 1990 se traduit par la dislocation de la fédération yougoslave dans le courant des années 1990 et 2000.

En premier lieu, la Slovénie proclame son indépendance le 25 juin 1991. Les forces armées yougoslaves interviennent militairement sur le territoire slovène à partir du 27 juin mais les combats cessent au mois de juillet 1991, au regard du fait que la Slovénie est un pays culturellement homogène qui n'accueille pas une importante minorité serbe.

En second lieu, la Croatie proclame son indépendance le 25 juin 1991, en même temps que la Slovénie. La Serbie s'engage alors dans un conflit armé avec la Croatie pour défendre les intérêts de la minorité serbe qui réside sur le territoire croate qui représente environ 600 000 personnes soit 12% de la population. Par surcroît, la population serbe n'est pas répartie de manière homogène sur le territoire : elle se concentre dans les krajinas (marches) et représente dans certaines régions 75% de la population. La guerre entre les forces serbes et croates dure de juillet 1991 à janvier 1992 et aboutit à l'occupation par la Serbie de l'équivalent de 30% du territoire croate. La stabilisation de la situation miliaire au début de l'année 1992 est assurée sous la supervision de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU), qui a reçu mandat7(*) du Conseil de sécurité des Nations unies pour créer les conditions de paix et de sécurité nécessaire à un règlement diplomatique du conflit.

En troisième lieu, en Bosnie-Herzégovine, un référendum sur l'indépendance est organisé sur l'indépendance le 1er mars 1992 en dépit de l'opposition de la communauté serbe qui boycotte le scrutin qui aboutit à une victoire du « oui » à l'indépendance par 98% des voix exprimées, l'abstention atteignant 37%.

La minorité bosno-serbe, qui représente 31% de la population bosniaque, refuse de reconnaitre l'indépendance et elle est soutenue par l'armée serbe qui s'engage dans une guerre entre avril 1992 et novembre 1995 contre les forces bosniaques non-serbes. Parallèlement, pendant les années 1993 et 1994, les combats en Bosnie-Herzégovine sont aggravés par des affrontements croato-bosniaques liés à la volonté de la Croatie de s'approprier une partie du territoire bosniaque.

Cette phase de guerre dans la péninsule balkanique est en outre marquée par de nombreuses exactions et violences interethniques ayant pour objet d'aboutir à un « nettoyage ethnique » des régions conquises en procédant à des tueries, des expulsions de population et des viols collectifs. La guerre serbo-bosniaque entre 1992 et 1995 se traduit à ce titre par 2 à 3 millions de personnes déplacées.

L'accession de Bill Clinton à la présidence des États-Unis en 1993 va accélérer le règlement des conflits yougoslaves. En août 1995, les forces armées croates reconquièrent en quatre jours, avec le soutien des États-Unis, les territoires occupés par la Serbie depuis 1992. Pour mettre fin au conflit en Bosnie-Herzégovine, et pour assurer la sécurité des zones protégées exigée par le Conseil de sécurité des Nations unies8(*), l'OTAN engage une campagne de frappes aériennes du 29 août au 14 septembre 1995, l'opération Deliberate Force, contre les forces bosno-serbes ce qui aboutit à la signature d'un cessez-le-feu le 5 octobre 1995. Le secrétaire d'État américain adjoint Richard Holbrooke engage alors le 1er novembre 1995 une négociation entre les différentes parties9(*) sur la base militaire de Dayton qui aboutissent à des accords conclus le 21 novembre 1995 et signé à Paris le 14 décembre 1995.

Les accords de Dayton, qui permettent de pacifier la péninsule balkanique, prévoient le rétablissement des frontières de la Croatie et consacre l'existence d'un État autonome en Bosnie-Herzégovine, dont la division en deux entités est placée sous le contrôle des Nations unies.

2. Les Balkans ont connu un nouveau conflit armé en 1999 avec la guerre du Kosovo

En réaction à la limitation de son autonomie au sein de la Yougoslavie à partir de 1989, le Kosovo, province serbe majoritairement peuplés d'albanophones, revendique de manière croissante son indépendance dans le courant des années 1990.

Du 26 au 30 septembre 1991, le référendum clandestin sur l'indépendance du Kosovo résulte en une victoire revendiquée des partisans de l'indépendance. L'année suivante, les albanophones du Kosovo boycottent largement les élections fédérales yougoslaves du printemps 1992 et organise des élections parallèles le 24 mai 1992 à l'issues desquelles la majorité parlementaire est détenue par la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), dont l'un des fondateurs, l'universitaire Ibrahim Rugova, est élu président de la république.

En réponse au régime administratif discriminatoire institué par la Serbie qui exclut les albanophones du Kosovo des postes de responsabilité, le LDK institue une « société parallèle » au Kosovo financé par un impôt volontaire, les contributions de la diaspora et l'aide internationale. Pour l'instruction, les professeurs albanophones évincés du système contrôlé par les Serbes créent un système concurrent où sont scolarisés 266 000 élèves du primaire en 1998.

Alors que la question du Kosovo n'est pas abordée dans le cadre des négociations de Dayton, en 1996, les dirigeants serbes et kosovars acceptent, sans qu'elle aboutisse, la mise en place d'une médiation de la Communauté Sant'Egidio ayant pour objet la réunification du système d'enseignement.

Par surcroît, dans la communauté albanophone du Kosovo, la légitimité de Rugova est affaiblie par l'émergence du groupe armé de « l'Armée nationale du Kosovo » (UÇK) qui revendique à partir de 1996 des attentats, dirigés notamment contre les albanophones travaillant avec les autorités serbes. L'UÇK est en outre renforcée par le pillage des arsenaux albanais en mars 1997 qui met en circulation 200 000 armes dans la région et par les liens qu'il entretien avec des organisations de trafic d'armes, de cigarettes et d'héroïne.

Pendant l'année 1998, le mouvement de guérilla des albanophones du Kosovo prend le contrôle d'un tiers du Kosovo avant que les forces armées yougoslaves ne soient engagées pour reprendre le contrôle du territoire. Cet engagement militaire yougoslave, qui s'appuie largement sur des groupes paramilitaires dont la milice des Tigres d'Arkan, provoque le déplacement de plus de 200 000 albanophones du Kosovo.

Une conférence de négociations est organisée en février 1999 à Rambouillet en présence des représentants de la Serbie, de l'UÇK et de la LDK mais elle ne permet pas d'aboutir à un règlement pacifique de la situation.

L'OTAN engage alors, sans mandat international étant donné l'opposition de la Chine et de la Russie, une campagne de frappes aériennes contre les forces armées serbes qui couvrent l'ensemble du territoire Serbe et une partie du Monténégro, l'opération Allied Force qui se déroule du 24 mars au 9 juin 1999. L'armée américaine fournit 70% des avions engagés dans l'opération, 80% des personnels et 90% des munitions. L'organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch estime le nombre de victimes des frappes à 500. Simultanément, les forces serbes intensifient la répression exercée au Kosovo contre les albanophones et provoquent l'expulsions de 800 000 albanophones du Kosovo, soit environ 50% de l'ensemble des albanophones présents dans la province.

Après la signature du cessez-le-feu du 9 juin 1999 à Kumanovo, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte le 10 juin 1999 une résolution10(*) qui prévoit la création d'un contrôle international civil assuré par l'ONU au Kosovo et la création d'une force militaire, la Kosovo Force (KFOR), comprenant « une participation substantielle » de l'OTAN.

Si la résolution du 10 juin 1999 ne permet pas de régler les problèmes politiques subsistants soulevés par la dislocation de la Yougoslavie, elle marque une période de pacification durable des Balkans après les guerres des années 1990.

Les guerres de sécession yougoslaves constituent un choc durable pour les pays de la péninsule balkanique sur les plans humains et économiques. Le nombre de victimes globales des guerres successives est estimé entre 150 000 et 200 000, principalement au cours de la guerre de Bosnie, dont au moins 40% de victimes civiles. Parallèlement aux victimes directes des guerres successives, les combats ont provoqués des mouvements très importants de déplacement de population. En Bosnie-Herzégovine, on estime que le nombre de personnes déplacées atteint 2,2 millions, dont 1 million de déplacés à l'intérieur du territoire du pays.

Sur le plan économique, les combats et les sanctions internationales ont concouru à l'appauvrissement des anciennes républiques yougoslaves et à l'affaiblissement de leur appareil productif. Les guerres provoquent une inflation non-contrôlée qui atteint 300 000 000% en 1993. La même année la production recule de 40% et la Yougoslavie connait des problèmes de pénuries alimentaires.

Le lourd bilan humain et économique des guerres des années 1990 est un facteur déterminant de l'évolution de la péninsule balkanique depuis le début des années 2000.

3. La perception de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique dans les Balkans depuis le début du XXIe siècle a été influencée par les interventions contrastées de ces deux organisations dans les guerres de sécession yougoslaves

L'incapacité de l'Union européenne à pacifier la situation dans les Balkans au début des années 1990 a eu des conséquences de long terme sur la crédibilité de l'Union dans la région. En premier lieu, alors que les États membres des communautés européennes affichent, depuis la création en octobre 1970 de la coopération politique européenne (CPE), leur volonté d'adopter une stratégie commune en matière de politique extérieure, la crise des Balkans, qui constituent l'une des principales crises géopolitiques en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, illustre la persistance des divergences d'analyse et d'action entre les diplomaties des différents pays européens.

Après le déclenchement des premières guerres de sécession en Slovénie et en Croatie, les ministres de la Communauté européenne parviennent à adopter à l'unanimité le 16 décembre 1991 des critères au respect desquels est subordonnée « la reconnaissance de nouveaux États en Europe orientale »11(*). Pour apprécier le respect par les anciennes républiques yougoslaves des lignes directrices arrêtées en commun, il est prévu que les nouveaux États doivent saisir pour avis de leur demande de reconnaissance, avant le 23 décembre 1991, la commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie présidée par le président du Conseil constitutionnel français Robert Badinter12(*).

Cependant, le 23 décembre 1991, sept jours après l'adoption des lignes directrices européennes et avant que la commission d'arbitrage ait pu rendre ses avis, l'Allemagne fait le choix de reconnaître unilatéralement l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Ce précédent est aggravé en 1992 par le refus de la Grèce de reconnaître la Macédoine du Nord en dépit de l'avis positif rendu par la commission d'arbitrage. Le défaut d'unité de la Communauté européenne se manifeste donc pendant le déroulement des guerres de sécession yougoslave et affaiblit la capacité d'influence collective des pays européens.

Parallèlement, alors que le Royaume-Uni s'est opposé à une intervention militaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) proposée par la France et l'Allemagne, la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie13(*) réunit le 7 septembre sous la présidence de Lord Carrington, ancien secrétaire britannique au Foreign Office, ne permet pas d'aboutir à un règlement pacifique de la situation et à l'arrêt des combats. L'absence d'efficacité des médiations diplomatiques organisées par l'Union européenne renforce par contraste l'image d'efficacité de l'intervention diplomatique et militaire des États-Unis et de l'OTAN à partir de 1995.

L'implication directe et intensive de la diplomatie américaine à partir de 1994 va accélérer la cessation des combats et la signature d'un accord de paix. Les États-Unis obtiennent dans un premier temps la cessation des combats entre les forces bosno-croates et les forces bosno-musulmanes par l'accord de Washington du 1er mars 1994 qui prévoit la création d'une fédération croato-musulmane de Bosnie-Herzégovine.

L'opération de l'OTAN Deliberate Force, menée pendant l'été 1995, permet en outre aux États-Unis et à leur secrétaire d'État adjoint Richard Holbrooke d'imposer une négociation entre les parties en présence sur la base militaire américaine de Dayton qui aboutit à la signature des accords de paix de Paris du 14 décembre 1995.

Enfin, si les interventions militaires de l'OTAN dans les Balkans pendant les années 1990 ont renforcés la crédibilité de l'Alliance atlantique au regard des pays de la zone, les bombardements aériens sur les territoires serbes et monténégrins pendant l'opération Allied Force entre mars et juin 1999 constituent un facteur de dégradation durable de l'image l'OTAN dans l'opinion publique serbe, mais également roumaine, bulgare et grecque. Ainsi à l'occasion de commémorations organisées en mars 2019 vingt ans après le déclenchement des bombardements, le président serbe Vucic a déclaré publiquement que l'opération serait « toujours considérée comme un crime » par la Serbie.

II. PLUS DE VINGT ANS APRÈS LEUR PACIFICATION, LE PROCESSUS D'INTÉGRATION DES BALKANS OCCIDENTAUX À L'UNION EUROPÉENNE ET À L'ALLIANCE ATLANTIQUE N'EST PAS ACHEVÉ

A. LA LENTEUR DU PROCESSUS D'ÉLARGISSEMENT DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX PORTE ATTEINTE À LA CRÉDIBILITÉ DE LA PERSPECTIVE EUROPÉENNE DES BALKANS OCCIDENTAUX CONSACRÉE AU DÉBUT DES ANNÉES 2000

1. L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne en 2013, intervenue après celle de la Slovénie en 2004, a démontré la capacité de l'Union européenne à intégrer d'anciennes républiques yougoslaves

La dissolution du Pacte de Varsovie en juillet 1991 puis la dislocation de l'Union soviétique en décembre 1991 ont entrainé une nouvelle phase dans l'élargissement de l'Union européenne à l'Est du continent.

La Slovénie, ancienne république yougoslave située géographiquement à l'ouest de la péninsule balkanique, a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne dès le 10 juin 1996, avant la fin des guerres de sécessions yougoslaves des années 1990.

Les réformes engagées par la Slovénie pour respecter les critères dits de Copenhague, relatifs à l'intégration de nouveaux pays à l'Union européenne, permettent à la Slovénie d'être associée au cinquième élargissement de l'Union, conformément aux conclusions du Conseil européen de Copenhague de décembre 2002, en même temps que neuf autres pays majoritairement situés en Europe centrale et orientale dont l'adhésion devient effective le 1er mai 200414(*). En Slovénie, le référendum organisé sur l'adhésion consacre le soutient à l'intégration à l'Union européen et à l'OTAN à hauteur de 90% des suffrages exprimés.

Depuis son adhésion en 2004, la Slovénie a renforcé son intégration au sein de l'Union et elle est membre depuis 2007 de la zone euro et de l'espace Schengen.

En 2007, l'Union européenne s'élargit à la Roumanie et à la Bulgarie qui, sans constituer d'anciennes républiques yougoslaves, ont des liens importants avec pays des Balkans occidentaux du fait de leur proximité géographique immédiate avec cette zone.

Parallèlement à cette intégration rapide de la Slovénie, l'Union européenne engage un long processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux désigné par le Conseil européenne de Cologne des 3 et 4 juin 1999 comme processus de stabilisation et d'association (PSA). Le terme de « Balkans occidentaux », utilisé par les institutions de l'Union européenne à partir de 199815(*), recouvre six pays de la zone : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie. La Croatie, initialement intégré au groupe des Balkans occidentaux par l'Union européenne, n'y figure plus depuis son accession au statut d'État membre de l'Union européenne en 2013.

Le Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000 constitue une étape marquante pour le processus d'adhésion avec la consécration à l'unanimité des États membres de l'Union du statut de « candidat potentiel à l'adhésion »16(*) pour les pays des Balkans occidentaux.

Cet engagement est réaffirmé à l'occasion du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 dont les conclusions consacrent à nouveau à l'unanimité des pays membres la « perspective européenne des pays des Balkans occidentaux »17(*).

Source : Toute l'Europe (c)

L'Union européenne engage alors avec chacun des pays des Balkans occidentaux un dialogue relatif aux relations bilatérales et à la perspective d'adhésion. Le processus d'intégration à l'Union est placé dès l'origine dans une double conditionnalité, l'Union européenne ajoutant aux critères dits de Copenhague la nécessité pour les États candidats des Balkans occidentaux de coopérer avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), la coopération régionale et la résolution des différends entre les pays des Balkans occidentaux.

Les pays de la zone négocient alors des accords de stabilisation et d'association (ASA) qui entrent tous en vigueur entre 2001 et 2016 : l'accord avec la Macédoine du Nord entrée en vigueur en 2004 a été suivi par les entrées en vigueur des accords avec la Croatie (2005), l'Albanie (2006), le Monténégro (2010), la Serbie (2013), la Bosnie-Herzégovine (2015) et enfin le Kosovo (2016).

Le délai important avant l'entrée en vigueur de l'ensemble de ces accords de stabilisation et d'association (ASA) est notamment lié à des situations de blocages locaux vis-à-vis des conditions posées par l'Union européenne dont notamment la pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour la Serbie ou la conformité de la loi électorale au principe de non-discrimination dans le cas de la Bosnie-Herzégovine. Dans le cas du Kosovo, l'accord de stabilisation et d'association se limite aux matières en dehors du champ de compétence des États membres pour permettre une ratification par le seul Parlement européen, cinq États membres de l'Union ne reconnaissant par l'indépendance du Kosovo18(*).

La Croatie est le pays de la péninsule balkanique dans lequel le processus de stabilisation et d'association a permis d'aboutir en premier à une pleine intégration à l'Union européenne.

En effet, la Croatie a déposé sa candidature à l'adhésion le 21 mars 2003. Après que le Conseil européen lui a accordé le statut de pays candidat le 18 juin 200419(*), les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 3 octobre 2005. Elles se sont achevées par la signature d'un traité d'adhésion le 9 décembre 2011. Après un référendum organisé en janvier 2012 par lequel les citoyens croates se sont prononcé en faveur de l'adhésion à hauteur de 67%, malgré une participation de seulement 44%20(*), la Croatie est devenue membre de l'Union européenne le 1er juillet 2013, soit un peu plus de dix ans après le dépôt de sa candidature.

2. La politique d'élargissement poursuivie par l'Union européenne n'a permis aucune nouvelle adhésion des pays des Balkans occidentaux depuis 2013

Dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA) engagé par l'Union européenne, les différents accords de stabilisation et d'association (ASA) négociés par l'Union constituent des accords de libre-échange (ALE) qui octroient un accès préférentiel au marché intérieur de l'Union européenne pour les pays des Balkans occidentaux.

Cette libéralisation du commerce vers et depuis les Balkans occidentaux s'est traduit par un renforcement des liens commerciaux entre les États membres et les pays des Balkans occidentaux : les exportations des Balkans occidentaux vers l'Union ont augmenté de 89% entre 2007 et 2016 tandis que les importations dans les Balkans occidentaux depuis l'Union ont augmenté de 42% pendant la même période.

Pour favoriser l'intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'Union, les États membres ont également accordé un régime d'exemption de visa21(*) dans un premier temps à la Macédoine du Nord, au Monténégro et à la Serbie en 2009, puis à l'Albanie et à la Bosnie-Herzégovine en 2010.

Parallèlement à cette stratégie de libéralisation des flux de marchandises et de personnes entre les États membres et la péninsule balkanique, le processus de stabilisation et d'association (PSA) s'est également traduit par d'importants transferts financiers depuis l'Union européenne vers les Balkans occidentaux.

Les premières aides financières sont versées après les guerres de sécessions balkaniques à la fin des années 1990 avec le programme « Obnova » lancé en juillet 1996 qui permet un transfert de 400 M€ entre 1996 et 2000 consacrés à la reconstruction des pays de la zone.

La structuration de l'aide financière de l'Union européenne vers la Balkans occidentaux intervient avec le programme d'assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilité (Community Assistance for Reconstruction, Development and Stability ou CARDS) qui permet un transfert de 4,7 Md€ entre 2000 et 2006.

Le programme CARDS est remplacé à partir de 2007 par un nouvel instrument financier, l'instrument de préadhésion (IAP) qui est doté de 4,5 Md€ d'aide bilatérale entre 2007 et 2013 (IAP I) dans le périmètre des Balkans occidentaux.

Aides financières versées par l'instrument de préadhésion (IPA I) 2007-2013

Source : Commission européenne

Malgré le déploiement du processus de stabilisation et d'association (PSA) par l'Union européenne, la stratégie d'élargissement de l'Union européenne dans les Balkans rencontre des blocages persistants liés notamment à la difficulté d'établir des relations de bons voisinage entre les pays de la zone, et ce malgré la médiation active de l'Union européenne pour régler par la négociation les différends qui régionaux persistants.

À titre d'exemple, la procédure d'adhésion de la Macédoine du Nord est considérablement ralentie par son différend avec la Grèce relatif à la détermination de la dénomination du pays. Alors que la Commission européenne a proposé l'ouverture des négociations d'adhésion dès 2005, le processus est suspendu jusqu'à la conclusion le 17 juin 2018 de l'accord de Prespa entre les premiers ministres Tsipras et Zaev qui consacre l'appellation de Macédoine du Nord.

À l'Ouest de la péninsule, la célébration par le premier ministre albanais Sali Berisha de la « grande Albanie » à l'occasion du centenaire de l'indépendance de l'Albanie en 201222(*) et les déclarations du premier ministre albanais Edi Rama évoquant en juin 2016 affirmant que l'Albanie et le Kosovo sont « un seul pays, un seul peuple » sont un facteur de maintien de la tensions et des rivalités bilatérales en opposition avec la condition d'établissement de relations de bon voisinage posée par les institutions européennes dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA).

C'est dans ce contexte que l'Allemagne a favorisé un réengagement de l'Union européenne dans les Balkans par le « processus de Berlin », initié par l'organisation le 28 août 2014 de la conférence de Berlin entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux.

Le sommet de Berlin consacre l'engagement des pays des Balkans à favoriser la coopération régionale en s'appuyant sur des projets concrets notamment dans le domaine des transports et de l'énergie. Le sommet de Vienne organisé en août 2015 consacre la mise en place d'un « agenda connectivité » dans les Balkans occidentaux.

Ce nouvel axe de la stratégie européenne dans les Balkans occidentaux est consacré par le sommet de Trieste du 12 juillet 2017 qui fixe une liste de 20 projets prioritaires dans le cadre de « l'agenda connectivité » pour un montant d'investissement total de 1,4 Md€. Il permet également la signature du traité de la communauté des transports qui prévoit la reprise par les pays des Balkans de l'acquis communautaire dans ce domaine.

Le réengagement de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux s'appuie également sur la poursuite de l'aide financière avec la phase II (2014-2020) de l'instrument de préadhésion (IPA) qui prévoit des transferts financiers bilatéraux de 3,7 Md€ vers les pays de la zone. Depuis 2021, le financement s'effectue par l'intermédiaire de la phase III (2021-2027) de l'instrument de préadhésion (IPA) qui prévoit des transferts de 9 Md€ de subventions au bénéfice des six pays des Balkans occidentaux.

L'engagement logistique et financier de l'Union européenne auprès des pays des Balkans occidentaux s'est traduit par une forte mobilisation des États membres pour soutenir les pays de la zone au moment de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 à partir du premier trimestre 2020.

L'Union européenne a procédé à de nombreuses livraison de matériels au soutien des pays des Balkans dans l'année qui a suivi le déclenchement de la crise sanitaire dont notamment 716 000 tests ; 2 M de pièces de matériel de protection ; 375 ventilateurs ou encore 160 pièces de matériel de diagnostic.

Les aides versées par l'Union européenne aux pays des Balkans occidentaux dans le cadre de la crise sanitaire se sont traduite par un transfert financier de 3,3 Md€ au bénéfice des pays de la zone.

Exemple de matériel livré par l'Union européenne aux pays des Balkans pendant la crise sanitaire (2020-2021)

Source : www.consilium.europa.eu

Cependant, malgré l'engagement important de l'Union européenne dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA), la lenteur du processus d'élargissement dans les Balkans se traduit par l'apparition d'une forme de découragement des populations concernées qui se traduit par un recul du soutien population à l'intégration à l'Union européenne. Selon un sondage réalisé avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, seulement 27% de la population serbe déclarait avoir une opinion positive de l'Union européenne23(*).

3. Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 s'est traduit par une accélération du processus d'adhésion concrétisée par l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord en juillet 2022

L'agression de la Russie contre l'Ukraine le 24 février 2022 et le conflit de haute intensité à l'Est du continent européen ont eu pour effet d'accélérer la prise de décision de l'Union européenne en matière d'élargissement, ce qui a également eu des conséquences dans les Balkans occidentaux.

En effet, le Conseil européen a accordé dès le 24 juin 2022 le statut de candidat à l'Ukraine, qui avait déposé sa demande officielle de candidature moins de quatre mois auparavant, le 28 février 2022.

Plus largement, le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 a consacré la détermination de l'Union européenne en matière d'élargissement en accordant le statut de candidat à la Moldavie24(*), en consacrant la « perspective européenne » de la Géorgie25(*), ce qui constitue une décision inédite pour un pays situé dans le Caucase, et en consacrant l'objectif « d'accélération du processus d'adhésion » dans les Balkans occidentaux26(*).

Cette orientation affirmée par le Conseil européen a eu des conséquences concrètes à l'été 2022 avec l'ouverture simultanée le 19 juillet 2022 des négociations d'adhésion avec l'Albanie et avec la Macédoine du Nord.

Cette ouverture, longtemps ralentie par l'opposition de la Grèce puis de la Bulgarie, a été permise grâce au compris entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord proposé à la fin du premier semestre 2022 par la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE).

La fin de l'année 2022 a également été marquée par deux avancées dans l'intégration des Balkans à l'Union. En premier lieu, le Conseil européen a octroyé le 15 décembre 2022 le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine27(*). En second lieu, le Kosovo a officiellement déposé sa candidature le 15 décembre 2022. La veille, le 14 décembre 2022, le Conseil de l'Union et le Parlement européen sont parvenus à un accord sur l'octroi au Kosovo d'un régime d'exemption de visa au plus tard le 1er janvier 2024.

Parallèlement, l'Union européenne a réaffirmé son soutien aux pays des Balkans occidentaux pour faire face à la crise économique, énergétique et alimentaire provoquée par l'agression russe de l'Ukraine.

Le 6 décembre 2022, le sommet UE-Balkans occidentaux a été organisé pour la première fois dans un pays de la péninsule balkanique, dans la capitale albanaise à Tirana.

Dans la « déclaration de Tirana » adoptée à l'occasion du sommet, les États membres « confirme une nouvelle fois leur attachement total et sans équivoque à la perspective de l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne et appellent à accélérer le processus d'adhésion »28(*).

Le sommet consacre également un renforcement de l'aide financière de l'Union à destination des pays des Balkans pour répondre aux conséquences économiques de l'agression russe en Ukraine. La déclaration prévoit en particulier l'adoption d'un nouveau train de mesures d'investissement, d'un nouveau train de mesures d'aide en matière énergétique et rappelle la décision de l'Union d'ouvrir aux pays des Balkans les achats commun de gaz et d'hydrogène de l'Union.

Sommet UE-Balkans occidentaux du 6 décembre 2022

Source : www.consilium.europa.eu

B. DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000, L'ALLIANCE ATLANTIQUE A INTÉGRÉ PLUSIEURS PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX SELON UN RYTHME PLUS RÉGULIER ET PLUS RAPIDE QUE L'UNION

1. L'Albanie, le Monténégro puis la Macédoine du Nord ont intégré l'OTAN entre 2009 et 2020

Après la dissolution du Pacte de Varsovie le 1er juillet 1991 et la fin de la guerre froide, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) développe à partir de la fin des années 1990 une politique d'élargissement de l'Alliance qui concerne principalement l'Europe centrale et orientale et les Balkans.

Lors de l'élargissement de mars 2004, à l'occasion duquel sept nouveaux pays29(*) rejoignent l'Alliance atlantique dont pour la première fois d'anciennes républiques soviétiques, la Slovénie devient la première ancienne république yougoslave à rejoindre l'OTAN. La péninsule balkanique devient ensuite la principale région d'élargissement de l'Alliance atlantique.

En premier lieu, l'Albanie rejoint dès 1994 le Partenariat pour la paix (PPP) de l'OTAN dans le cadre duquel elle participera à de nombreux exercices en commun avec les forces armées d'autres pays de l'Alliance30(*). En avril 1999, l'Albanie rejoint le plan d'action pour l'adhésion (Membership Action Plan ou MAP) créé à l'occasion du sommet de Washington.

Durant les années 2000, l'armée albanaise intensifie sa coopération avec les membres de l'OTAN en participant à partir de 2003 à la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) de l'OTAN en Afghanistan31(*) et en accueillant à partir de 2002 un quartier général militaire régional, le quartier général de l'OTAN à Tirana, intégré aux structures de la KFOR.

L'Albanie engage en avril 2008 ses négociations d'adhésion avec l'Alliance atlantique et signe son protocole d'adhésion le 9 juillet 2008. L'Albanie intègre finalement l'Alliance atlantique à compter du 1er avril 2009, à la même date que la Croatie.

En deuxième lieu, le Monténégro a adhéré au Partenariat pour la paix (PPP) de l'OTAN dès le mois de décembre 2006, quelques mois après la déclaration d'indépendance du pays.

Le processus d'intégration du Monténégro à l'Alliance atlantique a ensuite été formalisé dans le cadre du plan d'action d'adhésion (MAP) que le Monténégro a rejoint en 2010. Le Monténégro s'est parallèlement engagé en février 2010 auprès des troupes de l'OTAN a sein de la FIAS en Afghanistan.

En décembre 2015, les Alliés ont engagé les négociations sur l'adhésion du Monténégro en soulignant l'importance que le Monténégro poursuive son programme de réforme notamment en matière d'État de droit.

Après que son protocole d'adhésion a été signé en mai 2016, le Monténégro est devenu membre de l'OTAN à compter du 5 juin 2017, huit ans après la précédente vague d'adhésion de 2009 (Albanie et Croatie).

Enfin en troisième lieu, la Macédoine du Nord est le pays des Balkans occidentaux qui a intégré le plus récemment l'OTAN.

La Macédoine du Nord avait pourtant adhéré au Partenariat pour a paix (PPP) de l'OTAN dès 1995 et avait intégré le plan d'action d'adhésion (MAP) dès sa création en 1999.

Malgré la participation de la Macédoine du Nord à la FIAS en Afghanistan entre 2002 et 2014, l'ouverture des négociations d'adhésion de la Macédoine du Nord était suspendue à la résolution du différend sur la dénomination du pays, eu égard à l'opposition de la Grèce à toute approfondissement du partenariat avant la résolution de cette question.

Le règlement de ce différend par l'accord de Prespa en 2018 entre la Grèce et la Macédoine du Nord a permis d'ouvrir les négociations d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'OTAN dès l'été 2018.

Le protocole d'adhésion de la Macédoine du Nord a ensuite été signé le 6 février 2019 et la Macédoine du Nord, a intégré l'OTAN le 27 mars 2020.

Si le cas de la Macédoine du Nord témoigne du fait que les négociations d'adhésion à l'Alliance atlantique, qui requiert l'unanimité des membres32(*), peuvent soulever des oppositions, le processus d'intégration à l'OTAN est plus souple que celui d'intégration à l'Union européen.

L'élargissement de l'OTAN dans les Balkans occidentaux a été progressif depuis les années 2000 et l'Alliance atlantique a été rejointe par trois pays des Balkans occidentaux, auxquels s'ajoute la Croatie qui est depuis 2013 également membre de l'Union européenne.

2. La poursuite de l'élargissement de l'OTAN dans les Balkans occidentaux se heurte au blocage du processus d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine, à la neutralité revendiquée par la Serbie et à l'absence de consensus du Kosovo

L'intervention militaire de l'OTAN en Serbie en 1999 à l'occasion de l'opération Allied Force place la Serbie dans une position spécifique vis-à-vis de l'Alliance atlantique. La Serbie affirme à ce titre être attachée au principe de neutralité de sa politique extérieure en application duquel elle ne souhaite pas adhérer à l'OTAN.

Cette position a été réaffirmée en février 2023 par le président Aleksandar Vucic qui a déclaré publiquement que son pays souhaitait intégrer l'Union européenne mais pas l'OTAN et qu'il existait une différence importante entre l'intégration européenne et l'intégration atlantique.

Nonobstant, la Serbie coopère avec les institutions de l'OTAN depuis les années 2000 et elle a rejoint en 2006 le Partenariat pour la paix (PPP) de l'Alliance atlantique.

Depuis 2014, la Serbie participe à l'initiative pour l'interopérabilité avec les partenaires de l'OTAN et elle accueille le centre de formation aux incidents chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires de Krisevac qui est devenu en 2013 un centre de formation reconnu par l'OTAN.

La volonté de la diplomatie serbe de différentier l'intégration européenne et l'intégration atlantique des Balkans occidentaux a également une incidence sur les relations entre l'Alliance atlantique et la Bosnie-Herzégovine dans la mesure où la République serbe de Bosnie (RS) est opposée à l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l'OTAN. En 2017, cette opposition a été formalisée par l'adoption d'une résolution du parlement de la République serbe de Bosnie (RS) qui consacre sa neutralité militaire.

Cependant, la Bosnie-Herzégovine continue d'entretenir des liens avec l'Alliance atlantique dont elle a rejoint en 2006 le Partenariat pour la paix (PPP) et en 2010 le plan d'action pour l'adhésion (MAP).

La Bosnie-Herzégovine, qui a participé à partir de 2009 à la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) de l'OTAN en Afghanistan, continue d'accueillir à Sarajevo un quartier général militaire qui fournit un soutien logistique à la force de l'Union européenne présente en Bosnie-Herzégovine.

Enfin, les relations entre l'Alliance atlantique et le Kosovo sont complexifiées par le fait que quatre33(*) pays membres de l'OTAN ne connaissent pas l'indépendance du Kosovo.

Dans ces conditions, et malgré la présence au Kosovo de troupes de l'OTAN à travers la Force pour le Kosovo (KFOR), le Kosovo ne peut pas engager le processus d'adhésion à l'Alliance atlantique.

III. LES SIX PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX SE TROUVENT DANS DES SITUATIONS CONTRASTÉES AU REGARD DE LEUR INTÉGRATION EUROPÉENNE ET DE LEUR CONJONCTURE ÉCONOMIQUE, SOCIALE ET POLITIQUE

A. ALBANIE

À l'issue des élections législatives du 25 avril 2021, le premier ministre albanais Edi Rama, membre du parti socialiste, est devenu le premier dirigeant à être réélu pour un troisième mandat depuis 1991 et la mise en place d'un régime démocratique en Albanie. Le gouvernement d'Edi Rama, qui se situe dans le prolongement de ses deux premiers mandats débutés respectivement en 2013 et 2017, s'est fixé comme priorité l'accélération de l'intégration de l'Albanie à l'Union européenne.

Si la réélection d'Edi Rama consacre la stabilisation politique de l'Albanie, le bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDH) de l'Organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE) a relevé que le parti au pouvoir avait tiré des avantages significatifs de sa position dans le cadre de la campagne électorale34(*).

En matière de politique étrangère, l'Albanie est pleinement alignée sur les positions prises par l'Union européenne dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, y compris dans le domaine des sanctions prises contre la Russie à partir de février 2022 en réponse au déclenchement de la guerre en Ukraine. Après avoir présidé en 2020 l'Organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE), l'Albanie a débuté le 1er janvier 2022 pour la première fois de son Histoire un mandant de deux ans comme membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

En matière économique, la conjoncture a été durablement atteinte par la double crise constituée en premier lieu par le séisme survenu en novembre 2019 et en second lieu par le déclenchement de l'épidémie de covid-19. Malgré la reprise de la croissance avec 7,8% en 2021, cette reprise est fragile et le taux de chômage demeure à un niveau élevé (11% en 2021) dans un pays de 2,8 millions d'habitants.

Source : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

L'Albanie est devenue le 1er avril 2009 l'un des deux premiers pays des Balkans occidentaux, avec la Croatie, a intégré l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

L'Albanie a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne le 24 avril 2009. Elle a obtenu le statut de candidat en juin 2014. Plusieurs fois retardées, les négociations d'adhésion ont été ouvertes par une conférence intergouvernementale qui s'est tenue le 19 juillet 2022.

B. BOSNIE-HERZÉGOVINE

Le mandat de l'ensemble des autorités politiques de Bosnie-Herzégovine, à l'exception des municipalités, a été renouvelé à l'occasion des élections générales organisées le 2 octobre 2022. Le bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDH) de l'Organisation de sécurité et de coopération en Europe (OSCE) a estimé que ces élections avaient été gérées « de manière globalement efficace et transparente » par les pouvoirs publics, en relevant néanmoins que l'absence de débat public et la couverture médiatique biaisée de la campagne avait réduit la possibilité pour les électeurs de faire un choix éclairé35(*).

Les élections d'octobre 2022 n'ont pas apporté de changement fondamental aux équilibres politiques intérieurs en Bosnie-Herzégovine, qui reste dominé par les partis ethno-nationalistes malgré l'accession à la présidence collégiale pour la première fois de deux membres de partis civiques, avec la désignation de Denis Becirovic pour la communauté bosniaque et de Zeljko Komsic pour la communauté bosno-croate. Au niveau de l'État central, un gouvernement a été formé dès le mois de janvier 2023 sur le fondement d'un accord de coalition passé le 15 décembre 2022 entre le parti ethno-nationaliste bosno-serbe (SNSD), le parti ethno-nationaliste bosno-croate (HDZ) et un groupe de huit partis civiques bosniaque, en excluant de cette coalition le parti ethno-nationaliste bosniaque (SDA). La coalition a fixé comme objectif prioritaire l'accélération de l'intégration de la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne.

En matière de politique extérieure, l'action de la Bosnie-Herzégovine est entravée par son système institutionnel et en particulier par le pouvoir de blocage de la communauté bosno-serbe. La nécessité de trouver un consensus pour que l'État central prenne position en matière internationale explique la non-reconnaissance par la Bosnie-Herzégovine de l'indépendance du Kosovo ainsi que les difficultés de mises en oeuvre des sanctions de l'Union européenne contre la Russie adoptées après le déclenchement de la guerre en Ukraine, et ce malgré l'association de la Bosnie-Herzégovine aux déclarations condamnant la Russie et son alignement en matière de vote des résolutions condamnant l'agression à l'Assemblée générale des Nations unies.

En matière économique, la Bosnie-Herzégovine, qui compte 3,5 millions d'habitants, demeure un pays faiblement industrialisé, ce secteur représentant 24% du PIB, et dont l'activité est ralentie par la complexité du système institutionnel et le maintien d'un niveau important de corruption, le pays se trouvant au 111e rang du classement de perception de la corruption établi par Transparency International.

Par contraste avec le consensus national relatif à l'adhésion à l'Union européenne, l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l'OTAN ne fait pas consensus entre les différentes communautés, du fait de l'opposition d'une partie de la communauté bosno-serbe. Cependant, l'Alliance atlantique est présente sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine à travers ses opérations successives de maintien de la paix.

La première opération de soutien de la paix de l'Alliance a été menée à partir de la fin de la guerre civile en décembre 1995 par la Force multinationale de mise en oeuvre de la paix (IFOR) composée de 63 000 militaires, sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies36(*). En décembre 1996, l'IFOR a été remplacée par la Force multinationale de stabilisation (SFOR) de 32 000 militaires. En 2004, l'Union européenne s'est substituée à l'OTAN pour assurer la mission de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine avec la création de l'opération EUFOR-Althea, qui réunissait à l'origine 7 000 militaires, en application d'un mandat adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies37(*).

Le nombre de militaires déployés au sein de l'opération EUFOR-Althea a été réduit progressivement depuis 2004. Alors qu'il était de 600 militaires environ en 2021, le nombre de personnels présents au sein de l'opération a été doublé et porté à 1 200 au cours de l'année 2022 en réaction au risque de déstabilisation régionale constitué par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

La France est fortement impliquée dans la présence militaire internationale en Bosnie-Herzégovine, et elle représentait le deuxième contingent de l'IFOR puis de la SFOR. Elle est représentée au sein de l'opération EUFOR-Althea par un contingent porté en 2020 de six à vingt-sept soldats, dont cinq officiers insérés dans l'état-major.

Dans le contexte de dégradation des relations entre l'Union européenne et la Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le renouvellement annuel du mandat de l'EUFOR-Althea par le Conseil de sécurité des Nations unies constitue un facteur de risque pour la stabilité de la Bosnie-Herzégovine. Nonobstant ce contexte dégradé, le mandat de l'opération a été renouvelé à l'unanimité des membres Conseil de sécurité lors de sa réunion du 2 novembre 202238(*).

La Bosnie-Herzégovine a signé en 2008 un accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union européenne, qui est entré en vigueur en juin 2015. Elle a déposé sa candidature à l'Union européenne le 15 février 2016. Enfin elle a obtenu le statut de candidat à l'Union européenne le 15 décembre 2022.

C. KOSOVO

Depuis mars 2021, le Kosovo est dirigé par un gouvernement issu des élections législatives du 14 février 2021 remportée par une alliance entre le parti du premier ministre Albin Kurti (VV) et celui de la présidente Vjosa Osmani (Guxo). Ce gouvernement, qui est engagé dans un programme de réformes ayant pour objectif d'accélérer l'intégration euroatlantique du Kosovo, n'associe pas les partis traditionnels issus de l'UCK (armée de libération du Kosovo) dont les membres siègent dans l'opposition. Il est également à relever que le Kosovo, dont la population est estimé à 1,8 million d'habitants, est un pays dont la population est particulièrement jeune au regard du fait que 50% de sa population est âgée de moins de 25 ans.

La présence internationale reste importante au Kosovo en matière de coopération civile du fait de la présence de l'Organisation pour sécurité et la coopération en Europe (OSCE) des Nations unies représentée par la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) qui bénéfice d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies pour promouvoir la stabilité du pays et le respect des droits fondamentaux39(*). La MINUK, qui dispose d'un quartier général à Pristina et d'un bureau régional à Mitrovica, réunissait à l'été 2022 un nombre total de 351 agents.

Parallèlement, l'Union européenne soutient les autorités kosovares dans la consolidation de l'État de droit et de la transparence du système institutionnel par la présence de l'opération civile EULEX instituée en 2008. Cette opération est soutenue par l'ensemble des États membres de l'Union européenne ainsi que cinq pays contributeurs extérieurs à l'Union européenne (Canada, Norvège, Suisse, Turquie et États-Unis), elle mobilise 420 personnels.

Le Kosovo a déclaré son indépendance le 17 février 2008. Depuis, l'indépendance du Kosovo a été reconnue par 110 États dont la France, qui a reconnu l'indépendance du pays dès le 18 février 2008, lendemain de sa proclamation d'indépendance, ainsi que vingt-deux États membres de l'Union. Depuis sa déclaration d'indépendance, le Kosovo se fixe pour objectif d'être reconnu par un nombre croissant de pays et a réussi à adhérer à de nombreuses organisations internationales dont en particulier le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale en 2009, la Banque de développement du Conseil de l'Europe en 2014, et l'Organisation internationale de la Francophonie comme membre associé depuis 2018. Deux membres permanents du Conseil de sécurité, la Russie et la Chine, ne reconnaissent pas l'indépendance du Kosovo qui n'est pas membre des Nations unies. Il est également à relever que dix-huit pays40(*) sont revenus depuis 2017 sur leur décision de reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, ce qui renforce l'importance que la diplomatie kosovare accorde à la question de sa reconnaissance internationale.

Sur le plan économique, le Kosovo demeure le pays le plus défavorisé des Balkans occidentaux avec un PIB par habitant de 4 000 €. Le régime de croissance du Kosovo, dont le rythme de croissance annuelle se situe à 4% entre 2014 et 2021, a été perturbé par l'épidémie de covid-19 qui a provoqué une récession de 6% en 2020. L'économie kosovare est en outre fragilisée par un taux de chômage élevé de 25% et par sa forte dépendance aux transferts de la diaspora qui ont représentés 17,9% du PIB en 2021.

La présence de l'Alliance atlantique au Kosovo repose sur la Force pour le Kosovo (KFOR) déployée sur le territoire depuis juin 1999 en application d'un mandat relatif au maintien de la paix au Kosovo adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies41(*). Composée à l'origine de 50 000 militaires, la KFOR dispose désormais de 3 700 militaires placé sous l'autorité du commandant de la KFOR (COMKFOR). Aucun militaire français n'est présent au sein de cette force.

Le Kosovo bénéficie, au même titre que l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, d'une perspective européenne consacrée par le Conseil européen lors du sommet de Thessalonique en juin 2003. Il a signé en 2014 avec l'Union européenne un accord de stabilisation et d'association (ASA) entré en vigueur en 2016. Le Kosovo a déposé le 15 décembre 2022 sa demande d'adhésion à l'Union européenne. La perspective d'adhésion est cependant subordonnée à l'évolution de sa reconnaissance internationale, cinq États membres de l'Union ne reconnaissant par le Kosovo42(*).

La coopération bilatérale avec l'Union européenne a également permis de renforcer l'intégration au début de l'année 2023. Après un accord entre le Conseil et le Parlement européen intervenu en décembre 2022, le Parlement européen a approuvé le 18 avril 2023 la mise en place d'un régime de libéralisation des visas qui permettra aux citoyens kosovars de voyager sans visa au sein de l'Union pour des période allant jusqu'à 90 jours, qui entrera en vigueur après la mise en place du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS).

D. MACÉDOINE DU NORD

Depuis les élections législatives du 15 juillet 2020, le gouvernement nord-macédonien s'appuie sur une coalition réunissant le parti social-démocrate (SDSM) et un allié minoritaire, le parti de l'intégration des albanais (DUI). Le gouvernement est dirigé depuis 2022 par Dimitar Kovaceski, qui a remplacé l'ancien premier ministre Zoran Zaev après sa démission résultant de sa défaite aux élections municipales d'octobre 2021.

L'objectif prioritaire de la coalition gouvernementale est d'accélérer l'intégration du pays à l'Union européenne. Il est toutefois à relever qu'en dépit de sa stabilité institutionnelle, la Macédoine du Nord connait des tensions entre ses différentes communautés, notamment d'origine slave, albanaise et bulgare, qui ont été illustrées en 2001 par la tentative d'insurrection de la minorité albanaise.

En soutien de sa candidature à l'Union européenne, la Macédoine du Nord a intégralement aligné ses positions de politique étrangère sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne, y compris en matière de condamnation de la Russie et de sanctions à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine. Par conséquent, la Macédoine du Nord a été inscrite par la Russie dans une liste de cinquante pays dits « inamicaux » ce qui pourrait créer des risques d'approvisionnement énergétique pour la Macédoine du Nord.

L'économie nord-macédonienne a été ralentie par la crise économique et sanitaire avec une récession de 4,4% du PIB. En dépit de la relance de la croissance avec une prévision de 2,1% en 2022, la Macédoine du Nord a un PIB par habitant qui équivaut à seulement 38% de la moyenne de l'Union européenne en parité de pouvoir d'achat, et elle continue de connaître un important taux de chômage de 14,3% en 2022.

Après le règlement du différend entre la Grèce et la Macédoine du Nord consacré par la signature en 17 juin 2018 de l'accord de Prespa, la Macédoine est devenue membre de l'Alliance atlantique le 27 mars 2020.

La Macédoine du Nord a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne le 22 mars 2004. Elle a obtenu le statut de candidat en décembre 2005. Alors que le Conseil de l'Union européenne a donné son accord pour l'ouverture des négociations à partir de mars 2020, le contentieux bilatéral entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord relatif notamment à la reconnaissance de la minorité bulgare en Macédoine du Nord a retardé l'ouverture des négociations.

Le compromis proposé par la France en juin 2022 sous sa présidence du Conseil de l'Union, qui prévoit une ouverture des négociations en deux phases pour permettre à la Macédoine du Nord de réviser sa constitution avant la fixation du cadre de négociation à l'occasion de la deuxième conférence intergouvernementale, a été adopté par la Bulgarie et la Macédoine du Nord et a permis l'ouverture des négociations par la convocation de la première conférence intergouvernementale le 19 juillet 2022.

Source : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

E. MONTÉNÉGRO

Depuis l'été 2020, le Monténégro connait une forte instabilité politique qui contraste avec la présence continue au pouvoir entre l'indépendance du pays en 2006 et 2023 du président Milo Djukanovic (parti démocratique des socialistes ou DPS). Les élections législatives du 30 août 2020 ont constitué la première alternance démocratique de l'histoire parlementaire monténégrine, et se sont traduite par une forte instabilité gouvernementale du fait de l'évolution des coalitions parlementaires successives qui ont soutenu dans un premier temps le gouvernement de coalition entre les partis conservateurs et le parti libéral (URA) de Zdravko Krivokapic (décembre 2020 à février 2022) puis celui de Dritan Abazovic (avril à août 2022), associant le parti libéral avec des partis minoritaires et bénéficiant d'un soutien sans participation du DPS.

Le renversement du gouvernement de Abazovic le 19 août 2022 a ouvert une crise institutionnelle et parlementaire liée au refus du parlement de s'auto-dissoudre et à l'adoption par le parlement d'amendements constitutionnels réduisant les pouvoirs du président en dépit de l'avis défavorable rendu par le commission de Venise43(*). Le volet juridictionnel de la crise a été résolu après l'intervention de l'Union européenne et l'envoi par le Haut représentant Borrell des ministres des affaires étrangères slovènes et autrichiens qui ont obtenu le déclenchement d'une nouvelle procédure de désignation de juges à la cour constitutionnelle ayant abouti à la nomination de trois nouveaux juges à la cour constitutionnelle le 27 février 2023.

Parallèlement, des élections présidentielles se sont tenues le 19 mars et le 2  avril 2023. Ces élections constituent un tournant majeur dans la politique monténégrine avec la défaite au second tour du président Djukanovic, remplacé par le président Jakov Milatovic dont le parti « Europe Maintenant » a fait de l'accélération de l'adhésion à l'Union européenne son objectif prioritaire.

La politique extérieure du Monténégro est alignée sur les positions prises par l'Union européenne dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Le Monténégro a également adopté les sanctions prises par l'Union contre la Russie en réaction au déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022.

L'économie du Monténégro, pays faiblement peuplé dont la population est estimée à 622 000 habitants, est particulièrement fragile du fait de l'importance du tourisme qui représente 25% du PIB et 65% des exportations de service du Monténégro. Par conséquent, le Monténégro a été le pays le plus durement atteint par la crise économique et sanitaire de 2020 avec une récession de 15,3% en 2020. L'importance du tourisme dans l'économie monténégrine a également contribué à affaiblir le pays après le déclenchement de la guerre en Ukraine du fait de l'importance du tourisme d'origine russe et ukrainienne au Monténégro, qui représente 20% de l'ensemble du tourisme accueilli dans le pays.

Le Monténégro a intégré l'Alliance atlantique le 5 juin 2017. Il a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne le 15 décembre 2008. Le Conseil européen a accordé au Monténégro le statut de candidat le 17 décembre 2010 et les négociations d'adhésion ont débuté en juin 2012. Depuis l'ouverture des négociations d'adhésion, le Monténégro a ouvert 33 des 35 chapitres de négociations toutefois seuls trois chapitres ont été clôturés à titre provisoire.

F. SERBIE

Source : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

La Serbie bénéficie depuis près d'une décennie d'une forte stabilité politique, incarnée par le parti de droite conservatrice pro-européen SNS et le président Aleksandar Vucic, qui a occupé le poste de premier ministre entre 2014 et 2017 avant d'être élu dès le premier tour président de la république le 2 avril 2017 puis réélu, dès le premier tour également, à hauteur de 59%, le 3 avril 2022 pour un nouveau mandant de cinq ans.

Les élections législatives d'avril 2020 ont néanmoins marqué une évolution avec la formation d'une coalition au parlement entre le SNS et le parti socialiste (SPS). Les autorités serbes se sont fixé comme priorité l'accélération de l'intégration européenne de la Serbie, et ont notamment adopté par référendum en janvier 2022 une réforme du système judiciaire qui retire au parlement le pouvoir de nomination des magistrats.

En matière de politique extérieure, la proximité historique, culturelle et religieuse entre la Serbie et la Russie a nourrit des liens diplomatiques étroits entre les deux pays. Pour autant, la Serbie souhaite adopter une position d'équilibre entre l'Union européenne d'une part et la Russie et la Chine d'autre part. Conséquemment, la Serbie n'a pas adopté de sanctions économiques contre la Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Elle a néanmoins voté les résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'agression russe.

Alors que la Serbie avait adopté une trajectoire de croissance dynamique avant la crise sanitaire avec une croissance de 4% en 2019, la pandémie a déclenché une récession limitée de l'économie serbe de 1% en 2020. L'insertion de la Serbie dans les chaînes de valeur européennes, l'Union européenne représentant 65% des relations commerciales de la Serbie, rend également l'économie serbe plus vulnérable au ralentissement de la croissance dans l'ensemble de l'Union consécutif au déclenchement de la guerre en Ukraine. Alors que la croissance est estimée à 3,5% en 2022, elle devrait atteindre 2% en 2023.

Les relations entre l'OTAN et la Serbie ont été durablement marquée par l'opération Allied Force déclenchée par l'OTAN en mars 1999 dans le cadre de la guerre du Kosovo. Par suite, le président Vucic a réaffirmé en février 2023 son opposition à ce que la Serbie rejoigne l'Alliance atlantique. Pour autant, la Serbie a rejoint en 2006 le Partenariat pour la paix de l'OTAN et elle participe depuis 2014 à l'initiative pour l'interopérabilité avec les partenaires de l'OTAN.

La Serbie a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne en décembre 2009. Elle a obtenu le statut de candidat en mars 2012 et les négociations d'adhésion ont été ouvertes en juin 2013. Les négociations d'adhésion ont permis l'ouverture de 22 chapitres sur 35, toutefois seuls deux chapitres ont été provisoirement clôturés.

DEUXIÈME PARTIE - LES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX SONT SOUMIS À DES FACTEURS D'INSTABILITÉ EXTERNES ET INTERNES AGGRAVÉS PAR LE DÉCLENCHEMENT DE LA GUERRE EN UKRAINE

I. LA DÉSTABILISATION INTERVENUE DANS LE CONTEXTE DE LA GUERRE EN UKRAINE A RENFORCÉ L'EXPOSITION DES BALKANS OCCIDENTAUX À L'INTERVENTION DE PUISSANCES EXTÉRIEURES

A. LES BALKANS OCCIDENTAUX FONT L'OBJET DE STRATÉGIES D'INFLUENCE DE PLUSIEURS PUISSANCES GLOBALES DONT NOTAMMENT LA RUSSIE ET LA CHINE

En premier lieu, les pays des Balkans occidentaux constituent une zone d'influence privilégiée pour la diplomatie russe. Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 et la dégradation des relations entre l'Union européenne, les États-Unis et la Russie ont fait émerger la crainte que la Russie n'ouvre un « second front dans les Balkans »44(*), c'est-à-dire n'instrumentalise leur présence dans la région pour aggraver la déstabilisation de la région et du voisinage de l'Union européenne. Les deux objectifs stratégiques principaux poursuivis par la Russie dans les Balkans sont d'une part d'augmenter son influence en ralentissant le processus d'intégration euroatlantique de la zone et d'autre part d'affaiblir l'Union européenne en diffusant un récit selon lequel le processus d'intégration à l'Union européenne n'aboutira pas.

La stratégie d'influence de la Russie dans les pays des Balkans occidentaux s'appuie notamment sur la proximité culturelle de la Russie avec les communautés orthodoxes présentes dans les Balkans et en particulier en Serbie. La Russie a également développé des relais d'influence culturelle en déployant plusieurs antennes locales de médias nationaux russes contrôlés par le pouvoir dont notamment l'agence Spoutnik qui dispose d'un bureau à Belgrade ainsi que le média « Russia Today » (RT) qui dispose d'un canal de diffusion « RT Balkan ». Le récit propagé par la Russie bénéfice aussi de relais d'opinion au sein de médias serbes comme en témoigne le fait que le journal serbe Informer a publié quatre jours avant l'invasion russe en Ukraine un article ayant pour titre « L'Ukraine attaque la Russie ».

L'efficacité des médias contrôlés ou influencés par la Russie en matière de désinformation est avérée par l'organisation en mars 2022 à Belgrade de manifestations de soutien à la guerre russe en Ukraine organisées par le parti d'extrême-droite Narodna Patrola (« Patrouille du peuple »). Selon un sondage d'opinion réalisé en juin 2022 en Serbie, 54% des personnes interrogées estimaient que l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) était le principal responsable de la guerre en Ukraine contre 7% seulement qui estimaient que la Russie était le principal responsable. Symétriquement, Vladimir Poutine était crédité par ce sondage de 45% d'opinions favorables contre seulement 11% pour le Président de la République française Emmanuel Macron.

Sur le plan économique, la présence russe dans les Balkans occidentaux est concentrée dans le domaine de l'énergie. La Russie représente à ce titre 80% du gaz consommé en Serbie45(*). Malgré le déclenchement de la guerre en Ukraine, le maintien d'une forte dépendance de la Serbie à ses approvisionnements énergétiques en provenance de Russie s'est traduit par la signature en mai 2022 d'un nouveau contrat de fourniture de gaz par lequel Gazprom s'est engagé à fournir du gaz à la Serbie au prix de 31 dollars par mégawatt/heure c'est-à-dire plus de trois fois moins que le prix de marché qui était alors de 99 dollars par mégawatt/heure. Il est également à relever que la Russie contrôle une partie du réseau serbe de distribution d'essence à travers l'entreprise Lukoil46(*).

La Russie, qui était le troisième partenaire commercial des pays des Balkans occidentaux en 2019 avec 4,3% des échanges de bien, est également un investisseur important dans cette région avec 2,4 milliards d'euros d'investissements en Serbie entre 2010 et 2020. La mise en oeuvre des sanctions de l'Union européenne contre la Russie dans le courant de l'année 2022 s'est également traduite par un très fort dynamisme des investissements directs russes en Serbie, dans une logique de contournement des sanctions, qui s'est traduit par le passage de 82 entreprises créées en Serbie par des citoyens russes en 2021 à 1 020 nouvelles entreprises créées en 2022.

En dehors de la Serbie, la Russie est également très présente dans le secteur énergétique de la Republika Srpska (RS) où l'entreprise russe NeftegaInKor a bénéficié en 2007 de la privatisation du secteur pétrolier de cette entité de Bosnie-Herzégovine. Dans le sillage du risque que fait peser sur les approvisionnements énergétiques des Balkans le déclenchement de la guerre en Ukraine, l'oligarque russie Rashid Serdarov a récemment relancé, en coopération avec l'entreprise étatique chinoise China National Electric Engineering Company (CNEEC) et le groupe sino-polonais Sunningwell International Limited le projet de central thermique d'Ugljevik situé sur le territoire de la Republika Srpska.

Sur le plan diplomatique, l'influence exercée par la Russie dans les Balkans occidentaux se concentre sur la Serbie et sur la Bosnie-Herzégovine. La Russie continue nonobstant d'intervenir auprès de l'ensemble des gouvernements des Balkans comme en témoigne la période de rapprochement entre les positions de la Russie et celle de la Macédoine du Nord observée ponctuellement entre 2014 et 2016, pendant laquelle le gouvernement a bénéficié du soutien diplomatique de la Russie tandis que la progression de son processus d'adhésion à l'Union européenne était bloquée.

La relation entre la Russie et la Serbie est directement liée au soutien apporté par la Russie à la Serbie sur la question de l'indépendance du Kossovo, qui n'a jamais été reconnue par la Russie qui utilise son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour soutenir la diplomatie serbe dans son objectif de non-reconnaissance internationale de cette indépendance. Les autorités serbes conduisent dès lors une politique d'équilibre visant à concilier leur candidature à l'adhésion à l'Union européenne avec le maintien de relations avec la Russie comme en témoigne le fait que la Serbie bénéficie du statut d'observateur au sein de l'Organisation du traité de sécurité collective, organisation internationale dominée par la Russie, a signé un accord de libre-échange avec la Russie en 2000 ainsi qu'un accord commercial avec l'Union économique eurasiatique en octobre 2019. Si la Serbie a publiquement critiqué l'invasion russe en Ukraine, elle refuse d'appliquer les sanctions économiques décidées par l'Union européenne. Certains membres du gouvernement serbe continuent par ailleurs d'entretenir des liens avec la Russie comme en témoigne le déplacement à Moscou du ministre serbe de l'intérieur Aleksandar Vulin en août 2022 pour y rencontrer le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov.

En Bosnie-Herzégovine, la diplomatie russe développe des relations directes avec l'entité de Republika Srpska en dépit du fait qu'il ne s'agit pas d'un État souverain. Cette « paradiplomatie identitaire »47(*) est alimentée par les nombreux voyages en Russie effectués par le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, y compris postérieurement au déclenchement de la guerre en Ukraine comme en témoigne son déplacement de juin 2022 en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg. Les autorités de la Republika Srpska instrumentalisent leur relation avec la Russie pour renforcer leur influence au sein de la Bosnie-Herzégovine et le ministère de l'intérieur de la Republika Srpska entretien depuis 2004 des relations bilatérales avec le ministère de l'intérieur russe à travers lequel il bénéfice de transferts de technologies.

Sur le plan militaire, enfin, la Russie continue de coopérer avec les pays des Balkans occidentaux, en intervenant principalement en Serbie en bénéficiant du fait que ce pays a rejeté l'hypothèse de son intégration à l'Alliance atlantique.

Dès 2013, la Russie et la Serbie ont signé un partenariat stratégique ainsi qu'un accord bilatéral de défense et les armées russes et serbes ont réalisé depuis cette date plusieurs exercices conjoints. Dans le cadre de leur coopération bilatérale dans le domaine militaire, les autorités russes et serbes ont inauguré en 2012 un « centre humanitaire » russo-serbe à Nis qui est soupçonné de d'abriter un centre de renseignement au service des autorités russes. Par surcroît, la base industrielle et technologique de défense russe continue de fournir les forces armées de la Serbie comme en témoigne l'acquisition en 2016 par les forces serbes de six avions de combat MiG-26 auprès de la Russie ou plus récemment la livraison en janvier 2022 de missiles antitanks russe « Kornet »48(*).

Le groupe Wagner en Serbie

La société militaire privée (SMP) Wagner est un groupe paramilitaire proche des autorités russes qui est déployé en soutien des forces russes en dehors du territoire russe dans plusieurs pays notamment en Afrique et en Ukraine.

Alors qu'une loi serbe interdit aux citoyens de s'engager dans une guerre extérieure à la Serbie, le groupe Wagner a déployé des actions de recrutement à destination de citoyens serbes après le déclenchement de la guerre en Ukraine, en employant notamment le média contrôlé par la Russie « RT Balkan ».

En réaction à ces activités de recrutement, lors d'un entretien à la télévision diffusé le 16 janvier 2023, le président serbe Aleksandar Vucic a expressément condamné les actions de recrutement du groupe Wagner sur le territoire serbe en les qualifiant d'illégales.

En second lieu, la Chine a fortement augmenté son investissement politique et économique dans les Balkans occidentaux depuis le début des années 2010 et le lancement en 2013 de son programme des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI). Il est du reste à relever que la présence chinoise dans les pays des Balkans occidentaux qui s'inscrivent dans un vaste espace eurasiatique précède la relance des relations depuis les années 1990 comme en témoigne la longue période de coopération privilégiée entre la Chine communiste dirigée par Mao Zedong et l'Albanie communiste dirigée par Enver Hoxha entre 1961 et 1978.

Sur le plan économique, la Chine a substantiellement renforcé sa présence dans les Balkans occidentaux sur le plan commercial et sur le plan des investissements directs. Dès 2019, la Chine est devenu le deuxième partenaire commercial des Balkans occidentaux avec 6,5% des échanges de biens. En matière d'investissement, la Chine a investi à hauteur de 14,6 milliards de dollars dans les Balkans occidentaux entre 2005 et 2019. Ces investissement sont concentrés dans le secteur des infrastructures et interviennent dans le cadre du programme des nouvelles routes de la soie (BRI). Alors que la Serbie et la Macédoine du Nord ont signé un mémorandum d'accord pour rejoindre les nouvelles routes de la soie dès 2015, l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro ont également rejoint formellement le programme en 2017.

Les investissements chinois ont permis ont pays des Balkans d'engager les chantiers de nombreuses infrastructures dont notamment la centrale hydroélectrique de Dabar en Republika Srpsak (Bosnie-Herzégovine), l'autoroute de Bar-Boljare au Monténégro, la centrale thermique de Tuzla en Bosnie-Herzégovine49(*), le pont de Pupin sur le Danube à Belgrade ou encore la ligne ferroviaire rapide entre Belgrade et Budapest.

Ces investissements se traduisent par un endettement important de plusieurs pays des Balkans occidentaux vis-à-vis de la Chine. La dette extérieure détenue par la Chine représente 12% de la dette extérieure en Serbie et 20% du PIB au Monténégro50(*). Ces niveaux d'endettement pourraient constituer à moyen terme une vulnérabilité pour les pays des Balkans occidentaux, renforcée par le fait qu'ils sont concentrés sur des projets d'infrastructures stratégiques à l'image du prêt d'un milliards de dollars consentis en 2017 pour la construction de la ligne grande vitesse Belgrade-Budapest, du prêt de 1,1 milliards, soit 25% de son PIB, demandé par le Monténégro pour un projet de construction d'autoroute ou encore du prêt de 3,2 milliards d'euros de la Serbie pour le projet de traitement des eaux et déchets « Clean Serbia ».

Sur le plan diplomatique, la Chine a structuré depuis 2012 sa coopération avec les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) dans un format variable, qui est de « 14+1 » en 2023, qui réunit l'ensemble des pays des Balkans occidentaux à l'exception du Kosovo dont l'indépendance n'a pas été reconnue par la Chine. La coopération entre la Chine et les pays des Balkans occidentaux leur permet de diversifier leurs partenariats aussi bien économiques que diplomatiques.

La Serbie constitue le premier partenaire de la Chine dans la zone sur le plan économique aussi bien que politique. Les investissements chinois en Serbie ont représenté 10,3 milliards de dollars entre 2005 et 2019. La Chine est également devenue le premier investisseur en Serbie depuis 2021 avec des investissements de 500 millions d'euros contre 66 millions d'euros seulement en 2015.

Le partenariat sino-serbe repose également sur un rapprochement diplomatique et sécuritaire entre les deux pays. La Chine a signé en 2009 un partenariat stratégique avec la Serbie qui a été renouvelé en 2016. Il est à relever à cet égard que la Serbie, qui bénéfice du soutien de la Chine dans sa campagne internationale contre la reconnaissance du Kosovo, est le seul pays des Balkans occidentaux à avoir soutenu la Chine sur la question du Xinjiang à la commission des affaires sociales, humanitaires et culturelles des Nations unies.

Le partenariat sino-serbe repose également sur une coopération sécuritaire institutionnalisée par un mémorandum signé en mai 2019 entre les ministères chinois et serbe de l'intérieur. Ce partenariat, qui prévoit une coopération dans le domaine de la cybercriminalité et des exercices conjoints de certaines unités de police spéciales, s'inscrit également dans le cadre du développement du projet de  Safe City  qui prévoit l'installation de centaines de caméras de surveillance dans la capitale serbe avec l'implication de la société chinoise Huawei. Il est enfin à relever que la Chine a consolidé sa présence dans les Balkans par le déploiement de sa politique d'influence culturelle dont témoigne l'ouverture dès 2006 d'un institut Confucius à Belgrade, qui a été complété par une antenne à Novi Sad en 201351(*).

B. LES PUISSANCES RÉGIONALES COMME LA TURQUIE INTERVIENNENT DE MANIÈRE CROISSANTE POUR RENFORCER LEUR INFLUENCE DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX

Parallèlement au réinvestissement des puissances globales pour renforcer leur pouvoir d'influence sur la zone, la Turquie est une puissance régionale qui entretient des liens historiques avec les pays des Balkans occidentaux. L'appartenance de la Turquie à l'OTAN a pour conséquence que le rapprochement avec la Turquie n'est pas perçu par les dirigeants des Balkans comme contradictoire avec l'intégration euroatlantique de leur pays. La Turquie conserve par ailleurs le statut de pays candidat à l'Union européenne depuis 1999 et ne se constitue dès lors pas comme un rival d'Union européenne dans les Balkans. Pour autant, la Turquie présente l'avantage de fournir aux pays des Balkans une coopération économique et une aide soumis à moins de conditions que celle de l'Union européenne, notamment en matière d'État de droit.

La présence de la Turquie dans les Balkans occidentaux est d'abord soutenue par les relations commerciales entre les deux espaces et la Turquie constituait en 2019, devant la Russie, le deuxième partenaire commercial des pays des Balkans avec 4,6% des biens échangés. Le dynamisme de ces échanges est soutenu par le fait que la Turquie a signé des accords de commerce bilatéraux avec chacun des six pays des Balkans occidentaux. Parallèlement, la Turquie est aussi impliquée dans plusieurs chantiers d'infrastructures particulièrement médiatisés dont notamment ceux des autoroutes reliant Belgrade à Sarajevo et Tirana à Pristina.

Sur le plan géographique, la Turquie est particulièrement présente dans les pays où sont concentrées les principales communautés musulmanes c'est-à-dire l'Albanie, le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine. La Turquie déploie dans ses pays une diplomatie d'influence qui s'appuie notamment sur le financement de programme de réhabilitation du patrimoine remontant à la période ottomane, sur la diffusion de séries télévisées populaires et le sur le développement du réseau des centres culturels Yunus Emre.

Sur le plan diplomatique, le président turc R. T. Erdogan se rend régulièrement dans les Balkans occidentaux où il entretient des liens de proximités avec plusieurs dirigeants dont notamment le président serbe A. Vucic et le premier ministre albanais E. Rama. Son implication diplomatique dans les Balkans occidentaux a favorisé l'intégration au sein de l'Alliance atlantique de l'Albanie, du Monténégro et de la Macédoine du Nord. La Turquie a également joué, parallèlement à l'implication de l'Union européenne en faveur de la pacification des relations interétatiques dans les Balkans, un rôle de médiateur en accueillant en 2010 un sommet à Istanbul à l'issue duquel la Serbie et la Bosnie-Herzégovine ont signé une déclaration commune qui prévoit l'intensification des relations entre les deux pays dans le contexte de leur candidature à l'Union européenne ainsi que la reconnaissance par la Serbie de l'intégrité territoriale de la Bosnie.

Enfin sur le plan militaire, la Turquie a signé en 2012 un accord de coopération militaire avec le Kosovo qui prévoit l'approvisionnement militaire par la Turquie des forces de sécurité du Kosovo. La Turquie a également signé en 1992 un accord de coopération militaire avec l'Albanie qui prévoit notamment l'entrainement des militaires albanais par la Turquie et qui a été complété en février 2020 par un plan de coopération en matière de défense.

La présence stratégique de la Turquie dans les Balkans en par surcroît assurée par la participation importante de la Turquie aux opérations euro-atlantiques déployées dans la zone en étant le troisième contributeur de la mission EUFOR Althéa en Bosnie-Herzégovine avec 138 personnels et le quatrième contributeur de la KFOR au Kosovo avec 350 personnels.

II. LE RISQUE DE DÉSTABILISATION DES BALKANS OCCIDENTAUX DANS LE CONTEXTE DE LA GUERRE EN UKRAINE EST RENFORCÉ PAR LES FRAGILITÉS INTERNES DE CES PAYS SUR LE PLAN POLITIQUE, SOCIAL ET INSTITUTIONNEL

A. LES DIFFICULTÉS DES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX POUR MENER DES RÉFORMES EN MATIÈRE D'ÉTAT DE DROIT SONT RENFORCÉES PAR LA CRISE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE QUE TRAVERSENT CES PAYS

L'État de droit, qui fait partie des valeurs sur lesquelles est fondée l'Union européenne conformément à l'article 2 du traité sur l'Union européenne52(*), constitue l'un des principaux défis soulevés par le processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne.

Source : Cour des comptes européenne

Selon la définition adoptée par l'Union européenne dans le cadre du règlement (UE) du 16 décembre 2020 relatif à la conditionnalité de l'utilisation du budget de l'Union, l'État de droit recouvre le principe de légalité ainsi que les principes de sécurité juridique, d'interdiction de l'arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d'égalité devant la loi53(*). Dans une communication en date d'avril 2019, la Commission européenne a dégagé six principes constitutifs de l'État de droit54(*) qui sont : la séparation des pouvoirs ; les procédures législatives transparentes et démocratiques ; la sécurité juridique ; l'égalité en droit ; les juridictions indépendantes et impartiales ; l'efficacité du contrôle juridictionnel.

Le renforcement de la place accordé au respect de l'État de droit par les pays candidats est un des axes centraux de la méthodologie révisée en matière d'élargissement proposée en février 2020 par la Commission55(*) et appliquée à partir de mai 2021 aux négociations avec le Monténégro et la Serbie.

La nouvelle méthodologie prévoit notamment un regroupement et une hiérarchisation des chapitres de discussion. Le groupe de chapitres thématiques « fondamentaux », qui réunit les chapitres sur l'appareil judiciaire et les droits fondamentaux (chapitre 23), sur la justice, la liberté et la sécurité (chapitre 24), sur les marchés publics (chapitre 5), sur les statistiques (chapitre 18) et sur le contrôle financier (chapitre 32), doit être ouvert en priorité et n'être fermé qu'à l'issue de la négociation, le progrès dans les chapitres de ce groupe conditionnant l'ouverture d'autres groupes.

Le programme d'actions prioritaires de Sofia

Lors du sommet Union européenne - Balkans occidentaux qui s'est tenu à Sofia en mai 2018, les États membres et les pays des Balkans occidentaux ont adopté un « programme d'actions prioritaires » en matière de renforcement de l'État de droit dans les Balkans qui liste les actions prioritaires suivantes :

- renforcement du soutien aux réformes de la justice et aux efforts visant à lutter contre la corruption et la criminalité organisée, y compris le développement des capacités en matière de prévention de la corruption ;

- extension des missions de conseil sur l'État de droit, avec un soutien accru de la part des États membres et de l'Union européenne ;

- amélioration du suivi des procès dans les affaires de corruption aggravée et de criminalité organisée ;

- action en faveur d'une meilleure mesure des résultats dans le cadre de la réforme de la justice ;

- déploiement d'un soutien aux Balkans occidentaux au titre du Fonds européen pour la démocratie en ce qui concerne l'indépendance et la pluralité des médias et la société civile.

Le financement d'actions en faveur du renforcement de l'État de droit est un des axes d'intervention de l'Union européenne dans le cadre de sa politique de pré-adhésion et l'instrument de pré-adhésion a permis de financer 690 millions d'euros d'aide aux pays des Balkans occidentaux pour la période 2014-2020 (IAP II) soit 16% du total de l'aide accordée par l'Union européenne à ces pays.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs du World Justice Project

En dépit des financements versés par l'Union européenne, les travaux d'évaluation menés par les organisations de la société civile et par les chercheurs indépendants témoignent d'une « montée de l'autoritarisme »56(*) dans les Balkans occidentaux depuis le début des années 2010. L'organisation non gouvernementale Freedom House estime à cet égard que l'État de droit stagne ou se détériore dans la majorité des pays des Balkans occidentaux.

Dans un rapport publié en janvier 2022, la Cour des comptes européenne estime que l'action de l'Union européenne a eu « globalement peu d'impact sur les réformes en matière d'État de droit dans la région » entre 2014 et 2020 et que la difficulté à mettre en place des réformes est liée en premier lieu à « la volonté politique insuffisante des autorités nationales de mener à bien les réformes nécessaire »57(*).

Un des aspects de l'État de droit les plus difficiles à réformer de manière durable au sein des pays des Balkans occidentaux est celui qui concerne la liberté d'expression, la liberté de la presse et le pluralisme des médias. L'organisation non gouvernementale Reporters sans frontières constate à ce titre que entre 2015 et 2020 aucune amélioration dans n'a été observée dans le domaine de la liberté de la presse dans les Balkans occidentaux en dehors de la Macédoine du Nord et du Kosovo.

Source : Cour des comptes européenne, sur la base des indicateurs de Reporters sans frontières

Les épisodes récurrents d'agression à l'encontre de journalistes et les tentatives d'intimidation observées à l'encontre de journaliste participent à dégrader la qualité de l'information disponible pour les citoyens des Balkans occidentaux qui sont exposés de manière croissante à des canaux de désinformation, dont certains disposent de financement publics.

La difficulté de l'Union européenne à soutenir efficacement les réformes en matière d'État de droit est d'autant plus regrettable que l'on observe simultanément un recul de l'adhésion des populations concernées à la mise en oeuvre des réformes comme en témoigne le fait qu'en Albanie la part des sondés qui croient à l'impact positif des réformes en matière d'État de droit est passé de 71% en 2016 à 53% en 201958(*).

B. LA BOSNIE-HERZÉGOVINE SE TROUVE DANS UNE SITUATION DE BLOCAGE POLITIQUE ET INSTITUTIONNEL PERSISTANT PLUS DE VINGT-CINQ ANS APRÈS LES ACCORDS DE DAYTON

Les accords de Dayton, signé le 14 décembre 1995 à Paris, ont été négociés sur la base américaine de Dayton dans l'Ohio dans l'objectif de mettre fin à la guerre qui s'est déroulée en Bosnie entre 1992 et 1995. Le contexte historique de négociation de ces accords explique qu'ils aient été conçus dans l'objectif d'obtenir une pacification durable du pays plutôt que d'organiser un régime politique sur le long terme.

Pourtant, la constitution actuellement en vigueur en Bosnie-Herzégovine continue de correspondre à l'annexe 4 des accords de Dayton ce qui se traduit par une situation durable de blocage institutionnel sans perspective de résolution à court terme.

Pour tenir compte des rapports de force sur le terrain et prévenir toute reprise des combats, les accords de Dayton prévoyaient de diviser l'État central de Bosnie-Herzégovine, dirigé par une présidence collégiale tournante accueillant trois représentants de chaque « peuple constitutif » de la Bosnie-Herzégovine (Bosniaques, Croates, Serbes), en deux entités : la Republika Srpska (RS) de Bosnie-Herzégovine et la Fédération bosno-croate de Bosnie-Herzégovine, auxquelles s'ajoute le district de Brcko. Alors que la Republika Srpska est dirigé par un parti ethno-nationaliste qui promeut les intérêts des Serbes de Bosnie, la Fédération bosno-croate est elle-même divisée en dix cantons dont la population est à majorité bosniaque ou croate.

Cette complexité institutionnelle a deux conséquences directes. En premier lieu, le pouvoir politique en Bosnie-Herzégovine est réparti entre quatorze parlements qui contrôlent quatorze gouvernements locaux de l'échelle du canton à celle de l'État central. L'importance du nombre d'élus et de membres des pouvoirs exécutifs a eu pour conséquence de favoriser le népotisme au sein de la fonction publique qui représente le premier employeur en Bosnie-Herzégovine et au sein de laquelle les partis ethno-nationalistes disposent de leviers dont ils se servent pour alimenter un système de clientélisme installé depuis plusieurs décennies59(*).

En second lieu, toute réforme globale et substantielle du système politique est soumise à l'obtention d'un fort consensus entre les différents niveaux de représentation et entre les partis ethno-nationalistes ce qui fait obstacle à la remise en cause du système institutionnel qui profite aux partis ethno-nationalistes.

Enfin, l'architecture institutionnelle de la Bosnie-Herzégovine est complétée par la présence d'un Haut Représentant de la communauté internationale, fonction créée par les accords de Dayton, nommé par le Conseil de mise en oeuvre de la paix (Peace Implementation Council) et qui est chargé de surveiller la mise en oeuvre du volet civil des accords de Dayton, en recourant si nécessaire à des pouvoirs spéciaux, appelés « pouvoirs de Bonn », lui permettant si nécessaire d'imposer d'empêcher la mise en oeuvre de lois voire de démettre des responsables politiques bosniens élus lorsqu'ils remettent en cause les accords de paix. Alors que la Haut Représentant Paddy Ashdown avait fréquemment eu recours aux pouvoirs de Bonn entre 2002 et 2006, ils ont rarement été mobilisés après 2006 jusqu'à la nomination en 2021 du Haut Représentant actuel Christian Schmitt.

Le choix fait par le Haut Représentant d'utiliser les pouvoirs de Bonn pour modifier la loi électorale le 2 octobre 2022, soit le jour même de l'organisation des élections, a été largement critiqué dans la mesure où il participe à réduire le crédit accordé par la population bosnienne au processus électoral60(*).

Le Haut Représentant dans les accords de Dayton

« Article II.

Le Haut Représentant doit :

a. Surveiller la mise en oeuvre du règlement de paix ;

b. Maintenir des contacts étroits avec les parties afin de les encourager à se conformer à tous les aspects civils du règlement de paix ainsi qu'à assurer un niveau élevé de coopération entre elles et les organisations et organismes participant à ces aspects ;

c. Coordonner les activités des organisations et institutions civiles en Bosnie-Herzégovine pour assurer la mise en oeuvre efficace des aspects civils du règlement de paix. Le Haut Représentant doit respecter leur autonomie dans leurs sphères d'opération s'il est nécessaire de leur donner des orientations générales concernant l'impact de leurs activités sur la mise en oeuvre de l'accord de paix. Les organisations et institutions civiles sont invitées à aider le Haut Représentant dans l'exercice de ses compétences en fournissant toutes les informations pertinentes relatives à leurs opérations en Bosnie-Herzégovine ;

d. Faciliter, si le Haut Représentant le juge nécessaire, la résolution des difficultés qui surviennent dans le cadre de la mise en oeuvre civile ;

e. Participer aux réunions d'organismes donateurs, en particulier sur les questions de réhabilitation et de reconstruction ;

f. Périodiquement rendre compte des progrès dans la mise en oeuvre de l'accord de paix concernant les tâches énoncées dans le présent accord à l'Organisation des Nations unies, l'Union européenne, les États-Unis, la Fédération de Russie, et les autres gouvernements, parties et organisations intéressés ;

g. Fournir des conseils et recevoir des rapports du commissaire du Groupe international de police établi à l'annexe 11 de l'Accord cadre général.

[...] »

Accord cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine du 14 décembre 1995 (accords de Dayton), Annexe 10 (accord sur la mise en oeuvre civil de l'Accord de paix), article II

Le blocage institutionnel de la Bosnie-Herzégovine a des conséquences directes sur le développement économique et social du pays qui souffre du sous-développement de ses services publics lié notamment aux oppositions fréquentes entre les partis ethno-nationalistes qui gèrent des appareils administratifs parallèles et faiblement harmonisés entre eux.

La difficulté des pouvoirs publics à développer des services publics efficaces renforce les tensions sociales comme en témoigne l'émergence en février 2014 d'un mouvement social dans la ville de Tuzla pour dénoncer la corruption des autorités publiques.

La dégradation de la situation sociale se traduit également par un phénomène massif d'exil qui concerne l'ensemble des classes sociales en Bosnie-Herzégovine qui partent majoritairement vers des pays d'Europe centrale et en particulier vers l'Allemagne et l'Autriche, certaines entreprises allemandes organisant des campagnes de recrutement directement sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine61(*).

Alors que la population bosnienne est actuellement estimée à 3,5 millions de personnes, on estime que 2 millions de Bosniens ont quitté le territoire de la Bosnie-Herzégovine depuis la signature des accords de Dayton en 1995 dont 500 000 depuis 201362(*).

La situation de blocage institutionnel, qualifiée d'« impasse » par l'historien spécialiste des Balkans Jean-Arnault Dérens, explique le choix fait par l'Union européenne d'assortir l'octroi à la Bosnie-Herzégovine du statut de candidat à l'Union d'un rappel des quatorze priorités essentielles identifiées comme un préalable à l'ouverture des négociations d'adhésion entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine63(*).

Ces quatorze priorités essentielles, identifiées en 2019 par la Commission dans son avis relatif à la candidature de la Bosnie-Herzégovine, concernent la démocratie, l'État de droit, les droits fondamentaux et la réforme de l'administration publique64(*). En particulier, ces priorités essentielles consacrent la nécessité pour la Bosnie-Herzégovine de réformer son système institutionnel et électoral pour mettre fin à la situation de discrimination qui a fait l'objet de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Les rapporteurs relèvent enfin que le contexte de déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a renforcé les risques de déstabilisation de la Bosnie-Herzégovine du fait notamment de la proximité des pouvoirs publics russes avec l'entité de la Republika Srpska dont le dirigeant Milorad Dodik défend depuis 2021 des positions sécessionnistes qui fragilisent la cohésion institutionnelle de la Bosnie-Herzégovine.

Le caractère discriminatoire du droit électoral bosnien devant la Cour européenne des droits de l'homme : l'arrêt Sejdic-Finci

La constitution de la Bosnie-Herzégovine établit une distinction entre deux catégories de citoyens : les « peuples constituants » (Bosniaques, Croates, Serbes) et les « autres » (Ostali) qui ne peuvent pas être élus ou nommé à certaines fonctions.

La Bosnie-Herzégovine a été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) du fait du caractère discriminatoire de son droit électoral, dont en particulier par l'arrêt de grande chambre du 22 décembre 2019 Sejdic et Finci c/ Bosnie-Herzégovine par lequel la Cour de Strasbourg a estimé que la Bosnie-Herzégovine méconnaissait l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 en interdisant aux membres des minorités juive et rom de se présenter aux élections à la Chambre des peuples et à la présidence de la Bosnie-Herzégovine.

Le dialogue Belgrade-Pristina promu par l'Union européenne n'a pas permis d'apaiser les tensions diplomatiques et les risques d'affrontement entre la Serbie et le Kosovo

Depuis sa déclaration unilatérale d'indépendance (DUI) en date du 17 février 2008, le Kosovo connaît un différend avec la Serbie qui continue à ne pas reconnaître son indépendance. Postérieurement à l'avis consultatif de la Cour internationale de justice rendue en juillet 2010 qui consacre le fait que cette déclaration unilatérale d'indépendance n'a pas violée le droit international65(*), l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution le 9 septembre 2010 qui prend acte, pour s'en féliciter, de la volonté de l'Union européenne de faciliter le dialogue bilatéral entre la Serbie et le Kosovo pour consolider la paix entre les deux parties66(*).

Le dialogue Belgrade-Pristina consacré par l'Assemblée générale des Nations unies

« L'Assemblée générale (...) se félicite que l'Union européenne soit disposée à faciliter le dialogue entre les parties ; ce dialogue serait en soi un facteur de paix, de sécurité et de stabilité dans la région et aurait pour objet de favoriser la coopération, d'avancer sur le chemin menant à l'Union européenne et d'améliorer les conditions de vie des populations »

Assemblée générale des Nations unies, résolution A/RES/64/298 du 9 septembre 2010

Par conséquent, l'Union européenne joue un rôle de médiateur entre la Serbie et le Kosovo en organisant un processus de négociation, appelé « dialogue Belgrade-Pristina », qui se traduit par l'organisation depuis mars 201167(*) de nombreuses rencontres entre les équipes de négociations serbe et kosovare en présence de représentants de l'Union européenne68(*). Le dialogue Belgrade-Pristina a permis de négocier de conclure plusieurs accords techniques entre 2011 et 2013 dont notamment « l'accord de l'astérisque » conclu en février 2012 en application duquel les deux pays ne font pas obstacle mutuellement à leur participation à des programmes de coopération régionale non plus qu'à leur processus d'intégration au sein de l'Union européenne ainsi que l'accord de Bruxelles conclu en 2013 qui consacre l'objectif de « normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie » comme objectif du dialogue69(*).

Cependant, les concessions réciproques obtenues sur des accords techniques négociés dans le cadre du dialogue Belgrade-Pristina n'ont pas permis d'aboutir à une pacification globale et durable des relations entre la Serbie et le Kosovo et le Kosovo continue d'accueillir, sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies70(*), la Force pour la Kosovo (KFOR) de l'Alliance atlantique dont les 3 700 militaires (avril 2023) ont pour fonction d'empêcher les parties de reprendre les hostilités, d'instaurer un environnement sûr et de veiller au maintien de la sécurité et de l'ordre public, d'appuyer l'action humanitaire internationale et de soutenir la communauté civile internationale.

Après une interruption entre novembre 2018 et juillet 2020, le dialogue Belgrade-Pristina a été relancé en juillet 2020 par l'organisation d'un sommet à Paris sous l'impulsion du Président de la République français et de la chancelière fédérale allemande. Il s'appuie notamment sur l'implication personnelle des deux dirigeants serbe et kosovar ainsi que sur le rôle de médiateur joué par l'Union européenne à travers l'implication directe du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell. Depuis avril 2020, l'Union européenne s'appuie également sur un représentant spécial de l'Union européenne pour le dialogue Belgrade-Pristina, l'ancien ministre des affaires étrangères de la Slovaquie Miroslav Lajcak71(*).

En décembre 2022, malgré la reprise du dialogue Belgrade-Pristina, de nouveaux heurts se sont déroulés dans le Nord du Kosovo à la suite de la démission en bloc des policiers d'origine serbe du Nord du Kosovo. La circulation entre le Nord du Kosovo et la Serbie a été bloquée par des camions et des engins agricoles dans le Nord du Kosovo et des attaques contre la police kosovare, déployée au Nord du Kosovo et contre la mission de l'Union européenne EULEX, ont été relevées.

En réaction à cette aggravation des tensions dans le Nord du Kosovo, les États membres de l'Union européenne ont relancé le dialogue Belgrade-Pristina et ont réussi à aboutir à un accord de normalisation le 27 février 2023 à Bruxelles, suivi par une annexe sur la mise en oeuvre de cet accord, annexe appelée « accord d'Ohrid », conclue le 18 mars 2023 après plus de douze heures de négociation lors d'une rencontre entre le dirigeant serbe A. Vucic et le dirigeant kosovar A. Kurti à Ohrid en Macédoine du Nord.

Trente jours après la conclusion de l'accord d'Ohrid, le service européen pour l'action extérieure (SEAE) a créé le 18 avril 2023 à Bruxelles un comité mixte de suivi de la mise en oeuvre de l'accord de normalisation présidé par le représentant spécial de l'Union pour le dialogue Belgrade-Pristina M. Lajcak et réunissant l'ambassadeur du Kosovo à Bruxelles Agron Bajrami et le négociateur en chef de la Serbie Petar Petkovic.

Dans le sillage de la création de ce comité de suivi, le Parlement européen a approuvé le 18 avril 2023 l'accord sur l'exemption de visa pour les Kosovars qui permettra, après son entrée en vigueur qui interviendra au plus tard le 1er janvier 2024, aux citoyens du Kosovo de se rendre dans l'Union européenne sans demander de visa pour des périodes allant jusqu'à 90 jours sur une période de 180 jours.

Les élections municipales anticipées organisées dans le Nord du Kosovo le 23 avril 2023 n'ont pas permis de régler la situation politique au regard de l'absence de candidats serbes qui a provoqué une très faible participation estimée à seulement 3,5%72(*).

Lors d'une nouvelle réunion organisée le 2 mai 2023 entre le président serbe A. Vucic et le premier ministre kosovar A. Kurti, les deux dirigeants ont conclu un nouvel accord de mise en oeuvre de la normalisation des relations entre les deux pays qui prévoit l'accélération du travail sur l'élucidation des cas non résolus pour les personnes disparues pendant la guerre du Kosovo, qui représentent 1 600 personnes sur 6 100 personnes disparues et le lancement des discussions sur l'Association des municipalités à majorité serbe (Association of Serb-Majority Municipalities ou ASMM) du Kosovo.

Source : Kosovo Force (KFOR), Key Facts and Figures, février 2016

La relance du dialogue Belgrade-Pristina a été brutalement freinée en mai 2023 après que les maires d'origine albanaise élus dans les municipalités du Nord du Kosovo se sont installés le 26 mai 2023 dans les bâtiments publics malgré la faible participation aux élections du 23 avril 2023.

Le 26 mai 2023, plusieurs rassemblements de contestation la communauté serbe du Nord du Kosovo sont organisés devant les bâtiments publics. Le 29 mai 2023, dans la ville à majorité serbe du Nord du Kosovo Zvecan, une manifestation encercle des véhicules de la police kosovare et entraine des affrontements qui provoquent une trentaine de blessés dans les effectifs de la KFOR, dont 11 Italiens du 9e régiment alpin de l'Aquila et 19 militaires hongrois.

Après le début des affrontements, la décision des autorités publiques kosovares d'installer les maires élus en dépit de la faible participation aux élections du 23 avril 2023 a été publiquement critiquée par le Secrétaire d'État américain Antony Blinken le 26 mai 2023 et par le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell le 28 mai 2023.

La France et l'Allemagne ont joué un rôle de médiateurs lors du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) organisé à Chisniau en Moldavie le 1er juin 2023 par la tenue d'une réunion de négociations en présence du Président de la République Emmanuel Macron, du chancelier allemand Olaf Scholz, du Haut représentant Josep Borrell, du premier ministre serbe A. Vucic et de la présidente du Kosovo Vjosa Osmani. Cette réunion a permis l'adoption d'un plan de désescalade prévoyant l'organisation de nouvelles élections au Nord du Kosovo, la participation à ces élections des Serbes du Kosovo et le règlement en priorité de la création de l'Association des municipalités à majorité serbe du Kosovo (ASMM).

Les 6 et 7 juin 2023, le représentant spécial de l'Union européenne M. Lajcak et l'envoyé américain Gabriel Escobar se sont rendu au Kosovo et en Serbie pour rencontrer les dirigeants des deux pays et coordonner des négociations entre Belgrade et Pristina.

L'Union européenne et les États-Unis ont affiché trois objectifs communs pendant ce déplacement : la désescalade sur le terrain, l'organisation rapide de nouvelles élections locales au Nord du Kosovo et la reprise du dialogue Belgrade-Pristina pour mettre en oeuvre l'accord bilatéral de normalisation des relations entre les deux parties, en traitant en priorité la question de la création de l'Association des municipalités à majorité serbe du Kosovo (ASMM).

Plus de douze ans après sa mise en place, le dialogue Belgrade-Pristina n'a donc pas permis à moyen terme une normalisation ni même une pacification globale des relations entre la Serbie et le Kosovo. Ce manque d'efficacité du dialogue Belgrade-Pristina, qualifié « d'impasse » par le chercheur spécialiste des Balkans Florent Marciacq73(*), est liée à l'absence de stratégie globale des pays de l'Union européenne qui emploient le dialogue comme un levier de règlement des différends à court terme entre les deux pays sans plan clairement défini pour mettre fin au statu quo en adoptant un règlement global du conflit bilatéral entre la Serbie et le Kosovo74(*).

TROISIÈME PARTIE - LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE DOIVENT RÉINVESTIR LES BALKANS OCCIDENTAUX SUR LES PLANS STRATÉGIQUE, DIPLOMATIQUE ET ÉCONOMIQUE POUR STABILISER CETTE RÉGION EN CONSOLIDANT SON INTÉGRATION EUROPÉENNE

I. LE RÉINVESTISSEMENT COMMERCIAL, FINANCIER ET CULTUREL DE LA FRANCE DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX CONSTITUE UN LEVIER D'INFLUENCE AU SERVICE DE NOS PRIORITÉS STRATÉGIQUES ET DIPLOMATIQUES DANS LA RÉGION

A. LE RENFORCEMENT DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE DANS LES BALKANS SUPPOSE UNE ACCÉLÉRATION DE NOTRE POLITIQUE D'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT, UNE CONSOLIDATION DE NOTRE DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE ET UNE DIVERSIFICATION DE NOTRE DIPLOMATIE CULTURELLE

Depuis 2019, la France a affiché sa volonté de se réinvestir dans les Balkans occidentaux sur le plan diplomatique. Ce réinvestissement, qui constitue un levier important pour permettre à la France d'influencer la stratégique adopter par l'Union européenne dans son voisinage, a été matérialisé pendant l'année 2019, année du 180e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Serbie, par l'organisation d'un sommet informel sur les Balkans à Berlin à l'initiative du Président de la République Emmanuel Macron et de la chancelière fédérale Angela Merkel le 29 avril 2019, d'une visite officielle du Président de la République en Serbie les 15 et 16 juillet 2019, de la participation du président serbe A. Vucic au Forum de Paris sur la Paix en novembre 2019 et par l'adoption d'une stratégie interministérielle pour les Balkans occidentaux.

Cette stratégie, adoptée en avril 201975(*), consacre la volonté de la France de s'engager davantage dans les pays des Balkans occidentaux pour favoriser leur développement économique et social. Elle fixe quatre axes prioritaires d'intervention.

En premier lieu le développement économique et social par l'intermédiaire notamment de l'intervention financière de l'Agence française de développement (AFD). En deuxième lieu la sécurité par la coopération dans la lutte contre les trafics illicites d'armes légères et de petit calibre et la coopération bilatérale par la mise en place d'unités permanentes de renseignement criminel (UPRC). En troisième lieu la justice par la poursuite de la coopération technique en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, d'armes et la traite des êtres humains. Enfin en quatrième lieu la défense par l'intensification des échanges bilatéraux avec les pays des Balkans occidentaux et le développement de l'offre de formation destinée aux officiers des pays des Balkans occidentaux.

Cette stratégie a permis de fixer un cadre pour le renforcement de l'engagement diplomatique et financier de la France dans les pays des Balkans occidentaux, qui doit être poursuivie de manière prioritaire dans trois directions : l'accélération du déploiement de notre politique d'aide publique au développement ; la consolidation de la présence économique des entreprises françaises ; la diversification de notre diplomatie culturelle et d'influence.

En premier lieu, la France doit poursuivre et accélérer le déploiement de l'activité du groupe de l'Agence française de développement (groupe AFD) dans les Balkans occidentaux.

En février 2018, le groupe AFD a obtenu un mandat d'intervention pour l'Albanie et la Serbie, qui a été étendu aux quatre autre pays des Balkans occidentaux en juin 2018. Par conséquent, l'Agence française de développement a ouvert en septembre 2019 une agence régionale à Belgrade ayant compétence sur les six pays des Balkans occidentaux, puis une antenne de cette agence régionale en octobre 2021 à Tirana, cette antenne ayant pour objet de couvrir l'Albanie et le Kosovo. L'Agence française emploi désormais neuf personnes dans les Balkans occidentaux et gère huit experts techniques internationaux notamment grâce à sa filiale Expertise France.

Source : Groupe AFD, Le groupe AFD dans les Balkans occidentaux, mars 2022

L'action du groupe AFD dans les Balkans occidentaux est orientée autour de trois axes prioritaires qui sont : l'appui au processus d'intégration régionale, notamment par la mise en oeuvre de l'Agenda vert pour les Balkans occidentaux adopté par les chefs d'État au sommet de Sofia du 10 novembre 2020, le développement économique bas-carbone, dans le respect de l'Accord de Paris du 12 décembre 2015, et le renforcement de la cohésion sociale notamment par le renforcement de l'égalité femmes-hommes.

Parallèlement, l'action de l'Agence française de développement est concentrée dans les secteurs d'expertises des entreprises françaises dont en particulier les secteurs de l'énergie, du développement urbain, des transports, de l'eau et de l'assainissement et enfin de l'agriculture.

En Bosnie-Herzégovine, alors que l'accord intergouvernemental entre la France et la Bosnie-Herzégovine est en cours de ratification, l'Agence française de développement se concentre sur deux projets identifiés en coopération avec la Banque européenne d'investissement (BEI) : la rénovation du campus universitaire de Sarajevo et le développement de la gestion des déchets à Banja Luka. Par ailleurs, la filiale du groupe AFD Proparco a accordé en 2022 un prêt de 10 millions d'euros à la société Mikrofin, plus grande institution de microfinance non-bancaire de Bosnie-Herzégovine.

En Serbie, l'AFD est intervenu au soutien de quatre projets principaux qui sont une opération d'investissement sur les gares de Belgrade, un prêt pour la mise en oeuvre de la feuille de route climat du pays, un financement pour des infrastructures de traitement des déchets et un prêt pour le développement urbain des municipalités de Serbie. En mars 2023, le montant des engagements de l'AFD en Serbie atteignait 560 millions d'euros.

Au Kosovo, l'AFD est actuellement en discussion avec les autorités publiques sur le financement de la station d'épuration de Pristina et d'un programme de réforme dans le secteur de l'énergie.

Source : Groupe AFD, Le groupe AFD dans les Balkans occidentaux, janvier 2022

Sur l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, les interventions de l'AFD atteignent 835 millions d'euros répartis sur dix projets en mars 2023 avec un objectif de 1,2 milliards d'euros à la fin de l'année 2023.

Recommandation n°1. Accélérer le déploiement de l'Agence française de développement (AFD) dans les Balkans occidentaux pour faire de l'aide publique au développement (APD) un levier de l'influence française dans la région.

En deuxième lieu, la présence économique de la France dans les pays des Balkans occidentaux n'est pas encore à la hauteur du rôle diplomatique central qu'elle entend jouer dans la stabilisation de la région, dans son développement économique et social et dans son intégration européenne. Les rapporteurs relèvent qu'il leur a été indiqué que les entreprises françaises qui renoncent à exporter vers les Balkans ou à y investir sont encore trop nombreuses au regard du développement rapide des relations commerciales ou des investissements directs de nombreux pays d'Europe centrale dans les Balkans occidentaux, au premier rang desquels l'Allemagne.

En Bosnie-Herzégovine, la France dispose d'une importance marge d'amélioration de l'implantation économique de ses entreprises. Malgré une hausse des échanges commerciaux bilatéraux de 19% en 2020, la France demeure en 2021 le 13e fournisseur seulement de la Bosnie-Herzégovine et le 8e à l'échelle de l'Union européenne, derrière l'Italie, l'Allemagne, la Croatie, la Slovénie, l'Autriche, la Pologne et la Hongrie. En matière d'investissements directs à l'étranger (IDE), alors que les pays de l'Union européenne représentent 64% du stock total d'IDE en Bosnie-Herzégovine, la France représente seulement le 23e investisseur international en Bosnie-Herzégovine.

Échanges commerciaux de la France avec la Serbie (M€)

Source : Direction générale du Trésor

En Serbie, malgré l'implantation de grands groupes français dont notamment Vinci qui gère l'aéroport de Belgrade, Veolia qui gère le traitement des déchets de Belgrade et de Michelin, la France n'est que le 10fournisseur de la Serbie. Par ailleurs, plusieurs entreprises françaises (Alstom, RATP, Egis notamment) se sont positionnées pour participer aux travaux afférents au réseau de métro à Belgrade76(*).

Si le commerce bilatéral a connu une croissance de 14% en 2020 et ont été multiplié par trois entre 2010 et 2021, les relations commerciales entre la France et la Serbie ne reflètent pas encore le réinvestissement diplomatique et stratégique de la France décidé en 2019.

Au Kosovo, malgré la reconnaissance immédiate par la France de l'indépendance du pays et la présence de l'AFD, la France est seulement le 16e fournisseur du Kosovo et les exportations françaises sont stables depuis 2008.

La France se situe dès lors loin derrière les principaux fournisseurs du Kosovo qui sont l'Allemagne, mais également la Turquie et la Chine. En matière d'IDE, la France représente seulement 1% des IDE au Kosovo contre 15% pour l'Allemagne et 9% pour la Turquie et les États-Unis.

Recommandation n°2. Consolider l'activité des entreprises françaises dans les Balkans occidentaux pour la mettre en cohérence avec le réinvestissement diplomatique de la France dans la région.

En troisième lieu, la valorisation de la présence diplomatique, stratégique et économique française dans les pays Balkans repose sur un renforcement de notre diplomatie culturelle et d'influence, en ciblant en priorité les acteurs de la société civile dans les pays des Balkans.

Le réseau diplomatique français dans les Balkans occidentaux met en oeuvre des actions de coopération institutionnelle dont témoignent l'existence d'accord de co-production cinématographique avec la Serbie, la Macédoine du Nord, l'Albanie et le Kosovo ou la place de la France comme invitée d'honneur du salon du livre de Belgrade en 2023.

Au regard des atteintes portées dans certains pays des Balkans à l'État de droit et notamment à la liberté d'expression, il est essentielle que la diplomatie d'influence française s'adresse également directement aux organisation de la société civile des pays des Balkans occidentaux en prenant soin de distinguer les populations des pays concernés avec le régime en place.

À cet égard, le soutien apporté par la France à l'Office de coopération régional pour la jeunesse (Regional Youth Cooperation Office for the Balkans ou RYCO), notamment à travers le programme « RISE 2 » financé par l'AFD à hauteur de 600 000 euros pour permettre l'accompagnement à l'entreprenariat social, illustre la possibilité de déployer des instruments de diplomatie d'influence s'adressant directement aux organisations de la société civile (OSC).

Recommandation n°3. Diversifier la politique culturelle et d'influence française dans les Balkans occidentaux en s'adressant en priorité aux organisations de la société civile.

B. L'INFLUENCE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE DANS LES BALKANS PEUT ÊTRE CONFORTÉE PAR LE RENFORCEMENT DE SA COOPÉRATION MILITAIRE ET DE SA PRÉSENCE AU SEIN DES OPÉRATIONS MILITAIRES INTERNATIONALES DÉPLOYÉES DANS LES BALKANS

Le réinvestissement diplomatique de la France dans les Balkans occidentaux depuis 2019 implique un réinvestissement parallèle de la coopération avec les pays des Balkans occidentaux dans les domaines stratégiques de la sécurité et de la défense.

Au-delà de l'accroissement de l'offre de formation à destination des officiers des pays des Balkans occidentaux dans les écoles françaises de formation, prévue par la stratégie interministérielle d'avril 2019, les rapporteurs relèvent que la densification des échanges entre les états-majors et la participation à des exercices en commun sont des leviers de rapprochement entre les forces armées des pays des Balkans occidentaux et les armées françaises au service du rayonnement de la culture stratégique de la France.

L'enjeu de renforcement de notre coopération avec les pays des Balkans est par surcroît renforcé par l'opportunité pour les entreprises françaises de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) d'exporter auprès des pays partenaires de la France dans les Balkans occidentaux, à l'image du projet d'exportation d'avions Rafale à destination de la Serbie actuellement en cours de négociations.

Enfin, le réinvestissement stratégique de la France dans les Balkans justifie que les armées françaises soient représentées dans les deux opérations militaires multilatérales actuellement déployées dans les Balkans occidentaux. Parallèlement à la présence d'un détachement de militaires français au sein de l'opération EUFOR-Althea, les rapporteurs estime que l'insertion d'un ou plusieurs militaires français au sein de la Force pour le Kosovo (KFOR) de l'OTAN serait un investissement utile pour relayer les positions françaises et démontrer la détermination de la France à jouer un rôle stratégique de premier plan dans la région.

Recommandation n°4. Renforcer la coopération militaire avec les pays des Balkans occidentaux et la participation française aux opérations militaires internationales dans la région.

C. LE FORUM DE LA COMMUNAUTÉ POLITIQUE EUROPÉENNE (CPE), CRÉÉ À L'INITIATIVE DE LA FRANCE, CONSTITUE UN INSTRUMENT SOUPLE ET INNOVANT POUR RENFORCER L'INTÉGRATION EUROPÉENNE DES PAYS DES BALKANS

Source : vie-publique.fr

La Communauté politique européenne (CPE) est un format diplomatique réunissant les dirigeants de 44 pays77(*) puis 47 pays européens78(*), en présence du président du Conseil européen, du président de la Commission européenne et du président du Parlement européen, créé à l'initiative du Président de la République française qui a proposé dans un discours devant le Parlement européen à Strasbourg le 9 mai 2022 la création d'un format de discussion constituant « un nouvel espace de coopération politique, de sécurité, de coopération en matière énergétique, de transport, d'investissements, d'infrastructures, de circulation des personnes et en particulier de nos jeunesse »79(*).

Ce format, qui a permis d'afficher l'unité des pays européen dans leur opposition à l'agression russe en Ukraine du 24 février 2022, est également un instrument diplomatique précieux pour accélérer l'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux.

En premier lieu, il s'agit d'un format diplomatique souple qui permet d'aborder l'ensemble des secteurs de coopération indépendamment des structures existantes dans le cadre du droit de l'Union européenne. En deuxième lieu, il s'agit d'un format inclusif qui place l'ensemble des participants sur un pied d'égalité indépendamment de leur appartenance à l'Union européenne. Enfin en troisième lieu, il s'agit d'un format de discussion au niveau des chefs d'État qui permet de donner une impulsion politique aux programmes de coopération technique à l'échelle européenne.

Parallèlement, les deux premiers sommets de la Communauté politique européenne organisés le 6 octobre 2022 à Prague puis le 1er juin 2023 à Chisinau ont permis l'organisation de plusieurs rencontres dans des formats multilatéraux qui ont permis à la France de jouer un rôle de médiateur notamment dans le cadre du dialogue Belgrade-Pristina.

En particulier, en marge du sommet de Chisinau du 1er juin 2023, une réunion sur la désescalade sur le terrain a été organisée entre la premier ministre serbe A. Vucic et la président kosovare V. Osmani en présence du président de la République française, du chancelier fédéral allemand et du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

La consolidation et la promotion de ce format innovant et souple, dont la troisième édition est programmée à Grenade le 5 octobre 2023 et la quatrième au Royaume-Uni au printemps 2024, permettra à la France de disposer d'un instrument utile au service de son objectif de stabilisation et d'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux.

Recommandation n°5. Promouvoir le format de la Communauté politique européenne (CPE) pour en faire un instrument de l'intégration européenne des Balkans occidentaux.

II. LA RELANCE DU PROCESSUS D'INTÉGRATION DES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE IMPLIQUE DE RENFORCER À COURT TERME LES INSTRUMENTS STRATÉGIQUES DE SOUTIEN AUX PAYS DE LA RÉGION ET DE RÉFORMER À MOYEN TERME LE PROCESSUS D'ADHÉSION

A. L'UNION EUROPÉENNE PEUT AMÉLIORER À COURT TERME LA VALORISATION DE SON ACTION DANS LES BALKANS EN RENFORÇANT SES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA DÉSINFORMATION ET LES CYBERATTAQUES

La notion de guerre hybride, qui correspond à « l'association de capacités militaires et non militaires »80(*) dans un environnement qui ne correspond pas à la guerre ouverte, est devenue centrale en Europe depuis le milieu des années 2010.

Alors que le Président de la République a qualifié en novembre 2022 la situation stratégique internationale de « guerre hybride mondialisée »81(*), les menaces hybrides concernent en premier lieu certains nouveaux champs de conflictualité au premier rang desquels l'espace cyber et l'espace informationnel.

Dans le contexte du déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, les pays des Balkans sont exposés de manière croissante à des menaces hybrides en provenance notamment de la Russie82(*). Pour répondre à l'importance croissante des menaces hybrides, l'Union européenne a prévu dans sa Boussole stratégique européenne adoptée en mars 2022 de développer une « boîte à outils hybride de l'Union européenne » pour venir au soutien des pays subissant des attaques hybrides.

Au regard de l'objectif d'accélérer l'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux, l'Union européenne doit renforcer et consolider sa coopération avec ses partenaires des Balkans occidentaux en matière de lutte contre les menaces hybrides, en particulier dans le champ cyber et dans le champ informationnel.

En matière de lutte contre les cyberattaques, la France et la Slovénie ont lancé en novembre 2022 à Podgorica au Monténégro le centre de développement des capacités cyber dans les Balkans occidentaux (C3BO). Ce centre, ouvert aux six pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie), a pour objectif de renforcer les capacités cyber des forces de police, des magistrats ainsi que des opérateurs de cybersécurité des partenaires balkaniques de l'Union européenne.

Logo du C3BO

Source : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, direction de la coopération de sécurité et de défense, rapport d'activité 2022

En matière de lutte contre la désinformation, l'Union européenne a créé en 2017 une force opérationnelle pour les Balkans occidentaux (Western Balkans Task Force ou WBTF) rattachée à la division sur la communication stratégique du service européen pour l'action extérieure (SEAE) de l'Union européenne. Si les actions de cette force opérationnelle, qui organise notamment des conférences sur l'éducation aux médias dans les Balkans occidentaux, sont utiles, ses moyens sont encore limités avec seulement six emplois à temps plein et son efficacité serait renforcée par une meilleure coordination avec les actions mises en oeuvre directement par les États membres.

En cohérence avec sa politique de voisinage, avec la poursuite de l'aide financière versée par l'Union européenne aux pays des Balkans et avec les négociations d'adhésion en cours pour aboutir à l'intégration européenne des pays des Balkans occidentaux, l'Union européenne doit consolider son soutien aux pays de la région en matière de lutte contre les attaques hybrides.

Recommandation n°6. Renforcer la coopération entre l'Union européenne et les pays des Balkans occidentaux en matière de lutte contre les attaques hybrides, notamment contre les cyberattaques et la désinformation.

B. LA MISE EN PLACE D'UN PROCESSUS D'ADHÉSION MODERNISÉ PERMETTRAIT DE CRÉDIBILISER L'HYPOTHÈSE D'UNE ADHÉSION À MOYEN TERME DES PAYS DES BALKANS OCCIDENTAUX À L'UNION EUROPÉENNE

En dépit de la consécration dès le sommet de Thessalonique en 2003 de la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux, la lenteur du processus d'adhésion constatée plus de vingt ans après cette consécration se traduit par une perte croissante de crédibilité de l'action de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux.

Cette perte de crédibilité, qui s'opère au profit des compétiteurs de l'Union européenne dans la région, se traduit par un affaiblissement substantiel du soutien des populations des pays des Balkans occidentaux à l'adhésion, parfois lié à une perte de confiance dans l'hypothèse que l'élargissement aboutisse un jour. En Serbie, le soutien à l'adhésion du pays à l'Union européenne est passé de 60% en 2008 à seulement 34% en 202283(*). En Bosnie-Herzégovine, le soutien à l'adhésion atteint seulement 50% en 2023. Enfin à l'échelle des six pays des Balkans occidentaux, 37% des citoyens, soit plus d'un tiers de la population, estiment que l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne n'aboutira jamais84(*).

Par conséquent, l'Union européenne doit renouveler son approche de la politique d'élargissement pour mettre en oeuvre un processus plus dynamique à même de crédibiliser la perspective d'intégration européenne des Balkans.

En particulier, l'adoption d'une approche plus progressive, défendue par plusieurs experts de la région dont le chercheur Pierre Mirel85(*) auditionné par les rapporteurs, permettrait à la fois d'accélérer la convergence économique des pays des Balkans avec l'Union européenne et de renforcer les liens entre la société civile de ces pays et les citoyens de l'Union européenne.

Comme l'a souligné le Président de la République Emmanuel Macron dans son discours à Bratislava en mai 2023, la question pour l'Union européenne « n'est pas de savoir si nous devons élargir », ni « quand nous devons le faire » mais « comment nous devons le faire »86(*). Les risques de déstabilisation des Balkans occidentaux dans le contexte de la guerre en Ukraine rendent urgent la réforme de la politique d'élargissement.

Recommandation n°7. Moderniser la politique d'élargissement de l'Union européenne pour renforcer sa progressivité, son effectivité et sa crédibilité.

CONCLUSION

Le 1er janvier 2023, la Croatie est devenue le vingtième pays à intégrer la zone euro. Cette entrée dans la zone euro témoigne de l'intégration réussie de la Croatie au sein de l'Union européenne, dix ans après son entrée dans l'Union et vingt ans après la consécration lors du sommet de Thessalonique de la « perspective européenne des Balkans occidentaux ».

Ce précédent de l'intégration achevée avec succès de la Croatie au sein de l'Union démontre sa capacité à s'élargir aux pays des Balkans occidentaux lorsque les conditions économiques et politiques sont réunies. L'intégration à l'Union européenne de la Slovénie dès 2004 avait déjà démontré la capacité de l'Union à intégrer d'anciennes entités de la Yougoslavie.

Pour autant, la perspective d'élargissement aux autres pays indépendants issus des guerres de sécession yougoslaves est actuellement entravée par la persistance de nombreux différends régionaux entre les candidats à l'Union européenne, dont en particulier le conflit entre la Serbie et le Kosovo dont l'indépendance n'est toujours pas reconnue par cinq États membres de l'Union européenne87(*).

Les difficultés que rencontre l'Union européenne pour mettre en place une médiation permettant d'aboutir à une pacification durable des relations entre les pays des Balkans occidentaux et à un règlement des conflits régionaux à même d'accélérer la coopération régionale et l'intégration des Balkans occidentaux au sein de l'Union européenne ont des conséquences directes sur la crédibilité de son action dans les Balkans occidentaux.

La lenteur du processus d'adhésion a provoqué un sentiment de frustration voire de renoncement dans une partie des populations des pays balkaniques. Ce renoncement d'une partie de la population a eu pour conséquence de favoriser la politique d'influence de plusieurs puissances extérieures dans les pays des Balkans, au premier rang desquelles la Russie et la Chine.

Le déclenchement de la guerre d'Ukraine le 24 février 2022 à accélérer la dégradation du contexte stratégique en Europe et dans les Balkans occidentaux. Le refus de la Serbie d'appliquer les sanctions économiques prises par l'Union européenne contre la Russie illustre le fait que l'intégration euroatlantique des Balkans occidentaux n'est pas un acquis mais un objectif à poursuivre pour consolider l'influence de l'Union européenne sur le continent européen et dans son voisinage immédiat.

L'intensification de la lutte d'influence dans le champ informationnel et le risque d'instrumentalisation de certains conflits régionaux pour déstabiliser les Balkans rendent par suite nécessaire un réinvestissement rapide, déterminé et méthodique de la France et de l'Union européenne pour stabiliser les Balkans occidentaux en accélérant leur intégration européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 juillet 2023, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Olivier Cigolotti, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Bernard Fournier et Mme Michelle Gréaume, sur « L'action de la France et de l'Union européenne face à la déstabilisation des Balkans occidentaux dans le contexte de la guerre en Ukraine ».

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - M. le président, mes chers collègues, avec ma co-rapporteure Hélène Conway-Mouret et avec les collègues qui nous ont accompagnés pour notre déplacement dans cette région, je vais vous présenter les grands axes de conclusion de notre rapport d'information sur les Balkans occidentaux.

Avant d'en venir d'ici quelques minutes aux pistes de réforme pour renforcer l'action de la France et de l'Union européenne dans les Balkans, je vous propose de nous attarder quelques instants sur le diagnostic de la situation géopolitique. Pour dresser ce diagnostic, nous nous sommes appuyés sur le cycle d'auditions organisé avant notre départ et sur le déplacement d'une semaine que nous avons effectué au mois d'avril dernier à Sarajevo, à Belgrade puis à Pristina.

Nous avons choisi de décomposer ce diagnostic en quatre parties : je vais d'abord revenir sur l'inertie du processus d'intégration européenne avant que mes collègues ne reviennent respectivement sur le risque croissant d'influences extérieures, sur les fragilités institutionnelles de la Bosnie-Herzégovine et de la Serbie et enfin sur le processus de dialogue Belgrade-Pristina et les risques d'affrontements à la frontière entre la Serbie et le Kosovo.

En premier lieu, je vais donc évoquer la lenteur du processus d'intégration européenne des Balkans occidentaux et les conséquences directes de cette intégration inaboutie dans les pays de la région.

À la fin des années 1990, après une décennie d'affrontements violents pendant laquelle les guerres de sécession yougoslaves ont provoqué 150 000 à 200 000 morts, dont 40% de victimes civiles, les États membres de l'Union européenne ont décidé à l'unanimité d'ouvrir la voie à l'entrée dans l'Union de l'ensemble des pays de la péninsule balkanique.

Lors du sommet de Thessalonique organisé en juin 2003, le Conseil européen s'est engagé dans ce sens en consacrant expressément la « perspective européenne » des Balkans occidentaux, c'est-à-dire désormais des six pays suivants : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie.

Cette promesse, qui résonne directement avec l'actualité, n'a pas été tenue plus de vingt ans après l'organisation de ce sommet.

Depuis le début des années 2000, seules la Slovénie et la Croatie ont intégré l'Union européenne parmi les entités de l'ex-Yougoslavie.

Les délais observés dans les autres pays des Balkans occidentaux pour faire avancer le processus d'intégration européenne témoignent d'un manque d'engagement politique qui remet en cause la crédibilité de l'Union européenne pour intégrer ces pays situés dans son voisinage immédiat.

Sur ce sujet, la Macédoine du Nord est un exemple éclairant. Après avoir obtenu le statut de candidat à l'Union européenne en 2005, le processus d'intégration de la Macédoine du Nord a été bloqué pendant treize ans par un différend bilatéral avec la Grèce sur la dénomination du pays. Alors que ce différend a été réglé par un accord entre les gouvernements grecs et nord-macédonien en 2018, la Macédoine du Nord a été bloquée de nouveau pendant quatre ans par la Bulgarie pour un différend relatif à la présence d'une minorité bulgare en Macédoine du Nord. La Macédoine du Nord aura par conséquent attendu dix-huit ans entre sa demande d'adhésion et l'ouverture de ses négociations d'adhésion.

Ce seul exemple explique une forme de frustration voire de découragement des populations de la péninsule balkanique vis-à-vis du processus d'élargissement de l'Union européenne. Ce découragement se vérifie d'ailleurs dans les sondages et une étude récente estimait à 37% la proportion des citoyens des pays des Balkans occidentaux qui pensent que l'intégration européenne des Balkans n'aboutira jamais.

Cette frustration croissante vis-à-vis d'un processus d'intégration trop lent et trop bureaucratique est un premier élément central du diagnostic de la situation.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour poursuivre le diagnostic des fragilités des pays des Balkans occidentaux dressé par Olivier Cigolotti, je vais insister sur la présence croissante d'acteurs extérieurs dans les Balkans occidentaux à laquelle nous nous devons d'être très attentifs pour éviter tout risque de remise en cause de l'intégration euroatlantique des pays des Balkans par une puissance étrangère hostile à nos intérêts.

Pour illustrer ce risque, je tiens à rappeler ici que dans la capitale de la Serbie, des partis d'extrême droite ont organisé en mars 2022 des manifestations de soutien à l'agression de l'Ukraine par la Russie, quelques semaines après le début de guerre d'invasion. Quatre jours seulement avant l'offensive russe, le journal serbe Informer avait publié un article ayant pour titre « L'Ukraine attaque la Russie ».

Ces témoignages de la capacité d'influence de la Russie vis-à-vis de l'opinion publique serbe illustrent le risque qui pèse sur les pays des Balkans qui sont devenus des cibles pour les organes de désinformation au centre d'une guerre informationnelle de plus en plus intense entre l'Union européenne et ses compétiteurs stratégiques.

En premier lieu, il faut donc souligner la persistance des liens culturels, économiques, diplomatiques et stratégiques entre la Russie et les pays des Balkans.

Cette présence est particulièrement importante dans les pays et région à majorité orthodoxe au premier rang desquels la Serbie et l'entité de Bosnie-Herzégovine appelée Republika Srpska. Elle s'appuie sur une politique d'influence et de désinformation structurée et efficace qui s'appuie notamment sur la présence de l'agence de presse Spoutnik et d'un canal dédié du média Russia Today, « RT Balkan ».

Au-delà de cette influence sur les opinions publiques, la Russie conserve également des liens économiques importants avec certains pays des Balkans y compris après le déclenchement de la guerre en Ukraine. À ce titre, alors qu'elle dépend à 80% de la Russie pour son approvisionnement en gaz, la Serbie a négocié avec Gazprom un nouveau contrat de fourniture pluriannuel en mai 2022, postérieurement au déclenchement de la guerre.

La conséquence directe de ces liens économiques et culturels entre la Russie et la Serbie est le refus de la Serbie d'appliquer les sanctions économiques décidées par l'Union européenne contre la Russie, alors même que l'alignement de la politique étrangère est une condition à l'intégration et que la Serbie est en négociations d'adhésion avec l'Union européenne depuis près de dix ans.

Il faut également souligner que lors de l'entretien que nous avons eu avec le président Vucic, il a insisté sur le fait que la Serbie avait toujours condamné l'atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et sur son attachement au principe d'intangibilité des frontières, en référence au Kosovo. Cette condamnation illustre la volonté de la Serbie de tenir une position d'équilibre entre la Russie et l'Union européenne.

En second lieu, parallèlement à cette présence historique de la Russie, les Balkans font également l'objet d'un réinvestissement important de plusieurs autres puissances extérieures dont les objectifs ne convergent pas avec ceux de l'Union européenne.

Sans revenir en détail sur la présence économique et culturelle de la Turquie, qui s'appuie notamment sur la réhabilitation du patrimoine hérité de la période ottomane de la péninsule, je veux insister sur l'importance de la présence économique de la Chine qui est désormais le deuxième partenaire commercial des Balkans occidentaux.

Tous les pays de la région, à l'exception du Kosovo dont l'indépendance n'est pas reconnue par la Chine, ont rejoint le programme des nouvelles routes de la soie et ont bénéficié des financements chinois dans le secteur des infrastructures.

Il faut souligner ici que l'ampleur des programmes d'investissement risque de créer un phénomène de dépendance. À cet égard, les financements chinois sont non seulement un instrument de diplomatie économique mais également de politique étrangère.

Pour ne prendre qu'un exemple, le Monténégro a contracté en 2014 auprès de créanciers chinois un prêt pour construire une autoroute de 1 milliards d'euros ce qui représente un quart du PIB pays.

L'intervention croissante des puissances extérieures dans les Balkans occidentaux, sur les plans économique et diplomatique, constitue dès lors un autre facteur de déstabilisation à prendre en compte pour accélérer l'intégration euroatlantique de ces pays.

M. Bernard Fournier. - Pour compléter les éléments transversaux que viennent d'évoquer les deux rapporteurs, je vais évoquer avec notre collègue Michelle Gréaume des éléments plus spécifiques de diagnostic en lien direct avec le déplacement que nous avons effectué au début du mois d'avril. J'évoquerai dans un premier temps les deux premières étapes de notre déplacement à Sarajevo et à Belgrade avant de laisser Michelle Gréaume évoquer notre étape à Pristina et les tensions actuelles à la frontière entre la Serbie et le Nord du Kosovo.

En premier lieu, notre déplacement de trois jours effectué dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine nous a convaincu de la profondeur des blocages politiques et institutionnels locaux qui entravent la progression du processus d'intégration à l'Union européenne.

La constitution de la Bosnie-Herzégovine est directement issue des accords de Dayton négociés en 1995 pour mettre fin à la guerre. Elle a été imaginée dans l'objectif d'un arrêt durable des combats, et elle n'est pas adaptée à l'organisation de pouvoirs publics efficaces à long terme.

Par suite, elle organise un système fédéral d'une très grande complexité au sein duquel les différends entre les « communautés nationales » sont fréquemment instrumentalisés et bloquent toute tentative de réforme du système politique.

Le pouvoir est ainsi réparti entre quatorze parlements qui contrôlent quatorze gouvernements au sein desquels les partis les plus influents sont des partis ethno-nationalistes qui défendent les intérêts de chacune des trois communautés nationales reconnues par la constitution : les Bosniaques, les Croates et les Serbes.

Dans la période récente, le blocage institutionnel bosnien a été aggravé par deux facteurs.

En premier lieu, l'entité fédérée composée à majorité de Serbes, la Republika Srpska, est actuellement dirigée par un parti ethno-nationaliste proche de la Russie. En réaffirmant publiquement l'hypothèse d'une sécession de la Republika Srpska en mars dernier, son président Milorad Dodik a contribué à fragiliser l'équilibre institutionnel de la Bosnie-Herzégovine dans le contexte de la guerre en Ukraine.

En second lieu, la légitimité du poste de Haut Représentant de la communauté internationale, qui dispose de pouvoirs lui permettant de suspendre des lois adoptés par les pouvoirs bosniens, est remise en cause par une partie de la population.

À cet égard, le choix fait par le Haut Représentant, que nous avons rencontré à l'occasion de notre déplacement, de modifier le droit électoral par une décision unilatérale prise le jour du scrutin le 2 octobre 2022 constitue un élément de fragilisation de la confiance de la population bosnienne dans le processus électoral.

Pour ces différentes raisons, il nous est clairement apparu que la décision prise par l'Union européenne en décembre 2022 d'octroyer officiellement le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine est un signal ambigu.

Il constitue un point de départ plutôt qu'un point d'arrivée pour les autorités bosniennes et il est impératif que des réformes soient rapidement mises en oeuvre pour respecter les 14 priorités essentielles identifiées par la Commission dès 2019 pour réformer le système politique fondé par les accords de Dayton à commencer par le droit électoral dont le caractère discriminatoire a été expressément condamné par la Cour européenne des droits de l'Homme.

En second lieu, la délégation a poursuivi son déplacement par un programme de travail de deux jours à Belgrade qui nous a permis de rencontrer l'actuel président de la république serbe, M. Aleksandar Vucic, ainsi que plusieurs représentants de l'opposition démocratique et de la société civile.

Si la stabilité institutionnelle et politique de la Serbie contraste avec la situation observée à Sarajevo, deux éléments nous apparaissent comme étant de nature à ralentir le processus en cours d'intégration européenne du pays.

En premier lieu, en matière de politique étrangère, la Serbie revendique une position de réserve, voire de non-alignement dans le contexte de la guerre en Ukraine. À ce titre, et bien qu'elle ait voté la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'agression russe, la Serbie refuse d'aligner sa politique étrangère sur celle de l'Union européenne en appliquant les sanctions européennes contre l'économie russe.

En second lieu, en matière d'État de droit, de nombreux interlocuteurs ont attiré notre attention sur la dégradation de la situation des libertés civiles et politiques en Serbie, au premier rang desquelles la liberté de la presse dont le recul profite en premier lieu aux médias de propagande qui diffusent un récit au service des intérêts de la Russie.

Par suite, nous soulignons l'importance pour l'Union européenne de se servir des négociations d'adhésion comme d'un levier pour engager la convergence de la Serbie vers les standards des États membres de l'Union européenne en matière de positionnement diplomatique et d'État de droit.

Mme Michelle Gréaume. - Pour terminer ce diagnostic approfondi de la situation stratégique dans les Balkans, je vais évoquer la dernière étape de notre déplacement, au Kosovo, ainsi que les tensions qui existent actuellement dans le Nord à la frontière avec la Serbie.

En premier lieu, notre programme de travail au Kosovo nous a notamment permis de nous entretenir avec le chef du gouvernement, le premier ministre Albin Kurti, qui a engagé depuis son élection en février 2021 un vaste programme de réforme et de modernisation du pays, dont les objectifs principaux sont le développement socio-économique du Kosovo et le progrès dans la lutte contre la corruption.

Les progrès effectués par les institutions kosovares en matière de garantie de l'État de droit sont un témoignage de la capacité des pays des Balkans occidentaux à engager les réformes exigées par l'Union européenne lorsque ces réformes sont mises en oeuvre avec une volonté politique soutenue et durable.

Nos échanges avec la représentante spéciale du secrétaire générale des Nations unies au Kosovo et avec la mission civile de l'Union européenne pour le renforcement de l'État de droit (EULEX Kosovo) ont néanmoins témoigné du fait que les réformes en cours doivent être approfondies pour permettre à terme l'intégration du Kosovo dans l'Union européenne comme le prévoit la perspective européenne de l'ensemble des pays de la zone.

Dans le cas particulier du Kosovo, il convient par surcroît de rappeler que la perspective d'intégration au sein de l'Union européenne est ralentie par le fait que Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie n'ont toujours pas reconnu la déclaration d'indépendance du Kosovo en date de février 2008. La position de ces cinq États membres ne reconnaissant pas le Kosovo explique le fait que le pays n'ait déposé officiellement sa candidature à l'Union européenne que le 15 décembre 2022.

En parallèle de cette volonté de réforme en matière de politique intérieure, j'aimerai pour finir évoquer les vives tensions qui existent actuellement dans le Nord du Kosovo, à proximité de la frontière avec la Serbie.

Dès la fin de l'année 2022, la démission collective des policiers serbes en poste dans le Nord du Kosovo avait donné lieu à un premier épisode de blocage dans cette partie du territoire qui est peuplée en majorité de Serbes.

Notre déplacement, au cours duquel nous avons pu échanger directement avec des représentants de la société civile serbe du Nord du Kosovo à Mitrovica, est intervenu quelques semaines après la conclusion de l'accord d'Ohrid du 18 mars 2023 qui constitue une feuille de route pour la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo.

Cet accord, signé avec la médiation de l'Union européenne qui organise régulièrement des rencontres entre les dirigeants serbes et kosovars depuis 2011 dans le cadre du « dialogue Belgrade-Pristina », prévoit plusieurs étapes de normalisation des relations entre les deux pays dont notamment la mise en place d'une Association des municipalités à majorité serbe au Nord du Kosovo.

Quelques semaines après notre déplacement, les élections locales organisées au Nord du Kosovo n'ont pas permis de résoudre la crise politique car elles ont été boycottées par la majorité serbe et que des maires albanais ont été élus avec une participation de seulement 3,5%.

L'installation de ces maires élus avec moins de 5% des voix exprimées en mai 2023 a provoqué un nouvel épisode d'affrontements violents au Nord du Kosovo qui a provoqué une trentaine de blessés au sein de la KFOR, qui est la force de maintien de la paix de l'Alliance atlantique de 3 700 militaires présente sur le territoire kosovar depuis 1999.

La persistance de ce différend bilatéral entre la Serbie et le Kosovo et la difficulté des parties en présence à faire progresser la normalisation de leur relation en dépit de la médiation assurée par l'Union européenne est un autre élément central de ralentissement de l'intégration européenne des Balkans occidentaux.

Alors que l'Union européenne a fait de la pacification des relations bilatérales au sein de la péninsule un objectif stratégique, la stagnation du dialogue Belgrade-Pristina est une illustration de la nécessité de renforcer l'investissement diplomatique de la France et de l'Union dans les Balkans pour accélérer l'aboutissement de leur intégration européenne.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Pour terminer, je vais vous exposer avec ma co-rapporteure les principaux axes de recommandations qui sont détaillés dans le rapport. Je me concentrerai sur ce qui concerne l'action de la France et laisserai Hélène Conway-Mouret évoquer les priorités de réforme pour l'Union européenne.

La France est un acteur historique dans les Balkans occidentaux. Le voyage du président Macron en Serbie en 2019 a permis de réaffirmer l'ambition de la France d'influer directement sur l'évolution de la situation dans cette région. À cet égard, nous saluons l'adoption en avril 2019 d'une stratégie interministérielle dans les Balkans occidentaux.

Cependant, notre déplacement nous a permis de constater que sur le plan économique et commercial la présence des entreprises françaises dans les pays des Balkans occidentaux n'est pas encore à la hauteur de nos ambitions.

Par conséquent, notre premier axe de recommandation consiste à renforcer la présence économique de la France dans les pays des Balkans. Au-delà de la présence de nos grands groupes dont la société Vinci qui gère l'aéroport de Belgrade, notre diplomatie économique doit nous permettre d'insérer dans la péninsule balkanique nos petites et moyennes entreprises qui sont encore trop nombreuses à renoncer aux marchés de ces pays pourtant voisins et en voie d'intégration à l'Union européenne.

Ce renforcement de notre présence économique doit s'appuyer sur le déploiement de l'action de l'Agence française de développement qui a ouvert en 2019 une agence régionale à Belgrade qui a déjà permis le financement de projets à hauteur de 840 millions d'euros.

En deuxième lieu, il est essentiel de valoriser à sa juste mesure l'initiative française de création d'une Communauté politique européenne (CPE) proposée par le Président de la République le 9 mai 2022. Les réactions de nos différents interlocuteurs sur place nous ont montré que le scepticisme initial des pays candidats avait été dépassé. Ce format, qui présente le double avantage de réunir l'ensemble des pays d'Europe sur un pied d'égalité et de permettre d'aborder tous les secteurs de coopération potentielle, doit devenir un vecteur de l'intégration européenne des Balkans occidentaux, en complément de la poursuite de la politique d'élargissement.

Enfin en troisième lieu, nous estimons que la France doit accompagner son réinvestissement économique et diplomatique d'un réinvestissement stratégique.

Pour ce faire, la France doit continuer à coopérer avec les armées des pays des Balkans. Nous estimons également qu'il serait utile que la France soit représentée au sein des deux opérations militaires internationales dans la région. Si nos armées sont représentées par un détachement en Bosnie-Herzégovine auprès de la mission EUFOR-Althea, la présence de militaires français au sein de la KFOR au Kosovo serait également un signal bienvenu de notre réinvestissement stratégique dans la région.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour finir, j'aimerais insister sur deux axes de recommandation relatifs à l'action de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux.

En effet, la question du rythme de l'élargissement de l'Union et du caractère trop bureaucratique des relations entre la Commission européenne et les autorités nationales des pays des Balkans est un point central de la situation géostratégique dans la péninsule balkanique.

À ce titre, nous estimons en premier lieu qu'un axe de réforme consiste à mieux cibler notre accompagnement des pays des Balkans.

Comme nous l'avons évoqué, la fragilité du système médiatique et des institutions publiques de ces pays les rend particulièrement vulnérables aux tentatives d'ingérence de puissances extérieures.

Dans un état de « guerre hybride mondialisée », selon la formule de la Revue nationale stratégique, l'accompagnement des pays des Balkans doit se concentrer en priorité sur la lutte contre les stratégies hybrides susceptibles d'affecter les pays des Balkans.

L'Union européenne doit par conséquent fournir sans attendre aux pays des Balkans une aide et une assistance pour lutter contre les attaques qui interviennent dans le champ cyber et dans le champ informationnel.

Au-delà de la force opérationnelle de communication stratégique du Service européenne pour l'action extérieure (SEAE), qui doit être mieux coordonnée avec les initiatives nationales, l'Union européenne doit également mieux soutenir les administrations locales face au risque cyber. L'initiative franco-slovène d'installation d'un centre de développement cyber dans la capitale du Monténégro est un modèle à dupliquer pour renforcer le soutien aux pays des Balkans sans attendre leur pleine intégration à l'Union européenne.

En second lieu, la politique d'élargissement de l'Union européenne doit être aménagée pour renforcer sa progressivité et sa crédibilité.

Le système actuel, qui repose essentiellement sur un dialogue technique et administratif entre la Commission et les États candidats, doit être réformé pour que le processus d'intégration européenne devienne un levier efficace de réforme institutionnelle dans les pays des Balkans.

Seul un suivi politique attentif du processus d'élargissement permettra aux États membres de l'Union d'enclencher le processus de réforme abouti dans les Balkans occidentaux qui permettra l'intégration de ces pays à l'Union européenne.

Comme le rappelait récemment le Président de la République dans son discours de Bratislava, la question n'est plus de savoir si nous allons intégrer ces pays, ni quand.

La question est de savoir comment les intégrer et il est urgent à ce titre d'adopter une approche plus pragmatique du processus d'adhésion pour accélérer l'intégration européenne des Balkans occidentaux.

J'ajoute pour finir que bien que nous ayons parfois tendance à considérer les Balkans comme un bloc, notre déplacement nous a permis de constater que chaque pays de cette région répond à une logique propre à laquelle il faut être attentif. Nous devons être particulièrement attentifs à la tension entre la Serbie et le Kosovo qui pourrait être une étincelle qui entraine la déstabilisation globale de la région.

M. Olivier Cadic. - Merci pour ce rapport qui est passionnant. J'ai été régulièrement dans les Balkans occidentaux. Sur la question du renforcement de notre présence économique, je pense que nous devons nous comparer avec l'Allemagne. Nos entreprises sont en concurrence avec les entreprises allemandes dans cette région. Le renforcement de notre présence est positif pour ces pays car cela réduit leur dépendance à l'Allemagne.

Je suis également heureux du fait que vous saluez la Communauté politique européenne qui est un vrai succès pour la France obtenu grâce à l'initiative du Président de la République, et ce en incluant même le Royaume-Uni.

Je veux toutefois insister sur le fait que dans le cadre de l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne, l'Union européenne veut accélérer le processus depuis longtemps. J'ai le sentiment que ce sont plutôt les États membres qui ralentissent le processus, pour des raisons de politique intérieure.

Je me rappelle qu'au moment de l'indépendance du Kosovo, le ministre russe Lavrov avait affirmé que la reconnaissance du Kosovo était une erreur des pays de l'Union dont la Russie saurait se servir. Lors d'un de mes déplacements, il m'avait été expliqué que la Serbie et le Kosovo souhaitaient négocier pour déplacer la frontière d'un commun accord. Or ce projet n'a pas pu être mis en oeuvre du fait de l'opposition de l'Allemagne.

Sur la question de la Bosnie-Herzégovine, que vous avez bien analysée, il faut souligner que les positions défendues par Milorad Dodik ont beaucoup évolué. Il adopte aujourd'hui une position en faveur de la sécession mais il faut se demander si cela n'est pas lié au fait que la Russie adopte la même position et remet en cause les accords de Dayton.

Si nous n'intégrons pas rapidement les pays des Balkans, nous les condamnons à se tourner vers la Russie, vers la Chine, vers la Turquie, qui veulent se servir des Balkans comme d'un porte-avion au coeur de l'Union européenne. Il faut également souligner le rôle de la Croatie qui continue d'exercer une influence très importante dans la région, notamment en Bosnie-Herzégovine.

Nous devons souligner que la France doit être plus investie politiquement pour soutenir l'élargissement de l'Union aux pays des Balkans. Sur la question de la Serbie en particulier, je peux vous assurer pour l'avoir rencontré que la volonté profonde du président Vucic est que la Serbie rejoigne l'Union européenne, même s'il avance politiquement sur une ligne de crête.

M. Christian Cambon, président. - Je partage cette lecture de la situation en Serbie, où je me suis moi-même rendu récemment. Le président Vucic souhaite que la Serbie rejoigne l'Union européenne mais il attend des pays européens des signaux politiques clairs en faveur de cette intégration.

Sur la question de la Bosnie-Herzégovine, il faut constater que les accords de Dayton ont permis d'arrêter les combats mais ils ne sont pas efficaces pour organiser les pouvoirs publics sur le long terme. Il faut également souligner que les moyens de notre ambassade en Bosnie-Herzégovine sont très réduits ce qui ne permet pas de soutenir notre capacité d'influence.

Si nous n'accélérons pas l'intégration européenne de ces pays, ils vont nécessairement chercher d'autres partenaires. Il faut par conséquent réviser notre politique d'élargissement et ses 35 chapitres de négociation qui ne permettent pas d'intégrer rapidement les pays candidats. Un système d'intégration progressif serait plus adapté pour nourrir l'espoir de la jeunesse de ces pays. À cet égard je ne comprends toujours pas le fait que l'Union européenne n'ait pas plus rapidement intégré la Roumanie à l'espace Schengen malgré les efforts très importants consentis par ce pays pour contrôler ses frontières. Il faudrait envisager un élargissement progressif en raisonnant secteur par secteur. En tout état de cause, cette réforme doit être menée parallèlement à la réforme du mode de prise de décision au sein de l'Union européenne.

Les tensions actuelles au Nord du Kosovo et les heurts qui ont suivi le conflit qui a émergé sur les plaques minéralogiques illustrent le niveau de tension dans la région, qui n'est pas toujours suivi avec une grande attention par les pays occidentaux.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous nous sommes concentrés dans notre rapport sur les pays des Balkans occidentaux dans le rapport, et en particulier les trois pays que nous avons visités.

Nous ne pouvons pas effacer le passé de ces pays et nous devons nous efforcer de comprendre comment plusieurs populations cohabitent dans cet espace balkanique.

Je veux insister sur le niveau de blocage en Bosnie-Herzégovine. Les accords de Dayton ont été écrits pour assurer la stabilité entre les trois blocs nationaux mais ils n'ont pas été écrits pour servir durablement de constitution. Ce pays est aujourd'hui impossible à gérer.

Le Haut Représentant de la communauté internationale ne joue pas toujours un rôle constructif. La modification de la loi électorale pendant le déroulement des élections est un élément qui nuit à la crédibilité de l'action de la communauté internationale.

La présence allemande dans ces pays est bien supérieure à la présence française : une grande partie de la jeunesse formée dans ces pays quitte la région pour travailler en Allemagne, en s'appuyant sur un réseau très développé d'enseignement de la langue allemande dans les Balkans. La France ne tire pas assez parti de sa très bonne image dans les Balkans.

Quant à l'action de la France, nous estimons que les moyens de nos ambassades dans les Balkans devraient être renforcés. Il faut combler notre manque d'ambition dans cette région d'une très grande importance.

M. Christian Cambon, président. - Je rappelle ici que lors de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo, le président russe Vladimir Poutine avait affirmé que les pays occidentaux le paieraient cher. La Russie utilise aujourd'hui cet argument pour parler du Donbass dans sa propagande.

M. Pascal Allizard. - Sur la question de l'action du Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, j'étais présent dans ce pays pour l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour les élections d'octobre 2022, et je confirme que l'intervention du Haut Représentant a été mal vécue par l'ensemble des parties prenantes. Cette intervention constitue un contre-exemple par rapport aux règles de l'État de droit que nous promouvons dans les pays candidats à l'Union européenne.

La légitimité de ce Haut Représentant est remise en cause par ce type de décision qui n'est pas compatible avec le modèle que nous défendons en matière de respect de l'État de droit. Je veux également insister sur un point positif : le retour en Bosnie-Herzégovine de jeunes Bosniens après avoir réussi à l'étranger. Ces jeunes permettent également de renouveler la classe politique bosnienne en se présentant aux élections, ils représentent un espoir pour ce pays.

Sur la Serbie, je voudrais souligner qu'au moment de la crise migratoire, les financements allemands en Serbie ont transité par l'Église, et nous devons être attentifs à ce point. Je rejoins vos recommandations notamment en ce qui concerne le processus d'adhésion : nous devons avoir une approche politique de cette question.

Sur la Bulgarie, nous constatons que le niveau de corruption reste élevé. Cependant, nous avons besoin de ce pays comme rempart vis-à-vis de la Turquie. Il faut abandonner l'idée d'avoir des « pays amortisseurs » entre l'Union européenne et la Russie.

M. André Vallini. - Au regard de la complexité de cette région, je voulais simplement vous rappeler que bientôt nous aurons comme diplomate dans ces pays des sous-préfets ou des directeurs d'hôpital à cause de la réforme récente du corps diplomatique.

M. Olivier Cigolotti. - Sur la Communauté politique européenne, je pense en effet que cette initiative redonne de l'espoir aux pays des Balkans. Les universitaires que nous avons auditionnés avant notre départ nous ont tous confirmé que le processus actuel n'était pas conforme aux attentes des pays des Balkans. Il est nécessaire d'envisager un processus progressif.

Sur les accords de Dayton, ces accords ont permis le retour de la paix mais ils ne permettent pas l'intégration de la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne. Dans l'état actuel du pays, la jeunesse bosnienne n'envisage souvent pas de construire sa vie en Bosnie-Herzégovine et aspire à partir vers l'Allemagne ou l'Autriche.

Les tensions au Kosovo qui ont émergé autour de la question des plaques minéralogiques démontrent le niveau de tension dans les pays des Balkans.

Sur la Serbie, nous avons évoqué cette tentative d'adopter une position d'équilibre entre la Russie et l'Union européenne. J'en profite pour évoquer le projet actuellement en discussions d'acquisition par la Serbie de 12 avions Rafale. Cela témoigne de la volonté de la Serbie de se rapprocher de la France ; mais cela pourrait également être mal perçu par le Kosovo.

Mme Michelle Gréaume. - Je souhaite également évoquer le fait que plusieurs interlocuteurs nous ont indiqué qu'ils ressentaient un sentiment d'injustice vis-à-vis de l'octroi très rapide du statut de candidat à l'Ukraine. Ces pays craignent que l'Ukraine dispose d'une procédure d'intégration accélérée à leur détriment.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

- déplacement à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) du 2 au 4 avril 2023

- déplacement à Belgrade (Serbie) du 4 au 6 avril 2023

- déplacement à Pristina (Kosovo) les 6 et 7 avril 2023

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 29 mars 2023

Ministère des armées

M. Guillaume Ollagnier, chef du service « Europe, Amérique du Nord et action multilatérale » à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- M. Nicolas Faye, sous-directeur de l'Europe balkanique au sein de la direction de l'Europe continentale (direction générale des affaires politiques et de sécurité).

Experts et chercheurs

- M. Pierre Mirel, directeur général honoraire de la Commission européenne et conseiller à l'institut Jacques Delors ;

- M. Florent Marciacq, co-directeur de l'observatoire des Balkans (Fondation Jean-Jaurès).


* 1 v. conclusions du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, §40

* 2 v. CEDH, Gr. ch., 22 décembre 2019, Sejdic-Finci c/ Bosnie-Herzégovine

* 3 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie

* 4 Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Grèce, Bulgarie, Roumanie

* 5 v. résolution 1101 (1997) du 28 mars 1997 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 6 Avis n°6 du 11 janvier 1992 de la commission d'arbitrage de la Conférence pour la paix en Yougoslavie sur la reconnaissance de la Macédoine du Nord par la Communauté européenne et ses États membres

* 7 v. résolutions 721 (1991) du 27 novembre 1991 et 743 (1992) du 21 février 1992 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 8 v. résolution 998 (1995) du 16 juin 1995 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 9 Slobodan Milosevic y représente les Serbes et les Bosno-Serbes, Franjo Tudjman y représente les Croates et les Bosno-Croates et Alija Izetbegovic y représente les Bosno-Musulmans.

* 10 v. résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 11 Déclaration des pays de la Communauté économique européenne (CEE) sur les lignes directrices sur la reconnaissance de nouveaux États en Europe centrale et en Union soviétique, 16 décembre 1991

* 12 A. Pellet, « Note sur la commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie », Annuaire français de droit international, XXXVII, 1991

* 13 La Conférence réunit la présidence fédérale yougoslave, le gouvernement fédéral yougoslave, les présidents des républiques yougoslaves et les représentants des Communautés européennes et des États membres.

* 14 Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte.

* 15 A. Sainovic, « Le positionnement stratégique des États des Balkans occidentaux face aux puissances extérieures », 30 juillet 2020, IRSEM

* 16 v. conclusions du Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000, paragraphe 67

* 17 v. conclusions du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, paragraphe 40

* 18 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie.

* 19 v. conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 17 et 18 juin 2004, paragraphe 33

* 20 T. Boutherin, « L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne : éléments de réflexion pour une Europe à la croisée des chemins », Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n°283, 24 juin 2013

* 21 Les ressortissants des pays concernés sont exemptés de l'obligation de détenir un visa lorsqu'ils traversent la frontière d'un État membre pour un séjour d'au plus 90 jours.

* 22 P. Mirel, « Les Balkans occidentaux : entre stabilisation et intégration à l'Union européenne », Fondation Robert Schuman, Question d'Europe, n°459, 22 janvier 2018

* 23 F. Marciacq, « L'Union européenne et les Balkans occidentaux. Convergences sur fond de rivalités de puissance », Ramses 2022. Au-delà du Covid, Dunod, 2021

* 24 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 11

* 25 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 10

* 26 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 15

* 27 v. conclusions du Conseil européen du 15 décembre 2022, paragraphe 30

* 28 v. déclaration de Tirana, 6 décembre 2022, paragraphe 2

* 29 Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie

* 30 L'Albanie organise dans ce cadre notamment les exercices « Adventure Express » (avril 2000), « Cooperative Dragon » (juin 2000) et la première partie de l'exercice « Adventure Express 01 » (avril-mai 2001)

* 31 En avril 2009, au moment de son adhésion à l'OTAN, l'Albanie met à disposition de la FIAS 135 militaires rattachés aux contingents turcs et italiens.

* 32 v. article 10 du traité de l'Atlantique Nord du 4 avril 1949

* 33 Espagne, Grèce, Slovaquie, Roumanie

* 34 Cf. OSCE (BIDH), « Rapport final sur les élections parlementaires du 25 avril 2021 en Albanie », juillet 2021

* 35 Cf. OSCE (BIDH), « Rapport final sur les élections générale du 2 octobre 2022 en Bosnie-Herzégovine », février 2023

* 36 v. résolution 1031 (1995) du 15 décembre 1995 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 37 v. résolution 1551 (2004) du 9 juillet 2004 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 38 v. résolution 2658 (2022) du 2 novembre 2022 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 39 v. résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 40 Sierra Leone, Nauru, Ghana, Togo, République centrafricaine, Palaos, Madagascar, Iles Salomon, Comores, Grenade, République dominicaine, Lesotho, Papouasie Nouvelle Guinée, Libéria, Burundi, Guinée-Bissau, Suriname, Sao Tome et Principe

* 41 v. résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 42 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie

* 43 v. Commission européenne pour la démocratie par le droit (commission de Venise), 16 décembre 2022, Avis n°1111/2022, Avis urgent sur la loi sur les amendements à la loi sur le président (Monténégro)

* 44 J.-A. Dérens, « Un second front dans les Balkans ? », Études, octobre 2022

* 45 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 46 A. Sainovic, « Le positionnement stratégique des États des Balkans occidentaux face aux puissances extérieures », IRSEM, Note de recherche n°103, 30 juillet 2020

* 47 J. Massie, M. Lamontagne, Paradiplomatie identitaire : nations minoritaires et politique extérieure, Presses de l'Université du Québec, 2019

* 48 F. Marciacq, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 49 A. Krstinovska, « La Chine dans les Balkans occidentaux », Politique étrangère, 2022

* 50 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 51 C. Chiclet, « Les Balkans et la Chine : les intermittences d'une longue histoire », Confluences Méditerranée, été 2019

* 52 « L'Union européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris de personnes appartenant à des minorités. »

* 53 v. règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union, article 2

* 54 Commission européenne, COM(2019) 163, 3 avril 2019, « Poursuivre le renforcement de l'État de droit au sein de l'Union »

* 55 Commission européenne, COM(2020) 57, 5 février 2020, « Renforcer le processus d'adhésion - Une perspective européenne crédible pour les Balkans occidentaux »

* 56 F. Bieber, The Rise of Authoritarianism in the Western Balkans, Palgrave, Macmilan, 2020

* 57 Cour des comptes européenne, rapport spécial, 2022/1, « Soutien de l'Union européenne à l'État de droit dans les Balkans occidentaux », janvier 2022

* 58 Institute for Democracy and Mediation, « Opinion Poll 2019 : Trust in Governance »

* 59 J.-A. Dérens, « La Bosnie-Herzégovine dans l'impasse ? », Études, décembre 2020

* 60 A. Cateux, « Bosnie-Herzégovine, le lent naufrage », Politique étrangère, 2022

* 61 J.-A. Dérens, « La Bosnie-Herzégovine dans l'impasse ? », Études, décembre 2020

* 62 A. Cateux, « Bosnie-Herzégovine, le lent naufrage », Politique étrangère, 2022

* 63 v. Conseil de l'Union européenne, conclusions du conseil sur l'élargissement et le processus de stabilisation et d'association, 13 décembre 2022, §78

* 64 Commission européenne, COM (2019) 261, 29 mai 2019, Avis de la Commission sur la demande d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne

* 65 CIJ, 22 juillet 2010 (avis consultatif), Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo

* 66 Assemblée générale des Nations unies, résolution A/RES/64/298, 9 septembre 2010

* 67 La première rencontre a été organisée à Bruxelles le 9 mars 2011

* 68 G.-M. Chenu, « Serbie-Kosovo : un dialogue incertain et déséquilibré », Esprit, mai 2011

* 69 F. Marciacq, D. Emini, « Kosovo, l'État entravé », Politique étrangère, hiver 2022

* 70 v. Conseil de sécurité des Nations unies, résolution 1244 (1999), 10 juin 1999

* 71 v. décision (PESC) 2020/489 du Conseil du 2 avril 2020 portant nomination du représentant spécial de l'Union européenne pour le dialogue entre Belgrade et Pristina et les autres questions régionales concernant les Balkans occidentaux

* 72 1 567 votants sur 45 000 citoyens en âge de voter selon la commission électorale du Kosovo.

* 73 F. Marciacq, Donika Emini, « Kosovo, l'État entravé », Politique étrangère, hiver 2022

* 74 F. Marciacq, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 75 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 76 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 77 France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Irlande, Danemark, Grèce, Espagne, Portugal, Autriche, Suède, Finlande, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie, Slovénie, Chypre, Malte, Bulgarie, Roumanie, Croatie, Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Islande, Kosovo, Liechtenstein, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Norvège, Serbie, Suisse, Turquie, Ukraine, Royaume-Uni.

* 78 À partir du deuxième sommet, ont été associés des représentants d'Andorre, San Marin et Monaco.

* 79 Déclaration du Président de la République sur la construction européenne et le conflit en Ukraine, Strasbourg, le 9 mai 2022

* 80 cf. Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017, §137

* 81 cf. Revue nationale stratégique, novembre 2022

* 82 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 83 F. Marciacq, D. Emini, « Kosovo, l'État entravé », Politique étrangère, hiver 2022

* 84 F. Marciacq, réponses au questionnaire des rapporteurs

* 85 P. Mirel, « Union européenne-Balkans occidentaux : les illusions perdues ? », Politique étrangère, 2022

* 86 Discours du Président de la République à Bratislava le 31 mai 2023

* 87 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie